Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 27 février 2015, n° 376598, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5178NCR)
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par Antoine Louche, Avocat au barreau de Lyon
le 19 Mars 2015
En l'espèce, un agent de La Poste affecté au centre courrier de Marseille avait fait l'objet d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de deux ans, par décision en date du 14 octobre 2008. Cette sanction disciplinaire trouvait son origine dans des refus d'obéissance envers ses supérieurs hiérarchiques, d'agression à l'encontre de sa supérieure hiérarchique, la dégradation d'une des portes d'accès au local de la direction et une attitude dilatoire au cours de l'enquête administrative interne.
L'agent avait formé un recours en excès de pouvoir à l'encontre de cette décision devant le tribunal administratif de Marseille. Par jugement en date du 25 novembre 2010, son recours a été rejeté. L'intéressé a alors interjeté appel de ce jugement et en a obtenu la réformation et l'annulation de la sanction dont il a fait l'objet, par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 janvier 2014.
La Poste a alors formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt mais également une requête tendait à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt litigieux. La Conseil d'Etat a naturellement joint ces deux demandes afin qu'elles soient tranchées par une seule et même décision.
Quelques rappels semblent devoir être faits avant d'appréhender l'apport de la décision rapportée.
I - L'évolution de l'office du juge de l'excès de pouvoir en matière disciplinaire
Jusqu'en 1978, la jurisprudence administrative avait limité le contrôle du juge sur la matérialité des faits reprochés à l'agent. L'office du juge consistait alors presque uniquement à dire si les faits ayant donné lieu à la procédure disciplinaire avaient réellement été commis par l'agent et en pareille hypothèse, si lesdits faits étaient de nature à fonder la prise d'une sanction disciplinaire (2).
Le revirement de jurisprudence est intervenu par le biais de la décision "Lebon" du 9 juin 1978 (3). A compter de cette date et jurisprudence, le juge de l'excès de pouvoir a exercé un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. L'office de ce dernier tendait donc à déterminer si la sanction retenue était adaptée et en adéquation avec les faits reprochés, le comportement de l'agent et les éventuels antécédents disciplinaires de ce dernier.
Depuis lors, le juge a donc pu censurer les sanctions disciplinaires arbitraires et manifestement disproportionnées. Cette évolution jurisprudentielle s'explique et se justifie naturellement par le fait du choix multiple de sanction qui s'offre à l'autorité compétente en matière disciplinaire.
Une marge d'appréciation est donc intrinsèquement nécessaire.
Il y a bientôt deux ans, le Conseil d'Etat est venu renforcer le contrôle exercé par les juges du fond en cette matière. Il s'agit désormais d'un contrôle plein et entier du choix de la sanction infligée (4). En fin d'année dernière, la Haute Assemblée a également précisé l'office du juge de cassation en cette matière (5). Plus récemment encore, et quelques jours avant la décision commentée, le Conseil d'Etat est venu apporter de nouvelles précisions (6).
Par cette décision, les juges du Palais-Royal ont indiqué qu'il appartenait également au juge de l'excès de pouvoir de rechercher si la sanction proposée par un conseil de discipline de recours statuant sur le recours d'un fonctionnaire territorial est proportionnée à la gravité des fautes qui lui sont reprochées.
Autrement dit, le contrôle du juge trouve également à s'appliquer à l'égard de la proposition du conseil de discipline de recours. C'est donc bien l'ensemble des éléments de la procédure disciplinaire qui rentre dans le périmètre du contrôle et de l'office du juge de l'excès de pouvoir.
La décision rapportée vient apporter une nouvelle précision dans ce contentieux et sur l'office du juge.
II - Un office du juge de cassation renforcé
Les juges du Palais-Royal ont, tout d'abord, rappelé qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes (7).
Toutefois, ces derniers sont venus préciser et affiner leur analyse et fixant le contour de l'office du juge de l'excès de pouvoir. Le Conseil a ainsi indiqué que "[...] la constatation et la caractérisation des faits reprochés à l'agent relèvent, dès lors qu'elles sont exemptes de dénaturation, du pouvoir souverain des juges du fond ; que le caractère fautif de ces faits est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation ; que l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises [...]".
Autrement dit, la Haute Assemblée, par cette décision, est venue préciser les différences entre l'office des juges du fond et celui du juge de cassation en matière de sanction discipline. La constatation, la caractérisation des faits et l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité de la ou des fautes commises relèvent de l'office des juges du fond, alors que le juge de cassation doit limiter son contrôle à celui du contrôle de la qualification juridique du caractère fautif des faits reprochés à l'agent.
Une porte est toutefois ouverte au bénéfice du juge de cassation. Ce dernier pourra remettre en cause et censurer, le cas échéant, l'analyse effectuée par les juges du fond sur l'adéquation de la sanction prononcée aux faits reprochés dans l'hypothèse où le choix de la sanction retenue par l'administration est hors de proportion.
Sans aligner l'office des juges, un rapprochement est toutefois clairement effectué. Désormais, le contrôle effectué par le juge de cassation sera celui d'un contrôle de dénaturation sur la matérialité des faits, comme par le passé, mais un contrôle de qualification juridique des faits s'agissant du caractère fautif des faits.
Dans le cas d'espèce, le Conseil a estimé que les juges d'appel ont entaché leur arrêt de dénaturation. La matérialité des faits reprochés étant avérée par les pièces du dossier. L'arrêt attaqué a donc été annulé, et par voie de conséquences, les conclusions tendant au sursis à exécution dudit arrêt sont devenues sans objet.
L'affaire a été renvoyée devant la cour administrative d'appel de Marseille. Il conviendra d'être attentif aux prochaines décisions du Conseil afin de pouvoir appréhender les conséquences contentieuses de cette évolution jurisprudentielle.
(1) CAA Marseille, 8ème ch., 17 janvier 2014, n° 11MA00325 N° Lexbase : A8913MLP).
(2) Voir, notamment, sur ce point, CE, 14 janvier 1916, n° 59619, 59679 (N° Lexbase : A9867B7L).
(3) CE, Sect., 9 juin 1978, n° 05911, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6577B7Q). Voir également pour une application plus récente, CE 7° s-s., 4 novembre 2011, n° 350728, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5166HZD).
(4) CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2475KPD).
(5) CE, Ass., 30 décembre 2014, n° 381245 (N° Lexbase : A8359M84).
(6) CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2015, n° 369831, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0272NC3).
(7) Voir, notamment, en ce sens, CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, publié au recueil Lebon, préc..
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