La lettre juridique n°460 du 3 novembre 2011

La lettre juridique - Édition n°460

Éditorial

"Viens voir les comédiens, voir les musiciens qui arrivent"... au Quai de l'Horloge

Lecture: 4 min

N8562BSW

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Simul et singulis
("être ensemble et être soi-même") : la devise de la Comédie-Française ne saurait mieux porter, en son sein, toute la contradiction originelle qu'il y a de vouloir institutionnaliser une troupe, une association de comédiens solidaires dont l'objectif sacré est de porter haut le flambeau du théâtre Français, et de devoir composer avec "l'égoïsme démesuré", selon la formule d'Audiard, des acteurs dont le métier est finalement "un exutoire par où s'épanche leur déraison", pour reprendre Flaubert.

Et, cette "association d'égoïsmes individuels" trouve son paroxysme dans cette affaire jugée le 19 octobre 2011, par laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation estime, d'abord, qu'un vote du comité d'administration sur le maintien du contrat de travail des pensionnaires de la Comédie-Française ne constitue pas une mesure vexatoire et ne justifie ainsi pas une prise d'acte. Ensuite, est justifiée la différence salariale entre deux pensionnaires de la Comédie-Française résultant non pas de la seule différence de catégorie professionnelle, mais de l'évolution de la situation professionnelle par rapport à d'autres comédiens, pensionnaires ou sociétaires qui reposait sur la prise en considération, dans les conditions prévues par le statut de l'Institution du Palais-Royal, des qualités, de l'expérience et de la notoriété de chacun. En clair, bien que liés par une sorte d'affectio societatis, les pensionnaires/sociétaires n'expriment pas moins, sur scène, leur individualité et, à travers elle, leur talent qui, s'il est collectif, ne saurait être collectivisé. Ainsi, la Haute juridiction rappelle que, bien que l'Institution soit publique, soumise aux décrets gouvernementaux, "le Français" n'en demeure pas moins assujettie aux canons libéraux, pour lesquels les talents et leurs contreparties pécuniaires ne peuvent être que différenciés et non collectivistes.

Point de principe "à travail égal, salaire égal", sur la scène de la salle Richelieu ! Phèdre n'est pas Ismène, et Monsieur Jourdain encore moins Covielle, bien que le véritable meneur de la pièce ne soit pas celui que l'on croit.

"Dès que l'on a un peu joué, on se sent moins esclave de l'argent" écrivait Tristan Bernard, dans Auteurs, acteurs, spectateurs ; aucun aphorisme n'est moins vrai, lorsqu'il s'agit de comédiens, même au "Français".

Aucun des 87 articles du "décret de Moscou" de 1812, qui régit encore, peu ou prou, le statut de la Comédie-Française, ne dicte la conduite d'un acteur désavoué par ses pairs sociétaires, ne règle la question de sa rémunération à l'aune de l'égalité salariale.

Il faut avoir l'opiniâtreté d'un Lekain, pour dépasser sa taille -petite-, sa démarche -pesante-, ses traits -vulgaires- et sa voix -sourde-, et surtout le mépris des autres comédiens, pour intégrer, en 1752, après dix-sept mois d'attente et sur décision expresse du roi, la prestigieuse troupe du jeu de paume de l'Etoile, et devenir l'un des plus grands maître de sa génération.

Il faut avoir l'orgueil d'un Talma pour, exclu de la Comédie-Française en 1791 pour accointance avec le pouvoir jacobin, revenir triomphalement, en 1799, et devenir "l'acteur préféré de Napoléon", après avoir joué Cinna, la pièce de Corneille.

Il faut avoir, encore, le courage et le talent de Rachel, pour qu'analphabète l'on devienne l'égérie du tout-Paris, et sous le pinceau de Jean-Léon Gérôme, entrer au Panthéon des illustres tragédiennes de Corneille, de Racine et de Voltaire. C'est qu'en interprétant Camille de Horace, dont la recette s'élevait à 735 francs le premier soir, pour atteindre dix-huit jours plus tard, la somme de 4 889 francs, la comédienne et héroïne de Sarah Bernhardt, sacrifiait au bonheur des pauvres, bénéficiaires du droit éponyme versé, après chaque représentation, aux hospices.

Il faut avoir, enfin, le panache d'une Sarah Bernhardt pour, au firmament de sa gloire, en 1880, démissionner du "Français" et créer sa propre compagnie pour partir jouer à travers le monde et faire fortune avant de s'en revenir interpréter la Dame aux camélias, dans son propre théâtre.

Point de cette opiniâtreté, de cet orgueil, de ce courage, ni de ce panache là, chez ce comédien désoeuvré face au jugement de ses pairs sociétaires, face à l'inégalité salariale originelle entre les talents, quand bien même le statut de la Comédie-Française serait des plus protecteurs, pour que la troupe oeuvre en toute sérénité, dans un esprit fraternel, au service de la culture française, dans tout son éclat.

Il faut claquer la porte avec fracas, et clamer, tel Cyrano, son mépris des quolibets, plutôt que d'invoquer l'argutie juridique, la prise d'acte de rupture, l'inégalité salariale et pourquoi pas le non paiement d'heures supplémentaires, pour rappel intempestif de la part du public ! Par où l'on voit qu'il apparaît pour moins incongru que le métier de comédien, de saltimbanque, tombe dans le giron du droit commun du travail ; il faut savoir garder des troupes de l'Hôtel Guénégaud et de celle de l'Hôtel de Bourgogne, toute l'irrévérence d'un Molière, qui bien que décédé sept ans avant sa création, anime encore, 331 ans plus tard, la verve et l'enthousiasme de ceux qui, chaque soir, clament les vers de Racine ou de Marivaux, à nul autre pareil.

Tout cela c'est la faute d'Eschyle direz-vous : s'il n'avait pas introduit sur scène un deuxième comédien face au choeur grec, Thespis serait resté seul en scène et son orgueil n'aurait point commandé à ce que son talent soit mieux reconnu, monnaie sonnante et trébuchante à l'appui, que celui des autres comédiens partageant la réplique.

newsid:428562

Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] De l'intérêt de formaliser les contrats de cession de cabinet...

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 septembre 2011, n° 10/20355 (N° Lexbase : A5896HXN)

Lecture: 5 min

N8503BSQ

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par Xavier Berjot, Avocat Associé, Ocean Avocats

Le 03 Novembre 2011

Si les cordonniers sont les plus mal chaussés, les avocats sont parfois les moins habiles à formaliser leurs propres relations juridiques. En témoigne l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 6 septembre 2011, dans un litige opposant un avocat et sa collaboratrice, au sujet d'un prétendu accord portant sur la cession du cabinet du premier à la seconde. 1. Les faits

Par contrat du 26 février 2006, Me X a été engagée comme collaboratrice libérale du cabinet de Me Y. Après 4 ans de travail apparemment sans difficulté, Me X a décidé de mettre un terme au contrat de collaboration, le 23 mars 2010. C'est alors que Me Y a soutenu qu'aux termes d'un accord entre les parties, il était convenu que sa collaboratrice acquière son cabinet. Comme le relève la cour, "[Me Y] a soutenu que les relations ont évolué depuis la conclusion du contrat de collaboration pour devenir assimilables à une association voire à une reprise de son cabinet". Cet avocat affirmait ainsi qu'à compter du 1er janvier 2009, sa collaboratrice avait accepté de reprendre sa clientèle et les éléments corporels du cabinet. Il s'estimait donc fondé à solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par son départ. Cette dernière ne l'entendait visiblement pas de cette manière, estimant qu'elle était toujours restée collaboratrice de Me Y, et sollicitant le paiement d'arriérés d'honoraires.

Le lecteur imagine qu'un tel accord de cession de cabinet devait nécessairement être formalisé par écrit, compte tenu de son importance pour les deux parties. Ce prétendu accord portait, semble-t-il, sur la somme de 216 000 euros, rien que pour le droit de présentation de la clientèle, donc sans compter la cession des éléments corporels et incorporels du cabinet dont le transfert du contrat de travail de la secrétaire. Pourtant, une simple lecture de l'arrêt du 6 septembre 2011 permet de constater que les juges ont dû rechercher la nature de la relation existant entre les parties au moyen d'indices, à défaut de pouvoir se fonder sur un accord explicite.

2. L'analyse de l'arrêt

La cour d'appel de Paris était invitée à statuer sur une sentence arbitrale, rendue le 30 août 2010 par l'arbitre désigné par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris. Cette sentence arbitrale, faisant suite à une tentative de médiation infructueuse a, en substance, dit que Me X avait le statut de collaboratrice libérale au jour de la cessation des relations entre les parties et condamné Me Y à payer à son ancienne collaboratrice la somme de 57 400 euros HT à titre de solde de rétrocession d'honoraires pour la période du 1er janvier 2009 à la fin des relations professionnelles entre les parties.

Mécontent de cette décision, Me Y en a interjeté appel, sollicitant de la cour qu'elle constate que le contrat de collaboration de Me X avait pris fin le 31 décembre 2008 et juge qu'après cette date, la relation des parties était régie par "un autre contrat qui faisait de [Me X] l'unique avocat du cabinet intéressé aux résultats". Me Y reconnaissait que cet accord était verbal mais pouvait néanmoins se prévaloir de sérieux arguments à l'appui de sa thèse. En particulier, il ressort des motifs de l'arrêt qu'à compter du 1er janvier 2009 Me X ne facturait plus de rétrocession d'honoraires au cabinet de Me Y mais facturait directement les clients du cabinet, et que son nom figurait sur les bulletins de salaire de la secrétaire, qu'elle avait d'ailleurs licenciée le 3 mars 2010. Plus encore, Me X figurait sur le papier en-tête du cabinet et avait, semble-t-il, commencé à payer une partie de la somme due au titre de la présentation de la clientèle.

En défense, Me X soutenait que Me Y lui avait parlé d'une éventuelle succession et demandé de prendre en charge la secrétaire du cabinet, au motif qu'il ne voulait plus en supporter la gestion administrative. Me X reconnaissait l'existence de pourparlers mais indiquait que dès le mois de mars 2009, elle avait "fait savoir ne pouvoir poursuivre" et, en tout état de cause, qu'aucun transfert de clientèle n'était intervenu. Elle critiquait également le fait que Me Y ne lui avait jamais indiqué la date à laquelle le transfert aurait eu lieu et le prix de présentation de la clientèle. Enfin, elle établissait que Me Y avait continué de percevoir des honoraires sur son compte professionnel.

Dans sa sentence du 30 août 2010, dont les motifs ont été repris par la cour, l'arbitre a considéré qu'en l'absence de convention expresse, il convenait d'examiner les éléments permettant de rechercher la commune intention des parties. Ainsi, l'arbitre a jugé qu'il n'avait jamais été mis fin au contrat de collaboration libérale, aux motifs suivants :

-Me Y ne produisait aucun élément écrit relatif au prix de présentation de la clientèle et aux modalités de paiement convenues ;

-il n'établissait pas un transfert de clientèle, au moyen par exemple d'une lettre circulaire envoyée aux clients du cabinet ;

-en sa qualité de collaboratrice libérale, Me X pouvait bénéficier d'une "délégation élargie", lui permettant notamment de signer des factures ;

-le rôle joué par Me X à l'égard de la secrétaire pouvait s'expliquer par les pourparlers entre les parties, tendant à ce qu'elle puisse reprendre à terme le cabinet.

En conclusion, l'arbitre a considéré que les parties n'en étaient qu'au stade de pourparlers et que la convention alléguée n'avait reçu aucun commencement d'exécution. La cour a fait sienne cette conclusion et ajouté que rien ne pouvait permettre de considérer "que le contrat de collaboration libérale ait pu prendre fin de manière verbale, alors qu'il s'agit d'un contrat écrit soumis au contrôle de l'Ordre, de même que tout avenant contenant novation ou modification du contrat". La cour a donc confirmé la sentence arbitrale, ajustant simplement les comptes entre les parties.

Cette décision laisse le commentateur perplexe. Il ressort en effet des motifs de l'arrêt que les parties avaient dépassé le stade de simples pourparlers, et que Me X avait bien commencé de reprendre le cabinet de Me Y. En particulier, force est de constater que Me X était a minima co-employeur de la secrétaire du cabinet, puisque son propre nom figurait sur les bulletins de salaire de cette dernière et qu'elle l'avait licenciée.

Sur ce point, la motivation de la sentence arbitrale paraît pour le moins succincte, puisque l'arbitre affirme que ce rôle joué à l'égard de la secrétaire s'explique par les pourparlers. Par ailleurs, comment expliquer le fait que Me X ait directement facturé les clients du cabinet ? A l'évidence, un collaborateur libéral ne facture que ses propres clients, et jamais ceux du cabinet qui l'emploie. Comment enfin justifier le fait que Me X ait accepté de ne plus percevoir de rétrocession d'honoraires ? Sur ce point, il est curieux de constater que les motifs de l'arrêt sont silencieux. Il est au demeurant étonnant que la cour ait pu considérer que le contrat de collaboration de Me X n'avait pu prendre fin de manière verbale, au motif que le contrat de collaboration libéral est un contrat écrit soumis au contrôle de l'Ordre. En effet, s'il est exact que ce contrat doit être établi par écrit et soumis au contrôle de l'Ordre (RIN, art. 14.2 N° Lexbase : L4063IP8), il peut tout à fait être rompu de manière verbale, l'article 14.4 du RIN relatif à la rupture du contrat n'imposant aucune exigence de forme.

En conclusion, il semble que l'arbitre et la cour d'appel aient plutôt sanctionné l'absence d'écrit entre les parties, l'arbitre ayant pris le soin de relever le caractère étonnant de cette situation de la part de professionnels du droit comme les avocats. A tout le moins, l'arrêt du 6 septembre 2011 invite les parties à formaliser, avec le plus grand soin, les contrats de cession de cabinet ou de présentation de clientèle.

newsid:428503

Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] De l'intérêt de formaliser les contrats de cession de cabinet...

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 septembre 2011, n° 10/20355 (N° Lexbase : A5896HXN)

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par Xavier Berjot, Avocat Associé, Ocean Avocats

Le 03 Novembre 2011

Si les cordonniers sont les plus mal chaussés, les avocats sont parfois les moins habiles à formaliser leurs propres relations juridiques. En témoigne l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 6 septembre 2011, dans un litige opposant un avocat et sa collaboratrice, au sujet d'un prétendu accord portant sur la cession du cabinet du premier à la seconde. 1. Les faits

Par contrat du 26 février 2006, Me X a été engagée comme collaboratrice libérale du cabinet de Me Y. Après 4 ans de travail apparemment sans difficulté, Me X a décidé de mettre un terme au contrat de collaboration, le 23 mars 2010. C'est alors que Me Y a soutenu qu'aux termes d'un accord entre les parties, il était convenu que sa collaboratrice acquière son cabinet. Comme le relève la cour, "[Me Y] a soutenu que les relations ont évolué depuis la conclusion du contrat de collaboration pour devenir assimilables à une association voire à une reprise de son cabinet". Cet avocat affirmait ainsi qu'à compter du 1er janvier 2009, sa collaboratrice avait accepté de reprendre sa clientèle et les éléments corporels du cabinet. Il s'estimait donc fondé à solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par son départ. Cette dernière ne l'entendait visiblement pas de cette manière, estimant qu'elle était toujours restée collaboratrice de Me Y, et sollicitant le paiement d'arriérés d'honoraires.

Le lecteur imagine qu'un tel accord de cession de cabinet devait nécessairement être formalisé par écrit, compte tenu de son importance pour les deux parties. Ce prétendu accord portait, semble-t-il, sur la somme de 216 000 euros, rien que pour le droit de présentation de la clientèle, donc sans compter la cession des éléments corporels et incorporels du cabinet dont le transfert du contrat de travail de la secrétaire. Pourtant, une simple lecture de l'arrêt du 6 septembre 2011 permet de constater que les juges ont dû rechercher la nature de la relation existant entre les parties au moyen d'indices, à défaut de pouvoir se fonder sur un accord explicite.

2. L'analyse de l'arrêt

La cour d'appel de Paris était invitée à statuer sur une sentence arbitrale, rendue le 30 août 2010 par l'arbitre désigné par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris. Cette sentence arbitrale, faisant suite à une tentative de médiation infructueuse a, en substance, dit que Me X avait le statut de collaboratrice libérale au jour de la cessation des relations entre les parties et condamné Me Y à payer à son ancienne collaboratrice la somme de 57 400 euros HT à titre de solde de rétrocession d'honoraires pour la période du 1er janvier 2009 à la fin des relations professionnelles entre les parties.

Mécontent de cette décision, Me Y en a interjeté appel, sollicitant de la cour qu'elle constate que le contrat de collaboration de Me X avait pris fin le 31 décembre 2008 et juge qu'après cette date, la relation des parties était régie par "un autre contrat qui faisait de [Me X] l'unique avocat du cabinet intéressé aux résultats". Me Y reconnaissait que cet accord était verbal mais pouvait néanmoins se prévaloir de sérieux arguments à l'appui de sa thèse. En particulier, il ressort des motifs de l'arrêt qu'à compter du 1er janvier 2009 Me X ne facturait plus de rétrocession d'honoraires au cabinet de Me Y mais facturait directement les clients du cabinet, et que son nom figurait sur les bulletins de salaire de la secrétaire, qu'elle avait d'ailleurs licenciée le 3 mars 2010. Plus encore, Me X figurait sur le papier en-tête du cabinet et avait, semble-t-il, commencé à payer une partie de la somme due au titre de la présentation de la clientèle.

En défense, Me X soutenait que Me Y lui avait parlé d'une éventuelle succession et demandé de prendre en charge la secrétaire du cabinet, au motif qu'il ne voulait plus en supporter la gestion administrative. Me X reconnaissait l'existence de pourparlers mais indiquait que dès le mois de mars 2009, elle avait "fait savoir ne pouvoir poursuivre" et, en tout état de cause, qu'aucun transfert de clientèle n'était intervenu. Elle critiquait également le fait que Me Y ne lui avait jamais indiqué la date à laquelle le transfert aurait eu lieu et le prix de présentation de la clientèle. Enfin, elle établissait que Me Y avait continué de percevoir des honoraires sur son compte professionnel.

Dans sa sentence du 30 août 2010, dont les motifs ont été repris par la cour, l'arbitre a considéré qu'en l'absence de convention expresse, il convenait d'examiner les éléments permettant de rechercher la commune intention des parties. Ainsi, l'arbitre a jugé qu'il n'avait jamais été mis fin au contrat de collaboration libérale, aux motifs suivants :

-Me Y ne produisait aucun élément écrit relatif au prix de présentation de la clientèle et aux modalités de paiement convenues ;

-il n'établissait pas un transfert de clientèle, au moyen par exemple d'une lettre circulaire envoyée aux clients du cabinet ;

-en sa qualité de collaboratrice libérale, Me X pouvait bénéficier d'une "délégation élargie", lui permettant notamment de signer des factures ;

-le rôle joué par Me X à l'égard de la secrétaire pouvait s'expliquer par les pourparlers entre les parties, tendant à ce qu'elle puisse reprendre à terme le cabinet.

En conclusion, l'arbitre a considéré que les parties n'en étaient qu'au stade de pourparlers et que la convention alléguée n'avait reçu aucun commencement d'exécution. La cour a fait sienne cette conclusion et ajouté que rien ne pouvait permettre de considérer "que le contrat de collaboration libérale ait pu prendre fin de manière verbale, alors qu'il s'agit d'un contrat écrit soumis au contrôle de l'Ordre, de même que tout avenant contenant novation ou modification du contrat". La cour a donc confirmé la sentence arbitrale, ajustant simplement les comptes entre les parties.

Cette décision laisse le commentateur perplexe. Il ressort en effet des motifs de l'arrêt que les parties avaient dépassé le stade de simples pourparlers, et que Me X avait bien commencé de reprendre le cabinet de Me Y. En particulier, force est de constater que Me X était a minima co-employeur de la secrétaire du cabinet, puisque son propre nom figurait sur les bulletins de salaire de cette dernière et qu'elle l'avait licenciée.

Sur ce point, la motivation de la sentence arbitrale paraît pour le moins succincte, puisque l'arbitre affirme que ce rôle joué à l'égard de la secrétaire s'explique par les pourparlers. Par ailleurs, comment expliquer le fait que Me X ait directement facturé les clients du cabinet ? A l'évidence, un collaborateur libéral ne facture que ses propres clients, et jamais ceux du cabinet qui l'emploie. Comment enfin justifier le fait que Me X ait accepté de ne plus percevoir de rétrocession d'honoraires ? Sur ce point, il est curieux de constater que les motifs de l'arrêt sont silencieux. Il est au demeurant étonnant que la cour ait pu considérer que le contrat de collaboration de Me X n'avait pu prendre fin de manière verbale, au motif que le contrat de collaboration libéral est un contrat écrit soumis au contrôle de l'Ordre. En effet, s'il est exact que ce contrat doit être établi par écrit et soumis au contrôle de l'Ordre (RIN, art. 14.2 N° Lexbase : L4063IP8), il peut tout à fait être rompu de manière verbale, l'article 14.4 du RIN relatif à la rupture du contrat n'imposant aucune exigence de forme.

En conclusion, il semble que l'arbitre et la cour d'appel aient plutôt sanctionné l'absence d'écrit entre les parties, l'arbitre ayant pris le soin de relever le caractère étonnant de cette situation de la part de professionnels du droit comme les avocats. A tout le moins, l'arrêt du 6 septembre 2011 invite les parties à formaliser, avec le plus grand soin, les contrats de cession de cabinet ou de présentation de clientèle.

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Communautaire

[Doctrine] La réforme des règles de l'Union Européenne en matière d'aides d'Etat applicables aux services d'intérêt économique général

Lecture: 13 min

N8488BS8

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par Olivier Dubos, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 03 Novembre 2011

Dans l'arrêt "Altmark" (1), la Cour de justice avait estimé que les subventions versées par une collectivité publique visant à compenser les pertes d'une entreprise chargée d'une mission de service public, en l'occurrence de transport urbain et suburbain, ne constituent pas des aides au sens de l'article 107 TFUE (N° Lexbase : L2404IPQ), car "de telles subventions sont à considérer comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public". Après cet arrêt, avait été adopté le paquet "Monti-Kroes", qui comprenait trois textes précisant les modalités concrètes de mise en oeuvre de cette jurisprudence (2). En 2009, la Commission a procédé à l'évaluation de ce dispositif, puis a lancé, en 2010, une procédure de révision de ces textes. Au mois de septembre 2011, elle a donc proposé quatre nouveaux textes. Le premier est un projet de communication relative à l'application des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'Etat aux compensations octroyées pour la prestation de services d'intérêt économique général qui a pour objet de clarifier les notions fondamentales sur lesquelles repose l'application des règles en matière d'aides d'État aux compensations de service public. Ce texte contient essentiellement une présentation systématique de la jurisprudence postérieure à l'arrêt "Altmark". Les autres propositions s'intéressent à des hypothèses dans lesquelles la jurisprudence "Altmark" n'est pas applicable (3). Le deuxième texte est un projet de Règlement relatif à l'application des articles 107 et 108 (N° Lexbase : L2405IPR) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des services d'intérêt économique général. Il exclut donc du champ d'application du Traité un certain nombre d'aides d'un faible montant (I). Le troisième texte constitue un projet de décision relative à l'application de l'article 106, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2403IPP) aux aides d'Etat sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général. Il est destiné à simplifier les exigences qui s'imposent à certains services locaux et aux services sociaux lorsque les compensations sont d'un montant annuel inférieur à 15 000 000 d'euros ; il permet d'éviter leur qualification d'aides d'Etat (II). Le quatrième texte est un projet de communication de la Commission qui est un encadrement de l'UE applicable aux aides d'Etat sous forme de compensations de service public. Il remplacera l'encadrement adopté en 2005 dans le cadre du paquet "Monti-Kroes" et sera applicable aux aides d'Etat non couvertes par la décision (III).

I - Le projet de Règlement relatif aux aides de minimis

A - Ce Règlement vient, dans le domaine des services d'intérêt économique général, compléter le Règlement (CE) n° 1998/2006 du 15 décembre 2006 concernant l'application des articles 87 (N° Lexbase : L2739IP7) et 88 (N° Lexbase : L2740IP8) du Traité aux aides de minimis (N° Lexbase : L1322HUI) (4), qui exempte d'obligation de notification les soutiens inférieurs à 200 000 euros par bénéficiaire sur une période de trois exercices fiscaux. En effet, pour les entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général, cette limite de 200 000 euros ne paraît pas adaptée. Ce type d'entreprises bénéficie souvent d'aides supérieures à ce montant, car elles ont pour objet de compenser les obligations de service public auxquelles elles doivent faire face.

Dès lors, pour les aides versées à une entreprise chargée d'un service d'intérêt économique général, le projet de Règlement dispense les Etats de l'obligation de notification sous deux conditions cumulatives. D'abord, le montant total de l'aide octroyée à l'entreprise ne doit pas excéder 150 000 euros par exercice fiscal. Ensuite, le chiffre d'affaires annuel moyen avant impôts de cette entreprise, toutes activités confondues, ne doit pas avoir atteint 5 000 000 d'euros au cours des deux exercices fiscaux précédant celui de l'octroi de l'aide. L'article 2, paragraphe 3, du projet de Règlement précise, en outre, que, "si le montant d'aide total accordé à une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général excède ce plafond, l'aide ne peut bénéficier du présent Règlement, même pour la fraction n'excédant pas ce plafond. Dans ce cas, le bénéfice du présent Règlement ne peut être invoqué pour cette mesure ni au moment de l'octroi de l'aide, ni ultérieurement". Le paragraphe 5 de ce même article ajoute, enfin, que le Règlement ne s'applique qu'aux aides transparentes, c'est-à-dire pour lesquelles il est possible de calculer un équivalent-subvention brut. Ainsi, les aides sous forme de prêt ne relèvent du Règlement précité que si l'équivalent-subvention est calculé en fonction des taux du marché. Les aides sous forme d'apport en capital ou en capital-investissement ne peuvent dépasser le plafond de minimis. Pour les garanties de prêt, le montant ne doit pas dépasser 1 500 000 euros, plafond abaissé à 750 000 euros pour les entreprises de transport.

B - Le plus intéressant sur le plan politique est, toutefois, probablement l'article 1er du projet de Règlement qui précise expressément que le Règlement n'est applicable que si l'aide est octroyée par une collectivité locale représentant moins de 10 000 habitants. Cette condition semble purement politique. Autant le montant de l'aide versée est un élément pour apprécier si l'aide affecte les échanges entre les Etats membres, autant l'on ne voit pas très bien en quoi la petite taille de la collectivité publique est en lien avec ce critère d'applicabilité de l'article 107 TFUE. En outre, les principales bénéficiaires de ce Règlement sont essentiellement les communes françaises, car la plupart des collectivités locales des autres Etats membres, y compris de niveau municipal, compte en général plus de 10 000 habitants. Il ne faut, cependant, pas exagérer cet avantage dont vont bénéficier les collectivités locales françaises car, de plus en plus, de nombreux services publics sont assurés au niveau d'établissements publics de coopération intercommunale qui regroupent souvent plus de 10 000 habitants. Les principales bénéficiaires de ce Règlement sont donc les communes rurales.

C - L'article 3 du projet de Règlement met en place un dispositif de contrôle du respect par les entreprises et les Etats des exigences du droit de l'Union. Au moment de l'octroi de l'aide, l'Etat doit informer l'entreprise bénéficiaire du montant de cette aide en équivalent-subvention. L'entreprise, de son côté, doit fournir une déclaration relative à tout autre aide de minimis versée pour la gestion d'un service d'intérêt économique général ou en application du Règlement (CE) n° 1998/2006. Cette précision est, en effet, fondamentale car une même entreprise peut être le délégataire de plusieurs collectivités publiques. Ce n'est qu'après l'accomplissement de ces formalités que l'Etat peut verser l'aide. 

Enfin, l'Etat a l'obligation de tenir un registre répertoriant toutes les aides de minimis versées au titre du projet de Règlement. Les dossiers doivent être conservés pendant la durée de dix exercices fiscaux à compter de l'octroi de l'aide. A la demande de la Commission, l'Etat à l'obligation de lui transmettre toute information en rapport avec l'application du Règlement.

II - Le projet de décision relatif aux services locaux et aux services sociaux

A - Ce projet de décision s'applique essentiellement aux services d'intérêt économique général locaux et sociaux. Il s'agit essentiellement de services locaux dans la mesure où sont concernées les compensations d'un montant inférieur à 15 000 000 d'euros par an. Pour la Commission, dans la mesure où les conditions par ailleurs prévues par la décision sont respectées, il n'y a pas affectation des échanges entre les Etats membres. Parmi les services sociaux, sont d'abord concernés les hôpitaux et, de manière plus générale, les soins de santé, la garde d'enfants, l'accès au marché du travail, le logement social et les soins et l'inclusion sociale des groupes vulnérables. Là aussi, pour la Commission, la structure des marchés dans ces secteurs fait qu'il ne peut y avoir distorsion de concurrence. Ce raisonnement de la Commission ne paraît pas totalement convaincant car l'on peut douter que toutes ces activités soient des services d'intérêt économique général, car ils présentent plutôt les caractéristiques des services d'intérêt économique général. C'est le cas des hôpitaux, notamment, comme l'admet, par ailleurs, la Commission dans son projet de communication relative à l'application des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'Etat aux compensations octroyées pour la prestation de services d'intérêt économique général (5). Il n'était donc pas juridiquement utile de les inclure dans le projet de décision. La lisibilité de l'ensemble en sort singulièrement affaibli.

Sont, également, visées certaines catégories de services de transport. C'est d'abord le cas des liaisons aériennes ou maritimes avec les îles dont le trafic annuel moyen au cours des deux exercices précédant celui de l'octroi du service d'intérêt économique général n'a pas dépassé 300 000 passagers. C'est aussi le cas des aéroports et des ports dont le trafic annuel moyen au cours des deux exercices précédant celui de l'octroi du service d'intérêt économique général n'a pas dépassé 200 000 passagers pour les aéroports et 300 000 passagers pour les ports. La décision ne s'applique, en revanche, pas aux compensations accordées dans le domaine du transport terrestre, ferroviaire et fluvial. Elle doit donc être articulée avec les règles du Traité et du droit dérivé spécifiquement applicables en matière de transport (6).

B - Pour que la décision soit applicable, il faut qu'existe un lien entre l'entreprise bénéficiaire et la collectivité publique. Pour désigner ce lien, la Commission utilise la notion de mandat qui revêt un sens évidemment sensiblement différent de celui du droit français. Ce mandat est, en effet, un acte officiel qui peut être soit unilatéral, soit conventionnel. Il doit, en toute hypothèse, selon l'article 3 de la décision, contenir les six éléments suivants : la nature et la durée des obligations de service public, l'entreprise et, s'il y a lieu, le territoire concerné, la nature de tout droit exclusif ou spécial octroyé à l'entreprise par l'autorité octroyant l'aide, les paramètres de calcul, de contrôle et de révision de la compensation, les modalités de récupération des éventuelles surcompensations et les moyens d'éviter ces dernières, et une référence à la décision. Il est, en outre, utile de préciser que la décision n'est applicable que si le mandat accordé à l'entreprise ne peut pas excéder une durée de dix ans. La seule exception concerne les situations dans lesquelles le prestataire doit consentir un investissement important qui doit être amorti sur l'ensemble de la durée du mandat, conformément à des principes comptables généralement admis.

C - La décision est enfin assez précise quant aux modalités de calcul de la compensation qui ne doit évidemment pas dépasser ce qui est nécessaire au bon fonctionnement du service public, sinon l'on sera en présence d'aides d'Etat et donc d'une obligation de notification. Lorsqu'une entreprise n'est pas uniquement en charge d'un service d'intérêt général, sa comptabilité doit différencier les recettes et les coûts liés à ce service, des recettes et des coûts liés aux autres activités. A partir du moment où ils sont nécessaires au fonctionnement du service, tous les coûts peuvent faire l'objet d'une compensation, qu'il s'agisse des coûts de fonctionnement ou des coûts d'investissement. La principale difficulté concerne "le bénéfice raisonnable" que doit pouvoir faire l'entreprise en charge du service. Cette notion n'est pas sans rappeler le "juste prix" chez Saint-Thomas d'Aquin. Reste que sa détermination relève plus de l'économie que de la philosophie. Selon l'article 4, paragraphe 4, de la décision, le bénéfice raisonnable est constitué par "le taux de rendement du capital qu'exigerait une entreprise moyenne considérant l'opportunité de fournir le service d'intérêt économique général pendant toute la durée du mandat, en tenant compte du niveau de risque. Le niveau de risque dépend du secteur concerné, du type de service et des caractéristiques de la compensation". Il est, par ailleurs, précisé qu'un taux de rendement du capital qui ne dépasse pas le taux de swap applicable majoré d'une prime de 100 points de base est considéré comme raisonnable. Lorsque l'investissement ne comporte pas de risque, le taux de swap applicable sert alors de référence. Il s'agit d'un taux utilisé sur les marchés financiers comme taux de référence pour établir les taux de financement. Lorsqu'il n'est pas possible de recourir au taux de rendement du capital, les Etats membres peuvent, pour déterminer le niveau du bénéfice raisonnable, se fonder sur d'autres indicateurs de bénéfice, tels que des mesures comptables, notamment le rendement des capitaux propres (RCP) moyen, le rendement du capital employé (RCE), ou bien encore le rendement de l'actif ou la marge d'exploitation. Il faut, enfin, préciser que les Etats membres peuvent introduire des critères incitatifs, liés, notamment, à la qualité du service fourni et aux gains d'efficience productive. Ces gains d'efficience ne doivent pas réduire la qualité du service fourni. Tout avantage lié aux gains d'efficience productive doit être fixé à un niveau qui permette une répartition équilibrée des gains réalisés entre l'entreprise et l'Etat membre et/ou les utilisateurs.

Il faut, enfin, préciser que la décision, comme le Règlement, mettent en place un mécanisme de contrôle par la Commission. Les Etats doivent conserver pendant dix ans toutes les informations liées à la mise en oeuvre de la décision et les communiquer à la Commission lorsqu'elle en fait la demande. Ils doivent, par ailleurs, établir un rapport tous les deux ans.

III - Le projet de communication portant encadrement des aides d'Etat sous forme de compensation de service public

A - Cet encadrement vient se substituer à l'encadrement communautaire des aides d'Etat sous forme de compensations de service public du 29 novembre 2005. Il ne s'applique aux compensations de service public que dans la mesure où ces dernières constituent des aides d'Etat non couvertes par la décision relatif aux services locaux et aux services sociaux. Il permet, ainsi, de préciser à quelles conditions une compensation de service public, qualifiée d'aides au regard des règles du Traité, pourrait être déclarée compatible. Il s'applique évidemment sous réserve des dispositions sectorielles adoptées par ailleurs par la Commission.

Cet encadrement ne s'applique, ensuite, qu'aux services d'intérêt économique général. Outre la définition que donne la Cour de justice de cette notion, la Commission exige l'existence d'un mandat entre la collectivité publique et l'entreprise, qui doit contenir les six éléments mentionnés à l'article 3 de la décision. L'entreprise bénéficiaire doit, en outre, respecter la Directive (CE) 2006/111 du 16 novembre 2006, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques, ainsi qu'à la transparence financière dans certaines entreprises (N° Lexbase : L5048HT7) (7). Le respect des règles de l'Union relatives à la passation des contrats publics est, également, une condition exigée par l'encadrement. Il peut s'agir aussi bien du droit dérivé et, notamment, de la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (8), et de la Directive (CE) 2004/17 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT) (9), lorsqu'elles sont susceptibles de s'appliquer à des délégations de service public. Est surtout concernée la jurisprudence "Telaustria" (10) qui impose, en dehors du champ d'application des Directives, une publicité et une mise en concurrence.

B - L'encadrement impose, également, que la compensation ne dépasse pas les coûts liés à l'exécution du service public. Selon son point n° 22, "le montant de la compensation peut être établi, au choix, sur la base des coûts et recettes escomptés, sur la base des coûts effectivement supportés et des recettes effectivement perçues, ou encore sur la base d'une combinaison des deux, en fonction des mesures incitatives que les Etats membres souhaitent introduire dès le départ en vue de favoriser les gains d'efficience".

Pour le calcul de la compensation, la Commission se fonde, tout d'abord, sur la méthode du coût net évité qui peut être imposée par la législation de l'Union ou la législation nationale. Il s'agit de faire la différence entre les coûts que supporte l'entreprise et ceux qu'elle supporterait si elle n'avait pas d'obligations de services publics. Pour une analyse plus détaillée de cette méthode, la Commission renvoie à l'annexe IV de la Directive (CE) 2002/22 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (N° Lexbase : L7189AZB) (11). La Commission propose, également, le calcul selon la méthode fondée sur la répartition des coûts qui est fondée sur la différence entre les recettes du prestataire et les coûts qu'ils supportent. Cette méthode paraît particulièrement adaptée dans les hypothèses où les usagers payent une redevance pour l'utilisation du service.

Pour le calcul du bénéfice raisonnable, l'encadrement reprend les données de la décision. Il indique, également, que les Etats membres doivent prendre des mesures afin de favoriser l'efficience. Ils peuvent, ainsi, fixer des objectifs d'efficience et moduler la compensation en fonction de la réalisation de ces objectifs. Si ceux-ci ne sont pas atteints, la compensation peut être réduite, et s'ils sont dépassés, elle peut, en revanche, être augmentée. Le calcul doit s'opérer selon une méthode contenue dans le mandat qui lie la collectivité publique et l'entreprise en charge du service. Il s'agit finalement de répartir les gains de productivité entre les deux protagonistes.

C - L'encadrement prévoit, enfin, que, dans certaines hypothèses, il est nécessaire d'imposer certaines exigences supplémentaires afin d'éviter que les échanges entre les Etats membres soient affectés. Il s'agit, d'ailleurs, en pratique de situations qui n'ont rien de marginales. C'est, notamment, le cas lorsque la même entreprise bénéficie de mandats analogues. Il en va de même lorsque le mandat regroupe toute une série de missions qui auraient pu faire l'objet de mandats distincts. Cette configuration est évidemment suspecte puisqu'elle a automatiquement pour effet de cloisonner la concurrence. Il en va de même lorsque l'aide permet la construction d'une infrastructure.

Il peut alors être exigé une diminution de la durée du mandat, ou que l'attribution de la mission à l'entreprise se fasse après mise en concurrence, alors que ce n'est pas, par ailleurs, imposé par le droit de l'Union. Il est possible, également, de demander une réduction du montant de la compensation si en cas de pluralités de mandats, existent des gains liés à des effets d'échelle. Lorsqu'il y a une infrastructure, l'accès des tiers peut aussi être rendue obligatoire.

Par ces trois projets, la Commission a donc pour ambition de rationaliser au maximum les liens qui existent entre les collectivités publiques et les entreprises chargées d'un service public d'intérêt général. Il n'est, toutefois, pas certain que cette rationalisation se fasse au profit de la sécurité juridique et de l'allégement des charges bureaucratiques imposées aux collectivités publiques et aux entreprises. L'on en vient à regretter l'époque "ante-Altmark" où il suffisait finalement de notifier à la Commission les projets d'aides, même s'ils avaient pour objet de compenser des obligations de service public...


(1) CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00 (N° Lexbase : A2343C9N), Rec., p. I-7747, spéc. n° 95.
(2) Encadrement communautaire des aides d'Etat sous forme de compensations de service public du 28 novembre 2005, 2005/C 297/04, JOUE C297/4 ; décision de la Commission 2005/842/CE du 28 novembre 2005, concernant l'application des dispositions de l'article 86 §2 CE aux aides d'Etat sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général, JOUE, L 312, 29 novembre 2005 ; Directive (CE) 2006/111 de la Commission du 16 novembre 2006, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques ainsi qu'à la transparence financière dans certaines entreprises (N° Lexbase : L5048HT7), JOUE L 318, 17 novembre 2006.
(3) Quatre conditions sont exigées par la Cour de justice pour qu'une compensation ne soit pas considérée comme une aide d'Etat :
"- premièrement, l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies ;
- deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente ;
- troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service publics, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ;
- quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise à charger de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations" (point n° 95).
(4) JOUE, L 326, 28 décembre 2006.
(5) Point n° 20.
(6) Voir, à cet égard, les points n° 21 et suivants de la motivation.
(7) JOUE, L 318, 17 novembre 2006, p. 17.
(8) JOCE, L 134, 30 avril 2004, p. 114.
(9) JOCE, L 134, 30 avril 2004, p. 1.
(10) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98 (N° Lexbase : A1916AWU).
(11) JOUE, L 102, 24 avril 2002.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2011

Lecture: 15 min

N8550BSH

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 08 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique met à l'honneur le droit de la propriété industrielle, et plus précisément la question de la rémunération d'une concession de licence de marque et de savoir-faire par l'octroi de dividendes et la valorisation potentielle des actifs. Le Conseil d'Etat précise, ainsi, quel mode de rémunération peut être considéré comme une véritable contrepartie, faisant échapper l'opération à la théorie de l'acte anormal de gestion (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 328762, mentionné aux tables du recueil Lebon). Puis, le juge judiciaire prend position quant à l'effet rétroactif d'un acte d'apport en société nouvellement créée dans le cadre des dispositions de l'article 238 quaterdecies du CGI qui exonère d'impôt les plus-values dégagées à la suite de l'apport en SEL opéré par un chirurgien-dentiste (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-21.664, F-D). Enfin, le Conseil d'Etat vient de rendre une décision importante relative à la qualification d'avantages ou de distributions occultes en matière de management package. En effet, selon la Haute juridiction, l'objectif de motivation et de responsabilisation de dirigeants et de salariés ne permet pas, pour l'entreprise, de caractériser la poursuite de son intérêt propre (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 327782, inédit au recueil Lebon).
  • Concession de licences : l'octroi de dividendes et la valorisation potentielle des actifs constituent-ils un mode normal de rémunération ? (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 328762, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1509HYK)

Les faits de l'espèce rapportent qu'une SARL était concessionnaire de droits de propriété industrielle relatifs à une marque de boulangerie. Afin d'étendre le réseau de production et de distribution de pain traditionnel, deux contrats ont été conclus le 10 octobre 1996 avec ses deux filiales ; chacune alors se voyant attribuer un champ d'activité géographique. Les conventions prévoyaient également un mode de rémunération des sous-licences : pour l'une des filiales, la SARL A, il était prévu une présentation à la SARL mère de candidats à la sous-licence ainsi que le règlement, par la filiale à la société mère, de la moitié des droits d'entrée. Pour l'autre filiale en revanche, la SARL B, cette dernière avait la possibilité de concéder elle-même des sous-licences de marque et de savoir-faire tout en percevant alors les droits d'entrée sans les reverser à la société mère. L'administration a remis en cause l'abstention de la société mère de percevoir une rémunération à raison de ces sous-concessions.

C'est donc sur le terrain de la théorie de l'acte anormal de gestion que l'administration fiscale a contesté de telles conventions. Initié par le juge de l'impôt, l'acte anormal de gestion (1) constitue une borne au principe de liberté de gestion des entreprises (2). Toutefois, l'administration fiscale n'est pas juge de l'opportunité quant à la gestion d'une entreprise, et si elle peut apporter la preuve, dans le principe et dans le montant, qu'il existe bien une ou plusieurs contreparties au contrat, il appartiendra au service de démontrer que ces contreparties sont en réalité inexistantes, dépourvues d'intérêt ou encore insuffisantes.

Les arguments opposés en appel (CAA Marseille, 4ème ch., 7 avril 2009, n° 06MA02708, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9319EHM) par la SARL mère tiennent à l'octroi de dividendes importants servis par la société filiale B et qui se sont élevés à 4 297 000 francs (655 073 euros) entre 1998 et 2002. La société opposait également d'autres arguments tendant à l'existence de contreparties telles que la réduction de ses propres charges, notamment de personnel, découlant de cette organisation ; la valorisation très importante de la marque entre 1996 et 1999 portée de 8 648 969 francs (1 318 527 euros) à 30 288 462 francs (4 617 446 euros) ; et l'augmentation substantielle du nombre de magasins ouverts sous licence (3). Si les juges d'appel ont bien relevé, au terme de l'instruction obligatoire du dossier (CJA, art. R. 611-19 N° Lexbase : L5722ICW), l'exactitude matérielle de ces arguments, le ministre opposait le caractère indifférent des dividendes dont le montant, au surplus, était aléatoire.

Devant le Conseil d'Etat, l'arrêt de la cour administrative d'appel sera censuré pour erreur de droit : la Haute juridiction administrative règle l'affaire au fond, dès lors que le versement de dividendes et le bénéfice d'un accroissement de la valeur des actifs de la filiale ne peuvent être considérés comme un mode de rémunération normale d'une concession de licence, même prévue au contrat. Pour les juges du Palais-Royal, "le fait de renoncer à obtenir une contrepartie financière lors de la signature d'une concession de licences de marque et de savoir-faire ne relève pas en règle générale d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt". Dans l'esprit de la société mère, les dividendes constituaient la rémunération de la licence, sans préciser quelle part de ces dividendes aurait pu constituer la rémunération du capital et celle prévue pour les droits de propriété industrielle concédés à la filiale. Mais cette distinction est superflue dès lors que, sous la plume du juge de l'impôt, la généralité du considérant l'exclut. En effet, le dividende, "part de bénéfices que la société distribue à chacun de ses actionnaires" (P. Merle et A. Fauchon, Droit des sociétés, Dalloz, coll. Précis, 14ème édition, 2010, p. 356) a la nature de fruit et ne peut avoir d'existence juridique "avant l'approbation des comptes de l'exercice de l'assemblée générale" (4) : lors de la signature de la concession de licence, le principe même d'un versement de dividendes en rémunération ne pouvant être acquis a priori, il était inenvisageable d'opter pour ce mode de rémunération arrêté entre cocontractants alors que la distribution de dividendes est une prérogative n'appartenant qu'aux seuls associés qui ont une qualité juridique distincte des cocontractants. Peut-être y a-t-il eu une confusion entre ces deux dernières qualités, confusion que l'on rencontre régulièrement au sein des petites et moyennes entreprises : une même personne supportant plusieurs casquettes juridiques différentes, sans véritablement en appréhender les distinctions et les effets, et tentée de faire de la rédaction d'actes en recopiant un "modèle" (5) glané sur internet. Il y a également eu élaboration d'un moyen juridique pour les besoins de la cause, une fois le redressement émis, car il est peu probable qu'un fiscaliste ait été sollicité lors de la rédaction de la convention litigieuse sur les conséquences d'une concession de licence sans rétrocession de redevances à la société mère. On remarquera, de plus, que le redressement concernait l'exercice 1998, mais également 1997, pour lequel il n'est pas rapporté l'existence d'un versement de dividendes ou une valorisation des actifs de la société dans un laps de temps aussi court (6).

