La lettre juridique n°996 du 26 septembre 2024 : Éditorial

[A la une] Henri Leclerc et la voie de l’engagement

Lecture: 4 min

N0420B3X

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[A la une] Henri Leclerc et la voie de l’engagement. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/111651569-a-la-une-henri-leclerc-et-la-voie-de-lengagement
Copier

par Matthieu Quinquis, avocat et président de la section française de l’Observatoire international des prisons

le 25 Septembre 2024

Depuis sa première visite à la Santé, Henri Leclerc disait avoir « toujours détesté la prison ». Soixante-dix ans de barreau, et autant de confrontations à l’institution judiciaire et l’abîme carcéral, semblaient n’y avoir rien changé. Toute sa vie, ses expériences et celles de ses clients auront cultivé son aversion et nourri le feu de son indignation.

Après s’être « colleté avec la peine de mort » et avoir tant bataillé pour obtenir son abolition, Henri Leclerc aurait pu être de ceux qui relativisent la réclusion criminelle à perpétuité. Il aurait pu s’inscrire dans le pas de ceux qui en minorent la violence et rejoindre les voix qui assènent, satisfaites, que la justice française n’est désormais plus une justice qui tue. 

Il n’en fut rien car il ne savait que trop, qu’en dépit de l’immense progrès conquis par la force des convictions, notre justice pénale reste aujourd’hui encore viciée par cette « peine désespérante et inhumaine ». Œuvrant des années durant à la libération de Lucien Léger ou plus récemment, celle de Philippe El Shennawy, il a conservé son irrésistible foi en l’âme humaine et rejeté le fatalisme. Il a toujours exclu « de jeter sa pierre avec les autres » et ne s’est jamais résolu à cet enfermement perpétuel.

Bien que sans illusion sur l’état de l’opinion publique, il nous pressait de nous confronter à la « cruauté » de ce « substitut non-sanglant » à la peine capitale.

Pour lui, si rien n’était jamais perdu, une victoire annonçait toujours de nouveaux combats. Lorsqu’en 1972 il embarque Albert Naud au procès des mutins de Charles III de Nancy, il l’avertit et le convainc que « même s’il gagnait sa lutte infatigable contre la peine de mort, il faudrait combattre l’inhumanité des prisons ». Compagnon du GIP, il aspire à faire entendre à cette audience « le scandaleux traitement des détenus au quotidien ». Il ne cessera ensuite de dire et décrire l’« intolérable » prison.

Dans les luttes carcérales, sa présence était égale et constante. Qu’il s’agisse de soutenir les prisonniers politiques, d’accompagner celles et ceux qui luttaient contre les quartiers de haute sécurité ou de se tenir aux côtés de toutes les âmes peuplant les détentions plus ordinaires, Henri Leclerc refusait finalement tout ce que la prison produit de plus détestable : la déshumanisation, l’abandon et l’oubli.

Laissant place au silence, sa disparition a affecté bien au-delà du cercle des gens de robe ; elle a atteint toutes celles et ceux qui, admirant son talent et estimant sa conscience, ont brutalement éprouvé l’inquiétude de ne plus entendre sa voix.

Sous la pluie fraîche de ses hommages s’esquissent le trait de son exigence et son refus de la fatalité ; il vivait avec toutes ces convictions chevillées au corps. Il n’a « cessé, en robe, de la plaider, disant à ceux qui allaient l’infliger tout son poids de malheur et de souffrance ». En dehors des prétoires, il a « beaucoup milité, participé à des commissions, à des colloques, à des congrès ; [il a] lu de nombreux rapports et bien des livres, et écrit des articles ». Henri Leclerc avait saisi que les idées ne s’accomplissent que par la conjugaison de la parole et l’action.

Sa mémoire bouscule le confort et la routine de nos situations. Aux avocats, elle rappelle qu’ils forment souvent l’ultime contradiction aux pouvoirs des juges et qu’ils sont investis d’armes précieuses pour renverser les déséquilibres. Aux magistrats, elle alerte sur la tentation de la prison et prévient que quelqu’en soient les motifs, la forme ou la durée, il est de leur rôle de résister à cette facilité.

À qui espérait l’homme, l’avocat ou le militant immortel, le legs et la somme riche de ses souvenirs tiennent ainsi leur promesse. Ses combats, ses victoires comme ses échecs, nous aiguillent sur les batailles qu’il reste à mener. Et qu’importe s’il a ouvert un nombre de voies qu’une vie ne suffira à explorer ; Henri Leclerc nous enseigne que l’essentiel est de nous y engager.

newsid:490420

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus