Réf. : Cass. civ. 3, 20 mars 2025, n° 23-11.527, FS-B N° Lexbase : A530368W
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par Thibault Fromentin, avocat, Gide Loyrette Nouel
le 12 Mai 2025
Mots clés : autorisation d’urbanisme • infraction • travaux irréguliers • régularisation • mise en conformité
Par une décision du 20 mars 2025, la Cour de cassation a confirmé que le maire d’une commune peut agir en référé pour obtenir la démolition d’un ouvrage réalisé sans autorisation. Ce rappel d’importance invite à préciser les contours des dispositifs répressifs qu’il peut utiliser face aux occupations du sol et travaux non autorisés.
Le droit de l’urbanisme encadre la possibilité de construire, de démolir ou de modifier l’affectation du sol.
Par son essence même, il restreint les prérogatives du propriétaire immobilier qui n’est donc pas libre d’utiliser son bien comme il l’entend sans s’assurer que son projet est conforme aux règles d’urbanisme et, le cas échéant, sans accomplir certaines formalités préalables.
Cette limite à l’utilisation des sols étant justifiée par l’intérêt général, l’administration dispose d’un important panel d’actions afin de combattre sa transgression.
Ainsi, les travaux exécutés sans autorisation d’urbanisme, alors qu’ils y étaient soumis, ou en violation de l’autorisation obtenue sont qualifiés d’irréguliers.
Deux séries de conséquences en découlent.
D’une part, sans régularisation de la situation, l’évolution de la construction concernée est, en principe, restreinte voire interdite [1].
D’autre part, le maire est fondé à mettre en œuvre les pouvoirs qui lui ont été attribués pour, d’abord, prévenir l’aggravation de la situation et inciter à sa mise en conformité ; ensuite, mettre un terme à l’infraction, le cas échéant par la contrainte ; enfin, faire sanctionner le responsable des travaux.
I. Les mesures extrajudiciaires pour obtenir la mise en conformité des travaux
Lorsque le maire a connaissance de travaux irréguliers, il est tenu d’en faire dresser un procès-verbal et de le transmettre sans délai au ministère public [2].
En pareil scenario, dans l’attente d’éventuelles poursuites judiciaires, il peut également ordonner l’interruption des travaux par arrêté motivé et, pour assurer l’application effective de cette décision, saisir les matériaux approvisionnés ou le matériel de chantier [3].
Pourtant, il n’a longtemps pas été autorisé à prolonger cette action en imposant à l’administré concerné de se mettre en conformité avec le droit de l’urbanisme.
Cette situation a été corrigée par la loi n° 2018-1461 du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique N° Lexbase : L6378MSZ, qui a créé un mécanisme extrajudiciaire à la main du maire en complément du dispositif existant de répression pénale des travaux irréguliers.
Désormais, le maire [4] peut « indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée (…) après avoir invité l'intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu'[il] détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l'aménagement, de l'installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation » [5].
En dépit de la précision selon laquelle ce texte s’applique aux « travaux », le Conseil d’État a jugé qu’il doit englober l’ensemble des opérations soumises à autorisation d’urbanisme et celles qui, bien que dispensées de formalité, n’en sont pas moins exécutées irrégulièrement (par exemple en violation du document d’urbanisme applicable) [6].
Concrètement, lorsqu’il est informé de l’existence d’une construction ou occupation du sol irrégulière, le maire doit en dresser procès-verbal et le transmettre au ministère public.
En complément, s’il entend faire usage de ses pouvoirs de police de l’urbanisme, il doit inviter l’administré mis en cause à présenter ses observations sur cette situation.
Passé cette première étape amiable, il peut alors le mettre en demeure de procéder aux régularisations requises, dans un délai qu’il détermine en fonction de la nature de l’infraction (ce délai peut être prolongé pour tenir compte des difficultés rencontrées par l’intéressé pour s’exécuter, sans toutefois pouvoir excéder un an).
Enfin, si l’administré récalcitrant ne défère pas à cette mise en demeure, alors le maire peut prendre des mesures coercitives à son encontre.
À ce titre, il est par exemple en droit d’exiger la démolition des aménagements irréguliers [7].
