La lettre juridique n°593 du 4 décembre 2014 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Partage d'honoraires sur le fondement de l'enrichissement sans cause : imbroglio juridique en perspective

Réf. : Cass. civ. 2, 20 novembre 2014, n° 13-26.530, F-D (N° Lexbase : A9196M3Y)

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 04 Décembre 2014

Les règles relatives au partage d'honoraires entre les avocats n'avaient pas prévu ce cas de figure bien singulier : celui de l'honoraire complémentaire de résultat au regard des prestations intellectuelles fournies au service du résultat judiciaire dont a bénéficié le client, après avoir dessaisi un premier avocat et mandaté un second. Ce faisant, il incombait donc à la jurisprudence de régler ce différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel : chose faite dans un arrêt de la cour d'appel de Paris, rendu le 2 octobre 2013 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 2 octobre 2013, n° 12/10204 N° Lexbase : A1162KMY), confirmé par la deuxième chambre de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 20 novembre 2014. La Haute juridiction, à la suite des juges parisiens, se place dès lors sur le terrain de l'enrichissement sans cause pour consentir à un partage de l'honoraire de résultat, malgré la caducité de la première convention d'honoraires, et justement parce que cette caducité, pas plus que la convention elle-même, ne sont opposables dans le cadre d'un litige qui n'intéresse pas, au final, le client signataire. Ces décisions, parfaitement originales à notre connaissance, même si elles paraissent justes au regard de l'équité, n'en sont pas moins assises sur un fondement glissant, dont l'application dans le cadre des dispositions relatives à la profession d'avocat relève de l'imbroglio. D'abord, on rappellera sommairement que l'article 11.5 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) précise uniquement les règles applicables en matière de partage d'honoraires entre les avocats correspondants. Ainsi, l'avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours, à l'exclusion des émoluments, dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. Les avocats concernés peuvent néanmoins, dès l'origine et par écrit, convenir du contraire. Et, en matière de rédaction d'actes et lorsqu'un acte est établi conjointement par plusieurs avocats, la prestation de conseil et d'assistance de chaque intervenant ne peut être rétribuée que par le client ou par un tiers agissant d'ordre ou pour le compte de celui-ci. Encore, dans le cas où il est d'usage que les honoraires de rédaction soient à la charge exclusive de l'une des parties et à la condition que l'acte le stipule expressément, les honoraires doivent être, à défaut de convention contraire, partagés par parts égales entre les avocats ayant participé conjointement à la rédaction. Finalement, l'article 11.5 du RIN édicte surtout une interdiction du partage des honoraires des personnes physiques ou morales non avocates ; principe repris au Code de déontologie des avocats de l'Union européenne (art. 21.3.6.1).

Force est de constater que la réglementation n'est ici pas idoine ; elle ne régit en rien le cas bien particulier de notre espèce. Dans l'affaire en cause, un avocat avait été chargé par son client de le défendre dans une instance prud'homale contre son employeur. L'avocat et le client avaient conclu une convention d'honoraires prévoyant notamment un honoraire complémentaire de résultat de 10 % "du montant des sommes dont le client obtiendrait le règlement". Par un jugement rendu en 2001 par un conseil de prud'hommes, l'avocat a obtenu la condamnation de l'employeur à régler à son client une certaine somme, dont une partie assortie de l'exécution provisoire. Le client avait payé sur cette partie l'honoraire de résultat. Mais, à la suite de l'appel formé par l'employeur contre ce jugement, il avait dessaisi l'avocat et avait confié la défense de ses intérêts à une autre avocate. Cette dernière et le client avaient conclu en 2003 une convention d'honoraires prévoyant notamment un honoraire complémentaire de résultat de 10 % "sur les sommes qui seront allouées au client y compris celles déjà versées par exécution provisoire" et stipulant que l'avocate ferait "son affaire personnelle de la répartition des honoraires de résultat dus" au premier avocat. Sur renvoi après cassation de l'arrêt frappé d'appel, l'employeur avait été condamné de façon irrévocable à régler au client par un arrêt rendu en 2007 par une cour d'appel une somme supérieure à celle accordée par le jugement rendu en 2001. Le premier avocat, estimant que le résultat final avait été atteint grâce à son travail initial, avait revendiqué auprès de l'avocate le partage de l'honoraire de résultat calculé à partir de la somme allouée par l'arrêt rendu en 2007 et avait saisi le Bâtonnier d'une demande d'arbitrage.

Première remarque, et non des moindres : il s'agit là d'une demande d'un avocat tendant à obtenir la condamnation d'un autre avocat à un partage des honoraires versés par un client auquel les deux cabinets ont successivement fourni des prestations. Un tel litige relève de la compétence du Bâtonnier en application de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), selon lequel tout litige entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier. C'est pourquoi, l'arbitre avait rappelé, à bon droit, qu'il ne s'agissait pas d'un litige d'honoraires relevant des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 (N° Lexbase : L8168AID), ayant pour objet de fixer le montant des honoraires dus par un client à son avocat.

Deuxième remarque : est inopposable la convention d'honoraires conclue avec le client, qui n'a qu'un effet relatif à l'égard de ceux qui n'y sont pas parties, lorsque le litige ne concerne pas, justement, la fixation des honoraires dus par le client, mais n'a trait qu'à un partage d'honoraires entre confrères se réglant sur la base de la nature des prestations intellectuelles fournies. L'action intenté par l'avocat est donc une action de in rem verso, pour laquelle l'arbitre, et sur appel la cour, devront déterminer le montant de l'indemnité due à la suite, selon la définition d'usage, de l'enrichissement du second avocat, consécutif à l'appauvrissement du premier dessaisi. Voilà pour la portée de l'arrêt rendu par la Haute juridiction.

Seulement voilà, il faut reconnaître que cette décision à de quoi interroger.

D'abord, les conventions d'honoraires sont écartées, déclarées inopposables dans le cadre du litige en question... pour mieux servir de base finalement à l'action en partage d'honoraires de résultat. On sait que le dessaisissement de l'avocat avant la fin du litige rend inapplicable la convention d'honoraires initialement conclue (Cass. civ. 2, 16 juin 2011, n° 10-20.551, F-D N° Lexbase : A7494HTQ ; Cass. civ. 2, 25 février 2010, n° 09-13.191, F-D N° Lexbase : A4508ESR ; et Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 06-16.683, F-D N° Lexbase : A1489EPT). Et, si un accord a été conclu entre un avocat et son client sur l'honoraire de résultat, entendu comme l'honoraire "après résultat définitif", et que, le client ayant fait appel de la décision rendue en première instance, l'avocat se dessaisit volontairement du dossier avant la fin de la procédure, l'accord devient caduque (Cass. civ. 2, 5 février 2004, n° 01-15.609, FS-P+B N° Lexbase : A2289DBE ; Cass. civ. 2, 3 avril 2008, n° 07-13.142, FS-P+B N° Lexbase : A7724D79 ; et Cass. civ. 2, 7 juillet 2011, n° 09-15.403, F-D N° Lexbase : A9742HUD). Tel était le cas dans notre affaire. En conséquence chaque convention d'honoraires est inopposable à l'avocat non signataire, par l'effet relatif des contrats, mais au surplus la première convention est caduc. Pourtant, on admettra que c'est bien parce que, par deux fois, le client a signé une convention d'honoraires prévoyant un honoraire de résultat à hauteur de 10 % des sommes judiciairement et définitivement allouées que le contentieux s'est noué et que, dans la seconde convention, l'avocat prévoyait même de faire son affaire d'un éventuel partage d'honoraires avec le premier avocat auquel il avait succédé (sic), que le premier avocat mandaté demande le partage de l'honoraire de résultat, s'estimant lésé.

Il est de jurisprudence constante, depuis 1892, que l'action de in rem verso, dérivant du principe d'équité qui défend de s'enrichir au détriment d'autrui, et n'ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n'est pas soumis à aucune condition déterminée. Il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d'établir l'existence d'un avantage qu'il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit.

Le juge fait, ici, une application stricte de l'effet relatif des contrats pour estimer que l'enrichissement du second avocat n'est pas causé par la convention d'honoraires ainsi régulièrement signée avec son client. La cour, puis les juges suprêmes, reconnaissent dès lors l'existence d'un avantage que le premier avocat aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit. En l'occurrence, la cause première de l'avantage concédé n'est pas le dessaisissement du premier avocat, dessaisissement bien involontaire de sa part, mais il serait le fruit de "prestations intellectuelles fournies" ; prestations ayant procuré un avantage donc trop important au second avocat -on imagine les recherches et les conclusions déposées en première instance-.

La cour d'appel, puis la Cour de cassation, s'en remette donc à l'arbitre, le Bâtonnier donc, pour... évaluer le montant de l'enrichissement, sur la base de l'honoraire de résultat perçu in fine par le second avocat, mais au regard des prestations intellectuelles fournies par le premier. Cela a, dès lors, la couleur d'une taxation d'honoraire, le goût d'une évaluation arbitrale du montant des honoraires dû à l'avocat -certes non directement par le client mais l'on sait bien que le juge taxateur n'est pas juge du débiteur de l'honoraire (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-17.493, F-P+B N° Lexbase : A2712KB3) !- ; mais c'est hors champ des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 ! Et, c'est sans doute pour éviter de recourir à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, ce qui aurait été inapproprié, que la cour d'appel de Paris conclut que le calcul de l'honoraire de résultat qui doit être partagé entre les deux avocats, le second avocat en devant la moitié à son confrère, doit s'opérer à partir de la somme totale des honoraires encaissés respectivement par chacun des avocats -peut-on faire plus alambiqué !-. On comprend alors que chacun des avocats percevra la moitié de l'honoraire de résultat. On notera qu'en l'espèce le premier avocat avait été en charge de la défense du client lors de la première instance, mais que le second avocat avait conseillé le client en appel, devant la Cour de cassation et devant la cour de renvoi pour obtenir plus du double de l'indemnité initialement accordée...

Nous somme donc en présence d'une procédure de règlement des conflits entre avocat visant à un partage d'honoraires, pour lequel les conventions entre chaque avocat et le client sont inopposables à l'autre avocat, mais servent tout de même de preuve d'une volonté claire et établie d'octroyer une honoraire complémentaire de résultat à chacun des avocats ayant concouru au résultat judiciaire ; des conventions d'autant plus sans effet qu'elles sont caducs du fait du dessaisissement du premier avocat. Au final, le Bâtonnier évaluera la nature des diligences, autre dénomination des "prestations intellectuelles fournies" évoquées par les deux arrêts, pour déterminer l'étendue de l'enrichissement du second avocat au détriment d'un premier congédié sans égard ou presque. La procédure ne relève pas du contentieux de l'honoraire, mais en a de sérieux atours ; d'autant que l'unique raison pour laquelle la procédure spéciale des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 ne s'applique pas, c'est que le client n'est pas ici le débiteur de l'honoraire à partager ; alors justement que ni le Bâtonnier, ni le premier président ne sont compétents pour déterminer... qui est le débiteur de l'honoraire. On avouera tout de même que le raisonnement, si dans le cadre du régime des quasi-contrats a de quoi séduire et est imparable, appliqué au régime de la profession d'avocat, il est assez déroutant.

"Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un moyen d'accroître le travail accumulé. Dans la société communiste, le travail accumulé n'est qu'un moyen d'élargir, d'enrichir et d'embellir l'existence des travailleurs" ; telle est la sentence délivrée par Marx et Engels, dans le Manifeste du parti communiste en 1885... L'équité commandait sans doute cette construction prétorienne pour que chaque avocat perçoive la juste rémunération de son travail au service du client, même lorsque ce dernier rompt le mandat, ayant le plus souvent perdu confiance dans sa relation avec son défenseur.

Pour parer l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause et éviter un partage arbitral d'honoraires, il est alors conseillé d'inscrire dans les conventions d'honoraires une clause de changement d'avocat ; clause qui ne sera pas abusive, selon la jurisprudence (CA Grenoble, 4 avril 2012, n° 12/00215 N° Lexbase : A5877IH7). Cette clause permettra justement au premier avocat d'être réglé de ses honoraires de résultat, lorsque la procédure a été gagnée par le successeur sur la base des premières conclusions établies par le premier avocat, alors que celle-ci ne serait pas opposable dans le cadre d'un litige entre avocats. Une convention d'honoraires peut anticiper un éventuel changement d'avocat en prévoyant qu'en semblable hypothèse, l'honoraire de résultat serait partagé prorata temporis (Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.633, FS-P+B N° Lexbase : A0828DXX). Ainsi, le champ arbitral sera reporté sur le contentieux de l'honoraire, champ dont l'avocat a plus aisément la maîtrise, en cas de défaillance du client, véritable bénéficiaire des "prestations intellectuelles fournies".

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