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le 14 Mai 2025
Mots clés : concurrence • pratiques abusives • versement de commissions • action collective • plateformes numériques
Des hôteliers français et espagnols partent en guerre contre les « clauses de parité » imposées par la plateforme Booking, bien connue des futurs vacanciers à la recherche d’un hébergement au meilleur rapport qualité/prix. Toutefois, ces clauses empêchent les professionnels concernés de proposer leurs chambres à des prix plus bas ou à des conditions plus avantageuses sur d’autres canaux de vente, restreignant de fait leur liberté commerciale. Les commissions excessives versées au géant néerlandais sont également pointées du doigt. Pour en savoir plus sur cette initiative d’ampleur, Lexbase a interrogé Marc Barennes, Geradin Partners, l’un des avocats à l’initiative de cette action*.
Lexbase : Quel est l'objectif de cette action collective ?
Marc Barennes : L’action collective que nous menons contre Booking.com vise à permettre aux hôteliers français, d’une part, d’obtenir réparation pour les préjudices qu’ils ont subis à la suite des pratiques anticoncurrentielles de Booking.com et, d’autre part, d’y mettre fin pour l’avenir [1].
Les pratiques anticoncurrentielles de Booking.com ont consisté, en substance, en de multiples abus de position dominante qui ont conduit les hôteliers à s’acquitter auprès de cette plateforme des commissions excessives par rapport à celles qui auraient dû prévaloir si la concurrence n’avait pas été faussée. Ces abus ont également pu conduire ces hôteliers à perdre des réservations.
Parmi les différents abus identifiés, l’on peut, par exemple, citer les programmes offerts aux hôteliers français, dont les Programmes « Partenaires Préférés » et « Booking Sponsored Benefit », dont les effets ont conduit à réintroduire de manière déguisée les clauses de parité tarifaire, pourtant interdites en France depuis la loi « Macron » de 2015 (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L6265MST).
Lexbase : De quelle manière l’arrêt de la CJUE de septembre 2024 pourrait jouer en votre faveur ?
Marc Barennes : Dans son arrêt « Booking.com » du 19 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE ») a considéré, en substance, que les clauses de parité tarifaire imposées par des entreprises en position dominante constituent des ententes verticales interdites [2].
L’analyse de la CJUE repose sur deux principaux constats : les clauses de parité tarifaire de Booking.com, d’une part, ne sont pas indispensables pour que Booking.com offre ses services sur le marché et, d’autre part, pourraient être remplacées par d’autres mesures moins restrictives de concurrence [3].
La CJUE réaffirme ainsi le caractère illégal des clauses de parité tarifaire, tant dans leur version « étendue », qui interdit aux hôteliers de proposer sur tout autre canal de vente en ligne, y compris leurs propres sites internet, des prix inférieurs à ceux affichés sur Booking.com, que dans leur version « restreinte », qui impose cette interdiction uniquement pour les prix proposés sur d’autres plateformes concurrentes.
Bien que la CJUE ne se prononce pas explicitement sur la pratique de Booking.com consistant à offrir aux hôteliers, via la combinaison des Programmes « Partenaires Préférés » et « Booking Sponsored Benefit », une plus grande visibilité en échange de commissions plus élevées et de l’engagement de proposer sur Booking.com des prix inférieurs à ceux affichés sur d’autres canaux de vente en ligne, cet arrêt implique que toute clause de parité tarifaire, y compris dans leur forme « déguisée », est interdite.
Les autorités espagnole et italienne de concurrence parviennent d’ailleurs à une solution similaire en constatant que la mise en œuvre de ces programmes a des effets anticoncurrentiels similaires à ceux des clauses de parité tarifaire.
Lexbase : De telles actions contre des géants du Net ont-elles déjà eu lieu ?
Marc Barennes : Nous assistons, en France comme ailleurs dans le reste de l’Europe et du monde, à une très forte augmentation des actions judiciaires en indemnisation intentées contre les grandes plateformes numériques, très souvent à la suite de leur condamnation par les autorités de concurrence pour leurs pratiques abusives.
En premier lieu, s’agissant de Booking.com, plusieurs actions menées par les hôteliers sont en cours contre elle dans plusieurs pays européens, tels que l’Espagne et l’Allemagne, ou sont en préparation dans d’autres pays, tels que l’Italie et le Portugal, pour des pratiques similaires à celles mises en œuvre en France.
En Espagne, les hôteliers demandent l’équivalent d’environ 2 % de leur chiffre d’affaires annuel à titre d’indemnisation, tandis qu’en Allemagne 2 600 hôteliers demandent une indemnisation totale de plus de 300 millions d’euros.
En second lieu, d’autres grandes plateformes numériques font également face à des actions judiciaires visant à obtenir réparation des préjudices résultant de leurs comportements anticoncurrentiels. À titre d’exemple, de nombreuses actions sont en cours contre Amazon, Google, ou Meta en France, en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.
Cette tendance s’inscrit dans un contexte plus général de durcissement réglementaire au niveau européen, marqué par l’entrée en vigueur du Règlement sur les marchés numériques (DMA) en mars 2024.
Lexbase : D'après vous, quelles sont vos chances de succès ?
Marc Barennes : Nous n’agirions pas si nous n’étions pas totalement convaincus que Booking.com a commis des pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles les hôteliers sont en droit d’obtenir une indemnisation.
En outre, l’action repose en grande partie sur des pratiques de Booking.com qui ont déjà été sanctionnées en raison de leur caractère anticoncurrentiel tant par la CJUE que par les autorités espagnole et italienne de concurrence. Elle se fonde donc en grande partie sur les conséquences à tirer de ces décisions en termes d’indemnisation au profit des hôteliers.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] Pour en savoir plus sur l’action collective, voir le site actioncollectivehotel.fr.
[2] CJUE, 19 septembre 2024, aff. C-264/23, Booking.com BV c/ 25hours Hotel Company Berlin GmbH N° Lexbase : A97925ZP.
[3] Ibid., pts. 60 and suivants.
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