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par Adèle Chikouche, Avocate au barreau de Lille, enseignante à la Prépa ISP - préparation à l’examen du CRFPA
le 11 Juin 2025
Mots clés : contrat d’apprentissage • élève avocats • statut de salariés • alternance • CRFPA
Longtemps relégué au rang d’angle mort du droit de la formation, l’élève avocat n’est aujourd’hui ni véritablement étudiant, ni professionnel. Privé d’un statut juridique structurant, il évolue dans une zone grise qui le prive de droits fondamentaux – notamment en matière de couverture sociale, de rémunération et d’accès aux aides publiques. Cette précarité endémique, dénoncée depuis plusieurs années par la profession, nuit à l’attractivité du métier et fragilise la qualité de la formation dispensée dans les centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA).
Dans ce contexte, le Conseil national des barreaux (CNB) a adopté, le 11 avril 2025, un rapport actant la mise en œuvre facultative du contrat d’apprentissage au bénéfice des élèves avocats à compter du 1er janvier 2026, sous réserve de l’enregistrement du CAPA au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Cette réforme ambitieuse, qui s’inscrit dans le prolongement des États généraux de la justice et de l’avenir de la profession d’avocat, pourrait enfin permettre l’émergence d’un véritable statut protecteur, tant attendu.
I. Un vide juridique préjudiciable pour les élèves avocats
La situation actuelle repose sur un déséquilibre. Si l’article 12, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, autorise, depuis 2004, la formation des élèves avocats par voie d’apprentissage, ce dispositif n’a jamais été concrètement mis en œuvre en raison des incompatibilités entre les normes encadrant la profession et le droit du travail.
Les élèves avocats sont, en pratique, assimilés à des étudiants pour la Sécurité sociale, mais ne bénéficient ni du statut d’étudiant au sens du Code de l’éducation, ni de celui de salarié au sens du Code du travail. Cette ambiguïté a été confirmée par le Conseil d’État dans une décision du 29 décembre 2023 [1], qui admet leur assimilation aux étudiants uniquement pour la prime d’activité, tout en excluant leur éligibilité à d’autres régimes de droits sociaux.
Cette incertitude juridique a des conséquences concrètes : absence de couverture chômage, difficulté d’accès aux aides au logement, impossibilité de financement via le compte personnel de formation (CPF), et surtout absence de rémunération systématique pendant la formation. Le coût moyen des frais pédagogiques s’élève à 1 825 euros, auxquels s’ajoutent d’autres dépenses liées à la vie étudiante, sans aucune compensation garantie.
II. Le contrat d’apprentissage : un levier juridique et social structurant
Face à ces constats, le CNB a proposé l’instauration facultative du contrat d’apprentissage, dans les CRFPA volontaires, à compter de la promotion 2026-2027. Ce contrat, régi par les articles L. 6221-1 N° Lexbase : L3162H9Y et suivants du Code du travail, institue une relation salariale entre l’élève avocat et le cabinet d’accueil, sur une durée de douze mois, avec alternance entre enseignement théorique et pratique professionnelle.
Le recours au contrat d’apprentissage, prévu par les articles L. 6221-1 et suivants du Code du travail, permettrait d’inscrire la formation initiale de l’élève avocat dans un cadre juridique clair, en lui conférant la qualité de salarié en alternance pour une durée de douze mois.
Ce modèle présente de nombreux atouts à la fois pour l’élève, les cabinets d’avocats et les écoles de formation.
A. Les bénéfices attendus
Pour l’élève avocat, l’intérêt principal réside dans l’accès à un véritable statut de salarié, avec une rémunération mensuelle garantie, indexée sur l’âge et allant de 53 % à 100 % du SMIC.
Cette rémunération couvre l’intégralité de la période de formation, y compris les enseignements théoriques, et s’accompagne d’un ensemble de droits sociaux jusqu’alors largement inaccessibles. L’élève apprenti est affilié au régime général de la Sécurité sociale, bénéficie de congés payés, peut ouvrir des droits à l’assurance chômage, cotise pour la retraite et devient éligible à la prime d’activité ainsi qu’aux aides au logement.
De plus, l’alternance dans le cadre d’un contrat de travail permet de mettre un terme à la logique de financement individuel de la formation, puisque l’élève est exonéré des frais d’inscription qui s’élèvent actuellement à 1 825 euros en moyenne.
Du point de vue des cabinets d’avocats, le contrat d’apprentissage constitue une opportunité de fidélisation. En s’engageant avec un élève avocat sur une année complète, le cabinet investit dans une relation de confiance et de transmission, dans la perspective d’une collaboration future.
Le CNB souligne à cet égard que la pratique actuelle du stage de six mois, souvent réduit à une simple période d’observation, pourrait être remplacée par une dynamique plus exigeante et professionnalisante, proche du compagnonnage.
Par ailleurs, les cabinets bénéficient d’un soutien financier significatif de l’État, à hauteur de 5 000 euros en 2025, ainsi que d’une exonération de certaines charges sociales, notamment pour les structures de moins de 250 salariés.
S’agissant enfin des écoles d’avocats, le contrat d’apprentissage permettrait de transformer en profondeur leur modèle économique. Le financement actuel de la formation repose à 58 % sur les contributions des ordres, un niveau devenu difficilement soutenable.
L’introduction de l’apprentissage permettrait de faire intervenir les OPCO (organismes paritaires collecteurs agréés), qui prendraient en charge jusqu’à 100 % du coût pédagogique, assurant ainsi une meilleure pérennité financière des CRFPA. Le décret n° 2023-1111 du 1er décembre 2023 N° Lexbase : L7841MXP a d’ailleurs ouvert la voie en autorisant, dès la promotion 2025-2026, l’organisation intégrale de la formation sur douze mois en alternance. Ce texte facilite d’ores et déjà la transition vers l’apprentissage pour les écoles prêtes à engager cette réforme.
B. Les obstacles soulevés
Toutefois, plusieurs ajustements restent nécessaires avant une mise en œuvre généralisée.
La première difficulté tient aux disparités de rémunération selon l’âge de l’élève avocat : un apprenti âgé de moins de 26 ans perçoit 53 % du SMIC, contre 100 % pour les plus âgés, ce qui crée un traitement différencié peu conforme aux principes d’égalité et de cohésion. Des discussions syndicales sont en cours afin de négocier une grille de rémunération plus harmonisée, susceptible d’être intégrée dans une convention collective.
Un second point de vigilance concerne les litiges relatifs à l’exécution du contrat d’apprentissage. En l’état actuel du droit, ceux-ci relèvent de la compétence du conseil de prud’hommes, ce qui est peu adapté à la spécificité de la profession. Le CNB plaide donc pour une réforme permettant de confier au bâtonnier, ou à son délégué, un rôle de médiateur et, le cas échéant, de juridiction professionnelle, à l’image de ce qui existe pour les avocats salariés.
Enfin, la réforme devra tenir compte des contraintes propres aux territoires ultramarins. Les élèves avocats originaires des DROM-COM se heurtent à des surcoûts logistiques et de mobilité lorsqu’ils doivent suivre leur formation en alternance dans l’Hexagone. Pour répondre à cette difficulté, une convention-cadre est en cours de négociation entre le CNB et l’Agence de l’Outre-mer pour la Mobilité (LADOM), afin de garantir la prise en charge de cinq allers-retours annuels par élève, dans le cadre d’un dispositif expérimental.
Au-delà de ces points spécifiques, la transition vers l’apprentissage suppose une réorganisation administrative substantielle pour les écoles d’avocats.
Chaque CRFPA souhaitant recourir à ce mode de formation devra être habilité en tant que Centre de formation d’apprentis (CFA) et répondre aux exigences de la certification Qualiopi. À partir de 2026, cette certification impliquera la conformité à 31 critères de qualité, contre 23 actuellement, ce qui exigera un accompagnement méthodique des établissements concernés.
Ce changement n’est pas purement financier : il traduit également une volonté de repositionner les CRFPA comme véritables acteurs de l’alternance et de l’insertion. L’instruction pédagogique en école, historiquement perçue comme théorique et éloignée de la pratique, pourrait bénéficier d’un ancrage renforcé dans la réalité professionnelle grâce à une alternance plus exigeante, organisée sur la totalité des douze mois de formation. Il ne s’agirait plus d’un découpage rigide entre cours et stage, mais d’un dialogue constant entre formation académique et professionnalisation.
Un autre bénéfice collatéral réside dans la revalorisation symbolique du parcours de l’élève avocat. En bénéficiant d’un contrat de travail, d’un encadrement formalisé et de droits associés, l’élève sort de l’invisibilité juridique dans laquelle il évolue aujourd’hui. Le CNB rappelle ainsi que « l’absence de statut dissuade les élèves les plus modestes de poursuivre leur parcours vers l’avocature », ce qui a des effets à long terme sur la composition sociologique du barreau.
L’intégration du contrat d’apprentissage est aussi l’occasion de redéfinir la gouvernance pédagogique. Le rapport du CNB précise : « L’introduction du contrat d’apprentissage appelle un nouveau dialogue entre les écoles, les cabinets d’accueil et les institutions ordinales. » Ce dialogue pourrait déboucher sur des conventions de formation tripartites, organisant la complémentarité entre les enseignements théoriques, les séquences pratiques et les missions professionnelles confiées à l’élève.
À l’échelle macroéconomique, la réforme est également porteuse d’enjeux d’équilibre territorial. Les CRFPA implantés dans des régions à faible densité d’avocats pourront bénéficier d’une dynamique nouvelle. En favorisant l’accueil d’élèves avocats apprentis dans des barreaux intermédiaires ou ruraux, la profession peut lutter contre la concentration géographique et favoriser une meilleure répartition des forces vives. Le rapport souligne ainsi que « l’expérimentation du contrat d’apprentissage pourrait servir d’outil de revitalisation des territoires juridiquement désertés ».
