Réf. : CAA Lyon, 3ème ch., 19 février 2025, n° 21LY00245 N° Lexbase : A35036ZR
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N2180B37
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le 29 Avril 2025
Mots clés : environnement • pollution • lien de causalité • responsabilité de l'État • dioxyde d’azote
Dans un arrêt rendu le 19 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon estime que l’État a commis une faute engageant sa responsabilité pour insuffisance des mesures prises pour réduire les émissions de polluants au-dessous des seuils fixés par le Code de l’environnement dans le délai le plus court. Elle ajoute que l’incidence de la pollution atmosphérique est en lien de causalité directe avec l’aggravation des pathologies d'un enfant. Pour faire le point sur le fondement et les implications de cette décision, Lexbase a interrogé Clémence du Rostu, Seban Avocats*.
Lexbase : Quelles sont les
Très récemment, le Conseil d'Etat a toutefois considéré que la décision du 12 juillet 2017 était entièrement exécutée au regard des mesures adoptées depuis lors par l'Etat (CE, 25 avr. 2025, n° 428409, assoc. Les amis de la terre France)
décisions les plus marquantes jusqu'ici en matière de pollution de l'air ?
Clémence Du Rostu : La réglementation actuellement applicable est issue de la Directive (CE) 2008/50 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe N° Lexbase : L9078H3M. Le non-respect de cette Directive a déjà valu à la France d’être condamnée deux fois par la CJUE pour manquement. Il lui a d’abord été reproché le dépassement systématique et persistant de la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote (NO2) depuis le 1er janvier 2010 dans douze agglomérations et zones de qualité de l’air françaises [1]. Puis il a été reconnu que la France n’avait pas veillé, d’une part, à éviter le dépassement systématique des valeurs limites journalières applicables aux concentrations de microparticules (PM10) dans certaines régions et, d’autre part, à ce que les plans relatifs à la qualité de l’air prévoient des mesures appropriées pour que la période de dépassement de cette valeur limite soit la plus courte possible [2].
Au niveau national, plusieurs condamnations ont également été prononcées par les juridictions administratives.
C’est d’abord par le biais du recours pour excès de pouvoir que le Conseil d’État a reconnu la méconnaissance des règles issues de la directive du 21 mai 2008 transposées en droit interne, et plus spécifiquement des articles L. 222-1 N° Lexbase : L1756MHI, L. 222-4 N° Lexbase : L3082KGA et L. 222-5 N° Lexbase : L9600LHZ du Code de l’environnement [3]. Dans cet arrêt le juge annulait les décisions implicites de rejet du Président de la République et des ministres concernés relatives, d’une part, à la mise en œuvre de toutes mesures permettant d’éviter le dépassement des seuils de concentration en particules fines et en dioxyde d'azote et, d’autre part, à l'élaboration d'un ou plusieurs plans relatifs à la qualité de l'air ayant pour objet de définir les mesures appropriées permettant de ramener, dans chacune des zones et agglomérations du territoire national concernées, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote à l'intérieur des valeurs limites fixées à l'annexe XI de la directive. Le juge enjoignait par ailleurs aux autorités en cause d’adopter les mesures sollicitées, ce qui l’a conduit à condamner l’État à deux reprises au paiement d’astreintes pour n’avoir pas pris les mesures suffisantes en exécution de cette injonction [4].
Très récemment, le Conseil d'État a toutefois considéré que la décision du 12 juillet 2017 était entièrement exécutée au regard des mesures adoptées depuis lors par l'État [5].
Sur le plan indemnitaire, le juge administratif a, dans un premier temps, reconnu la faute de l’État susceptible d’engager sa responsabilité dès lors qu’il était admis que les instruments déployés par l'État, notamment le plan de protection de l'atmosphère (PPA), ainsi que les mesures prises pour sa mise en œuvre, ont été insuffisants puisqu’ils n'ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible [6]. Néanmoins, la faute ainsi reconnue n’a pas conduit à l’indemnisation de la victime faute de lien de causalité établi entre le manquement constaté et le préjudice allégué. C’est seulement très récemment qu’un tel lien a été établi, le juge ayant ainsi condamné l’État à indemniser une famille pour l’aggravation des maladies respiratoires contractées par un enfant, provoquées par l’insuffisance des mesures de réduction de la pollution de l’air [7].
Lexbase : La vallée de l'Arve a-t-elle déjà fait l'objet de telles décisions ? En quoi est-elle plus à risque que les autres secteurs ?
Clémence Du Rostu : La Vallée de l’Arve est un secteur fréquemment concerné par des pics de pollution et, partant, par les mesures de restrictions et d’interdictions qui s’imposent. Cette fréquence s’explique par la topographie de la Vallée : sa situation encaissée ne permet pas aux particules fines, provenant majoritairement de la combustion de chauffage au bois et des véhicules, de se disperser, notamment en période touristique lorsque de nombreux automobilistes se concentrent dans la zone. Plusieurs types de polluants sont constatés : les particules fines (PM10), les oxydes d’azote (Nox), les hydrocarbures aromatiques polycliniques (HAP) et l’ozone. Il s’agit donc d’une zone particulièrement exposée où 8% des décès seraient attribuables aux particules fines, soit 85 décès par an [8].
