La lettre juridique n°971 du 25 janvier 2024 : Procédure prud'homale

[Questions à...] Lenteur de la justice prud'homale : le conseil de prud'hommes de Paris revoit ses délais - Questions à Jacques-Frédéric Sauvage et Christophe Carrère, Président et Vice-président du conseil des prud’hommes de Paris

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[Questions à...] Lenteur de la justice prud'homale : le conseil de prud'hommes de Paris revoit ses délais - Questions à Jacques-Frédéric Sauvage et Christophe Carrère, Président et Vice-président du conseil des prud’hommes de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/104250202-questions-a-lenteur-de-la-justice-prudhomale-le-conseil-de-prudhommes-de-paris-revoit-ses-delais-que
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par Jeanne Casez, journaliste indépendante

le 25 Janvier 2024

Mots clés : procédure prud'homale • conseil de prud'hommes • Paris • contentieux • engorgement • délai raisonnable

Avec 10 000 dossiers à traiter par an et pas moins de 832 conseillers, le conseil de prud’hommes de Paris est le plus grand de l’Hexagone. Du temps où il était engorgé, et ce jusqu’en 2022, c’était donc 10 % du contentieux prud’homal français qui risquait de prendre la poussière dans les tiroirs de l'instance. Et autant de justiciables insatisfaits.

La présidence du conseil de prud'hommes l’assure : depuis 2023, les dossiers parisiens sont traités dans des délais raisonnables. Un équilibre encore fragile, atteint grâce à la vigilance accrue de la présidence, et quelques ajustements dans sa gestion managériale.  Fini, le temps où les parties pouvaient attendre deux, voire trois ans avant le jugement ?

Respectivement président et vice-président de l’instance, Jacques-Frédéric Sauvage [1] et Christophe Carrère [2] répondent aux questions de Jeanne Casez, journaliste pour Lexbase Social, sur le sujet.


Jeanne Casez : Considérez-vous que le conseil de prud'hommes de Paris est encore engorgé ?

Jacques-Frédéric Sauvage : Non. L’engorgement, c’était le cas, il y a cinq ans, dans la section de l’encadrement. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’à Paris, les délais sont courts. Et les avocats de la région semblent plutôt de cet avis. Notre règlement intérieur prévoit que les décisions soient notifiées dans les trois mois suivant l’audience. Généralement, c’est un délai qu’on arrive à respecter.

Jeanne Casez : Qu’entendez-vous par « les délais sont courts » ? Courts à quel point ?

Christophe Carrère : En moyenne, les décisions sont rendues au bout de seize mois. Mais c’est un chiffre à prendre avec des pincettes. Parfois, des séries de 50 dossiers arrivent au conseil. C’est, par exemple, le cas lorsque plusieurs travailleurs de plateformes engagent une procédure contre une seule société mère. Ces dossiers sont nécessairement plus longs à traiter et tirent donc cette moyenne vers le haut. D’autres fois, le licenciement est autorisé par l’inspection du travail, le dossier est introduit au conseil mais la décision de l’inspection du travail est par la suite contestée. Dans ce cas, nous devons attendre pour traiter le dossier et ça allonge une fois de plus les délais.

Je ne considère pas que le conseil de Paris est engorgé. C’est assez connu : actuellement, il vaut mieux avoir un dossier en cours à Paris plutôt que dans les Hauts-de-Seine.

Jeanne Casez : Comment expliquer cette différence avec les Hauts-de-Seine, par exemple ? 

Jacques-Frédéric Sauvage : A Paris, nous délibérons le jour-même, ou dans la semaine suivant l’audience. En Province, c’est parfois un mois voire deux mois plus tard. Autre spécificité : ici, il n’y a pas d’audience de mise en état, c’est aux parties de la faire elles-mêmes. Si elles sont prêtes, on passe directement du bureau de jugement au bureau de conciliation. Si elles ne le sont pas, reste la possibilité de radier le dossier. Selon moi, les audiences de mise en état allongent les délais de jugement, parfois inutilement.

Mais le problème des autres conseils réside avant tout dans le manque de personnel. À Nanterre, ils seraient prêts à doubler le nombre d’audiences s’ils le pouvaient mais c’est inutile sans le nombre suffisant de greffiers. Dans certains conseils, les audiences sont carrément ajournées dès l’automne car il n’y a plus de greffiers jusqu’à la fin de l’année. Les effectifs diminuent aussi à Paris et ils deviendront peut-être un jour incompressibles. Le ministère de la Justice manifeste sa volonté de les gonfler dans tout le pays mais ça prend du temps. Un greffier se forme en trois ans, par exemple.

Jeanne Casez : Selon vous, pourquoi et comment les délais de traitement de dossiers ont été réduits à Paris, ces dernières années ?

Christophe Carrère : Nous essayons d’abord d’associer les parties à l’élaboration d’un calendrier de procédure et de les faire adhérer aux délais. Nous demandons au demandeur quand il estime être en mesure de pouvoir rendre ses pièces et conclusions. Puis, nous faisons de même avec le défendeur. En fonction de ce qui leur semble possible, nous nous entendons enfin sur une date limite d’échange de pièces.

La lenteur de traitement des dossiers ne peut pas être uniquement imputable au conseil. Il y aura toujours des avocats qui ne respecteront pas les délais. Et ce, de manière plus ou moins stratégique car, in fine, il faut bien que l’affaire soit jugée. Les dossiers peuvent effectivement traîner du fait des parties, et parfois pour des raisons très légitimes. En tout cas, le fait de dialoguer avec elles sur la question nous permet d’éviter des situations où nous sommes mis devant le fait accompli, obligés d’accepter un renvoi en audience.

