Le Quotidien du 29 avril 2025 : Urbanisme

[Jurisprudence] Validité des notifications des décisions de préemption au seul notaire signataire de la DIA, présumé mandataire du propriétaire

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 7 mars 2025, n° 495227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A664163D

Lecture: 11 min

N2164B3K

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Validité des notifications des décisions de préemption au seul notaire signataire de la DIA, présumé mandataire du propriétaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/118523384-jurisprudence-validite-des-notifications-des-decisions-de-preemption-au-seul-notaire-signataire-de-l
Copier

par Lionel Inrep, notaire associé et Eléonore Chirossel, Lab Cheuvreux

le 30 Avril 2025

Mots clés :  intervention foncière • préemption • notification de la décision • notaires • déclaration d'intention d'aliéner

Le notaire du vendeur du bien objet de la préemption doit être regardé comme ayant reçu mandat lorsqu'il signe la déclaration d'intention d'aliéner.


 

Comme tout acte administratif individuel, les décisions de préemption doivent être notifiées à leur destinataire pour être exécutoire. Cette notification déclenche, en plus, le délai de recours contentieux. Ce qui fait la particularité des décisions de préemption c’est qu’elles doivent être notifiées à leur destinataire dans le délai de deux mois suivant réception de la déclaration d’intention d’aliéner, à peine d’illégalité [1] qui justifierait ainsi la nullité de la vente consentie au profit du titulaire du droit de préemption [2]. La régularité des notifications de décisions de préemption est donc cruciale.

Telles qu’écrites dans la loi « ALUR », les règles de notification des décisions de préemption suscitaient plusieurs interrogations que le Conseil d’État dissipe dans un arrêt rendu le 7 mars dernier.

I. Les interrogations après la loi « ALUR »

Avant la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L6496MSE), les textes étaient silencieux sur les destinataires des notifications des décisions de préemption.

Les formulaires de déclaration d’intention d’aliéner (DIA) établis selon le modèle prévu par l’article A. 213-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4958H87 permettaient d’indiquer à qui, du propriétaire ou de son mandataire chez lequel il fait élection de domicile, la décision de préemption devait être notifiée.

Lorsque cette case était remplie, c’était bien la notification de la décision de préemption au seul destinataire mentionné qui conditionnait la légalité de la décision de préemption [3]. Ainsi, lorsque la DIA indiquait uniquement une notification au notaire, une notification à l’adresse du vendeur ne pouvait faire courir le délai de recours contentieux [4].  Réciproquement, dans le cas d’une DIA remplie par un mandataire mais précisant que les notifications devaient être faites à l’adresse du propriétaire, toute notification à une autre adresse, y compris celle du mandataire, était irrégulière [5].

En l’absence de cette précision dans la déclaration d’intention d’aliéner, le Conseil d’État a jugé que la signature de la DIA par le notaire permettait de le regarder comme mandataire du propriétaire ; ainsi une notification au seul notaire était valide et faisait courir le délai de recours contre cette décision [6].

Depuis la réforme de 2014, l’article L. 213-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0202LNS impose que la décision de préemption soit « notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien ».

Pris à la lettre, le texte impose une double notification (voire une triple, lorsque l’acquéreur pressenti est mentionné dans la DIA).

La question qui se pose toutefois est de savoir si le texte impose une double notification même lorsque le notaire est le mandataire du propriétaire vendeur. L’interrogation est d’autant plus forte que jusqu’en 2021, les formulaires prévoyaient toujours une case dédiée à l’indication du destinataire de la décision de préemption.

Une réponse ministérielle de 2017 a indiqué dans ce cas que « la formalité de notification accomplie à l'égard du mandataire sera réputée accomplie tant à l'égard du vendeur que de son notaire, sous réserve que soit jointe à la déclaration d'intention d'aliéner la copie du mandat donné au notaire et que le propriétaire vendeur y ait fait élection de domicile » [7].

Ainsi, avec la loi « ALUR », la solution qui prévalait jusqu’à alors n’a pas été remise en cause dans son principe, mais a semblé être soumise à des conditions plus strictes. En effet, selon la doctrine administrative, la validité d’une telle notification au seul notaire supposait (i) qu’une copie du mandat soit jointe (exigence mentionnée dans les différentes versions du formulaire Cerfa qui précisent que lorsque le signataire de la DIA est autre que le propriétaire, il convient de joindre à la déclaration une copie du pouvoir ou du mandat) et (ii) que le propriétaire vendeur y ait fait élection de domicile.

Cette position ne semblait pas pleinement partagée par la jurisprudence, qui, comme avant la loi « ALUR », ne s’interrogeait pas sur l’existence d’un mandat annexé à la DIA et continuait de juger que, lorsque la rubrique I du formulaire de la DIA était remplie et qu’ainsi le propriétaire faisait élection de domicile chez le notaire chargé de la vente, seule la notification au notaire suffisait [8] ; une notification aux vendeurs dans ce cas n’était pas requise [9].

Allant plus loin, la CAA de Bordeaux a jugé expressément qu’« aucune disposition légale ou réglementaire n’impose dans ce cas la production d’un mandat en annexe du formulaire d’intention d’aliéner,  une telle obligation ne pouvant résulter d'une réponse ministérielle » [10].

Pour autant, le nouveau formulaire Cerfa applicable à partir de 2023 continue de préciser que lorsque le signataire est autre que le propriétaire, il convient de joindre à la déclaration une copie du pouvoir ou du mandat.

Ainsi, le doute était toujours permis et l’arrêt du Conseil d’État était très attendu par la pratique.

II. La confirmation de la validité d’une notification au seul notaire, mandataire du vendeur

L’arrêt du Conseil d’État rendu le 7 mars 2025 met fin à toute incertitude. En l’espèce, se posait la question de la tardiveté d’un recours exercé par une partie des indivisaires enregistré le 29 juin 2020 contre une décision de préemption notifiée au seul notaire le 9 avril 2018, soit plus de deux ans auparavant (ainsi que l’explique le rapporteur public Monsieur Thomas Janicot dont les conclusions sont accessibles sur ArianeWeb, cette durée s’expliquerait, selon les dires des parties, qu’elles n’étaient pas informées par leur notaire de la purge du droit de préemption d’autant qu’en ayant proposé en priorité le bien à la commune, elles pensaient l’avoir fait).

Dans la droite ligne de la jurisprudence des juges du fond et la doctrine administrative, le Conseil d’État accepte que lorsque le notaire est le mandataire du propriétaire, il n’y a pas lieu pour le titulaire du droit de préemption de procéder à une double notification. Selon lui, si, en principe, « la décision du titulaire du droit de préemption d'acquérir un bien doit faire l'objet d'une publication et être notifiée à la fois au vendeur du bien objet de la préemption et à son notaire ainsi que, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien (…), ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le vendeur donne mandat à un tiers pour recevoir cette notification pour son compte ». Il pérennise ainsi la solution établie en 2006.

Les conclusions du rapporteur public mettent en lumière les différents arguments au soutien de cette solution.

Tout d’abord, il souligne que les travaux parlementaires révèlent que le but de ce texte est avant tout « l’information de toutes les parties concernées » avec un renforcement de la place du notaire, chargé de transmettre la décision de préemption aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. Il souligne que ces débats ne caractérisent pas une volonté du législateur de remettre en cause la théorie du mandataire. Dès lors, selon lui, la règle de double notification de l’article L. 213-2 n’interdit pas une notification au seul notaire, dans l’hypothèse où il est le mandataire du vendeur.

Le deuxième argument tient à ce que la théorie du mandat permet classiquement à la personne ayant la qualité de mandataire d’être destinataire des correspondances de l’administration à son mandant. Il souligne que les formulaires de renseignement de la DIA jusqu’en 2021 prévoyaient toujours une case permettant d’indiquer le destinataire de la décision de préemption et que la pratique est bien établie sur ce point.

Enfin, il souligne que la présence d’un mandataire permet d’éviter certaines difficultés pratiques, liées à la pluralité éventuelle de propriétaires, comme dans le cas d’une indivision successorale.

