La lettre juridique n°582 du 11 septembre 2014 : Pénal

[Questions à...] La loi "Taubira" ou la nouvelle approche de la sanction pénale - Questions à Monsieur Pierre Bricard, ancien magistrat

Réf. : Loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (N° Lexbase : L0488I4T)

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[Questions à...] La loi "Taubira" ou la nouvelle approche de la sanction pénale - Questions à Monsieur Pierre Bricard, ancien magistrat. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/19908934-questions-a-la-loi-taubira-ou-la-nouvelle-approche-de-la-sanction-penale-questions-a-monsieur-pierre
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par Aziber Seïd Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef droit pénal et droit processuel

le 11 Septembre 2014

Publiée au Journal officiel du 17 août 2014, la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (lire le point de vue des praticiens in Quelles perspectives pour le projet de réforme pénale ? Compte-rendu de la réunion du 19 mai 2014 de la Commission "Droits de l'Homme" du barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 578 du 10 juillet 2014 - édition privée N° Lexbase : N3051BUK) a vu la quasi-totalité de ses dispositions validées par le Conseil constitutionnel, à l'exception de l'article prévoyant une majoration des amendes pénales au profit de l'indemnisation des victimes (Cons. const., décision n° 2014-696 DC du 7 aout 2014 N° Lexbase : A8364MUC). De manière générale, la nouvelle loi réforme la politique de prévention de la récidive et vise à diminuer le nombre de victimes tout en garantissant la réinsertion des personnes condamnées. Plusieurs dispositions nouvelles sont introduites dans la législation pénale.

Pour faire le point sur cette importante loi, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Monsieur Pierre Bricard, ancien magistrat, qui a accepté de nous faire part de son avis impartial sur ce texte.

Lexbase : Pouvez-vous nous faire état des principales dispositions adoptées par la nouvelle loi ?

Pierre Bricard : L'objectif général de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 est de promouvoir l'individualisation de la peine, mettre fin aux automatismes et introduire la possibilité pour les magistrats de condamner les délinquants à un autre type de peine privilégiant les efforts de réinsertion du condamné.

La loi nouvelle affirme, d'abord, un certain nombre de principes sur la peine et son exécution.

- En ce qui concerne la peine, ses finalités et fonctions sont clarifiées dans le Code pénal. La peine a désormais une dualité fonctionnelle : sanction et amendement. Le nouvel article 130-1 (N° Lexbase : L9806I3L) dispose en effet qu'"afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime", la peine a essentiellement pour fonctions de sanctionner l'auteur de l'infraction mais aussi de "favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion". De plus le nouvel article 132-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9834I3M) affirme le principe de l'individualisation des peines. Ainsi "dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine". Le texte affirme, en outre, le principe de la nécessité de la peine d'emprisonnement ferme qui "ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate".

- En ce qui concerne l'exécution et l'application de la peine, la loi contient de nombreuses dispositions qui assouplissent les textes en vigueur et doivent aussi inciter les juges à faire procéder, dans la mesure du possible, à des aménagements. Au niveau des principes, le nouveau texte rappelle en effet que "le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission de nouvelles infractions [...].Ce régime est adapté au fur et à mesure de l'exécution de la peine, en fonction de l'évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l'objet d'évaluations régulières" (C. pr. pén., art 707, II N° Lexbase : L9874I34). Le texte précise, enfin, que tout détenu doit bénéficier "chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire" (C. pr. pén., art. 707 III).

Sans trop rentrer dans les détails techniques, les principales dispositions appliquant ces principes et adoptées par cette loi sont donc les suivantes.

Création d'une nouvelle peine : la "contrainte pénale"

L'article 19 de la loi crée une nouvelle peine alternative à l'incarcération à exécuter en milieu ouvert baptisée "contrainte pénale". Provisoirement, ce nouveau type de sanction sera limité aux délits passibles de cinq années d'emprisonnement maximum. Il est prévu qu'elle sera étendue à l'ensemble des délits à compter du 1er janvier 2017.

