Réf. : CE Sect., 11 avril 2025, n° 498803, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A48850IR
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N2318B3A
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par Léa Couturier, Avocate au barreau de Paris, Gide Loyrette Nouel
le 27 Mai 2025
Mots clés : contentieux de l’urbanisme • autorisation d’urbanisme • refus de permis de construire • prescriptions spéciales • avis contentieux
Dans un avis contentieux très attendu du 11 avril 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les moyens d’assurer la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme. Si le pétitionnaire a la possibilité de modifier son projet pendant l’instruction de la demande, l’autorité compétente n’a pas l’obligation de rechercher s’il est possible d’autoriser le projet en l’assortissant de prescriptions spéciales.
Par un arrêté en date du 20 septembre 2023, le maire de la commune de Saint-Raphaël (Var) a refusé de délivrer à la société AEI Promotion un permis de construire (PC) pour la réalisation d’un bâtiment à usage mixte de commerces en rez-de-chaussée, de bureaux de logements en étages. En outre, par une décision du 3 janvier 2024, le maire a rejeté le recours gracieux du pétitionnaire dirigé contre cet arrêté.
La société AEI Promotion a alors introduit un recours contentieux contre l’arrêté de refus de PC et la décision de rejet du recours gracieux devant le tribunal administratif (TA) de Toulon, en soutenant que le refus qui lui a été opposé est illégal, dès lors que l’autorité compétente aurait pu facilement remédier à la non-conformité du projet par l’édiction de prescriptions.
Par un jugement n° 2400101 du 8 novembre 2024, le TA a décidé de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’État, en application de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2626ALT [1].
La question soumise à son examen était la suivante :
« Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l’assortissant de prescriptions ? ».
La section du contentieux du Conseil d’État répond à cette question en trois temps.
I. Les responsabilités respectives du pétitionnaire et de l’administration
Le Conseil d’État rappelle tout d’abord, de manière didactique :
Le Conseil d’État considère qu’il résulte de ces dispositions « qu’il revient à l’autorité administrative compétente en matière d’autorisations d’urbanisme de s’assurer de la conformité des projets qui lui sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 et de n’autoriser, sous le contrôle du juge, que des projets conformes à ces dispositions ».
Ainsi, la responsabilité de présenter un projet conforme aux règles d’urbanisme incombe au pétitionnaire.
Quant à l’autorité compétente, elle doit s’assurer de cette conformité avant de délivrer un permis, ou de ne pas s’opposer à une DP.
À cet égard, et comme le relève la rapporteure publique Maïlys Lange dans ses conclusions, il se déduit de cette première étape du raisonnement une simple possibilité laissée à l’administration d’édicter des prescriptions spéciales, plutôt que d’opposer un refus à une demande d’autorisation d’urbanisme.
En effet, il ne découle d’aucune des dispositions susvisées que l’autorité compétente soit tenue d’une obligation de « régularisation précontentieuse » d’un projet par l’effet de prescriptions (cette notion étant, d’ailleurs, uniquement citée, mais non définie, par les textes).
En toute hypothèse, en l’espèce, les dispositions du PLU de la commune de Saint-Raphaël dont il était question, relatives à la hauteur des bâtiments, aux places de stationnement et au local des ordures ménagères, ne prévoyaient même pas expressément la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation de prescriptions.
II. La faculté du pétitionnaire de faire évoluer son projet en cours d’instruction
Pour mémoire, il a été reconnu, dans une décision « Commune de Gorbio » du 1er décembre 2023 consacrant la pratique, qu’en l’absence de dispositions expresses du Code de l’urbanisme y faisant obstacle, l’auteur d’une demande de PC peut apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision, des modifications qui n’en changent pas la nature. Celui-ci peut alors adresser une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier, afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié [2].
Le Conseil d’État rappelle ce principe dans son avis, en ajoutant que le pétitionnaire peut modifier son projet, « le cas échéant après que l’autorité administrative compétente lui a fait part des absences de conformité de son projet ».
La rapporteure publique Maïlys Lange précise, dans ses conclusions, que cette invitation à adapter le projet pour en assurer la conformité présente trois avantages par rapport à l’émission de prescriptions :
III. La faculté de l’administration d’assortir son autorisation de prescriptions
Pour rappel, c’est à l’occasion de la jurisprudence « Ciaudo » du 13 mars 2015 que les conditions dans lesquelles l’administration peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions avaient été précisées : « l’administration ne peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, aient pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect » [4].
Plus précisément, le Conseil d’État avait été amené, dans cette décision, à se prononcer sur la question de la recevabilité d’une demande d’annulation, par le titulaire d’une autorisation d’urbanisme, d’une ou plusieurs prescriptions dont celle-ci est assortie (au motif, notamment, de leur caractère excessif).
