La lettre juridique n°844 du 19 novembre 2020

La lettre juridique - Édition n°844

Assurances

[Brèves] Pertes d’exploitation, assurance et confinement : la clause d’exclusion de garantie jugée valide par les juges lyonnais !

Réf. : T. com. Lyon, 4 novembre 2020, aff. n° 2020J00525 (N° Lexbase : A061734M)

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N5353BYW

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 18 Novembre 2020

► L’ampleur d’une épidémie ne se situe pas forcément et systématiquement à un niveau territorialement étendu ; la fermeture administrative d’un seul établissement pour cause d’épidémie au sein d’un département peut ainsi constituer une mesure plausible et cohérente, donc un fait probable, en réponse à une épidémie dont la source est localement identifiée et potentiellement circonscrite ;

► la clause d’exclusion afférente à l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitations consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie trouve alors son sens en ce que l’assureur exclut de sa couverture le cas des fermetures administratives pour cause d’épidémies dont l’ampleur dépasse le spectre de l’établissement assuré, mais que cependant le risque couvert demeure et se limite au cas où la cause n’engendre que la fermeture du seul établissement de l’assuré ; ladite clause a bien un caractère limité et ne vide pas la garantie principale de sa substance ; elle est alors jugée applicable en l’espèce.

Le contrat et la clause d’exclusion. Le restaurateur avait souscrit un contrat d’assurance multirisque professionnelle ; celui-ci comportait dans ses conditions particulières une extension de la garantie « perte d’exploitation » dans le cas d’une fermeture administrative de l’établissement de l’assuré en raison d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.

Le contrat prévoyait une clause d’exclusion, en vertu de laquelle cette garantie n’est pas mobilisable si un autre établissement, dans le même département, fait aussi l’objet d’une fermeture administrative pour des cause identiques.

Question soulevée : validité et opposabilité de la clause d’exclusion ? Le restaurateur contestait que ladite clause d’exclusion lui soit opposée et considérait que l’assureur avait l’obligation de garantir le sinistre dûment déclaré, dès lors que son établissement avait fait l’objet d’une fermeture administrative ; il fondait principalement ses prétentions au visa de l’article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH) et sur les décisions jurisprudentielles, et soutenait que la clause d’exclusion vidait la garantie essentielle de sa substance ; qu’étant sujette à être interprétée, celle-ci n’était ni formelle, ni limitée, qu’elle devait être considérée comme non écrite.

Signification et portée du mot « épidémie ». Pour répondre à la question soulevée, le tribunal a commencé par se livrer à une analyse extrêmement détaillée quant à la signification et la portée du mot « épidémie », afin de déterminer si la notion d’épidémie peut n’être circonscrite qu’à un seul établissement, sans affecter automatiquement d’autres établissements dans le même département et entraîner inexorablement une fermeture collective. Il conclut de l’ensemble des précisions qu’il a pu relever qu’elles traduisent une information sur la réalité des différentes formes qu’elle peut revêtir, qu’ainsi la notion de propagation d’une maladie est relative et peut couvrir une très large échelle dans la gradation de sa diffusion ; il en résulte que l’ampleur d’une épidémie ne se situe pas forcément et systématiquement à un niveau territorialement étendu.

Sur la garantie « perte d’exploitation » et la portée de la clause d’exclusion. C’est sur la base de cette analyse du terme « épidémie » que le tribunal relève, ensuite, que la cause « épidémie » figurant dans le contrat comme cause de fermeture administrative n’est accompagnée d’aucune précision ou observation quant à sa portée, elle doit en conséquence être nécessairement considérée dans son sens général, c’est-à-dire dans la globalité et l’entièreté de sa définition ; cette démarche ne constitue pas une interprétation mais le respect d’une réalité. Au regard des développements précédents, la fermeture administrative d’un seul établissement pour cause d’épidémie au sein d’un département peut constituer une mesure plausible et cohérente, donc un fait probable, en réponse à une épidémie dont la source est localement identifiée et potentiellement circonscrite. Le tribunal relève, alors, que la clause d’exclusion afférente à l’extension de garantie « perte d’exploitation » trouve son sens en ce que l’assureur exclut de sa couverture le cas des fermetures administratives pour cause d’épidémies dont l’ampleur dépasse le spectre de l’établissement assuré, mais que cependant le risque couvert demeure et se limite au cas où la cause n’engendre que la fermeture du seul établissement de l’assuré. De ce fait, ladite clause a bien un caractère limité et ne vide pas la garantie principale de sa substance, qu’ainsi les conditions de l’article 1170 du Code civil ne sont pas remplies.

Le tribunal juge, enfin, que le caractère formel de la clause d’exclusion est établi ; en effet, il relève que la clause d’exclusion figure en page 11 des conditions particulières en lettres majuscules ; elle exprime clairement que le risque perte d’exploitation pour fermeture administrative est exclu lorsqu’au moins un autre établissement dans le département est aussi fermé pour une cause identique ; il n’apparait pas, à sa lecture, qu’une interprétation soit nécessaire pour en définir le sens et en apprécier la portée ; en outre, le mot « épidémie » n’y figure pas.

C’est alors que le tribunal estime, au regard des développements qui précèdent, que l’existence d’un doute dans la portée de la clause d’extension de la garantie « perte d’exploitation » et de la clause d’exclusion afférente n’est dès lors pas démontrée, et qu’il n’y a donc pas lieu de déclarer la clause d’exclusion nulle et non écrite.

Dans le même sens : la décision ainsi rendue par le tribunal de commerce de Lyon rejoint celle rendue par le tribunal de commerce de Toulouse, jugeant également applicable la clause d’exclusion de garantie : cf. T. com. Toulouse, 18 août 2020, aff. n° 2020J00294 (N° Lexbase : A15843SH).

En sens contraire : les jugements rendus par les tribunaux de commerce de Lyon et Toulouse s’inscrivent, en revanche, en sens contraire, des décisions rendues par le tribunal de commerce de Paris qui a jugé que la clause d’'exclusion de garantie qui prévoit que la garantie perte d’exploitation n'est pas due lorsque « ( ... ) à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique » ne peut valablement être opposée par l'assureur en ce qu'elle n’est pas « limitée » et vide ainsi la garantie de sa substance en application de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) (Réf. : T. com. Paris, 17 septembre 2020, cinq jugements, aff. n° 2020022823 (N° Lexbase : A20793UK), aff. n° 2020022825 (N° Lexbase : A20803UL), aff. n° 2020022816 (N° Lexbase : A20813UM), aff. n° 2020022819 (N° Lexbase : A20823UN), aff. n° 2020022826 (N° Lexbase : A20833UP).

Sur l’ensemble des décisions déjà rendues, cf. V. Morales, La garantie pertes d’exploitation des restaurateurs en temps de Covid-19 : tour de table des premières décisions !, Lexbase, Droit privé, octobre 2020, n° 840 (N° Lexbase : N4918BYS).

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Une cour d'appel peut se prononcer sur les poursuites disciplinaires malgré l'absence du rapport d’instruction

Réf. : Cass. civ. 1, 12 novembre 2020, n° 19-14.599, F-P+B (N° Lexbase : A523034H)

Lecture: 2 min

N5291BYM

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par Marie Le Guerroué

Le 18 Novembre 2020

► Si le rapport d'instruction est obligatoire devant le conseil de discipline, la cour d'appel peut se prononcer sur les poursuites disciplinaires malgré l'absence de ce rapport, en tenant compte des éléments de fait et de preuve contradictoirement débattus.

Faits et procédure. Le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de la Seine-Saint-Denis, agissant en qualité d'autorité de poursuite, avait saisi le conseil régional de discipline d'une procédure contre un avocat. Un ancien Bâtonnier désigné en qualité de rapporteur, avait déposé son rapport. L’avocat avait été cité à comparaître à l'audience du conseil régional de discipline. A cette date, en raison d'une audience particulièrement houleuse, le conseil de discipline n'avait pas pu statuer sur les poursuites dont il était saisi. Le Bâtonnier avait saisi la cour d'appel de Paris, sur le fondement de l'article 195 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), des faits visés dans la citation. Un des arrêts attaqués avait annulé le rapport de l'avocat instructeur.

Appel. Pour déclarer irrégulière la procédure suivie contre l’avocat et dire qu'il ne peut être prononcé de sanction contre celui-ci, l'arrêt retenait qu'une procédure disciplinaire ne pouvait être régulière sans comporter un rapport valablement établi, que le rapport de l'avocat instructeur avait été annulé par arrêt du 25 juin 2015 et qu'il n'avait pas été remédié à cette nullité. Le Bâtonnier faisait grief à l'arrêt de déclarer irrégulière la procédure disciplinaire suivie contre l’avocat et de dire qu'il ne pouvait être prononcé de sanction disciplinaire contre celui-ci.

Réponse de la Cour. Il résulte de l'article 195 du décret du 27 novembre 1991 que, si le rapport d'instruction est obligatoire devant le conseil de discipline, la cour d'appel peut se prononcer sur les poursuites disciplinaires malgré l'absence de ce rapport, en tenant compte des éléments de fait et de preuve contradictoirement débattus. Aussi, en statuant comme elle l’a fait, la cour d'appel a, selon la Haute juridiction, violé le texte susvisé.

Cassation. La Cour censure l’arrêt précédemment rendu par la cour d’appel de Paris.

Pour aller plus loin : ÉTUDE : Le régime disciplinaire de la profession d'avocat, Le rapport d'instruction au président du conseil de discipline, in Lexbase Avocats, Lexbase (N° Lexbase : E35943RK).

 

newsid:475291

Bancaire

[Brèves] Précisions sur la preuve pesant sur le prestataire de services de paiement

Réf. : Cass. com., 12 novembre 2020, n° 19-12.112, FS-P+B (N° Lexbase : A514434B)

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N5298BYU

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par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 18 Novembre 2020

► S’il entend faire supporter à l’utilisateur d’un instrument de paiement doté d’un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 (N° Lexbase : L5114LGI) et L. 133-17 (N° Lexbase : L5113LGH) du Code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement doit aussi prouver que l’opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

Voilà une affaire, intéressant le « hameçonnage », déjà connue (Cass. com., 25 octobre 2017, n° 16-11.644, FS-P+B+I N° Lexbase : A6296WW4), qui a pour intérêt de donner lieu à une nouvelle décision remarquée.

Faits et procédure. En l’espèce, après avoir reçu, sur son téléphone mobile, deux messages lui communiquant un code à six chiffres dénommé « 3D Secure », destiné à valider deux paiements par internet qu’elle n’avait pas réalisés, la titulaire d'une carte bancaire avait, le même jour, fait opposition à celle-ci auprès de sa banque. Elle lui avait ensuite demandé, ainsi qu’à la Caisse fédérale régionale de la banque, de lui rembourser la somme qui avait été prélevée sur ce compte à ce titre et de réparer son préjudice moral.

Soutenant que l’utilisatrice ne contestait pas avoir, en réponse à un courriel se présentant comme émanant de l’opérateur téléphonique SFR, communiqué à son correspondant des informations relatives à son compte chez cet opérateur, permettant de mettre en place un renvoi téléphonique des messages reçus de la banque, ainsi que ses nom, numéro de carte de paiement, date d’expiration et cryptogramme figurant au verso de la carte, l’établissement de crédit et la Caisse fédérale s’étaient opposées à sa demande au motif qu’elle avait ainsi commis une négligence grave dans la conservation des dispositifs de sécurité personnalisés mis à sa disposition.

Or, par un jugement du 12 décembre 2018 rendu sur renvoi après cassation (Cass. com., 25 octobre 2017, n° 16-11.644, préc.), le tribunal d’instance de Dunkerque était venu dire que ces établissements ne démontraient pas que l’opération litigieuse n’avait pas été affectée par une déficience technique ou autre. Ils avaient alors été condamnés in solidum à payer à l’utilisatrice la somme de 3 300,28 euros.

La banque et la Caisse fédérale ont, sans surprise, formé un pourvoi en cassation.

Moyens. Elles rappelaient, par ce dernier, que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non-autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à l’obligation de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés. Or, elles observaient qu’en l’espèce, le tribunal d’instance avait retenu que l’utilisatrice avait commis une négligence grave en transmettant ses nom, numéro de carte bancaire, date d’expiration et cryptogramme visuel en réponse à un courriel manifestement frauduleux aux yeux de tout utilisateur normalement attentif. Dès lors, en jugeant néanmoins que faute pour la banque de prouver que l’opération litigieuse n’avait pas été affectée d’une déficience technique, la banque devait être condamnée à rembourser à sa cliente le montant des sommes détournées, le tribunal d’instance aurait violé les articles L. 133-16, L. 133-19 (N° Lexbase : L5118LGN) et L. 133-23 (N° Lexbase : L5125LGW) du Code monétaire et financier.

Décision. Ce moyen ne parvient pas à convaincre la Haute juridiction.

