Réf. : Cass. civ. 1, 19 mars 2025, n° 23-22.797, F-D N° Lexbase : A51080BS
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par Aude Denizot, Professeur à l’Université du Mans, Membre du Themis-Um
le 29 Avril 2025
Ne présente pas de défaut de sécurité extrinsèque le produit qui est vendu avec une notice claire et complète, même en l’absence d’un pictogramme apposé sur le produit lui-même et alertant du danger ; si la victime fournit des clichés visant à prouver que d’autres produits équivalents sur le marché contiennent des systèmes de protection dont est dépourvue la poussette à l’origine du dommage, les juges du fond devront s’expliquer sur ce moyen de preuve, sauf à encourir une cassation pour défaut de réponse à conclusions.
Bien qu’il ne soit pas publié, cet arrêt du 19 mars 2025 présente un intérêt certain quant à la notion de produits défectueux, laquelle est encore parfois mal comprise. Un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, c’est-à-dire s’il présente une dangerosité inattendue. Qualifier un produit de défectueux suppose donc d’apprécier de quelle manière la victime a pu être surprise par les risques du produit. Pour ce faire, le Code civil recommande de tenir compte « de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit » (C. civ., art. 1245-3 N° Lexbase : L0623KZ4). On distingue traditionnellement le défaut de sécurité intrinsèque du défaut de sécurité extrinsèque. Le premier a trait au produit lui-même et à sa conception, le second aux informations qui sont données quant à l’utilisation et aux précautions à prendre. Dans cette affaire du 19 mars 2025, les juges furent conduits à examiner, pour un même produit, les deux types de défaut.
Une enfant de trois ans avait introduit son index dans la charnière d’une poussette au moment même où sa mère la manœuvrait pour la fermer, et elle fut partiellement amputée de ce doigt. Les parents assignèrent le producteur de la poussette pour obtenir réparation de leurs dommages et furent déboutés en appel.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation confirme l’arrêt quant à l’absence de défaut extrinsèque. Les juges d’appel avaient constaté que la notice de la poussette contenait toutes les informations, schémas et mises en garde utiles, et notamment quant à la nécessité d’éloigner les enfants pendant les opérations d’ouverture et de fermeture du produit. Ils en déduisaient que l’absence de pictogramme au niveau de la charnière ne permettait pas de caractériser un défaut extrinsèque. Une notice claire et complète est donc suffisante, de telle sorte que les consignes de sécurité n’ont pas besoin de figurer, en sus, sur le produit lui-même. La solution n’avait rien d’évident. Dans un arrêt du 4 février 2015, la Cour de cassation avait pu caractériser la défectuosité malgré l’existence d’une notice complète en faisant remarquer que la victime avait pu ne pas la consulter (Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 13-19.781, P N° Lexbase : A2454NBI). C’est pourquoi la présence d’une étiquette ou d’un autocollant est parfois décisive, comme le suggère un second arrêt rendu le même jour (Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 13-27.505, F-P+B N° Lexbase : A2374NBK). En l’espèce, d’autres personnes que les acquéreurs de la poussette auraient pu manipuler la poussette sans avoir nécessairement eu accès à la notice. Il est donc peut-être artificiel de se contenter de l’existence d’une notice pour déduire que le produit n’est pas défectueux.
S’agissant du défaut intrinsèque en revanche, l’arrêt de la cour d’appel est cassé pour défaut de réponse à conclusions. C’est dire qu’aux yeux de la Cour de cassation, le moyen n’était pas inopérant et aurait pu exercer une influence sur la décision. Les parents de la victime reprochaient à la cour d’appel de n’avoir pas examiné différents clichés représentant des poussettes de marques concurrentes sur lesquelles un dispositif de sécurité était installé au niveau de l’articulation. L’idée était de montrer, à l’aide de ces clichés, que le produit présentait un défaut de sécurité intrinsèque, puisqu’il n’était pas équipé de carter de protection, tandis que les autres poussettes en étaient pourvues. En effet, dès lors que, sur le marché, les produits similaires sont conçus de manière à éviter l’écrasement des doigts, celui qui ne comporte pas un tel dispositif présente une dangerosité inattendue. L’appréciation du défaut intrinsèque se fait ici au regard d’une analyse comparative qui permet de cerner les contours de l’attente légitime. Même si, selon le Code civil, un produit n’est pas défectueux par le seul fait qu’un autre, plus perfectionné, a été mis en circulation postérieurement, il reste que si, à un moment donné, les poussettes sont, dans l’ensemble, dotées d’un système de sécurité, celle qui n’en dispose pas trompe l’attente légitime de l’utilisateur.
Or, les juges d’appel avaient considéré que les parents n’apportaient pas la preuve de l’existence d’autres modèles de poussettes munies d’un cache de protection, ni de la faisabilité technique d’une telle solution. La décision de la cour d’appel n’évoquant pas ces clichés ni leur examen, la Cour de cassation estime que l’article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B a été violé. Selon la Haute juridiction, ce texte oblige en effet les juges à examiner tous les éléments de preuve soumis par les parties pour accueillir ou rejeter une demande. Or l’arrêt d’appel ne s’expliquait pas sur ces photographies, qu’il aurait fallu considérer pour dire, ou non, que la preuve n’était pas apportée.
L’arrêt du 19 mars 2025 incitera les praticiens à toujours pendre en compte cette double facette du défaut de sécurité, intrinsèque et extrinsèque, puisque l’absence de l’un n’implique pas l’inexistence de l’autre. On retiendra également de cet arrêt que le défaut de sécurité intrinsèque peut être apprécié au regard des caractéristiques des produits similaires mis en circulation.
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