Réf. : Cass. crim., 3 septembre 2024, n° 23-85.489, F-B N° Lexbase : A24045XC
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N0426B38
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par Giany Abbe, Avocat associé, Almée société d’avocats
le 30 Septembre 2024
Mots clés : changement de destination • déclaration préalable • réglementation d’urbanisme • établissement hôtelier
Dans un arrêt rendu le 3 septembre 2024, la Cour de cassation a énoncé qu'est illégal le changement de destination d'un hôtel en locations à fin d'habitation sans déclaration préalable.
Un particulier fait l’acquisition d’un terrain supportant un immeuble qui abritait un hôtel-restaurant.
Ayant donné à bail les locaux ainsi que plusieurs mobile-homes installés sur le terrain, il a été poursuivi des chefs de construction ou aménagement de terrain dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme et exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration.
Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces infractions, le condamne à 15 000 euros d'amende, ordonne la remise en état des lieux sous astreinte et se prononce sur les intérêts civils.
Le prévenu et le procureur de la République relèvent appel de cette décision.
Le 8 septembre 2023, en cause d’appel, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Montpellier, confirme les condamnations et porte la peine d’amende à 25 000 euros.
Pour déclarer le prévenu coupable, le juge d’appel énonce que, depuis le 1er octobre 2007, la réglementation des autorisations d'urbanisme reconnaît expressément qu'il existe des changements de destination sans travaux, soumis en ce cas à déclaration préalable.
Le juge ajoute que l’intéressé a acquis un bâtiment à usage d'hôtel au sens de l'article R. 123-9 ancien du Code de l'urbanisme, lequel conservait sa destination hôtelière, quelles que fussent les conditions antérieures d'exploitation ou l'éventuelle mise en sommeil de cette activité.
Il relève enfin que le prévenu n'exploite plus le bâtiment comme hôtel, mais comme habitation pérenne et en déduit que l’intéressé, en changeant ainsi la destination de l'immeuble sans déclaration préalable, a commis l'infraction pour laquelle il était poursuivi.
Le prévenu va se pourvoir en cassation contre cet arrêt.
La Haute juridiction retient qu’en statuant ainsi, dès lors que le changement de destination d'une construction existante, même non accompagné de travaux, doit faire l'objet d'une déclaration préalable en vertu des articles L. 421-1 N° Lexbase : L3419HZN et R. 421-17 N° Lexbase : L8664LDA du Code de l'urbanisme, la cour d'appel a légalement justifié sa position.
Le pourvoi est donc rejeté conformément à jurisprudence constante [1].
La Cour de cassation rappelle ainsi que le simple changement de destination, même sans travaux, est soumis au contrôle de l’administration et que la méconnaissance des obligations déclaratives y afférente est susceptible de donner lieu à des sanctions pénales.
Elle rappelle par ailleurs que, sauf cas particulier, la destination d’une construction ne se perd pas avec le temps
I. Le simple changement de destination sans travaux est soumis à déclaration préalable sous peine de sanctions pénales
La réglementation d’urbanisme, qu’elle soit locale ou nationale, est d’un contenu assez varié.
Parmi les objectifs qui lui sont assignés figure la définition et le contrôle de la destination des constructions.
C’est ainsi que le simple passage d’une destination à une autre est soumis à déclaration préalable (C. urb., art. R. 421-17) alors que le changement de destination qui s’accompagne d’une modification des structures porteuses ou de l’apparence extérieure du bâtiment est quant à lui soumis à l’obtention d’un permis de construire (C. urb., art. R. 421-14 N° Lexbase : L2746KWM).
Le changement de sous-destination au sein d’une même destination n’est pas soumis à autorisation au titre du droit de l’urbanisme, sauf à ce qu’il implique des travaux visés par le c) de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme.
Le changement de sous-destination peut néanmoins être soumis à autorisation au titre du code du tourisme (C. tourisme, art. L. 324-1-1 N° Lexbase : L2291LRB) de même que le changement de destination peut être contrôlé au titre d’une autre réglementation que celle de l’urbanisme, telle que la police de l’affectation (voir notamment les articles L. 631-7 N° Lexbase : L0141LNK et suivants du Code de la construction et de l’habitation qui encadrent spécifiquement les changements de destination des locaux à usage d’habitation dans certaines communes).
Il convient également de rappeler que les plans locaux d’urbanisme peuvent prévoir des règles différentes, au sein d’une même destination, pour chaque sous-destination.
Ils peuvent ainsi interdire ou soumettre à condition particulière les constructions ayant certaines sous-destinations (C. urb., art. R. 151-30 N° Lexbase : L0312KWH).
L’identification des destinations et des sous-destinations est donc importante puisqu’elle est déterminante de la nécessité d’obtenir une autorisation ou d’une incompatibilité avec les règles d’urbanisme lorsque, sans qu’une autorisation ne soit requise, le plan local d’urbanisme exclut certaines sous-destinations.
Les difficultés d’interprétation inhérentes à l’identification des destinations et sous-destinations idoines ont donné lieu par le passé à la production d’une jurisprudence abondante [2].
Le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 N° Lexbase : L0839KWY et l’arrêté du 10 novembre 2016 pris pour son application ont introduit dans le Code de l’urbanisme des définitions réglementaires des destinations et sous-destinations pouvant désormais être utilisés par les auteurs des documents d’urbanisme.
L’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2693MH9 précise ainsi que les auteurs des plans locaux d’urbanisme ont le choix entre les cinq types de destinations suivantes : exploitation agricole et forestière ; habitation ; commerce et activités de service ; équipements d'intérêt collectif et services publics ; autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.
Le contenu de chacune de ces destinations est précisé par un certain nombre de sous-destinations mentionnées à l’article R. 151-28 du code N° Lexbase : L2694MHA. On peut souligner à cet égard que la destination « habitation » comprend les sous-destinations « logement et hébergement » quand la destination « commerce et activités de service » comprend quant à elle les activités de « restauration » et « d’hébergement hôtelier et touristique ».
Un arrêté du 10 novembre 2016 (modifié) définit les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu.
La sous-destination « logement » recouvre les constructions destinées au logement principal, secondaire ou occasionnel des ménages à l'exclusion des hébergements couverts par la sous-destination « hébergement ». La sous-destination « logement » recouvre notamment les maisons individuelles et les immeubles collectifs. La sous-destination « hébergement » recouvre les constructions destinées à l'hébergement dans des résidences ou foyers avec service. Cette sous-destination recouvre notamment les maisons de retraite, les résidences universitaires, les foyers de travailleurs et les résidences autonomie (article 2 de l’arrêté).
L’article 3 de cet arrêté précise quant à lui que :
« La sous-destination 'restauration' recouvre les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d'une clientèle.
La sous-destination 'hôtels' recouvre les constructions destinées à l'accueil de touristes dans des hôtels, c'est-à-dire des établissements commerciaux qui offrent à une clientèle de passage qui, sauf exception, n'y élit pas domicile, des chambres ou des appartements meublés en location, ainsi qu'un certain nombre de services.
La sous-destination 'autres hébergements touristiques' recouvre les constructions autres que les hôtels destinées à accueillir des touristes, notamment les résidences de tourisme et les villages de vacances, ainsi que les constructions dans les terrains de camping et dans les parcs résidentiels de loisirs ».
Toute évolution de la destination reconnue à un bâtiment doit, selon les cas, être précédée d'un permis de construire ou d'une déclaration préalable sous peine de commettre l'infraction pénale définie à l'article L. 480-4 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0991MMN, lorsque les travaux visés à l’article R. 421-14 du même code N° Lexbase : L2746KWM ont été réalisés ou, par l’article L. 610-1 du même code N° Lexbase : L0028LND, dans le cas d’un changement de destination opéré sans travaux.
L’infraction se prescrit par six ans à compter du jour où le changement de destination a été réalisé (CPP, art. 8 N° Lexbase : L3314MMP) et l’action civile ouverte à la commune ou à l’établissement public de coopération intercommunal est en enfermée dans un délai de dix ans à compter de cette date (C. urb., art. L. 480-14 N° Lexbase : L5020LUH).
Aux termes de la première branche de son moyen développé en cassation, le requérant soutenait que le changement de destination d'un hôtel en locations à fin d'habitation n’était susceptible de constituer une infraction pénale que si l'existence des travaux ayant eu pour effet ce changement de destination, pouvait être caractérisée.
L’argument était développé au visa de l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme qui précise que c’est bien « le fait d'exécuter des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 et L. 421-5-3 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable » qui « est puni d'une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d'une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l'article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros ».
Selon le requérant, en se bornant à constater que le prévenu avait modifié la destination de l'hôtel en le transformant en logements destinés à la location sans caractériser l'existence de travaux ayant eu pour effet ce changement de destination, la cour d'appel aurait violé les dispositions sanctionnant les changements de destination effectués en méconnaissance de la réglementation d’urbanisme.
La chambre criminelle de la Cour de cassation écarte ce raisonnement en rappelant qu'il existe des changements de destination sans travaux, soumis en ce cas à déclaration préalable et que le fait d’opérer de tels changements sans les autorisations requises est effectivement passible de sanctions pénales.
Dans une précédente affaire, la Cour de cassation avait déjà affirmé que l’exécution de travaux n’était pas requise pour caractériser l’infraction.
Seule suffit l’affectation du bâtiment à un usage autre que celui pour lequel il était originellement destiné [3].
Il convient de relever à cet égard que la Cour de cassation retient l’infraction lorsque le changement de destination n’est que partiel, c’est-à-dire limitée à une partie du bâtiment (même décision).
II. La destination d’un établissement hôtelier ne se perd pas du fait de l’absence d’exploitation dans le temps
En droit de l’urbanisme, le changement de destination est en principe instruit au regard de la destination initiale du bâtiment ainsi que, le cas échéant, tout changement ultérieur de destination qui a fait l'objet d'une autorisation [4].
La destination ne se perd ainsi pas avec le temps et notamment avec le défaut d’usage du bâtiment conformément à sa destination initiale [5].
Le fait qu'une construction soit restée inoccupée ou inexploitée pendant une longue période ne la prive pas de sa destination, celle-ci ressortissant de ses caractéristiques propres et non de l'usage effectif des locaux à la date de la déclaration [6].
Une cour administrative d'appel commet ainsi une erreur de droit en jugeant que des dispositions d’un PLU autorisant sous conditions l’extension pour l’habitation de constructions d’un bâtiment implanté en zone agricole devaient être entendues comme autorisant l'aménagement et l'extension des seules constructions effectivement utilisées pour l'habitation à la date de la demande d'autorisation [7].
Il a également été jugé que l'inoccupation d'une maison pendant une longue période ne change pas sa destination quand bien même celle-ci serait désormais enfouie sous la végétation sans pour autant être en ruine [8].
Ce principe, qui connait de rares exceptions, notamment lorsqu'une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire, impose au juge pénal de rechercher la destination initiale de l’immeuble, quand bien même celui-ci serait inutilisé, pour caractériser l’infraction de changement de destination réalisé sans autorisation [9].
Dans l’affaire commentée, le requérant faisait grief à la Cour de s’être référée à tort à la notion d’usage du bâtiment pour caractériser le changement de destination au lieu de se déterminer en considération de l’autorisation d’urbanisme sur la base de laquelle la construction avait été édifiée ou modifiée.
La Haute juridiction relève néanmoins que l’arrêt critiqué énonce que le prévenu avait acquis un bâtiment à usage d'hôtel au sens de l'article R. 123-9 ancien du Code de l'urbanisme, lequel conservait sa destination hôtelière, quelles que fussent les conditions antérieures d'exploitation ou l'éventuelle mise en sommeil de cette activité et nonobstant l'emploi erroné du terme usage au lieu de destination dans les motifs de la décision.
Par conséquent, ce dernier ne pouvait l’exploiter comme habitation sans justifier de l’obtention préalable d’une autorisation d’urbanisme.
Elle écarte ainsi la seconde branche du moyen et rejette le pourvoi après avoir relevé que l’arrêt était régulier en la forme.
Dans une précédente affaire, la Cour de cassation avait déjà pu juger que le défaut d'exploitation d’un hôtel ne lui faisait pas perdre sa destination et confirmer ainsi la décision prise par une cour d’appel d’avoir condamné les prévenus pour la transformation d’un ancien hôtel non exploité en logements locatifs [10].
[1] Voir Cass. crim., 26 février 2013, n° 12-80.973, F-D N° Lexbase : A8934I8E ; Cass. crim. 5 avril 2005, n° 04-83.124 N° Lexbase : A991154T.
[2] Voir notamment CE, 9 mars 1990, n° 83457 N° Lexbase : A5919AQB, pour la définition de la destination de service hôtelier.
[3] Cass. crim., 26 février 2013, n° 12-80.973, F-D N° Lexbase : A8934I8E.
[4] CE, 12 mars 2012, n° 336263 N° Lexbase : A5567IGB.
[5] CE, 9 décembre 2011, n°335707 N° Lexbase : A1762H4Z.
[6] CE, 12 mars 2012, n° 336263 N° Lexbase : A5567IGB.
[7] CE, 9 décembre 2011, n° 335707 N° Lexbase : A1762H4Z.
[8] CAA Bordeaux, 16 février 2018, n° 16BX00296 N° Lexbase : A365173M.
[9] Cass. crim., 14 juin 2005, n° 04-86.534 N° Lexbase : A991254U.
[10] Cass. crim., 5 avril 2005, n° 04-83.124, préc.
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