Le Quotidien du 19 septembre 2025 : Urbanisme

[Jurisprudence] Le maire peut agir contre des travaux irréguliers pendant 6 années après leur achèvement

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 24 juillet 2025, n° 503768, publié au recueil Lebon N° Lexbase : B0955A3R

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par Thibault Fromentin, avocat, Gide Loyrette Nouel

le 17 Septembre 2025

Mots clés : autorisation d’urbanisme • infraction • travaux irréguliers • régularisation • mise en conformité

Par un avis du 24 juillet 2025, le Conseil d’État précise que la mise en demeure de régulariser des travaux contraires au droit de l’urbanisme n’est possible que s’ils ne sont pas couverts par la prescription de l’action publique. Elle ne peut donc intervenir que dans un délai de 6 ans suivant leur achèvement (ou suivant la commission de l’infraction s’il s’agit d’une occupation irrégulière sans travaux).


 

En 2019, le législateur a dénoncé l’ « effectivité insuffisante » du droit de l’urbanisme et la « charge excessive » que représente le contentieux qui en découle pour la juridiction pénale, peu adaptée au traitement des irrégularités de faible gravité.

Dans ce prolongement, il a dressé le constat que les atteintes au droit de l’urbanisme restent trop souvent impunies, ce qui crée un décalage difficilement compréhensible pour les administrés entre la compétence des collectivités locales en cette matière et les moyens limités à leur main pour parvenir à l’encadrer [1].

L’adoption de la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique du 27 décembre 2019 [2] a donc permis de doter les maires d’un nouvel outil, voulu plus efficace, pour renforcer le respect des règles d’utilisation des sols et ainsi mettre rapidement un terme aux infractions relevées.

Désormais, lorsque le maire a constaté une infraction aux règles d’urbanisme et qu’il en a dressé un procès-verbal, il peut mettre en demeure l’intéressé de procéder aux « opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction » ou à sa régularisation, le cas échéant à peine d’astreinte (cette faculté, qui suppose d’avoir au préalable invité l’intéressé à présenter ses observations, s’exerce indépendamment des poursuites pénales qui sont susceptibles d’être engagées) [3].

À titre d’exemple, la possibilité d’ordonner la « mise en conformité » de la construction permet à l’administration d’en exiger la démolition, lorsqu’elle s’impose [4].

Les mesures que ce dispositif autorise peuvent donc être particulièrement contraignantes pour l’auteur des travaux. Pourtant, la question de sa prescription n’avait, jusqu’à très récemment, jamais été formellement abordée ni tranchée par la jurisprudence.

I. La prescription des diverses sanctions applicables aux travaux irréguliers

Outre la mise en demeure prévue à l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L1046MMP et analysée par le Conseil d’État dans son avis du 24 juillet 2025, l’auteur d’une infraction au droit de l’urbanisme s’expose à plusieurs actions et sanctions parallèles (pénales et civiles) dont la mise en œuvre est temporellement circonscrite.

De plus, les constructions existantes irrégulières font l’objet d’un régime administratif particulier afin de subordonner, pendant un certain temps, leur évolution à leur régularisation préalable ou simultanée.

D’abord, l’édification d’une construction en méconnaissance d’une autorisation d’urbanisme (ou sans autorisation alors qu’elle était requise) est une infraction de nature délictuelle, sanctionnée par les articles L. 480-1 N° Lexbase : L0742LZI et suivants du Code de l’urbanisme.

L’auteur des travaux encourt alors diverses sanctions (amende, démolition, etc.) qui se prescrivent par 6 ans [5].

Ensuite, la méconnaissance des règles relatives à l’utilisation des sols expose son auteur à un double risque civil.

D’une part, les tiers (à qui la construction porte préjudice) peuvent introduire une action sur le fondement du droit commun de la responsabilité délictuelle. Néanmoins, elle ne peut aboutir que s’il existe une relation directe de causalité entre l’infraction au droit de l’urbanisme et le préjudice allégué [6].

Cette action, qui se prescrit désormais par 5 ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » [7], se prescrivait autrefois par 10 ans « à compter de la manifestation du dommage » [8].

D’autre part, l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme peut introduire une action en démolition ou tendant à la mise en conformité d’une construction irrégulière. Celle-ci se prescrit par 10 ans à compter de l’achèvement des travaux [9].

Enfin, lorsqu’il est envisagé d’effectuer des travaux sur une construction existante irrégulière, l’obtention d’une nouvelle autorisation d’urbanisme est subordonnée à la régularisation de la construction initiale.

Autrement dit, la demande d’autorisation doit porter à la fois sur le projet et sur les anciens travaux irrégulièrement réalisés [10].