  1. III. La reconnaissance du mandat implicite du notaire signant la DIA

Le Conseil d’État juge explicitement que « la signature de la déclaration d'intention d'aliéner par le notaire établit, en principe, en l'absence d'expression d'une volonté contraire du vendeur, le mandat confié par le vendeur au notaire pour l'ensemble de la procédure se rapportant à l'exercice du droit de préemption mentionné à l'article L. 213-2 du Code de l'urbanisme et, à ce titre, en particulier, pour la notification éventuelle de la décision du titulaire du droit de préemption ». Il reprend ainsi complètement les principes établis dans son arrêt « Commune de Mane » et confirme ainsi la position de la CAA de Douai qui avait jugé que « Le notaire, qui signe la déclaration d'intention d'aliéner concernant le bien litigieux, doit être regardé comme le mandataire du vendeur. Par suite et dès lors que la déclaration d'intention d'aliéner ne mentionne pas expressément, comme elle peut le faire, à qui - du propriétaire ou de son mandataire - la décision de préemption doit être notifiée, cette notification au notaire fait courir le délai de recours contentieux à l'encontre du propriétaire » [11]. Sont ainsi sécurisées les notifications de préemption au seul notaire, lorsqu’il est mandataire du propriétaire.

Comme l’indique le rapporteur public, « la présomption de représentation qu’emporte la signature de la DIA (…) semble donc toujours être de mise et couvre à la fois cette signature proprement dite et la réception de la décision de préemption. Ces deux actes nous semblent en effet former un continuum procédural qui place le notaire comme unique point de contact de l’administration » ; ce « continuum » inclut d’ailleurs la réception des demandes de pièces complémentaires et de visite du bien [12].

Il convient toutefois, pour les titulaires du droit de préemption, de bien s’assurer que le propriétaire n’a pas restreint le mandat confié au notaire, notamment en vérifiant qu’il n’est pas indiqué dans la case « observations », que les décisions de préemption doivent lui être adressées. Cela étant, en pratique, le mandat pour recevoir la vente implique classiquement la possibilité de purger le droit de préemption urbain et une déclaration expresse contraire du propriétaire est extrêmement rare.

Relevons que le rapporteur public souligne que cette présomption se justifie également par la qualité particulière attachée aux fonctions des notaires, officiers ministériels.

En effet, il existe une pratique assez répandue confiant à des intermédiaires autres que les notaires le soin de collecter les pièces nécessaires à un dossier de vente en ce compris l’établissement et l’envoi de la déclaration d’intention d’aliéner. Dès lors, lorsque le mandataire n’est pas notaire, il demeure nécessaire que les autorités compétentes s’assurent que la personne qui a signé la DIA et dont les coordonnées sont renseignées dans la rubrique H détient bien un mandat confié par le vendeur ainsi que le rappelle le rapporteur public. En effet, le Conseil d’État a récemment rappelé qu’était illégale une préemption sur une DIA souscrite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n’était pas propriétaire du bien [13]. En allant plus loin, une décision de préemption sur une DIA souscrite par une personne qui n’a pas le pouvoir d’engager le propriétaire du bien serait également illégale.


[1] CE, 15 février  2002, n° 230015 N° Lexbase : A7297AYW.

[2] Cass. civ. 3, 5 juin 2 3007, n° 06-14.407 N° Lexbase : A5594DW4.

[3] CAA Nancy, 10 juin 2010, n° 09NC00542 N° Lexbase : A1885E39.

[4] CAA Nantes, 1er juillet 2016, n° 15NT01302 N° Lexbase : A9198RWL.

[5] Cass. civ. 3, 5 juin 2007, n° 06-14.407 N° Lexbase : A5594DW4.

[6] CE, 30 juin 2006, n° 274062 N° Lexbase : A0862DQY.

[7] QE n° 92031 de M. Philippe Meunier, JOANQ 22 décembre 2015, réponse publ. 9 mai 2017, p. 3276, 14ème législature N° Lexbase : L8728LEY.

[8] CAA Douai, 10 décembre 2019, n° 18DA00847 N° Lexbase : A86293AT.

[9] CAA Versailles, 17 mai 2018, n° 15VE03830 N° Lexbase : A7781XNI ; CAA Bordeaux, 9 novembre 2022, n° 20BX02526 N° Lexbase : A28588SN.

[10] CAA Bordeaux, 12 janvier 2023, n° 21BX00306 N° Lexbase : A146688S.

[11] CAA Douai, 18 avril 2024, n° 23DA01312 N° Lexbase : A8227289.

[12] CAA Paris, 6 juillet 2023, n° 22PA03304 N° Lexbase : A431698D ; CAA Nancy, 21 février 2024, n° 20NC00969 N° Lexbase : A97802NK.

[13] CE, 1er mars 2023, n° 462877 N° Lexbase : A30019GA.

newsid:492164

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus