La lettre juridique n°565 du 3 avril 2014 : Protection sociale

[Jurisprudence] La responsabilité civile de l'employeur coupable d'avoir ignoré son obligation de souscrire une assurance groupe garantissant le risque d'invalidité

Réf. : Cass. soc., 19 mars 2014, n° 12-24.976, FS-P+B (N° Lexbase : A7464MHW)

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N1573BUS

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[Jurisprudence] La responsabilité civile de l'employeur coupable d'avoir ignoré son obligation de souscrire une assurance groupe garantissant le risque d'invalidité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/15566853-jurisprudence-la-responsabilite-civile-de-lemployeur-coupable-davoir-ignore-son-obligation-de-souscr
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 03 Avril 2014

La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt en date du 19 mars 2014, que l'employeur, coupable de n'avoir pas souscrit d'assurance groupe pour garantir certains risques auxquels sont exposés ses salariés, en l'occurrence le risque invalidité, peut être condamné à des dommages et intérêts d'un montant équivalent à l'avantage perdu (I). Dans cette même affaire, la Cour interprète strictement l'accord de branche applicable et la condition d'ancienneté dans l'entreprise, de manière à permettre à un salarié, dont le contrat de travail se trouvait suspendu depuis de longs mois au moment de son placement en invalidité, de réclamer réparation du préjudice que lui a causé le défaut de souscription (II).
Résumé.

Doit être condamné au versement de dommages et intérêts l'employeur qui n'a pas souscrit un contrat d'assurance groupe prévue par la convention collective, dès lors que la salariée remplissait, à la date de son placement en invalidité deuxième catégorie, les conditions posées par l'accord pour bénéficier de la rente invalidité prévue par l'accord.

Commentaire

I - L'employeur condamné pour avoir négligé d'adhérer à une assurance groupe obligatoire garantissant le risque invalidité

Cadre juridique. La généralisation "d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident", prévue par la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013, doit permettre à tous les salariés de bénéficier effectivement de garanties complémentaires dans le cadre professionnel (1), alors que de nombreuses branches ne sont pas actuellement couvertes. Cette obligation pèsera désormais sur l'employeur, en l'absence de dispositions applicables dans la branche, qui devra mettre en oeuvre ces garanties de manière unilatérale avant le 1er janvier 2016 (CSS, nouvel art. L. 911-7 N° Lexbase : L0435IXE).

Cette obligation risque de multiplier les contentieux lorsque les entreprises ne se seront pas mises en conformité avec leurs nouvelles obligations, ce qui renforce l'intérêt de la présente décision.

Etat du contentieux civil. Le non-respect par l'employeur de ses obligations en lien avec la souscription d'un contrat d'assurance groupe est susceptible de produire deux types d'effets, selon la nature des fautes commises.

L'examen de la jurisprudence montre que les différends les plus fréquents naissent d'un manquement à l'obligation d'information qui pèse sur le souscripteur (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, art. 12 N° Lexbase : L5011E4D), qu'il s'agisse de l'information initiale sur l'étendue des garanties (2) ou des modifications apportées aux garanties initiales (3). Lorsque l'employeur a ainsi omis de remettre aux salariés bénéficiaires la notice d'information détaillant leurs prestations (4), la jurisprudence considère que cette faute leur a fait perdre une chance de souscrire d'autres garanties plus favorables dont l'importance sera souverainement évaluée par les juges du fond (5). On observera que certaines décisions ont pu indemniser intégralement le préjudice "résultant [...] de l'absence d'une garantie dont elle croyait légitimement bénéficier" (6).

Un contentieux moins fréquent concerne des employeurs qui ont purement et simplement négligé d'affilier leurs salariés. Dans cette hypothèse, le juge sera intransigeant et considère que le préjudice correspond à la valeur des garanties perdues par la faute de l'employeur, sans qu'il soit question ici de réduire la réparation par l'application de la théorie de la perte de chance (7).

C'est dans ce second cas de figure que l'on se trouvait ici.

