SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 10 septembre 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 791 FP-B+R
Pourvoi n° J 23-22.732
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 SEPTEMBRE 2025
Mme [F] [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 23-22.732 contre l'arrêt rendu le 15 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à l'association Gimac santé au travail, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
L'association Gimac santé au travail a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de Mme [G], de la SCP Gatineau, Aa et Rebeyrol, avocat de l'association Gimac santé au travail, et l'avis de Mme Ab, première avocate générale, après débats en l'audience publique du 19 juin 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseillère doyenne, Mmes Monge, Ac, Ott, Cavrois, Sommé, Bouvier, Degouys, MM. Ad, Seguy, Mme Lacquemant, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, Prieur, Thomas-Davost, conseillères référendaires, Mme Ab, première avocate générale, et Mme Piquot, greffière de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des
articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mars 2023), Mme [G] a été engagée en qualité de médecin du travail à compter du 9 janvier 1990 par l'association Gimac santé au travail.
2. Le 15 janvier 2002, les parties ont conclu un avenant au contrat de travail aux termes duquel il était convenu que la salariée travaillait à temps partiel les mardis, toute la journée, et les jeudis, le matin, et que les vacations complémentaires effectuées au-delà du temps de travail habituel de la salariée devaient s'imputer sur les congés scolaires pris au-delà de ses droits à congés.
3. Après avoir fait valoir ses droits à la retraite, la salariée a quitté ses fonctions le 31 décembre 2016.
4. Elle a saisi, le 9 mai 2017, la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de l'employeur
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de condamner la salariée au paiement d'une certaine somme au titre des congés payés rémunérés indûment, alors « que le salarié qui tombe malade au cours de ses congés payés ne peut exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n'a pu bénéficier du fait de son arrêt de travail, l'employeur s'étant acquitté de son obligation à son égard ; qu'en jugeant qu'il convenait de déduire du décompte des jours de congés pris par Mme [G] ses jours d'arrêts maladie pendant qu'elle était en congés, la cour d'appel a violé les
articles L. 3141-1 et suivants du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'
article L. 3141-3 du code du travail🏛, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
7. La Cour de cassation a jugé que le salarié qui tombe malade au cours de ses congés payés ne peut exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n'a pu bénéficier du fait de son arrêt de travail, l'employeur s'étant acquitté de son obligation à son égard (
Soc., 4 décembre 1996, pourvoi n° 93-44.907⚖️, Ae. 1996, V, n° 420).
8. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, 6 novembre 2018, Af Ag c/ Bauer, C-569/16 et Ah c/ Broßonn, C-570/16, point 80).
9. La Cour de justice de l'Union européenne juge que la finalité du droit au congé annuel payé, qui est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d'une période de détente et de loisirs, diffère de celle du droit au congé de maladie, qui est accordé au travailleur afin qu'il puisse se rétablir d'une maladie (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C-350/06 et C-520/06, point 25, CJUE, 10 septembre 2009, Perada, C-277/08, point 21).
10. Par arrêt du 21 juin 2012, la Cour de justice a dit pour droit : l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions nationales prévoyant qu'un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n'a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d'incapacité de travail (CJUE, 21 juin 2012 Ai Aj de Grandes Empresas de Distribución (ANGED), C-78/11).
11. Dès lors, il convient de juger désormais qu'il résulte de l'article L. 3141-3 du code du travail, interprété à la lumière de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, que le salarié en situation d'arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d'arrêt de travail pour maladie.
12. Il en résulte que c'est par une exacte application de la loi que la cour d'appel a retenu que la salariée, qui avait fait l'objet, durant ses périodes de congés payés, d'arrêts de travail pour cause de maladie notifiés à l'employeur, pouvait prétendre au report des jours de congé correspondants, qui ne pouvaient pas être imputés sur son solde de congés payés.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la salariée
Enoncé du moyen
14. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande reconventionnelle de l'employeur et de la condamner au paiement d'une certaine somme au titre des congés payés indûment rémunérés, alors « que le point de départ de la prescription d'une demande en répétition d'un salaire payé indûment est la date de versement du salaire indu par l'employeur ; en l'espèce, l'association Gimac santé a demandé la répétition de salaires versés à la salariée entre le 1er juin 2013 et le 31 décembre 2016 au titre de congés excédentaires dont elle aurait bénéficié indûment ; en retenant que le point de départ de la prescription le plus ancien pour les demandes de l'employeur était le 31 mai 2014 alors que le point de départ le plus ancien était la date du premier versement supposément indu, soit le 1er juin 2013, la cour d'appel a violé l'
article L. 3245-1 du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3245-1 du code du travail :
15. Aux termes de ce texte, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
16. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en répétition d'une indemnité de congé payé, qui a la nature d'une créance salariale, est soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail. Le délai de cette prescription court à compter du jour du paiement de cette indemnité si, à cette date, l'employeur était en mesure de déceler le paiement indu et d'en demander la restitution.
17. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande reconventionnelle de l'employeur et condamner la salariée au paiement d'une certaine somme au titre des congés payés indûment rémunérés, l'arrêt retient que l'employeur peut réclamer les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail, soit à compter du 31 décembre 2013, et que le point de départ de la prescription en matière de congés payés devant être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient dû être pris, la date d'exigibilité la plus ancienne des congés est le 31 mai 2014, soit postérieurement au 31 décembre 2013, de sorte que la prescription ne saurait être opposée à l'employeur.
18. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
19. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande au titre des heures complémentaires non payées et de ses demandes subséquentes et de la condamner à payer à l'employeur une certaine somme au titre des congés payés rémunérés indûment, alors :
« 2°/ qu'à la différence des autres congés, les congés revêtant un caractère compensatoire doivent être décomptés sur des jours durant lesquels il est normalement prévu que le salarié travaille ; en l'espèce, la cour d'appel a décompté les jours de RTT et de CET dont bénéficiait la salariée comme les autres congés, c'est-à-dire en tenant compte de l'ensemble des jours ouvrables compris entre "le premier jour de congés payés [qui] correspond au premier jour d'arrêt du travail posé et le dernier jour compté [qui] est la veille de la reprise" ; en statuant ainsi, la cour d'appel a violé derechef les
articles L. 3141-3 et L. 3123-5 du code du travail🏛 ;
3°/ qu'en imputant les jours de récupération de la salariée sur l'ensemble des jours ouvrables de congés supposément excédentaires alors qu'ils ne pouvaient être imputés que sur des jours durant lesquels il était normalement prévu que la salariée travaille, la cour d'appel a encore violé les articles L. 3141-3 et L. 3123-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3141-3 et L. 3123-5 du code du travail :
20. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
21. En application du principe de l'égalité de traitement entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps complet édicté par l'article L. 3123-5 du code du travail, les jours ouvrables de congés doivent être décomptés de la même manière que les jours de congés des salariés à temps complet, sur les six jours ouvrables de la semaine. Si le point de départ des congés est un jour ouvré pour le salarié concerné, le congé s'applique sur une période de six jours peu important qu'ils soient ouvrables ou ouvrés. Il n'en va autrement que pour les congés revêtant un caractère compensatoire et pour ceux qui sont accordés dans une entreprise où le décompte des jours de congés de toute nature est effectué en jours ouvrés.
22. Pour débouter la salariée de sa demande au titre des heures complémentaires non payées et de ses demandes subséquentes et la condamner à payer à l'employeur une certaine somme au titre des congés payés rémunérés indûment, l'arrêt retient que les jours de congés payés sont posés dans l'ordre suivant : les RTT et les CET, puis les congés payés supplémentaires d'ancienneté, puis les congés payés.
23. L'arrêt ajoute qu'il ressort du décompte produit que, sur la période de référence allant du 1er juin 2013 au 31 mai 2014, la salariée a bénéficié de fait de quarante-six jours de congés au-delà de son droit à congés, que, sur la période de référence allant du 1er juin 2014 au 31 mai 2015, elle a bénéficié de quarante-cinq jours supplémentaires, que, sur la période de référence allant du 1er juin 2015 au 31 mai 2016, elle a bénéficié de trente-sept jours supplémentaires, déduction faite de dix jours pendant lesquels elle était en arrêt maladie pendant ses congés et que, sur la période de référence allant du 1er juin au 31 décembre 2016, elle a bénéficié de vingt-trois jours de congé supplémentaires, déduction faite de dix jours pendant lesquels elle était en arrêt maladie pendant ses congés.
24. En se déterminant ainsi, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si les jours de repos ou de congé litigieux ayant la nature de congés de remplacement à vocation compensatrice avaient été décomptés sur des jours durant lesquels il est normalement prévu que la salariée à temps partiel travaille, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, déboute Mme [G] de sa demande au titre des heures complémentaires et des congés payés afférents, la condamne à payer à l'association Gimac santé au travail la somme de 39 427,70 euros au titre des congés payés rémunérés indûment et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, l'arrêt rendu le 15 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne l'association Gimac santé au travail aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association Gimac santé au travail et la condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le dix septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.