Il s'agit de la principale innovation de la loi du 15 août 2014. Cette nouvelle peine est conçue comme une peine sui generis déconnectée de la notion d'emprisonnement, l'objectif de cette disposition étant de lutter contre la récidive, en sortant la personne du milieu carcéral pour l'exécution de sa peine. Elle repose sur l'idée d'une véritable peine effectuée en milieu ouvert, par opposition au milieu carcéral.

Le nouvel article 131-4-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9812I3S) prévoit, en effet, que l'auteur d'un délit, puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans, peut être condamné à la peine de contrainte pénale "lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur [...] et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu".

La contrainte pénale emporte pour le condamné "l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures de contrôle et d'assistance ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société". Les obligations et interdictions particulières, auxquelles peut être astreint le condamné, sont en fait les obligations prévues en matière de sursis avec mise à l'épreuve mais il est prévu l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général ainsi que l'injonction de soins en cas de condamnation pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et qu'une expertise médicale a conclu qu'elle était susceptible de faire l'objet d'un traitement.

Ainsi, ce nouveau texte créé une nouvelle peine, que le condamné pourra exercer en dehors de la prison, tout en étant soumis à un certain nombre d'obligations et d'interdictions conçues pour être normalement plus contraignantes que le sursis avec mise à l'épreuve. La contrainte pénale, qui est prononcée par le tribunal correctionnel, se veut donc "déconnectée" de la peine de prison au contraire de la probation (sursis avec mise à l'épreuve et autre mesures) qui est une modalité d'exécution de la peine privative de liberté. Dès que cette peine est prononcée, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) seront chargés, dans un délai de trois mois, de faire ce que les anglo-saxons appellent un "diagnostic à visée criminologique", c'est-à-dire une enquête prenant en considération l'ensemble du contexte socio-culturel dans lequel évolue le condamné. Ils proposeront, ensuite, au juge de l'application des peines un ensemble de mesures. Celui-ci décidera de choisir celles qui lui paraîtront les plus adaptées.

Autres mesures facilitant la réinsertion des condamnés

- Les "peines planchers", prévues pour les délinquants récidivistes, qui avaient été introduites dans le Code pénal en 2007 afin d'obliger les juges à prononcer une peine minimale lorsqu'est constaté l'état de récidive légale, sont supprimées (abrogation de l'article 132-19-1 du Code pénal N° Lexbase : L8955HZP par l'article 7 de la loi).

- En ce qui concerne les mineurs, l'article 20-1 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 (N° Lexbase : L4662AGR) est modifié. Il n'y aura plus dorénavant les restrictions introduites dans cet article, en 2007, dans le cadre du principe de l'atténuation de la peine à la moitié de la peine encourue des mineurs de plus de 13 ans. Toutefois, si le mineur est âgé de plus de 16 ans, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs pourront, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu'il n'y a pas lieu de faire application de cette atténuation.

- La révocation automatique du sursis simple est supprimée (loi n° 2014-896 du 15 août 2014, art. 8 ; C. pén., art. 132-5 N° Lexbase : L2217AM3 et 132-6 N° Lexbase : L2292AMT), elle devra donc être expressément ordonnée par le tribunal qui prononce la nouvelle condamnation ; néanmoins, le procureur de la République pourra ultérieurement saisir le tribunal correctionnel d'une requête motivée tendant à la révocation du sursis si le tribunal n'avait pas eu connaissance de cette condamnation. Il est précisé que le caractère non avenu d'une condamnation ne fait pas obstacle à la révocation expresse totale ou partielle du sursis par le tribunal dans son jugement de condamnation en cas d'infraction nouvelle commise dans le délai de cinq ans.

- Il est prévu la possibilité d'ajourner le prononcé de la peine après la déclaration de culpabilité. Ainsi, le tribunal pourra, dans un premier temps, prononcer la culpabilité et statuer immédiatement sur l'indemnisation des victimes, puis ajourner sa décision sur la peine à une seconde audience afin d'obtenir davantage d'informations sur la personnalité et la situation de l'auteur (quatre mois plus tard au maximum, délai renouvelable, C. pén., art. 132-70-1 N° Lexbase : L9841I3U). L'article 132-70-3 (N° Lexbase : L9809I3P) prévoit aussi cette possibilité d'ajournement en soumettant le condamné à l'obligation de consigner une somme d'argent en vue de garantir le paiement d'une éventuelle peine d'amende. Le tribunal détermine le montant de cette consignation et le délai dans lequel celle-ci doit être déposée au greffe, qui ne saurait être supérieur à un an.

