Le Quotidien du 5 juin 2025 : Avocats/Procédure pénale

[Commentaire] Perquisition en cabinet d’avocat et pourvoi du Bâtonnier : le grief désincarné

Réf. : Cass. crim., 8 avril 2025, n° 24-81.033, FS-B N° Lexbase : A09830HU

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N2349B3E

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par Théo Scherer, Maître de conférences à l’Université de Caen Normandie, Institut caennais de recherche juridique (UR 967)

le 05 Juin 2025

Mots-clés : Procédure pénale • perquisition • avocat • droits de la défense • pourvoi • grief

Par un arrêt du 8 avril 2025, la Cour de cassation a déclaré recevable le pourvoi d’un Bâtonnier formé contre une ordonnance du président de la chambre de l’instruction dans le cadre du contentieux des perquisitions en cabinet d’avocat. Elle a retenu que le Bâtonnier avait à la fois la qualité à agir en tant que partie, et qu’il y avait un intérêt, la décision étant susceptible de faire grief aux droits de la défense qu’il a pour mission de protéger.


 

Les perquisitions en cabinet d’avocat connaissent une actualité jurisprudentielle foisonnante [1]. Depuis plusieurs mois, la Cour de cassation est saisie de pourvois interrogeant le régime de ces actes d’enquête et des recours afférents. La succession des décisions de la haute juridiction finit par devenir une part intégrante de la procédure régissant ces perquisitions spéciales. Parfois, les décisions qui sont rendues ont pour effet de limiter le domaine d’application : tel a été le cas lorsqu’elle a affirmé que le régime protecteur prévu par l’article 56-1 du Code de procédure pénale n’avait pas vocation à régir les simples constatations visuelles réalisées au domicile d’un avocat [2] ou lorsqu’elle a estimé que la seule présence d’une étiquette « confidentiel - communications avocat client » sur un disque dur n’était pas suffisante pour exiger l’application des dispositions de l’article 56-1 par renvoi de l’article 56-1-1 du Code de procédure pénale [3]. A l’inverse, certaines décisions ont étendu les garanties applicables dans le cadre de cette procédure spéciale, en reconnaissant à l’avocat ayant subi la perquisition et soupçonné le droit à l’assistance par un avocat lors des audiences devant le juge des libertés et de la détention et du recours devant le président de la chambre de l’instruction [4].

Toutes les décisions ne peuvent pas être classées sur un axe permettant de les trier en fonction de leur incidence sur les droits de la défense. Certaines ont avant tout une portée purement organisationnelle. C’est notamment le cas lorsqu’elles traitent des modalités d’exercice du recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. Ainsi, dans un arrêt du 3 octobre 2023, la Chambre criminelle a précisé que le recours pouvait être indifféremment formé auprès du greffe du juge des libertés ou de celui de la chambre de l'instruction[5]. Plus tard, elle a affirmé que les convocations à l’audience devant le président de la chambre de l’instruction pouvaient être adressées aux parties par tous moyens [6]. Le caractère lacunaire des dispositions relatives aux recours dans le cadre de ce contentieux appelait ces décisions. En effet, le législateur n’a ouvert la possibilité d’un appel [7] devant le président de la chambre de l’instruction qu’en 2022 [8] et cette évolution n’a été obtenue qu’en « cognant du poing sur la table » [9]. Le huitième alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3557IGT qui prévoit ce recours fait moins de soixante-dix mots. Il indique seulement qui peut exercer le recours [10], son caractère suspensif, le délai d’exercice du recours et le délai dans lequel le président de la chambre de l’instruction doit statuer. Pour le reste, la disposition renvoie à la procédure applicable devant le juge des libertés, alors que la totalité de son contenu ne peut pas être répliqué à l’identique. Immanquablement, la jurisprudence allait être amenée à combler les lacunes de la loi. La même problématique se retrouve en matière de pourvoi en cassation contre l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction.

L’affaire commentée commence à Monaco, par l’ouverture d’une enquête contre un avocat inscrit au barreau de Paris. Le 13 juillet 2023, une information judiciaire a été ouverte pour des faits de manquement à la probité. Les magistrats instructeurs du Rocher ont ensuite demandé aux autorités judiciaires françaises qu’une perquisition soit réalisée dans le cabinet de l’avocat mis en cause. La commission rogatoire émise par les autorités monégasques s’inscrivait dans le cadre de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et Monaco du 8 novembre 2005  [11]. Pour l’exécution des actes d’enquête et d’instruction, la convention prévoit l’application du principe locus regit actum, en stipulant que les demandes d'entraide sont exécutées conformément à la législation de la partie requise, sauf si la partie requérante exige des formalités et des procédures qui ne sont pas incompatibles avec le droit de la partie requise [12]. Cette exception n’était pas pertinente en l’espèce, car le régime des perquisitions des cabinets d’avocats est moins protecteur en droit monégasque qu’en droit français [13]. La principauté a d’ailleurs récemment été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison du manque de garanties encadrant la saisie et l’exploitation du téléphone d’une avocate [14].

