Le Quotidien du 16 avril 2024 : Responsabilité administrative

[Brèves] Conditions de vie d’enfants de harkis dans le camp de Bias jusqu’en 1975 : violation de la CESDH par la France

Réf. : CEDH, 4 avril 2024, Req. 17131/19, Tamazount c/ France N° Lexbase : A459523L

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par Yann Le Foll

le 15 Avril 2024

► Les conditions de vie d’enfants de harkis dans le camp de Bias pour la période du 3 mai 1974 au 31 décembre 1975 étaient incompatibles avec les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et de la correspondance) de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) à la Convention.

La Cour précise qu’elle est compétente pour connaître des griefs des requérants relatifs à leurs conditions de vie dans le camp de Bias à compter du 3 mai 1974, date de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole n° 1 à l’égard de la France. En effet, les dispositions de la Convention ne lient une partie contractante ni relativement aux actes ou faits antérieurs à la date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de cette partie, ni relativement aux situations qui avaient cessé d’exister avant cette date (CEDH, 9 avril 2009, Req. 71463/01, Silih c/ Slovénie N° Lexbase : A9551EEH).

Elle relève que les juridictions internes ont pleinement reconnu les souffrances endurées par les requérants dans le camp de Bias. Elles ont tout d’abord relevé que les conditions de vie réservées aux harkis et à leurs familles dans ce camp caractérisaient une atteinte à la dignité humaine de nature à engager la responsabilité pour faute de l’État (CE, 9e-10e ch. réunies, 3 octobre 2018, n° 410611, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6582X8B).

Elles ont, par ailleurs, étendu ce constat aux restrictions apportées à leurs libertés individuelles, du fait, en particulier, du contrôle de leurs courriers et de leurs colis, de l’affectation de leurs prestations sociales au financement des dépenses des camps et de l’absence de scolarisation des enfants dans des conditions de droit commun.

Elle note que postérieurement aux décisions rendues en l’espèce, la loi n° 2022-229, du 23 février 2022 N° Lexbase : L5009MB7 a reconnu la « responsabilité de la Nation » dans les conditions d’accueil et de vie indignes des harkis et de leurs familles ainsi que les atteintes à leurs libertés individuelles.

Elle constate que les conditions de vie quotidienne des résidents du camp de Bias, dont faisaient partie les requérants, n’étaient pas compatibles avec le respect de la dignité humaine et s’accompagnaient en outre d’atteintes aux libertés individuelles. Elle relève ensuite que chacun des requérants s’est vu accorder par les juridictions internes une somme totale de 15 000 euros pour des périodes comprises entre sept ans et quatorze ans dans les camps, tous griefs et tous préjudices confondus, et ce sans que leur soit opposé la prescription quadriennale (v. sur la soumission des actions en responsabilité contre l’État aux règles de la déchéance quadriennale, CEDH, 3 novembre 2022, Req. 59227/12 N° Lexbase : A01458S8).

Pour fixer cette somme, les juridictions internes ont utilisé le barème relatif aux conditions indignes de détention, de l’ordre de 1 000 euros par année de détention, majoré en vue de tenir compte des troubles propres au défaut de scolarisation.

La Cour est consciente de la difficulté de chiffrer les préjudices subis par les requérants et des limites de la comparaison avec les conditions indignes de détention, au regard de la spécificité du contexte historique. Elle rappelle également que les autorités nationales sont les mieux placées, au regard du principe de subsidiarité, pour fixer le montant de l’indemnité octroyée pour réparer le préjudice moral résultant de conditions attentatoires à la dignité humaine (CEDH, 19 novembre 2020, Req. 25338/16, Barbotin c/ France N° Lexbase : A152037G).

Cependant, elle considère que les montants accordés par les juridictions internes en l’espèce ne constituent pas une réparation adéquate et suffisante pour redresser les violations constatées. Premièrement, et s’agissant de la violation de l’article 3 de la Convention, les sommes allouées aux requérants sont modiques par comparaison avec ce que la Cour octroie généralement dans les affaires relatives à des conditions de détention indignes (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, J.M.B. c/ FRANCE N° Lexbase : A83763C9). Deuxièmement, elle en déduit que ces sommes n’ont pas couvert les préjudices liés aux autres violations de la Convention et de son Protocole n° 1 en cause.

Il s’ensuit que, dans ces circonstances, et malgré l’important travail mémoriel accompli et les reconnaissances solennelles prononcées par les plus hautes autorités exécutives françaises, les autorités nationales, en fixant le montant des indemnisations versées aux requérants, n’ont pas suffisamment tenu compte de la spécificité de leurs conditions de vie dans le camp de Bias pour remédier aux violations de la Convention constatées, et partant que le versement de ces indemnisations ne les a pas privés de leur qualité de victime à cet égard.

Décision. Le séjour des requérants au sein du camp de Bias, pour la période du 3 mai 1974 au 31 décembre 1975, a emporté violation des articles 3 N° Lexbase : L4764AQI et 8 N° Lexbase : L4798AQR de la CESDH et de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

La Cour considère qu’il sera fait juste réparation des préjudices matériel et moral résultant de la méconnaissance des articles 3 et 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 1 par l’octroi d’une somme de 4 000 euros par année passée au sein du camp de Bias, toute année commencée étant intégralement prise en compte.

Étant compétente pour les années 1974 et 1975, la Cour dit que la France doit verser, au titre des dommages moral et matériel et en tenant compte au prorata des sommes déjà versées en interne, un total de 19 518 euros aux quatre requérants de la famille Tamazount.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, La responsabilité administrative pour faute, Les évènements historiques, Les évènements historiques, in Droit de la responsabilité administrative (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E7680E9C

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