- Il est désormais possible de suspendre l'exécution d'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à deux ans dans l'attente d'un aménagement de peine lorsque celle-ci n'a pas été mise à exécution par le Parquet dans un délai de trois ans, à moins que le condamné ne soit détenu pour autre cause ou qu'un fait nouveau ne soit intervenu rendant, de ce fait, inopportun cette suspension (C. pr. pén., art. 723-17-1 N° Lexbase : L9810I3Q).

- Le texte humanise l'exécution d'une peine privative de liberté pour raison familiale : aménagements particuliers (suspension, fractionnement de peine) pour une femme enceinte de plus de douze semaines ou toute personne exerçant l'autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle (loi n° 2014-896 du 15 août 2014, art. 25 de la loi - C. pr. pén., art. 708-1 N° Lexbase : L9821I37 et 720-1 N° Lexbase : L9420IEM).

- La "libération sous contrainte" des détenus en fin de peine est instaurée : afin d'éviter les sorties "sèches" de prison sans accompagnement socio-éducatif, il est prévu, pour les détenus exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d'une durée totale inférieure ou égale à cinq ans, une évaluation obligatoire en commission d'application des peines de leur situation pénale s'ils ont déjà exécuté les deux-tiers de leur peine, ce qui permettrait d'envisager leur sortie progressive de prison. Une "libération sous contrainte" pourra être décidée par le juge d'application des peines, en fonction du projet d'insertion de la personne détenue. La libération sous contrainte entraîne l'exécution du reliquat de peine sous le régime, selon la décision prise par le juge de l'application des peines, de la semi-liberté, du placement à l'extérieur, du placement sous surveillance électronique ou de la libération conditionnelle. S'il n'est pas procédé à cet examen, le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel pourra, d'office ou sur saisine de la personne condamnée ou du procureur de la République, prononcer une mesure de libération sous contrainte. Si le total des peines portées à l'écrou est supérieur à cinq ans, la situation du condamné devra être examinée par le juge ou le tribunal de l'application des peines à l'occasion d'un débat contradictoire.

- Un détenu, qui a purgé sa peine après avoir bénéficié de réductions de peine, peut se voir imposer, à sa libération, un certain nombre d'obligations par le juge de l'application des peines. S'il ne les respecte pas, le bénéfice de ces réductions de peine peut lui être retiré (loi n° 2014-896 du 15 août 2014, art. 44 ; C. pr. pén., art. 721-2.-I N° Lexbase : L9902I37).

- Une personne placée en détention provisoire peut être libérée pour motif médical (loi n° 2014-896 du 15 août 2014, art. 50 ; C. pr. pén., art.147-1 N° Lexbase : L9833I3L).

- Les mesures concernant les victimes ont été renforcées (C. pr. pén., art. 707 N° Lexbase : L9874I34) : elles pourront notamment demander à être informées de la fin de l'exécution d'une peine de prison, ou saisir la justice si elles estiment qu'il existe une atteinte à leurs droits en cours d'exécution de peine. L'existence des bureaux d'aide aux victimes et bureaux de l'exécution des peines est officiellement reconnue par la loi. L'article 18 de la loi prévoit en outre la possibilité d'une justice "restaurative" consistant en un rapprochement de l'auteur et de la victime pour résoudre "des difficultés résultant de l'infraction".

- La durée maximum de la peine de travail d'intérêt général est portée de 210 à 280 heures (loi n° 2014-896 du 15 août 2014, art. 21 ; C. pr. pén., art. 132-57 N° Lexbase : L9871I3Y).