Cette obligation de régularisation se prescrit, sauf exception, par 10 ans à compter de l’achèvement des travaux [11].

II. La prescription applicable à la mise en demeure de régulariser

Au vu de ce qui précède, il est logique que le nouveau dispositif administratif de régularisation d’une construction soit lui aussi assorti d’une prescription.

En effet, il permet au maire d’ordonner, en dehors de toute procédure judiciaire, la mise en conformité de travaux. La sécurité juridique impose donc que son usage ne puisse plus être admis passé un certain délai suivant leur achèvement.

À cet égard, l’analyse des travaux précédant son adoption met en évidence que ce nouvel outil a été conçu pour le temps court afin d’offrir à l’autorité administrative la faculté de « réagir rapidement » lorsqu’elle a connaissance d’une infraction [12].

En d’autres termes, le législateur a souhaité créer une voie parallèle à la procédure pénale mais, pour assurer la complémentarité de la première procédure avec la seconde, il s’est assuré qu’elles reposent sur un socle commun constitué par le constat d’une infraction pénale au droit de l’urbanisme.

Cela ressort expressément de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme, qui énonce que « lorsque des travaux (…) ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par [le droit de l’urbanisme] et qu'un procès-verbal a été dressé en application de l'article L. 480-1, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, l'autorité compétente (…) peut, après avoir invité l'intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure » de régulariser.

Ce n’est donc qu’après avoir constaté l’infraction pénale par un procès-verbal que l’administration peut exercer son pouvoir de police spéciale pour imposer la régularisation de la situation sans attendre que le juge pénal soit saisi et qu’il se prononce.

Le législateur a donc exclu que ce pouvoir puisse être mis en œuvre sans constat préalable de l’infraction.

De ce fait, le régime de ces sanctions complémentaires au dispositif pénal existant [13], doit nécessairement être rapproché de celui des sanctions pénales exposé plus haut.

Il ne peut donc pas être mis en œuvre au-delà du délai de prescription de l’action publique, soit 6 ans à compter du jour où l'infraction a été commise, c'est-à-dire, en règle générale, 6 ans après l'achèvement des travaux.

Par ailleurs, le Conseil d’État précise que dans le cas où des travaux ont été successivement réalisés de façon irrégulière, seuls les travaux à l'égard desquels l'action publique n'est pas prescrite peuvent donner lieu à la mise en demeure prévue par l'article L. 481-1 du Code de l'urbanisme.

En d’autres termes, lorsque la construction a été achevée il y a plus de six ans, seuls les travaux modificatifs plus récents et irréguliers peuvent être visés par la mise en demeure.

En ce cas, le périmètre de l’obligation de régularisation (i.e. la nécessité de déposer une autorisation sur l’ensemble de la construction) doit être apprécié en tenant compte de l’éventuelle prescription administrative prévue à l’article L. 421-9 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L7106L7C.

 

[1] Rapport de la commission des lois, 2 octobre 2019 (première lecture au Sénat de la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique).

[2] Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique N° Lexbase : L6378MSZ.

[3] C. urb., art. L. 481-1.

[4] CE, 22 décembre 2022, n° 463331 N° Lexbase : A738383T.

[5] C. proc. pén., art. 8 N° Lexbase : L3314MMP et loi n° 2017-242 du 27 février 2017, portant réforme de la prescription pénale N° Lexbase : L5577MSD. N.B. : La prescription était de 3 ans jusqu’au 1er mars 2017. Néanmoins, l’évolution du délai de prescription est sans effet sur les prescriptions déjà acquises. En effet, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription de peines ne sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur que si les prescriptions ne sont pas acquises (C. pén., art. 112-2 N° Lexbase : L0454DZT).

[6] C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 et Cass. civ. 3, 11 février 1998, n° 96-10.257 N° Lexbase : A2603ACE.

[7] C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC, en vigueur depuis le 19 juin 2008.

[8] C. civ., art. 2270-1 abrogé.

[9] C. urb., art. L. 480-14 N° Lexbase : L5020LUH.

[10] CE, 9 juillet 1986, n° 51172 N° Lexbase : A4786AM9.

[11] « Lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou la décision d'opposition à déclaration préalable ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme » (C. urb., art. L. 421-9). Plusieurs exceptions sont cependant prévues par cet article : notamment si la construction a été édifiée sans aucun permis de construire, si elle présente un danger pour ses usagers ou les tiers, si une action en démolition a été engagée contre elle ou si elle est située dans un espace naturel ou sur le domaine public.

[12] Avis du Conseil d’État sur la lettre rectificative au projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (p. 4).

[13] V. Exposé des motifs de la loi n° 2019-1461 et avis du Conseil d’État sur la lettre rectificative au projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (p. 4).

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