Les faits. Une salariée avait été engagée en septembre 2003 par une société d'expertise qui relevait de la Convention collective nationale des experts comptables et des commissaires aux comptes (étendue) du 9 décembre 1974 (N° Lexbase : X0587AEH), et singulièrement de son article 7-4 aux termes duquel les cabinets doivent souscrire, auprès d'un organisme habilité, un contrat assurant, pour l'ensemble des salariés comptant une ancienneté minimale d'un an dans le cabinet, des garanties décès, incapacité de travail et invalidité, sous réserve toutefois des cas d'exclusion au bénéfice de l'assurance, tenant à la loi ou aux usages de la profession de l'assurance, et tenant au caractère dangereux ou intentionnel de la cause du dommage.

Cette salariée avait été absente pour maladie une semaine en juin 2004, puis de nouveau quelques jours plus tard jusqu'à une décision de mise en invalidité de deuxième catégorie avec effet au 1er mai 2006. Constatant que son employeur n'avait pas souscrit de garantie conventionnelle de prévoyance, contrairement aux stipulations de la convention de branche, elle avait alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice que ce défaut lui avait causé.

Les juges du fond lui ayant donné raison, l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt d'appel en se fondant sur le fait que l'absence de la salariée pour cause de maladie dans les deux années précédant son placement en invalidité interdisait de considérer qu'elle remplissait, au moment du fait générateur, la condition d'ancienneté d'un an exigée par l'accord de branche.

La solution. Telle n'est pas l'opinion, et fort heureusement d'ailleurs, de la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui conforte l'analyse des juges d'appel en rejetant le pourvoi. Pour la Haute juridiction, en effet, l'absence de la salariée, due à un congé longue maladie, ne la privait pas du droit de bénéficier des dispositions conventionnelles normalement invocables qui subordonnaient le bénéfice de la rente invalidité à une "ancienneté minimale d'une année dans le cabinet" au moment de la réalisation du fait générateur, en l'occurrence la décision prise par la Caisse de la classer en invalidité deuxième catégorie.

II - L'assimilation bienvenue entre ancienneté dans l'entreprise et durée de présence à l'effectif

L'interprétation des dispositions conventionnelles litigieuses. En visant une "ancienneté minimale dans le cabinet", l'accord désignait certainement "la présence à l'effectif" du salarié, et non l'"ancienneté" au sens où peut l'entendre le Code du travail notamment lorsqu'il s'agit de vérifier le droit à préavis du salarié (8). La Cour de cassation fait ici une interprétation stricte des dispositions conventionnelles et n'ajoute pas de condition de présence effective dans l'entreprise lorsque les textes ne le font pas, et ne permet d'ailleurs pas non plus à l'employeur d'ajouter unilatéralement pareille restriction (9).

La réparation du préjudice. Dans cette affaire, les juges avaient attribué à la victime des indemnités d'un montant équivalent à celui de la rente perdue par la faute de l'employeur, ce qui est là encore parfaitement justifié. L'application de la théorie de la perte de chance, qui a pour effet de réduire le montant de l'indemnisation pour tenir compte d'une incertitude concernant l'imputabilité du dommage qui s'est finalement réalisé au fait générateur de responsabilité, suppose que certaines variables entrent en ligne de compte dans cette appréciation. Or, s'agissant d'une obligation faite à l'employeur de souscrire une assurance groupe et d'une condition de présence à l'effectif, il ne fait pas de doute que si le salarié remplissait la condition d'ancienneté, ce qui était le cas ici, alors la sanction du défaut de souscription est inévitablement la valeur de l'avantage perdu (10).


(1) Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, art. 1er (N° Lexbase : L0394IXU) et les obs. de M. Del Sol, Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité, Lexbase Hebdo n° 534 du 4 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7808BTD).
(2) Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-40.665, inédit (N° Lexbase : A4103D74). Lire 20 années d'application de la loi Evin, par O. Rault-Dubois, A. Ferreira, M. Hallopeau, SSL, 2010, p. 1443.
(3) Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-42.741, publié (N° Lexbase : A2613HSL), D., 2011, p. 1955, note M. Robineau : "après avoir constaté que la société Sodexo, en n'informant pas M. X... de la modification apportée à ses droits résultant du nouvel accord de prévoyance, n'avait pas respecté son obligation d'information prévue par l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige, a décidé à bon droit que le préjudice subi par le salarié résultait de sa perte de chance d'obtenir, par une souscription individuelle à un contrat de prévoyance, une garantie comparable et ne pouvait être équivalent au montant de la garantie invalidité prévue par le contrat d'assurance de groupe".
(4) Lire dernièrement F. Kessler, RDSS, 2012, p. 1150, obs. sous Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-24.720 (N° Lexbase : A7552ISI).
(5) Cass. civ. 3, 23 novembre 2005, n° 04-16.023, publié (N° Lexbase : A7536DLP). Comp. avec la jurisprudence civile pour qui "l'absence de souscription d'une assurance obligatoire de responsabilité décennale par les entrepreneurs privait dès l'ouverture du chantier les maîtres d'ouvrage de la sécurité procurée par l'assurance en prévision de sinistres et constituait un préjudice certain".
(6) Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-43.819, inédit (N° Lexbase : A3670CT4) ; Cass. soc., 13 mai 2009, n° 07-44.311, inédit (N° Lexbase : A3779EHG) ; Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-42.741, publié (N° Lexbase : A2613HSL) : "le préjudice subi par le salarié résultait de sa perte de chance d'obtenir, par une souscription individuelle à un contrat de prévoyance, une garantie comparable et ne pouvait être équivalent au montant de la garantie invalidité prévue par le contrat d'assurance de groupe" ; Cass. civ. 2, 15 décembre 2011, n° 10-23.889, publié (N° Lexbase : A4843H8U).
(7) Cass. soc., 8 novembre 1994, n° 93-11.239 (N° Lexbase : A1100ABD), Bull. civ. V, n° 293 ; Cass. soc., 5 avril 2006, n° 04-42.105, inédit (N° Lexbase : A9688DN7) : "l'employeur n'avait pas prévenu ses employés de la modification du contrat d'assurance ; que par ce seul motif elle a, sans encourir les griefs du moyen caractérisé l'attitude fautive de l'employeur qui n'a pas permis au salarié de se prévaloir au jour de la déclaration de sa maladie invalidante du contrat d'assurance en cours" ; Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-15.124, inédit (N° Lexbase : A5295HZ7) : "ayant constaté que la salariée avait subi un préjudice consistant dans l'absence d'indemnisation complémentaire pendant toute la période de son arrêt maladie, en raison du défaut d'affiliation par l'employeur au régime conventionnel de prévoyance, la cour d'appel a souverainement apprécié l'étendue de ce préjudice en l'évaluant à la perte des indemnités complémentaires non perçues". Lire sur le sujet J.-F. Césaro, Protection sociale d'entreprise et assurance, Dr. social, 2006, p. 165.
(8) C. trav., art. L. 1234-8, al. 2 (N° Lexbase : L1312H9H) : "Toutefois, la période de suspension n'entre pas en compte pour la détermination de la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions". La solution est rappelée régulièrement : Cass. soc., 24 mai 2005, n° 04-41.208, F-D (N° Lexbase : A4310DIH). Exception est légalement faite dans certaines hypothèses, notamment lorsque la maladie ou l'accident sont professionnels.
(9) Cass. soc., 21 mars 2012, n° 10-15.553, publié (N° Lexbase : A4173IGN), à propos de l'article 3-16 de la Convention collective nationale des activités du déchet du 11 mai 2000 : "l'article 3-16 de la Convention collective nationale des activités de déchets détermine le montant de la prime de treizième mois perçue par les salariés sans condition de durée effective de leur présence dans l'entreprise, et que l'employeur, qui relève de ladite convention ne peut décider de modalités d'attribution moins favorables aux salariés".
(10) Pour des exemples récents : Cass. soc., 25 mai 2011, n° 09-68.157, inédit (N° Lexbase : A8821HSI), SSL, 2011, p. 1516, note S. Hénion.

Décision.

Cass. soc., 19 mars 2014, n° 12-24.976, FS-P+B (N° Lexbase : A7464MHW)

Rejet (CA Nîmes, 24 avril 2012, sect. 1, n° 10/00168 N° Lexbase : A2801IKX)

Texte en cause : Convention collective nationale des experts comptables et des commissaires aux comptes du 9 décembre 1974, art. 7-4 (N° Lexbase : X0587AEH)

Mots-clés : contrat d'assurance groupe ; invalidité ; défaut de souscription ; préjudice ; ancienneté

Lien base : et (N° Lexbase : E3908EYE)

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