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par Axel Valard
le 13 Mai 2025
Écrire sur la « décennie noire » (1992-2002) en Algérie en pleine période de tensions entre Paris et Alger est sans doute un exercice nécessaire. Mais il est aussi risqué. C’est sans doute pour cela que l’écrivain Kamel Daoud, lauréat du dernier prix Goncourt pour son livre « Houris », est aujourd’hui dans le viseur de la justice algérienne et française.
La France a été informée de l’émission, par la justice algérienne, de « deux mandats d’arrêts internationaux » contre Kamel Daoud, a ainsi indiqué, mercredi 7 mai, Christophe Lemoine, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « Nous suivons et nous suivrons l’évolution de cette situation avec attention », a-t-il poursuivi, tout en soulignant que Kamel Daoud est « un auteur respecté et reconnu » et que la France est attachée à la liberté d’expression.
Alors que Boualem Sansal est toujours détenu en Algérie sans que l’on comprenne réellement pourquoi, le sort de Kamel Daoud vient assombrir un peu plus les relations entre Paris et Alger. Si l’élastique s’est tendu sur la question de la reconnaissance, par le Maroc, du Sahara occidental et sur celle des expulsions d’Algériens délinquants de France, le cas de Kamel Daoud semble totalement différent.
Le vol de l’histoire personnelle d’une victime en débat.
En effet, l’auteur paraît ici subir les conséquences de l’écriture de son dernier ouvrage « Houris » (Éditions Gallimard) qui vient d’être couronné du célèbre prix Goncourt et qui s’est écoulé à 440 000 exemplaires déjà. L’ouvrage raconte l’histoire d’une jeune femme, rescapée d’un massacre pendant la « décennie noire » de guerre civile en Algérie qui a fait 200 000 morts. Handicapée à vie par les sévices qu’elle a subis et muette depuis, cette femme s’interroge, une bonne partie du livre, sur l’opportunité de mettre au monde un enfant dans le monde qui nous entoure, alors que ses bourreaux ont été amnistiés.
Après la sortie de l’ouvrage, l’Algérienne Saâda Arbane avait indiqué s’être reconnue dans le portrait dressé de la victime et avait assigné l’auteur en justice en France pour « non-respect de la vie privée ». Elle avait notamment expliqué que la psychiatre qui l’avait soignée n’est autre que la femme de l’écrivain Kamel Daoud, faisant ainsi le lien avec lui. Une audience de mise en état vient d’ailleurs de se tenir à ce sujet en France.
En parallèle de la procédure française, Saâda Arbane semble aussi avoir activé la justice algérienne qui, en conséquence, a donc émis deux mandats d’arrêt internationaux contre Kamel Daoud. La plainte de cette femme, doublée d’une autre de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme, semble en effet être la cause de cette procédure judiciaire, l’émission d’un mandat d’arrêt étant automatique en pareil cas, selon le Code de procédure pénale algérien.
Un recours pour éviter que les mandats d’arrêt ne soient diffusés.
De son côté, Kamel Daoud a toujours protesté contre ces accusations. Mi-décembre, sur France Inter, il avait expliqué que l’histoire de Saâda Arbane était « publique » en Algérie mais aussi que son roman « ne raconte pas sa vie ». Son éditeur Gallimard avait, lui, dénoncé les « violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature ».
Avocate de Kamel Daoud, Jacqueline Laffont ne dit pas autre chose. « Les motivations de tels mandats algériens ne pourraient qu’être politiques et s’inscrire dans un ensemble de procédures menées pour réduire au silence un écrivain dont le dernier roman évoque les massacres de la décennie noire en Algérie ». Elle a indiqué qu’elle allait engager un recours, auprès d’Interpol, pour éviter que ces mandats d’arrêt « visiblement abusifs » soient diffusés et fassent peser un risque sur la vie de son client.
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