De plus, pour le contraindre à se conformer auxdites mesures, il peut également prononcer une astreinte, dont le montant (déterminé selon l’ampleur des travaux à réaliser et des conséquences de leur éventuelle non-exécution) ne peut excéder 500 euros par jour et 25 000 euros au total [8].
Enfin, il peut obliger l’administré concerné à consigner entre les mains du comptable public une somme équivalant au montant des travaux de régularisation (celle-ci lui est alors restituée au fur et à mesure de leur mise en œuvre) [9].
La question de la prescription de ces actions extra-judiciaires n’a, à ce jour, pas été formellement tranchée.
Cependant, en créant ce nouveau dispositif, le législateur a entendu « court-circuiter l’action du juge pénal » et créer une « voie parallèle à celle de la procédure pénale » [10].
L’esprit même du texte impose donc d’exclure son application sans limite temporelle : il s’agit d’un dispositif conçu pour le temps court afin d’offrir à l’autorité administrative la faculté de « réagir rapidement » lorsqu’elle a connaissance d’une infraction [11].
Il faut donc a minima considérer que ces sanctions administratives ne peuvent pas être mises en œuvre au-delà d’un délai raisonnable.
Il serait en effet contradictoire d’appliquer ce dispositif au-delà de la durée de l’action pénale (prescrite par six ans [12]) alors même qu’il a vocation à s’y substituer.
II. Le recours au juge civil pour mettre un terme à l’infraction
Dans les 10 ans suivant l’achèvement des travaux, le maire peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner « la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8 N° Lexbase : L1045MMN » [13].
En d’autres termes, le maire peut demander en justice qu’il soit mis fin à une occupation du sol ou des travaux irréguliers.
Cette faculté d’action, qui peut être alternative ou complémentaire aux mesures extrajudiciaires susvisées, lui est ouverte même si la compétence en matière de plan local d’urbanisme a été transférée à un établissement public de coopération intercommunale [14] et même en l’absence de préjudice quelconque pour la commune [15].
Par ailleurs, elle peut prendre la forme tant d’un recours au fond qu’en référé.
En effet, le juge de l’urgence est non seulement compétent pour ordonner l’interruption de travaux irréguliers [16] mais aussi pour prescrire l’ensemble des mesures conservatoires et de remise en état qui s’imposent pour faire cesser le trouble résultant de la violation de la règle d’urbanisme et prévenir le dommage imminent qui en découle [17].
L’objectif étant de rétablir la situation, il appartient au juge judiciaire de prononcer une sanction proportionnée à l’infraction caractérisée, c’est-à-dire d’ordonner la mise en conformité de l’ouvrage lorsque celle-ci est possible et acceptée par son propriétaire ou, à défaut, sa démolition [18].
III. L’intervention du juge pénal pour sanctionner l’auteur de l’infraction
Outre les volets administratif et civil ci-dessus analysés, il ne faut pas perdre de vue que les occupations du sol et travaux irréguliers sont obligatoirement signalés par le maire au ministère public via la transmission du procès-verbal d’infraction et qu’ils sont sévèrement réprimés par le droit pénal de l’urbanisme.
En effet, leur régularisation spontanée ne fait pas disparaître l’infraction, ce qui ne fait donc, théoriquement, pas obstacle aux poursuites [19]. Néanmoins, dans l’hypothèse où elles seraient tout de même initiées, cette régularisation est de nature à alléger le quantum de la peine prononcée [20].
En particulier, les utilisateurs du sol, bénéficiaires des travaux, architectes, entrepreneurs ou autres responsables de leur exécution s’exposent à une amende dont le montant est compris entre, d’une part, 1 200 euros et, d’autre part, soit 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable, soit 300 000 euros dans les autres cas [21] ; étant précisé que ces montants sont multipliés par cinq lorsque l’infraction est reprochée à une personne morale [22].
De plus, en cas de condamnation, le tribunal peut ordonner la mise en conformité des lieux ou la démolition des ouvrages irréguliers, le cas échéant sous astreinte, ainsi que la publicité du jugement dans plusieurs lieux et journaux locaux [23].
