Le Quotidien du 8 avril 2025 : Procédure

[Pratique professionnelle] Ma première « ARA »…

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par Jérôme Casey, Avocat associé au Barreau de Paris, Ancien Maître de conférences des Universités

le 08 Avril 2025

C’était une belle matinée de mars, quelque part en Bourgogne. Un TGV tôt le matin, et me voici à pied d’œuvre au mitan de la matinée pour tenir ma place d’avocat dans une « audience de règlement amiable », la fameuse « ARA », dont l’acronyme tient autant du perroquet gris, vif, bavard et intelligent que du point de deal en cité, ce qui constitue une performance linguistique du législateur qu’il convient de saluer à sa juste mesure.

 Je ne sais trop si je dois porter ma robe ou pas… J’ai cherché des réponses, nul ne sait, même Chat GPt. Mais je suis obéissant, et il est écrit quelque part que l’avocat porte en toutes circonstances le costume de sa fonction. Or, s’il s’agit d’une « audience », la robe est de rigueur. Mais est-ce une audience ? Cette fois j’ai un doute sur la performance linguistique du législateur… Ma robe est cependant là, à côté de moi, plus chiffonnée d’être remise en cause dans sa fonction que par son trajet aller qu’elle a passé toute serrée dans ma sacoche.

 L’accueil du tribunal est parfaitement informé de mon ARA. Quatre étages plus haut,  je me retrouve dans la salle d’audience où j’ai plaidé voici quelques semaines une « procédure accélérée au fond » (une « PAF », un nom sans nul doute imaginé par le même scribe à l’humour très personnel que celui qui a conçu le nom de l’ARA). Rien d’extraordinaire en droit : un cohéritier qui se maintient dans un bien indivis pendant 40 ans, avec 35 ans d’indemnité d’occupation prescrits, mais qui ne veut pas payer spontanément les 5 dernières années, ni partir… Comme je suis barbare (par mon père, irlandais), j’ai évidemment demandé le paiement, mais aussi l’expulsion du cohéritier qui abuse un peu.

 En cours de délibéré, la Présidente a dit « ARA ». Mon client s’est inquiété du temps que cela allait prendre, car 40 ans sont déjà passés et aussi parce que dans « PAF » le « A » est supposé vouloir dire « accéléré »… Mais cette fois j’ai mis de côté mon côté barbare (j’ai une mère française quand même), et juré mes grands dieux à mon client que cela ne ralentirait rien, puisque la date du délibéré était préservée (ne riez pas, il ne savait pas que le délibéré est parfois – souvent ? – prorogé). Donc, le client a dit oui, et le cohéritier accroché à sa maison vigneronne, aussi.

 Une seule affaire sur le rôle : la nôtre. Une seule et toute la journée devant nous ! ARA-bracadadra, c’est magique, la Justice a du temps pour les justiciables ! La plaidoirie avait duré 45 mn pour deux avocats (c’était déjà généreux). Mais là, ce sera combien ? 3 heures ? 5 heures ? Mais quelle faveur !

 A l’heure dite, précis et ponctuel, le magistrat tenant l’ARA arrive, souriant et détendu, parfaitement en harmonie avec le bleu du ciel de cette belle matinée. Il présente rapidement ce qu’est une ARA, indique que ce n’est pas une audience, que la robe n’est pas nécessaire (mais que je peux la garder), et que les avocats doivent faire vœu de silence, temporaire. Ma robe est donc devenue de bure, voué que je suis au silence, mais l’objectif est louable, j’accepte l’augure favorable de ce début.

 De la salle d’audience (sans audience donc), nous migrons vers la salle du conseil, où mon client est reçu par le Président en ma présence. Il dit ouvertement avoir lu l’assignation et bien connaître ces questions. Tant mieux, même si le droit n’est pas la priorité du moment. Il fait parler mon client, l’écoute avec attention, dans un rôle qui n’est pas sans rappeler le mien lors d’un premier rendez-vous avec un client. Sauf que lui entendra aussi l’autre partie ! Ce juge est humain, attentif, drôle parfois, aussi à l’aise dans ces nouvelles fonctions qu’un cycliste spécialiste de la montagne à qui on demanderait d’accompagner une sortie scolaire à vélo de 4 km sur terrain plat (et par vent arrière). Il n’a pas besoin de forcer, il comprend, devine, anticipe. Il a « l’ARA naturelle », comme d’autres ont l’oreille absolue.

 Puis vient le tour de l’indivisaire occupant. Nous restons dans la salle d’audience. Et enfin, tout le monde est réuni dans la salle du conseil. L’indivisaire occupant éructe contre le « connard » qui a demandé son expulsion. Hé bien, c’est moi je crois… Notre magistrat tout terrain désamorce, et révèle que c’est lui qui a demandé au fils de l’indivisaire d’être présent, sans doute conscient que l’indivisaire éruptif seul ne s’accorderait jamais avec personne. Alors que son fils est posé, calme, comprend.

 Commence alors une discussion animée, mais respectueuse, faite de prescription, de cinq années de loyers qui sont dus (le juge hoche de la tête), de négociation sur le montant de l’indemnité d’occupation, puis sur le prix plancher pour la mise en vente du biens indivis, car oui, l’indivisaire s’en va, sur la façon de baisser le prix si personne ne veut acheter au prix demandé…

 En un temps que j’ai trouvé rapide, tous les nœuds sont déliés, une solution globale est trouvée (aux problèmes de la PAF, pas à ceux de toute la succession, il ne faut pas exagérer quand même !).  Le juge propose soit de signer un procès-verbal simple, les avocats devant rédiger un protocole plus tard, soit d’appeler sa greffière et de rédiger sur le champ un PV revêtu de la formule exécutoire. L’accord se fait pour la deuxième solution. La greffière est de bonne volonté, le juge prend l’avis des avocats sur les formulations du procès-verbal. Il tient son affaire… 

 Je demande benoitement à combien d’ARA en est son tribunal… Il me répond « 21 », fier et réjoui, mais, honnête, il ajoute aussitôt : « mais c’est très chronophage ».

 Quand tout est fini, je regarde ma montre : trois heures pile. Un dossier réglé, pas d’appel possible, le tout en à peine plus de temps qu’il n’en aurait fallu pour avoir un délibéré, quel qu’il soit.

 J’attends mon taxi vers la gare. Je me dis que je viens de réussir ma première ARA. Enfin, je trouve que c’est surtout le juge qui a réussi son ARA. Brillant et courtois, humain et juste, rapide mais pas brusque, doué sans doute aussi d’un talent caché de comédien. Mais surtout, habile. Quels juges aurai-je à l’avenir en ARA ? N’a-t-il pas mis la barre trop haut pour ses collègues ?

 J’écoute les merles chanter en ce beau début d’après-midi. Leur chant roulé et joyeux colle bien avec les trois heures qui viennent de passer. Par association d’idées, du merle au perroquet, puis à l’hirondelle, je me dis qu’une ARA ne fait pas le printemps, qu’il doit bien y avoir des ARA moins bien menées, ou aux parties plus obtuses, mais que, quand même, tout le monde gagne à une journée de printemps anticipée.

 Quel bilan ?

 Côté positif, il y a l’accord trouvé, exécutoire, et un dossier réglé favorablement : les 5 ans d’indemnités d’occupation seront payées, la maison indivise sera vendue, le mécanisme de baisse du prix (si absence d’acquéreur) entériné. C’étaient mes demandes dans la « PAF » après tout. Comment ne pas être satisfait, surtout qu’il est impossible de relever appel de cet accord. On ajoutera au positif le luxe d’avoir un juge aussi doué pour soi tout seul pendant trois heures, et une image de la justice qui en sort améliorée aux yeux des clients, enfin je le crois.

 Côté négatif, je ne peux m’empêcher de penser que notre système juridique est devenu étrange. Une indemnité d’occupation, c’est objectif. T’occupes privativement, t’empêches l’autre de jouir de la chose, tu paies. C’est comme un loyer impayé. Le droit est limpide et clair. Sinon, c’est le début de la fin du droit civil… Et je pense : « mais pourquoi une ARA alors ? ». Je me dis que, finalement, les mauvais payeurs ont raison, autant aller en ARA tenter de négocier son départ, le montant de sa dette, et parier sur l’épuisement du créancier face à la lenteur judiciaire… On aurait donc inventé une justice informelle, de luxe, pour favoriser les mauvais payeurs ? Dans le cas de ma « PAF » c’est quand même à se demander. Et j’imagine les confrères et les justiciables qui réclament des loyers impayés, ou l’acquisition d’une clause résolutoire, qui seront eux aussi renvoyés en ARA. Aussi belle que soit mon ARA du jour, aussi pro et parfait qu’ait été le juge que j’avais face à moi, est-il normal que l’on ait dû inventer une ARA pour compenser la lenteur judiciaire ? Où est la logique, pour un système juridique exsangue côté magistrature, de prendre 3 heures à un juge brillant (qui doit avoir des tonnes de dossiers contentieux qui l’attendent), pour favoriser l’éclosion d‘un accord dans un dossier où le droit donne clairement et objectivement la solution ? Pourquoi ce dossier a-t-il été sélectionné pour l’ARA, et pas les autres, plaidés le même jour ? Sur quels critères ? Je ne sais…

 Les merles chantent trop bien dans cette ville bourguignonne… Je ne veux pas rester sur ces idées négatives. Sans doute y a-t-il des dossiers où la solution n’est pas évidente en droit civil, en tout cas moins que le principe d’une indemnité d’occupation. Le taxi file vers la gare, traverse une place dont le nom me fait penser à un personnage de Jane Austen, dans « Orgueil & préjugés ». Elle y écrit que « le bonheur dans le mariage est uniquement une question de chance ». Je me dis que c’est pareil avec l’ARA. Ou pas. Je vous le dirai après ma 10e ARA…

 

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