La lettre juridique n°971 du 25 janvier 2024 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La relativité de l’insaisissabilité légale de la résidence principale

Réf. : Cass. com. 13 déc. 2023, n° 22-16.752, FS-B+R  N° Lexbase : A5500189

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 24 Janvier 2024

Mots-clés : liquidation judiciaire • insaisissabilité légale de la résidence principale • inopposabilité aux créanciers professionnels • créance née antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi « Macron »

L'insaisissabilité des droits de la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de cette personne ne s'applique pas aux créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.


 

L’insaisissabilité légale de la résidence principale n’est pas une insaisissabilité absolue. Elle n’existe qu’au préjudice de certains créanciers, les autres conservant le droit de saisir l’immeuble. C’est cette relativité qui est ici mise en exergue par la Cour cassation.

En l’espèce, les 17 novembre 2015 et 17 mai 2016, Mme D. épouse V., infirmière, a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire, la procédure ayant été clôturée le 27 juin 2017 pour insuffisance d'actif.

La Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (la CARPIMKO), titulaire de contraintes émises entre 2004 et 2012, avait, le 10 juillet 2015, fait inscrire une hypothèque sur l'immeuble dépendant de la communauté de biens des époux V.

Après avoir vainement demandé à la CARPIMKO la mainlevée de l'inscription de l'hypothèque en raison de la clôture de la liquidation, Madame D. l'a assignée, le 25 février 2020, en radiation de celle-ci.

Les juges du fond n’ont pas fait droit à cette demande. Madame D. s’est alors pourvue en cassation, en se fondant sur la clôture pour insuffisance d’actif de sa liquidation judiciaire, qui justifierait selon elle que le créancier ne puisse plus la poursuivre et par conséquent que l’hypothèque inscrite en vertu des contraintes doive faire l’objet d’une mainlevée.

La Cour de cassation ne va pas accepter cette prétention et rejetant le pourvoi, dans un arrêt qui sera signalé au Rapport annuel, ce qui témoigne de son importance,  va juger que « L'article L. 526-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9698L7C, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 N° Lexbase : L4876KEC, qui prévoit l'insaisissabilité des droits de la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de cette personne, ne s'applique pas aux créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Selon l'article 2443 du Code civil N° Lexbase : L1136HIW, devenu l'article 2438 N° Lexbase : L0300L8M, la radiation de l’hypothèque doit être ordonnée par les tribunaux, lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsqu’ elle a été faite en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé ou lorsque les droits d'hypothèque sont effacés par les voies légales.

L'insaisissabilité légale de l'immeuble, objet de l'inscription de l'hypothèque étant inopposable à la CARPIMKO, dont les créances sont nées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, et sans que leur prescription soit invoquée, la CARPIMKO peut exercer ses droits sur l'immeuble, peu important la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de Mme Duval, laquelle ne peut justifier la radiation de l'inscription soumise aux conditions de l'article 2438 du Code civil ».

Cet arrêt doit être rapproché de celui de même date, commenté dans cette même revue, ayant jugé que le créancier, auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale est inopposable, peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble, qui n'était pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire [1].

Ici encore, la Cour de cassation juge que la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif n’est pas un obstacle à la saisie de l’immeuble par un créancier qui avait conservé le droit de poursuite. La Cour de cassation, dans l’espèce ici commentée, ne va pas entrer dans le détail des motifs qui conduisent à poser cette solution.

Elle va se concentrer sur un autre aspect conduisant à la solution qu’elle pose, celui qui tient à la relativité de l’insaisissabilité légale de la résidence principale.

Le débiteur estimait en effet que le créancier, la CARPIMKO, qui est sa caisse de retraite obligatoire, était un créancier professionnel et, par conséquent, qu’il ne pouvait saisir l’immeuble d’habitation, d’où il résultait que, après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, il ne pouvait continuer à bénéficier d’une hypothèque pour le garantir de ses créances professionnelles.

Le raisonnement était partiellement convaincant. On sait en effet que l’insaisissabilité légale de la résidence principale est opposable aux créanciers professionnels. Dès lors, si le créancier professionnel peut se voir opposer l’insaisissabilité légale, il ne pourra pas saisir l’immeuble, que ce soit pendant ou après la procédure collective. Dans ces conditions, il n’apparaît, a priori du moins, pas légitime qu’il puisse encore bénéficier d’une hypothèque sur un immeuble qui n’est pas un élément de son gage.

Mais ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être pas demain. Souvenons-nous, en effet, que ce sont les droits sur l’immeuble d’habitation qui sont insaisissables. Il suffit que le débiteur vende l’immeuble d’habitation, ce qu’il peut faire pendant la procédure collective puisqu’il n’est pas dessaisi sur cet immeuble, qui n’est pas entré dans l’effet réel de la procédure collective et n’est pas un élément du gage commun des créanciers, et le prix de l’immeuble devient alors saisissable, rendant dès lors très utile l’inscription d’hypothèque. La solution est la même si le débiteur vend l’immeuble après clôture de sa procédure collective. On mesure donc l’intérêt que peut avoir un créancier à conserver une hypothèque sur un immeuble qu’il ne peut, pour l’heure, saisir, mais dont il peut espérer un jour la vente, qui rendrait alors possible la saisie du prix de vente.

En outre, et c’est ce qui va être décisif en l’espèce, il faut tenir compte de la date d’entrée en application de la loi « Macron » du 6 août 2015 ayant créé l’insaisissabilité légale de la résidence principale. Cette loi est entrée en vigueur le 8 août 2015 et l’insaisissabilité légale qu’elle a instituée ne peut donc être opposée aux créanciers qu’à compter de cette date. Elle ne peut être opposée aux créanciers dont la créance est née avant son entrée en vigueur, sauf à créer une dangereuse rétroactivité.

Or, en l’espèce, la CARPIMKO, créancier professionnel, disposait de créances antérieures au 8 août 2015. Dès lors, bien qu’elle fût un créancier professionnel, elle conservait, au titre de ces créances, le droit de saisir l’immeuble. Et ce droit subsiste, réaffirme la Cour de cassation, comme elle l’a fait dans un arrêt de même date commenté dans la précédente revue, même après clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

Il n’y avait donc aucune bonne raison de faire droit à la demande de la débitrice de voir radiée l’hypothèque inscrite sur son immeuble en garantie de créances lui donnant le droit de saisir l’immeuble.

Il restera cependant au jour de la saisie immobilière à vérifier la question de la prescription…


[1] (Cass. com., 13 décembre 2023, n° 22-19.749, FS-B+R N° Lexbase : A550318C, P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, janvier 2024, n° 781 N° Lexbase : N8002BZE.

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