Réf. : Cass. soc., 10 septembre 2025 deux arrêts, n° 23-22.732 N° Lexbase : B8736BQM et n° 23-14.455 N° Lexbase : B8738BQP, FP-B+R
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le 18 Septembre 2025
Mots-clés : congés payés • arrêt maladie • heures supplémentaires • droit européen • entreprises
Le 10 septembre 2025, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts majeurs en matière de congés payés, mettant le droit français en conformité avec le droit de l’Union européenne. L’un consacre le droit au report des congés en cas d’arrêt maladie survenu pendant cette période, l’autre impose de prendre en compte les congés payés dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Autant de changements qui bouleversent la pratique des entreprises. Carine Cohen, Avocate associée au cabinet Orlex Avocats, décrypte pour nous la portée et les conséquences concrètes de ces décisions.
Lexbase Social : Pouvez-vous nous exposer les principaux enseignements des deux arrêts du 10 septembre 2025 ?
Le 10 septembre, s’agissant des congés payés précisément, la Cour de cassation a rendu deux arrêts qui étaient très attendus.
Globalement, si on devait résumer les deux arrêts évoqués ci-dessus, ils visent à garantir une effectivité du droit au repos lié aux congés payés.
Ces décisions étaient très attendues alors pourtant que les solutions dégagées par la Cour de cassation n’ont rien de surprenant dans la mesure où elles correspondent à la mise en conformité de la jurisprudence interne avec celle de la CJUE [1].
Pour rappel, le 18 juin 2025, la Commission européenne avait adressé une mise en demeure à la France, aux termes de laquelle il lui était reproché de ne pas garantir, dans le cadre de sa législation nationale, que « les travailleurs qui tombent malades pendant leur congé annuel puissent récupérer ultérieurement les jours de congé annuel qui ont coïncidé avec leur maladie ».
Le droit européen considère, en effet, que toute pratique ou omission d'un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé. Conscient de cette divergence entre le droit européen et le droit national et « afin d’éviter tout contentieux inutile », le ministère du Travail préconisait déjà aux entreprises, avant l’arrêt du 10 septembre 2025, de s’inspirer d’un arrêt de la Cour d’appel de Versailles sur le sujet, dont la solution est conforme à la jurisprudence européenne [2].
Lexbase Social : Quelles sont les principales conséquences pour les entreprises ?
Les conséquences pour les entreprises ne sont pas anodines puisqu’il s’agit de changer radicalement d’approche sur deux sujets très structurants.
Concernant le report des congés payés pendant la maladie, auparavant, la règle applicable était la suivante : le salarié qui tombait malade pendant ses congés payés ne pouvait pas exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n'avait pu bénéficier du fait de son arrêt de travail, dans la mesure où la première cause de suspension du contrat de travail (en l’espèce les congés payés) primait sur toute autre cause.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui et les employeurs vont devoir prendre en compte l’interruption des congés payés et le basculement dans le régime de la maladie dès lors que le salarié aura notifié son arrêt de travail.
Concernant le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, la Cour de cassation considérait jusqu’à présent que, à défaut de dispositions légales, conventionnelles ou d’usage contraires, les jours de congés payés n’étaient pas assimilés à du temps de travail effectif, et n’avaient donc pas à être pris en compte pour la détermination des heures supplémentaires [3].
C’est sur cette position que revient la Cour de cassation, en écartant partiellement les dispositions de l’article L. 3121-28 du Code du travail N° Lexbase : L6885K9U, en ce qu’elles subordonnent à l'exécution d'un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé.
Elle ajoute que « ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu'il aurait perçues s'il avait travaillé durant toute la semaine ».
Cela revient à dire qu’un salarié ayant un décompte hebdomadaire de son temps de travail pourrait prétendre au paiement d’heures supplémentaires sur une semaine où il a pris des jours de congés payés, et ceci alors même qu’il n’a pas réalisé 35 heures de travail effectif.
Cette jurisprudence entraînera des répercussions financières non négligeables s’agissant des salariés effectuant habituellement ou structurellement des heures supplémentaires, dès lors que la prise d’un jour de congé payé n’induira plus la perte des majorations au titre des heures supplémentaires décomptées sur la semaine en cause.
Lexbase Social : S’agissant du report des congés payés pendant la maladie, les employeurs vont-ils pouvoir mettre en œuvre cette jurisprudence tout de suite ou est-ce que des points d’incertitude demeurent ?
En dépit du revirement d’ampleur intervenu, l’arrêt de la Cour de cassation est assez succinct et ne rentre pas vraiment dans les détails.
En pratique, de nombreuses questions vont donc se poser aux employeurs qui vont vouloir se mettre en conformité avec la dernière jurisprudence.
À titre d’exemples, plusieurs questions se posent concernant l’arrêt en lui-même :
S’agissant de la notification de l’arrêt de travail à l’employeur, aucune information n’est disponible sur le délai dans lequel cette notification doit intervenir ni sous quelle forme le salarié doit avertir l’employeur (RAR, mail, appel ?). Applique-t-on le délai de 48 heures devant permettre une indemnisation complémentaire de l’employeur ou un délai « raisonnable » ?
Si l’arrêt précise que la notification est nécessaire pour permettre un report des congés payés, il ne se prononce toutefois pas sur les conséquences d’une notification tardive : est-ce qu’on écarte la nouvelle règle de report ou non ?
Concernant le report des congés payés, est-ce que les règles de la loi dite « DDADUE » de 2024 N° Lexbase : L1795MMG trouvent à s’appliquer ou est-ce que des règles spécifiques vont être mises en place ?
À ce sujet, le ministère du Travail a, avant la démission du gouvernement Bayrou, annoncé qu’il n’y aurait a priori pas de nouvelle loi à ce sujet, ce qui laisse à penser qu’une application des règles de la loi « DDADUE » est attendue.
C’est également ce qui ressort du questions-réponses sur les congés payés publié sur le site du ministère du Travail, où l’on peut lire : « dès lors que des jours de congés payés, ayant coïncidé avec un arrêt maladie, font l’objet d’un report, les règles relatives au report des congés payés dans un contexte de maladie devront être respectées et l’employeur devra observer la procédure d’information du salarié ».
Ce qui pose la question de la manière dont les dispositions de cette loi auraient à être appliquées et notamment sur l’appréciation de la notion d’impossibilité, pour le salarié, de prendre tout ou partie de ses congés qui déclenche l’obligation pour l’employeur d’informer le salarié de son droit au report.
L’arrêt est également muet concernant la prescription des demandes rétroactives qui pourraient être effectuées par les salariés et éventuellement par les anciens salariés. En théorie, une application rétroactive de l’arrêt est possible, encore faut-il que les salariés aient pensé à notifier leur arrêt de travail à leur employeur pendant leurs congés payés !
Ce qui est donc évident, c’est que l’application de cette nouvelle règle est loin d’être simple.
Lexbase Social : S’agissant du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, cette solution est-elle transposable immédiatement ?
Concernant l’arrêt relatif à la prise en compte des congés payés pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, il faudrait une intervention législative pour modifier l’article L. 3121-28 du Code du travail N° Lexbase : L6885K9U, puisque la Cour de cassation en a écarté l’application pour partie.
En outre, il est nécessaire de souligner que, s’agissant de cette jurisprudence, la notice au rapport annuel jointe à l’arrêt précise que « la solution dégagée reste circonscrite au décompte hebdomadaire de la durée du travail qui était appliqué dans l’espèce […] et ne préjuge pas de la solution quant aux autres modes de décompte de la durée du travail, puisque la solution énoncée par la Cour de justice de l’Union repose sur l’effet potentiellement dissuasif du système de détermination des heures supplémentaires applicable en droit interne sur la prise du congé payé par le salarié » [5].
Il faudra donc attendre de nouvelles jurisprudences portant précisément sur ces autres modes de décompte du temps de travail (mensuel ou annuel) pour savoir si les pratiques françaises doivent également être revues ou non.
En tout état de cause, la solution dégagée par la Cour de cassation est applicable dès à présent pour les entreprises, que l’article L. 3121-28 du Code du travail soit modifié rapidement ou non.
[1] V. notamment : CJCE, 20 janvier 2009, aff. C-350/06 N° Lexbase : A3596EC8 ; CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11 N° Lexbase : A3116IP4.
[2] CA Versailles, 18 mai 2022, n° 19/03230 N° Lexbase : A42427XE.
[3] Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-21.304, F-P+B N° Lexbase : A1220DEW ; Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.686, F-D N° Lexbase : A3325DSX ; Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-42.821, F-D N° Lexbase : A4699EQ4 ; Cass. soc., 4 avril 2012, n° 10-10.701, FS-P+B N° Lexbase : A1101IIM ; Cass. soc., 25 janvier 2017, n° 15-20.692, F-D N° Lexbase : A5488TAI.
[4] Cass. civ. 2, 5 juin 2025, n° 22-22.834, FS-B+R N° Lexbase : B5702AEW.
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