Le Quotidien du 5 mars 2025 : Conventions et accords collectifs

[Commentaire] Accord de substitution à un accord collectif mis en cause : la présomption de justification des différences de traitement (re)gagne du terrain

Réf. : Cass. soc., 5 février 2025, n° 22-24.000, FS-B N° Lexbase : A60506TA

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N1747B34

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par Florence Bergeron, Professeur à l’Université de Montpellier, EDSM UR_UM204

le 04 Mars 2025

Mots-clés : accord mis en cause • accord de substitution • différence de traitement • présomption de justification • contestation

Les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise, opérées par un accord de substitution à un accord mis en cause, sont présumées justifiées, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

La différence de traitement résultant du maintien, par l'accord de substitution, de l'indemnisation des frais de transport au profit des seuls salariés transférés entre leur domicile et leur lieu de travail, n'est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle.


L’arrêt sous analyse du 5 février 2025 répond, par l’affirmative, à la question de savoir si la présomption de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif doit s’appliquer à l’accord de substitution à un accord mis en cause. Ce faisant, la Chambre sociale de la Cour de cassation fait évoluer sa jurisprudence antérieure - sensiblement en apparence, quasiment pas en pratique -.

Un salarié a été embauché en 2010 par la société SNPE matériaux énergétiques (société SME). En 2012, la société Snecma propulsion solide (société SPS) a été absorbée par la société SME, celle-ci devenant la société Héraklès, aux droits de laquelle vient la société ArianeGroup. En application de l'article L. 2261-14 du Code du travail N° Lexbase : L1464LKG, cette opération de fusion-absorption a entraîné la mise en cause de l'application des conventions et accords collectifs dans l'entreprise absorbée, parmi lesquels un accord d'entreprise SPS du 22 février 1982, relatif à l'indemnisation des frais de transport, prévoyant, en son article 4.9.6, que lorsque les horaires de début ou de fin de poste d'équipe ne leur permettent pas d'utiliser les transports en commun, les personnels en équipe perçoivent des indemnités kilométriques calculées sur la distance domicile/lieu de travail dans la limite d'un plafond journalier de 84 km aller/retour. Un accord collectif conclu en 2012, intitulé « accord relatif à la période transitoire (avant l'harmonisation des statuts d'Héraklès) », a prévu que durant la période transitoire de quinze mois pour la finalisation des accords d'adaptation ou de substitution, les salariés des sociétés SME et SPS conservaient leur statut respectif tel qu'il existait au jour de la fusion, sans « cumul ni simultanéité des accords entre ceux de SME et ceux de SPS ». Un accord d'entreprise à durée déterminée, conclu le 10 juin 2013, a prorogé le délai de survie des accords mis en cause jusqu'au 1e mai 2014 au plus tard, sauf accord d'adaptation intervenant avant cette date. Une convention d'entreprise Héraklès, constituant un accord de substitution au sens de l'article L. 2261-14 du Code du travail, a été conclue le 20 novembre 2013, avec effet au 1er janvier 2014. En vertu de l'article 4.5.5 de cette convention, les dispositions de l'article 4.9.6 de l'accord d'entreprise du 22 février 1982 du périmètre « ex SPS », relatif à l'indemnisation des frais de transport, s'appliquent exclusivement aux salariés du périmètre « ex SPS » qui bénéficiaient de leur versement au jour de la mise en œuvre de la convention ou qui en ont bénéficié antérieurement. En 2014, le salarié, qui était affecté sur un site anciennement exploité par la société SME, a été muté sur un site anciennement exploité par la société SPS.

Estimant subir une inégalité de traitement avec les salariés de la société anciennement SPS bénéficiaires de l'indemnisation de leurs frais de transport, il a saisi la juridiction prud'homale, pour obtenir, principalement, une certaine somme en remboursement d'indemnités kilométriques, au titre de l'indemnisation de ses frais de transport.

La cour d’appel [1] a fait droit à cette demande. Elle a estimé que la différence de traitement instaurée par l'accord d'entreprise Héraklès devait être considérée comme présumée justifiée en ce qu'elle concerne des salariés appartenant à la même entreprise, mais à des établissements ou sites distincts et qu'il appartenait au salarié d'établir qu'elle était étrangère à toute considération de nature professionnelle. Or, d’après les juges d’appel, cette preuve était rapportée dès lors que cette différence concerne le coût des déplacements domicile-travail, lesquels sont exclus du champ du temps de travail effectif, que le montant de l'avantage consenti varie selon le lieu de domicile choisi librement par le salarié et qu'elle repose ainsi entièrement sur des caractéristiques personnelles du salarié, relevant de sa vie privée.

Au soutien de son pourvoi, l’employeur, plagiant une jurisprudence alors établie, arguait qu’est justifiée la différence de traitement entre des salariés découlant du maintien d'un avantage acquis à la suite de la mise en cause d'un accord collectif dans les conditions prévues par l'article L. 2261-14 du Code du travail, que ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord.

La Cour de cassation casse l’arrêt pour violation du huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, du principe d'égalité de traitement et de l'article 4.5.5 de la convention d'entreprise Héraklès du 20 novembre 2013. Elle énonce que les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise, opérées par un accord de substitution négocié et signé, en application de l'article L. 2261-14 du Code du travail, par les organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l'ensemble de cette entreprise et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. Statuant au fond, la Cour déboute le salarié de sa demande tendant au remboursement d'indemnités kilométriques au titre de l'indemnisation de ses frais de transport. Elle estime, ainsi, que la différence de traitement résultant du maintien, par l'accord de substitution du 20 novembre 2013, au profit des seuls anciens salariés du site de la société absorbée qui bénéficiaient de cet avantage à la date d'effet de cet accord ou qui en avaient bénéficié antérieurement, de l'indemnisation de leurs frais de transport entre leur domicile et leur lieu de travail, n'est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle.

I. D’une justification objective des différences de traitement résultant d’un accord de substitution à un accord mis en cause…

On le sait, le régime de la mise en cause est calqué sur celui de la dénonciation. Une négociation doit s'engager dans l'entreprise d’accueil, à la demande de l’une des parties intéressées, dans les trois mois suivant la mise en cause, soit pour l'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l'élaboration de nouvelles stipulations [2]. L’accord dont l’application est mise en cause continue de produire effet - à l’égard des salariés transférés - jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord qui lui est substitué [3] ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de « préavis » (les guillemets se justifient dans la mesure où il ne s’agit pas à proprement parler d’un préavis, l’employeur n’ayant pas nécessairement la maîtrise des événements qui conduisent à la mise en cause). Toutefois, les salariés transférés sont soumis immédiatement à l’accord de l’entreprise d’accueil ; il en résulte un concours d’accords collectifs, conduisant à l’application de la disposition la plus favorable au salarié (déterminée suivant la méthode classique de comparaison des avantages ayant le même objet ou la même cause) [4]. À l’expiration du délai de survie (et à défaut de conclusion d’un accord de substitution), les salariés transférés bénéficiaient, avant l’entrée en vigueur de la loi « Travail » du 8 août 2016, du maintien des avantages individuels acquis. Ils peuvent désormais prétendre, le cas échéant, à une garantie de rémunération.

Dans l’affaire qui nous occupe, les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016. Selon une jurisprudence jusqu’alors établie, l’obligation pour le nouvel employeur de maintenir les avantages individuels acquis au profit des salariés transférés (ici, le versement d’indemnités kilométriques aux salariés éligibles), en l’absence de conclusion d’un accord de substitution, donc, constituait une justification objective à la différence de traitement au détriment des salariés de l’entreprise d’accueil. Il en allait de même lorsque le maintien d’un avantage acquis résultait d’un accord de substitution, que ce soit à la suite de la mise en cause [5] ou de la dénonciation [6] d’un accord collectif. Pour le dire autrement, et pour rester dans l’hypothèse de la mise en cause de l’application d’un accord, la différence de traitement résultant du maintien, au profit des salariés transférés, des avantages individuels acquis était forcément justifiée, la Cour de cassation énonçant de façon péremptoire que le principe d’égalité de traitement n’était pas méconnu. Car, en effet, les différences de traitement sont autorisées à condition qu'elles reposent sur des raisons objectives, matériellement vérifiables et pertinentes.

