Lexbase Contentieux et Recouvrement n°4 du 21 décembre 2023 : Procédure civile

[Point de vue...] Améliorer la signification

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par Jean-Luc Bourdiec, Commissaire de justice, délégué de la cour d’appel d’Orléans à la chambre nationale des commissaires de justice

le 13 Décembre 2023

Mots-clés : signification • commissaire de justice • huissier de justice • clerc significateur • clerc assermenté • remise à personne • signification à domicile

Réformer cette pratique séculaire qui garantit la sécurité et l’effectivité de l’information serait une entreprise bien périlleuse. Les risques qu’une nouvelle modification ferait encourir à l’édifice risquerait d’en fragiliser les fondations, au moins de détruire une harmonie qui concourt à une bonne administration de la justice. En revanche l’améliorer est possible.


 

La signification par ministère d’huissier est millénaire. Elle existe depuis que la Justice est institutionnalisée. De tous temps confiée aux huissiers [1], la charge leur échoit de citer les parties devant le juge et de porter à leur connaissance les différents actes judiciaires ou extrajudiciaires.

Pendant longtemps les exploits étaient faits de vive voix, particulièrement les assignations. Depuis le XVIème siècle [2], l’huissier remet systématiquement aux parties un document écrit.

Les façons de procéder ont peu évolué. Il s’agit avant tout de se transporter chez la personne pour la « toucher », au sens propre, comme au sens figuré. Le déplacement pour provoquer la rencontre est essentiel. La signification, car elle assure le respect du principe du contradictoire, permet à l’institution judiciaire de fonctionner.

Pourtant, depuis la fin du XIXème siècle, des voix se sont élevées pour demander la suppression de la signification. Ainsi en 1883 le garde des Sceaux de l’époque envisageait de remplacer l’huissier par le facteur des postes, non que les significations par huissier fussent mal faites, mais seulement pour mettre fin aux pratiques abusives et pour diminuer le coût des procès. En résumé, les huissiers installés au centre des affaires recueillaient la clientèle des avoués (avocats) et des banques, moyennant quelques remises, au détriment des huissiers ruraux, et se rémunéraient grâce aux frais de transport qui pouvaient augmenter le cout de l’acte de façon considérable [3]. Un exploit qui aurait coûté cinq francs de l’époque dressé dans la résidence de l’huissier, coûtait trente francs de plus dressé par un huissier installé dans le chef-lieu de l’arrondissement. La qualité des significations n’était pas remise en cause. Leur coût exorbitant attentait à l’ordre public et à la masse des justiciables et conduisait le pouvoir à réformer. Notons que l’ordonnance de Moulins de 1490 prévoyait en son article 84 : « Si, pour faire une exécution, le créancier veut envoyer un sergent du lieu où il demeure, ce sergent ne sera payé que comme s’il eût été pris au lieu le plus proche du domicile du débiteur. » Cette solution sera reprise en 1949 par les créateurs du génial service de compensation des transports.

Plusieurs gardes des Sceaux ont tenté de supprimer la signification et une dizaine de projets ont été examinés. Ces tentatives n’ont jamais abouti. [4]

À en juger par l’enthousiasme qu’on y a mis, en particulier le sénateur Clemenceau, et par le résultat que cela a donné, force est de constater que la signification est sans doute un système imparfait, mais le meilleur qui soit.

Dans un article très remarqué, le professeur Sylvain Jobert [5] propose une réflexion sur la signification et une réforme qui pourrait améliorer l’efficience du procédé. Il déplore l’absence de données relatives aux types d’actes signifiés, au taux de significations à personne, à domicile ou réalisées selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77, qui permettraient une analyse plus fine des différentes situations. Le professeur Jobert part du postulat que la plupart des significations sont faites à domicile, ce qui est sans doute la réalité. Et donc qu’il faudrait faire davantage de remises à personne.

Et si nous changions de braquet ? Et si nous arrêtions de considérer que la signification « à personne » est la panacée ; que les autres modes de signification sont inférieurs, comme si la signification en « dépôt étude » était une signification bancale, voire bâclée. Le texte prévoit des obligations alternatives, mais la signification est une. Elle est réalisée, quelles que soient les modalités de remise quand bien même certains effets attachés sont différents.

Nous proposons d’exposer ce qu’est réellement la signification, de voir la différence entre le « travail prescrit » par les textes et le « travail réel » exécuté par les huissiers avant d’envisager la signification par rapport à son but.

Ensuite seulement il sera possible d’imaginer les modifications envisageables et les réformes souhaitables pour que la signification permettre d’atteindre le but qui lui est assigné : la transmission effective de l’information en bonne et due forme, en temps utile et la garantie de son intégrité.

I. Qu’est-ce que la signification ?

A. Les opérations de signification

La signification in libro est finalement assez simple. Elle est régie par moins de quinze articles du Code de procédure civile. Il ne s’agit pas ici de détailler les modes de signification, mais de donner une vision générale de la signification telle qu’elle est prévue par les textes, en l’occurrence les articles 653 N° Lexbase : L4834IST et suivants du Code de procédure civile, c’est-à-dire le « travail prescrit ».

1) Le travail prescrit

Donc, et de façon caricaturale, la signification se déroule à peu près ainsi : l’huissier - nous utiliserons volontairement le terme huissier, bien que les huissiers de justice soient devenus commissaires de justice depuis le 1er juillet 2022, car la pratique observée et les références ne concernent que les huissiers de justice dont la première mission, définie par l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, était la signification – l’huissier a préalablement préparé un acte, un instrument, en trois exemplaires : l’original qui sera conservé à ses minutes, la première expédition qui sera remise au requérant et l’expédition qui doit être remise au destinataire de l’acte. Il se transporte ensuite au domicile du destinataire de son acte pour lui remettre l’expédition lui revenant, copie qui tient lieu d’original à celui qui la reçoit. Dans le meilleur des cas la personne est présente à son domicile ; elle prend l’acte. L’action de remettre l’acte à la personne même du destinataire est une signification « à personne » ou ad faciem. Lorsque le destinataire est une personne morale, la signification à personne est faite lorsque la personne qui reçoit l’acte est le représentant légal ou toute personne habilitée.

Si la personne n’est pas présente à son domicile, l’huissier remet l’expédition à une personne présente sous pli cacheté depuis la loi 15 février 1899 ou, à défaut de personne présente, il dépose l’acte à son étude après s’être assuré de la réalité du domicile et avoir laissé sur place un avis de passage. La signification est alors faite ad domum.

Enfin si la personne n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier dresse un procès-verbal dans lequel il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte [6]. L’expédition n’est donc pas remise à une personne. Elle sera adressée par lettre recommandée à la dernière adresse connue accompagnée du procès-verbal relatant les diligences effectuées. Autrefois dans ce cas-là, l’assignation était faite par cri public sur le marché le plus proche du tribunal.

Dans tous les cas, de retour à son étude l’huissier dresse un procès-verbal relatant les diligences effectuées et indiquant la façon dont l’acte a été signifié.

La rémunération du commissaire de justice est forfaitaire, quelles que soient les diligences accomplies. Elle dépend de la nature de l’acte, de l’obligation pécuniaire qui s’y rapporte et éventuellement des copies qui sont jointes à l’acte. Une majoration est prévue lorsque l’acte est signifié à dernière adresse connue [7]. Les actes sont tarifés par le Code de commerce. Ainsi, une signification de jugement, qu’elle soit faite ad faciem ou ad domum après multiples recherches, après des allers-retours, une enquête, des visites à la mairie et divers appels téléphoniques, une signification de jugement est rémunérée 25,53 euros hors taxes et débours.

Dans l’idéal, le destinataire de l’acte attend l’huissier sur le perron de sa maison, reçoit l’acte et le remercie. La signification in vitam est parfois moins simple que la lecture du Code ne pourrait le laisser imaginer.

2)Le travail réel

La réalité est souvent beaucoup plus compliquée. Il s’agit là du « travail réel » accompli par l’huissier. D’abord parce que l’huissier ne dispose pas toujours des informations utiles à la réalisation de sa mission, ensuite parce que le destinataire est un être vivant, qui se déplace ou qui travaille, et non une boite à lettres destinée à recevoir les actes de commissaire de justice. Quand bien même les informations dont dispose l’huissier sont correctes ou suffisantes, nombre d’aléas compliquent souvent sa tâche. Quel huissier n’a pas été confronté à des chiens menaçants, ou à des oies s’il instrumente à la campagne, empêché par une route barrée, une barrière ou une porte fermée, par une localisation incertaine.

Et quand il ne trouve pas le domicile du destinataire, il ne peut attendre d’aide de quasiment personne. Dans la plupart des cas il n’est pas porteur d’un titre ou d’une décision de justice et chargé de les ramener à exécution. Il ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de l’article L. 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1721MAY et interroger les administrations. Souvent il doit rentrer à son étude, effectuer des recherches et revenir ensuite sur le terrain.

Rappelons en effet qu’une grande partie des actes de commissaires de justice ne sont pas liés à l’exécution, comme les actes introductifs d’instance, les significations diverses et les actes extrajudiciaires.

Pas de nom sur la boite à lettres, pas de sonnette, pas d’accès possible à l’immeuble, une mauvaise adresse (comme les chiffres du numéro de rue inversés), etc. Tout cela conspire à compliquer la tâche de l’agent significateur. Surmonter ces difficultés est somme toute assez facile pour l’huissier qui, à force de pugnacité et grâce à son expérience du terrain, arrive toujours à signifier. Tout n’est finalement qu’une question de temps, qui en l’occurrence n’est pas rémunéré. Qu’on passe une heure à tourner pour parvenir au destinataire ou qu’il attende sur le seuil de sa porte, la rémunération du commissaire de justice est la même.

Le temps laissé est également important. L’huissier mandaté un vendredi soir d’hiver pour instrumenter sur le champ afin de signifier un « dernier jour » ne peut pas accomplir les mêmes diligences, ni avoir accès aux mêmes informations que lorsqu’il a toute latitude pour officier.

Qu’est-ce qui pousse le commissaire de justice à persévérer jusqu’à signifier effectivement l’acte à son destinataire ? Son serment, son devoir, sa conscience.

B. Le but de la signification

La signification n’est pas seulement la remise d’une expédition, ad faciem ou ad domum. La signification est bien plus qu’une remise de documents. C’est une rencontre. La rencontre entre un profane et un professionnel initié, la rencontre entre le justiciable et la justice que représente l’huissier, qui se déplace pour aller jusqu’à lui.

Les mots du Code de procédure civile : délivrer, remettre, laisser, retirer, conserver, témoignent à la fois de la corporalité du support et de la nécessité d’une rencontre physique [8].

Généralement, l’huissier signifie deux catégories d’actes : premièrement les actes ayant pour finalité la convocation d’une partie devant la justice et les actes ayant pour but de porter à la connaissance de la partie la décision rendue par le juge. Il s’agit souvent d’actes « détachés » ou « isolés » que l’huissier n’est chargé que de délivrer et sa mission s’arrête là. L’autre catégorie d’actes correspond aux actes liés à l’exécution. L’huissier a alors un dossier contre le débiteur et il a vocation à le rencontrer plusieurs fois.

1) La transmission de l’information

La transmission de l’information est le but essentiel de la signification. Une signification n’est finalement qu’une espèce de mise en demeure, soit de faire ce qui est dit (se présenter au tribunal, exécuter la décision rendue), soit de s’opposer à l’exécution en exerçant une voie de recours [9]. L’intervention de l’huissier, professionnel indépendant, permet de garantir la régularité des procédures.

Il convient alors de distinguer les actes « attendus » des actes « surprise », en fonction du degré de connaissance qu’en a potentiellement le destinataire au moment de la signification. Un justiciable qui a comparu au tribunal, qui a été avisé par le juge et par son avocat qu’une décision serait rendue, a finalement toutes les cartes en main pour comprendre la signification du jugement qui lui est faite. Parfois même il l’attend pour exercer une voie de recours ou pour laisser le délai d’appel expirer afin que la décision passe en force de chose jugée. L’assignation faisant suite à des tentatives préalables de règlement des conflits est également un acte « attendu », qui n’étonnera pas son destinataire. Souvent l’arrivée de l’huissier est une délivrance car il met un terme à des discussions infructueuses et permet de passer à une nouvelle phase où, à la fin, le juge dira le droit et tranchera le litige. D’autres actes, sans être pour autant attendus, ne sont pas des actes « surprise » dans la mesure où leur destinataire est parfaitement à même de recevoir l’information, soit parce qu’il est aguerri ou coutumier en la matière, soit parce que l’information est facilement assimilable.

Les actes « surprise » en revanche ont tout lieu de laisser pantois leur destinataire qui ne les attendait pas, comme les congés par exemple ou certaines assignations. Dans ce cas, le rôle de l’huissier ne se limite pas à la remise d’un pli comme le ferait un livreur ou le facteur. Il doit expliquer à la fois le contenu de l’acte et sa portée, mais aussi les moyens dont dispose tout justiciable pour faire valoir et défendre ses intérêts.

Pour la plupart des gens, recevoir une convocation en justice est une épreuve. Il s’agit d’un monde qui leur est inconnu, avec ses codes, son langage abscons, ses usages. La majorité des citoyens n’ont jamais affaire à la justice.