En somme, l’adhésion volontaire au dispositif pourrait, à moyen terme, dessiner les contours d’un nouveau modèle de formation initiale, plus équilibré, plus inclusif et plus en phase avec les attentes de la jeune génération d’élèves avocats. À cet égard, le rapport du CNB insiste sur l’importance de « saisir l’opportunité offerte par le droit commun de l’apprentissage pour mettre fin à une exception française, source de précarité et de désajustement statutaire ».
De surcroît, le recours à l’apprentissage s’inscrit dans une logique de convergence avec les standards européens. En effet, comme le souligne le rapport, "la très grande majorité des professions juridiques en Europe, qu’il s’agisse des notaires, magistrats ou juristes d’entreprise, disposent de dispositifs de formation professionnelle encadrés par des contrats de travail en alternance, permettant une meilleure insertion et un suivi individualisé du parcours des apprenants". En ce sens, la réforme proposée permettrait de mieux positionner la profession d’avocat dans le paysage comparé des formations juridiques supérieures, en renforçant l’employabilité immédiate des jeunes diplômés.
Par ailleurs, les auditions menées par la Commission Formation du CNB ont mis en lumière le fait que de nombreux élèves avocats interrogés expriment une forte attente à l’égard d’un cadre de formation plus lisible, garantissant une rémunération dès le début de la formation et instaurant une véritable relation de travail. Le rapport indique ainsi que « les élèves souhaitent pouvoir se projeter dans une temporalité professionnelle cohérente, dans laquelle leurs droits, leurs devoirs et leur statut sont clairement définis dès l’entrée en école ». Cette attente n’est pas seulement matérielle : elle traduit une demande de reconnaissance institutionnelle, de stabilité, mais aussi d’égalité devant la profession.
Enfin, le CNB identifie une piste complémentaire : celle de la valorisation du tutorat au sein du contrat d’apprentissage. Le rapport mentionne que « le maître d’apprentissage devra être expressément désigné au sein du cabinet, suivre un module de formation minimal et assurer un accompagnement individualisé de l’élève, y compris lors des séquences pédagogiques dispensées par l’école ». Cela contribuerait à créer un environnement de formation plus homogène, où la transmission ne serait pas laissée au hasard des pratiques locales, mais s’inscrirait dans un cadre structuré et évalué.
Néanmoins, cette ambition suppose un accompagnement financier, administratif et technique conséquent, et un pilotage stratégique soutenu par les pouvoirs publics, sans quoi la dynamique enclenchée pourrait rapidement s’essouffler.
III. Une condition sine qua non : l’enregistrement du CAPA au RNCP
La mise en œuvre du contrat d’apprentissage est indissociable de l’inscription préalable du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), conformément aux dispositions de l’article L. 6113-1 du Code du travail [LXB= L8152LRD]. Sans cette formalité, le CAPA ne pourra pas être reconnu comme une certification éligible à l’apprentissage, ni être financé dans ce cadre.
Le CNB a engagé cette procédure en mars 2024, avec l’appui de la société Litz Formation, afin de constituer un dossier d’enregistrement conforme aux attentes de France compétences.
Il s’agit d’un processus rigoureux, qui nécessite notamment de démontrer l’adéquation des compétences acquises avec les métiers effectivement exercés par les diplômés du CAPA. Cette démonstration devra s’appuyer sur l’analyse de deux promotions successives, notamment à travers les données issues de l’Observatoire de la profession et de la CNBF, qui permettront d’attester du taux d’insertion professionnelle.
En parallèle, le CNB doit produire un ensemble de référentiels : référentiel de compétences, référentiel d’activités, référentiel d’évaluation, dont la cohérence sera appréciée par France compétences au regard des standards nationaux. Le référentiel de compétences existant, déjà adopté par le CNB, fait l’objet d’un travail d’adaptation approfondi, afin de répondre aux exigences formelles du RNCP.
L’avis de France compétences est attendu à l’automne 2025. En cas d’issue favorable, la première expérimentation du contrat d’apprentissage pourra début dès janvier 2026 dans les CRFPA volontaires.
En définitive, le contrat d’apprentissage, bien que perfectible, offre une réponse immédiate, réaliste et juridiquement encadrée au vide statutaire dont souffrent les élèves avocats. Il ne s’agit pas de substituer un modèle à un autre, mais de proposer une alternative structurée, au bénéfice des élèves, des cabinets et de l’ensemble de la profession.
Sa mise en œuvre progressive, fondée sur le volontariat, permet une adaptation souple aux spécificités territoriales. En redonnant sens à la formation initiale et en assurant une meilleure justice sociale, cette réforme engage la profession sur la voie de la modernisation et de l’équité.
Il appartient désormais aux acteurs concernés – écoles, cabinets, institutions – de s’en emparer pleinement.
[1] CE, 29 décembre 2023, n° 470286 N° Lexbase : A34522CT.
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