- L'article 35 de la loi prévoit la possibilité, sur autorisation du Procureur de la République, d'une transaction pénale effectuée par l'officier de police judiciaire au cours de l'enquête pour des petits délits (pas plus d'un an d'emprisonnement encouru). Cette transaction, qui peut comporter le versement d'une consignation (dont le montant ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue) ainsi que l'accomplissement de certaines obligations, doit être homologuée par le Président du tribunal de grande instance (C. pr. pén., art. 41-1-1.-I. N° Lexbase : L9828I3E).

- Le nouveau texte fixe les modalités de diminution de la peine d'une personne atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes : réduction du tiers de la peine ou s'il s'agit d'une peine perpétuelle réduction à 30 ans (C. pén., art. 122-1 N° Lexbase : L2244AM3) ; toutefois, le juge de l'application des peines peut ordonner, à la libération de cette personne, si son état le justifie et après avis médical, une obligation de soins pendant une durée qu'il fixe et qui ne peut excéder cinq ans en matière correctionnelle ou dix ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement.

- Enfin, le texte prévoit des dispositions particulières visant à renforcer les pouvoirs de la police et de la gendarmerie en cas de violation de ses obligations par une personne sous main de justice (loi n° 2014-896 du 15 août 2014, art. 34).

Lexbase : Ces nouvelles mesures vous paraissent-elles satisfaisantes ?

Pierre Bricard : Ce texte contient des avancées intéressantes dont la plupart avaient été demandées par les praticiens. Comme il a été dit, l'objectif de cette loi était, en effet, de faire prévaloir l'individualisation et l'aménagement des peines, dans une optique d'insertion pouvant éviter la récidive. Ainsi, on peut se féliciter de l'abrogation des peines planchers et des restrictions concernant les mineurs, véritables obstacles à l'individualisation des peines et de la suppression du caractère automatique de la révocation des sursis simples qui gênait le travail de suivi et d'insertion mené par les professionnels.

Il est intéressant de définir une peine originale, la "contrainte pénale" déconnectée de la peine d'emprisonnement centrée sur des mesures de probation coercitive mais il fallait donner un vrai contenu à cette peine pour qu'elle soit conçue comme une véritable peine autonome ne dépendant pas du bon vouloir du juge de l'application des peines pour en définir son contenu. Il fallait permettre au tribunal correctionnel de définir lui-même l'intégralité des mesures de probation à la suite d'un véritable débat contradictoire sur la personnalité du prévenu. En cas de non-respect de la mesure, il aurait été souhaitable que le tribunal détermine initialement une peine d'emprisonnement fixe dans le jugement condamnant à une contrainte pénale, la durée de cet emprisonnement n'aurait pu être révisable à la baisse par la suite, qu'à titre exceptionnel, par décision spécialement motivée. En fait, les juges de l'application des peines cerneront mal l'intérêt de cette mesure qui semble faire double emploi avec le sursis avec mise à l'épreuve.

Enfin, l'objectif était d'impliquer le condamné détenu à un projet de réinsertion au cours de l'exécution de sa peine et de préparer sa sortie. Toutefois, le législateur, obéissant à des préoccupations sécuritaires, a fait le choix d'élargir à tous les détenus sortant de prison et ayant bénéficié de réductions de peines le champ de la surveillance judiciaire qui était auparavant réservé à quelques infractions graves. Or, une peine est exécutée ou ne l'est pas, si un condamné sort de prison après avoir exécuté sa peine, il ne me paraît pas possible de revenir sur les réductions de peines dont il a justement bénéficié en raison d'un bon comportement en détention, le bénéfice de ces réductions de peine devant être définitif à sa sortie de prison. La surveillance judiciaire à la sortie de prison ne peut se justifier, à mon avis, que pour les délinquants sexuels ou autres délinquants considérés comme particulièrement dangereux.

Lexbase : La contrainte pénale (validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2014), qui est l'une des mesures phares de la loi, traduit-elle, selon vous, un certain laxisme, comme ont pu le soutenir certains ?

Pierre Bricard : Si on se place dans une optique ultra sécuritaire, cette réforme peut paraître, pour certains, comme la manifestation d'une certaine indulgence exagérée à l'égard des délinquants puisqu'elle semble privilégier l'insertion du condamné à sa neutralisation en milieu fermé pour protéger la société. Il convient, toutefois, de remarquer que la nouvelle peine de "contrainte pénale" ne concerne que les délits et non les crimes qui concernent les infractions les plus graves. Le reproche de laxisme de la loi nouvelle sous-tend aussi l'idée que les juges sont, eux-mêmes, très tolérants pour les délits considérés comme de moindre gravité. Or, dans tous les cas, le tribunal ou le juge ont la possibilité de prononcer une peine ferme sans aucune mesure d'aménagement, en motivant spécialement leur décision "au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale" ; je ne pense donc pas que ces nouvelles dispositions inciteront les juges à une particulière tolérance à l'égard des prévenus. Ainsi, ce n'est qu'au cas par cas que le tribunal pourra envisager d'appliquer, à titre exceptionnel, cette nouvelle peine de contrainte pénale. De plus, en cas de non-respect des obligations, le juge pourra rendre ces dernières beaucoup plus strictes, voire même solliciter l'emprisonnement de la personne condamnée.

En fait, la réelle utilité de la "contrainte pénale" peut être discutée. Le régime de la contrainte pénale emprunte, en effet, à des obligations qui peuvent être prononcées dans le cadre du suivi socio-judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve et je vois mal l'originalité de cette mesure en tant que peine si ce n'est qu'elle est déconnectée du prononcé d'une peine d'emprisonnement.

En réalité, le législateur a élargi la gamme des sanctions en accordant plus d'initiatives au juge de l'application des peines, la philosophie de la loi étant que la peine ne pouvait se limiter à un simple enfermement du condamné. En effet, l'élévation généralisée des quanta de peine ou l'instauration de peines minimales pour les récidivistes ne semble pas être une réponse adéquate à la délinquance. De plus, les tribunaux sont de plus en plus sévères, les quanta moyens des peines d'emprisonnement prononcées étant passé de 8 mois à 11 mois, ce qui n'a pas amélioré la situation de la délinquance dans notre pays. On peut donc en conclure que l'on ne sort pas de la délinquance par un allongement de la peine et qu'il faut se centrer sur l'efficacité de la sanction dans une optique d'amendement du condamné et de réinsertion et non se focaliser uniquement sur la durée de l'emprisonnement. De plus, si l'on examine l'aspect avantage-coûts, force est de constater que la prison est le moyen le plus onéreux d'aggraver la délinquance au lieu de l'atténuer ; un jour d'emprisonnement coûte au minimum 100 euros par détenu, un jour de mise à l'épreuve 30 euros et un jour de bracelet électronique 11 euros...Toutefois, la contrainte pénale ne peut être motivée uniquement par cet aspect de réduction des coûts et par la libération de places dans les prisons surpeuplées. En effet, la peine d'emprisonnement ferme ou assortie d'un sursis partiel s'impose pour les délits les plus graves. Aussi, à mon avis, la contrainte pénale serait adaptée comme substitut aux courtes peines d'emprisonnement, ce qui éviterait un emprisonnement suivi d'une sortie "sèche" génératrice, la plupart du temps, de récidive. Elle ne pourrait être appliquée qu'à un public limité très motivé et véritablement apte à se soumettre à des mesures très contraignantes, disposé et ayant la possibilité d'indemniser la victime dans une véritable démarche dynamique d'insertion socio-professionnelle dans le respect des droits de la victime. En aucun cas cette mesure ne pourrait être envisagée lorsqu'il s'agit d'atteintes graves et réitérées aux personnes ou lorsqu'un condamné ne présente aucun gage sérieux de réinsertion.

