Le Quotidien du 17 juillet 2025 : Autorité parentale

[Commentaire] L’intérêt de l’enfant de ne plus avoir de contact avec sa mère d’intention

Réf. : Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-11.544, F-D N° Lexbase : A75020QW

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N2631B3T

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par Adeline Gouttenoire, Professeure à l’Université de Bordeaux

le 16 Juillet 2025

Mots-clés : droit de visite • droit d’hébergement • PACS • filiation • assistance médicale à la procréation

L’arrêt de la Cour de cassation du 30 avril 2025 (n° Y 23-11.544) relatif au droit de visite de l’ex-concubine de la mère concernant un enfant né d’une assistance médicale à la procréation à l’étranger revêt un intérêt particulier en ce qu’il intervient après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt « Callamand » du 7 avril 2022 dans une espèce similaire (CEDH, 7 avril 2022, Req. 2338/20, CALLAMAND c/ FRANCE N° Lexbase : A39737TC).


 

Cette question a donné lieu à plusieurs décisions en droit interne [1] ainsi qu’en droit européen [2], ce qui témoigne de son acuité. Ces décisions s’inscrivent dans le cadre particulier de couples de femmes, ayant mené à bien un projet parental commun, l’une des femmes ayant porté et accouchées d’un enfant à la suite d’une assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger. Lors de la séparation, le lien de la femme qui n’a pas porté l’enfant est mis à mal, voire rompu.

Ce contentieux concerne des situations nées avant l’ouverture de l’assistance médicalement assistée aux couples de femmes par la loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique [LXB= L6246MS7] - ce qui explique le recours à l’AMP à l’étranger - et la possibilité d’établir la filiation de l’enfant à l’égard des deux femmes par une déclaration conjointe. On peut penser que ce nouveau dispositif entraînera une nette diminution du contentieux, la question du droit de visite se posant très différemment lorsque l’enfant à une filiation établie à l’égard des deux femmes, celle qui n’a pas accouché de l’enfant n’était pas un tiers, mais un parent. Lorsque l’enfant est né d’une assistance médicale à la procréation à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi, la mère d’intention peut bénéficier de disposition transitoire lui permettant d’adopter l’enfant nonobstant l’opposition de la mère biologique [3]. Une action en ce sens avait d’ailleurs été intentée dans l’affaire en cause.

Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 30 avril 2025 s’inscrivent dans le même contexte que les décisions antérieures ; ils concernent un enfant né en 2014 d’une AMP en Belgique, mis en œuvre à partir du projet parental de deux femmes qui se séparent deux ans plus tard. L’ancienne compagne de la mère avait bénéficié d’un droit de visite après la séparation pendant environ un an, qui avait été interrompu du fait de conflits entre les deux femmes. La mère sociale avait intenté une action en 2018 pour se voir reconnaitre un droit d’entretenir des relations avec l’enfant. Un jugement avant dire droit ordonnant une enquête sociale avait institué un simple droit de visite le samedi après-midi une semaine sur deux. Le jugement de première instance met cependant fin au droit de visite et est confirmé par la Cour d’appel de Versailles en 2022 [4], l’enfant étant alors âgé de 8 ans.

L’arrêt du 30 avril 2025 peut être qualifié d’exemplaire en ce que la Cour de cassation s’applique à mettre en œuvre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et à   fournir une sorte de modèle du rôle du juge dans le contentieux des relations de l’enfant avec sa mère sociale. L’arrêt précise la portée de la reconnaissance du lien privilégié de l’enfant avec sa mère sociale (I), et contrôle les motifs de sa suppression par le juge du fond (II).

I. La reconnaissance du lien privilégié de la mère sociale avec l’enfant

L’investissement du parent social (A) explique qu’il soit considéré comme un lien privilégié (A) dont le maintien est, selon une approche in abstracto, justifié par l’intérêt de l’enfant (B).

A. L’investissement du parent social

Vie familiale, Cour européenne des droits de l’homme. Le droit de visite de la mère sociale est fondé sur les liens privilégiés qu’elle a entretenus avec l’enfant dès sa conception. Elle a en effet participé au projet parental qui s’est concrétisé par le recours à un processus d’assistance à la procréation. Elle s’est en outre comportée comme la mère de l’enfant après sa naissance. Dans la plupart des affaires, dont celle qui nous occupe, la vie commune est relativement courte, en l’espèce environ 18 mois. Cette relative brièveté de la vie commune n’empêche pas la Cour européenne de considérer que les relations entre la mère sociale et l’enfant sont constitutives d’une vie familiale. Dans l’arrêt « Callamand » elle a invoqué les liens effectifs existant entre eux et fait état de la vie commune de la requérante avec l’enfant et de son investissement dans son éducation pendant plus de deux ans. Dans l’arrêt « Honner c/ France » du 12 novembre 2020, la Cour européenne avait également analysé le refus d’accorder un droit de visite à l’ancienne concubine de la mère sur l’enfant issu d’un projet commun, et à la prise en charge duquel elle a participé pendant ses premières années, comme une atteinte au droit à la vie familiale de la requérante.

Vie familiale Cour de cassation. Dans l’arrêt du 30 avril 2025, la Cour de cassation ne constate pas expressément l’existence d’une vie familiale. On peut cependant déduire ce constat du visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la référence à l’arrêt « Callamand ». La reprise formelle par la Cour de l’article 8 ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne traduit la volonté de la Cour de cassation d’aligner sa jurisprudence sur celle du juge européen. Elle reprend particulièrement l’affirmation de la Cour européenne selon laquelle la suppression du droit de visite est susceptible d'avoir des conséquences radicales sur le droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, en ce qu'il met fin à sa relation avec l'enfant.

Tiers privilégié C’est cette situation que le législateur de 2013 [5] a entendue améliorer en complétant l’article 371-4 alinéa 2 du Code civil N° Lexbase : L8011IWM relatif aux relations de l’enfant avec un tiers. Le texte envisage en effet depuis cette date la situation particulière du tiers « qui a résidé de manière stable avec l’enfant et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ». S’il ne consacre pas un droit de l’enfant, comme c’est le cas pour ses relations avec ses grands-parents en vertu du premier alinéa de l’article 371-4 du Code civil, le texte est clairement une incitation faite au juge d’examiner la demande du beau-parent de manière plus bienveillante, faisant de ce dernier un tiers privilégié. La Cour européenne a reconnu que ce texte constituait un moyen adapté à la mise en œuvre du droit au respect de la vie familiale de l’ex-compagne de la mère. Après avoir refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel par un arrêt du 6 novembre 2019, la Cour de cassation a affirmé que l’article 371-4 alinéa 2 était conforme aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ainsi qu’à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant [6].

B. L’intérêt de l’enfant

Condition. La formule, « si tel est l’intérêt de l’enfant » au début de l’article 374-1 alinéa 2 du Code civil, conditionne expressément tout droit de visite d’un tiers à sa conformité à l’intérêt de l’enfant. Le tiers doit démontrer que ses relations avec l’enfant sont conformes à l’intérêt de ce dernier, alors que pour ce qui est des relations de l’enfant avec ses grands-parents, c’est aux parents qui s’y opposent de démontrer que ces relations sont contraires à l’intérêt de l’enfant. Si le texte envisage plus favorablement l’hypothèse des relations de l’enfant avec son parent social, c’est toute de même sur celui-ci que devrait peser, en principe, la charge de la preuve.

Présomption. Le fait que l’article 371-4 alinéa 2 du Code civil envisage particulièrement la situation du beau-parent peut cependant être interprété comme une présomption selon laquelle le maintien des relations de l’enfant avec celle qui a participé à sa prise en charge est conforme à son intérêt. Il s’agit donc d’apporter la preuve que tel n'est pas le cas.  D’ailleurs, dans l’arrêt commenté comme dans les arrêts de la Cour européenne, le juge doit faire la démonstration que le droit de visite est contraire à l’intérêt de l’enfant.

