La lettre juridique n°565 du 3 avril 2014 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Pourvoi irrecevable en matière pénale : de la nécessité d'un pouvoir spécial pour l'avocat extérieur et précisions quant à la portée de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale

Réf. : Cass. crim., 25 février 2014, n° 13-85.386, F-P+B+I (N° Lexbase : A8150MEL)

Lecture: 9 min

N1610BU8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Pourvoi irrecevable en matière pénale : de la nécessité d'un pouvoir spécial pour l'avocat extérieur et précisions quant à la portée de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/15566831-jurisprudence-pourvoi-irrecevable-en-matiere-penale-de-la-necessite-dun-pouvoir-special-pour-lavocat
Copier

par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, cabinet SEFJ, Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Président de la Commission nationale "Procédure" de l'ACE

le 04 Avril 2014

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 février 2014 précise sa jurisprudence relative à l'interprétation des dispositions de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2811IPS) après la réforme de la représentation devant la cour d'appel issue de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 (N° Lexbase : L2387IP4) entrée en vigueur le 1er janvier 2012.
La cour d'appel de Versailles, suivant arrêt rendu le 9 juillet 2013, a condamné à quatre mois d'emprisonnement, dont deux avec sursis et mise à l'épreuve, outre 700 euros d'amende, Monsieur Mohammad X, pour menace de mort et contravention de violences. La même décision s'est prononcée sur les intérêts civils.
Un pourvoi fût formé par déclaration au greffier de la cour d'appel de Versailles, signée le 15 juillet 2013, par Me M., avocat au barreau de Paris.
Me M. n'avait pas assisté le prévenu en première instance devant la formation correctionnelle saisie du tribunal de grande instance de Nanterre, n'était pas inscrit dans le ressort de la cour d'appel de Versailles et ne disposait d'aucun pouvoir spécial.
La sanction était inéluctable : l'irrecevabilité du pourvoi.
La Chambre criminelle a, en effet, déclaré le pourvoi ainsi formé irrecevable en application de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, car "formé par un avocat qui, d'une part, n'exerce pas près la juridiction qui a statué, d'autre part, n'ayant pas assisté son client, en première instance, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, ne pouvait prétendre à l'application du III de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), et, enfin, n'était pas muni d'un pouvoir spécial". L'intérêt de cet arrêt porte sur la spécificité qui s'attache au pourvoi formé en matière pénale par mandataire, en l'espèce un avocat.

Reprenant le principe de l'exigence d'un pouvoir spécial (I), cette décision confirme clairement sa position adoptée il y a moins d'un an, levant ainsi clairement l'incertitude que la loi du 25 janvier 2011 pouvait encore laisser planer, compte tenu de la nouvelle rédaction de l'alinéa 2 de l'article 576 du Code de procédure pénale relative à l'étendue de l'exception posée au principe précité (II).

Il convient, à titre liminaire, de rappeler les dispositions de l'article 576 du Code de procédure pénale :

"La déclaration de pourvoi doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.

Elle doit être signée par le greffier et par le demandeur en cassation lui-même ou par un avocat près la juridiction qui a statué, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier. Si le déclarant ne peut signer, le greffier en fera mention.

Elle est inscrite sur un registre public à ce destiné et toute personne a le droit de s'en faire délivrer copie".

I - L'exigence d'un pouvoir spécial

Si le pourvoi est effectué par un mandataire, ce dernier, sauf exception, doit être muni d'un pouvoir.

Les arrêts de la Chambre criminelle déclarant irrecevables des pourvois formés par mandataires sans que ces derniers aient été munis d'un pouvoir sont nombreux (1).

La manifestation de la volonté du demandeur au pourvoi doit être établie : le demandeur doit personnellement avoir décidé de se pourvoir en cassation et doit avoir chargé un mandataire d'exercer ce recours en son nom.

Ne répond pas à cette exigence le pouvoir donnant mandat à son avocat de "faire toutes diligences nécessaires, suite à l'arrêt rendu par la cour d'appel" (2).

La Chambre criminelle a souvent rappelé que le pourvoi est irrecevable s'il ne résulte pas de l'acte dressé par le greffier que l'avocat déclarant ait été porteur du pouvoir spécial qu'il devait présenter, ni qu'il ait déposé ce pouvoir pour être annexé à sa déclaration (3).

Le pouvoir doit émaner du demandeur lui-même, doit porter la signature du demandeur, doit être spécial, c'est-à-dire viser la décision attaquée et la procédure spécifique du pourvoi à son encontre, doit être postérieur à la décision attaquée et être antérieur au pourvoi.