La Cour de cassation considère en effet qu’il résulte des articles L. 133-19, IV et L. 133-23 du Code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 (N° Lexbase : L4658IEA), que s’il entend faire supporter à l’utilisateur d’un instrument de paiement doté d’un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 de ce code, le prestataire de services de paiement doit aussi prouver que l’opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre. Dès lors, le moyen, pris en sa première branche, qui postule le contraire, manque en droit.

Le pourvoi est, au final, rejeté.

Voilà une solution sévère pour les prestataires de services de paiement du payeur, car de nature à rendre particulièrement rares les cas dans lesquels le payeur verra sa responsabilité engagée en présence d’opérations de paiement non autorisées.

Elle est, en revanche, conforme à la loi. L’article L. 133-23, alinéa 1er, du Code monétaire et financier prévoit bien que lorsque l’utilisateur de services de paiement (payeur ou bénéficiaire) nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l'opération de paiement n'a pas été exécutée correctement, « il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l'opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre ».

La Cour de cassation souhaite donc faire prévaloir cet alinéa en l’imposant dans tous les cas. Cette lecture de l’article L. 133-23 est, a priori, convaincante.

newsid:475298

Baux commerciaux

[Brèves] Bail commercial, exigibilité des loyers pendant la crise sanitaire et pouvoirs du juge des référés : importance de la bonne foi

Réf. : TJ Paris, référé, 26 octobre 2020, deux ordonnances, n° 20/53713 (N° Lexbase : A339134D) et n° 20/55901 (N° Lexbase : A339234E)

Lecture: 2 min

N5297BYT

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par Julien Prigent

Le 19 Novembre 2020

L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5730LW7) n'a pas pour effet de suspendre l'exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial ; en outre, la force majeure ne peut fonder une demande de suspension des loyers car il s’agit d’une obligation de somme d’argent ; par ailleurs, le contexte sanitaire ne peut générer en lui-même un manquement par le bailleur à son obligation de délivrance du bien loué ; enfin, l'exception d'inexécution doit être étudiée à la lumière de l'obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d'exécution de leur contrat en présence des circonstances exceptionnelles.

Après avoir énoncé ces principes dans deux ordonnances du 26 octobre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris retient :

  • d’une part, que tant la demande de suspension des loyers que celle de leur paiement sont sérieusement contestables, dès lors qu’il faut procéder à une appréciation concrète des situations respectives des contractants et de leurs échanges pendant la période considérée (TJ Paris, ord. de reféré, 26 octobre 2020, n° 20/53713) ;
  • d’autre part, que dès lors que le locataire démontre que son secteur d'activité, les salles de sport, a été fortement perturbé économiquement par le confinement décidé par les pouvoirs publics et les restrictions des déplacements de sa clientèle et qu’il justifie par des échanges de courriers s'être rapproché de son bailleur pour avoir essayé de trouver une solution amiable, la demande en paiement est sérieusement contestable (TJ Paris, ord. de reféré, 26 octobre 2020, n° 20/55901).
Pour aller plus loin, v. ÉTUDE : L'obligation du locataire de payer le loyer du bail commercial, L'exigibilité du loyer du bail commercial en période de crise sanitaire (Covid-19), in Baux commerciaux, Lexbase (N° Lexbase : E504834Q).

 

newsid:475297

Cotisations sociales

[Jurisprudence] Rejet de la méthode dite de « rebrutalisation » d’assiette utilisée par l’URSSAF

Réf. : Cass. civ. 2, 24 septembre 2020, n° 19-13.194, F-P+B+I (N° Lexbase : A05613WP)

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N5332BY7

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par Sonia Blondeau, Avocat counsel, Avanty avocats

Le 20 Novembre 2020

 


Mots clés : cotisations sociale • assiette de redressement • rebrutalisation • contrôle URSSAF

Sauf dispositions particulières contraires, les cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales sont calculées sur le montant brut, avant précompte s'il y a lieu de la part des cotisations et contributions supportée par le salarié, des sommes et avantages compris dans l'assiette des cotisations.


La Cour de cassation, dans un arrêt de principe estampillé « P+B+I » du 24 septembre 2020 voué à une large diffusion, met fin à une pratique de certaines URSSAF consistant à reconstituer l’assiette d’un redressement, en « rebrutalisant » des avantages ou sommes perçus par le salarié en « net », aboutissant à une majoration du redressement envisagé.

Il s’agit d’un revirement de la deuxième chambre civile qui avait validé cette méthode dans une décision du 16 septembre 2010 (Cass. civ. 2, 16 septembre 2010, n° 09-10.346, FS-D N° Lexbase : A5762E9B) relative à des avantages versés par le comité d’entreprise.

Cet arrêt devrait inciter les entreprises qui ont fait l’objet d’un contrôle URSSAF récent, à vérifier la manière dont le chiffrage des différents chefs de redressement a été opéré et à contester, le cas échéant, la méthode de majoration artificielle d’assiette qui aurait pu être appliquée par l’URSSAF.

I. Faits d’espèce et procédure

Une société a fait l’objet d’un contrôle URSSAF pour l’ensemble de ses établissements pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. Cette vérification a donné lieu à un redressement d’assiette pour un montant global de 315 885 euros, concernant notamment des avantages en nature, des frais professionnels, des primes diverses, des acomptes, des avances, des prêts non récupérés, des rémunérations non déclarées qui n’avaient pas été soumis à cotisations sociales par l’entreprise.

Pour chiffrer le montant de ces chefs de redressement, l’URSSAF a décidé de reconstituer « en brut » des montants ou avantages accordés « en net » aux salariés. Cette méthode consiste à imputer fictivement les cotisations salariales sur le montant de la somme versée ou l’avantage octroyé afin de faire « comme si » ces sommes avaient été soumises à la part salariale des cotisations et contributions sociales.

La société a contesté plusieurs chefs de redressement sur le fond et a également mis en cause la méthode retenue par l’URSSAF pour calculer la réintégration d’assiette des certaines sommes et avantages versés aux salariés.

Sur la reconstitution d’assiette, le cotisant faisait valoir, d’une part, que cette méthode ne reposait sur aucune base légale, d’autre part, que l’URSSAF ne pouvait se substituer à l’employeur pour fixer la valeur des avantages octroyés, qu’ensuite la méthode retenue par l’URSSAF revenait à faire supporter à l’employeur le paiement des cotisations salariales et enfin que la méthode retenue par l’organisme du recouvrement n’avait pas été portée à la connaissance du cotisant dans la lettre d’observations, l’empêchant de comprendre le calcul opéré.

L’URSSAF, quant à elle, justifiait sa position par le fait que les cotisations doivent être assises sur la rémunération brute versée aux collaborateurs, avant déduction des cotisations salariales, et que dans la mesure où l’employeur a injustement alloué ou versé des avantages ou sommes « en net », il est nécessaire de reconstituer l’assiette afin d’obtenir un montant brut, correspondant au montant « net » versé aux salariés.

L’organisme de recouvrement estime, par ailleurs, que les informations figurant dans la lettre d’observations étaient conformes aux obligations figurant à l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9076LSX), et qu’il n’y avait pas lieu de détailler le chiffrage aboutissant à cette majoration d’assiette.

La cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 23 janvier 2019, n° 16/04427 N° Lexbase : A9089YTS) a donné raison à l’URSSAF en retenant que les rémunérations, qui auraient dû être soumises à cotisations et charges sociales, devaient être reconstituées en base brute pour être réintégrées à l’assiette des cotisations, et que l’URSSAF n’avait d’autre moyen que de procéder à cette reconstitution pour opérer le chiffrage.

Elle rejette les autres arguments de l’employeur et notamment celui selon lequel l’URSSAF aurait dû, a minima, détailler le calcul retenu pour aboutir au montant brut, notamment le taux des cotisations salariales appliqué, en retenant que les taux utilisés étaient les « taux connus habituellement pratiqués ».

La société a saisi la Cour de cassation pour contester, non pas le fond du redressement, mais la méthode utilisée par l’URSSAF pour opérer cette « rebrutalisation ».

À cette occasion, la Cour de cassation a opéré un revirement et a très clairement censuré la pratique de l’organisme de recouvrement.

II. Censure de la pratique de l’URSSAF

Saisie une nouvelle fois de cette question, la Cour de cassation a rejeté la méthode dite de la « rebrutalisation ».

Dans un attendu de principe, les Hauts magistrats ont précisé qu’ « il résulte d’une combinaison de ces textes [les articles L. 242-1 (N° Lexbase : L4986LR4) et L. 243-1 (N° Lexbase : L4419ADZ) du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige] que, sauf dispositions particulières contraires, les cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales sont calculées sur le montant brut, avant précompte s’il y lieu de la part des cotisations et contributions supporté par le salarié, des sommes et avantages compris dans l’assiette des cotisations ».

Ainsi, l’URSSAF aurait dû se contenter de réintégrer à l’assiette du redressement le montant brut des avantages octroyés aux salariés, sans opérer aucune reconstitution d’assiette. L’URSSAF ne peut pas fictivement faire payer au cotisant des cotisations sur une somme qui n’a pas été versée aux salariés ou sur la valeur d’un avantage qui n’est pas sa valeur réelle, alors même que la société n’a pas procédé au précompte de la part des cotisations et contributions due par les salariés.

Cette solution logique doit donc être saluée.

Elle se justifie par une application combinée des articles L. 242-1 et L. 243-1 du Code de la Sécurité sociale qui définissent l’assiette des cotisations sociales ainsi que le principe du précompte des cotisations salariales sur le montant brut des sommes versées aux salariés, opération qui incombe à l’employeur. Elle considère, que malgré l’absence de précompte des cotisations salariales, les sommes octroyées par un employeur toujours des sommes « brutes », sauf mention contraire.

Donner raison à l’URSSAF aurait abouti à des situations très discutables notamment s’agissant de la détermination de la valeur d’un avantage en nature, qui s’apprécie, il faut le rappeler, selon la valeur « représentative » de l’avantage (CSS, art. R. 242-1 N° Lexbase : L3579LMI), soit en retenant la valeur réelle de l’avantage ou sur une base forfaitaire, (Arr. du 10 décembre 2002). La méthode de la reconstitution d’assiette entraine une surévaluation fictive de l’avantage qui ne correspond en rien au prix de revient pour l’employeur.

Il aurait, de surcroît, été contestable de ne pas sanctionner l’URSSAF de ne pas avoir justifié son calcul et notamment le taux retenu pour effectuer cette « rebrutalisation » alors même que la lettre d’observations doit comprendre notamment le montant des assiettes correspondant pour chacun des chefs de redressement, et l’indication du mode de calcul (CSS, art. R. 243-59).

Par ailleurs, cette décision confirme que les sommes versées par un employeur à ses salariés sont exprimées en « brut », à défaut de précision contraire. On se souvient que la Cour de cassation a récemment reconnu que les sommes versées dans le cadre d’une condamnation prud’homale, à titre de rappel de salaire et d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en principe, exprimées en brut, sauf si le jugement en dispose autrement (Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 18-12.149, FS-P+B N° Lexbase : A2881ZIK).

Une attention toute particulière doit donc être portée aux contrôles URSSAF en cours ou qui font l’objet d’une contestation afin de s’assurer que cette méthode n’a pas été appliquée afin de déterminer l’assiette du redressement. Si tel est le cas et si le chef de redressement concerné a fait l’objet d’un redressement, il serait possible d’opposer à l’URSSAF cet arrêt devant la commission de recours amiable ou devant le tribunal judiciaire, et de demander l’annulation des chefs de redressement qui ont été chiffrés de la sorte.

Dans la pratique, nous avons pu constater que cette méthode n’était pas appliquée systématiquement par les URSSAF, et quand elle l’était, elle concernait le plus souvent des avantages en nature ou en espèce, des avantages octroyés par le comité social et économique (ancien comité d’entreprise) ou des indemnités versées à l’occasion de la rupture.

Reste à savoir comment les URSSAF sur le terrain vont appliquer cette décision. Si la méthode de la « rebrutalisation » devrait logiquement être abandonnée, un inspecteur du recouvrement pourrait néanmoins, en réaction, changer de fusil d’épaule et, de façon très contestable, redresser « l’économie » de cotisations réalisée par le salarié sur ces avantages et réintégrer ce montant à l’assiette des cotisations, ce qui amoindrirait sensiblement la portée de cet arrêt.

newsid:475332

Covid-19

[Brèves] Nouvelle liste de critères applicables pour l’activité partielle des personnes vulnérables

Réf. : Décret n° 2020-1365, du 10 novembre 2020, pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020, de finances rectificative pour 2020 (N° Lexbase : L6430LYS)

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N5267BYQ

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par Charlotte Moronval

Le 18 Novembre 2020

► Publié au Journal officiel du 11 novembre 2020, le décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 fixe de nouveaux critères qui permettent aux salariés reconnus comme personnes vulnérables au Covid-19 de bénéficier de l’activité partielle.