Il faut aussi parfois convaincre le destinataire de l’acte et alors les explications et la force de persuasion de l’huissier sont essentielles. Quel huissier n’a jamais entendu une phrase comme « je n’irai pas au tribunal, mon voisin a tort, le juge le verra bien » ou « ma femme est une menteuse ». Combien de fois devons-nous expliquer que le juge ne statuera après un débat contradictoire que sur les éléments qui lui seront fournis. Le rôle de l’huissier n’est pas seulement de transmettre. Il faut aussi convaincre.

Le rôle social de l’huissier n’est pas négligeable. Il faut expliquer, mettre la personne en mesure de faire valoir ses droits et d’exposer ses arguments. La signification est également l’occasion de déceler des situations humaines nécessitant une aide (personnes malades, détresses psychologiques, personnes âgées isolées ou privées de leur discernement, situations de handicap, femmes ou enfants battus, syndromes de Diogène, etc.). Dans le plus strict respect du secret professionnel, il veille à apporter une aide ou à alerter les personnes susceptibles de le faire. La rencontre avec le signifié est également stratégique car elle permet d’envisager l’avenir d’une procédure au mieux des intérêts des parties.

Tout cela n’est pas tarifé ni rémunéré. Pourtant le rôle de l’huissier comme officier de justice prend toute sa place dans le processus de la justice dont il est un acteur essentiel, aussi indispensable que le juge, les avocats ou les greffiers. Sans l’intervention des huissiers, le respect du principe du contradictoire ne pourrait pas être assuré.

2) L’effectivité de la transmission de l’information

Il est essentiel que l’information soit transmise, mais aussi qu’elle soit comprise. Il ne s’agit pas de livrer l’information brute comme le ferait un coursier, mais, dans la mesure du possible, de s’assurer de sa compréhension, en tout cas de faire en sorte qu’elle passe. L’huissier a une obligation de loyauté, d’information, de conseil, de renseignement. C’est la position paradoxale du commissaire de justice, auxiliaire de justice, professionnel du droit, ayant reçu mandat de son donneur d’ordre : il se voit contraint d’expliquer au destinataire de la procédure la marche à suivre pour faire valoir ses droits, et donc s’opposer à ceux du donneur d’ordre.

La rencontre physique entre l’huissier et le justiciable n’a pas un rôle purement symbolique : elle témoigne de la réalité concrète du principe du contradictoire. Mais surtout, de cette rencontre s’opère une réaction chimique : la connaissance.

L’huissier doit également s’adapter au destinataire de l’acte. La plupart des justiciables ne possèdent pas ce que les sociologues appellent le capital procédural. Selon leur capacité à comprendre, il faudra traduire le langage abscons en langage compris par le signifié.

La rencontre est fondamentale. Cependant, nous le voyons, la distinction entre la « bonne » signification qui serait la remise à personne et la signification plus douteuse qui serait la signification à domicile n’est pas judicieuse de ce point de vue. En effet, une remise à personne à un individu qui sort de la douche, qui s’apprête à emmener ses enfants à l’école ou qui reçoit des amis à l’apéritif n’est pas une « bonne » signification. Il n’est pas dans de bonnes conditions pour recevoir l’information. Il n’est pas réceptif à la transmission de l’information.

En revanche une signification faite par « dépôt étude » peut être une très bonne signification si, par exemple, la personne vient à l’étude récupérer l’expédition. Dans ce cas, elle est totalement réceptive puisqu’elle fait la démarche de venir chercher l’information. Elle est reçue sans rendez-vous par une personne consciencieuse qui prend tout son temps pour expliquer. La réaction chimique s’opère. Et même si elle ne vient pas chercher l’expédition et demander des explications, cette signification est « bonne » parce que le destinataire comprend, ou parce que cette signification en dépôt étude a été précédée d’une rencontre lors de laquelle il a reçu toutes les informations nécessaires.

Prenons deux exemples. Un débiteur poursuivi pour un impayé de loyers. Dès lors qu’une rencontre a eu lieu entre l’huissier et cette personne, elle a pu obtenir la connaissance à la fois de l’acte qui lui était remis, et des actes subséquents qu’elle serait amenée à recevoir. C’est également le cas d’une personne poursuivie par voie de saisie-attribution. La deuxième dénonciation de saisie-attribution, même si elle n’est pas remise à personne, sera parfaitement comprise du destinataire. Il sait qu’il peut saisir le juge de l’exécution. Non seulement l’huissier le lui aura précédemment expliqué, mais en plus cette possibilité est rappelée dans la lettre qui lui a été adressée conformément aux dispositions de l’article 658 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6829H73.

D’ailleurs il ne faut pas négliger l’importance de l’avis de passage et de la lettre 658. L’avis de passage montre au signifié que l’huissier s’est déplacé chez lui, qu’il peut revenir, et cela l’incite à prendre les devants en se rendant à son tour à l’étude. Lorsque l’huissier signifie une assignation visant à la résiliation du bail, il laisse en plus de l’avis de passage un document « destiné à l'informer de l'importance de sa présentation à l'audience ainsi que de la possibilité de déposer, avant l'audience, une demande d'aide juridictionnelle et de saisir les acteurs, mentionnés au 4° du IV de l'article 4 de la loi du 31 mai 1990 N° Lexbase : L2054A4T susvisée, qui contribuent à la prévention des expulsions locatives ». [10]

La lettre 658 contient une copie de l’acte signifié et donc toutes informations utiles. S’il a besoin d’explications, le signifié saura s’adresser à l’étude.

En conclusion, la signification est un mode de notification lorsque celle-ci est réalisée par huissier. Nous pensons que, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise signification, selon le mode de réalisation. Les textes prévoient des obligations alternatives. Le principe est que l’huissier remet l’acte à la personne même de son destinataire, où qu’il se trouve. En cas d’impossibilité, il remet l’acte au plus proche de la personne : à domicile.

De même lorsque l’huissier doit pénétrer dans un lieu pour effectuer une saisie, dans le meilleur des cas on lui ouvre la porte, on l’invite à entrer et à faire son office. En cas d’absence du débiteur ou si celui-ci refuse l’accès, l’article L .142-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5822IR3 permet à l’huissier de pénétrer de force.

Pourtant la loi ne fait pas de différence entre la « bonne saisie » qui serait faite sans ouverture par effraction et la « mauvaise saisie » faite dans ces conditions. La loi n’offre pas aux parties des voies de recours différentes selon la façon utilisée par l’huissier pour parvenir à l’effectivité de sa mission.

Ne faudrait-il pas tout simplement considérer qu’une signification est une signification et revenir sur les effets liés aux modes de signification ?

