La lettre juridique n°995 du 19 septembre 2024 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Rétablissement professionnel, disproportion et effacement des dettes

Réf. : CA Aix-en-Provence, 6 juin 2024, n° 23/13573 N° Lexbase : A41735HZ

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N0209B37

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 20 Septembre 2024

Mots-clés : rétablissement professionnel • disproportion entre le passif et l’actif • interdiction d’effacer les dettes • fin de la procédure de rétablissement professionnel sans clôture • ouverture de la liquidation judiciaire

Lorsque les dettes ne peuvent être effacées, en raison d’une disproportion entre le passif et l’actif, il y a lieu de mettre fin à la procédure de rétablissement professionnel et d’ouvrir une liquidation judiciaire.


 

La loi du 14 février 2022 (loi n° 2022-172 en faveur de l'activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L3215MBP), qui a posé le nouveau statut de l’entrepreneur en créant de plein droit deux patrimoines, l’un professionnel, l’autre non professionnel, a donné lieu à d’importantes adaptations du droit des entreprises en difficulté pour tenir compte de cette dualité patrimoniale. Cette loi a notamment modifié quelques règles en matière de rétablissement professionnel, en interdisant l’effacement de dettes au titre d’un patrimoine dont la situation n’est pas irrémédiablement compromise et surtout en posant la règle selon laquelle aucune dette ne peut être effacée lorsqu'il apparaît que le montant du passif total est disproportionné au regard de la valeur de l'actif, biens insaisissables de droit non compris. C’est cette dernière règle qui est au centre de l’intéressant arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Le 11 octobre 2018, le tribunal de commerce de Marseille ouvre une procédure de redressement judiciaire à l’égard d’un artisan, M. C., puis arrête un plan de redressement. Par jugement du 11 avril 2023, en application de l'article L. 631-20 du Code de commerce N° Lexbase : L9179L74, le tribunal de commerce de Marseille a : (i) constaté l'inexécution du plan de redressement ; (ii) constaté l'état de cessation des paiements ; (iii) prononcé la résolution du plan de redressement ; (iv) sursis à statuer sur la demande de liquidation judiciaire ; (v) ouvert une procédure de rétablissement professionnel au bénéfice de M. C.

Sur le rapport en date du 29 août 2023 de Me Louis, mandataire judiciaire, le tribunal de commerce de Marseille, par jugement du 25 octobre 2023 considérant qu'au vu de la situation patrimoniale professionnelle de M. C., irrémédiablement compromise, compte tenu du montant du passif identifié et d'un montant d'actif inférieur à 15 000 euros, a estimé que l'effacement des dettes était impossible et, en conséquence, a mis fin à la procédure de rétablissement personnel et ouvert une procédure de liquidation judiciaire

Le ministère public a fait appel de ce jugement le 3 novembre 2023. Aux termes de la déclaration d'appel, l'appel porte sur les chefs du jugement critiqué, en ce qu'il a : (i) mis fin à la procédure de rétablissement professionnel ouverte au bénéfice de M. C. ; (ii) révoqué le sursis à statuer sur la liquidation judiciaire prononcé dans le jugement du 11 avril 2023 ; (iii) ouvert la procédure de liquidation judiciaire.

Dans ses dernières conclusions, le ministère public demande à la cour de : (i) déclarer son appel recevable et infirmer le jugement attaqué en « jugeant qu'il y a lieu de clôturer la procédure de rétablissement professionnel ouverte au bénéfice de M. [C] en mentionnant dans l'arrêt les dettes effacées grevant le patrimoine professionnel de M. [C] ».

La cour d’appel ne va pas faire droit à l’appel du ministère public, et confirmer le jugement attaqué en jugeant que « c'est à juste titre que le tribunal, au regard de la valeur de l'actif du débiteur, estimé hors biens de plein droit insaisissables, à moins de 15 000 euros, et du passif total s'élevant à la somme de 155 595,06 euros (142 245,52 + 13 349,54) a en a déduit qu'il y existait une disproportion manifeste, faisant obstacle à l'effacement des dettes du débiteur, en application de l'article L. 645-11 alinéa 3 N° Lexbase : L3701MBP et a, en conséquence, mis fin à la procédure de rétablissement professionnel et ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de M. C. ».

Cette décision nous apparaît partiellement critiquable.

Tout d’abord, nous partageons l’analyse de la cour d’appel quant à l’appréciation du caractère manifestement disproportionnée du passif par rapport à l’actif. Rappelons, que, comme le fait la cour d’appel, dans l’appréciation de l’actif, il faut faire abstraction de l’immeuble légalement insaisissable.

L'alinéa 3 de l’article L. 645-11 du Code de commerce, tel que modifié par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, est clair : « Aucune dette ne peut être effacée lorsqu'il apparaît que le montant du passif total est disproportionné au regard de la valeur de l'actif, biens insaisissables de droit non compris ». Il n’y a pas à ajouter au texte de loi comme tente de le faire le ministère public : peu importe le chiffre d’affaires, peu importe la durée pendant lequel le passif a été créé. Il faut, mais il suffit, qu’existe cette disproportion entre passif et actif.

Par conséquent, doit trouver à s’appliquer la règle nouvelle posée en 2022 par le législateur : aucune dette ne peut être effacée.

Mais faut-il pendre l’effet pour la cause ? Au prétexte qu’aucune dette ne peut être effacée, il faudrait selon les premiers juges et la cour d’appel, quitter la procédure de rétablissement professionnel. Pourtant les textes ne prévoient rien de tel. Le fait que le passif ne puisse être effacé n’est pas une condition de l’abandon de la procédure de rétablissement professionnel, même si cet effacement est la quête première du débiteur. Relisons les textes.

L’alinéa 1 de l’article L. 645-9 du Code de commerce N° Lexbase : L8811LQE prévoit que « A tout moment de la procédure de rétablissement professionnel, le tribunal peut, sur rapport du juge commis, ouvrir la procédure de liquidation judiciaire sur laquelle il a été sursis à statuer s'il est établi que le débiteur n'est pas de bonne foi ou si l'instruction a fait apparaître l'existence d'éléments susceptibles de donner lieu aux sanctions prévues par le titre V du présent livre ou à l'application des dispositions des articles L. 632-1 à L. 632-3 ».

L’alinéa 2 du même article ajoute que « La procédure de liquidation judiciaire est également ouverte s'il apparaît que les conditions d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel n'étaient pas réunies à la date à laquelle le tribunal a statué sur son ouverture ou ne le sont plus depuis ».

Par conséquent, les textes font apparaître qu’il y a lieu à ouverture de la liquidation judiciaire, après ouverture d’un rétablissement professionnel dans quatre cas. L’alinéa 1 vise trois cas : le débiteur n’est pas de bonne foi, ou s’il y a place à l’application des sanctions prévues par les articles L. 651-1 N° Lexbase : L3702MBQ et suivants du Code de commerce ou encore s’il y a place au jeu des nullités de la période suspecte. L’alinéa 3 vise un dernier cas : les conditions d’ouverture du rétablissement professionnel n’étaient pas réunies ou ne le sont plus. C’est sans doute sur ce dernier point qu’a cru devoir s’appuyer la cour d’appel : les conditions d’ouverture du rétablissement professionnel ne seraient pas réunies si le passif ne peut être effacé. En effet, la cour d’appel a énoncé qu’« il se déduit de l'application combinée de ces dispositions que doivent être examinées par la juridiction à l'issue de la période de quatre mois si les conditions ayant présidé à l'ouverture du rétablissement professionnel sont toujours réunies, et si les conditions sont réunies permettant ou non l'effacement des dettes ».

Mais nulle part, au stade des conditions d’ouverture de la procédure de rétablissement professionnel, il n’est fait état de cette exigence aux termes de laquelle les conditions d’ouverture de la procédure de rétablissement professionnel doivent permettre l’effacement des dettes. L’alinéa 1 de l’article L. 645-1 du code se contente d’indiquer qu’« Il est institué une procédure de rétablissement professionnel sans liquidation ouverte à tout débiteur, personne physique, mentionné au premier alinéa de l'article L. 640-2, en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible, n'a pas cessé son activité depuis plus d'un an, n'a employé aucun salarié au cours des six derniers mois et dont l'actif déclaré a une valeur inférieure à un montant fixé par décret en Conseil d'État ». L’alinéa 3 ajoute que « La procédure ne peut être ouverte en cas d'instance prud'homale en cours impliquant le débiteur au titre de l'un quelconque de ses patrimoines ».

C’est donc ajouter à la loi que de juger que les conditions d’ouverture du rétablissement professionnel ne sont pas réunies si le passif ne peut être éteint dans la mesure où le passif serait disproportionné par rapport à l’actif. De lege ferenda, il serait sans doute opportun de poser en cause de décharge du bénéfice de la procédure de rétablissement professionnel à l’article L. 645-9, alinéa 1, l le cas du passif manifestement disproportionné par rapport à ‘l’actif.

Mais, de lege lata, la solution posée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne mérite donc pas d’être approuvée en ce qu’elle ajoute à l’application des textes des conditions qu’il ne comporte pas.

Ce qui est vrai est que le débiteur s’est clairement trompé de procédure. Il aurait dû demander la liquidation judiciaire, pour bénéficier de l’interdiction du droit de reprise des poursuites individuelles et refuser la procédure de rétablissement professionnel suggéré par le tribunal. Mais il n’appartient pas à la cour d’appel de réparer l’erreur d’un plaideur trop gourmand, qui a trop tenté, mérite seulement d’échouer : il doit supporter son passif, le trainer comme un boulet, à titre de sanction, car créer trop de passif par rapport à son actif, c’est faire évidemment prendre des risques à ses créanciers, et démontrer ainsi une forme d’insouciance, une sorte d’irresponsabilité face à ses dettes. Et même si c’est bien dans l’air du temps, le « après moi le déluge, ne mérite pas autant d’encouragement !

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