Si le juge de cassation censure le raisonnement de la juridiction d'appel quant au mode normal de rémunération d'une concession de licence, le Conseil d'Etat prononce, pour une toute autre raison, la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % pour les exercices considérés. En effet, l'administration fiscale a arrêté, au titre des redressements émis pour 1997 et 1998, les mêmes modalités de calcul des redevances sans opérer de distinction entre les deux filiales A et B alors que la première n'était qu'agent commercial, les charges de la société B étant plus importantes que celles supportées par la société soeur et leurs obligations juridiques n'étant pas similaires.

"Happy end" pour la contribuable. A suivre pour les rédacteurs d'actes...

  • Pour être reprise par une société en cours de formation, une opération ne peut pas rétroagir antérieurement à la date du début de l'exercice fiscal de la société nouvellement immatriculée (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-21.664, F-D N° Lexbase : A9582HX8)

Le législateur est intervenu, au moyen de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 (N° Lexbase : L0814GTC), afin de soutenir la consommation et l'investissement, et plus précisément "favoriser le maintien des activités de proximité, notamment dans les centres villes ou les zones rurales, en levant un obstacle fiscal aux transferts et reprises des petites entreprises" (Instruction du 25 février 2005, BOI 4 B-1-05 N° Lexbase : X9107ACB). Il était alors prévu une exonération des plus-values professionnelles pour les cessions intervenues entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2005. Codifié à l'article 238 quaterdecies du CGI (N° Lexbase : L4932HLA), ce texte, modifié en décembre 2004 (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 N° Lexbase : L5204GUB), est l'ancêtre des dispositions de l'actuel article 238 quindecies du CGI (N° Lexbase : L3104HNB), en vigueur depuis le 1er janvier 2006.

Le dispositif d'exonération prévue par l'article 238 quaterdecies du CGI portait sur l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés, et exonérait les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale lors d'une cession à titre onéreux et portant sur une branche complète d'activité, dont la valeur n'excède pas 300 000 euros. Bien entendu, des conditions cumulatives étaient imposées : le cédant devait être une entreprise dont les résultats étaient soumis à l'impôt sur le revenu ou un organisme sans but lucratif ; ou bien une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale, ou l'un de leurs établissements publics ; ou une société dont le capital était entièrement libéré et détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques, ou par des sociétés dont le capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques.

Précisons que, s'agissant du champ d'application matériel de l'article 238 quaterdecies du CGI, par principe : "les professionnels libéraux exerçant à titre individuel ou les structures dans lesquelles ils exercent, peuvent, notamment, bénéficier de l'exonération d'impôts sur les bénéfices des plus-values professionnelles" (QE n° 51223 de Mme Pavy Béatrice, JOAN 16 novembre 2004, p. 8939, réponse publ. le 26 avril 2005, p. 4268, 12ème législature N° Lexbase : L4187G8L). Mais "les cessions ayant pour objet un refinancement d'activité ne peuvent bénéficier de l'exonération des plus-values de cession d'une branche complète d'activité" (QE n° 56287 de M. Léonard Gérard, JOAN 25 janvier 2005, p. 671, réponse publ. le 7 juin 2005, p. 5856, 12ème législature N° Lexbase : L5621G93).

La vigilance est donc de mise d'autant que l'article 238 quaterdecies, aussi appelé "exonération Sarkozy", avait fait l'objet d'une instruction dans laquelle l'administration menaçait tout contribuable y recourant des foudres de l'abus de droit (7) dans l'hypothèse où il ne se conformerait pas aux objectifs de la loi (instruction précitée § 57 ; LPF art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU ; M. Cozian, Vente à soi-même d'un cabinet médical et exonération "Sarkozy" : abus de droit ou effet d'aubaine ?, Dr. fisc., ét. 204, 13 mars 2008) : la doctrine administrative est également un outil de dissuasion (notre thèse, L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Paris XIII, 2009, § 19).

Redressement promis, redressement dû : la jurisprudence la plus récente témoigne de la vigilance des agents de l'administration fiscale à l'encontre des contribuables qui se prévalent de ce régime d'exception (CAA Nancy, 2ème ch., 13 janvier 2011, n° 09NC01491, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4959GQQ ; avec un avis défavorable -fait rarissime méritant d'être souligné- rendu par la Commission des infractions fiscales quant à l'opportunité d'engager des poursuites pénales à l'encontre du contribuable, notaire de son état : CAA Nancy, 2ème ch., 8 septembre 2011, n° 10NC00856, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7343HXA ; pour une indemnité versée à un agent général d'assurances : CAA Nancy, 2ème ch., 24 mars 2011, n° 09NC00766, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8321HIZ ; pour un exemple de mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit lorsqu'un chirurgien-dentiste se prévaut des dispositions de l'article 238 quaterdecies : CAA Nantes, 1ère ch., 25 novembre 2010, n° 09NT01298, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4388GP9 ; ou encore pour un expert-comptable, pour lequel la juridiction d'appel prononce le rétablissement de la majoration de 80 % pour abus de droit, alors même qu'une mention expresse (8) était jointe à la déclaration de revenus des contribuables : CAA Nantes, 1ère ch., 31 mai 2010, n° 09NT00211, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5838E3M).

Au cas particulier, ce sont les droits d'enregistrement qui étaient discutés devant l'ordre judiciaire : un chirurgien-dentiste apporte à une société d'exercice libéral, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 16 juin 2005 (9), les éléments incorporels et corporels de son entreprise individuelle, pour une somme totale de 250 000 euros. Cette convention, datée du 13 mai 2005 et enregistrée le 1er juin 2005, prévoyait une entrée en jouissance et la prise de possession des lieux fixée rétroactivement au 1er juillet 2004, ainsi que le transfert des contrats de travail à la même date.

L'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a remis en cause l'exonération des droits de mutation dont la société d'exercice libéral avait bénéficié. La société contribuable entendait opposer l'effet rétroactif attaché à la convention conclue entre elle et le chirurgien-dentiste puisque, d'une part, la vérification de comptabilité diligentée à son encontre englobait une période courant du 1er juillet 2004 au 30 juin 2005 ; d'autre part, la jurisprudence du juge de l'impôt admet, par principe, une rétroactivité des actes à la date d'ouverture de l'exercice au cours duquel ils ont été conclus. Mais les deux juges -judiciaire et administratif- ne sont pas tenus d'aligner leurs jurisprudences respectives et il existe de nombreuses hypothèses témoignant de leurs divergences. Il en est ainsi quant à l'irrégularité d'une procédure de vérification de comptabilité, dont la durée a excédé trois mois (LPF art. L. 52 N° Lexbase : L3356IGE) : pour le juge administratif, seule l'imposition établie à la suite des opérations de vérification excédant le délai légal est irrégulière (CE 9° et 8° s-s-r., 23 juin 1993, n° 96477, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0139ANH), alors que le juge judiciaire prononcera la nullité de l'ensemble de la procédure (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-18.309, FS-P+B+R N° Lexbase : A6432DM8).

La doctrine administrative admet l'effet rétroactif attaché à un acte. Il en est ainsi des actes d'apports lors d'une restructuration d'entreprises : "dès lors que les traités de fusion, de scission ou d'apport comportent expressément une clause de rétroactivité, cette obligation contractuelle s'impose aux parties comme à l'administration en matière d'impôt sur les sociétés dès lors que le fait générateur de l'imposition des résultats des exercices en cours n'est pas intervenu (date de clôture de l'exercice ou, à défaut, le 31 décembre)" (10). Les parties à une telle opération de restructuration d'entreprises ont la possibilité de l'affecter d'une rétroactivité au jour de l'arrêté des comptes : dès lors, les opérations effectuées durant la période intercalaire sont réputées l'avoir été au nom de la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif. Le principe de la prévalence des stipulations contractuelles est accueilli favorablement par la jurisprudence, sous réserve du respect du principe de l'annualité de l'impôt et de la spécialité comptable, interdisant de modifier les résultats d'un exercice déjà clos (CE Section, 12 juillet 1974, n° 81753, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7621AYW ; CE 8° et 9° s-s-r., 26 mai 1993, n° 78156, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9478AMY ; instruction du 3 août 2000, 4 I-2-00 n° 93 et 94 N° Lexbase : X6075AAA).

S'agissant d'une société nouvellement créée, la doctrine administrative considère que l'effet rétroactif ne pouvait être antérieur à sa date d'immatriculation (instruction du 3 août 2000, BOI 4 I-2-00 (11)). Mais dans une décision récente (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juin 2011, n° 317212, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5580HU9), le juge de l'impôt a admis une rétroactivité d'une convention d'apport, sans que la loi commerciale y fasse obstacle, "à une date antérieure à celle à laquelle la personnalité de la société nouvelle est acquise", si toutefois les principes d'annualité de l'impôt et de spécialité des exercices sont respectés. Au cas particulier, la Cour de cassation oppose ces mêmes principes d'annualité et de spécialité à la société contribuable (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-21.664, F-D N° Lexbase : A9582HX8), confirmant ainsi l'arrêt de la cour d'appel (CA Bordeaux, 20 mai 2010, n° 09/04170 N° Lexbase : A8914HQ9).

  • Avantages et distributions occultes : l'objectif de motivation et de responsabilisation de dirigeants et de salariés, par l'octroi de droits pour l'achat de titres d'une filiale, ne caractérise pas la poursuite d'un intérêt propre par l'entreprise qui consent cet avantage (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 327782, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1508HYI)

Les entreprises sont amenées à favoriser la motivation et la responsabilisation de leurs cadres et dirigeants dans le but de les fidéliser et de permettre d'assurer leur développement ainsi que leur pérennité. Dans cette optique, elles peuvent choisir de mettre en place un régime de management package qui "désigne les systèmes de rémunération des dirigeants en particulier dans les opérations de LBO [Leveraged Buy-Out]. Le management investit directement une partie de son patrimoine dans l'entreprise par le biais de BSA [bon de souscription d'action], d'obligations convertibles ou d'actions" (P. Vernimmen, P. Quiry, Y. Le Fur, Finance d'entreprise, Dalloz, coll., Dalloz Gestion, 10ème édition, 2011 ; v. également L. Julienne et A. Katchourine, Le management package : outils d'intéressement au capital des salariés et dirigeants, Lamy, coll. Axe Droit, 2010).

Dans le cadre d'une vérification de comptabilité, le service a estimé qu'une société ayant abandonné sans contrepartie des droits préférentiels de souscription au profit de nouveaux associés -dont le dirigeant de l'entreprise- avait commis un acte anormal de gestion. L'administration fiscale a alors considéré que la valeur des droits préférentiels de souscription devait être qualifiée de revenu distribué au profit de son dirigeant (CGI, art. 109-1 N° Lexbase : L2060HLU et art. 111 c N° Lexbase : L2065HL3), entraînant son assujettissement à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus et capitaux mobiliers. La très nombreuse jurisprudence relative, d'une manière générale, aux avantages et distributions occultes, démontre l'extrême vigilance de l'administration fiscale servie par un législateur converti sans trop de difficultés aux sirènes du réalisme fiscal (voir, à titre d'exemples, salaires versés à un contribuable sans aucune contrepartie effective : CAA Nancy, 2ème ch., 1er avril 2004, n° 00NC00513, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8136DBX ; acquisition d'un bien par la société à un prix majoré ou vente à un prix minoré sans que l'écart de prix comporte de contrepartie : CE Section, 28 février 2001, n° 199295, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0777ATX).

Les premiers juges ayant prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes (TA Melun, 28 septembre 2006, n° 0401645 N° Lexbase : A8814EGK), le ministre a alors interjeté appel du jugement (CAA Paris, 9ème ch., 5 mars 2009, n° 07PA00655, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8507EG8), mais sa thèse n'a pas trouvé d'écho favorable devant la juridiction d'appel. En effet, il a été considéré que le ministre ne démontrait pas que la renonciation à l'exercice des droits préférentiels de souscription était excessive au regard de la contrepartie opposée par le contribuable. Ce n'est pas la première fois que des opérations relatives à des titres sociaux sont qualifiées d'avantages ou de distributions occultes : la question du traitement fiscal d'une cession d'actions à un prix majoré par rapport à leur valeur vénale (CE 3° et 8° s-s-r., 26 mars 2008, n° 284374, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5933D7U), ainsi qu'une indemnité versée du fait du rachat de stock-options, alors que le bénéficiaire était dirigeant salarié de la société (CAA Paris, 2ème ch., 27 septembre 2006, n° 03PA02687, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2309DSC), s'est déjà posée. La jurisprudence a eu également à connaître des conséquences, pour une association, d'une renonciation à son droit préférentiel de souscription lors d'augmentations de capital d'une filiale (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2000, n° 196129, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9363AGU), entraînant un cataclysme fiscal pour l'association assujettie rétroactivement à l'impôt sur les sociétés et pour les personnes physiques parties prenantes à cette opération financière (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2000, n° 196130, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6520ATN).

Compte tenu de l'importance pratique des données de l'espèce, un pourvoi fut initié par le ministre et s'est soldé par une cassation de l'arrêt d'appel, ainsi qu'un renvoi devant les juges du fond, au motif d'une inexacte qualification juridique des faits de la cause : le Conseil d'Etat énonce, en premier lieu, un considérant de principe (cf. arrêt du 28 février 2001, précité) déjà bien connu des juges du fond (CAA Nancy, 2ème ch., 3 juin 2009, n° 08NC00646, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9168EHZ ; CAA Nantes, 1ère ch., 12 mai 2004, n° 00NT00448, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3414DDS ; CAA Versailles, 3ème ch., 26 juin 2007, n° 06VE00014, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6553DXY ; CAA Paris, 2ème ch., 12 mars 2002, n° 99PA01519, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5691AZS), selon lequel "en cas de vente par une société à un prix que les parties ont délibérément minoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices, au sens des dispositions de l'article 111 c du CGI ; [...] que la preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'elle établit l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer et, pour le cocontractant, de recevoir une libéralité du fait des conditions de cession". La question de la contrepartie est donc essentielle dans ce type de litige et le Conseil d'Etat rejette, pour la première fois à notre connaissance, une argumentation opposée par le contribuable tenant seulement à la motivation et à la responsabilisation des dirigeants et des salariés de l'entreprise. La Haute juridiction administrative précise bien que à elle seule, cette motivation ne peut caractériser la poursuite d'un intérêt propre par l'entreprise qui consent cet avantage.

Les rédacteurs des outils d'intéressement au capital des cadres et dirigeants ne manqueront pas de tirer les conséquences de cet arrêt en adoptant une rhétorique écrite visant à prévenir l'incendie initié par la décision commentée.


(1) Afin de mieux cerner la nature de la théorie de l'acte anormal de gestion, le commissaire du Gouvernement Pierre-François Racine a effectué une comparaison avec le concept juridique d'intérêt social pour les sociétés : "une entreprise, surtout lorsqu'elle est constituée sous forme de société, a pour objet la recherche et le partage de bénéfices. Tout acte qu'elle accomplit, pour réaliser cet objet, est présumé effectué dans son intérêt propre. Toutefois, à cet intérêt social, l'une des notions fondamentales du droit des sociétés, certains actes ou opérations peuvent apparaître contraires. Il est, alors, possible à ceux qui prétendent, ainsi, s'immiscer dans la gestion de l'entreprise de demander au juge commercial la nullité de ces actes et, le cas échéant, au juge pénal d'en réprimer l'auteur si l'acte anormal de gestion peut être qualifié de délit, ce qui est le cas, par exemple, pour l'abus de biens sociaux. En droit fiscal, l'acte anormal de gestion est un acte ou une opération qui se traduit par une écriture comptable affectant le bénéfice imposable que l'administration entend écarter comme étrangère ou contraire aux intérêts de l'entreprise [...]. En résumé sur ce premier point, le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social, mais avec deux différences de taille : seule l'administration peut l'invoquer et elle peut agir d'office", CE 7° 8° et 9° s-s-r., 27 juillet 1984, n° 34588, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7122ALD) ; RJF octobre 1984 n° 1233, concl. p. 562.
(2) CE 7 juillet 1958 n° 35977 ; Dr. fisc., 1958, comm. 938.
(3) De 8 en 1996 à 42 magasins en 1999.
(4) Cette solution étant valable quelle que soit la forme de la société commerciale.
(5) Les juristes parlent plus volontiers d'une "formule" constituant un point de départ dans leur réflexion juridique, alors que le "modèle" est recopié servilement par des non-juristes : c'est alors une fin en soi.
(6) La convention a été conclue en octobre 1996.
(7) "Le régime prévu à l'article 238 quaterdecies ne saurait autoriser la réalisation, en franchise d'impôt, d'opérations de refinancement dans lesquelles l'activité serait poursuivie, en fait, par le même exploitant après la transmission à titre onéreux dans des conditions financières détériorées, notamment du fait du recours à l'emprunt. De telles opérations pourraient, le cas échéant, entrer dans les prévisions de l'article L. 64 du LPF".
(8) La mention expresse permet d'éviter l'application de l'intérêt de retard pourvu toutefois qu'elle soit suffisamment explicite (CGI art. 1727 N° Lexbase : L1536IPL). Au cas particulier, si les contribuables avaient mentionné sur leur déclaration d'impôt sur le revenu : "exonération des plus et moins-values professionnelles article 238 CGI, cessation d'activité suite à vente de clientèle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés et détenue à plus de 75 % par des personnes physiques, montant de la cession inférieure à 300 000 euros acte de cession du 31 décembre 2004, engagement de maintenir l'activité pendant au moins 5 ans, plus-value à long terme exonérée : 256 000 euros", la cour administrative d'appel de Nantes a relevé qu'il n'y avait pas, notamment, d'indication quant à l'identité de la société cessionnaire.
(9) Avec un début d'activité fixé au 1er juillet 2005.
(10) Instruction du 3 août 2000, BOI 4-I-2-00, § 87.
(11) "L'article 372-2 de la loi du 24 juillet 1966 [aujourd'hui : C. com., art. L. 236-4 N° Lexbase : L6354AI8], modifiée, sur les sociétés commerciales, prévoit qu'en cas de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles, la fusion ou la scission prend effet à la date d'immatriculation de la nouvelle société ou de la dernière d'entre elles au registre du commerce et des sociétés. En conséquence, la date retenue sur le plan fiscal ne saurait être antérieure à celle prévue sur le plan juridique".

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Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Novembre 2011

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N8505BSS

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116) et du laboratoire Wesford, et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920)

Le 03 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116) et du laboratoire Wesford, et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920). A l'approche de la fin de l'année 2011, doivent de nouveau être mis en avant, à l'invitation de la jurisprudence, trois thèmes qui ont déjà fortement marqué cette chronique : tout d'abord, deux décisions du Conseil constitutionnel marquent une nouvelle avancée vers l'instauration d'un véritable équilibre -pour ne pas dire d'une égalité- entre les différentes parties au procès pénal (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21 octobre 2011 et Cons. const., décision n° 2011-160 QPC, du 9 septembre 2011) ; ensuite, par deux arrêts, la Cour de cassation poursuit son oeuvre d'encadrement de la recherche probatoire en droit pénal, en précisant quelles peuvent être les sanctions du recueil ou de la conservation discutables d'un ou de plusieurs éléments de preuve (Cass. crim., 13 septembre 2011, n° 11-83.100, F-P+B] et Cass. crim., 20 septembre 2011, n° 11-84.554, F-P+B) ; enfin, la motivation des décisions en matière criminelle étant désormais acquise, il n'en faut pas moins continuer à veiller au respect des règles relatives aux questions posées à la cour et au jury, ce que la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise dans deux autres arrêts (Cass. crim., 14 septembre 2011, n° 11-80.905, F-P+B et Cass. Crim., 28 septembre 2011, n° 11-80.929, F-P+B). I - Quelques pas de plus vers l'équilibre des droits des parties
  • L'article 800-2 du Code de procédure pénale, qui autorise l'indemnisation de la personne poursuivie mais non condamnée pour les frais procéduraux irrépétibles qu'elle a engagés, est contraire à la Constitution, car son domaine d'application est trop restreint (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21 octobre 2011 N° Lexbase : A7832HYQ)

Dans un procès, quel qu'il soit, c'est en principe à la partie qui succombe de supporter la charge de l'ensemble des dépens, c'est-à-dire de tous les frais de justice des parties autres que les honoraires des différents conseils (1). Les frais distincts des dépens se caractérisent alors par leur caractère "irrépétible", ce qui signifie de façon plus prosaïque qu'ils ne peuvent -toujours en principe- être réclamés à personne d'autre que celui qui les a engagés -ils ne sont pas susceptibles, de la sorte, d'être "répétés"-.

Toutefois, dans le procès pénal, cette règle comporte une double particularité : d'une part, c'est l'Etat qui, quelle que soit l'issue du processus judiciaire, est le débiteur de principe des dépens engagés, tant par la personne mise en cause, que par le Ministère public et par la partie civile (2). D'autre part, le pendant pénal du notoire article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W), qui permet au juge civil de condamner la partie tenue aux dépens au paiement des frais irrépétibles de l'autre partie, prend la forme de deux articles : l'article 475-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9925IQN), en vertu duquel il peut être ordonné judiciairement à l'auteur de l'infraction de payer les frais irrépétibles engagés par la partie civile, et l'article 800-2 du même code (N° Lexbase : L4263AZW), selon lequel la personne bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement est susceptible, selon les cas, d'être indemnisée desdits frais, soit par l'Etat, soit par la partie civile.

C'est précisément de ces deux derniers articles dont il était question en l'occurrence, les requérants soulevant le fait que, à différents égards, la partie civile est mieux traitée que la personne poursuivie mais non condamnée. Pour l'essentiel, alors que certaines parties civiles intervenantes sont aptes à bénéficier également de l'indemnisation de leurs frais irrépétibles par le condamné, elles ne le sont pas à payer les frais de même nature engagés par la personne poursuivie, lorsque celle-ci est finalement innocentée. Ajoutons plus généralement qu'à la lecture des textes, où l'indemnisation de la partie civile semble automatique, elle ne paraît que facultative pour la personne ayant fait l'objet de poursuites illégitimes.

La question posée était donc assurément pertinente, d'autant plus qu'elle s'inscrit avec force dans la construction et l'expression d'une nouvelle doctrine constitutionnelle séduisante : à défaut d'une égalité qui n'a pas, en tant que telle, à être instaurée au sein des différents acteurs du procès pénal, il faut rechercher "un équilibre des droits des parties" (3). L'affirmation n'est pas sans nuance, l'égalité procédurale épousant ainsi la forme plus souple et peut-être plus équitable d'une absence de déséquilibre. L'idée n'en reste pas moins, de l'aveu même du Conseil constitutionnel, que si les parties concernées ne se trouvent pas dans une situation identique, elles sont dotées de droits de nature identique, ce qui le conduit notamment à consacrer -faute de choix ?- les droits de la défense... de la partie civile (4) ! La nuance n'est alors plus vraiment de mise.

Rattachant la possibilité d'imputer le paiement des frais de justice au perdant, non seulement, au droit d'agir en justice (5), mais aussi, désormais, à l'exercice des droits de la défense, le Conseil constitutionnel reçoit favorablement l'argumentation des requérants.

Encore faut-il préciser que ce n'est qu'in extremis que l'article 800-1 du Code de procédure pénale est, au final, déclaré contraire au principe précédemment rappelé. En effet, se réfugiant derrière le "critère objectif et rationnel" qu'aurait utilisé le législateur pour rendre les dispositions de l'article litigieux conformes à son objet, refusant une fois de plus (6), à rebours de sa position sur la jurisprudence, de percevoir le décret d'application de l'article 800-1 comme participant de la norme examinée -incitant, par là même, à distinguer l'interprétation de l'application-, et percevant la rupture d'équilibre entre les droits des parties où ne l'attendait pas, non dans le trop grand encadrement de l'action de la personne poursuivie non condamnée, mais dans le trop lâche domaine de l'indemnisation de cette dernière, tous les appelés au procès pénal non condamnés devant en bénéficier, même ceux qui n'ont pas fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement, le Conseil constitutionnel finit quand même par frapper, reportant au surplus l'application de sa sanction au 1er janvier 2013.

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford

  • L'article 175, alinéa 2, du Code de procédure pénale, qui réserve aux "avocats" des parties la notification du réquisitoire définitif du ministère public, est contraire à la Constitution (Cons. const., décision n° 2011-160 QPC, du 9 septembre 2011 N° Lexbase : A5328HXM)

La communication entre les parties durant le procès pénal est en constante amélioration, l'importance prise par le contradictoire étant de plus en plus grande. En effet, il est reconnu de nombreuses vertus à ce principe, dont celle de réduire le risque d'erreur judiciaire. Renforcer le contradictoire et la communication contribue à améliorer l'équilibre des droits des parties, mais ce mouvement est très progressif. Ainsi, la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale (N° Lexbase : L5930HU8) a totalement réécrit l'article 175 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2312IED) et a introduit une certaine égalité entre le ministère public et les parties à l'issue de l'instruction, du moins, s'agissant de l'accès aux réquisitions du parquet, pour les parties assistées d'un avocat.

C'est cette dernière restriction aux seules parties assistées d'un avocat, qui est censurée par le Conseil constitutionnel dans la présente décision.

De manière générale, l'accès au dossier pénal par les parties privées est plus difficile à mettre en oeuvre que l'accès aux mêmes pièces par le ministère public, particulièrement au stade de l'enquête de police, où elles ne sont pas encore "parties" au sens strictement procédural. Lorsqu'une instruction est ouverte, les parties bénéficient d'une bien meilleure information. Toutefois, ce n'est qu'à la condition d'être assistées d'un avocat. Une telle limitation s'explique par la soumission de l'avocat au secret professionnel, les informations auxquelles il a accès étant couvertes par le secret des investigations. Mais elle contrarie le droit de se défendre seul, fondé sur les principes mobilisés par le Conseil constitutionnel, et qui ne se trouve pleinement respecté que lorsqu'une juridiction de jugement est saisie. La décision du 9 septembre 2011 contribue donc à donner une consistance au droit concerné.

Il faut noter que d'autres dispositions du Code de procédure pénale sont susceptibles de suivre le même sort que celui de la mention sanctionnée par cette décision, comme l'article 114 (N° Lexbase : L8632HWM) qui réserve l'accès au dossier pénal avant tout interrogatoire par le juge d'instruction aux seuls avocats des parties.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

II - Des précisions sur les sanctions applicables à la preuve pénale

  • Pas d'annulation, mais disqualification ou perte de force probante des éléments recueillis ou conservés de façon discutable (Cass. crim., 13 septembre 2011, n° 11-83.100, F-P+B N° Lexbase : A1195HYW et Cass. crim., 20 septembre 2011, n° 11-84.554, F-P+B N° Lexbase : A6172HYA)

Dans les espèces tranchées par la Chambre criminelle de la Cour de cassation les 13 et 20 septembre 2011 se posait la question de la sanction applicable à un élément de preuve recueilli ou conservé de façon discutable. Le contrôle judiciaire des investigations s'opère par plusieurs moyens, celui des actes -le contrôle pouvant aussi porter sur les acteurs des investigations- s'effectuant au regard des dispositions qui régissent les nullités de procédure.

Sanctions efficaces, résidant dans l'anéantissement des actes accomplis, et garde-fous obligeant au respect des prescriptions légales, les nullités sont diversement accueillies par le juge pénal. En effet, la loi lui impose peu de contraintes lorsqu'elles sont soulevées devant lui. Par exemple, dans le cadre d'une instruction, le juge répressif choisit parmi les éléments soumis à son appréciation lesquels peuvent être qualifiés d'actes ou de pièces de la procédure, seuls susceptibles d'être annulés en vertu de l'article 170 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0918DYN). C'est précisément la question qui se posait dans l'affaire jugée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 septembre 2011.

En l'espèce, un officier de liaison en poste à Madrid communiquait aux enquêteurs de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants des informations relatives à une organisation de narco-trafiquants, informations obtenues d'une source humaine confidentielle. L'un des mis en cause estimait que le renseignement ainsi obtenu l'avait été en violation des prescriptions légales, notamment celles relatives à la compétence de l'officier de liaison, et sollicitait donc son annulation ainsi que celle des actes dont il constituait le support nécessaire.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation suit la chambre de l'instruction en décidant que "les renseignements transmis par l'officier de liaison ne constituaient pas des actes de police judiciaire et étaient seulement destinés à guider d'éventuelles investigations de la police judiciaire". En qualifiant les informations recueillies de simples renseignements et non d'actes de la procédure, ces juridictions leur évitent l'annulation, inéluctable lorsqu'une règle de compétence est bafouée, et sauvegardent les actes subséquents.

Ce raisonnement semble aller à contre-courant de la jurisprudence consistant à décider que les actes d'investigation tirés d'une autre procédure -étrangère ou de nature non pénale- sont absorbés par la procédure à laquelle ils s'intègrent et sont, à ce titre, susceptibles de faire l'objet d'un contrôle de légalité (7). Mais cette contrariété n'est qu'apparente. En effet, l'élément litigieux est, par sa nature même -simple information ou "renseignement"-, souvent considéré comme ne constituant pas un véritable élément de preuve. Ainsi, l'information obtenue d'un indicateur n'a pas valeur de témoignage. Elle apparaît dans la procédure au détour d'un procès-verbal, comme un simple renseignement (8). Elément ne visant qu'à orienter l'enquête, le renseignement n'a pas à se soumettre aux règles encadrant le recueil de la preuve et il ne peut, en conséquence, pas être annulé. En contrepartie, il ne dispose d'aucune force probante et ne peut donc être utilisé pour fonder une condamnation.

C'est également sur le terrain de la force probante que s'est placée la Chambre criminelle pour apprécier l'une des différentes questions qui lui étaient soumises dans l'espèce tranchée le 20 septembre 2011, éludant là encore le jeu des nullités. Néanmoins, le problème ne se situait alors pas dans la phase de recueil de la preuve, mais dans celle de son appréciation.

Le 8 juin 2005, des flacons de parfum sont saisis et placés sous scellés, d'abord provisoires puis définitifs. Quelques années plus tard, à la suite d'une opération d'expertise, le juge d'instruction chargé de l'information ouverte pour importation de marque contrefaite constate diverses anomalies sur l'un des scellés. Ainsi, le nombre de flacons de parfum contenus dans l'un des cartons est inférieur au nombre mentionné sur la fiche de scellé. D'autres cartons ont perdu leur fiche de scellé. Confrontée à une requête en annulation des procès-verbaux de saisie et de placement sous scellés, la chambre de l'instruction la rejette, considérant que l'altération des scellés est sans incidence sur le déroulement des opérations réalisées conformément aux règles du Code de procédure pénale quelques années plus tôt. Elle estime que la conséquence de ces anomalies n'est pas la nullité des actes juridiques antérieurement réalisés, mais la perte du caractère probatoire normalement attaché au placement sous scellé. La Chambre criminelle de la Cour de cassation approuve cette solution, jugeant à son tour que "l'altération des scellés est sans incidence sur la validité du placement sous scellés".

Cette solution doit être approuvée. En effet, l'annulation du placement sous scellé ne se justifie que si ce sont les règles même de placement qui ont été violées. Or, tel n'était pas le cas en l'espèce, les anomalies constatées paraissant dues à des événements postérieurs. Dans une telle hypothèse, puisque la procédure de recueil de la preuve a bien été respectée, rien ne justifie de la sanctionner. En revanche, faute de conservation satisfaisante de la preuve, la fiabilité de cette dernière était en cause, d'où le choix d'une sanction adaptée : la perte de sa force probatoire. Les juges répressifs distinguent à juste titre la recherche de l'appréciation de la preuve. Cette dernière est ainsi protégée par des moyens différents selon le stade de la procédure où l'on se situe.

Ces deux espèces rappellent que les nullités ne peuvent être soulevées que dans l'hypothèse où une règle de procédure a été bafouée, d'autres sanctions pouvant frapper un élément discutable. Elles illustrent, une fois de plus, la grande liberté dont disposent les magistrats répressifs en la matière.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

III. Un retour sur les questions posées aux jurés d'assises

  • Certaines règles relatives aux questions posées à l'issue d'un procès criminel sont prévues à peine de nullité ; d'autres, en revanche, ne sont susceptibles d'être sanctionnées que par l'élévation d'un incident contentieux (Cass. crim., 14 septembre 2011, n° 11-80.905, F-P+B N° Lexbase : A1197HYY et Cass. Crim., 28 septembre 2011, n° 11-80.929, F-P+B N° Lexbase : A1290HYG)

Il est difficile d'oublier qu'à l'issue d'un dialogue des juges particulièrement intense (9), le législateur a finalement opéré le choix de régler la question de la motivation des arrêts rendus par les Cours d'assises en imposant cette dernière, par l'entremise d'une loi du 10 août 2011. Désormais, la teneur des décisions prises en matière criminelle se doit d'être retranscrite, tant dans son aboutissement que dans sa raison. De la sorte, si, par exemple, condamnation il y a, le magistrat chargé de rédiger la motivation devra y énoncer les principaux éléments à charge qui ont convaincu la cour d'assises, et le document où ceux-ci seront expressément consignés devra être signée par le premier juré (10).

L'intérêt indéniable des réponses ne doit cependant pas dissimuler celui des questions. C'est ce que viennent rappeler deux arrêts rendus par la Chambre criminelle de la Cour de cassation sur le fondement des articles 348 (N° Lexbase : L3748AZT) et 349 (N° Lexbase : L3749AZU) du Code de procédure pénale, dispositions qui, non seulement, n'ont pas disparu avec la réforme, mais surtout, n'ont fait l'objet d'aucune modification à cette occasion.

Tout d'abord, précise la Cour de cassation, la liste des types de questions, telle qu'elle figure à l'article 349 du Code de procédure pénale, est limitative. Autrement dit, le président de la cour d'assises ne peut demander à la cour et aux jurés que ce qu'ils pensent de la culpabilité de l'accusé, c'est-à-dire que ce qui est relatif à la présence et à la réunion des éléments constitutifs de l'infraction poursuivie, sans les inciter à s'interroger et à se prononcer distinctement sur les éléments de preuve eux-mêmes (11). En l'espèce, le président de la cour d'assises, qui était allé au-delà de son pouvoir de questionnement et, partant, avait peut-être tenté de mettre en place une motivation avant l'heure, est censuré pour l'avoir fait, à la demande de celui-là même qui aurait pu bénéficier de ladite motivation. Le paradoxe n'est cependant pas aussi flagrant, car il faut dire que les questions peuvent aussi constituer une façon d'orienter la réflexion des jurés, en mettant en avant de lourds éléments à charge.

Ensuite, en vertu de l'article 348 du Code de procédure pénale, sauf si les questions sont posées dans les termes de la décision de mise en accusation ou si l'accusé ou son défenseur y renonce, leur lecture par le président de la cour d'assises doit, à peine de nullité, être faite en audience publique. Or, en l'espèce, à l'issue d'un procès dont le huis clos était certes justifié, le président n'avait fait que rappeler que "les questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre avaient été lues précédemment" (12). Mais, précisément, certaines des questions litigieuses n'avaient pas été posées dans les termes de la décision de mise en accusation, ce qui signifiait que, sans entrer dans l'exception prévue par l'article 348, le président n'en avait pas respecté le principe en ne faisant pas état publiquement des interrogations auxquelles la cour et le jury allaient être confrontés.

