La lettre juridique n°971 du 25 janvier 2024 : Harcèlement

[Brèves] Non-respect de la liberté d’expression d’une salariée condamnée pénalement pour diffamation publique se plaignant d’un harcèlement moral et sexuel

Réf. : CEDH, 18 janvier 2024, n° 20275/20 N° Lexbase : A23352GL

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N8103BZ7

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par Lisa Poinsot

le 25 Janvier 2024

La condamnation pénale d’une salariée en raison de son courriel contenant des allégations de harcèlement et d’agression sexuelle et envoyé à plusieurs personnes au sein et en dehors de l’entreprise constitue une ingérence dans sa liberté d’expression et comporte, par nature, un effet dissuasif susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves que ceux caractérisant, à leurs yeux, un harcèlement moral ou sexuel, voire une agression sexuelle.

Faits et procédure interne. Une salariée est condamnée pénalement en France pour diffamation publique, à la suite d’allégations de harcèlement et d’agression sexuelle dirigées contre un dirigeant de l’association qui l’emploie et adressées par courriel à 6 personnes au sein et en dehors de ladite association.

Le tribunal correctionnel de Paris la condamne à une amende de 1 000 euros, assortie de sursis, outre le montant de 2 000 euros pour les frais du procès.

La cour d’appel de Paris confirme partiellement ce jugement en considérant que les faits sont attentatoires à l’honneur et à la considération suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur véracité. Elle juge, en outre, que s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel, dans la perception qu’a pu en avoir la salariée, rien ne permet de prouver l’existence d’une agression sexuelle, en l’absence de preuve.

L’intéressée soutient la violation de l’article 10 de la CESDH ainsi que son droit d’alerte reconnu par le Code du travail français devant la Cour de cassation pour contester la décision d’appel. La Haute juridiction rejette le pourvoi formé en considérant que les faits dénoncés sont suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur vérité. De plus, l’existence de l’agression sexuelle n’est pas démontrée par la salariée.

Procédure devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la requérante invoque la violation de l’article 10 de la CESDH au motif que sa condamnation pénale pour diffamation a violé sa liberté d’expression.

Raisonnement de la CEDH. Concernant le courriel envoyé par la salariée, les juridictions françaises ont interprété strictement les conditions légales d’exonération de la responsabilité pénale du salarié puisqu’elles ont reconnu le caractère public du courriel.

Rappel. Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement au travail peut s’exonérer de sa responsabilité pénale du chef de diffamation, sur le fondement de l’autorisation de loi, à la condition que la dénonciation ait été adressée exclusivement à l’employeur ou aux organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail (Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I N° Lexbase : A5471Z3Z).

Or, ce courriel envoyé par la requérante constitue un texte envoyé à un nombre limité de personnes, n’ayant pas vocation à être diffusé au public, mais dont le seul but est d’alerter les intéressés sur la situation de la requérante afin de trouver une solution permettant d’y mettre fin.

La CEDH souligne sur ce point le contexte tendu consécutif aux démarches infructueuses de la requérante ayant alerté sur le comportement du prétendu agresseur à son égard.

Sur la nature des propos litigieux, les juridictions françaises ont estimé qu’il ne peut pas être reproché à la requérante, dans le contexte qu’elle subissait, de s’exprimer de manière vive et qu’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel, dans la perception de l’intéressée. Pour autant, elles ont estimé que la salariée ne pouvait pas bénéficier de l’excuse de bonne foi puisque ses propos relatifs à l’agression sexuelle ne disposaient pas d’une base factuelle suffisante.

Or, la requérante a agi en qualité de victime alléguée des faits qu’elle dénonçait, et non en qualité de citoyen ou de lanceur d’alerte. Les propos contenus dans le courriel sont des déclarations de faits. L’absence de témoins pour les faits dénoncés ainsi que l’absence de plainte relative à de tels agissements ne peuvent conduire à caractériser la mauvaise foi de la requérante.

S’agissant des effets des propos tenus par la requérante sur la réputation de la personne dénoncée, ce n’est pas tant le courriel litigieux en soi que le billet publié sur Facebook par l’époux de l’intéressée, qui ont suscité de vifs échanges et ont porté l’affaire à la connaissance du public, de sorte que le courriel envoyé n’a entraîné que des effets limités sur la réputation du prétendu agresseur.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la CEDH conclut à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction au droit de la requérante à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi, de sorte qu’il y a une violation de l’article 10 de la CESDH.

La Cour souligne la nécessité, au regard de l’article 10, d’apporter la protection appropriée aux personnes dénonçant des faits de harcèlement moral ou sexuel dont elles s’estiment les victimes. Elle considère que les juridictions françaises, en refusant d’adapter aux circonstances de l’espèce la notion de base factuelle suffisante et les critères de la bonne foi, ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu’elle rapporte la preuve des faits qu’elle entendait dénoncer.

Elle condamne ainsi la France à verser à la requérante 8 500 euros pour dommages moral et matériel.

Pour aller plus loin :

 

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