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par Axel Valard
le 11 Juillet 2025
Un ancien responsable politique avait coutume de dire que les ennuis, « ça vole en escadrille » … Nul ne sait si les responsables du Rassemblement national ont médité cette maxime de feu Jacques Chirac, mercredi 9 juillet. Mais ils auraient beaucoup de mal à la contredire. Quelques mois après avoir vu Marine Le Pen sanctionnée d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, au lendemain de l’annonce de l’ouverture d’une nouvelle enquête par le Parlement européen sur des soupçons de malversations financières, Jordan Bardella a découvert, au petit matin, que son mouvement était visé par une perquisition.
Une grosse vingtaine d’enquêteurs de la toute nouvelle Brigade financière anti-corruption (BFAC) de la police judiciaire de Paris se sont, en effet, présentés, vers 8h50 au 114 bis rue Michel-Ange dans le 16e arrondissement de Paris pour fouiller les locaux du parti d’extrême droite et saisir tous les documents et données les intéressant. Ils étaient accompagnés par deux juges d’instruction qui enquêtent, depuis le 3 juillet 2024, sur des soupçons « d’escroquerie » et de « prêt à titre habituel d’une personne physique à un parti politique », notamment.
Selon les éléments communiqués par le parquet de Paris, leurs soupçons portent sur plusieurs scrutins ayant eu lieu ces dernières années : l’élection présidentielle de 2022, les législatives de la même année et les européennes de 2024. Les enquêteurs s’interrogent : le parti d’extrême-droite n’a-t-il pas contourné les règles du financement électoral en ayant un recours accru aux prêts de particuliers ?
Prêter n’est pas illégal, le faire de façon « habituelle » si.
Le Rassemblement national est, en effet, le parti ayant le plus recours aux emprunts auprès de particuliers pour financer ses campagnes. L’histoire est connue : faute de parvenir à souscrire des prêts auprès d’établissements bancaires frileux à l’idée de voir leur image écornée, le RN se tourne vers les particuliers. En 2024, par exemple, Jordan Bardella avait financé à 88 % sa campagne aux européennes par ce biais (environ 4,5 millions d’euros sur les 5 que lui a coûté sa campagne). Prêter de l’argent à un candidat n’est pas une pratique illégale. C’est le faire de façon répétée qui l’est, comme le précise l’article L. 52-7-1 du Code électoral N° Lexbase : L7385LGM : « Les personnes physiques peuvent consentir des prêts à un candidat dès lors que ces prêts ne sont pas effectués à titre habituel ».
Tout le problème ici est de savoir ce que l’on met derrière le terme « habituel ». Le code ne le précise pas. Et faute de jurisprudence, chacun peut pour l’instant se faire son analyse. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a donc fixé sa propre doctrine. « La Commission a décidé de saisir le parquet dès lors qu’un prêteur a consenti au moins cinq prêts, répartis sur une ou plusieurs élections, d’un montant total égal ou supérieur à 75 000 euros », a-t-elle expliqué lors d’une conférence de presse, le 1er juillet.
Chargée de vérifier les comptes de tous les partis et de tous les candidats aux élections, la CNCCFP se demande si le RN n’a pas franchi la ligne rouge en faisant appel à des riches prêteurs régulièrement. Ce qui serait à ses yeux un contournement des règles du jeu démocratique. Et aussi un moyen de s’enrichir pour les particuliers. En effet, chaque prêt est automatique assorti du taux d’intérêt légal en vigueur. À titre d’exemple, au moins de juin, il s’élevait à 6,65 % ce qui est intéressant par rapport à ce que peut proposer un placement bancaire classique.
« Ca commence à se voir… », grince un député RN.
Pour le RN, le problème est ailleurs. Le parti de Marine Le Pen sait bien que la justice le soupçonne de s’être servi de ces prêts pour contourner les règles fixées. En s’interrogeant sur la régularité de ces dons et, surtout, sur les échéances auxquelles ils doivent être remboursés. Selon les informations de Lexbase, le parti a encore 13 millions d’euros à rembourser auprès de particuliers. Les subventions affiliées à ses récents succès électoraux lui ont offert une bouffée d’oxygène. Mais le problème financier reste prégnant.
Un argument que le parti n’a pas manqué de mettre en avant peu après la perquisition. Dénonçant pêle-mêle le « harcèlement » et « l’acharnement » de la justice à son égard, les caciques du parti ont porté le débat sur le plan politique. « Ça commence à se voir, grinçait ainsi le député Laurent Jacobelli sur le trottoir devant le siège du parti alors que les policiers étaient encore à l’intérieur. Ils ont tellement peur que l’on accède au pouvoir qu’ils font tout pour nous mettre des bâtons dans les roues ».
Vers 19 heures, mercredi soir, les enquêteurs ont chargé des cartons de données dans les coffres de leur véhicule. Reste à savoir ce que les juges d’instruction feront finalement de tout ça. À ce stade, il n’y a eu aucune mise en examen dans ce dossier.
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