Réf. : Loi n° 2025-541 du 16 juin 2025, visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements N° Lexbase : L9878M9Q
Lecture: 11 min
N2688B3X
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Michèle Raunet, Notaire associée, Cheuvreux
le 16 Juillet 2025
Mots clés : immobilier • bureaux • logements • urbanisme • transformation
Promulguée le 16 juin 2025, la loi n° 2025-541 visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, dite « loi Daubié », intervient dans un contexte marqué par une pénurie aiguë de logements et une vacance croissante du parc tertiaire.
Selon les chiffres de l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF) [1], près de 5,3 millions de m² de bureaux étaient vacants en Île-de-France au 1er trimestre 2025, soit un taux de vacance de 8,5 %, avec des pics dépassant 15 % dans certaines zones de la première couronne. À cela s’ajoute une demande résidentielle croissante, exacerbée par les dynamiques de télétravail, la désindustrialisation de certains territoires urbains, et l’impératif environnemental de sobriété foncière. Face à ce paradoxe, la loi Daubié entend lever les freins normatifs, fiscaux et opérationnels à la reconversion des bâtiments non résidentiels en logements. Elle prolonge des mesures amorcées par la loi de Finances pour 2025 [2], et offre un cadre juridique structuré pour accompagner cette transformation nécessaire des bureaux vacants. Dans ce contexte, la transformation de bureaux en logements apparaît comme une piste prometteuse, capable de répondre simultanément à plusieurs enjeux : redonner une utilité à des immeubles vacants, renforcer l’offre résidentielle dans les zones denses, contribuer à la décarbonation de l’immobilier, limiter l’artificialisation des sols. Elle ne saurait toutefois constituer une solution unique, mais elle représente un levier opérationnel réaliste et complémentaire des stratégies de production de logements neufs et de transformations de l’existant (entrées de villes, pavillonnaires, friches notamment).
I. Un socle législatif structuré autour de quatre champs d’intervention : urbanisme, fiscalité, copropriété, commande publique
A. Les mesures en matière d’urbanisme
Le cœur du dispositif repose sur une série de dérogations aux règles des documents d’urbanisme, pensées pour faciliter la transformation des locaux non résidentiels en logements sans attendre des modifications des documents d’urbanisme.
Tout d’abord, la loi permet à l’autorité compétente d’accorder une dérogation explicite aux règles relatives aux destinations prévues par le plan local d’urbanisme ou le document en tenant lieu. Ainsi, même dans les zones où la destination « habitation » n’est pas autorisée, un changement de destination pourra être accordé, sauf si certains motifs précis s’y opposent. Ces motifs, au nombre de quatre, sont limitativement énumérés par la loi : l’existence de nuisances avérées pour les futurs habitants, une accessibilité insuffisante par des transports alternatifs à la voiture individuelle, des conséquences négatives sur la démographie scolaire par rapport aux capacités d’accueil existantes ou prévues, et enfin, une remise en cause des objectifs de mixité sociale et fonctionnelle du territoire. Lorsqu'elle souhaite accorder la dérogation, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme recueille l'avis conforme de l'autorité compétente en matière de plan local d'urbanisme ou de document en tenant lieu. Un avis défavorable ne peut être rendu qu'au regard des critères mentionnés ci-avant. Lorsque l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme n'est pas le maire, elle recueille l'avis du maire de la commune où est implanté le bâtiment (C. urb., art. L. 152-6-5 N° Lexbase : L0316NAX).
La loi introduit également la possibilité pour les collectivités, de créer des secteurs dans lesquels les logements issus de telles transformations seront réservés à un usage de résidence principale. Cette disposition reprend le principe de la « servitude de résidence principale » introduite en matière de construction neuve par la loi « Le Meur » (loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale N° Lexbase : L6356MS9), mais l’applique ici aux opérations de transformation, renforçant la lutte contre les logements vacants et les usages touristiques détournés (C. urb., art. L. 151-14-1 N° Lexbase : L0314NAU).