Conformément au droit français, le juge d’instruction saisi de la demande d’entraide a demandé l’autorisation à un juge des libertés et de la détention de procéder à la perquisition des cabinets et du domicile de l’avocat mis en cause. Les opérations de perquisition ont eu lieu le 19 juillet 2023. Des oppositions contre les saisies ayant été formulées, le juge des libertés et de la détention [15] a statué sur ces contestations. Bien que l’article 56-1 du code de procédure pénale lui laisse un délai de cinq jours [16], le juge des libertés n’a rendu son ordonnance que le 6 février 2024. Sa décision a fait l’objet d’un recours par le procureur national financier et par l’avocat mis en cause. Le 12 février 2024, le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rendu une ordonnance par laquelle il a en partie réformé la décision du juge des libertés. En effet, il a prescrit que certains scellés dont la restitution avait été ordonnée soient plutôt versés au dossier. En réaction, l’avocat concerné et le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Paris ont chacun formé un pourvoi en cassation. Toutefois, par un arrêt du 8 avril 2025, la chambre criminelle les a déclarés non admis sur le fondement de l’article 567-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7791HNU. Dans ce cadre, la Cour de cassation rejette le pourvoi sans reprendre les moyens et sans motiver sa décision [17]. L’essentiel n’est donc pas là. Tout l’intérêt de la décision réside dans le fait qu’avant de déclarer le pourvoi du Bâtonnier non admis, la Chambre criminelle a statué sur sa recevabilité. Pour la première fois, elle a affirmé de manière expresse [18] que le pourvoi du Bâtonnier est recevable, car il est une partie aux instances relatives aux perquisitions en cabinet d’avocat (I) et que les décisions qui sont rendues dans ce cadre sont susceptibles de lui faire grief (II).

I. Le Bâtonnier est une partie aux instances relatives aux perquisitions en cabinet d’avocat

La première des conditions de recevabilité du pourvoi en cassation mentionnée à l’article 567 est une condition tenant à la qualité à agir. Le pourvoi en cassation est un recours attitré, réservé aux parties[19]. Le Bâtonnier a bien cette qualité : non seulement, il intervient dans l’ensemble de la procédure de perquisition en cabinet d’avocat (A), mais, plus spécifiquement, il est une partie aux instances judiciaires devant le juge des libertés et le président de la chambre de l’instruction (B).

A. Le Bâtonnier, partie à la procédure de perquisition en cabinet d’avocat

Les perquisitions en cabinet d’avocat font souvent office de procédure dans la procédure. Diligentées dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, elles présentent une certaine forme d’autonomie par rapport au cadre procédural dans lequel elles s’inscrivent. C’est particulièrement vrai en phase policière, qui en principe, n’admet pas la possibilité de recours juridictionnel [20]. On peut définir la procédure de perquisition en cabinet d’avocat comme la succession d’étapes allant de la décision de mettre en œuvre cet acte d’investigation prise par un magistrat à la clôture des opérations de perquisition, ou en cas de contestation, à la dernière décision rendue. Le Bâtonnier intervient tôt dans cette procédure, il doit nécessairement être présent, ou représenté par son délégué, au cabinet perquisitionné [21]. Il est en outre destinataire d’informations, comme la nature de l'infraction sur laquelle portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits [22]. Il est aussi le seul, avec le magistrat effectuant la mesure, à pouvoir consulter ou prendre connaissance des documents et objets préalablement à leur saisie [23].

Ces différentes prérogatives font du Bâtonnier une partie à la procédure de perquisition dans un cabinet d’avocat. Néanmoins, il s’agit ici du sens commun du terme partie, désignant une personne engagée dans un processus ou un ensemble. Or, l’article 567 du Code de procédure pénale relatif à la recevabilité du pourvoi, vise les parties au sens juridique du terme. Les prérogatives du Bâtonnier qui viennent d’être évoquées sont indifférentes dans ce cadre. Cette affirmation relève de l’évidence. Par comparaison, on ne saurait admettre que les simples témoins d’une perquisition soient admis à se pourvoir en cassation contre un arrêt relatif à la validité de la mesure.  La difficulté est qu’à ce stade de la procédure, il n’y a pas nécessairement de partie. Si la perquisition est réalisée dans le cadre d’une enquête, au moment de sa mise en œuvre, il n’y a pas encore de lien d’instance entre les différents protagonistes intervenants. Par ailleurs, même si une instruction était ouverte, les mis en examen, qui ont la qualité de partie à l’information judiciaire, n’auraient pas tous cette qualité dans le cadre de l’instance distincte propre à la perquisition : seuls les mis en examen directement concernés par la mesure pourraient s’en prévaloir. 

Pour apprécier la qualité de partie au sens de l’article 567 du Code de procédure pénale, il est donc nécessaire de resserrer la focale sur l’instance portée devant le juge des libertés et de la détention et devant le président de la chambre de l'instruction statuant sur recours.

B. Le Bâtonnier, partie à l’instance portée devant le juge des libertés et de la détention et devant le président de la chambre de l'instruction

La notion de partie ne connaît pas de définition unanime en droit[24]. Un consensus se dégage pour la rapprocher de celle d’instance, afin de n’envisager cette qualité qu’après qu’un juge a été saisi. Pour le reste, on peut se fier à différents critères pour l’établir, et auxquels répond pleinement le bâtonnier. 

Premièrement, et c’est sans doute l’élément le plus déterminant, c’est le Bâtonnier qui, par son action, saisit le juge. En effet, dans le cadre d’une procédure de perquisition en cabinet d’avocat, l’instance ne s’ouvre que si le Bâtonnier s’oppose à la saisie d’un document ou d’un objet. À défaut, le juge des libertés et de la détention n’est pas saisi. À cet égard, l’opposition formulée verbalement par le Bâtonnier est assimilable à un acte introductif d’instance, porteur d’une prétention : une demande de restitution d’un objet en raison du caractère irrégulier de sa saisie. 

Le fait d’avoir saisi le juge n’est pas une condition sine qua none de l’attribution de la qualité de partie. Si tel était le cas, on refuserait de qualifier ainsi l’avocat dont les locaux ont été perquisitionnés. Le deuxième élément à prendre en compte est l’invitation à comparaître devant le juge des libertés puis devant le président de la chambre de l’instruction. L’article 56-1 du Code de procédure pénale précise que le juge des libertés « entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l'avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le Bâtonnier ou son délégué ». Le fait d’être invité à comparaître devant un juge afin de soutenir une prétention ou de combattre celles de ses adversaires est l’apanage des parties. Toutefois, à lui seul, le fait de recevoir une convocation n’est pas un élément déterminant [25]. À cet égard, il est important de relever que le Bâtonnier n’est pas convoqué en tant que représentant ou défenseur de l’avocat mis en cause[26]. On pourrait aussi objecter que les personnes appelées en tant que témoins reçoivent aussi des convocations aux audiences, sans pour autant avoir la qualité de partie. Sur ce point, on peut estimer que le magistrat qui a procédé à la perquisition n’est convoqué que pour relater le déroulement des opérations, sans formellement émettre de prétention [27].  Le Bâtonnier, qui était présent, sera aussi sans doute amené à apporter une forme de témoignage, mais il est dans une situation différente par rapport au magistrat ayant réalisé la perquisition.

En effet, la loi reconnaît au Bâtonnier la possibilité de former un recours contre la décision du juge des libertés [28]. Il partage cette prérogative avec le procureur de la République et l’avocat dont les locaux ont été perquisitionnés. Il s’agit de l’ultime élément permettant d’établir que le Bâtonnier a la qualité de partie selon la Cour de cassation. En effet, pour reconnaître cette qualité, la chambre criminelle se fonde sur les alinéas 3 à 6 et 8 de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, qui visent respectivement le pouvoir d’opposition, l’audience devant le juge des libertés et la faculté d’exercer un recours contre sa décision. La haute juridiction précise que le Bâtonnier reste une partie même s’il n’a pas exercé lui-même le recours contre la décision du juge des libertés et qu’une autre partie l’a fait. Ces motifs ne peuvent qu’être approuvés : par comparaison, il n’est pas nécessaire d’être appelant pour être partie à une instance d’appel, ce qui compte, c’est d’y avoir été attrait. Etant donné que le Bâtonnier sera systématiquement appelé pour être entendu devant le président de la chambre de l’instruction, il aura cette qualité de partie indépendamment de l’exercice personnel du recours. 

