COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 28 SEPTEMBRE 2022
PRUD'HOMMES
N° RG 19/04395 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LFQE
Monsieur [Z] [C]
c/
SAS ARIANEGROUP venant aux droits de la SA Héraklès
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 juillet 2019 (R.G. n°F 16/01815) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 31 juillet 2019,
APPELANT :
Monsieur [Z] [C]
né le … … … à [Localité 2] de nationalité Française
Profession : Opérateur matériaux composites, demeurant [… …]
assisté de Me Nadia BOUCHAMA, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS ArianeGroup venant aux droits de la SA Héraklès, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 3]
N° SIRET : 519 032 247
représentée par Me Carole MORET de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'
article 805 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 20 juin 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Sophie Masson, conseillère
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sophie Masson, conseillère
Monsieur Rémi Figerou, conseiller
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'
article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile🏛.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [Aa] [C], né en 1984, a été engagé en qualité de conducteur d'unité de fabrication par la société SNPE Matériaux Energétiques (ci-après dénommée société SME), située à [Localité 5], par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 février 2010.
Le 1er mai 2012, la société Snecma Propulsion Solide (ci-après dénommée société SPS), située au [Localité 4], a été absorbée par la société SME, la société prenant alors la dénomination sociale de 'société Héraklès'.
Cette opération de fusion entraînant l'application des dispositions légales en matière de mise en cause des conventions et accords collectifs, à savoir maintien des accords en vigueur jusqu'à l'adoption d'un accord de substitution, dans un délai de 15 mois, un accord relatif à la période transitoire a été conclu le 27 juin 2012 : il était convenu que les salariés des sociétés fusionnées, SME comme SPS, conservaient distinctement leurs statuts sans « cumul ni simultanéité des Accords entre ceux de SME et ceux de SPS ».
Le 10 juin 2013, un accord d'entreprise à durée déterminée a prorogé la durée de survie des accords mis en cause du fait de la fusion et prolongé de fait la période transitoire.
Le 20 novembre 2013, une 'convention' d'entreprise, prenant effet au 1er janvier 2014 a été signée entre la société Héraklès et les partenaires sociaux.
L'article 4.5.5 de cette 'convention' (chapitre 4) relatif aux indemnités des frais de transport stipule qu'à compter de l'entrée en vigueur de celle-ci, seuls les salariés 'ex- SPS' continueront à bénéficier de l'article 4.9.6 de l'accord conclu au sein de l'entreprise SPS le 22 février 1982, antérieurement à la fusion, qui prévoyait que lorsque les horaires de début ou de fin de poste d'équipe ne permettent pas aux salariés d'utiliser les transports en commun, ceux-ci perçoivent des indemnités kilométriques calculées sur la distance domicile/lieu de travail dans la limite d'un plafond journalier de 84 km aller/retour.
L'article 4.5.5 précise que la 'direction s'engage à réunir les partenaires sociaux au cours de l'année 2014 afin d'étudier un dispositif concernant les nouveaux arrivants dans ces secteurs'.
Par avenant signé le 1er janvier 2014 régularisant sa situation auprès de son nouvel employeur, M. [C] a été positionné niveau 3, échelon 3, coefficient 240 de la grille de classification de la nouvelle 'convention' collective Héraklès, moyennant un salaire mensuel brut à hauteur de 1.866,39 euros, pour 34 heures de travail par semaine organisées en 2x8 ou 5x8.
Le 1er mars 2014, M. [C] a été muté du site de [Localité 5] ('ex-SME') à celui du [Localité 4] ('ex-SPS'), étant affecté sur un poste en 2x8.
Suite à cette mutation, des contestations sont nées entre les parties concernant l'indemnisation des frais de transport du salarié, celui-ci revendiquant le remboursement de ces frais de trajet selon les modalités résultant de l'accord de l'entreprise 'ex-SPS'
susvisé.
Le 8 juillet 2016, demandant le remboursement de ces frais, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 3 juillet 2019, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la
société de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et a condamné M. [C] aux dépens.
Par déclaration du 31 juillet 2019, M. [C] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 octobre 2019, M. [C] demande à la cour de réformer la décision déférée en ce qu'elle l'a débouté de l'ensemble de ses prétentions et, statuant à nouveau, de :
- dire qu'il subit une différence de traitement injustifiée au regard des salariés présents sur le site 'ex-SPS' au moment de l'entrée en vigueur de l'accord Héraklès,
- condamner la SAS ArianeGroup, venant aux droits de la SA Héraklès, à lui verser les sommes suivantes :
* à titre principal : 20.764,80 euros correspondant au remboursement des indemnités kilométriques, à parfaire au jour du prononcé de la décision,
* à titre subsidiaire : 10.382,40 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier d'un système d'indemnités kilométriques en raison de l'inexécution par la société de l'article 4.5.5 de la 'convention Héraklès' du 20 novembre 2013,
- condamner la SAS ArianeGroup, venant aux droits de la société Héraklès, à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et la condamner aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 janvier 2020, la société ArianeGroup, venant aux droits de la société Héraklès, demande à la cour de':
- confirmer le jugement rendu,
- dire que M. [C] ne subit pas une différence de traitement injustifiée au regard des salariés présents sur le site 'ex-SPS' au moment de l'entrée en vigueur de la convention Héraklès,
- débouter M. [C] de sa demande principale de remboursement d'indemnités kilométriques,
- débouter M. [C] de sa demande subsidiaire au titre de la perte de chance de bénéficier d'un système d'indemnités kilométriques en raison de l'inexécution de l'article 4.5.5. de la convention Héraklès du 20 novembre 2013,
- débouter M. [C] du surplus de ses demandes,
- condamner M. [C] au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mai 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 20 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande principale de M. [C] au titre de la différence de traitement
En vertu du principe 'à travail égal, salaire égal', l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
Les accords collectifs sont soumis au principe d'égalité de traitement, en sorte que les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré, doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.
Cependant, un accord de substitution peut instaurer un avantage au profit des salariés présents dans l'entreprise avant son entrée en vigueur lorsqu'il a pour objet de compenser un préjudice subi par ces salariés lors de l'entrée en vigueur de l'accord.
L'article 4.5.5 de l'accord d'entreprise Héraklès instaure dans son article 4.5.5 une différence de traitement entre d'une part, les salariés 'ex-SPS' qui, lorsque l'heure de début ou de fin de leur prise de poste ne leur permet pas d'utiliser les transports en commun, continuent à percevoir une indemnité kilométrique calculée en fonction de la distance domicile/lieu de travail dans la limite d'un plafond journalier de 84 km aller/retour - les salariés des autres sites de l'entreprise ne bénéficiant pas de cette prise en charge - et, d'autre part, entre les salariés 'ex-SPS' et ceux arrivés sur le site du [Localité 4] après le 1er janvier 2014 qui se voient refuser le paiement de cette indemnité, à l'instar de M. [C], dont il n'est pas contesté qu'il effectue depuis sa mutation sur ce site, soit à compter du mois de mars 2014, le même travail que les salariés 'ex-SPS' placés, comme lui, en situation de travail posté.
Or, M. [C], salarié de l'établissement du [Localité 4] depuis mars 2014, était déjà employé de la société Héraklès avant la signature de l'accord de substitution et, sa situation est rigoureusement identique à celle ses collègues 'ex-SPS' et le contraint, comme eux, à engager des frais lorsqu'il doit, en raison de ses heures d'embauche ou de débauche, utiliser un moyen de transport personnel.
L'accord d'entreprise crée donc à la fois une différence de traitement d'ordre 'géographique'en distinguant les salariés du site du [Localité 4] auxquels est accordé un avantage dont les salariés des autres sites ne bénéficient pas mais également, au sein de l'établissement du [Localité 4], une différence de traitement d'ordre 'temporel' en fonction de la date de présence des salariés sur ce site et ce, alors même que la société Héraklès employait déjà M. [C] avant la signature de l'accord de substitution, même si celui-ci n'a été muté sur le site du [Localité 4] que postérieurement à cet accord.
Sont présumées justifiées les différences de traitement opérées par voie de convention ou d'accord collectif :
- entre catégories professionnelles,
- entre salariés exerçant, au sein d'une même catégorie professionnelle, des fonctions
distinctes,
- entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements ou sites distincts.
La différence de traitement instaurée par l'accord d'entreprise Héraklès doit être considérée comme présumée justifiée en ce qu'elle concerne des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements ou sites distincts.
Il appartient dès lors à M. [C] d'établir qu'elle est étrangère à toute considération de nature professionnelle.
Cette différence concerne le coût des déplacements domicile-travail, lesquels sont exclus du champ du temps de travail effectif outre que le montant de l'avantage consenti varie selon le lieu de domicile choisi librement par le salarié.
Elle repose ainsi entièrement sur des caractéristiques personnelles du salarié, relevant de sa vie privée et est donc étrangère à toute considération de nature professionnelle.
Il sera en conséquence considéré que cette différence porte atteinte au principe d'égalité de traitement, le maintien d'un avantage résultant d'un accord d'entreprise antérieur à la fusion au profit des seuls salariés présents dans l'établissement avant cette fusion, et le refus subséquent de cet avantage à un salarié, qui était déjà présent dans l'entreprise mais employé sur un autre site, ne constituant pas une raison objective et pertinente de nature à la justifier.
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Le décompte de la somme réclamée par M. [C], établi de mars 2014 à février 2019, sur la base d'une part, des kilomètres parcourus entre son domicile, situé à [Localité 6] et le site du [Localité 4] (soit 70 kms aller-retour) et de la puissance fiscale de son véhicule, ne fait l'objet d'aucune critique émise par la société qui sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 20.764,80 euros à titre de remboursement des frais de transport exposés de mars 2014 à février 2019 inclus ; pour la période postérieure, M. [C] devra présenter à la société un décompte du rappel dû, les parties étant invitées, en cas de difficulté sur le montant des sommes dues, à saisir à nouveau la cour.
Sur les autres demandes
La société ArianeGroup, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [C] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Condamne la société ArianeGroup à payer à M. [Z] [C] la somme de 20.764,80 euros à titre de remboursement des frais de transport exposés de mars 2014 à février 2019 inclus,
Dit que pour la période postérieure, M. [Aa] [C] devra présenter à la société un décompte du rappel dû, les parties étant invitées, en cas de difficulté sur le montant, à saisir à nouveau la cour,
Condamne la société ArianeGroup aux dépens ainsi qu'à payer à M. [Z] [C] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire