Le Quotidien du 12 février 2025 : Actualité judiciaire

[A la une] Deux siècles après, la justice ordonne à la mairie de Biarritz de débaptiser le quartier « La Négresse »

Réf. : CAA Bordeaux, 4ème ch., 6 février 2025, n° 24BX00144 N° Lexbase : A68896TC

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par Vincent Vantighem

le 11 Février 2025

Quelques heures avant que la décision ne soit rendue, un proche conseiller de la maire de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) ne cachait pas son pessimisme. « Honnêtement, vu la tournure qu’ont pris les débats sur cette question et surtout l’air du temps, je pense qu’on est mal barrés... » Ce n’est pas l’air du temps mais bien la justice qui est venue confirmer ses craintes, jeudi 6 février.

La cour administrative d’appel de Bordeaux (Gironde) a enjoint Maider Arosteguy, la maire (Les Républicains) de Biarritz, de débaptiser le quartier de « la Négresse », situé au sud-est de la cité pyrénéenne, non loin du lac de Mouriscot. Suivant l’avis de la rapporteure publique donné lors de l’audience, mi-janvier, la cour a souligné que le terme de « Négresse » était « de nature à porter atteinte à la dignité humaine » et peut être perçu comme « comportant un caractère offensant à l’égard des personnes d’origine africaine. »

En conséquence, la maire dispose d’un délai de trois mois pour convoquer un conseil municipal, seul compétent pour décider de modifier le nom du lieu-dit en procédant à l’abrogation de deux délibérations datant de 1861 et 1986.

La cour a donc donné raison à l’association Mémoires et Partages qui, depuis Bordeaux, se bat sur ses questions mémorielles depuis des années. En réalité, la première demande remonte à 2019. Après un refus de la maire de Biarritz, l’association avait saisi le tribunal administratif de Pau qui avait rejeté son recours par un jugement rendu en décembre 2023. Mais l’association n’a pas abandonné et a choisi de saisir la cour administrative d’appel qui lui a donc donné raison. « C’est le triomphe des valeurs de la République, a ainsi réagi Karfa Diallo, le président de l’association. Cet outrage n’avait que trop duré. Il était temps d’y mettre un terme... »

Une auberge tenue par une femme ou une terre d’argile ?

Difficile en effet de savoir à quand remonte exactement l’appellation de ce quartier de la Négresse. Et surtout les raisons. D’après plusieurs historiens, il faut en réalité remonter au début du 19ème siècle pour trouver les premières traces du mot « Négresse » dans les rues de Biarritz. Selon les recherches, ce sont en réalité des soldats napoléoniens qui auraient baptisé les lieux en raison de la présence d’une auberge tenue par « une femme très brune ». D’après ces mêmes historiens, il est probable que cette femme était elle-même esclave ou descendante d’esclave. D’autres sources locales attribuent l’appellation de ce quartier à une expression gasconne désignant une terre d’argile présente dans cette partie de la ville. La « lane gresse ». Sans certitude évidemment.

Mais pour les magistrats, peu importe. « Quelles que soient l’origine supposée de cette appellation, le terme « La Négresse » évoque aujourd’hui, de façon dévalorisante l’origine raciale d’une femme dont l’identité n’a d’ailleurs pas été formellement identifiée », souligne la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un communiqué.

La maire de Biarritz envisage de saisir le Conseil d’État

Une explication à laquelle ne souscrit pas la maire de Biarritz qui rappelle que les termes « La Négresse » ne figurent aujourd’hui que sur une plaque de rue et un panneau signalétique. « La décision signifie que la justice n’a pas suivi l’explication historique de ce nom mais a préféré rester sur une lecture contemporaine », a-t-elle réagi dans un communiqué.

Tout en annonçant son intention de vouloir porter ce débat devant le Conseil d’État, elle s’est montrée radicale dans sa façon de voir les choses. « De toute façon, même si la justice nous impose le changement de nom, les Biarrots continueront d’appeler le quartier comme ça ! »

Karfa Diallo, lui, n’a pas peur de l’évolution de la société. Il en veut pour preuve le fait que la décision a été rendue dans l’hôtel Nairac, un ancien hôtel particulier abritant aujourd’hui la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a appartenu à la plus importante famille négrière de Bordeaux au 18ème siècle. Comme quoi, les temps changent…

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