À noter que sont objectivement justifiées, les différences de traitement résultant du maintien, au profit des salariés transférés, des usages qui étaient en vigueur dans leur entreprise d’origine. L'obligation à laquelle est légalement tenu le nouvel employeur, en cas de transfert d'une entité économique, de maintenir, au bénéfice des salariés qui y sont rattachés, les droits qu'ils tiennent d'un usage en vigueur au jour du transfert (tant qu’il ne l’a pas dénoncé, tout au moins), justifie ainsi la différence de traitement qui en résulte par rapport aux autres salariés [7]. De façon contestable, cette jurisprudence, qui ne devrait pas être remise en question, a été étendue au cas de l’« application volontaire » de l’article L. 1224-1 du Code du travail [8].

II. … à une présomption de justification des différences de traitement opérées par un accord de substitution à un accord mis en cause

Sans qu’il soit utile ici de retracer les étapes de l’évolution jurisprudentielle antérieure, l’on se souvient que, par trois arrêts du 27 janvier 2015 [9], la Cour de cassation a, renversant la charge de la preuve, instauré une présomption de justification des différences de traitement instituées par voie conventionnelle. C’est le vote des salariés qui justifie ce privilège accordé à la convention collective : les différences de traitement entre catégories professionnelles, opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. Ce n’est donc plus à l’employeur de prouver que les différences de traitement, instituées entre catégories professionnelles par accord collectif, sont justifiées par des raisons objectives [10], mais c’est à ceux qui les contestent « de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ». Cette présomption de justification des différences de traitement opérées par voie conventionnelle a été étendue aux différences de traitement entre salariés d’une même catégorie professionnelle occupant des fonctions distinctes [11] et aux différences de traitement entre salariés d’établissements distincts, instituées par accord d’établissement [12] ou par accord d’entreprise [13]. Dans un arrêt de revirement du 30 novembre 2017, la Haute Cour a, encore, estimé que la différence de traitement entre les salariés dont le contrat de travail a été transféré en application d'une garantie d'emploi instituée par voie conventionnelle n'était pas étrangère à toute considération de nature professionnelle et se trouvait dès lors justifiée au regard du principe d'égalité de traitement [14]. Pour finir ce rapide panorama, rappelons que, dans un arrêt du 3 avril 2019, la Cour de cassation a refusé de poser une présomption générale de justification des différences de traitement opérées par voie conventionnelle [15]. Cette mise au point n’empêche pas, dans les domaines ne faisant intervenir ni le droit de l’Union européenne ni une possible discrimination, la reconnaissance de nouvelles présomptions de justification, comme l’illustre l’arrêt sous analyse du 5 février 2025.

De fait, cet arrêt transpose la formule inaugurée en 2015 aux différences de traitement opérées par un accord de substitution [16], qu’il s’agisse, comme en l’espèce, d’un accord de substitution à un accord dont l’application est mise en cause ou qu’il s’agisse, sans nul doute, d’un accord de substitution à un accord dénoncé, les jurisprudences étant siamoises en la matière. En cas de mise en cause d’un accord collectif, il est toutefois possible, depuis la loi « Travail » du 8 août 2016, d’éviter les tensions résultant d’une différence de traitement entre salariés transférés et salariés de l’entreprise d’accueil en concluant un accord d’anticipation [17], accord valant accord de substitution au sens du premier alinéa de l'article L. 2261-14 et neutralisant le mécanisme de la garantie de rémunération.

Il est tentant de penser, au premier abord, que les différences de traitement opérées par un accord de substitution seront désormais plus difficiles à maintenir : considérées comme objectivement justifiées hier, elles sont aujourd’hui susceptibles de tomber si la preuve est apportée qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. Toutefois, il est fort probable que toute différence de traitement résultant du maintien, par un accord de substitution, d’un avantage conventionnel au profit des seuls salariés qui en bénéficiaient en vertu d’un accord mis en cause, ne sera jamais étrangère à toute considération de nature professionnelle [18]. En réalité, peu importe la nature de l’avantage en question [19] ; ce qui explique que les différences de traitement ne sont pas étrangères à toute considération de nature professionnelle est le régime légal [20] du transfert des contrats de travail. Finalement, peu importe que les différences de traitement résultant du maintien des avantages individuels acquis - du bénéfice de la garantie de rémunération désormais - par un accord de substitution soient, d’objectivement justifiées, devenues présumées justifiées : la présomption de justification qui les protège, pouvant être renversée par une preuve qui semble impossible, n’est dès lors pas si « simple » [21].

Les différences de traitement opérées par un accord de substitution ont donc encore de beaux jours devant elles, tandis que celles qui résultent de l’application du mécanisme de la garantie de rémunération en l’absence de conclusion d’un accord de substitution devraient continuer à être jugées comme ne méconnaissant pas le principe d’égalité de traitement, puisqu’il s’agit d’un dispositif qui s’impose à l’employeur, en vertu de l’article L. 2261-14 du Code du travail.


[1] CA Bordeaux, 28 septembre 2022, n° 19/04395 N° Lexbase : A02748NH.

[2] C. trav., art. L. 2261-14, dernier al. N° Lexbase : L1464LKG.

[3] L’accord de substitution étant celui qui résulte de la négociation qui doit s’engager dans l’entreprise d’accueil : Cass. soc., 14 mai 1992, n° 88-45.316 N° Lexbase : A9354AAP, Bull. civ. V, n° 310.

[4] A cet égard, l’accord de 2012 « relatif à la période transitoire » est illicite.

[5] Par ex., Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, FS-P+B N° Lexbase : A0465D3M, RJS, 2008, n° 205 : « le maintien d'un avantage acquis en cas de mise en cause de l'application d'un accord collectif dans les conditions prévues à l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail ne méconnaît pas le principe "à travail égal, salaire égal", que ce maintien résulte d'une absence d'accord de substitution ou d'un tel accord ». Dans le même sens : Cass. soc., 27 octobre 2010, n° 09-41.292, FS-D N° Lexbase : A0339GDW. L’on sait que le principe d’égalité de traitement résulte de l'extension de la règle « à travail égal, salaire égal ».

[6] Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, FS-P+B+R N° Lexbase : A4724DXA, RJS, 2007, n° 1065.

[7] Par ex., Cass. soc., 30 mai 2018, n° 17-12.782, FP-P+B N° Lexbase : A1644XQX, RJS, 2018, n° 565.

[8] Cass. soc., 24 juin 2021, n° 18-24.809 N° Lexbase : A40764XA et n° 18-24.810 N° Lexbase : A39534XP, FS-B, RJS, 2021, n° 523. Il s’agissait en réalité d'un changement volontaire d'employeur résultant d'une convention entre les employeurs successifs et le salarié.

[9] Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3401NA9, n° 13-25.437, FS-P+B N° Lexbase : A6934NA3 et n° 13-14.773, FS-P+B N° Lexbase : A7024NAE, RJS, 2015, n° 172. V., not., J.-G. Huglo, Statut catégoriel et principe d'égalité de traitement : le pouvoir restitué aux partenaires sociaux, RJS, mars 2015, n° 155.

[10] Faire peser cette preuve sur l’employeur était tout de même délicat lorsque l’accord en question était un accord de branche…

[11] Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0807RSP, RJS, 2016, n° 542.

[12] Cass. soc., 3 novembre 2016, n° 15-18.444, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9178SEN, RJS, 2017, n° 7 ; Cah. soc., décembre 2016, n° 119u6, p. 609, obs. F. Canut.

[13] Cass. soc., 4 octobre 2017, n° 16-17.517, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7346WTA, RJS, 2017, n° 780 ; Cah. soc., novembre 2017, n° 121u8, p. 538, obs. F. Canut.