L’article 2 du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 (N° Lexbase : L0800LYB), qui limitait les pathologies ouvrant droit à l’activité partielle, a été censuré par le Conseil d'État, dans une ordonnance du 15 octobre 2020 (CE référé, 15 octobre 2020, n° 444425 N° Lexbase : A67083XQ, lire L. Bedja, Suspension des nouveaux critères de vulnérabilité à la covid-19 ouvrant droit à l’activité partielle, Lexbase Social, 2020, n° 841 N° Lexbase : N4948BYW).

Tirant les conséquences de cette décision et se fondant sur les avis du Haut conseil de la santé publique des 6 et 29 octobre 2020, le Gouvernement a établi, dans ce nouveau décret du 10 novembre 2020, une nouvelle liste de critères permettant de définir les personnes vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d’infection au virus SARS-Cov-2.

Par ailleurs, pour être considérée comme une personne vulnérable au Covid-19, il faudra désormais remplir une seconde condition cumulative, en plus d’être dans une situation à risque : celle de ne pouvoir recourir ni totalement au télétravail, ni bénéficier de mesures de protection renforcées sur le lieu de travail ou le trajet domicile-travail.

Ce n’est que si ni le télétravail ni les mesures de protections renforcées ne peuvent être mis en œuvre que le salarié vulnérable peut être placé en activité partielle. Le décret précise que le salarié pourra être placé en activité partielle à sa demande et sur présentation à l’employeur d’un certificat établi par un médecin.

Lorsque le salarié est en désaccord avec l’employeur sur l’appréciation des mesures de protection renforcées, mentionnées dans le décret, il pourra saisir le médecin du travail et sera placé en activité partielle dans l’attente de son avis, indique le Gouvernement.

 

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Résistance de la cour d’appel de renvoi : absence d’équivalence entre décision statuant sur la créance irrégulièrement déclarée et décision de rejet

Réf. : CA Montpellier, 6 octobre 2020, n° 17/03582 (N° Lexbase : A89623WT)

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N5333BY8

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

Le 19 Novembre 2020


Mots-clés : déclaration de créance • irrégularité • possibilité pour le créancier de renouveler une sûreté réelle (oui) • équivalence de la décision du juge-commissaire déclarant la déclaration de créance irrecevable à une décision rejetant la créance (non)

Lorsqu’une créance est irrégulièrement déclarée, il y a place à une irrecevabilité de la déclaration de créance. La créance déclarée n’est pas éteinte. Il en résulte que le débiteur ne peut qu’être débouté de sa demande de radiation de l’inscription de sûreté grevant un bien lui appartenant.


On se souvient d’un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2017 [1], qui avait assimilé la décision d’irrégularité de la déclaration de créance à une décision de rejet. Cette décision avait été beaucoup commentée et la doctrine, à la quasi-unanimité, l’avait critiquée. Cela n’avait pourtant pas empêché la Chambre commerciale de la Cour de cassation de reproduire, quelque temps plus tard, sa solution [2].

L’arrêt du 4 mai 2017 avait été cassé avec renvoi. L’arrêt sous commentaire de la cour d’appel de Montpellier [3] est l’arrêt de renvoi après cassation.

En l’espèce, une banque avait accordé un prêt à une société, garanti par un nantissement sur le fonds de commerce. Le 3 janvier 2006, l’emprunteur est placé en sauvegarde. Le 3 avril 2007, il obtient un plan de sauvegarde. Le 2 juin 2008, le juge-commissaire rend une ordonnance déclarant irrecevable la déclaration de créance faite irrégulièrement par la banque pour une question tenant à l’absence de pouvoir de l’auteur de la déclaration de créance. La banque renouvelle son inscription de nantissement le 20 septembre 2011. Le débiteur saisit alors le tribunal aux fins de voir ordonner la radiation de la sûreté. Les juges du fond rejettent la prétention du débiteur au motif que la créance n’est pas éteinte, mais seulement inopposable à la procédure collective. Cette solution est censurée par la Cour de cassation qui juge que « en statuant ainsi, alors que l’article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9), qui prévoit que le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence, ne distingue pas entre les différents motifs de rejet d’une créance déclarée, de sorte que la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est, au sens du texte précité, une décision de rejet de la créance, qui entraine, par voie de conséquence, l’extinction de la sûreté qui la garantissait ».

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier. Pour le comprendre, il faut d’abord faire état des critiques que nous avions pu émettre contre l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation [4].

Avant de pouvoir statuer sur le fond de la créance déclarée, le juge-commissaire doit s’assurer que la créance a été régulièrement déclarée. Autrement dit, il doit, comme le ferait tout juge, d’abord se demander si la déclaration de créance est recevable. S’il répond oui à cette question, alors il peut statuer sur le fond de la créance déclarée. S’il y répond non, il doit rendre une décision déclarant irrecevable la déclaration de créance. Il ne s’agit pas d’une décision sur le fond de la créance déclarée. Il ne l’admet pas, pas plus qu’il ne la rejette.

Certes, l’article L. 624-2 du Code de commerce énonce, a priori limitativement les possibilités qui sont ouvertes au juge-commissaire statuant sur une créance déclarée. Or ce texte qui prévoit le constat d’une instance en cours, l’incompétence, l’admission ou le rejet de la créance déclarée, ne prévoit pas la possibilité pour le juge-commissaire de déclarer irrecevable la déclaration de créance. Est-ce une raison suffisante pour lui interdire de le faire ? Une réponse négative s’impose assurément. En effet, pour que le juge-commissaire puisse rendre une décision au rang de celles qui sont énoncées à l’article L. 624-2, encore faut-il qu’il puisse statuer, ce qui présuppose que la demande présentée devant lui ne soit pas irrecevable. Et ce n’est là que le respect du principe posé par l’article R. 662-1, 1° du Code de commerce (N° Lexbase : L6334I3Y) selon lequel les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI du Code de commerce, sauf texte contraire. Ainsi, ne convient-il pas d’interdire au juge-commissaire, comme pourrait le faire tout autre juge, de dire irrecevable la demande présentée devant lui.

On ne peut donc pas, à notre sens, mettre sur un même plan une décision qui statue sur le fond de la créance déclarée et une décision qui ne statue que sur la régularité de la déclaration de créance, la régularité de la déclaration de créance conditionnant la possibilité de statuer sur le fond de la créance déclarée.

La distinction entre les questions de régularité et de bien-fondé de la créance déclarée sont bien connues. Il y a même un texte qui le précise, à savoir l’article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L7285IZT). Selon ce texte, la contestation de créance au sens de l’article L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) s’entend d’une contestation sur le fond de la créance déclarée. Si le créancier reçoit un courrier du mandataire judiciaire lui indiquant qu’il conteste la régularité de la déclaration de créance, le silence du créancier sur ce courrier ne lui interdira pas d’exercer un recours sur la décision du juge-commissaire qui confirmerait la proposition du mandataire judiciaire, le silence ne produisant d’effet que si la contestation porte sur le fond de la créance déclarée.

Et il ne peut être prétendu que le principe posé par le texte serait nouveau. La Cour de cassation, elle-même, l’a affirmé dès 1998, en jugeant que la discussion sur la régularité de la déclaration de créance, par exemple pour motif tiré du pouvoir du déclarant, ne constitue pas une contestation, au sens du code [5]. Il n’est là question que de régularité de la déclaration et non d’une contestation de créance au fond du droit. C’est cette solution qu’a consacrée l’article L. 622-7 du Code de commerce.

Dès lors que le départ est bien établi entre l’irrégularité de la déclaration de créance et le rejet de la créance déclarée pour un motif de fond qui touche à l’existence, au montant ou à la nature de la créance, c’est-à-dire les trois éléments couverts par l’autorité de chose jugée attachée à la décision qui statue sur l’admission ou le rejet de la créance déclarée, on doit également faire la différence entre les sanctions applicables. La créance rejetée pour motif de fond est éteinte, cette extinction ne valant cependant que dans la procédure collective au cours de laquelle le rejet est intervenu [6]. La créance irrégulièrement déclarée ou la créance non déclarée est, quant à elle, simplement inopposable à la procédure collective [7] ; elle n’est pas éteinte.

Ce sont ces solutions que nous avions exprimées et que l’on retrouve dans la motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier.

La cour commence par rappeler que la créance rejetée est éteinte. Puis la cour d’appel rappelle les dispositions de l’article R. 662-1, 1° du Code de commerce selon lequel les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI du Code de commerce, sauf texte contraire.

La cour remarque très opportunément qu’il n’existe pas de dispositions particulières dans l’article L. 624-2 du Code de commerce dérogeant aux règles du Code de procédure civile. Elle en déduit qu’il faut donc appliquer le droit commun : lorsque la demande en justice est jugée irrecevable, la demande n’est pas considérée comme rejetée au fond du droit.

Et la cour d’ajouter que l’exercice des pouvoirs du juge-commissaire en application de l’article L. 624-2 implique une déclaration de créance régulièrement déclarée préalablement à la vérification de l’existence, de la nature et du montant de celle-ci.

Nous ne pouvons évidemment qu’approuver la solution de la cour d’appel de Montpellier qui restaure l’orthodoxie en la matière. Pour discuter du fond, il faut que la demande soit recevable. Si la demande est irrecevable, alors elle ne peut qu’être déclarée irrecevable. C’est bien le cas d’une déclaration de créance effectuée sans pouvoir.

Par conséquent, la demande du débiteur de voir radier l’inscription de nantissement prise en renouvellement d’une précédente inscription ne peut qu’échouer.

Il reste à attendre, peut-être, un arrêt d’Assemblée plénière sur la question et nul doute que la procédure civile, au cœur des débats de l’arrêt, en sera la vedette.

 

[1] Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-24.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5282WBA) ; D., 2017, pan. 1941, note P.-M. Le Corre ; D., 2017, 2001, note P. Crocq ; Gaz. Pal., 27 juin 2017, n° 24, p. 60, note P.-M. Le Corre ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2017, 268, crit. J.-E. Degenhardt ; Act. proc. coll., 2017/11, comm. 167, note T. Le Bars ; JCP E, 2017, chron. 1460, n° 13, note crit. Ph. Pétel ; JCP E, 2017, 1434, note approb. T. Stéfania ; RTD com., 2017, 687, n° 2, note A. Martin-Serf et 704, n° 13, note crit. J.-L. Vallens ; JCP E, 2017, chron. 1667, n° 21, note Ph. Delebecque ; Rev. proc. coll., mai/juin 2018, comm. 100, p. 55, note P. Cagnoli ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, mai 2017, n° 510 (N° Lexbase : N8225BWK).

[2] Cass. com., 22 janvier 2020, n° 18-19.526, FS-P+B (N° Lexbase : A60003C9) ; D., 2020, 855, note J.-D. Pellier ; Gaz. Pal., 21 avril 2020, n° 15, p. 59, note P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés, 2020, 193, note Fl. Reille ; Act. proc. coll., 2020/3, comm. 39, note P. Cagnoli ; Bull. Joly Entrep. en diff., mars/avril 2020, p. 37, note M. Houssin ; JCP E, 2020, chron. 1204, n° 14, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., mai/juin 2020, comm. 52, note N. Borga ; E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, janvier 2020, n° 622 (N° Lexbase : N2016BYC).

[3] Cette décision nous a été aimablement communiquée par notre collègue Pascal Rubellin.

[4] Sur le détail de ces critiques, cf. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 11ème éd., 2020, n° 682.412.

[5] Cass. com., 7 juillet 1998, n° 95-18.984, publié (N° Lexbase : A5329ACD), Bull. civ. IV, n° 219 ; D. Affaires, 1998, 1322, obs. A. Lienhard ; JCP E, 1998, pan. 1231 ; D., 1998, IR 209 ; RJDA, 1998/11, p. 945, n° 1260 – Cass. com., 5 janvier 1999, n° 95-16.360, inédit (N° Lexbase : A0049AUD), Act. proc. coll., 1999/4, n° 51 – Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-19.316, FS-P (N° Lexbase : A4776AWS), Bull. civ. IV, n° 168 ; Rev. proc. coll., 2002, p. 95, n° 7, obs. Legrand – CA Reims, 3 juillet 2001, JCP E et A, 2002, pan. 1015, p. 1120.

[6] Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-31.060, F-P+B (N° Lexbase : A9776YUM), Gaz. Pal., 2019, n° 15, 70, note D. Voinot et n° 25, p. 68, note P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés, 2019, 214, note Ph. Roussel Galle ; Bull. Joly Entrep. en diff., mai/juin 2019, 116w6, p. 42, note Benilsi ; Rev. proc. coll., septembre/octobre 2019, comm. 134, note N. Borga ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, février 2019, no 583 (N° Lexbase : N7619BXT).

[7] Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-70.312, FS-P+B (N° Lexbase : A5651GDN), D., 2010, 2645, note A. Lienhard ; D., 2011, pan. 2075, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. entr. diff., 7-8 janvier 2011, n° 7 et 8, note E. Le Corre-Broly ; JCP E, 2011, Chron. 1030, n° 10, obs. M. Cabrillac ; Rev. sociétés, 2011, 194, note crit. Ph. Roussel Galle ; Gaz. Pal., 25-26 février 2011, p. 45, note S. Reifegerste ; Bull. Joly Entrep. en diff., juillet/août 2011, comm. 89, p. 186, note C. Saint-Alary-Houin ; RTD com., 2011, 413, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, 21 novembre 2010, n° 228 (N° Lexbase : N5745BQT).

newsid:475333

Fiscalité immobilière

[Brèves] Seuls les contribuables qui remplissent leurs obligations déclaratives dans les délais peuvent être exonérés du paiement de la taxe de 3 %

Réf. : Cass. com., 4 novembre 2020, n° 18-11.771, F-D (N° Lexbase : A938233U)

Lecture: 4 min

N5278BY7

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par Sarah Bessedik

Le 18 Novembre 2020

Par un arrêt rendu le 4 novembre 2020, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que pour bénéficier de l’exonération de la taxe de 3 %, il est absolument nécessaire de remplir ses obligations déclaratives.

En l’espèce, une société de droit luxembourgeois Lupa détient des participations dans plusieurs sociétés civiles, propriétaires d'immeubles en France. 

La société Lupa n'ayant pas déposé la déclaration prévue à l'article 990 E du Code général des impôts (N° Lexbase : L1479IZS) précisant la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier 2005, ainsi que l'identité et l'adresse de ses associés, l'administration fiscale lui a, le 6 septembre 2005, notifié une proposition de rectification portant sur la taxe de 3 % sur la valeur vénale de ces immeubles, prévue par ce texte. Après rejet implicite de sa réclamation, la société Lupa a assigné l'administration fiscale afin de contester le bien-fondé de la rectification.

L'administration fiscale fait grief à l'arrêt d'annuler sa décision de rejet implicite et de prononcer le dégrèvement de la taxe due. L’administration se fonde sur l'article 990 D du Code général des impôts (N° Lexbase : L5483H9X), applicable au moment des faits et qui dispose que « Les personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.  Est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par personne interposée, toute personne morale qui détient une participation, quelles qu'en soient la forme et la quotité, dans une personne morale qui est propriétaire de ces biens ou droits ou détentrice d'une participation dans une troisième personne morale, elle-même propriétaire des biens ou droits ou interposée dans la chaîne des participations. Cette disposition s'applique quel que soit le nombre des personnes morales interposées ».

De plus, selon l'article 990 E du même Code, « La taxe prévue à l'article 990 D n'est pas applicable : […] aux personnes morales qui, ayant leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l'arrêté prévu à l'article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1 janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux ».

La société Lupa, au 1er janvier de l'année 2005 avait son siège social au Luxembourg et détenait des participations dans plusieurs SCI de droit français qui étaient elles mêmes propriétaires de biens immobiliers situés en France. Elle n'a pas déposé sa déclaration n° 2746 précisant la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés, directement ou indirectement, en France au 1er janvier ainsi que l'identité, l'adresse et le nombre d'actions détenues par les associés dans le délai prévu à l'article 990 E 2 du Code général des impôts et alors qu'elle ne pouvait s'en dispenser au motif que sa situation n'avait pas évolué.

Par conséquent la société Lupa est assujettie à la taxe annuelle de 3 %, au titre de l'année 2005 puisqu’elle n’a pas accompli l'obligation déclarative pour en être exonérée.

Dès lors, la Cour de cassation répond que selon l'article 990 E 2 du Code général des impôts, la taxe  n'est pas applicable aux entités juridiques qui, ayant leur siège dans un pays ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs actionnaires ou associés à la même date, ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux.

Il résulte toutefois d’une réponse ministérielle du 13 mars 2000 que les contribuables qui remplissent leurs obligations déclaratives dans le délai de la mise en demeure de régulariser leur situation peuvent être exonérés du paiement de la taxe, cette mesure de tolérance ne s'appliquant qu'à la première demande de régularisation. Il en résulte que la société Lupa est redevable de la taxe de 3 %. Les juges de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 6 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

 

newsid:475278

Procédure pénale

[Brèves] Omission d’une constitution de partie civile dans un jugement de première instance : la cour d’appel doit évoquer et statuer à nouveau

Réf. : Cass. crim., 10 novembre 2020, n° 19-80.962, F-P+B+I, (N° Lexbase : A521234S)

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N5329BYZ

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par Adélaïde Léon

Le 18 Novembre 2020

► Lorsque la cour d’appel statue sur l’appel d’un jugement ayant omis de se prononcer sur une action civile, elle doit annuler ce jugement, évoquer et statuer à nouveau en remplissant la mission des premiers juges et, par suite, prononcer sur l’action civile.

Rappel des faits. Trois personnes et la société Pharmacentre ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel des chefs d’escroqueries en bande organisée, recel d’escroqueries en bande organisée, abus de biens sociaux, faux et usage. Le tribunal a, sur l’action publique, déclaré deux prévenus coupables d’abus de biens sociaux, deux prévenus coupables d’escroquerie et la société coupable de recel d’escroquerie.

Sur l’action civile, le tribunal a reçu la Caisse générale de sécurité sociale de la Réunion en sa constitution de partie civile à l’encontre de trois des prévenus, déclaré irrecevable sa constitution de partie civile à l’encontre de l’une des prévenues, déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de la NAM Réunion et de la Mutualité de la Réunion, et renvoyé l’affaire à une audience ultérieure sur les intérêts civils.

Le jugement ne fait pas état d’une constitution de partie civile du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP).

L’un des prévenus, la Mutualité de la Réunion, la SNAM Réunion, ainsi que le CNOP ont relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. La cour d’appel a déclaré irrecevable l’appel du CNOP estimant que celui-ci avait exposé, dans ses écritures, les causes de son absence de constitution de partie civile en première instance dont il ne serait pas responsable. La cour s’est par ailleurs fondée sur le fait que le jugement entrepris ne faisait pas mention de la constitution de partie civile du CNOP. Les juges d’appel ont relevé que la règle du double degré de juridiction faisait obstacle à ce qu’une partie civile intervienne pour la première fois en cause d’appel, quelle que soit la raison pour laquelle elle n’a pas été partie au jugement de première instance.

Le CNOP, la Mutualité de la Réunion et la SNAM Mutuelle se sont pourvus en cassation.

Moyens du pourvoi. Le CNOP faisait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté son appel en dénaturant ses écritures alors qu’il en ressortait que le conseil avait démontré qu’il s’était régulièrement constitué devant le tribunal correctionnel. Le CNOP reprochait également à la cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur l’absence de mention de sa constitution dans le jugement de première instance. Selon le conseil, cette circonstance ne suffisait pas à déduire l’inexistence de sa constitution, l’appel ayant précisément pour objet de corriger l’erreur des premiers juges.

Décision de la Cour. La Chambre criminelle censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 520 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4414AZI). Elle déduit de ce texte que, lorsque la cour d’appel statue sur l’appel d’un jugement ayant omis de se prononcer sur une action civile, elle doit annuler ce jugement évoquer et statuer à nouveau en remplissant la mission des premiers juges et, par suite, prononcer sur l’action civile.

La Haute juridiction constate que le CNOP produisait des éléments susceptibles de prouver qu’il s’était régulièrement constitué et que l’absence de mention de cette constitution résultait d’une omission du tribunal correctionnel. La Chambre criminelle affirme que dans ces circonstances, il appartenait à la cour d’appel de vérifier la réalité de la constitution de partie civile en évoquant et en statuant à nouveau.

 

Pour aller plus loin :  E. Maurel, ÉTUDE: Les règles de compétences pénales, La procédure devant la chambre des appels correctionnels, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E17523BI).

 

newsid:475329

Procédure pénale

[Focus] Huit ans de bataille pour la dignité des personnes détenues, de la CEDH au Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre (N° Lexbase : A49423WX)

Lecture: 20 min

N5309BYB

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par Amélie Morineau, Avocate au barreau de Paris, Présidente de l’Association des Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D), membre de l’Observatoire International des Prisons (OIP)

Le 19 Novembre 2020


Mots-clés : dignité des personnes détenues • conditions de détention • traitements inhumains et dégradants • référé liberté • référé mesures-utiles • Contrôleur général des lieux de privation de liberté • Observatoire international des prisons

La lutte pour le respect de la dignité des personnes incarcérées est une longue histoire qui connait plus de défaites que de victoires. Pourtant, ce 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel est venu clore un chapitre essentiel : celui du droit à un recours effectif pour les personnes victimes de traitements inhumains et dégradants du seul fait de leur placement en détention provisoire dans tel ou tel établissement pénitentiaire vétuste, dans telle ou telle cellule insalubre.

Il aura donc fallu huit ans.

À lire également : M. Giacopelli, Le raz de marée du principe de dignité, Lexbase Pénal, novembre 2020 (N° Lexbase : N5183BYM)


I. L’affaire des Baumettes, le constat de l’impuissance nationale

En octobre 2012, vingt-deux contrôleurs du Contrôle général des lieux de privation de liberté pénétraient au centre pénitentiaire des Baumettes pour rester onze jours sur les lieux. Ils visitaient chaque bâtiment, de jour comme de nuit, et rencontraient l’ensemble des personnels (agents de l’administration pénitentiaire, personnels de soin, enseignants de l’éducation nationale, représentants des cultes…) et des personnes détenues qui souhaitaient s’entretenir avec eux.

Ce qu’ils y découvrir ne laissait aucune place au doute, ni à l’hésitation : une odeur pestilentielle d’urine et d’ordures, des rats, des moucherons, des scorpions aussi, des araignées, des cloportes et d’autres nuisibles qui proliféraient dans les coursives, les cellules, les frigos. Les fils électriques dénudés, les interphones cassés, l’absence de fenêtre, d’eau chaude, d’eau courante parfois. Les sanitaires hors d’usage, les chasses d’eau défectueuses, les fuites dans les cellules ou les couloirs. Les inondations récurrentes de certaines parties des bâtiments et des cours de promenade. L’absence de rangement, de table, de chaise ou de lampe dans les cellules. Le traitement défectueux des déchets, des cantines et des repas. La pénurie d’activités, rémunérées, sportives ou culturelles. La surpopulation et le manque de personnels. Les budgets diminués de 25 à parfois 50 %. Les violences physiques et psychologiques, entre détenus et contre les surveillants. Les trafics, les rackets, les pressions permanentes. La corruption. Et enfin le silence et l’omerta au sein de la détention.

En quittant les lieux, et sans tergiverser, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qualifiait les conditions de détention de « sans doute inhumaines, surement dégradantes » [1] tant pour les personnes détenues que pour les personnels.

Le constat était sans appel et justifiait l’usage de l’exceptionnelle procédure d’urgence dont il disposait pour révéler l’ampleur de la situation. L’institution demeurait néanmoins dépourvue de moyens de contrainte à l’égard de l’administration.

Il s’agissait d’une occasion inespérée pour l’Observatoire international des prisons (OIP) de saisir le juge en s’appuyant, pour la première fois, sur un état des lieux irréprochable.

L’OIP, joint déjà à l’époque par le Syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux, le Syndicat de la magistrature et le barreau de Marseille, avait ainsi saisi le juge administratif pour que cessent, sur le champ, les conditions indignes de détention de centaines de personnes détenues aux Baumettes.

D’abord, le référé-liberté. L’OIP avait saisi le juge administratif sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT), procédure qui doit permettre au requérant d’obtenir du juge des référés « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale.

Statuant en premier ressort, le tribunal administratif de Marseille avait reconnu, en se fondant exclusivement sur les éléments rapportés par le CGLPL, que « les conditions d’hygiène régnant au sein du centre pénitentiaire des Baumettes […] portent une atteinte grave au droit des personnes détenues à ne pas être victimes de traitements inhumains et dégradants » [2].

Quant à l’urgence c’est la « persistance des dysfonctionnements » qui permettait de la justifier.

Pour la première fois, l’OIP obtient que le juge ordonne à l’administration de veiller à ce que chaque cellule dispose d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement, qu’elle procède à l’enlèvement des détritus tant des parties communes que des cellules et qu’elle modifie sans délai les méthodes de distribution des repas.

La victoire n’était pas satisfaisante pour autant. L’OIP sollicitait le retrait de tout objet dangereux des cellules, l’éradication ou au moins l’enrayement du développement des insectes et autres nuisibles, la garantie de l’accès à l’eau potable pour tous les détenus de l’établissement et un éclairage satisfaisant des parties communes. L’association interjetait appel devant le Conseil d’État.

Certaines demandes étaient devenues sans objet à la suite de l’intervention, tardive mais réelle, de la direction de l’établissement. C’est sur l’éradication des nuisibles que la victoire en appel fut plus grande que devant la juridiction phocéenne. « Il résulte de l’instruction et des observations du représentant à l’audience du CGLPL que les rats prolifèrent et circulent dans l’établissement, que de nombreux insectes, tels cafards, cloportes ou moucherons colonisent les espaces communs et certaines cellules, y compris les réfrigérateurs, que des cadavres de rats peuvent rester plusieurs jours sur place avant d’être retirés » [3]. En conséquence, le Conseil d’État ordonnait la dératisation de l’établissement.

Si les effets de ces décisions successives furent bien réels, ils se limitèrent néanmoins aux difficultés matérielles de l’établissement, parce que le juge ne pouvait être que celui de l’évidence, de l’urgence et du court terme.

Changement de stratégie : place au référé dit mesures-utiles. Face à la gravité du constat et au caractère extrêmement limité des avancées obtenues en référé liberté, l’OIP saisissait le tribunal administratif de Marseille sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, selon la procédure dite du référé mesures-utiles. L’association sollicitait la fermeture des trois bâtiments de la maison d’arrêt des hommes et la réaffectation de ses occupants au nom du respect de la dignité humaine et du maintien des liens familiaux des personnes détenues.

Sans surprise, le tribunal administratif de Marseille refusait de prononcer davantage que ce « qu’exige le rétablissement à court terme de la salubrité, de la dignité et de sécurité dans les conditions de détention des personnes » [4] et ordonnait qu’il soit procédé sous trois mois aux travaux « indispensables » d’étanchéité du bâtiment D, d’installation de cloisons d’intimité dans 161 cellules, de mise en conformité électrique, et de remise en état des monte-charges pour compléter les mesures prescrites par le Conseil d’État moins d’un mois plus tôt.

Naissance d’une stratégie contentieuse. Les Baumettes représentaient ainsi la première étape de ce qui deviendrait une très longue campagne contentieuse pour la défense du droit de chaque personne détenue au respect de sa dignité. Pour la première fois une association obtenait des juges administratifs qu’ils forcent l’administration pénitentiaire à engager en urgence de lourds travaux dans l’un de ses établissements.

À l’époque, Patrice Spinosi, avocat de l’OIP, indiquait avec une certaine lucidité que « la procédure [était] hardie. C’est une démarche totalement inédite. Mais que peut-on faire lorsqu’on constate un traitement inhumain et dégradant ? Quel est le mécanisme dans un État de droit ? Si le juge ne nous donne pas raison, on aura fait la démonstration de la faillite du système français. Le droit avance à coups de contentieux » [5].

L’OIP avait en effet fait la démonstration des limites des recours à la disposition des acteurs du contrôle extérieur, comme des personnes détenues.

II. Face à l’absence de recours effectif, une solution européenne

À partir de 2014, une stratégie contentieuse fondée sur des recours individuels portés devant la Cour européenne des droits de l’Homme, coordonnée par l’OIP, se mit progressivement en place pour faire face à l’indignité des conditions de détention mais aussi et surtout à l’ineffectivité des voies de recours internes.

Les premières requêtes ont été déposées par les personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, puis à Nîmes, Faa’a Nuutania (Polynésie), Nice, Baie-Mahault (Guadeloupe), et Fresnes. L’OIP a ainsi accompagné les plaintes d’une quarantaine de personnes détenues.

Sans épuiser aucune voie de recours interne, les requérants ont directement saisi la Cour, les uns après les autres, démontrant qu’aucun recours effectif n’existait et s’appuyant sur les constats, souvent accablants, des nombreuses institutions qui se sont associées à la plupart des requêtes déposées devant la Cour : Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Défenseur des droits, Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Conseil national des barreaux, ordres et organisations d’avocats.

Le 30 janvier 2020, par une décision historique [6], se prononçant sur trente-deux de ces affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu que les requérants avaient été victimes de traitements inhumains et dégradants (violation de l’article 3 de la CESDH N° Lexbase : L4764AQI) en raison des conditions de détention qui leur étaient imposées.

Au-delà des six établissements concernés, la Cour a condamné le caractère structurel des mauvaises conditions de détention en France et exigé du Gouvernement français qu’il adopte des mesures permettant « la résorption définitive de la surpopulation carcérale », recommandant « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ».

Pour la première fois, là encore, la France recevait une condamnation solennelle sous la forme d’un arrêt quasi-pilote dont la portée excède amplement les cas individuels qui lui étaient présentés.

La condamnation ainsi prononcée sur le fondement d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme s’accompagnait d’une autre : le constat de l’absence de recours effectif qui non seulement permettait aux requérants de saisir la Cour sans respecter la condition préalable d’épuisement des voies de recours internes mais constituait surtout une violation de l’article 13 de la Convention (N° Lexbase : L4746AQT).

La Cour constate ainsi dans son arrêt l’inefficacité et l’ineffectivité des recours existants, référés liberté comme référé mesures-utiles devant le juge administratif, et l’absence de recours devant le juge judiciaire pour permettre à une personne détenue de faire cesser, sans délai, l’atteinte qu’elle subirait du fait de ses conditions de détention.

Le Gouvernement français se trouvait enjoint de mettre en place un recours préventif permettant de remédier à des conditions de détention contraires à la dignité humaine, l’indemnisation a posteriori du préjudice subi ne pouvant évidemment être considéré comme une réponse appropriée.

III. Un État condamné, mais résolument immobile

Le 30 janvier 2020, la France était ainsi condamnée pour avoir soumis les personnes placées sous sa garde dans des conditions qualifiées de traitement inhumain et dégradant, portant résolument atteinte à la dignité humaine des personnes incarcérées, et pour avoir privé ces dernières de tout recours propre à faire cesser ces atteintes intolérables.

Pourtant, loin d’en tirer les conséquences, et alors que la situation dénoncée reste aujourd’hui encore d’actualité dans nombre des établissements visés par la décision mais aussi dans de nombreux autres, le Gouvernement français préféra faire mine d’ignorer la condamnation prononcée et de minimiser la gravité de la situation.

« Le droit avance à coups de contentieux » disait Patrice Spinosi en 2012 ; en 2020 rien n’a changé.

Huit ans plus tard, toute honte bue, le Gouvernement français, refusant d’adopter un mécanisme propre à faire cesser les traitements inhumains et dégradant que l’État impose aux personnes placées sous sa main, préféra encore laisser aux personnes incarcérées, aux avocats et à l’OIP le soin de l’y contraindre.

Depuis huit ans, tous les acteurs judiciaires, pénitentiaires, administratifs ou du contrôle extérieur le savaient et le disaient : les conditions de détention dans certains établissements sont indignes, indignes de l’espèce humaine à laquelle appartiennent ceux qui sont prisonniers comme ceux qui les jugent, ceux qui les gardent et ceux qui les défendent.

Tout le monde savait, et tout le monde s’en accommodait jusqu’à présent : le juge administratif pouvait enjoindre à l’administration de menus travaux d’amélioration, le juge judiciaire pouvait indemniser a posteriori et les juges européens pouvaient bien condamner.

Depuis huit ans, pourtant, personne n’était dupe. L’État était parfaitement conscient de l’inconventionnalité et de l’inconstitutionnalité de sa législation. Les motifs de la censure qui finirait inévitablement par advenir étaient prévisibles. Plus grave encore, l’État était parfaitement conscient de l’inhumanité de certains établissements pénitentiaires, et au lieu d’y chercher une solution, au lieu de tout mettre en œuvre pour y remédier, a – comme d’habitude – préféré attendre d’être définitivement obligé.

Force est de constater que la responsabilité et le courage du Gouvernement dans cette affaire n’ont eu d’égal que l’état déplorable des établissements concernés.

La Chambre criminelle, au secours du législateur. Cinq mois après, sans la moindre réaction du Gouvernement, deux personnes incarcérées ont saisi la Cour de cassation par l’intermédiaire de leurs conseils pour l’inviter à tirer toutes les conséquences de la condamnation européenne.

Ce fut chose faite par deux arrêts rendus le 8 juillet 2020 [7] : la plus Haute juridiction estime que le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, doit, « sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires […] veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité humaine » et « s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant ».

L’article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3311LTS) qui prévoit qu’aucune mesure de contrainte ne peut porter atteinte à la dignité humaine, qui était hier insusceptible de justifier une remise en liberté, devient soudain un fondement satisfaisant.

Il appartient donc au juge judiciaire de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif selon les modalités suivantes : lorsqu’une personne fournit une description de ses conditions de détention « suffisamment crédible, précise et actuelle pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne », la chambre de l’instruction doit, « dans le cas où le ministère public n’aurait pas préalablement fait vérifier ces allégations, […] faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité » et dans l’hypothèse où ces vérifications auraient permis de constater « une atteinte au principe de dignité à laquelle il n’a pas entre-temps été remédié » elle « doit ordonner la mise en liberté de la personne, en l’astreignant, le cas échéant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou à un contrôle judiciaire ».

Quatre mois plus tard, il apparait que de rares juges des libertés et de la détention, saisis par des personnes détenues ou des avocats rapportant des éléments suffisants de preuve des conditions matérielles de leur incarcération, ont ordonné la remise en liberté ou refusé la prolongation de la détention provisoire de personnes détenues au visa des arrêts rendus le 8 juillet par la Chambre criminelle.

L’enjeux est immense pour les personnes détenues à titre provisoire en particulier dans des maisons d’arrêt qui se trouvent, de notoriété publique, dans un état de vétusté et d’insalubrité tel qu’il constitue presque à lui seul, la promiscuité aidant, un traitement inhumain et dégradant.

Le risque, lui aussi, est majeur. L’administration pénitentiaire ne dispose pas, en l’état, d’un parc pénitentiaire capable d’assurer l’encellulement individuel des plus de 60 000 personnes détenues. La solution proposée par la Chambre criminelle fait craindre la mise en place d’un jeu de chaises musicales macabre, avec des personnes détenues à même de revendiquer le respect de leurs droits et qui, ayant déposé un recours, se verront affectées à une cellule ou un établissement dont les conditions matérielles et la surpopulation garantissent le respect de leur dignité, et des personnes détenues qui, pour quelque raison que ce soit, par défaut d’accès à un conseil, à la langue, à l’écriture, seraient dans l’impossibilité de revendiquer se trouveraient de facto les principales victimes de traitements inhumains et dégradants.

Faute de volonté politique pour traiter la question de la sur-occupation systémique des établissements pénitentiaires français, et de moyens financiers alloués par l’État pour assurer la rénovation de l’ensemble des établissements vétustes, il ne fait aucun doute que la dignité de l’ensemble des personnes détenues ne saurait être garantie.

La Cour de cassation n’a pas entendu résoudre les enjeux politiques posés par la condamnation de la Cour européenne, mais y apporter une solution pragmatique, temporaire, dans l’attente d’un mécanisme législatif attendu, mais que le Gouvernement n’a pas semblé pressé d’adopter.

Conseil constitutionnel, dernier recours. Contrainte de constater l’absence de recours effectif à même de faire cesser les conditions indignes de détention pour les personnes incarcérées à titre provisoire, la Chambre criminelle transmettait en outre, et à la même date [8], deux questions prioritaires de constitutionnalité [9] portant sur la conformité des dispositions législatives applicables aux demandes de mise en liberté à la Constitution.

Huit ans après les premiers référés devant le juge administratif, six ans après les premières requêtes devant la Cour européenne des droits de l’Homme, les mêmes acteurs se présentaient enfin devant le Conseil constitutionnel : Observatoire international des prisons, Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), Conseil national des barreaux, Conférence des bâtonniers, Syndicat des avocats de France et Ligue des droits de l'homme.

Chacun venait dire combien l’indignité des conditions de détention affectait les personnes détenues et leur parcours d’exécution de peine, combien les décisions rendues par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, puis par la Cour de cassation étaient évidemment majeures et combien consacrer juridiquement un recours effectif qui permette de faire cesser les traitements inhumains et dégradants que subissent certaines personnes détenues était désormais un impératif. Et chacun venait surtout demander aux Sages de contraindre l’État par une décision d’inconstitutionnalité.

Dans une décision remarquable par sa clarté, le Conseil constitutionnel a, le 2 octobre 2020 [10], sanctionné définitivement le silence de la loi : « Aucun recours devant le juge judiciaire ne permet [à une personne placée en détention provisoire] d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire. »

Alors que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle », le Conseil rappelle le législateur à ses obligations, déclare les dispositions critiquées inconstitutionnelles et exige que soit mis en place un mécanisme propre à « garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir un juge de conditions de détention contraires à la dignité humaine, afin qu’il y soit mis fin ».

L’adresse au législateur est sévère, mais adoucie par un report des effets de sa décision au 1er mars 2021. Le législateur dispose ainsi de cinq mois pour adopter – enfin ! – un recours préventif pour faire cesser l’indignité des conditions de détention des personnes placées en détention provisoire.

C’est une victoire, mais une victoire encore incomplète.

IV. Des perspectives encore incertaines

Plus de huit ans après les premiers recours engagés et malgré une condamnation historique de la France par la Cour européenne, l’histoire de la lutte pour le simple respect du droit à la dignité est encore loin d’être terminée.

L’ensemble des recours internes déposés l’ont été, devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation comme devant le Conseil constitutionnel, pour des personnes placées en détention provisoire, catégorie qui n’est pas la seule à subir l’indignité des conditions de détention.

Si le Gouvernement et le législateur ne profitent pas de l’occasion qui leur est donnée, avant le mois de mars, pour introduire en droit interne un recours effectif pour l’ensemble des personnes détenues, il faudra retourner à nouveau devant les juges, rejouer une bataille dont le résultat est pourtant déjà connu.

S’il est permis d’espérer que le Gouvernement s’épargne une nouvelle humiliation, les dix dernières années imposent au contraire la prudence, si ce n’est l’affliction.

Observées avec du recul, ces huit années de contentieux ont démontré que l’État, conscient des traitements inhumains qu’il imposait à des personnes placées sous sa garde, a systématiquement refusé d’introduire un recours à même de prévenir ces atteintes ou d’y mettre un terme. Au contraire, Gouvernement et législateur ont préféré proposer d’en indemniser les conséquences plutôt que d’en prévenir les causes.

Il n’existe toujours aucun recours légal qui permette de faire cesser les atteintes insupportables, inadmissibles et souvent inimaginables que subissent certaines personnes détenues mais il ne fait aucun doute qu’il existera demain, pour les personnes placées en détention provisoire, comme pour les personnes définitivement condamnées.

Il appartiendra ensuite aux avocats et aux magistrats de s’en saisir en veillant, chaque jour, à ce que les personnes détenues les plus vulnérables, celles dont chacun sait qu’elles n’ont qu’un accès au droit et au juge déjà limité (personnes étrangères ne maitrisant pas la langue, personnes souffrant de troubles psychiques, personnes ne maitrisant pas l’écrit par lequel tout se demande en détention, …) ne soient pas les victimes collatérales d’un progrès attendu.

D’autres craintes peuvent apparaitre face aux solutions envisagées : le mécanisme proposé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour palier le vide législatif existant présente un inconvénient majeur, celui de permettre à l’administration pénitentiaire de faire cesser l’atteinte portée au requérant par son transfert dans un autre établissement. Il appartiendra, là encore, aux avocats et aux magistrats de veiller à ce que ces transferts, arbitraires, s’ils sont une solution pour garantir le respect de la dignité de la personne détenue, ne portent pas une atteinte disproportionnée à d’autres de ces droits, comme celui de maintenir les liens familiaux avec ses proches, de poursuivre des études seulement disponibles dans son établissement d’affectation…

L’histoire est loin d’être terminée mais les avocats devraient, dés aujourd’hui, en être les acteurs volontaires, attentifs et obstinés.

 

[1] Recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 12 novembre 2012 prises en application de la procédure d'urgence (article 9 de la loi du 30 octobre 2007) et relatives au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, et réponse de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 4 décembre 2012 (N° Lexbase : Z29330ZA). 

[2] TA Marseille, 13 décembre 2012, n° 1208103 (N° Lexbase : A1229IZK).

[3] CE, 22 décembre 2012, n° 364584, 364620, 364621, 364647 (N° Lexbase : A6320IZ4).

[4] TA Marseille, 10 janvier 2013, n° 1208146.

[5] S. Slama, Constat d’insalubrité des Baumettes : de la justiciabilité à l’effectivité du contrôle sur les conditions de détention par le juge des référés-liberté, in Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 27 décembre 2012 [en ligne].

[6] CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, J.M.B. et autres c/ France (N° Lexbase : A83763C9.

[7] Cass. crim., 8 juillet 2020, 20-81.739 (N° Lexbase : A71573Q7).

[8] Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.731, FS-D (N° Lexbase : A10363RS) ; Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A71573Q7).

[9] Cons. const., décision n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre (N° Lexbase : A49423WX).

[10] Ibid.

newsid:475309

Responsabilité

[Brèves] Préjudice moral de l’enfant conçu : alignement de la Chambre criminelle sur la position de la deuxième chambre civile

Réf. : Cass. crim., 10 novembre 2020, n° 19-87.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A512734N)

Lecture: 3 min

N5364BYC

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 18 Novembre 2020

► Le préjudice moral de l’enfant conçu avant l’accident ayant causé le décès de son père, mais né après cet accident, est réparable ; la Chambre criminelle s’aligne ainsi sur la position dorénavant adoptée par la deuxième chambre civile.

Faits et procédure. En l’espèce, la concubine d’une personne décédée à la suite d’un accident de la circulation s’est constituée partie civile en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son enfant conçu avant le décès. Les juges du fond condamnèrent le responsable de l’accident à réparer le préjudice moral de l’enfant mineur du fait du décès accidentel de son père survenu avant sa naissance et usèrent, semble-t-il, de propos généraux en évoquant « l’enfant » et non « l’enfant conçu ». Et c’est contre cette généralité que s’est élevé le pourvoi, considérant que « l’enfant qui n’est pas encore conçu au moment de l’accident dont son père a été victime ne saurait obtenir par principe réparation d’un préjudice moral par ricochet ».

Solution. La Chambre criminelle rejette le pourvoi et approuve les juges du fond d’avoir déduit de différents éléments (conception de l’enfant avant le décès, l’existence d’un concubinage entre les parents, la douleur pour l’enfant du fait de l’absence du père) que « le préjudice moral de l’enfant est caractérisé ainsi qu’un lien de causalité entre le décès accidentel et ce préjudice ».

L’arrêt témoigne d’un alignement de la Chambre criminelle sur la position adoptée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation depuis un arrêt de revirement du 14 décembre 2017 (Cass. civ. 2, 14 décembre 2017, n° 16-26.687 N° Lexbase : A3674W79 ; cf. H. Conte, Le droit à la réparation du préjudice moral de l'enfant à naître, Lexbase, Droit privé, janvier 2018, n° 726 N° Lexbase : N2094BXT). En effet, par le passé, la Cour de cassation refusait d’admettre la réparation du préjudice moral de l’enfant né après le décès de son père, en raison de l’absence de lien de causalité entre le fait dommageable à l’origine du décès et le préjudice moral allégué par l’enfant né postérieurement (Cass. civ. 2, 24 février 2005, n° 02-11.999, FP-P+B+I N° Lexbase : A8547DGN), même si le demandeur était conçu au jour de l’accident (Cass. civ. 2, 4 novembre 2010, n° 09-68.903, FS-P+B N° Lexbase : A5619GDH). Désormais, un lien de causalité entre le décès et le préjudice peut être caractérisé ; l’enfant conçu avant mais né après l’accident ayant coûté la vie à son père peut obtenir réparation de son préjudice moral.

newsid:475364

Urbanisme

[Jurisprudence] Les conséquences de l'illégalité d'un document d'urbanisme : motifs d'annulation et divisibilité à la rescousse

Réf. : CE, avis, 2 octobre 2020, n° 436934, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A72333WS)

Lecture: 22 min

N5285BYE

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public à l’Université de Caen-Normandie, Centre Maurice Hauriou (Université Paris V- Descartes) et directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

Le 18 Novembre 2020

 


Mots clés : recours contre une autorisation d'urbanisme • office du juge •vice de légalité externe • vice de légalité interne

Les vices de légalité externe entachant un document d'urbanisme sont étrangers aux règles d'urbanisme applicables à un projet, sauf s'ils ont exercé une influence directe sur les règles applicables.


 

La jurisprudence fiscale du Conseil d’État ne manque pas de subtilités et celui-ci n’ignore pas comment modifier la règle de droit en fonction des considérations du moment et, en particulier, de l’intérêt de l’administration. Mais elle ferait presque pâle figure, dans certaines hypothèses, en comparaison de la complexité de la jurisprudence en matière d’urbanisme. Ce constat sévère doit être nuancé par l’intervention souvent peu cohérente du législateur en la matière. Force est de constater que ces interventions ne font que renforcer l’instabilité de cette branche du droit et conduisent la Haute juridiction à élaborer des solutions de plus en plus complexes. Toutefois, il est au moins une tendance générale qu’on peut identifier et qu’on retrouve indiscutablement comme une ligne de force au travers de la jurisprudence récente et, notamment, de l’avis du 2 octobre 2020 : il s’agit de la politique visant à réduire, par tous les moyens, les possibilités d’annulation des autorisations d’urbanisme. Réduction, de l’intérêt pour agir, limitation de la possibilité d’invoquer les moyens, élargissement des possibilités de régularisation des autorisations illégales. De manière plus générale et, disons-le, inquiétante, tout semble fait pour réduire la fonction d’annulation du juge administratif, comme s’il s’agissait pour lui de se défaire de son rôle de gardien de la légalité pour endosser progressivement celui d’un guide bienveillant de l’action administrative, le spectre de l’annulation se faisant de plus en plus lointain. Les distinctions des plus subtiles auxquelles se livre le Conseil d’État dans le présent avis semblent confirmer cette lente mue de la juridiction administrative. Devant la complexité de l’avis, on n’a d’autre choix que le suivre ligne à ligne : on se propose donc de progresser avec le lecteur dans les méandres de la question des conséquences de l’illégalité du document d’urbanisme sur les autorisations qui ont été délivrées sur son fondement.

1 - Ainsi qu’on le faisait remarquer plus haut, l’intervention du législateur dans le droit de l’urbanisme ne produit pas toujours les résultats les plus cohérents. L’introduction de l’article L. 600-12 (N° Lexbase : L0030LNG) par la loi « ELAN » du 23 novembre 2008 (loi n° n° 2018-1021, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8) en est une illustration. Depuis cette loi, l’article L. 600-12 du Code de l'urbanisme dispose que : « Sous réserve de l'application des articles L. 600-12-1 (N° Lexbase : L9806LM7) et L. 442-14 (N° Lexbase : L0933LNU), l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ».

Dans un premier temps, la jurisprudence considérait que l’annulation de la délibération approuvant un POS [1] ou décidant de sa mise en application anticipée [2] n’avait pas pour effet de remettre en vigueur le plan immédiatement antérieur. L’annulation de la révision d’un POS avait ainsi pour effet de rendre de nouveau applicables, sur le territoire de la commune, les dispositions du code de l'urbanisme dont l'application était exclue du fait de l'existence d'un plan d'occupation des sols opposable aux tiers [3].

2 - L’article 1er de la n° 94-112 du 9 février 1994, portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction (N° Lexbase : L8040HHA), est venu contrarier cette jurisprudence en prévoyant désormais que « l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma directeur, d'un plan d'occupation des sols ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu a pour effet de remettre en vigueur le schéma directeur, le plan d'occupation des sols ou le document d'urbanisme en tenant lieu immédiatement antérieur ». Dès lors l’annulation du document d’urbanisme a pour effet de faire revivre le document antérieur [4].

Le Conseil d’État juge ainsi  au visa de l’article L. 600-12, qui a repris cette règle, que  « lorsque le plan local d'urbanisme a été annulé, l'autorité chargée de délivrer des autorisations d'utilisation des sols doit se fonder, pour statuer sur les demandes dont elle est saisie, sur les dispositions pertinentes du document immédiatement antérieur ou, dans le cas où celles-ci seraient elles-mêmes affectées d'une illégalité dont la nature ferait obstacle à ce qu'il en soit fait application, sur le document encore antérieur ou, à défaut, sur les règles générales fixées par les articles L. 111-1 et suivants et R. 111-1 et suivants du Code de l'urbanisme » [5]. L’annulation du plan local, d’urbanisme doit donc conduire, dans un premier temps, l’administration à faire application du document antérieur. Toutefois, le législateur n’a pas envisagé l’hypothèse dans laquelle ce document serait lui-même entaché d’illégalité. La solution est alors à double détente : en cas d’illégalité du document antérieur, celui-ci doit être écarté au profit du document précédent. Si ce dernier n’existe pas ou, s’il est lui-même illégal, on fera alors application du règlement national d’urbanisme ce qui nous ramène finalement à la jurisprudence antérieure à la loi du 9 février 1994.

Solution à conjuguer avec l’article L. 174-6 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L9971LMA), toujours issu de la loi « ELAN », dont il ressort que la remise en vigueur, prévue par l'article L. 600-12 du Code de l'urbanisme, d'un plan d'occupation des sols immédiatement antérieur au plan local d'urbanisme, au document d'urbanisme en tenant lieu ou à la carte communale annulé ou déclaré illégal ne rend celui-ci à nouveau applicable que pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la décision d'annulation ou de la déclaration d'illégalité [6].

3 - Reprenons et passons aux conséquences de l’illégalité du document d’urbanisme sur les autorisations qui ont été délivrées sur son fondement, antérieurement à la reconnaissance de cette illégalité. Aux termes de l'article L. 600-12-1 du Code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de cette même loi : « L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d'illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet.

Le présent article n'est pas applicable aux décisions de refus de permis ou d'opposition à déclaration préalable. Pour ces décisions, l'annulation ou l'illégalité du document d'urbanisme leur ayant servi de fondement entraîne l'annulation de ladite décision ».

Deux solutions se dégagent.

La première, sur laquelle on pourra passer rapidement, concerne les refus d’autorisation. Dès lors qu’il s’agit de décisions négatives qui, par nature, n’ont pas provoqué de modifications de l’état des lieux puisqu’elles ont eu pour seul effet d’interdire la réalisation de l’opération prévue par le pétitionnaire, l’annulation ou l’illégalité du document d’urbanisme les prive de fondement juridique. A charge donc pour le pétitionnaire qui le désire de produire une demande nouvelle à laquelle l’administration ne pourra opposer les motifs de la première décision qui a disparu avec le document d’urbanisme.

La deuxième solution est évidemment plus complexe puisqu’elle suppose que le pétitionnaire a été en mesure de réaliser le projet autorisé. La jurisprudence a toujours dissocié soigneusement le document d’urbanisme des autorisations prises sur sa base, tant pour garantir une certaine sécurité juridique aux titulaires d’autorisations que pour ne pas se trouver piégée par un processus d’annulation automatique. Le Conseil d’État s’appuie toujours sur certains arcs-boutants discrets mais permanents qui soutiennent sa jurisprudence. L’un d’entre eux consiste à éviter à tout prix les mécanismes en cascade qui pourrait le priver de tout pouvoir d’appréciation.

4 - Il est donc de jurisprudence constante que le permis de construire ne constitue pas un acte d’application du document d’urbanisme. Par conséquent, la seule annulation d’un plan local d’urbanisme n’entache automatiquement pas d’illégalité les autorisations délivrées sur sa base. Le Conseil d’État s’évertuait donc à apprécier le lien entre l’annulation et l’autorisation : c’est ainsi que le permis de construire accordé en application de ces dispositions jugées illégales et spécialement édictées pour rendre possible l'opération litigieuse, doit être annulé par voie de conséquence, compte tenu du lien existant entre les deux actes [7]. L’autorisation n’est donc pas un acte d’application de la réglementation locale d’urbanisme : « si le permis de construire ne peut être délivré que pour un projet qui respecte la réglementation d'urbanisme en vigueur, il ne constitue pas un acte d'application de cette réglementation » [8].

L’illégalité du document d’urbanisme ne déteint donc pas mécaniquement sur l’autorisation et un requérant ne peut utilement se borner à invoquer cette illégalité à l’appui d’un recours dirigé contre un permis. Toutefois, la remise en vigueur du document antérieur, lui permet de soutenir que le permis a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme annulé et de faire valoir en outre qu’il méconnaît les dispositions pertinentes remise en vigueur, solution qui s’applique sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l'article L. 600-1 [9].

5 - L’avis du 20 octobre 2020 vient préciser, si l’on ose employer ce verbe, la complication apportée depuis la loi « ELAN » par l’article L. 600-12-1. Celui-ci opère une dissociation reposant sur les motifs d’annulation du plan lorsque le requérant soutient que l’autorisation a été accordée sur le fondement de règles elles-mêmes illégales. Ainsi que le relève le Conseil d’État : « l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un document local d'urbanisme n'entraîne pas l'illégalité des autorisations d'urbanisme délivrées lorsque cette annulation ou déclaration d'illégalité repose sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet en cause ».

On doit donc comprendre, au premier abord, que si l’annulation du plan a été fondée sur un motif tenant à l’illégalité de règles qui n’ont pas été appliquées à l’autorisation, celle-ci échappe aux conséquences éventuelles de cette illégalité et le moyen tiré de cette illégalité est inopérant. Par conséquent, si des règles de fond ont été déclarées illégales, cette illégalité est sans conséquence sur la légalité de l’autorisation dès lors qu’elles ne s’appliquaient pas au projet. Par exemple, si des dispositions relatives à la hauteur des immeubles collectifs sont déclarées illégales, cette illégalité est sans conséquences sur la légalité d’un permis de construire délivré pour la construction d’une maison individuelle. La formule retenue par le Conseil pour les vices de légalité interne est curieuse. L’avis relève : « En revanche, sauf s'il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet, un vice de légalité interne ne leur est pas étranger ».  On aurait pu s’attendre à une formulation positive plutôt que négative.

Le Conseil opère une distinction entre les motifs d’illégalité externe et les motifs d’illégalité interne. Un motif d’illégalité externe entachant le plan est, a priori, sans incidence sur l’autorisation, ce qui peut sembler logique au vu de la différence entre la légalité externe et la légalité interne. Réserve cependant doit être faite des cas dans lesquels le motif d’illégalité externe a « été de nature à exercer une influence directe sur les règles applicables au projet ». Cette expression, qui impose l’existence d’une influence directe et renforce, s’il en était besoin le pouvoir d’interprétation du Conseil d’État en la matière, reste peu concrète mais on peut imaginer que certains défauts de consultation entachant l’élaboration du plan pourraient être considérés comme ayant une influence directe sur les règles de fond. À ce sujet, le rapporteur public précise qu’il peut s’agir : « notamment d’hypothèses dans lesquels les vices de légalité externe ont une forte adhérence avec les règles de fond ou une résonnance particulière sur le zonage du document. À titre d’exemple, l’insuffisance de l’évaluation environnementale peut avoir eu une incidence sur le classement de certaines parcelles ou des modifications irrégulièrement intervenues postérieurement à l’enquête publique peuvent être susceptibles d’affecter les règles de fond concernées, comme le montrent les faits à l’origine du litige ».

Qu’il s’agisse d’illégalité interne ou externe du document d’urbanisme, en tout état de cause, « Il appartient au juge, saisi d'un moyen tiré de l'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours contre une autorisation d'urbanisme, de vérifier d'abord si l'un au moins des motifs d'illégalité du document local d'urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l'autorisation d'urbanisme ». La notion de « motif étranger » repose donc sur le critère du « rapport direct » existant entre le ou les motifs d’illégalité du document et les règles applicables à l’autorisation. Ce qui ouvre la porte à une jurisprudence qui, n’en doutons pas, ne manquera pas de subtilité. Si le juge constate l’absence d’un « rapport direct » entre l’illégalité et le document d’urbanisme, la jurisprudence « Comme de Courbevoie » [10] ne s’applique plus : l’autorisation n’étant pas affectée par l’illégalité du plan, il n’y a pas lieu de pousser plus avant et la légalité de l’autorisation ne pourra être appréciée qu’au regard des seuls vices propres de l’acte et non pas des vices qui entachent le plan.

6 - Toutefois, l’existence d’un « rapport direct » ne suffit pas à établir un lien mécanique entre l’illégalité du plan et celle de l’autorisation. En effet, il faut faire application de l’article L. 600-12 et apprécier les conséquences de la remise en vigueur du document d’urbanisme antérieur sur l’autorisation d’urbanisme.

L’hypothèse est donc la suivante : « le document local d'urbanisme sous l'empire duquel a été délivrée l'autorisation contestée est annulé ou déclaré illégal pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause ». Dans cette hypothèse, l’illégalité de l’autorisation n’est donc pas automatique et on doit se poser la question suivante : par rapport à quel document d’urbanisme le juge doit-il apprécier la légalité de l’autorisation ? Pour répondre à cette question, le Conseil d’État a recours à une notion plastique qui lui permet d’opérer tous les découpages, tant matériels que géographiques, qui peuvent s’avérer nécessaires pour sauver l’autorisation : le caractère divisible du document ou du territoire.

La notion de divisibilité est récurrente dans la jurisprudence.

C’est ainsi que l’interdiction faite à l’autorité administrative de ne pas appliquer un règlement illégal « trouve à s'appliquer, en l'absence même de toute décision juridictionnelle qui en aurait prononcé l'annulation ou les aurait déclarées illégales, lorsque les dispositions d'un document d'urbanisme, ou certaines d'entre elles si elles en sont divisibles, sont entachées d'illégalité, sauf si cette illégalité résulte de vices de forme ou de procédure qui ne peuvent plus être invoqués par voie d'exception en vertu de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme » [11]. Les dispositions illégales divisibles doivent donc être écartées par l’autorité administrative « sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'illégalité en cause affecterait ou non des dispositions spécialement édictées pour permettre l'opération faisant l'objet de la demande d'autorisation » [12].

De même, le juge peut décider de ne prononcer l'annulation partielle d'une délibération approuvant un plan local d'urbanisme au motif que certaines dispositions divisibles de ce plan sont entachées d'illégalité, cette circonstance ne faisant d’ailleurs pas obstacle à ce que, pour le reste de la délibération, il fasse application des dispositions de l'article L. 600-9 du Code de l'urbanisme [13]. La divisibilité peut également concerner la charte d’un parc naturel régional [14] ou un schéma directeur de région [15].

Sont ainsi divisibles du reste du plan d’occupation des sols, les dispositions relatives au classement de parcelles [16], la disposition prévoyant un emplacement réservé [17]. Sont également divisibles des dispositions du POS des dispositions limitant le droit des propriétaires à disposer de leurs biens [18] celles relatives à la création d’un secteur [19] ou celles qui interdisent les installations d'émetteurs-récepteurs de télétransmission dans les différents secteurs d’une zone U [20].

L’appréciation du caractère divisible des dispositions d’un document d’urbanisme ne repose pas nécessairement sur des critères automatiques : le caractère divisible de dispositions d’un plan d’aménagement de zone limitant les constructions doit s’apprécier « au regard du parti d'aménagement retenu pour l'ensemble de la zone d'aménagement concerté » [21].

La divisibilité s’applique également dans le cadre de l’illégalité externe susceptible d’affecter la légalité d’un document d’urbanisme [22] : est ainsi divisible du POS une disposition prise par une autorité incompétente, « à supposer même qu'elle ne soit entachée d'aucun vice affectant sa légalité interne » [23].

Quant aux autorisations et autres actes d’urbanisme eux-mêmes, ils peuvent également comporter des dispositions divisibles : c’est le cas des permis mais aussi des certificats d’urbanisme [24]. De même, la décision du maire fixant l’alignement est divisible du reste des dispositions de l’arrêté par lequel il statue sur la délivrance d’une autorisation de clôture [25]. Bien entendu, les travaux autorisés par un même permis peuvent être divisibles [26]. Sont également divisibles les dispositions relatives aux contributions exigées des pétitionnaires [27], qu’il s’agisse de la participation d’un lotisseur [28] ou de la contribution pour dépassement du coefficient d’occupation du sol [29] ou de la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement [30].

En revanche, ne sont pas divisibles des autres dispositions du permis les conditions mises à l’octroi de ce permis [31], telles que celles relatives à l’aménagement des places de stationnement [32] ou celles relatives à des prescriptions techniques portant sur l’évacuation des eaux pluviales [33]. Une décision de non-opposition à déclaration visant des travaux entièrement soumis à permis de construire est entachée d’une illégalité indivisible, dès lors que le régime de l’autorisation n’est pas conforme au code de l’urbanisme [34].

On notera que la divisibilité des autorisations d’urbanisme présente des limites : si un permis de construire peut comporter des dispositions divisibles relatives à certains immeubles d’un ensemble immobilier, en revanche la conformité de l’autorisation ne peut être appréciée par rapport à l’article L. 146-6, qui limite l’extension de l’urbanisation des espaces proches du rivage, que de manière globale [35]. Dans cette hypothèse, il est inopérant d’invoquer le caractère divisible de l’autorisation. De même, des prévisions figurant dans la décision de création et du plan d'aménagement de zone intéressant la bande littorale de cent mètres qui ne sont pas divisibles de celles relatives à l'ensemble de la zone tombent sous l’illégalité qui entache l’acte de création de la zone d’aménagement concertée, contraire à l’article L. 146-6 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L3326KGB) [36].

7 - Le Conseil d’État s’appuie donc sur ce critère de la divisibilité pour sauver l’autorisation d’urbanisme. Trois solutions se dégagent :

- « dans le cas où ce ou ces motifs affectent la légalité de la totalité du document d'urbanisme, la légalité de l'autorisation contestée doit être appréciée au regard de l'ensemble du document immédiatement antérieur ainsi remis en vigueur ». Dans cette première hypothèse, qui suppose une illégalité massive du document d’urbanisme interdisant qu’il en subsiste quoi que ce soit, l’autorisation doit donc être confrontée au document précédent.

- « lorsque ce ou ces motifs affectent seulement une partie divisible du territoire que couvre le document local d'urbanisme, ce sont les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique qui sont remises en vigueur ». Le Conseil d’État fait ici application du critère de divisibilité au plan géographique ce qui n’est pas l’hypothèse la plus complexe.

- « si ce ou ces motifs n'affectent que certaines règles divisibles du document d'urbanisme, la légalité de l'autorisation contestée n'est appréciée au regard du document immédiatement antérieur que pour les seules règles équivalentes nécessaires pour assurer le caractère complet et cohérent du document ». L’avis précise « S'agissant en particulier d'un plan local d'urbanisme, une disposition du règlement ou une partie du document graphique qui lui est associé ne peut être regardée comme étant divisible que si le reste du plan forme avec les éléments du document d'urbanisme immédiatement antérieur le cas échéant remis en vigueur un ensemble complet et cohérent. »

Cette hypothèse est la plus complexe et va, notamment, conduire le juge à opérer un contrôle de cohérence entre des versions successives d’un même plan. L’application de l’article 1er de la loi du 9 février 1994 conduisait déjà le juge à opérer ce contrôle de cohérence, le Conseil d’État estimant que « ces prescriptions s'appliquent, que l'annulation ou la déclaration d'illégalité du schéma directeur, du plan d'occupation des sols ou du document d'urbanisme en tenant lieu ait été totale ou partielle, à la condition, dans ce second cas, que les dispositions rendues applicables de ce fait soient compatibles avec les dispositions d'urbanisme maintenues en vigueur » [37].

