Réf. : Cass. civ. 3, 3 octobre 2024, n° 23-11.448, F-D N° Lexbase : A930058X
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N0650B3H
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 15 Octobre 2024
► Le demandeur doit prouver l’anormalité du trouble ; l’urbanisation ne fait pas obstacle à la caractérisation d’un préjudice consécutif à une perte d’ensoleillement constitutive d’un trouble anormal du voisinage.
Longtemps fondé sur les dispositions des articles 544 N° Lexbase : L3118AB4 et 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 du Code civil, la formule selon laquelle « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage » est aujourd’hui un principe général du droit. Autrement dit, cette création prétorienne s’applique en tant que principe, sans fondement textuel particulier. Ainsi, un voisin qui s’estime victime d’un trouble anormal peut assigner le voisin, qu’il soit propriétaire ou non.
La mise en œuvre de l’action fondée sur les troubles anormaux du voisinage est redoutable. D’abord, parce qu’il s’agit d’une responsabilité objective. La preuve de l’absence de faute du voisin est indifférente (pour exemple : Cass. civ. 3, 25 octobre 1972, n° 71-12.434, publié au bulletin N° Lexbase : A9839CIA). Ensuite parce que la notion de trouble, forcément subjective, est, pour le moins, protéiforme (bruit, odeur, poussière, construction, végétation, glissement de terrain, eaux de pluie, etc.). Enfin, parce que seule l’anormalité du trouble importe (pour exemple, toujours : Cass. civ. 3, 2 décembre 1982, n° 80-13.159, publié au bulletin N° Lexbase : A7994CES), ce qui rend inopérant le respect de la règlementation applicable. Or, la qualification de ce qui est normal, ou non, est, à se risquer au jeu de mots, troublante en droit.
La présente espèce est l’occasion d’y revenir. Un maître d’ouvrage entreprend, sur un fonds lui appartenant, la construction d’un bâtiment adossé au mur pignon d’un immeuble appartenant à une SCI. Se plaignant de l’obturation en résultant de deux ouvertures existantes dans ce mur pignon, la SCI assigne sa voisine maître d’ouvrage en indemnisation de son préjudice. Elle est condamnée et forme un pourvoi en cassation. Elle y articule que la suppression d’un jour de souffrance, qui ne conduit qu’à mettre fin à une simple tolérance, ne peut pas constituer un trouble anormal du voisinage. Elle ajoute que le caractère anormal d’un trouble de voisinage s’apprécie in concreto au regard de l’environnement dans lequel il se produit.
La Haute juridiction considère que c’est à bon droit que la cour a retenu que si les jours de souffrance n’entraînent pas, en eux-mêmes, de restrictions au droit de propriété du voisin, ce principe ne fait pas obstacle à la possibilité d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de leur obstruction, même non fautive, dès lors que celui qui s’en prévaut démontre que celle-ci a eu des conséquences excédant les inconvénients normaux du voisinage.
En dépit de l’environnement très urbanisé des immeubles, impliquant la possibilité de subir des pertes d’ensoleillement en raison de la construction de nouveaux bâtiments, l’obturation des jours de souffrances occasionnait au voisin un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Ces dispositions jurisprudentielles ont récemment été codifiées (loi n° 2024-346, du 15 avril 2024 N° Lexbase : L1327MM4) à l’article 1253 du Code civil N° Lexbase : L1475MML qui dispose que :
« Les troubles anormaux du voisinage
« Art. 1253.-Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
« Sous réserve de l'article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n'est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d'activités, quelle qu'en soit la nature, existant antérieurement à l'acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d'acte, à la date d'entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s'être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal. »
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