Lexbase Contentieux et Recouvrement n°4 du 21 décembre 2023 : MARD

[Point de vue...] Le constat et la voie de l’amiable

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé (Venezia), Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement et Guewen Le Cloerec, Commissaire de justice (Venezia)

le 08 Décembre 2023

Mots-clés : constats, conciliation, médiation, MARD, amiable, preuve, procès-verbal

Explorant le rôle émergent du constat de commissaire de justice dans le règlement amiable des différends, cet examen suggère que le constat pourrait devenir un outil actif dans la prévention des litiges et faciliter les résolutions amiables. En mettant en lumière sa force probante et son impact sur les tiers chargés de résoudre les litiges, il se positionne comme un catalyseur puissant dans le paysage juridique contemporain tant dans la prévention des contentieux que dans le règlement amiable des différends.


 

Une des expressions souvent utilisées pour évoquer le procès-verbal de constat d’huissier de justice est celle de « photographie juridique » : il représente objectivement la réalité perçue par professionnel du droit à un instant déterminé et connu » [1].  Cette représentation objective est tenue en estime par les magistrats, à tel point que les huissiers de justice ont longtemps été présentés comme « les yeux du juge ».

Ainsi, le procès-verbal de constat est principalement un moyen de préservation du fait litigieux. Il n’est pas la preuve, mais la consigne, objectivement et indépendamment de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit ; c’est une « copie de la réalité en ce qu’il n’est qu’une narration par description objective du fait constaté » [2]. Son principal objectif est donc d’éviter une disparition ou une altération de la preuve. R. Perrot écrivait ainsi que « le constat conserve la mémoire des faits qui, sans un support écrit, s’estomperait dans le temps. Mais il ne la conserve pas n’importe comment : il la conserve avec l’autorité, le sérieux et l’objectivité qui s’attachent à la fonction d’officier ministériel dont les dires prennent une valeur quasi officielle » [3]. Le constat est donc un réceptacle du fait constaté à un moment donné : c’est une « photographie juridique ».

Cependant, à l’ère de la promotion de l’amiable dans le règlement des différends, le constat de commissaire de justice ne devrait-il pas cesser d’être circonscrit à cette fonction de « garde-preuve », pour participer à l’essor de l’amiable et devenir un outil dans le règlement extrajudiciaire des contentieux ?

Pour s’en persuader, il convient d’abord d’exposer le fait que le constat de commissaire de justice peut prévenir la naissance de litiges (I), voire en favoriser le dénouement amiable (II).

La force probante particulière attachée à cet acte permet, bien souvent, au demandeur de raisonner l’autre partie (I) avant même d’engager un mode de résolution amiable du différend. Malgré tout, le recours à un « tiers » impartial et objectif, s’avère parfois nécessaire pour expliciter les conséquences du procès-verbal aux parties et ainsi les ramener à la raison (II).

I. Le constat, instrument de prévention du contentieux

Le constat dressé par un commissaire de justice est un mode de preuve quasi incontournable, difficilement contestable et donc exceptionnellement contestée (A). L’aura qui est attachée à cet acte et la confiance accordée à son auteur permettent, bien souvent, d’endiguer les pulsions contentieuses des parties (B).

A. Un acte exceptionnellement contesté

Il peut être étrange d’évoquer l’idée d’une contestation du constat de commissaire de justice alors même que ces lignes évoquent le règlement amiable des différends. Car, en réalité, c’est derrière les contestations que peut apparaître un accord. Deux raisons en engendrant une troisième l’expliquent.

La première raison est purement juridique. Les textes prévoient que le constat de commissaire de justice vaut jusqu’à preuve contraire. Même si cette notion juridique est difficile à cerner, cela laisse penser qu’il convient de prouver que le constat du commissaire de justice est faux. Mais il ne suffit pas de le prouver : encore faut-il le prouver avec vigueur. Ainsi, même la production d’attestations en grand nombre ne suffit pas à renverser un procès-verbal de constat de commissaire de justice [4]. À part un autre acte d’agent assermenté, le constat du commissaire de justice n’est donc pas discuté. Dès lors, le constat du commissaire de justice est donc juridiquement conforme à la réalité.

Cette conformité juridique est également factuelle puisque, lorsqu’un constat de commissaire de justice est contesté, ce n’est quasiment jamais sur le fait constaté, mais les conditions dans lesquelles les constatations ont été réalisées. En témoigne l’évolution du contentieux des constats internet qui a été nourri par des considérations techniques alors même que le fait constaté par le commissaire de justice n’était lui-même pas contesté ! C’est l’environnement des constatations qui affaiblissent leur force probante, et il n’est quasiment jamais plaidé la fausseté d’un constat de commissaire de justice.

De ce dernier point peut naître un premier point d’accord entre les parties : la réalité du fait constaté. Qu’importent les circonstances, le fait constaté est vrai et les parties peuvent s’accorder sur cette existence, leur désaccord naissant davantage des conclusions en tirer.

B. Un acte suffisamment puissant pour convaincre

Le constat peut être réalisé à l’amiable, c’est-à-dire dans un contexte extrajudiciaire, soit sur ordonnance du juge, avec un cadre judiciarisé.

En l’espèce, seul le constat réalisé « à l’amiable » nous intéressera dans la mesure où ce dernier intervient en dehors de toute instance, de tout procès. C’est en pareille hypothèse que l’acte dressé par le commissaire de Justice peut servir à désamorcer un contentieux naissant.

De nombreux exemples nous permettent de dire qu’en pratique, les constats désengorgent les tribunaux.