II. Réformer ou seulement donner aux commissaires de justice davantage de moyens

Dans l’article « Réformer la signification ? [11]» le professeur Sylvain Jobert propose d’ouvrir une réflexion sur les améliorations à apporter à la signification telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, pour la rendre plus efficiente : davantage de diligences (un deuxième déplacement à la demande du destinataire de l’acte, des vérifications supplémentaires notamment quant à l’identité de la personne qui reçoit l’acte) et une modification du procès-verbal de signification. En contrepartie, l’huissier aurait davantage de moyens et une meilleure rémunération.

A. Les propositions du professeur Sylvain Jobert

1) Les déplacements

Il n’est pas utile de revenir sur la nécessité d’une rencontre physique entre le justiciable et le commissaire de justice chargé de lui signifier un acte. Elle est l’essence même du travail de l’huissier depuis que les fonctions de sergent et d’huissier existent.

Pour autant la signification « à personne » n’est pas toujours le moyen le plus efficace de transmettre l’information. Prenons l’exemple de la personne expulsée. Le commissaire de justice à la fin des opérations lorsqu’il fait refermer les portes, rappelle verbalement ce qui est écrit dans l’acte qu’il vient de signifier à l’expulsé. « Mais tant les circonstances extraordinaires de la situation que le vocabulaire juridique employé par l’huissier ne garantissent pas forcément que le débiteur soit dans une disposition propice à une pleine compréhension de ce que dit l’huissier. » [12]

La rencontre doit avoir lieu ou du moins, pour paraphraser l’article 14 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1131H4N, nul ne devrait être destinataire d’un acte sans avoir rencontré l’huissier ou avoir été en mesure de le rencontrer.

La signification est un fil d’Ariane qui relie le justiciable à la justice. Libre à lui de le couper et de renoncer à l’information, voire à ses droits. Ils lui sont offerts par la loi et le respect de la procédure en témoigne.

Pour l’huissier, remettre un acte à la personne même du destinataire est le but poursuivi au premier chef. À plusieurs égards cette modalité de remise présente de nombreux avantages. Le procès-verbal de signification sera vite dressé ; aucune formalité subséquente n’est à prévoir. Tous les huissiers redoutent les actes signifiés le vendredi, les obligeant, en cas de remise à domicile, à aller à la poste le samedi matin.

Mais lorsque l’acte est signifié ainsi, ad domum, non seulement ils doivent adresser la lettre prévue par l’article 658 du Code de procédure civile et faire les photocopies nécessaires, avancer les débours postaux et surtout se tenir à la disposition du justiciable pour transférer l’acte dans un autre office, s’il le demande, ou le recevoir s’il décide de venir récupérer l’expédition. Il est fréquent que les gens téléphonent après avoir trouvé l’avis de passage. Des informations utiles peuvent être données par téléphone, dans le respect du secret professionnel. N’oublions pas que les employés des offices de commissaire de justice sont des personnes qualifiées, compétentes et parfaitement à même de renseigner le justiciable.

Un deuxième déplacement nous parait présenter beaucoup d’inconvénients car il n’est pas envisageable que l’huissier ou le clerc significateur instrumentent sur rendez-vous. Leur mission serait fortement impactée par les desiderata des justiciables, sans compter les demandes dilatoires destinées à retarder la date de signification ou les seules convenances personnelles. Après tout, l’huissier apporte un acte juridique qui a des conséquences, qui est important pour la personne qui le reçoit. Elle doit jouer son rôle, qui commence par prendre connaissance de l’acte afin de faire valoir ses droits.

Dans un rapport commandé par le département du Cher sur la prévention des expulsions locatives, qui ne comporte étonnamment que très peu d’occurrences « huissier », une personne interrogée déclare :

« Les bailleurs sociaux m’ont téléphoné [pour les impayés en 2019], j’ai pas pris contact avec les huissiers, y a trop de choses. Je sais ce qu’ils vont me demander, je vais leur dire quoi ? (…) Là, j’ai reçu un avis de passage de l’huissier, j’ouvre pas mes courriers, j’aime pas ça, je regarde pas, j’avais des crédits à la consommation. Tout le monde me tombe dessus, je réponds plus au téléphone. » (femme séparée, 3 enfants, RSA, parc social)

Voilà la réalité. Et c’est plutôt cette façon de penser que les commissaires de justice devraient s’efforcer de renverser en communiquant sur leur rôle de conseil, indépendant, garant des droits des parties, acteur indispensable dans la prévention des expulsions locatives. La rencontre permet d’offrir le temps de transmettre l’information, d’expliquer la démarche, de traduire en langage compréhensible ce qui ne l’est pas pour un profane, non initié au vocabulaire juridique. C’est tout l’intérêt de la signification, comparée à la notification. Le commissaire de justice ne se contente pas que remettre un pli comme un préposé des postes. Il transmet l’information. Il s’assure qu’elle est comprise. Il conseille aussi.

Toutefois, il convient de préciser que dans la pratique le nouveau déplacement se fait régulièrement, dans certaines circonstances, par exemple si le destinataire est une personne âgée, ou malade. Le nouveau déplacement est presque systématique dans certaines procédures, notamment la saisie immobilière. Mais tout cela n’a pas à être réglé par la loi. Les commissaires de justice font ce que leur commande leur conscience et agissent toujours au mieux.

En bref, voilà ce qu’offre la signification au destinataire de l’acte : la rencontre physique par la signification ad faciem ; la main tendue pour entrer en contact par la signification ad domum (avis de passage, lettre 658). L’acte est déposé à l’étude de l’huissier. On pourrait imaginer, grâce aux moyens numériques, que l’acte soit parallèlement « déposé » au tribunal judiciaire dont dépend le justiciable, de façon sécurisée, où il pourrait être consulté par son destinataire au bureau des commissaires de justice du tribunal tenu par l’audiencier ou un clerc de permanence, lequel pourrait renseigner le justiciable. Cette solution aurait le mérite de ramener l’huissier au tribunal, qui est sa place initiale, au cœur de la justice dont il est un élément essentiel.

2) Les vérifications

Obliger le commissaire de justice à vérifier l’identité de la personne à laquelle il s’apprête à remettre l’acte nous semble une complication qui, au vu des contestations formulées, risquerait d’avoir un effet délétère sur la signification. Si la plupart des signifiés acceptent de recevoir l’acte, se montrent réceptifs et collaborent pleinement, certains seraient tentés de refuser de fournir un justificatif de leur identité et ainsi compliqueraient la tâche du commissaire de justice qui dépendrait alors du seul bon vouloir de la personne face à lui.

La question du pouvoir du commissaire de justice de contrôler l’identité d’une personne mise à part, une telle pratique dévaloriserait le statut même de l’officier public et ministériel dont on rappelle que la seule signature confère au document la valeur authentique. Le commissaire de justice ne fait pas signer le destinataire de l’acte, sauf en matière pénale où il doit inviter la personne à viser l’original [13], sa seule signature confère l’authenticité à ses dires qui valent jusqu’à inscription de faux. La loi lui commande de relater les diligences accomplies. L’usage du « ainsi déclaré » pluriséculaire consacré par la jurisprudence nous semble suffisant.

S’agissant des personnes morales, bien que quelques contestations arrivent dans les tribunaux au sujet de significations qui auraient été remises à des personnes non habilitées et auraient privé l’entité destinataire de faire valoir ses droits, il nous semble que les soucis d’organisation interne des entreprises n’ont pas à remettre en cause un modèle qui, par ailleurs, apporte toutes garanties au justiciable.

3) La relation des diligences accomplies dans le procès-verbal

Il n’est pas inconcevable que les procès-verbaux soient rédigés avec soin sans formules pré établies. Il appartient aux commissaires de justice d’être particulièrement vigilants quant à la rédaction des actes qu’ils signent. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer que la formation initiale des commissaires de justice soit essentiellement limitée à la pratique des voies d’exécution. Tel commissaire de justice stagiaire sera plus à même de rédiger une saisie de droits d’associés et de valeurs mobilières que de rédiger un procès-verbal de signification. La formation des commissaires de justice et la formation des clercs assermentés doit être repensée pour faire de ces professionnels des agents de signification particulièrement efficaces, offrant toutes les garanties qu’exige la fonction et dignes de la confiance que leur accorde la loi.

La proposition de travailler à la rédaction d’un modèle de signification nous semble très intéressante, mais la formation nous parait primordiale.

4) Les moyens techniques

La signification par voie électronique est acceptable et même parfaitement légitime et efficace lorsqu’elle est destinée à des personnes qui connaissent déjà le contenu général de l’acte qui leur est signifié, comme les établissements habilités à tenir des comptes de dépôt pour recevoir les saisies-attribution ou les compagnies d’assurance pour recevoir les assignations et les jugements. En fait, le destinataire est le service compétent pour traiter l’information reçue. La signification se cantonne à une transmission sécurisée qui assure l’intégrité du contenu remis. La compréhension, l’étincelle provoquée par la rencontre ou la réaction chimique précédemment évoquée n’ont pas leur place dans ce genre de significations. Il ne s’agit que de transmettre un acte à la personne qui le traitera de façon plus ou moins automatisée parce qu’elle en a l’habitude et parce que c’est son métier.

En revanche, la signification par voie électronique au particulier (et finalement à toute personne dont le métier n’est pas, précisément, de recevoir des actes de commissaire de justice) nous semble une aberration au regard du but de la signification et de sa substance même, car la signification est avant tout une rencontre pour que soit transmise l’information et que soit assurée la bonne compréhension de l’information remise. On rétorquera que la signification électronique à un particulier nécessite une rencontre préalable pour recueillir son consentement, mais sait-il à quoi il s’engage et le consentement est-il éclairé ?

Prenons le cas d’une personne qui accepte de recevoir des actes de commissaire de justice par voie dématérialisée parce qu’elle est en train de divorcer. Elle sait qu’elle doit recevoir différents actes de procédure ; elle y consent ; elle est conseillée par son avocat avec lequel elle échange régulièrement. Les actes sont attendus et compris. La signification dématérialisée ne pose aucune difficulté. Mais deux ans après, il est probable que l’avocat qui s’est occupé de son divorce ne soit plus son conseil. Alors, lorsqu’elle recevra une signification d’ordonnance d’injonction de payer pour un crédit à la consommation impayé, ou un congé pour vente de la part de son propriétaire, cette personne aura besoin d’un éclairage qu’est seul à même d’offrir le commissaire de justice par la signification réelle.

Recevoir un acte sans l’information qui va avec, c’est comme recevoir des résultats d’analyse de sang sans les explications données par le médecin. Une série de chiffres incompréhensibles et angoissants. La signification par commissaire de justice, c’est l’analyse de sang apportée à domicile avec le déchiffrage et les explications attendues.

B. Les moyens nécessaires

Qu’il nous soit permis de faire une liste des moyens dont le commissaire de justice devrait bénéficier pour mener sa mission fondamentale, et la mener dans de bonnes conditions. Évidemment la question de la rémunération devra être évoquée, mais d’autres outils permettraient également de faciliter la tâche du praticien et d’améliorer la signification.

1) Les informations utiles

Pour signifier, l’huissier a besoin d’informations précises pour localiser le destinataire de l’acte. Cela commence par son adresse. Pourtant ces informations font souvent défaut, soit qu’elles sont erronées ou incomplètes. Un commissaire de justice qui se déplace pour aller faire un constat ne rencontre jamais ces difficultés. Les informations sont fournies par la personne à visiter. Quand les informations sont données par l’adversaire de la personne à visiter, les difficultés sont plus fréquentes.

En amont, il appartient au premier chef au requérant de fournir toutes informations utiles, particulièrement pour les actes « isolés » qui constituent une grande partie des actes de commissaire de justice, transmis généralement par les avocats. L’idée d’une charte avec cette profession nous semble intéressante, qui aurait vocation à rassembler les usages et les bonnes pratiques, à rappeler les devoirs de chacun conformément à ses règles déontologiques particulières et à fixer les engagements réciproques des différents acteurs. Ainsi, les avocats pourraient sensibiliser leur clientèle au travail qu’aura à faire le commissaire de justice et recueillir toutes informations utiles au bon déroulement de sa mission en rappelant que l’officier ministériel se transporte au domicile ou au siège du destinataire de l’acte, et qu’une adresse incomplète, ancienne ou erronée occasionne des frais, des recherches, des diligences et en tout état de cause une perte de temps que tous les acteurs ont intérêt à minimiser.

Lorsque le commissaire de justice est tenu de prêter son concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, sans doute parce que le client n’a pas à payer et parce qu’il est mal informé du rôle de chacun, les informations fournies au commissaire de justice sont quasiment toujours insuffisantes. La bienveillance de l’avocat permettrait de minimiser les loupés et les demandes de renseignements chronophages.

Quand il s’est rendu sur place et qu’il rencontre des difficultés pour signifier, le commissaire de justice devrait avoir accès aux mêmes informations que lorsqu’il est porteur d’un titre exécutoire et chargé de le ramener à exécution. La signification est tout aussi importante que l’exécution, puisqu’elle en est le préalable obligé. Le droit du justiciable à un procès équitable et à l’information nous semble tout aussi important que le droit à l’exécution du créancier.

Prenons l’exemple d’une personne qui déménage sans laisser d’adresse entre le moment où elle reçoit une assignation en paiement et le moment où elle est jugée. Elle ne comparait pas au tribunal, elle ne communique pas sa nouvelle adresse à son adversaire. Elle est donc a priori en tort. Le jugement réputé contradictoire sera signifié selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile car le commissaire de justice n’a pas les moyens juridiques de trouver sa nouvelle adresse. Pourtant, dès que le jugement sera passé en force de chose jugée, il disposera d’outils et de moyens qu’il n’avait pas auparavant et il pourra procéder par voie de saisie-attribution après avoir accédé aux données du FICOBA et, à cette occasion, obtenu la nouvelle adresse pour que cette saisie soit dénoncée effectivement. N’est-il pas injuste que le débiteur n’ait pas été en mesure d’être touché par l’huissier au moment de la signification ?

Toucher la personne est essentiel pour permettre le contradictoire, c’est-à-dire pour permettre à la personne de recevoir l’information (qu’on lui fait un procès, par exemple, et qu’elle a le plus grand intérêt à faire valoir ses arguments en se présentant devant le juge), et cela dans son intérêt avant tout. Lorsque le commissaire de justice retrouve une personne, ce n’est pas une punition pour celle-ci, c’est pour lui permettre d’exercer pleinement ses droits : droit au respect du contradictoire, droit à un procès équitable, droit de se défendre, droit d’exercer un recours.

Pourtant, le commissaire de justice se heurte chaque jour à des difficultés. Dans telle mairie, « on ne répond pas aux huissiers », dans telle administration, on exige une demande écrite, dans tel service, on fait attendre indéfiniment. Or, pour être en mesure d’officier, il a besoin d’information actualisées, qui sont par ailleurs détenues par certains organismes et qui pourraient les communiquer si la loi le leur commandait, à commencer par les caisses d’allocations familiales pour localiser un locataire et les données cadastrales pour les propriétaires. L’accès aux données des caisses d’allocations familiales n’est actuellement possible que sur requête et en vertu d’un titre. Pour signifier, le commissaire de justice devrait pouvoir y accéder directement. L’accès au cadastre : des outils existent et sont accessibles en ligne comme le SPDC (serveur professionnel de données cadastrales) qui est un service de la DGFIP donnant accès au nom des propriétaires d’une parcelle cadastrale. Actuellement, le commissaire de justice doit déposer une requête ou se déplacer dans une administration, ce qui est incompatible avec la célérité requise pour une signification. Les commissaires de justice devraient y avoir directement accès, comme les notaires ou les géomètres.

Le professeur Jobert cite une réponse ministérielle [14] de 2010. « L'intérêt qui s'attache à ce qu'un acte de procédure, par exemple une assignation, soit remis à la personne de son destinataire ne suffit à justifier ni la levée du secret auquel sont tenues les administrations, ni l'atteinte à la vie privée qui résulterait de la divulgation du domicile du destinataire de l'acte. En effet, l'huissier de justice est tenu d'accomplir toutes les diligences nécessaires pour remettre à la personne de son destinataire l'acte qu'il est chargé de signifier. À cette fin, il doit rechercher le destinataire de l'acte dont l'adresse et le lieu de travail ne lui sont pas connus. Il peut ainsi notamment interroger les voisins, faire des démarches auprès de la mairie ou du commissariat de police. Lorsque ces recherches s'avèrent infructueuses, l'huissier de justice dresse un procès-verbal (de recherches infructueuses) (…). La signification selon cette modalité satisfait aux exigences du procès équitable dès lors qu'elle est soumise à des conditions et à des modalités bien définies. De surcroît, des procédures permettent au destinataire de disposer d'un droit d'accès effectif à un juge. Ainsi, lorsque l'acte introductif d'instance a été signifié selon cette modalité, le destinataire peut former opposition à l'encontre du jugement rendu par défaut. De plus, lorsqu'un jugement réputé contradictoire ou rendu par défaut a été signifié selon cette modalité, le destinataire peut obtenir le relevé de la forclusion résultant de l'expiration des voies de recours ».

Autrement dit, le commissaire de justice n’a qu’à signifier selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile s’il ne trouve pas le destinataire de son acte, et le justiciable pourra faire valoir ses droits ultérieurement. Le droit au respect de la vie privée ne justifie pas l’atteinte que lui porterait le droit à un procès équitable, qui passe par l’information du commissaire de justice pour lui permettre de faire son office. Cette solution n’est évidemment pas convenable, comme l’a parfaitement indiqué le professeur Jobert et comme nous l’avions déjà évoqué [15]. Elle l’est d’autant moins que le curseur qui sépare des droits opposés a tendance à se déplacer. Il est en effet admis qu’un enregistrement effectué à l’insu d’une personne (largement attentatoire à son droit au respect de la vie privée) ou plus récemment que la production de photographies extraites d’un compte « Messenger » [16] est admissible dès lors que c’est le seul moyen d’apporter une preuve (le droit à la preuve est un droit consacré) et que l’atteinte au droit protégé est proportionnée.

2) La majoration du coût

À ce stade il est intéressant de citer quelques extraits du rapport Magendie, Célérité et qualité de la justice du 15 juin 2004 qui, vingt ans après sa publication, n’en demeure pas moins d’actualité :

Sur le coût : « Le coût - réglementé - de l’acte couvre à peine les frais de déplacement engagés par l’huissier pour sa délivrance ». Rien n’a changé. Le commissaire de justice perd de l’argent dès lors qu’il doit faire plusieurs déplacements, ou se livrer à des enquêtes pour parvenir à signifier.

Sur les moyens : « Si l’on veut bénéficier des garanties qu’offre indéniablement le concours de cet officier ministériel, il suffit en réalité de lui donner les moyens d’être plus efficace ». Nous ne pouvons pas dire mieux.

Sur les 659 et les modalités de remise de l’acte : « Il apparaît, par ailleurs, indispensable de renforcer les exigences requises pour la délivrance des actes introductifs d’instance, dans le souci de limiter au maximum les procédures sans comparution du demandeur ».

« La Mission - soucieuse que la première instance soit le lieu où une affaire peut être jugée de manière contradictoire - préconise qu’il soit fait obligation à l’huissier - en contrepartie des moyens supplémentaires qui lui seraient accordés pour instrumenter - de mentionner de manière exhaustive dans son acte, dès lors qu’il n’a pu le délivrer à personne, les démarches qu’il a effectuées pour tenter de trouver l’adresse de la personne concernée par l’acte ».

Une meilleure rémunération contre des moyens renforcés. Tel est toujours le vœu des commissaires de justice.  Une meilleure rémunération pour pouvoir effectuer le travail correctement, décemment, sans contrainte temporelle, sans souci de rentabilité. Une meilleure rémunération parce qu’on exige des commissaires de justice davantage de connaissances, davantage de compétences, et parce tout cela ne peut être fait que par des femmes et des hommes intelligents. Or les gens intelligents embrassent une profession parce qu’elle leur assure une subsistance digne. Une meilleure rémunération finalement pour avoir les moyens d’exercer la mission assignée avec sérénité.