Il est intransmissible : le mandataire désigné ne peut transmettre à un tiers le mandat qui lui a été personnellement conféré.

La Chambre criminelle rappelle fréquemment que les pourvois formés par un avocat alors que le pouvoir avait été donné à un confrère sont irrecevables, même lorsque la substitution a été prévue en son principe dans le pouvoir établi par le demandeur, car le nom du bénéficiaire n'y figure pas (4).

Il faut à ce sujet prendre garde à la signature d'un pourvoi par le collaborateur de l'avocat désigné, dès lors que ce collaborateur n'était pas expressément désigné dans le pouvoir, la même solution s'appliquant lorsque seul un associé d'une association à la même société civile de moyens est désigné alors que le pourvoi est signé par un autre associé : l'irrecevabilité du pourvoi est alors imparable (5).

Le cas est différent s'agissant d'un associé d'une société civile professionnelle (6), cette dernière étant dotée de la personnalité juridique, elle peut elle-même être désignée dans le pouvoir : il lui suffira d'être représenté par l'un de ses mandataires sociaux en exercice lequel aura qualité et pouvoir pour signer.

La règle s'impose aux avocats.

Leurs fonctions ne leur confèrent aucune qualité pour former un pourvoi au nom d'une personne qui ne leur a pas donné pouvoir à cet effet.

Il ne faut pas se méprendre avec le pouvoir de représentation que leur confère la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, limité par les règles de postulation devant les juridictions du fond, ce que rappelle implicitement l'arrêt commenté lorsqu'il fait référence à la loi précitée.

L'article 5 de cette loi précise, en effet, que les avocats "exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend, les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et les cours d'appel. Toutefois, les avocats exercent ces activités devant tous les tribunaux de grande instance près desquels leur barreau est constitué".

Par dérogation, son article 1er, III, dispose que "les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil, et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d'avoué près les cour d'appel auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre". Les exceptions à cette exception sont les procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation.

Le texte ajoute "En outre, un avocat ne peut exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d'avoué devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établi son barreau ni au titre de l'aide judiciaire, ni dans les instances dans lesquelles il ne serait pas maître de l'affaire chargé également d'assurer la plaidoirie".

L'exception au principe de l'exigence d'un pouvoir spécial à l'avocat doit, alors, se comprendre dans la combinaison des dispositions de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale et de l'article 1er, III, de la loi du 31 décembre 1971.

II - L'avocat dispensé de pouvoir spécial

L'alinéa 2 de l'article 576 du Code de procédure pénale donne une seule exception : le pourvoi doit être signé par "un avocat près la juridiction qui a statué".

Depuis la mise en vigueur de la réforme du 25 janvier 2011 qui a supprimé les avoués, les avocats "exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et d'appel".

L'avocat peut donc désormais former un pourvoi sans pouvoir spécial, comme pouvait le faire l'avoué près la juridiction qui avait statué en vertu de l'ancienne rédaction de l'article 576 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3969AZZ).

La nouvelle rédaction de l'exception prévue à l'article 576 ne répond pourtant pas à la question de savoir si l'avocat peut se dispenser de pouvoir spécial lorsque le barreau auquel il appartient n'est pas celui de la cour qui a statué alors que la loi sur la postulation territoriale lui permet de postuler devant un tribunal dépendant de cette même cour.

La Cour de cassation devait ainsi répondre au problème de la recevabilité du pourvoi formé sans pouvoir spécial par un avocat parisien, pouvant postuler devant le tribunal de grande instance de Nanterre, lequel dépend de la cour d'appel de Versailles, mais dont le barreau est rattaché au tribunal de grande instance de Paris dépendant de la cour d'appel de Paris.

Le 8 janvier 2013, la Chambre criminelle jugea qu'un pourvoi formé par un avocat qui n'exerce pas près la juridiction qui a statué et qui n'était pas muni d'un pouvoir spécial devait être déclaré irrecevable (7).

La solution donnée par cette décision pouvait être perçue comme amorçant une interprétation restrictive de la nouvelle rédaction de l'article 576 : seuls les avocats du barreau de la cour qui a statué seraient alors exonérés de l'exigence d'un pouvoir spécial.

Comment alors résoudre la problématique spécifique des barreaux de Paris et de Nanterre, inclus dans la dérogation du III de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971 et dépendant chacun d'une cour d'appel distincte ?

Le 5 juin 2013, la Chambre criminelle, saisie cette fois-ci du problème, vint préciser que les pourvois formés par un avocat inscrit au barreau de Paris et qui avait assisté les prévenus devant le tribunal correctionnel de Nanterre dans l'instance ayant donné lieu à l'arrêt attaqué, était recevable par application des dispositions de l'article 576 du Code de procédure pénale et de celles de l'article 1er, III, de la loi du 31 décembre 1971 (8).

C'est ce que confirme nettement huit mois plus tard la Chambre criminelle dans son arrêt du 25 février 2014, à la différence près que la même solution est donnée pour juger l'irrecevabilité d'un pourvoi formé par avocat parisien démuni de pouvoir spécial alors qu'il n'avait pas assisté son client devant le tribunal de grande instance de Nanterre en première instance et qu'il ne pouvait prétendre à l'application du III de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1971.

L'avocat inclus dans la dérogation textuelle de la territorialité de la postulation prévue par l'article 1er III de la loi de 1971 peut donc, désormais, former un pourvoi en matière pénale sans pouvoir spécial alors même qu'il n'exerce pas devant la cour d'appel dont l'arrêt est attaqué : il lui suffit d'avoir assisté son client en première instance.

Il était nécessaire de répondre à l'incertitude que laissait planer la partie de l'alinéa 2 de l'article 576 du Code de procédure pénale prévoyant l'exception à l'exigence d'un pouvoir spécial au bénéfice de l'"avocat près la juridiction qui a statué".

Au-delà de l'intérêt de la réponse ainsi donnée en procédure pénale, la lecture de cette décision incite, là encore, à la réflexion plus générale de l'utilité du maintien de la territorialité de la postulation.

La pratique de la multipostulation en région parisienne montre qu'il est parfaitement possible pour l'avocat d'intervenir devant des juridictions distantes de quelques dizaines de kilomètres de son tribunal de grande instance de rattachement.

Devant les cours d'appel, la postulation était le privilège des avoués.

Depuis la mise en vigueur de la loi du 25 janvier 2011, les avocats du ressort de la cour en ont hérité.

En région parisienne il a fallu transposer devant les cours d'appel de Paris et de Versailles ce qui existe pour des tribunaux de Paris et de la petite couronne.

Un avocat de Paris peut désormais régulariser un appel contre une décision du tribunal de grande instance de Nanterre devant la cour d'appel de Versailles à la condition d'avoir postulé en première instance.

Les règles actuelles sont complexes.

L'évolution de l'écriture et de la communication électroniques, ainsi que l'acheminement vers la visioconférence, entament sérieusement l'intérêt du maintien de la territorialité de la postulation.

N'est-il pas alors temps de simplifier en généralisant la multipostulation ?


(1) Cass. crim., 15 janvier 1963, n° 62-91.437, publié au bulletin (N° Lexbase : A5011CH3) : pourvoi formé par un mari au nom de son épouse ; Cass. crim., 19 janvier 1923, Bull. crim. 1923, n° 21 : pourvoi formé au nom du prévenu par la personne civilement responsable ; Cass. crim., 27 janvier 1992, n° 91-85.731, publié au bulletin (N° Lexbase : A0257AB7) : pourvoi formé au nom de son pupille par le tuteur d'un interdit légal.
(2) Cass. crim., 25 février 1998, n° 97-80.801, publié au bulletin (N° Lexbase : A9213CI3) : Dr. pénal,1998, comm. 107, obs. Maron.
(3) Cass. crim., 12 décembre 1974 : Gaz. pal. 1975, 1, jurisp., p. 156 ; Cass. crim., 22 mai 1984, n° 83-93.494, publié au bulletin (N° Lexbase : A8152AA8).
(4) Cass. crim., 23 mai 1995, n° 94-82.502, publié au bulletin (N° Lexbase : A8815AB4).
(5) Cass. crim., 20 juin 1995, n° 93-80.821, publié au bulletin (N° Lexbase : A8336ABD) ; Cass. crim., 5 juin 1997, n° 96-83.302, publié au bulletin (N° Lexbase : A1243ACZ) ; Cass. crim., 13 mai 1996, n° 95-81.565 (N° Lexbase : A2905CKS).
(6) Cass. crim., 5 mars 1992, n° 91-83.676, inédit au bulletin (N° Lexbase : A8754CM8) : Dr. pénal., 1992, comm.111.
(7) Cass. crim., 8 janvier 2013, n° 12-85.343, publié au bulletin (N° Lexbase : A3537MIT).
(8) Cass. crim., 5 juin 2013, n° 12-86.022, F-P+B (N° Lexbase : A3109KIY).

Décision

Cass. crim., 25 février 2014, n° 13-85.386, F-P+B+I (N° Lexbase : A8150MEL)

Pourvoi irrecevable (CA Versailles, ch. corr., 9 juillet 2013)

Lien base : (N° Lexbase : E9684ETT)

newsid:441610

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.