Par ailleurs, la loi introduit une dérogation aux règles des PLU relatives à la taille minimale des logements (C. urb., art. L. 152-6-6 N° Lexbase : L0205NAT). Ce levier vise à permettre, notamment dans les centres-villes denses, la reconversion de locaux très compartimentés ou techniquement complexes, dans une logique de pragmatisme.
Autre nouveauté majeure : l’article 5 de la loi prévoit la possibilité d’instituer dans des secteurs définis par délibération de l’autorité compétente en matière de PLU ou du document en tenant lieu, le cas échéant sur avis conforme du conseil municipal des communes concernées, un permis de construire à destinations multiples, décliné en deux régimes juridiques distincts, chacun encadré par une durée maximale de validité de vingt ans à compter de la délivrance du permis (C. urb., art. L. 431-5 N° Lexbase : L0206NAU). Ainsi si les pièces fournies à l'appui de la demande de permis de construire permettent de vérifier la conformité des états futurs du projet, propres à ses destinations postérieures, à l'ensemble des règles d'urbanisme applicables au moment de sa délivrance, le permis autorise ces états futurs par anticipation, sans qu'il puisse être exigé ultérieurement de nouvelle autorisation d'urbanisme.
Ce dispositif, dont les modalités d’application doivent être précisées par décret en Conseil d’État, s’inspire du projet TEBiO à Bordeaux [3]. Ce dernier, conduit dans le cadre d’un permis d’innover, permet d’alterner usages tertiaires et résidentiels. Le 119e Congrès des notaires avait également, dès 2023, proposé l’intégration du permis à destinations multiples dans le Code de l’urbanisme, assortie de garanties sur la sécurité juridique des transitions d’usage [4].
D’autres mesures enrichissent ce socle.
La transformation des bâtiments non résidentiels est intégrée dans les missions de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), afin de soutenir les collectivités dans leurs projets (CGCT, art. L. 1231-2 N° Lexbase : L0267NA7).
Par ailleurs, la loi prévoit que les résidences universitaires définies à l'article L. 631-12 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L5094LR4 font partie au même titre que les logements locatifs sociaux au sens de l'article L. 302-5 du même code N° Lexbase : L4879MBC des biens susceptibles d’être intégrés dans des secteurs du PLU permettant de bénéficier d'une majoration du volume constructible tel qu'il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l'emprise au sol (C. urb., art. L. 151-28 N° Lexbase : L0315NAW).
B. Les mesures fiscales : prolongement et amplification du PLF 2025
La loi de Finances pour 2025 avait déjà amorcé un tournant en introduisant deux outils fiscaux. Le texte prévoit en effet une exonération de la taxe annuelle sur les bureaux en Ile-de-France et de la Taxe annuelle sur les bureaux dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes, lorsque les locaux, passibles de la taxe, sont (i) vacants au 1er janvier de l’année d’imposition, (ii) pour lesquels une déclaration préalable ou une demande de permis de construire a été déposée au cours de l'année civile précédant la déclaration de la taxe et (iii) ont fait l’objet d’un engagement de transformation en logements dans un délai de 4 ans à compter de la délivrance de l’autorisation – étant précisé que l’engagement de transformation est réputé respecté lorsque l'achèvement des travaux de transformation ou de construction intervient avant l'expiration du délai de quatre ans (CGI, art. 231 ter N° Lexbase : L0745NAT et 231 quater N° Lexbase : L0746NAU).
La deuxième mesure consiste en la possibilité pour les collectivités de percevoir la taxe d’aménagement afin de réaliser les investissements publics rendus nécessaires par l’accueil de nouveaux habitants par suite d’un changement de destination de locaux non destinés à l’habitation en locaux d’habitation (CGI, art. 1635 quater B N° Lexbase : L5960M8A).
La loi « Daubié » étend cette logique de mobilisation financière des bénéficiaires de la transformation en permettant également le recours au projet urbain partenarial (PUP). Ce mécanisme contractuel permet de faire participer les opérateurs immobiliers aux coûts des équipements publics induits par leur projet, en leur offrant un cadre de sécurisation juridique et de prévisibilité financière. En lien avec la fiscalité incitative, le PUP constitue ainsi un levier de compensation pertinent, assurant un équilibre entre souplesse offerte aux porteurs de projets et maintien des capacités d’investissement des collectivités locales (C. urb., art. L. 332-11-3 N° Lexbase : L0318NAZ).
C. Les mesures en matière de copropriété
Un point de blocage fréquent dans les opérations de transformation concerne le vote en assemblée générale pour modifier l’usage d’une partie privative. La loi assouplit la règle en prévoyant que le changement d’usage vers l’habitation, lorsqu’il ne concerne pas un local commercial, ne nécessite plus qu’une majorité simple au sens de l’article 24 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L5536AG7, et non plus la majorité qualifiée.
D. Les mesures relatives à la commande publique
Les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) peuvent désormais conclure des marchés de conception-réalisation sans avoir à justifier du caractère complexe de l’opération, facilitant la transformation de bâtiments en résidences étudiantes.
Sur le plan opérationnel, dans le prolongement du texte, le Gouvernement a lancé plusieurs initiatives :
– le plan présenté le 27 mars 2025 par Valérie Létard prévoit l’activation de comités locaux d’accompagnement sur le modèle des Champs-Élysées ou de La Défense ;
– en Île-de-France, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé par le préfet Marc Guillaume, visant à accompagner les collectivités dans leurs stratégies et diagnostics de transformation ;
– deux groupes de travail ont été installés : l’un sur le financement (Xavier Lépine et Nadia Bouyer), l’autre sur la simplification normative (Laurent Girometti, Roland Cubin et Julien Antoine).
II. Des perspectives critiques : vers une transformation maîtrisée et régulée
Si la loi « Daubié » marque un tournant important, elle mérite une double mise en perspective critique.
La première concerne le périmètre de la réflexion : pensée à l’échelle de l’immeuble, elle néglige l’approche territoriale systémique. Or, toute transformation génère des effets sur les réseaux, les équipements, la vie sociale. À défaut d’un encadrement à l’échelle intercommunale ou d’une articulation avec les documents de planification (SCOT, PLH), ces effets peuvent se révéler contre-productifs.
La seconde critique tient à l’affaiblissement de la régulation. En permettant de déroger quasi systématiquement aux règles de destination, le législateur dessaisit les collectivités de leur pouvoir de planification. Comme le souligne Amaury Krid [5], une telle logique « affaiblit la portée des PLU » et favorise un urbanisme d’opportunité. La régulation des usages doit rester une boussole, même dans un contexte de flexibilité accrue.
La proposition de loi sur la simplification du droit de l’urbanisme, en cours de discussion [6], introduit des outils de planification renforcés, dont le schéma cadre pour l’OIN de La Défense. Ce document, supérieur aux PLU, redonne une place à l’État stratège. Une articulation entre cette planification d’ensemble et les outils de transformation de la loi « Daubié » est indispensable.
L’enjeu des prochaines années sera d’intégrer cette souplesse nouvelle dans une logique d’urbanisme de la transformation maîtrisée, conjuguant droit, projets et cohérence territoriale.
[1] Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF), Note de conjoncture Île-de-France, T1 2025.
[2] LOI n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L6315MSP, JO du 15 février 2025.
[3] Ville de Bordeaux, Permis d’innover TEBiO, expérimentation 2023–2025 ; voir également le site internet de Canal architecture
[4] 119e Congrès des notaires de France, 2023, Proposition sur le permis à destinations multiples.
[5] A. Krid, Faut-il vraiment transformer des bureaux en logements lorsque le PLU l’interdit ?, Le Moniteur.fr, 9 Juillet 2025
[6] Proposition de loi n° 169 du Sénat du 9 juillet 2025 de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, texte de la petite loi.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492688