Jacques-Frédéric Sauvage : Nous avons également réajusté la répartition de nos conseillers. Moins au commerce, plus à l’encadrement, car c’est ce dernier secteur qui était le plus engorgé. Le nombre d’audiences a été augmenté tandis que les délais de maintien en bureau de conciliation sont passés de 6 à 3 mois. Nous nous sommes aussi entendus sur le fait que quand le demandeur ne fournit pas les pièces nécessaires, un renvoi est accordé avant le lancement du dossier coûte que coûte, sur la base de ce qui a été rendu. Cette note a été formulée aux conseillers mais ce ne sont que des orientations. Derrière, nous ne maîtrisons pas tout.

Jeanne Casez : Ces nouvelles mesures présentent-elles des limites ? 

Jacques-Frédéric Sauvage : Oui, bien sûr. Car les délais ne s’accélèrent pas à tout prix. Par exemple, quand la durée de maintien en bureau de conciliation était encore de six mois, les parties avaient le temps de se voir et de trouver un accord. Aujourd’hui, en trois mois, il arrive que ce ne soit plus le cas.

Christophe Carrère : La difficulté, plus que de raccourcir les délais, c’est d’atteindre le juste délai. Il existe des impératifs inatteignables. Lorsqu’il était député, M. Braillard avait, par exemple, souhaité que les audiences surviennent dans le mois suivant l’introduction des dossiers. Tout le monde avait répondu que cette demande n’était pas raisonnable. Dans les faits, c’est injouable. Les greffes ont donc la souplesse de demander aux parties si un délai de trois mois avant la première audience leur convient. Car autrement, ils ne seraient pas prêts à temps.

Jeanne Casez : Malgré tout, certains dossiers parisiens mettent encore parfois deux ans à être traités. Comment expliquez-vous cela ?

Jacques-Frédéric Sauvage : La difficulté majeure, c’est le départage et la cour d’appel, qui allongent considérablement les délais. A Paris, environ 25 % des dossiers finissent en départage. Personnellement, je rêve d’un conseil de prud’hommes où ce chiffre est à 0 %. Le départage nécessite l’exercice de juges départiteurs. A Paris, on a la chance d’en avoir six, qui devraient être uniquement rattachés à notre instance. Mais en réalité, certains sont aussi appelés aux assises. J’essaie de convaincre les conseillers de ne pas aller en départage. Surtout d’éviter ce qui pourrait s’appeler des « départages d’humeur », qui ne seraient pas forcément nécessaires.

Christophe Carrère : Nous ne voulons pas dire que le départage est interdit, ni foncièrement mauvais. Parfois, il amène des solutions alternatives. Apprendre que le conseil s’est mis en partage de voix peut pousser certains justiciables à repenser l’affaire, à comprendre qu’elle se situe dans une zone grise, qu’elle peut être lue dans un sens comme dans un autre. Et dans certains de cas, la perspective du départage encourage les justiciables à trouver une solution à l’amiable.

Jeanne Casez : Nous venons d'apprendre que l'État a été condamné à verser 7 millions d'euros d'amende pour dédommager des justiciables dont le traitement de dossiers s'est éternisé [3]. Est-ce le cas de beaucoup d’affaires originellement introduites au conseil de prud'hommes de Paris ?

Jacques-Frédéric Sauvage : L’année dernière, la responsabilité de l’État a été mise en cause pour un millier de dossiers auprès de la cour d’appel de Paris. Une dizaine concernait notre conseil. Ce sont essentiellement des affaires qui sont allées jusqu’au départage.

C’est une préoccupation majeure des présidents de la cour d’appel. Pour l’instant, les délais du conseil de prud’hommes de Paris ont l’air de leur convenir. Il y a sept ans de cela, nous avons aussi obtenu de la cour d’appel d’être informés et interrogés en amont sur les dossiers en question, ce qui nous a laissé la chance d’avancer que parfois, la lenteur du traitement des dossiers était aussi imputable aux parties et aux avocats, et d’expliquer pourquoi.

Christophe Carrère : Il faut savoir qu’aujourd’hui, un site internet propose aux justiciables de demander une indemnisation s’ils estiment avoir été lésés par la lenteur du traitement de leur dossier. Bercy a effectivement fixé un barème, ajusté en fonction du retard pris par les dossiers. C’est une sorte de trappe toute faite, qui permet d’automatiser les compensations, et qui coûte, de fait, beaucoup moins cher à l’État.

Jeanne Casez : Quelles situations pourraient faire replonger le conseil de Paris dans une situation d’engorgement ?

Jacques-Frédéric Sauvage : Nous ne sommes pas pessimistes mais tout de même inquiets de l’amendement sénatorial passé au mois de septembre 2023. Celui-ci limite le nombre de mandats à 5 et l’âge des conseillers prud’homaux à 75 ans.

A Paris, 19 présidents de chambre sur 23, dont moi-même, devront quitter leur fonction les prochaines années du fait de cet amendement. Tous sont retraités. Or, qui dit présidence, dit rédaction de jugement ; c’est une fonction qui demande beaucoup de temps. Je doute qu’autant d’actifs veuillent s’y engager.


[1] Ancien directeur adjoint d’une société immobilière, Jacques-Frédéric Sauvage a dédié 44 ans de sa carrière à la justice prud'homale. Il quittera la présidence du conseil de prud’hommes de Paris dans les deux prochaines années. 

[2] Christophe Carrère est cheminot à la Gare de Lyon. En 2024, il assure la vice-présidence du conseil de prud’hommes de Paris, en alternance avec le Président, Jacques-Frédéric Sauvage.

[3] L'État condamné à payer 7 millions d'euros pour des délais de justice déraisonnables aux prud'hommes, Le Figaro, 24 janvier 2024 [en ligne].

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