II. La décision du président de la chambre de l’instruction est susceptible de faire grief

La deuxième condition de recevabilité du pourvoi mentionnée à l’article 567 du Code de procédure pénale est que l’arrêt attaqué contienne des dispositions susceptibles de faire grief à la partie qui forme le recours. Dans cette affaire, la Cour de cassation a estimé que la décision qui ordonne le versement à la procédure de documents saisis est de nature à faire grief aux droits de la défense. Cette conception surprenante d’un grief non pas subi par une partie (A) mais par un principe masque en réalité un intérêt à agir en défense d’un intérêt collectif (B). 

A. Le grief aux droits de la défense

Pour admettre la recevabilité du pourvoi du Bâtonnier, la Cour de cassation retient que celui-ci a pour mission générale d’assurer la protection des droits de la défense et que la décision du président de la chambre de l’instruction est susceptible de faire grief à ces droits. Même si l’on approuve la solution retenue par la Cour de cassation, on peut trouver regrettable la tournure du motif, en ce qu’il dénature la notion de grief. En effet, jusqu’à présent, celle-ci a toujours reposé sur un élément subjectif, ce qui ne saurait être le cas dès lors qu’elle est appliquée à un principe abstrait.

Le terme de grief est polysémique. En droit processuel, il est associé au contentieux des nullités des actes de procédure, en tant que condition de bien-fondé. Ainsi, l’article 114 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1395H4G dispose que la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. En procédure pénale, le terme grief ne figure pas expressément dans les articles relatifs aux nullités [29]. Cependant, la chambre criminelle l’emploie et le définit comme le préjudice que cause au requérant l’irrégularité de l’acte contesté [30]. Etant donné que le grief est assimilé à un préjudice, il a nécessairement une dimension subjective. Pour nuancer, il faut reconnaître que la Cour de cassation s’éloigne parfois de cette conception du grief, et estime qu’il peut être caractérisé sans prendre en compte l’incidence qu’a eue l’irrégularité sur la situation du requérant. Ainsi, pour des réquisitions de données de connexion autorisées par un magistrat du parquet plutôt que par un juge du siège, la chambre criminelle considère qu’un grief ne peut être caractérisé que si l'accès à ces données n'a pas été circonscrit à une procédure relevant de la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire [31], ce qui s’apparente plus à des conditions de fond qu’à un préjudice. 

Le terme grief employé dans l’article 567 du Code de procédure pénale n’a pas le même sens que le grief en tant que condition de la nullité [32]. En effet, en tant que condition de recevabilité du pourvoi, il est communément admis qu’il renvoie en réalité à l’intérêt à agir [33]. Dans certains arrêts, la Cour de cassation lie les expressions dans des tournures comme « le demandeur ne saurait, faute d’intérêt, se faire un grief de ce que la cour d’appel […] » [34]. Il n’en reste pas moins que dans ce cas aussi, le grief renvoie à un élément subjectif. Plutôt que d’envisager un grief au droit de la défense, il aurait sans doute été préférable d’évoquer l’intérêt à agir du Bâtonnier. 

B. L’intérêt à agir en défense de l’intérêt d’autrui

En droit processuel, l’intérêt à agir réside dans les effets bénéfiques qu’une action ou un recours sont susceptibles d’entraîner. La mobilisation de cette notion amène un obstacle théorique qui doit être levé : en règle générale, pour répondre aux conditions de recevabilité d’une action, l’intérêt à agir doit être personnel [35]. Or, ce n’est pas le cas du Bâtonnier. À juste titre, la Cour de cassation précise que le Bâtonnier n’est pas partie à l’enquête ou à l’instruction au cours desquelles sont effectuées les perquisitions autorisées en application de l'article 56-1 du code de procédure pénale. Dès lors, les effets de la décision du juge des libertés, du président de la chambre de l’instruction ou de la Cour de cassation ne sont pas susceptibles de lui profiter. Cette difficulté peut être surmontée, en rattachant le pouvoir d’opposition à saisie du Bâtonnier et les différents recours qu’il peut exercer dans ce cadre à la catégorie des actions en défense d’un intérêt collectif ou de l’intérêt d’autrui. Il s’agit d’hypothèses dans lesquelles le législateur ou la jurisprudence dispensent une personne d’avoir à établir que l’intérêt qu’elle défend a un caractère personnel. Tel est par exemple le cas des associations habilitées à se constituer partie civile sur le fondement des articles 2-1 et suivants du code de procédure pénale. De manière plus évidente encore, le ministère public n’a pas à invoquer un éventuel intérêt personnel : la loi lui confère la mission de défendre l’intérêt général. 

Pour le Bâtonnier, la jurisprudence lui reconnaît une mission générale de protection des droits de la défense [36]. Dès lors qu’ils sont remis en cause, son intérêt à agir ou à former un recours doit donc être présumé. D’un côté, cela signifie qu’il n’a pas d’intérêt à agir lorsque la décision du président de la chambre de l’instruction ordonne la restitution de la totalité des documents saisis, puisque cette issue est la plus favorable aux droits de la défense. D’un autre côté, cette présomption d’intérêt ne veut pas dire qu’il peut s’immiscer dans toutes les procédures. Ainsi, même si l’irrégularité d’un acte d’investigation porte atteinte aux droits de la défense, il ne pourrait pas soulever une exception de nullité dans une procédure à laquelle il n’est pas partie : bien que la condition d’intérêt soit remplie, il n’aurait pas la qualité à agir [37].

Il est important de relever que la chambre criminelle reconnaît en l’espèce l’intérêt à agir du Bâtonnier pour la protection des droits de la défense et non pas pour la défense des intérêts collectifs de la profession d’avocat. Cela signifie donc que la portée de cet arrêt peut être étendue au-delà des perquisitions de cabinets ou de domicile d’avocat : l’intérêt du Bâtonnier à former un pourvoi en cassation devrait également être admis lorsqu’un particulier s’est opposé à la saisie de documents sur le fondement de l’article 56-1-1 du Code de procédure pénale et que la contestation a été tranchée par le juge des libertés puis par le président de la chambre de l’instruction.

La décision commentée ne pourra que ravir les avocats qui recommandent aux Bâtonniers de systématiquement former des pourvois en cassation contre les ordonnances des présidents de la chambre de l’instruction ordonnant le versement de pièces au dossier [38]. Indépendamment des chances de succès, l’idée derrière ce conseil est de s’assurer de l’épuisement des voies de recours afin de se ménager la possibilité de saisir la Cour européenne. La stratégie est louable, en ce qu’elle constitue le meilleur moyen d’apprécier la conventionnalité de l’article 56-1 du Code de procédure pénale. Néanmoins, à ce stade de la procédure, le Bâtonnier devra s’effacer, car seules les victimes justifiant d’un intérêt personnel au sens de l’article 34 de la Convention européenne peuvent saisir les juges de Strasbourg [39].

À retenir : Le Bâtonnier, en tant que partie à la procédure de perquisition dans un cabinet d’avocat, est recevable à former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance rendue par le président de la chambre de l’instruction dans le cadre de ce contentieux.

 

 

 

[1] V. J.-Y. Maréchal, Les perquisitions à la lumière de la jurisprudence récente, Lexbase pénal, 27 juin 2024.

[2] Cass. crim., 23 octobre 2024, n° 24-81.321, FS-B N° Lexbase : A76996BR.

[3] Cass. crim., 13 novembre 2024, n° 24-82.222, F-B N° Lexbase : A30496GZ ; Lexbase Pénal, mars 2025, comm. J.-Y. Maréchal N° Lexbase : N1913B3A.

[4] Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.229, FS-B N° Lexbase : A83402RC, Lexbase Avocats, avril 2024, comm. J.-Y. Maréchal N° Lexbase : N8876BZR..

[5] Cass. crim., 3 octobre 2023, n° 23-80.251 N° Lexbase : A89291IK, Lexbase Avocats, novembre 2023, comm. J.-Y. Maréchal N° Lexbase : N7181BZY.

[6] Cass. crim., 30 janvier 2024, n° 23-82.058 N° Lexbase : A59052H8, Lexbase Avocats, 7 mars 2024, comm. J.-Y. Maréchal.

[7] Le terme d’appel ne figure pas dans la loi, mais il est parfois employé par la Cour de cassation (v. par ex. Crim. 30 janvier 2024, n° 23-82.058, préc.). Des auteurs contestent cette appellation, en raison de modalités d’exercice du recours différentes de l’appel de droit commun. V., V. Nioré et E. Bersegol, Pratique de la défense en perquisition chez le justiciable et l’avocat, 2025, LGDJ, n° 279. 

[8] Loi n° 2021-1729, 22 déc. 2021, art. 3 N° Lexbase : L6493MSB, dont l’entrée en vigueur a été repoussée au 1er mars 2022 par application de l’article 59 II de la même loi. 

[9] V. Nioré et E. Bersegol, op. cit., n° 279.

[10] Le procureur de la République, l’avocat dont le cabinet a été perquisitionné, le Bâtonnier ou son délégué. 

[11] V. Décret n° 2008-1126, 3 novembre 2008, portant publication de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 8 novembre 2005 N° Lexbase : L7262IBL.

[12] Conv. 8 nov. 2005, préc., art. 6.

[13] Par comparaison, le droit monégasque ne prévoit pas de recours contre la décision du juge des libertés relative à la régularité des opérations de saisie. V. C. pr. pén. (Monaco), art. 99-2. 

[14] CEDH, 6 juin 2024, Req. 36559/19] Bersheda et Rybolovlev c/ Monaco N° Lexbase : A47765HD.

[15] Le Conseil constitutionnel admet que le juge des libertés qui a autorisé la perquisition statue sur les oppositions à saisie. V. Cons. const., décision n° 2022-1031 QPC du 19 janvier 2023 N° Lexbase : A936488C, cons. 11. 

[16] Le dépassement de ce délai n’est pas sanctionné. V. Cass. crim., 30 janvier 2024, n° 23-82.058, F-B N° Lexbase : A59052H8, préc..

[17] J. Boré et L. Boré, La cassation en matière pénale, 5e éd., 2024, Dalloz, n° 142.11.

[18] Cette possibilité pouvait se déduire d’un précédent arrêt, dans lequel le pourvoi d’un Bâtonnier avait été déclaré irrecevable qu’en raison d’un défaut de dépôt dans les délais du mémoire exposant ses moyens. V. Cass. crim., 14 mars 2023, n° 22-83.757, F-B N° Lexbase : A53439HD.

[19] Sur cette condition, v. J. Boré et L. Boré, op. cit., n° 31.10 et s..

[20] Il existe quelques exceptions, comme le recours contre les perquisitions de droit commun prévu par l’article 802-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7201LPE.

[21] C. pr. pén., art. 56-1 al. 1er

[22] Idem.

[23] Idem.

[24] Pour des réflexions sur ce sujet en procédure pénale, v. R. Parizot, La notion de partie en procédure pénaleMélanges en l’honneur du professeur Loïc Cadiet, 2023, LexisNexis, p. 1193.

[25] Par comparaison, lors des recours contre les décisions du Conseil de l’ordre, le Bâtonnier est invité à présenter des observations, mais il n’est pas considéré comme une partie (Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, n° 94-11.450 N° Lexbase : A9632ABD).

[26] Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.229 FS-B N° Lexbase : A83402RC, préc..

[27] À moins que le magistrat qui a réalisé la perquisition soit un représentant du ministère public, auquel cas il est entendu en tant que magistrat ayant réalisé la perquisition mais aussi en sa qualité de partie poursuivante. 

[28] C. pr. pén., art. 56-1 al. 8.

[29] C. pr. pén., art. 171 et 802.

[30] Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 21-80.642, FS-B N° Lexbase : A459043E.

[31] Cass. crim., 27 février 2024, n° 23-81.061, FS-B N° Lexbase : A79682PS Lexbase Pénal, 27 juin 2024, comm. A. Mornet. 

[32] En effet, dans le cadre du contentieux de la nullité, le grief ne peut pas renvoyer à l’intérêt à agir, puisque l’intérêt à agir est une condition de recevabilité de l’exception de nullité, soigneusement distinguée du grief par la jurisprudence. V. Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 21-80.642, FS-B N° Lexbase : A459043E, préc..

[33] J. Boré et L. Boré, op. cit., n° 33.05 et s..

[34] Cass. crim., 4 juin 1980, n° 79-92.822 N° Lexbase : A0473CGM.

[35] En matière pénale, v. par ex. Crim. 16 novembre 1956, Gaz. Pal. 1957. 1. 163.

[36] V. déjà Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.229 FS-B N° Lexbase : A83402RC, préc..

[37] Les exceptions de nullité des actes de procédures sont des défenses procédurales attitrées, réservées aux parties. V. T. Scherer, L’unité de la notion de qualité en droit processuel privé, Lexbase Pénal, octobre 2023 N° Lexbase : N7110BZD.

[38] V. Nioré et E. Bersegol, op. cit., n° 290.

[39] CEDH, 7 nov. 2013, n° 29381/09 et 32684/09, Vallianatos et autres c. Grèce N° Lexbase : A0982KP3, § 47.

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