[14] Cass. soc., 30 novembre 2017, n° 16-20.532, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9773W3D, Cah. soc., Janvier 2018, n° 122d3, p. 31, obs. F. Canut ; RDT, 2018, 56, obs. A. Fabre.

[15] Cass. soc., 3 avril 2019, n° 17-11.970, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0013Y8Y, RJS, 2019, n° 338 ; Bull. Joly Travail, juin 2019, n° 111s8, p. 30, obs. F. Bergeron-Canut. En l’espèce, la Cour a considéré que n’était pas présumée justifiée, une différence de traitement fondée sur la date de présence sur un site.

[16] Dans son rapport, Madame Sommé note que l’arrêt du 4 octobre 2017 ayant étendu la présomption de justification aux différences de traitement entre salariés d’établissements distincts, instituées par accord d’entreprise (Cass. soc., 4 octobre 2017, n° 16-17.517, préc.) concernait déjà un accord de substitution (rapport complémentaire de Madame Sommé, conseillère, p. 9). L’arrêt du 5 février 2025 opérerait ainsi une généralisation de la solution, tout en l’officialisant.

[17] Accord de « transition » à durée déterminée, applicable aux seuls salariés transférés, au terme duquel les accords applicables dans l’entreprise ou l’établissement du cessionnaire s’appliquent (C. trav., art. L. 2261-14-2 N° Lexbase : L6704K98) ou accord « d’adaptation », qui se substitue aux accords mis en cause et révise ceux qui sont applicables chez le cessionnaire (C. trav., art. L. 2261-14-3 N° Lexbase : L6705K99).

[18] Ce que reconnaît l’Avocate générale, qui explique que la solution restera la même que celle qui résultait de la jurisprudence antérieure, « mais avec une formulation en ligne avec l’évolution de la jurisprudence relative au principe de l’égalité de traitement depuis 2015 » (Avis de Madame Laulom, Avocate générale, p. 4 [en ligne]).

[19] Comme le souligne Madame Sommé dans son rapport, la Cour de cassation n’a pas, à ce jour, donné d’indication à propos de ce que pourrait être un avantage étranger à toute considération de nature professionnelle (rapport précité, p. 14).

[20] En matière de transfert conventionnel des contrats de travail, l’arrêt précité du 30 novembre 2017 aurait instauré une présomption irréfragable de justification des différences de traitement (J.-G. Huglo, Accords collectifs et principes d'égalité de traitement : la métamorphose du rôle du juge, RJS, mars 2018, n° 179, spéc. § 10). L’on peut ne pas être convaincu, tant il est douteux qu’une présomption irréfragable puisse être d’origine prétorienne. Surtout, les accords de branche étendus prévoyant le transfert des salariés n’instaurent pas en eux-mêmes une différence de traitement entre les salariés de l’employeur sortant et ceux de l’employeur entrant ; cette différence de traitement résulte de la reprise des salariés transférés aux conditions qui leur étaient applicables chez leur employeur d’origine. Sans doute est-il préférable de voir dans ce revirement une application anticipée de l’article L. 1224-3-2 du Code du travail N° Lexbase : L8126LG3, tel qu’issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN.

[21] La présomption de justification des différences de traitement opérées par voie conventionnelle est présentée comme une présomption simple (v., par ex., le rapport précité de Madame Sommé, p. 6). En réalité, il s’agirait plutôt d’une présomption mixte, puisqu’elle ne peut être renversée que par la preuve que les différences de traitement sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (l’objet de la preuve contraire est, ainsi, déterminé). L’on avouera demeurer perplexe devant la faculté que la Cour de cassation s’est reconnue de créer une présomption (qu’elle soit simple, mixte ou soi-disant irréfragable dans le cas du transfert conventionnel des contrats de travail) qui opère un renversement de la charge de la preuve. Ce type de présomptions n’est-il l’apanage du législateur (C. civ., art. 1354 N° Lexbase : L1012KZI), tandis que les présomptions judiciaires sont des moyens de preuve, qui n’opèrent pas du tout de la même manière (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1018KZQ) ?

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