Le Quotidien du 27 mai 2025 : Actualité judiciaire

[Dépêches] Empêchée d’assister au procès de son ex-conjoint violent, Khadija fait condamner l’Etat en raison d’un « dysfonctionnement de la justice »

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[Dépêches] Empêchée d’assister au procès de son ex-conjoint violent, Khadija fait condamner l’Etat en raison d’un « dysfonctionnement de la justice ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/119625362-depeches-empechee-dassister-au-proces-de-son-exconjoint-violent-khadija-fait-condamner-letat-en-rais
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par Axel Valard

le 26 Mai 2025

Au lendemain de la décision, Khadija a tenu à revenir au tribunal judiciaire de Paris. Et il fallait voir son sourire, sur le parvis, devant les hautes tours vitrées qui règnent sur le 17ème arrondissement de Paris. « J’ai toujours eu foi en la justice. Mais là, ça y est ! On m’a reconnue comme victime ! » L’État a, en effet, été condamné, mercredi 21 mai, à lui verser 8 000 euros de dommages-intérêts à cause d’un dysfonctionnement de la justice. Une « faute lourde », selon les termes du jugement. En l’espèce : l’avoir empêchée de pouvoir assister au procès de son ex-conjoint qu’elle accusait de viols.

L’histoire remonte à l’année 2017. À l’époque, Khadija vit à Limoges (Haute-Vienne) avec un compagnon violent. Elle finit par prend son courage à deux mains. De l’autre, elle dépose plainte contre lui pour « viols » et « actes de torture et de barbarie ». Elle quitte le logement conjugal et se protège comme elle peut, allant jusqu’à dormir parfois dans la rue. En parallèle, la justice suit son cours. Le conjoint est interpellé et placé en détention provisoire. Un juge d’instruction est nommé. Il décide de renvoyer le suspect devant la Cour d’assises de la Haute-Vienne.

Le jour de l’ouverture du procès, Khadija reçoit une alerte sur son téléphone portable. Un article du Populaire, le journal local. Voyant les mots « actes de torture », elle ouvre l’application et découvre, stupéfaite, que le procès de son ex-conjoint vient de débuter. Sans elle. « Immédiatement, j’ai appelé la Cour d’assises. J’ai eu la greffière qui m’a répondu qu’une convocation m’avait bien été envoyée et que c’était comme ça. Mais cette convocation, je ne l’ai jamais reçue. Je me suis mise à pleurer. Je me souviendrais toute ma vie de ce qu’elle m’a répondu : « Ce ne sont pas vos larmes qui vont me faire changer d’avis…».

Et c’est ce qu’il se produit. Malgré ses demandes, le procès se poursuit sans elle. Sans qu’elle puisse voir celui qu’elle accuse. Sans qu’elle puisse le confronter, à travers le box vitré. À l’issue des débats, la Cour d’assises requalifie les faits et condamne son ex-conjoint à huit ans de prison pour « violences », mais l’acquitte des faits de viols.

La convocation envoyée à l’adresse où elle a été victime des faits…

Khadija est habitée par des sentiments mêlés. La crainte de représailles, d’abord, en dépit du fait que son ancien compagnon a été placé en détention. L’injustice surtout de ne pas avoir eu droit à assister à son procès. De ne pas avoir vu son statut de victime reconnu comme il se doit. Elle change d’avocat et passe à la contre-attaque. Elle fait appel du verdict rendu même si son statut de partie civile l’empêche de le faire. Le but est simple : pouvoir porter l’affaire jusqu’à la Cour de cassation et faire reconnaître qu’il y a bien eu un dysfonctionnement de la justice.

La stratégie est payante : en 2021, la plus haute juridiction pénale juge son recours irrecevable mais, entre les lignes, indique qu’elle a bien été maltraitée par la justice. Sa nouvelle avocate, Pauline Rongier, assigne l’État au civil pour « faute lourde ». Près de huit ans après les faits, le tribunal judiciaire de Paris examine l’affaire le 9 avril dernier. Et vient valider le fait que Khadija n’a pas été considérée comme elle aurait dû l’être par la justice.

Dans ce jugement détaillé d’une dizaine de pages, le tribunal judiciaire confirme que la convocation au procès d’assises de Khadija a été envoyée à l’adresse où elle avait été victime des faits alors qu’elle en avait donné une autre à la justice… « C’est marrant. Pour m’envoyer des amendes, ils avaient ma bonne adresse. Mais pour la convocation, non… ». Surtout, « personne n’a cherché à la contacter par un autre biais, alors que la police avait son numéro de téléphone… », souligne Pauline Rongier.

Le procès aurait pu être renvoyé, le parquet aurait pu faire appel.

Le tribunal de Paris reconnaît donc bien qu’elle a été victime d’un dysfonctionnement de la justice et lui accorde 8 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice. Mais il va plus loin. Il reconnaît qu’en l’absence de la partie civile, le procès de son ex-compagnon aurait pu être renvoyé pour lui permettre d’y assister plus tard. Et même que le parquet aurait également pu faire appel du verdict, toujours pour permettre à Khadija de faire entendre sa voix dans une enceinte judiciaire.

Pauline Rongier, elle, ne s’explique toujours pas ce dysfonctionnement. « Comment condamner quelqu’un pour viol conjugal quand on n’a pas de victime ? Ce procès a été un boulevard pour la défense…». Avec des « si », on pourrait refaire le monde, évidemment. Mais l’avocate se demande aujourd’hui si le verdict rendu aurait été le même en la présence de Khadija. Désormais, elle réfléchit à poursuivre son combat pour faire avancer le droit. Elle envisage de déposer des recours pour demander, pourquoi pas, le droit à une partie civile d’obtenir un procès en révision, dans le cas où il y a un réel dysfonctionnement de la justice.

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