À titre d’exemple, l’entrepreneur mandaté pour réaliser des travaux de ravalement d’une façade aura tout intérêt à mandater un commissaire de justice afin que ce dernier procède à un examen des zones susceptibles d’être impactées par les travaux. L’intervention du commissaire de Justice présente un double intérêt. D’une part, elle permet d’identifier les dégradations imputables aux travaux (leur apparition étant postérieure à l’installation du chantier) et, d’autre part, de contrecarrer les accusations infondées. L’entrepreneur pourra ainsi procéder à des reprises si ces travaux ont occasionné des désordres (plutôt que de voir sa garantie décennale actionnée). Il pourra également se défendre en arguant que les craquelures au plafond étaient bel et bien présentes avant l’installation de son échafaudage. Toutes les parties sont ainsi protégées.

Il est également possible d’envisager le cas du constat d’état des lieux. Un état des lieux d’entrée est réalisé par un commissaire de justice, lequel liste l’ensemble des désordres. À la sortie, une nouvelle liste des désordres est établie. La comparaison des deux permet de mettre en lumière les désordres présumés imputables au locataire. Ainsi, les constats dressés par l’officier ministériel servent de base de discussion aux parties : plutôt que d’engager une procédure l’une contre l’autre, elles pourront faire chiffrer la remise en état et prévoir une indemnisation sur cette base. 

II. Le constat, catalyseur du règlement amiable

Le constat de commissaire de justice n’est pas seulement destiné aux parties. Il peut également servir de base au tiers en charge du règlement amiable du litige, pour soumettre une solution en considération des faits (A). Paradoxalement, le constat de commissaire de justice peut également être employé comme un « accélérateur », dans la mesure où il peut servir à motiver le non-recours à l’un des modes de résolution amiable du litige (B).

A. Un outil mis à la disposition du tiers chargé de régler le litige

L’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6401MHK prévoit en son alinéa premier trois modes de règlements amiables des litiges, à savoir :

  • la conciliation menée par un conciliateur de justice ;
  • la médiation ;
  • la procédure participative.

Même en matière amiable, les parties tentent de convaincre le tiers (le conciliateur, le médiateur ou l’avocat) du bien-fondé de leurs prétentions. Elles attendent souvent qu’il tranche le litige, en donnant raison à l’un ou l’autre, en condamnant les faits de l’un ou l’autre… Cependant, le tiers en charge de mener le règlement amiable du litige à ce point commun avec le commissaire de justice constatant : il ne prend pas parti. Ainsi, à la prise de connaissance du dossier, peut-il être convaincu que les faits constatés par le commissaire de justice sont réels et réalisés indépendamment.

Ainsi, la production d’un constat au stade du règlement amiable du différend (par l’une ou l’autre des parties) permettra à cette dernière de prouver la véracité de ses dires au « tiers » conduisant la procédure de règlement amiable du différend.

Stratégiquement, et comme il a été précédemment exposé, le constat de commissaire de justice peut constituer le premier point d’accord entre les parties. Elles peuvent toutes deux s’accorder sur la réalité d’une situation de fait, leur démontrant qu’elles sont capables de s’accorder.

B. Un vecteur d’action directe

La voie de l’amiable n’est pas « LA » solution au règlement des différends, mais l’une. Elle n’exclut pas l’intervention du juge pour trancher les litiges si les parties s’avèrent incapables de s’accorder sur une issue autre que judiciaire. Il convient donc d’envisager l’échec de la voie amiable, où le commissaire de justice peut également s’avérer utile. Il est ainsi possible d’imaginer que le constat de commissaire de justice soit utilisé pour éviter d’avoir recours à un mode de résolution amiable du différend.

L’article 750-1 du Code de procédure civile prévoit en effet des cas de dispense à la nécessité de recourir à un mode de résolution amiable du litige tout en rappelant que « le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ». Au sein du 3°, l’article précité évoque notamment « les circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ». Cela ressort notamment de l’article R. 125-3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5597LTH qui dispose que, en matière de procédure simplifiée de recouvrement des petites créances « L'huissier de justice constate, selon le cas, l'accord ou le refus du destinataire de la lettre pour participer à la procédure simplifiée de recouvrement ».

Mais comment justifier des circonstances d’espèce permettant de se dispenser d’une tentative amiable de règlement des différends ?

Dans le cadre d’un litige commercial, il est possible d’évoquer l’hypothèse où deux commerçants travaillant régulièrement ensemble sont en litige pour le non-paiement d’une facture de 4 000 euros. Si le commerçant impayé dispose de SMS sur son téléphone portable émis par le commerçant débiteur lui indiquant, par exemple ; « ma trésorerie ne suit pas en ce moment, je règle à réception des assignations en paiement successives, tu n’auras rien avant, j’essaye de gagner le maximum de temps, ce n’est pas la peine de me relancer toutes les semaines. J’ai vu tes courriers proposant une médiation ou une conciliation, tu crois vraiment que j’ai le temps pour ça ? Laisse-moi rire. Mdrrrr », il pourrait tout à fait faire constater par un commissaire de justice l’intégralité de la conversation avec son débiteur afin d’assigner ce dernier au plus vite. La teneur de leur échange permettrait de justifier de « circonstances rendant impossible une telle tentative ».

[1] S. Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 3ème édition, 2022.

[2] S. Dorol, note ss CA Douai, 13 janvier 2015, n° 13/06491, inédit : Dr. et proc. 2015, p. 99, n° 4.

[3] R. Perrot, Le constat d’huissier de justice, CNHJ, 1985, p. 8.

[4] CA Paris, 2 novembre 2006, n° 06/04537 N° Lexbase : A3183DT3 ; CA Riom, 6 octobre 2020, n° 20/00326 N° Lexbase : A00663XQ.

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