Réf. : CA Aix-en-Provence, 25 avril 2025, n° 22/01705 N° Lexbase : A46940QW
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N2352B3I
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par Aurore Tixier Merjanyan, Avocate associée et Clémence Picard, Avocate, cabinet Factorhy Avocats
le 02 Juin 2025
► Dans un arrêt du 25 avril 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence valide la rupture anticipée pour faute grave du contrat à durée déterminée d’un joueur professionnel de football, Adil Rami, engagé par l’Olympique de Marseille. Cette décision se prononce principalement sur deux points : la régularité de la procédure disciplinaire au regard du Code du travail et de la Charte du football professionnel et la qualification de la faute grave dans un contexte professionnel où l’obligation de loyauté est particulièrement exigeante.
1. La régularité de la procédure disciplinaire : une articulation entre Code du travail et Charte du football professionnel
La cour rappelle les exigences légales encadrant la rupture pour faute grave d’un contrat de travail à durée déterminée, notamment celles de l’article L.1332-2 du Code du travail N° Lexbase : L5820ISD : convocation à un entretien préalable avec un délai minimal de deux jours ouvrables, et délai maximal d’un mois pour notifier la sanction. La Charte du football professionnel précise ces modalités (article 615) : le joueur doit être convoqué à l’entretien préalable dans un « délai utile », avec énoncé des griefs dans la lettre de convocation.
La qualification de garantie de fond attachée à l’article 615 de la Charte. La cour rappelle que ces dispositions, issues de la Charte, doivent être considérées comme des garanties de fond compte tenu du fait qu’elles instituent une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi [1].
En revanche, la cour relève que l’envoi par lettre recommandée ou remise en main propre, prévu par l’article 615 de la Charte, n’est qu’une règle de forme ne conditionnant pas la validité de la lettre de convocation, mais dont le non-respect peut être sanctionné pour irrégularité de la procédure.
En l’espèce, le joueur soutenait ne pas avoir reçu le premier courrier de convocation [2] et contestait la validité du second [3], transmis par SMS et courriel. La cour constate que le joueur en avait bien accusé réception et qu’il s’était présenté à l’entretien sans se plaindre de n’avoir pas été en capacité de présenter utilement sa défense.
Par ailleurs, le « délai utile » [4] entre la convocation et l’entretien (4 jours en l’espèce) est également jugé suffisant au regard des circonstances de l’espèce, notamment compte tenu du fait que le joueur avait disposé d’une connaissance complète (i) des griefs motivant la procédure disciplinaire et (ii) de l’engagement d’une procédure à son encontre.
La cour juge donc que la notification était régulière et effectuée dans des conditions compatibles avec l’objectif de protection des droits de la défense.
La suspension du délai d’un mois par la saisine de la Commission juridique. La cour rappelle également la nécessité du respect du délai d’un mois pour notifier la sanction, fixé par l’article L.1332-2, alinéa 4 du Code du travail et l’article 616 de la Charte. Dans cette affaire, c’est plus particulièrement le point de départ de ce délai qui a fait l’objet d’un débat : l’entretien avait été fixé au 9 juillet 2019 et le club a notifié la rupture un mois plus tard, le 9 août, après avoir saisi entre-temps la Commission juridique de la LFP.
En principe, le délai d’un mois mentionné ci-avant court à compter de la date de l’entretien préalable fixée par l’employeur dans sa lettre de convocation [5].
La cour profite néanmoins de cette décision pour rappeler une jurisprudence bien établie : lorsque la procédure disciplinaire impose la saisine préalable d’une instance conventionnelle, en l’espèce la Commission juridique de la LFP, le délai d’un mois court seulement à compter de l’avis rendu par cette instance et non à partir du jour fixé pour l’entretien préalable [6].
En l’espèce, la Commission juridique a rendu son avis le 2 août 2019 (le délai d’un mois expirait donc le 2 septembre 2019). La rupture ayant été notifiée au joueur le 9 août, le formalisme imposé a donc été respecté.
Cette solution, si elle peut paraître dérogatoire au droit commun, s’inscrit dans une logique propre au secteur sportif au sein duquel les instances disciplinaires jouent un rôle de régulation interne préalable à la saisine du juge. L’arrêt confirme donc que ces instances s’articulent dans le calendrier disciplinaire sportif, sans toutefois se substituer au juge.
2. La faute grave et l’obligation de loyauté renforcée du sportif professionnel
La cour procède à une étude détaillée de la gravité des faits reprochés, en analysant parallèlement les obligations contractuelles spécifiques au sport professionnel.
Une pluralité de manquements traduisant une insubordination caractérisée. Trois « comportements » sont retenus à la charge du joueur par le club :
La cour insiste sur les obligations propres au joueur : interdiction des activités à risque, respect des soins et comportement compatible avec l’image du club. Plus qu’une simple insubordination, c’est un manquement global à la loyauté contractuelle qui est reproché au joueur.
Une appréciation contextualisée et proportionnée de la faute grave. L’arrêt apprécie la faute grave au regard du statut particulier du secteur d’activité concerné, à savoir le sport professionnel, raison pour laquelle le raisonnement opéré est contextualisé, en tenant compte de la forte exposition du joueur et des exigences liées à son statut.
Au surplus, la cour retient, dans cette espèce, que c’est le cumul des fautes, leur résonance publique, leur caractère volontaire et dissimulé et l’impact négatif subi par le club en raison du comportement du joueur, qui justifient la qualification de faute grave.
En outre, l’usage des réseaux sociaux donne lieu à une réflexion sur les limites admissibles de la liberté d’expression dans le cadre d’un contrat de travail à forte exposition médiatique, comme c’est le cas d’un joueur de football professionnel. Cette approche est cohérente avec la jurisprudence selon laquelle l’exercice de la liberté d’expression peut être restreinte en fonction de la nature de la tâche à accomplir, sous réserve que la restriction soit proportionnée au but recherché [7].
Enfin, la cour rejette l’idée d’une sanction déguisée liée aux performances sportives du joueur. En effet, en l’absence de preuve d’un détournement de procédure, cette thèse est écartée par la cour.
Conclusion. Cette décision illustre l’articulation entre le droit du travail et les spécificités de la lex sportiva [8]. En effet, la cour d’appel d’Aix-en-Provence rappelle que le monde du sport professionnel (le football professionnel en l’espèce), bien qu’autonome sous certains aspects, demeure soumis aux principes fondamentaux du droit commun appréciés au regard du contexte particulier de cette activité hautement médiatisée.
[1] Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-25.646, FS-P+B N° Lexbase : A0706I3K.
[2] Premier courrier de convocation par LRAR le 21 juin 2019, retourné avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ».
[3] Second courrier de convocation du 6 juillet 2019, envoyé par SMS au joueur et copie par courriel à la sœur du joueur.
[4] L’article L.1332-2 du Code du travail N° Lexbase : L5820ISD n’impartit aucun délai particulier à l’employeur entre la date de convocation à l’entretien préalable et la date de cet entretien. Seul l’article 615 de la Charte impose le respect d’un « délai utile ».
[5] Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 04-46.508, F-D N° Lexbase : A0265DSM.
[6] Cass. soc., 28 septembre 2005, n° 02-45.926, FS-P+B N° Lexbase : A5760DKK.
[7] Cass. soc., 28 avril 2011, n° 10-30.107, F-P+B N° Lexbase : A5365HPE ; Cass. soc., 14 janvier 2014, n° 12-27.284, FS-P+B N° Lexbase : A7772KTZ.
[8] Au sens large, vise les règles produites par l’écosystème sportif.
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