II. Le contrôle des motifs de la suppression du droit de visite de la mère sociale par la Cour de cassation

Le contrôle que la Cour de cassation exerce dans cet arrêt sur les motifs du rejet de la demande de l’ex-compagne de la mère constitue une réponse implicite à la remarque de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt « Callamand » quant au caractère limité du contrôle de la Cour de cassation dans cette affaire [7]. Si celle-ci reconnait le pouvoir d’appréciation du juge du fond, elle vérifie qu’il a bien satisfait dans son analyse aux exigences de la Cour européenne. Celles-ci sont reprises dans l’arrêt et consistent à « mettre en balance les intérêts éventuellement concurrents. [Le juge] doit, notamment, montrer par son raisonnement que les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant sont d'une telle importance par rapport à l'intérêt du demandeur à au moins maintenir un contact avec celui-ci, qu'il est justifié, au titre de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de rejeter intégralement cette demande ».

A. La recherche de l’intérêt de l’enfant

Examen attentif. Dans l’arrêt « Callamand », la Cour européenne des droits de l’homme avait reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir suffisamment caractérisé l’intérêt de l’enfant à ne pas entretenir de relations avec l’ancienne compagne de sa mère, alors qu’elle avait dans l’arrêt Honner considéré que « la décision de la Cour d’appel de Paris était attentivement motivée notamment en ce qui concernait la caractérisation de l’intérêt supérieur de l’enfant. » L’élément essentiel résidait dans le fait que l’enfant souffrait du conflit de loyauté entre sa mère et son ancienne compagne à l’égard de laquelle il se montrait réticent. Dans l’arrêt du 30 avril 2025, la Cour de cassation vérifie que la Cour d’appel a suffisamment caractérisé l’intérêt de l’enfant à ne plus avoir de relations avec la compagne de sa mère.

Mal être de l’enfant. La Cour de cassation relève les constats de la cour d’appel qui traduisent le mal être de l’enfant âgé de 8 ans, et l’insécurité dans laquelle il a été placé par la reprise du droit de visite ordonné par le juge, alors qu’il s’était apaisé pendant la période durant laquelle le droit de visite était suspendu. La petite fille est décrite comme « étant débordée par les tensions actuelles. » La cour d’appel a mis en avant « la fragilisation des liens affectifs qui avaient pu exister entre [l’enfant et l’ancienne compagne de sa mère], du fait de la virulence des conflits et de l'absence de contacts réguliers entre elles, et l'intérêt de l'enfant à ne pas voir raviver les rivalités dont elle faisait l'objet. »

Refus de l’enfant. La Cour d’appel ajoute à sa motivation le refus de l’enfant, âgé seulement de 8 ans, de voir l’ancienne compagne de sa mère. Cette prise en compte de la volonté de l’enfant est importante même si on peut regretter qu’il ne soit pas précisé dans quel cadre elle a été recueillie. Il semble en effet qu’elle résultait de courriers adressés par l’enfant directement à l’ancienne compagne de sa mère, dont on ne peut être certain qu’ils aient été rédigés par lui et indépendamment de toute influence.

B. La primauté de l’intérêt de l’enfant

Convention internationale des droits de l’enfant. Une fois démontré que l’intérêt de l’enfant n’était pas de maintenir des liens avec l’ex-compagne de sa mère, la demande de celle-ci aurait dû en principe, être automatiquement rejetée en vertu du principe de primauté de l’intérêt de l’enfant consacré par l’article 3§1 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Proportionnalité. La Cour européenne semble cependant exiger davantage du juge en lui demandant de démontrer que les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant sont d'une telle importance par rapport à l'intérêt du demandeur à au moins maintenir un contact avec celui-ci, qu'il est justifié de rejeter intégralement sa demande. Si l’intérêt de l’enfant est en lui-même reconnu comme le but légitime du refus de maintenir les contacts, encore faut-il établir, en vertu d’un contrôle de proportionnalité, que la suppression du droit de visite était le seul moyen de le satisfaire. La Cour d’appel répond à cette exigence en démontrant que les tentatives de reprendre les contacts ont porté atteinte à l’intérêt de l’enfant. On peut toutefois se demander si le rejet total de tout lien était nécessaire et si on ne pouvait admettre au moins un droit de correspondance pour maintenir une présence minimum dans la vie de l’enfant de celle qui a été considérée et s'est comportée comme sa mère.

Attitude de l’ancienne compagne de la mère. La Cour d’appel fonde indirectement le rejet de la demande de contact sur le comportement de l’ancienne compagne de la mère. Elle constate en effet que la mère de l’enfant n’était pas opposée à un maintien des liens après la séparation et que c’est le comportement inadapté de son ex-compagne qui aurait provoqué un conflit entre les deux femmes. Elle relève « le dénigrement et la remise en cause par [l’ancienne compagne] des capacités éducatives de [la mère], ajoutés à des initiatives unilatérales ressenties par cette dernière comme autant d'atteintes à son rôle de mère. » On peut cependant se demander si la Cour d’appel n’a pas quelque peu noirci le tableau en faisant peser l’entière responsabilité du conflit sur la mère d’intention sans tenir compte du fait que celui-ci semblait être, à l’origine, causé par le refus de la mère biologique de reconnaitre le statut de mère à son ancienne compagne. On ignore quel a été le résultat de la demande d’adoption de cette dernière, mais peut-être aurait-il été opportun qu’un minimum de lien soit maintenu en attendant celui-ci [8], d’autant que la jurisprudence, confirmée par le législateur, est plutôt favorable à la mère d’intention dans ce type d’affaires.

Perspective. On peut se demander si, le cas échéant, la Cour européenne des droits de l’homme se satisferait de la motivation renforcée de la Cour d’appel et du contrôle accru exercé par la Cour de cassation dans cette affaire. La subsidiarité du contrôle de la Cour européenne devrait inciter cette dernière à se contenter de la motivation détaillée et précise du juge interne clairement inspiré de son propre, à moins qu’elle souhaite imposer aux États une obligation positive renforcée de maintenir un minimum de liens de l’enfant avec sa mère d’intention, même en cas de conflit.

 

[1] Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-20.560, F-D N° Lexbase : A4657KNS ; RTD civ., 2014. 106, obs. Hauser ; JCP, 2014. 53, obs. Gouttenoire ; Dr. fam. 2014. Comm. 36, obs. Neirinck ; Cass. civ. 1, 13 juillet 2017, n° 16-24.084, FS-P+B N° Lexbase : A9894WME, D. 2017., 1528 ; AJ fam., 2017. 478, obs. Saulier ;  Cass. civ. 1, 26 juin 2019, n° 18-18.548, F-D N° Lexbase : A3132ZHH ; Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15.198, F-P+B+I N° Lexbase : A33673PE.

[2] Callamand préc. ; CEDH, 12 novembre 2020, Req. 19511/16, HONNER c/ FRANCE N° Lexbase : A592734B.

[3] Cette possibilité résulte de l’article 9 bis de la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, visant à réformer l'adoption N° Lexbase : L6497MSG.  

[4] CA Versailles, 1er décembre 2022, n° 21/04532.

[5] Loi n° 2013-404, du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de même sexe N° Lexbase : L5542MS3.

[6] Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15.198, F-P+B+I N° Lexbase : A33673PE.

[7] Cass. civ. 1, 26 juin 2019, n° 18-18.548, F-D N° Lexbase : A3132ZHH.

[8] M. Mesnil, obs. préc.

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