Pour conclure sur cette polémique, je ne pense donc pas qu'il soit juste de condamner une réforme et la taxer de "laxiste" avant même qu'elle ne soit effectivement appliquée. D'ailleurs, ce texte a été précédé d'un sérieux travail d'experts (conférence de consensus) et le Conseil de l'Europe a, quant à lui, préconisé l'instauration d'une peine différente de l'emprisonnement à l'instar de certains pays étrangers. Cette réforme n'empêchera d'ailleurs pas le prononcé de lourdes peines ou le maintien en détention lorsque les juges estimeront que la gravité de l'infraction et la personnalité du prévenu le justifieront. Le mérite de cette réforme est simplement de donner de nouveau la possibilité aux juges d'adapter la sanction à la gravité de l'infraction ainsi qu'aux considérations pouvant permettre une réinsertion future du condamné. Le législateur a voulu humaniser la sanction dans le sens d'une meilleure efficacité de la justice. Laissons donc maintenant travailler les magistrats avant qu'un bilan ne soit effectué en 2017.

Lexbase : La multiplicité des attributions du juge de l'application des peines méconnaît-elle le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement ainsi que le principe d'impartialité des juridictions ?

Pierre Bricard : Cet argument a été rejeté d'un revers de main par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 2014-696 DC du 7 août 2014, le Conseil constitutionnel a en effet tranché ce point en ces termes : "considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution [...] que le principe d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles [...] considérant que la définition des compétences respectives de la juridiction de jugement, du juge de l'application des peines et du président du tribunal ou son délégué ne méconnaît ni le principe d'impartialité des juridictions ni le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement qui en résulte ; que les griefs tirés de la violation des exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés ; considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les articles 19 et 22 de la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarés conformes à la Constitution".

Il est vrai que les attributions du juge de l'application des peines ont été considérablement élargies, mais le fait de saisir le Président du tribunal correctionnel en cas de non-respect des obligations de même que d'écrouer provisoirement le condamné ne constitue pas en soi un acte de poursuite mais un acte lié au contentieux de l'exécution de la peine, l'urgence pouvant commander ces mesures. D'ailleurs, les attributions du ministère public ont été respectées, ce dernier devant intervenir dans la procédure et faire des réquisitions.

Ainsi, si l'on analyse le texte dans le détail, on ne peut que constater que les attributions du tribunal, du juge de l'application des peines et du ministère public ont été équitablement réparties : l'article 131-4-1 du Code pénal prévoit que, lorsqu'elle prononce la contrainte pénale, la juridiction de jugement fixe la durée maximale de l'emprisonnement encouru par le condamné en cas d'inobservation des obligations et interdictions auxquelles il est astreint ; cet emprisonnement ne peut excéder deux ans ni même excéder le maximum de la peine d'emprisonnement encourue ; il est prévu que le juge peut modifier, supprimer ou compléter les obligations et interdictions décidées par la juridiction de jugement, ce qui rentre parfaitement dans les attributions du juge de l'application des peines ; de même le nouvel article 713-45 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9816I3X) dispose que si le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient imposées pendant au moins un an, que son reclassement paraît acquis et qu'aucun suivi ne paraît plus nécessaire, le juge de l'application des peines peut, sur réquisitions conformes du procureur de la République, décider de mettre fin de façon anticipée à la peine de contrainte pénale. En l'absence d'accord du ministère public, le juge de l'application des peines peut saisir à cette fin, par requête motivée, le président du tribunal ou un juge par lui désigné, qui statue à la suite d'un débat contradictoire public (C. pr. pén., art. 713-45).

D'autre part, le nouvel article 713-47 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9818I3Z) prévoit qu'en cas d'inobservation par la personne condamnée des mesures de contrôle et d'assistance, des obligations ou des interdictions, le juge de l'application des peines peut, "d'office ou sur réquisitions du procureur de la République", modifier ou compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint. Il peut également procéder à un rappel des mesures, obligations et interdictions auxquelles est astreinte la personne condamnée.

Si cela est insuffisant pour assurer l'effectivité de la peine, le juge "saisit, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance ou un juge par lui désigné afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de l'emprisonnement dont la durée a été initialement fixée par la juridiction. Le président du tribunal ou le juge par lui désigné, qui statue à la suite d'un débat contradictoire public, fixe la durée de l'emprisonnement à exécuter, laquelle ne peut excéder celle fixée par la juridiction". Il est précisé que le président du tribunal ou le juge par lui désigné peut décider que cet emprisonnement s'exécutera sous le régime de la semi-liberté, du placement à l'extérieur ou de la surveillance électronique.