Prévoir une gratification pour les remises « à personne » est une option envisageable bien que, de notre point de vue, le commissaire de justice fasse tout son possible pour remettre l’acte à son destinataire sans la promesse de cette récompense, à la fois parce que c’est son devoir, mais aussi parce que sa tâche s’en trouve simplifiée. La remise ad faciem s’apparente à certains égards à un coup de chance : quand la personne est à son domicile, elle est possible. La personne s’absente-t-elle pour aller faire des courses, la remise déchoit ad domum.

En revanche, ce qui nécessite un surcroît de travail, de patience, de ruse, d’ingéniosité et de persévérance c’est de s’assurer de la réalité du domicile du destinataire de l’acte lorsqu’il n’est pas chez lui. Peut-être est-ce tout ce travail, toutes les recherches effectuées qui mériteraient une rémunération supplémentaire. La réflexion est ouverte.

3) Une rémunération assurée

Le travail du commissaire de justice ne se limite pas à signifier l’acte et à accomplir les formalités subséquentes prévues par le Code (envoi d’une lettre simple ou recommandée selon les modalités de remise) ou induites (envoi de l’acte au requérant, facturation [17]). Encore faut-il se faire payer, ce qui n’est pas toujours simple. Autrefois les avocats demandaient à leurs clients une provision sur frais et réglaient l’huissier ; les clients payaient dès réception de la facture. Désormais, se faire régler implique un travail supplémentaire d’autant que chaque demande est particulière et nécessite un traitement « sur mesure » : tel avocat demande que la facture lui soit adressée au nom de son client, tel autre que la facture soit adressée directement au client, tel donneur d’ordre exige que la facture soit déposée sur une plateforme, etc. Ce transfert de charges au détriment du commissaire de justice lui confère davantage de tâches et une partie de la gestion de la comptabilité des clients, sans contrepartie financière. Une réflexion s’impose sur la rémunération de ce travail par les donneurs d’ordres. Les gros consommateurs de justice que sont les établissements de crédit et autres bailleurs sociaux pourraient supporter une partie de ces charges imposées aux commissaires de justice.

Par ailleurs, face à un impayé le commissaire ne peut que relancer son client. La situation est paradoxale à plusieurs égards. Le commissaire de justice a travaillé pour le compte du client en question, il a fourni un service, une prestation. Par sa signature il a conféré l’authenticité. Il a engagé des débours et, surtout, l’acte impayé a eu, quelle que soit sa nature, des conséquences juridiques qui profitent au client indélicat : l’assignation a été délivrée et l’affaire peut être évoquée devant la juridiction, le jugement a été signifié et devient opposable, etc.

Le commissaire de justice doit donc être réglé de son acte. Les frais sont tarifés. Quiconque mandate un officier ministériel sait qu’il devra régler le coût de l’acte et combien il lui en coûtera.

Les frais se prescrivent par deux ans. La procédure actuelle de taxation des frais est longue et fastidieuse. Il est fréquent que les professionnels renoncent à l’engager et subissent une perte globalement significative en plus d’être injuste. Il peut être opposé que le commissaire de justice est tenu de se faire provisionner avant d’instrumenter. En pratique, cette faculté est peu utilisée car elle suppose un travail supplémentaire, incompatible avec la célérité attendue. Pour demander une provision, il faut avoir ouvert le dossier informatiquement - donc avoir réalisé une partie importante du travail sans être assuré d’avoir à le mener à son terme. Il faut surveiller la réception de la provision, avec le risque de laisser passer un délai. Il faudra gérer la partie comptable : demander le solde, rembourser le trop-perçu. Tout cela génère des traitements fastidieux et augmente le coût de revient. De plus, il n’est pas convenable ou envisageable de demander une provision à un confrère, un institutionnel ou à un donneur d’ordre régulier.

Les actes impayés représentent un pourcentage non négligeable du chiffre d’affaires des offices.

Faire taxer les frais nécessite une débauche de moyens disproportionnés eu égard à l’enjeu financier. Il faut adresser une première relance, par courrier ou par email, puis renoter le dossier. Il faut à nouveau relancer, renoter encore le dossier pour enfin se résoudre à faire taxer les frais. Généralement, le commissaire de justice adresse une lettre de relance plus ferme (dernier avis avant taxe) et ensuite une lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il est important de rappeler que les émoluments correspondent à une rémunération raisonnable (C. com., art. L. 444-2 N° Lexbase : L3474LZP). Toute action supplémentaire, ne serait-ce qu’une simple relance, augmente son coût de revient donc diminue la rémunération censée être juste de l’officier ministériel.

Faire taxer, c’est déposer au greffe du tribunal judiciaire une « demande de vérification des dépens » conformément aux dispositions des articles 704 N° Lexbase : L6866LEZ et suivants du Code de procédure civile, comprenant une copie du mandat reçu, une copie de l’acte ou des actes concernés, une copie de la lettre recommandée avec accusé de réception adressée préalablement à la demande, soit en moyenne quelques dizaines de pages. Il n’est pas rare que le commissaire de justice attende p l u s i e u r s m o i s l e certificat de vérification, les greffières ou greffiers étant surchargés et parfois rebutés par la complexité du tarif. Quand le certificat de vérification est rendu, il est adressé par le greffe par courrier et notifié par lettre recommandée avec accusé de réception à la personne qui n’a pas payé. Cela génère une action et un coût supplémentaires. Un mois après, il faut solliciter à nouveau le greffe pour l’apposition de la formule exécutoire, là aussi renvoyée par courrier sur le budget de la Justice. Le commissaire de justice doit ensuite confier le titre exécutoire à un de ses confrères pour exécution. En résumé, la procédure a pris plusieurs mois et occupé inutilement les services du greffe et le commissaire de justice. C’est pourquoi, en pratique, ce dernier renonce fréquemment.

Une majoration forfaitaire des coûts d’actes de commissaires de justice en cas de non-paiement serait un moyen efficace d’endiguer l’impayé. Une nouvelle procédure de vérification des dépens pourrait être calquée sur la procédure de recouvrement des chèques impayés avec pénalité forfaitaire censée couvrir les coûts exposés et dissuader le client, quel qu’il soit, de s’abstenir de régler le professionnel qu’il a sollicité à réception de la facture.

Le commissaire de justice « créancier » adresserait par voie dématérialisée à une autorité centrale les pièces qu’il détient et certifierait qu’il n’a pas été réglé de ses frais malgré plusieurs relances. Ce certificat vérifié serait notifié par l’autorité centrale qui, à défaut de paiement dans les quinze jours, émettrait un titre exécutoire.

Cette procédure aurait au moins quatre avantages : réduire les délais de traitement, limiter les risques de prescription, tout en déchargeant les greffes d’une matière technique et chronophage, permettre aux tribunaux de faire des économies.

Enfin et surtout, cette procédure aurait une vertu dissuasive. La seule perspective d’une pénalité forfaitaire en cas de non-paiement inciterait les donneurs d’ordre à plus de vigilance, les avocats à informer leurs clients et les commissaires de justice à s’en tenir strictement au tarif et aux obligations déontologiques qui sont les leurs.

4) La suppression des clercs assermentés ?

Il appartient aux commissaires de justice de pratiquer la signification avec conscience dans le respect des règles déontologiques qui sont les leurs. Pour cela, nous pensons que les bureaux communs de signification et les clercs significateurs devraient laisser la place aux seuls commissaires de justice. L’officier public et ministériel, responsable, soumis à une déontologie, est l’agent significateur par excellence. Actuellement, les actes d’exécution ne peuvent être faits que par commissaire de justice, pourtant les actes introductifs d’instance sont tout aussi lourds de conséquences.

Les clercs assermentés, comme le rappelle justement le professeur Jobert, ont été institués par la loi de 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés pour pallier l’absence d’huissiers au lendemain de la première guerre mondiale. Mais l’institution des clercs était attendue depuis des décennies, en tout cas bien avant que la guerre ne rende sa création inéluctable. Les huissiers de la fin du XIXème siècle ne signifiaient jamais eux-mêmes leurs actes, du moins à Paris. Ils avaient recours à un bureau commun où chacun portait ses exploits, pour y être répartis à travers la ville par des auxiliaires de passage. Cela se faisait en toute impunité. Le décret impérial de 1813 en vigueur à l’époque l’interdisait à peine de faux. Mais le pouvoir judiciaire fermait les yeux et tolérait ces pratiques. Il faut dire qu’il était fréquent qu’un huissier ait à délivrer plusieurs dizaines de protêts le jour de l’échéance. L’institution du clerc assermenté a permis de régulariser une pratique depuis toujours interdite : faire signifier les actes par un tiers. Mais cette création avait une contrepartie : le cantonnement absolu c’est-à-dire une compétence territoriale limitée au canton de l’huissier. « Qui donc profitera de l'institution des clercs assermentés ? L'huissier, dont l'étude est chargée, prospère et qui ne craindra pas d'augmenter ses frais généraux tant pour régulariser la délivrance de ses actes ou alléger son service d'audience que pour étendre le rayon de ses affaires.  À moins de vouloir anéantir < les petits offices ruraux en créant au profit des puissants un moyen de concurrence nouveau, il ne faut songer à l'institution des clercs assermentés que si la protection indispensable du cantonnement est accordée à tous. » [18]

De nos jours où la compétence territoriale est étendue et où les protêts ne sont que des souvenirs, rien ne justifie que le commissaire de justice n’assure pas personnellement sa mission première. C’est le cas en Belgique où l’acte est rémunéré plusieurs centaines d’euros en moyenne [19]. Alors, comme cette révolution que serait la suppression des clercs significateurs aurait des conséquences importantes dans les offices, il convient de préconiser une formation obligatoire du clerc assermenté. Il ne doit pas être un saute-ruisseau, mais une personne qualifiée, connaissant parfaitement les procédures, à même d’informer les destinataires des actes et surtout soumis à des règles strictes et à une discipline sévère ; en bref qu’il soit à l’image du patron pour le compte duquel il délivre des actes.

***

Il nous semble que la signification est trop souvent vue comme un vecteur un peu compliqué, comme un moyen trop onéreux de porter des plis, voire comme une coutume obsolète. Évidemment, par rapport aux bienfaits qu’elle offre et aux garanties qu’elle apporte, il n’en est rien.

C’est une vieille pratique qui mérite davantage d’égards et une plus grande considération de la part de ceux qui la pratiquent d’abord, de la part de ceux qui en bénéficient ensuite et de la part des pouvoirs publics enfin, par une rémunération digne du service apporté.

Finalement, l’institution judiciaire est la seule à lui accorder tout le respect qu’elle mérite.


[1] « Viatores » ou messagers, « praecones » ou hérauts, semonceurs, sergents et huissiers.

[2] Ordonnance d’Is sur Tille du 1er octobre 1535, chapitre XX, article VII, et ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539, article XXII.

[3] Sénat, débats parlementaires, 14 décembre 1911.

[4] Il a été décidé de cantonner les huissiers, c’est-à-dire de réduire leur compétence territoriale au canton de leur résidence.

[5] S. Jobert, Réformer la signification ?, Lexbase Contentieux et recouvrement, septembre 2023 N° Lexbase : N6733BZE.

[6] CPC, art. 659.

[7] C. com, art. A444-33 N° Lexbase : L3287LWN.

[8] B. Fraenkel, D. Pontille, D. Collard, G. Deharo, Le Travail des Huissiers, Transformations d’un métier de l’écrit, éditions Octarès, 2010.

[9] Encyclopédie des huissiers, Deffaux, 3° édition, tome 7 p. 882.

[10] Décret n° 2017-923 du 9 mai 2017 relatif au document d’information en vue de l’audience délivré aux locataires assignés aux fins de constat ou de prononcé de la résiliation du contrat de bail N° Lexbase : L2637LEE.

[11] S. Jobert, Réformer la signification ?, Lexbase Contentieux et recouvrement, septembre 2023 N° Lexbase : N6733BZE.

[12] Le Travail des Huissiers, op cit, p.154.

[13] C. proc. pén. art. 550 N° Lexbase : L3944AZ4 in fine : « La personne qui reçoit copie de l'exploit signe l'original ; si elle ne veut ou ne peut signer, mention en est faite par l'huissier ».

[14]  Rép. min. n° 52445, JOAN Q, 2 février 2010, p. 1169.

[15] J-L. Bourdiec, Des diligences que doit effectuer le commissaire de justice pour rechercher le destinataire d’un acte. Le feuilleton continue, Lexbase Contentieux et Recouvrement, juin 2023, n° 2 N° Lexbase : N5980BZI.

[16] Cass soc 4 octobre 2023 n°21-25.452, sur cet arrêt : A-C. Chambas et E. Guilcher, La production par l’employeur de correspondances privées sur les réseaux sociaux peut être justifiée par le droit à la preuve, Lexbase Contentieux et Recouvrement, décembre 2023, n° 4 N° Lexbase : N7602BZL.

[17] Le tarif belge prévoit un droit comprenant le coût de l'original, d'une copie, de l'enveloppe, de l'inscription au répertoire (...) et de l'envoi de l'original ou d'une copie au requérant ou à son conseil.

[18] A. Lebert, Sénat, débats parlementaires, n° 338, annexe au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1911.

[19] Arrêté royal du 30 novembre 1976.

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