Par la suite, il a complété son édifice jurisprudentiel par une décision « Deville » du 26 juin 2019 [5], en imposant à l’autorité compétente, en matière de salubrité et de sécurité publique (sur le fondement des dispositions dites « permissives » du règlement national d’urbanisme (RNU) fixées à l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0569KWY), de rechercher si le projet peut être autorisé en l'assortissant de prescriptions spéciales, plutôt que d'opposer un refus de PC [6].
Dans l’avis commenté, le Conseil d’État fait le choix de ne pas généraliser la jurisprudence « Deville » –circonscrite aux atteintes à la salubrité ou la sécurité publique – à toutes les règles d’urbanisme (i.e. en dehors même des règles rédigées de manière similaire à l’article R. 111-2 précité). Plus encore, la Haute-Juridiction opère un revirement, en abandonnant cette jurisprudence (v. le fichage de l’avis « Ab. jur. » dans la rubrique « Analyse » [7]).
Les conclusions de la rapporteure publique Maïlys Lange permettent d’en comprendre les raisons :
« ces conditions [posées par la décision « Deville »] ne sont pas d’un maniement aisé, et nous craignons qu’elles ne permettent en réalité ni à l’administration de déterminer avec certitude les contours de son obligation, ni aux pétitionnaires de comprendre l’étroitesse de la fenêtre contentieuse qu’elle leur ouvre, ni au juge, qui risque dès lors d’être sollicité à l’excès, d’exercer son contrôle sans courir le risque que ne se poursuive, devant lui, l’instruction de la demande (…) Le jeu n’en vaut pas la chandelle (…) ». À noter que, selon elle, il est permis de penser que « si ‘Gorbio’ avait précédé ‘Deville’, ‘Deville’ n’aurait pas existé ».
Partant, le Conseil d’État considère que l'autorité compétente dispose, sans jamais y être tenue, de la faculté d'accorder le PC ou de ne pas s'opposer à la DP en assortissant sa décision de prescriptions spéciales destinées à rendre le projet conforme aux règles d’urbanisme.
La Haute juridiction estime ainsi que le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de PC ou d'opposition à DP ne peut exiger que l'autorité compétente lui délivre l'autorisation sollicitée en l'assortissant de prescriptions spéciales, et ne peut utilement se prévaloir d’un tel moyen devant le juge de l’excès de pouvoir.
En conclusion, cet avis contentieux confirme que toute non-conformité, même mineure, peut in fine entraîner le refus de l’autorisation d’urbanisme sollicitée. S’il clarifie les rôles respectifs du pétitionnaire et de l’administration, il écarte, à la déception des porteurs de projet, la reconnaissance d’une obligation à la charge de l’autorité compétente de régulariser la demande lorsque c’est possible, sans dénaturer le projet concerné. Une telle avancée aurait permis de sécuriser les autorisations d’urbanisme, en anticipant sur le pouvoir de régularisation du juge en cas de litige.
En réalité, le Conseil d’État mise principalement (et peut-être naïvement ?) sur le dialogue entre le pétitionnaire et l’administration – s’inspirant du concept contesté de « l’urbanisme négocié » [8] – en amont et durant l’instruction, de sorte à éviter que celle-ci se prolonge devant les tribunaux. Toutefois, l’absence de textes est de nature à nuire à l’efficacité d’une telle solution (qui n’a rien d’obligatoire et est, au demeurant, largement dépendante du degré d’implication des acteurs concernés). Une évolution du Code de l’urbanisme serait, sur ce point, bienvenue [9].
Mais, au-delà, il est souhaitable que le législateur puisse, à présent, définir le cadre juridique de la « régularisation précontentieuse » des projets et la fonction régulatrice du juge, afin de sécuriser les droits à construire et encourager les projets de construction, dans un contexte encore prégnant de crise du logement.
À retenir :
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[1] « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'État ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ».
[2] CE 1er décembre 2023, n° 448905 N° Lexbase : A182017K.
[3] CE, 26 juillet 2022, n° 437765 N° Lexbase : A10348DN.
[4] CE 13 mars 2015, n° 358677 N° Lexbase : A6895NDQ.
[5] CE 26 juin 2019, n° 412429 N° Lexbase : A7035ZGN. V. également, CE 22 juillet 2020, no 426139 N° Lexbase : A61983RY.
[6] « En vertu de ces dispositions [R. 111-2 du Code de l’urbanisme], lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales ».
[7] « (3) Ab. jur., faisant obligation à l'administration de rechercher s'il est possible d'autoriser, en l'assortissant de prescriptions complémentaires, un projet de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, CE, 26 juin 2019, n° 412429, p. 245 ».
[8] Rapport de la Cour des comptes sur la délivrance des permis de construire en date du 26 septembre 2024.
[9] Une proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme a été déposée le 1er avril 2025 à l’Assemblée nationale. D’après le texte voté en première lecture le 15 mai 2025, un nouvel article L. 424-3-1 du Code de l’urbanisme permettrait au pétitionnaire s’étant vu opposer un refus, d’adapter son projet dans un délai d’un mois pour répondre aux motifs mentionnés dans l’arrêté. À suivre donc.
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