Nous voyons donc bien que le juge de l'application des peines intervient dans la définition des obligations auxquelles le condamné est astreint, qu'il en assure le suivi et le contrôle. Cela ne peut être regardé comme portant atteinte au principe d'impartialité des juridictions. La durée maximale d'emprisonnement est de toute façon fixée par le tribunal correctionnel et la sanction de la violation des obligations de la contrainte pénale sera assurée par le président du tribunal de grande instance ou le juge par lui délégué. La loi distingue ainsi clairement le prononcé de la peine par le tribunal, le contrôle de son exécution par le juge de l'application des peines et la sanction de sa violation par un juge indépendant et impartial.

Enfin, l'on ne peut critiquer le fait que le juge de l'application des peines puisse, s'il l'estime nécessaire, ordonner l'incarcération provisoire du condamné, ce dernier devant, d'ailleurs, être libéré d'office si le débat contradictoire n'a pas lieu dans le délai de 15 jours. Cette mesure provisoire se justifie pleinement par l'urgence et les risques de réitération de l'infraction. Cette possibilité pour le juge d'application des peines d'incarcérer provisoirement le condamné jusqu'à la décision du juge répond ainsi à l'objectif constitutionnel de sûreté ; elle était, d'ailleurs, déjà prévue de manière générale, en cas d'inobservation des obligations d'un condamné bénéficiant d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'une libération conditionnelle par l'article 712-19 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9509IEW). Cette mesure répond de surcroît au principe de proportionnalité, la détention provisoire ne pouvant excéder un délai de 15 jours.

Toutefois, il me semble que le législateur est allé un peu trop loin en accordant au juge de l'application des peines le pouvoir de substituer une peine de jours-amende en peine de sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général (C. pr. pén., art. 747-1-2 N° Lexbase : L9823I39). Cette prérogative devrait rester celle du tribunal car il n'appartient pas au juge de l'application des peines de transformer une peine en une autre de nature très différente.

Lexbase : Reste-t-il des domaines d'intervention nécessaire pour parfaire cette réforme ?

Pierre Bricard : La mise en oeuvre concrète de la peine nouvelle de "contrainte pénale" posera des difficultés pratiques pour les praticiens et professionnels de l'application des peines. En effet, elle repose sur un diagnostic et un suivi individualisé, ce qui suppose un investissement en moyens suffisant. Or, le budget du ministère de la Justice n'est pas suffisamment étoffé pour faire face à une réforme de cette ampleur qui exige des moyens importants, surtout à une époque de restriction budgétaire. Dans cette optique, on ne peut que souhaiter le renforcement en personnel des services d'insertion et de probation, car cela ne sert à rien de faire voter une loi introduisant une nouvelle peine dans notre droit positif s'il n'existe aucune mesure d'accompagnement.

Lexbase : Cette nouvelle loi marque-t-elle une véritable évolution idéologique du point de vue de la répression pénale ?

Pierre Bricard : L'évolution du concept de peine vient du fait que la nouvelle loi a essayé de voir la sanction sous un autre angle en déconnectant les mesures de probation de la peine d'emprisonnement. Le fait de mettre à la disposition des magistrats un nouveau type de peine leur apporte une marge de manoeuvre non négligeable quant à la variété des peines prononcées. Certes, étant donné qu'elle est accompagnée d'une série d'obligations et interdictions, la contrainte pénale s'ajoutera à la possibilité de condamner un prévenu à une peine d'emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve (SME).

D'autre part, l'intérêt de cette nouvelle peine, c'est qu'elle implique, avant qu'elle ne soit prononcée, une évaluation dès la condamnation du prévenu. Des paramètres, tels que ses liens sociaux, ses éventuelles addictions, sa situation professionnelle, devront être analysés et décideront des obligations et des interdictions qui lui seront imposées. L'innovation vient de là. De surcroît, la possibilité de scinder le procès pénal en plusieurs phases, celle de la culpabilité d'abord, puis l'indemnisation de la victime et enfin le choix de la sanction qui implique une évaluation du condamné, est une idée très intéressante qui va dans ce sens.

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