Enfin, dans l’hypothèse où le contrevenant ne se plierait pas à son obligation judiciaire de mise en conformité de la construction, celle-ci peut être exécutée d’office, à ses frais, par le maire [24].
[1] CE, 9 juillet 1986, n° 51172 N° Lexbase : A4786AM9 ; v. néanmoins C. urb., art. L. 421-9 N° Lexbase : L7106L7C, qui prévoit, sauf dans certains cas, la prescription par 10 ans de cette obligation de régularisation.
[2] C. urb., art. L. 480-1 N° Lexbase : L0742LZI, qui vise l’ensemble des infractions « de la nature de celles que prévoient les articles L. 480-4 et L. 610-1 », c’est-à-dire les travaux non autorisés, exécutés en violation de l’autorisation obtenue ou, alors qu’ils sont dispensés d’autorisation, en violation des règles d’urbanisme qui leur sont néanmoins applicables. Par ailleurs, lorsque c’est l’EPCI qui est compétent en matière d’urbanisme, c’est à son président que revient l’obligation de faire constater les infractions dont il a connaissance.
[3] C. urb., art. L. 480-2 N° Lexbase : L5007LUY.
[4] Ou l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme visée aux L. 422-1 N° Lexbase : L9324IZD à L. 422-3-1 du Code de l’urbanisme.
[5] C. urb., art. L. 481-1 N° Lexbase : L1046MMP.
[6] CE, 23 mars 2023, n° 468360 N° Lexbase : A50149KW.
[7] CE, 22 décembre 2022, n° 463331 N° Lexbase : A738383T.
[8] Le juge administratif peut suspendre l’astreinte lorsqu’elle n’est pas proportionnée à la situation du mis en cause (v. par exemple TA Toulon, 18 octobre 2021, n° 2102691).
[9] C. urb., art. L. 481-1 et L. 481-3 N° Lexbase : L5025LUN.
[10] Ch. Wiels, Les nouvelles dispositions sur le contentieux en matière d'astreinte résultant de la loi engagement dans la vie locale et proximité, un renforcement des pouvoirs de police en matière d'urbanisme, BJDU, 2020, n° 3, p. 155.
[11] CE, 5 septembre 2019, n° 398312, avis sur la lettre rectificative au projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique N° Lexbase : A89686DI.
[12] C. proc. pén., art. 8 N° Lexbase : L9542I3S.
[13] C. urb., art. L. 480-14 N° Lexbase : L5020LUH.
[14] Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 20-10.602 N° Lexbase : A24934E3.
[15] Cass. civ. 3, 16 mai 2019, n° 17-31.757 N° Lexbase : A4718ZBD.
[16] Cass. civ. 3, 4 avril 2019, n° 18-11.207 N° Lexbase : A3273Y8Q.
[17] Cass. civ. 3, 20 mars 2025, n° 23-11.527 N° Lexbase : A530368W.
[18] Cons. const., décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020 N° Lexbase : A89603RB.
[19] Cass. crim., 8 mars 2017, n° 15-87.422 N° Lexbase : A4469T3W ; Cass. crim., 16 janvier 2018, n° 17-81.157 N° Lexbase : A8768XAY.
[20] Le prononcé de la sanction en droit pénal est guidé par le principe de personnalité de la peine. Autrement dit, le comportement du prévenu est un élément pris en compte dans la détermination du quantum de la sanction (v. pour l’exemple de l’obstination du prévenu malgré les mises en garde du maire sur la nécessité d’obtenir un permis de construire : Cass. crim., 20 juin 2000, n° 00-80.065 N° Lexbase : A6525CXX). On peut donc penser que les diligences accomplies par le prévenu afin de procéder à la régularisation de l’infraction qui lui est reprochée seront prises en compte par la juridiction lors du prononcé de la sanction.
[21] C. urb., art. L. 480-4.
[22] C. urb., art. L. 480-4-2.
[23] C. urb., art. L. 480-5 N° Lexbase : L6812L7G et L. 480-7 N° Lexbase : L5018LUE.
[24] C. urb., art. L. 480-9 N° Lexbase : L5014LUA.
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