Le PPA 2019-2023 de la Vallée préconise ainsi un certain nombre de mesures spécifiques telles que l’interdiction d’utiliser tout dispositif de chauffage au bois à foyer ouvert ou encore des limitations de vitesse de circulation [9].
C’est notamment du fait de la mauvaise qualité de l’air de cette zone géographique que certaines actions contre l’État ont été engagées. Ainsi, d’abord, la Vallée de l’Arve était au nombre des zones concernées par le dépassement systématique et persistant de la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote (NO2) ayant conduit la CJUE à condamner la France [10]. De même les décisions implicites de rejet des autorités étatiques annulées par le juge [11] concernaient également, entre autres zones, le cas de la Vallée de l’Arve. S’agissant de ce contentieux, il est toutefois utile de relever que les astreintes auxquelles l’État a ensuite été condamné n’ont pas été justifiées par la situation de la Vallée pour laquelle les juges ont considéré que les mesures adoptées ultérieurement par l’État avaient été suffisantes [12].
Lexbase : La décision de la cour administrative d’appel contient-elle une avancée spécifique en la matière ?
Clémence Du Rostu : La décision de la cour administrative d’appel s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence rendue en matière de responsabilité de l’État du fait de la pollution de l’air.
La décision avant-dire droit, rendue le 13 décembre 2023 [13], reprend le raisonnement du juge dans ce domaine :
C’est donc au terme de cette expertise que le lien de causalité entre l’insuffisance des mesures prises par l’État et le préjudice allégué est établi par le juge dans l’arrêt ici examiné.
Sans être totalement novatrice dès lors que le mouvement a été enclenché par la cour administrative d’appel de Paris au mois d’octobre 2024, cette décision conforte donc la position du juge qui n’hésite plus à condamner l’État du fait des préjudices causés par la pollution de l’air qu’il n’a pas su empêcher.
Lexbase : Quelles seraient les mesures véritablement efficaces que l'État pourrait prendre pour améliorer la situation ?
Clémence Du Rostu : À suivre les décisions rendues dans ce domaine, la carence de l’État réside principalement dans le fait qu’il n’a pas adopté les mesures suffisantes pour éviter le franchissement des seuils de pollution dans le cadre des PPA. Certains de ces plans ont d’ailleurs émergé ou ont été révisés très tardivement. Il est donc utile que l’État veille, dans l’élaboration des PPA, à adopter des mesures concrètes et efficaces. La mise en œuvre de ces PPA doit également être contrôlée afin d’assurer l’effectivité de la politique de lutte contre la pollution.
Aucune carence n’est en revanche reprochée, dans les espèces examinées, aux services déconcentrés de l’État dans la gestion de la pollution ou des pics de pollution au niveau local. Il semble donc utile de renforcer encore les actions à ce niveau pour plus d’efficacité. L’État peut également s’appuyer sur des acteurs publics locaux qui contribuent également à réduire la pollution de l’air (on peut par exemple citer la mise en place des ZFE).
[1] CJUE, 24 octobre 2019, aff. C-636/18 N° Lexbase : A3317ZSN.
[2] CJUE, 28 avril 2022, aff. C-286/21 N° Lexbase : A92717UW.
[3] CE, 12 juillet 2017, n° 394254 N° Lexbase : A6547WMG.
[4] CE, 10 juillet 2020, n° 428409 N° Lexbase : A17963RX et CE, 24 novembre 2023, n° 428409 N° Lexbase : A477014G.
[5] CE, 25 avril 2025, n° 428409 N° Lexbase : A58514ZQ.
[6] CAA Paris, 11 mars 2021, n° 19PA02873 N° Lexbase : A93874KU.
[7] CAA Paris, 9 octobre 2024, n° 23PA03742 N° Lexbase : A452059B et n° 23PA03743 N° Lexbase : A4488594.
[8] Pollution dans la vallée de l'Arve, Vers la fin de l'asphyxie ?, site Air et Santé.
[9] Plan de protection de l'atmosphère de la vallée de l'Arve, site de la préfecture de Haute-Savoie.
[10] CJUE, 24 octobre 2019, aff. C-636/18, préc.
[11] CE, 12 juillet 2017, n° 394254, préc.
[12] CE, 10 juillet 2020 n° 428409 et CE, 24 novembre 2023, n° 428409.
[13] CAA Lyon, 13 décembre 2023, n° 21LY00245 N° Lexbase : A666918I.
[14] Pour une décision similaire, voir CAA Versailles, 23 mai 2023, n° 19VE03054 N° Lexbase : A62899WT.
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