Le juge va donc devoir procéder à un découpage particulièrement précis des dispositions anciennes remises en vigueur. Il s’agit là d’un travail délicat car ces dernières peuvent contenir des règles incompatibles avec les dispositions du plan actuel qui ne sont pas touchées par l’illégalité partielle de ce document : il appartiendra alors au juge de dissocier, y compris au sein d’un même article du règlement par exemple, les règles qui peuvent bénéficier de cette remise en vigueur et celles qui en sont exclues de par leur contrariété au reste du plan actuel.

Mais c’est, comme il se doit, au requérant d’établir que l’autorisation contestée est contraire aux dispositions du plan remises en vigueur, limitant ainsi le travail du juge en amont. L’avis précise logiquement : « En outre, lorsqu'un motif d'illégalité non étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d'urbanisme immédiatement antérieur, le moyen tiré de l'exception d'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours en annulation d'une autorisation d'urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur ». Le seul fait d’invoquer la remise en vigueur du document antérieur est donc inopérant : le requérant doit démontrer en quoi l’autorisation est contraire à ces dispositions antérieures, sous réserve toutefois, comme on vient de le voir, que celles-ci soient cohérentes avec les dispositions du plan qui demeurent en vigueur.

 

[1] CE, 25 novembre 1991, n° 103773 (N° Lexbase : A0068ARX).

[2] CE, 6 avril 1992, n° 104454 (N° Lexbase : A6345ARG).

[3] CE, 27 mai 1994, n° 135410 (N° Lexbase : A1836ASS).

[4] CE, 28 juillet 1995, n° 139725 (N° Lexbase : A5069AN3).

[5] CE, 3 juillet 2020, n° 420346 (N° Lexbase : A62443QC).

[6] CE, 3 avril 2020, n° 436549 (N° Lexbase : A63763KD).

[7] CE, 12 décembre 1986, n° 54701 (N° Lexbase : A4849AMK).

[8] CE, 7 février 2008, n° 297227 (N° Lexbase : A7166D48) ; CE, 8 juin 1990, n° 93191 (N° Lexbase : A5623AQC).

[9] CE, 16 novembre 2009, n° 308623 (N° Lexbase : A7254ENY).

[10] CE, 7 février 2008, n° 297227 (N° Lexbase : A7166D48).

[11] CE, 18 février 2019, n° 414233 (N° Lexbase : A4051YXC) ; CE, 9 mai 2005, n° 277280 (N° Lexbase : A2186DIS).

[12] CE, 9 mai 2005, n° 277280 (N° Lexbase : A2186DIS).

[13] CE, 12 octobre 2016, n° 387308 (N° Lexbase : A8108R7G) ; CE, 17 juillet 2013, n° 350380 (N° Lexbase : A0041KKQ).

[14] CE, 8 février 2012, n° 321219 (N° Lexbase : A3371ICT) ; CE, 27 février 2004, n° 198124 (N° Lexbase : A3545DBW).

[15] CE, 22 février 2002, n° 224624 (N° Lexbase : A1641AYG).

[16] CE, 27 février 1987, n° 74255 (N° Lexbase : A3637APE).

[17] CE, 15 mai 1987, n° 59318 (N° Lexbase : A3741APA).

[18] CE, 28 juin 1996, n° 164480 (N° Lexbase : A9864ANN).

[19] CE, 1er juillet 1998, n° 171733 (N° Lexbase : A7992ASS).

[20] CE, 17 juillet 2013, n° 350380 (N° Lexbase : A0041KKQ).

[21] CE, 18 octobre 2006, n° 264292 (N° Lexbase : A9519DRY).

[22] CE, 26 février 2014, n° 351202 (N° Lexbase : A0997MGZ).

[23] Pour une disposition soumettant à permis de construire « les complexes flottants dont la taille et le volume empêchent toute navigation sous les ponts en période normale des eaux », voir CE, 3 décembre 1993, n° 146710 (N° Lexbase : A1658ANQ).

[24] CE, 21 mai 2012, n° 323882 (N° Lexbase : A0891IMX ; CE, 7 octobre 2010, n° 323882 (N° Lexbase : A0891IMX).

[25] CE, 28 avril 1989, n° 64788 (N° Lexbase : A1939AQU).

[26] CE, 19 juin 2015, n° 387061 (N° Lexbase : A5433NLS).

[27] CE, 8 octobre 1993, n° 61621 (N° Lexbase : A0980ANM) ; CE, 12 février 1988, n° 46403 (N° Lexbase : A7559APN).

[28] CE, 20 octobre 1982, n° 34287 (N° Lexbase : A1418AL4).

[29] CE, 4 novembre 1983, n° 34702 (N° Lexbase : A9294ALS).

[30] CE, 24 mars 2006, n° 261591 (N° Lexbase : A7793DNX).

[31] CE, 20 novembre 1981, n° 22024 (N° Lexbase : A5466AKN).

[32] CE, 14 décembre 1992, n° 106685 (N° Lexbase : A8785ARS).

[33] CE, 12 mai 1993, n° 124936 (N° Lexbase : A9652AMG).

[34] CE, 5 avril 1996, n° 133813 (N° Lexbase : A8620ANL).

[35] CE, 10 mai 1999, n° 140799 (N° Lexbase : A8979ANU).

[36] CE, 4 juillet 1997, n° 152629 (N° Lexbase : A0774AEE).

[37] CE, 13 novembre 2002, n° 185637 (N° Lexbase : A0811A4S).

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Voies d'exécution

[Brèves] L’importance des diligences de l’huissier : invalidité du titre exécutoire fondant une saisie-attribution faute de signification dans le délai requis

Réf. : CA Versailles, 12 novembre 2020, n° 19/04958 (N° Lexbase : A288434L)

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N5311BYD

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 19 Novembre 2020

► Cet arrêt est l'illustration parfaite de l’importance de vérifier les actes de signification de l’huissier de justice, dès la délivrance de l’assignation, ainsi que la nature du jugement à signifier ; il permet également de faire un rappel sur la prorogation des délais de recours lorsque le destinataire de l’acte est domicilié à l’étranger ; enfin, il illustre le report de l’audience de plaidoirie face à une contestation pour que le dossier soit évoqué selon la procédure sans audience, conformément aux dispositions de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5722LWT), prise durant la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19.

Faits et procédure. Dans cette affaire, en 2014, un tribunal de commerce a rendu un jugement condamnant le défendeur à verser certaines sommes à une banque en vertu de ses engagements de caution solidaire au titre de deux prêts. Une saisie-attribution à exécution successive a été pratiquée en 2018 entre les mains de la locataire du débiteur. Ce dernier a assigné la banque devant le juge de l’exécution, pour voir prononcer la nullité de l’acte de signification du jugement ainsi que sa caducité et enfin voir déclarer illicite la saisie-attribution et en ordonner la mainlevée.

Décision du juge de l’exécution. Par jugement, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance a déclaré recevable la contestation formée à l’encontre de la saisie-attribution et déclaré irrégulier et nul l’acte de signification de l’huissier de justice. Bien plus, le jugement réputé contradictoire du tribunal de commerce a été déclaré non avenu, en l’absence de signification régulière dans le délai de six mois à compter de son prononcé.

En conséquence, la saisie-attribution a été déclarée nulle et sa mainlevée a été prononcée.

La banque a interjeté appel de cette décision.

Demandes devant la cour d’appel. Dans ses conclusions d’appelante, la banque a sollicité l’annulation ou, à tout le moins, la réformation du jugement, en sollicitant de voir déclarer irrecevable la contestation à l’encontre de la saisie-attribution et de voir déclarés valables les actes de signification de l’acte introductif de première instance et de signification du jugement. En conséquence, de voir constater également la validité de la saisie-attribution et de débouter l’intimée de l’ensemble de ses demandes développées tant en premières instance, qu’en cause d’appel.

L’appelante fait valoir que la contestation de la saisie-attribution n’a pas été effectuée dans le délai d’un mois énoncé par l’article R. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2207ITW), et que le débiteur ne justifiait pas avoir dénoncé cette dernière le même jour, ou au plus tard le premier jour ouvrable en lettre recommandée avec accusé de réception à l’huissier ayant pratiqué la saisie. Par ailleurs, l’appelante énonce des arguments sur la validité des actes de signification.

L’intimé sollicite quant à lui la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris, en soutenant que sa contestation à l’encontre de la saisie-attribution pratiquée est recevable et a été effectuée dans les délais requis, eu égard au fait qu'il réside en Belgique, et qu’elle a bien été dénoncée à l’huissier ayant pratiqué la saisie. Par ailleurs, l’intimé soutient que les actes de signification de l’assignation, que les diligences accomplies par l’huissier ne répondent pas aux exigences légales, du fait que son adresse précise était portée dans l’assignation, et que son déménagement avait été indiqué à ses interlocuteurs. En conséquence, le jugement réputé contradictoire n’ayant pas été signifié valablement dans le délai de six mois est non avenu, et la saisie pratiquée nulle.

Fixation de l’audience de plaidoirie en période Covid-19. L’audience de plaidoirie ayant été fixée au 1er juillet 2020, pour que le dossier soit retenu dans les conditions prévues par l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5722LWT) portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, et l'une des parties s’étant opposée, elle a été renvoyée au 7 octobre 2020.

Réponse de la cour sur la recevabilité de la contestation. Les magistrats déclarent la contestation recevable en relevant que le juge de l’exécution a retenu une exacte application des dispositions des articles R. 211-11 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L6795LEE) et de l’article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6758LEZ), du fait de la domiciliation en Belgique de l’intimé et qu’en cause d’appel ce dernier a démontré que la contestation a bien été dénoncée en lettre recommandée avec accusé de réception le premier jour ouvrable.

Réponse de la cour sur la caducité du jugement poursuivi. La cour d’appel, vient confirmer le jugement, relevant dans un premier temps, que le juge de l’exécution a retenu l’application de l’article 478 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6592H7B), portant sur le jugement rendu par défaut ou réputé contradictoire, qui est non avenu à défaut de notification dans le délai de six mois de son prononcé. En l’espèce, l’assignation n’avait pas touché en personne le défendeur qui, de plus, a démontré l’absence de signification dans le délai précité. L’appelant invoque en s'appuyant sur le procès-verbal de vaines recherches de l’huissier de justice, qu’il a effectué toutes les investigations nécessaires à la dernière adresse connue. Il ressort de son procès-verbal que cette information avait été indiquée par l’ex-épouse du débiteur, sans précisions des conditions, ni à quel moment elle a été portée à sa connaissance, avec la mention « il n'existe aucun élément matériel permettant de le localiser, à part qu'il habiterait Eaubonne, sans plus de précisions ».

La cour d’appel relève que l’intimé démontre que l’adresse indiquée par son ex-épouse était erronée, le numéro était correct, cependant, il ne s’agissait pas du 7 quinquiès, mais du 7 ter. Par ailleurs, le débiteur avait effectué toutes les démarches nécessaires à la suite de son déménagement durant l’été 2012. Il est relevé, le suivi du courrier, le changement sur l’extrait k-bis de sa société. Plus encore, sa nouvelle adresse avait bien été portée à la connaissance de l’huissier, car ce dernier lui adressait des courriers durant la procédure pendante devant le tribunal de commerce, et surtout cette dernière était celle indiquée sur l’assignation, pour laquelle il s’est contenté de faire un dépôt en son étude après l’obtention de l’adresse erronée.

Les magistrats d’appel relèvent donc que les diligences de l’huissier de justice étaient manifestement insuffisantes, pour dresser un procès-verbal de recherches infructueuses dit « PV 659 » (CPC, art. 659 N° Lexbase : L6831H77). Ils indiquent qu’il aurait dû prendre attache avec son mandant ou effectuer une consultation du registre du commerce et des sociétés, duquel l'information sur la nouvelle adresse serait ressortie.

Sanctions. La signification de l’assignation est donc nulle et sans effet, et la cour d’appel approuve la position prise par le juge de l’exécution sur le fait que le jugement est non avenu, en l’absence de signification dans les six mois de sa date et qu’il ne peut constituer un titre exécutoire valable pour fonder une mesure d’exécution.

Solution. La cour d’appel confirme le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance et condamne l’appelante à verser une somme au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), ainsi qu’aux dépens d’appel.

Conseil pratique : il convient de vérifier chaque acte de signification à réception avant même de procéder au placement de l’assignation. Par ailleurs, avant d’engager une mesure d’exécution forcée, la vigilance impose de vérifier l’historique de l’obtention du titre exécutoire, ce qui évitera l’engagement de frais, et des éventuelles condamnations à des dommages et intérêts ou à un article 700 du CPC.   

 

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