Enfin, rappelle la Cour de cassation, sauf lorsque le texte prévoit qu'une formalité relative aux questions est prévue à peine de nullité, comme c'est le cas de l'article 348 du Code de procédure pénale, une telle sanction ne peut être obtenue que par le biais de l'incident contentieux, tel qu'il est régi par l'article 316 de ce même code (N° Lexbase : L3713AZK). Ainsi, toute méconnaissance de l'article 349 du Code de procédure pénale ne sera censurée qu'à la condition qu'un incident ait été élevé au moment idoine (13).

Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford


(1) Voir C. proc. pén., art. 800 (N° Lexbase : L0886HHB) et art. R. 92 (N° Lexbase : L1889H3D) et R. 93 (N° Lexbase : L0370IR7).
(2) C. proc. pén., art. 800-1 (N° Lexbase : L8695HWX).
(3) Voir, à propos de l'article 575 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3968AZY), Cons. const., décision n° 2010-15/23 QPC, du 23 juillet 2010, cons. n° 4 (N° Lexbase : A9193E4A). Voir aussi, à propos de l'article 618-1 du même code (N° Lexbase : L3993AZW), Cons. const., décision n° 2011-112 QPC, du 1er avril 2011 (N° Lexbase : A1900HMC) et les observations de Madeleine Sanchez in Chronique de procédure pénale - Juin 2011, Lexbase Hebdo n° 442 du 30 mai 2011 - édition privée (N° Lexbase : N4093BSE).
(4) Cons. const., décision n° 2010-15/23 QPC, préc., cons. n° 8.
(5) Voir déjà Cons. const., décision n° 2011-112 QPC, préc., à propos de la charge du paiement des frais irrépétibles devant la Cour de cassation : considérant que les dispositions de l'article 618-1 du Code de procédure pénale, "propres à la Cour de cassation, ont pour effet de réserver à la seule partie civile la possibilité d'obtenir le remboursement des frais qu'elle a engagés dans le cas où la personne poursuivie est reconnue auteur de l'infraction ; qu'en revanche, elles privent, en toute circonstance, la personne dont la relaxe ou l'acquittement a acquis un caractère définitif de la faculté d'obtenir de la partie civile le remboursement de tels frais".
(6) Voir déjà décision n° 2011-179 QPC, du 29 septembre 2011, cons. n° 6 (N° Lexbase : A1172HY3), et décision n° 2011-170 QPC, du 23 septembre 2011, cons. n° 7 (N° Lexbase : A9488HXP).
(7) Sur ce point, voir principalement CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752/00 (N° Lexbase : A6255DH7). Voir également notre thèse : Contribution à l'étude de la preuve pénale, Toulouse I - Capitole, 2010, nos 96 et s. consacrés à la circulation de la preuve.
(8) Cass. crim., 9 juillet 2003, n° 03-82.119, F-P+F (N° Lexbase : A1876C9D), Bull. crim., n° 138.
(9) Voir, par exemple, nos chroniques de procédure pénale : Juin 2011, Lexbase Hebdo n° 442 du 2 juin 2011 - édition privée (N° Lexbase : N4093BSE) ; Juillet 2011, Lexbase Hebdo n° 450 du 28 juillet 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7203BSL).
(10) Voir notre Chronique de procédure pénale - Septembre 2011, Lexbase Hebdo n° 452 du 8 septembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7525BSI).
(11) Cass. crim., 28 septembre 2011, n° 11-80.929, F-P+B (N° Lexbase : A1290HYG).
(12) Idem.
(13) Cass. crim., 14 septembre 2011, n° 11-80.905, F-P+B (N° Lexbase : A1197HYY) et Cass. crim., 28 septembre 2011, n° 11-80.929, F-P+B (N° Lexbase : A1290HYG).

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Santé

[Jurisprudence] Un pas de plus vers la plénitude de l'obligation de sécurité de résultat

Réf. : Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-68.272, FS-P+B (N° Lexbase : A8752HYS)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 03 Novembre 2011

Comme elle le fit en 2010 (1), c'est à nouveau à l'occasion d'une affaire de harcèlement moral que la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un important arrêt rendu le 19 octobre 2011, apporte une nouvelle pierre à l'édifice de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur (I). Il semble bien, en effet, qu'il ne soit plus désormais possible pour l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité en cas de manquement à l'obligation de sécurité, notamment en cas de harcèlement, qu'en démontrant l'existence d'un cas de force majeure (II). Si l'on peut considérer que la position de la Chambre sociale, consistant à pousser à ses limites la logique de l'obligation de résultat, est justifiée par les objectifs à atteindre, on peut demeurer plus mesuré quant à l'appréciation faite de l'auteur du harcèlement qui paraît, dans cette espèce, somme toute un peu restrictive (III).
Résumé

L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité. Il doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés.

Commentaire

I - Manquement à l'obligation de sécurité et harcèlement du fait d'un tiers à l'entreprise

Un salarié avait été engagé comme concierge par un syndicat de copropriétaires. A l'occasion de ses fonctions, le salarié fut victime d'insultes de la part du président du conseil syndical, lequel n'avait pas la qualité de préposé du syndic. Face à de tels comportements, le syndic avait rappelé solennellement qu'il était seul habilité à contrôler et critiquer le travail des employés de la copropriété et avait signifié cette règle au président du conseil syndical en lui précisant que de nouveaux écarts de langage ne seraient pas tolérés. S'estimant victime de harcèlement moral, le salarié saisit une juridiction prud'homale d'une demande en dommages et intérêts.

La cour d'appel statuant sur cette affaire débouta le salarié de ses demandes. Elle jugea, d'abord, que l'employeur ne peut être tenu responsable de faits de harcèlement moral qu'à la condition qu'il soit l'auteur de ces comportements ou que l'auteur du harcèlement soit l'un de ses préposés. Elle ajouta, ensuite, que l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la situation de harcèlement en enjoignant le président du conseil syndical de cesser ses écarts de langage.

Cette décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 19 octobre 2011, au visa des articles L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L) du Code du travail.

Par un chapeau très solennel, la Chambre sociale dispose, d'abord, que "l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et que l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité". Elle poursuit en énonçant que l'employeur "doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés".

Presque mécaniquement, la Chambre sociale conclut que "le président du conseil syndical avait exercé une autorité de fait sur le gardien" et que "les mesures prises par la suite pour mettre fin à son mandat n'exonéraient pas l'employeur des conséquences des faits de harcèlement", si bien que l'arrêt d'appel devait être cassé pour violation de la loi.

Cette décision doit être diversement appréciée selon que l'on s'intéresse au domaine de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur qui s'étend vraisemblablement ou au régime juridique du harcèlement moral qui, au contraire, semble subir une restriction que la loi ne prévoit pas.

II - L'extension de l'intensité de l'obligation de sécurité de l'employeur

  • L'obligation de sécurité à la charge de l'employeur

L'employeur est tenu, à l'égard de ses salariés, à une obligation de sécurité de résultat. Consacrée par la jurisprudence comme obligation accessoire au contrat de travail (2), cette obligation s'est progressivement étoffée, d'abord en étant imposée par le législateur (3) et, surtout, en faisant l'objet d'ajustements jurisprudentiels. La Chambre sociale de la Cour de cassation a progressivement haussé son niveau d'exigence à l'égard de l'employeur pour lui imposer, en 2010, une obligation dont l'intensité s'apparente de plus en plus à une véritable obligation de résultat (4).

Avec le développement des problématiques liées aux risques psychosociaux, le harcèlement est un terrain fertile au développement de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'obligation de sécurité de résultat. Ainsi les dernières évolutions de 2010 ont déjà été prononcées au regard de situations de violences physiques et psychologiques. L'idée portée tant par l'article L. 4121-1 que par l'article L. 1152-4 du Code du travail est que le salarié ne doit en aucun cas subir d'atteintes à sa santé en raison d'actes de harcèlement. L'employeur, quand bien même il aurait pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou pour mettre fin à une situation de harcèlement, sera donc responsable des préjudices subis par la victime.

C'est à nouveau à propos d'un cas de harcèlement que la définition apportée par la Chambre sociale de l'obligation de sécurité fait un pas en avant.

  • Le renforcement de l'obligation de sécurité de résultat

Après les arrêts du 3 février 2010 par lesquels la Chambre sociale de la Cour de cassation posait, pour la première fois, l'impossibilité pour l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité en cas de manquement à cette obligation lorsqu'il avait pris toutes les mesures pour prévenir l'atteinte à la sécurité du salarié, plusieurs auteurs s'étaient interrogés sur la portée de la décision (5).

En effet, avant cette date, l'employeur disposait de deux moyens pour s'exonérer de toute responsabilité en cas de manquement à l'obligation de sécurité. Il n'était responsable qu'à la condition que le salarié parvienne à "prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver". Si l'absence de mesures prises pour éviter le danger n'était plus une cause exonératoire depuis l'hiver 2010, on s'interrogeait toujours sur le fait de savoir si la conscience du danger qu'avait ou qu'aurait dû avoir l'employeur était encore un élément décisif de sa responsabilité.

A dire vrai, la décision sous examen ne répond pas clairement à cette interrogation. Plus encore, c'est le fait que la cour d'appel ait débouté le salarié du fait que l'employeur avait pris certaines mesures à l'égard du président du conseil syndical qui semblait avoir justifié la cassation. Pour autant, tout permet de penser qu'un pas a été franchi. En effet, la généralité de la formule selon laquelle l'employeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant l'absence de faute de sa part est caractéristique d'une obligation de résultat dans toute sa plénitude. La motivation de la Chambre sociale va bien plus loin que celle utilisée en février 2010 qui visait expressément les mesures prises par l'employeur. Si l'on s'en tient à la théorie classique héritée de Demogue (6), seule la force majeure devrait donc aujourd'hui permettre à l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité.

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner (7), il nous semble que cette évolution est tout à fait inévitable tant il n'est plus admissible, au XXIème siècle, qu'il soit porté atteinte à la santé des salariés du fait de leur travail. L'évolution jurisprudentielle est d'autant plus souhaitable que le législateur paraît, en la matière, bien trop timoré, comme en témoigne la récente réforme de la médecine du travail qui comporte, en germe, de nombreux ferments de dilution de la responsabilité des employeurs en la matière (8).

Bien entendu, la mesure est sévère pour les employeurs, cela ne peut être nié. Pour autant, elle devrait avoir pour effet salutaire d'inculquer dans les écoles de management une véritable culture de protection de la santé des salariés dont on ne peut plus aujourd'hui faire l'économie. Il sera toujours temps, le jour où comportements et mentalités auront évolué, de revenir à une application plus modérée de cette règle.

Vigoureuse mais indispensable, la position de la Chambre sociale en matière d'obligation de sécurité doit donc être saluée. La solution adoptée en matière de harcèlement paraît plus discutable en ce qu'elle introduit dans le raisonnement du juge un élément qui ne semble pas ressortir des textes en la matière.

III - Les interrogations quant à l'auteur du harcèlement moral

  • L'auteur du harcèlement moral : les textes

En matière de harcèlement moral, comme d'ailleurs de harcèlement sexuel, l'identification de l'auteur du harcèlement ne semble plus avoir aujourd'hui grande importance : que les comportements de harcèlement aient été commis par l'employeur ou par l'un de ses subordonnés, la qualification de harcèlement et les conséquences qui en découlent pourront être retenues.

Cela n'a pas toujours été aussi simple. En effet, les premières manifestations du harcèlement en droit français en 1992 faisaient la part belle au lien d'autorité. Si l'article L. 1153-1 du Code du travail vise les comportements adoptés par "toute personne", il en allait différemment en 1992 puisque la loi imposait la preuve de l'existence d'un "abus d'autorité", ce qui impliquait que le harcèlement ne pouvait provenir que d'une personne hiérarchiquement supérieure au salarié harcelé.

S'agissant du harcèlement moral, la définition actuelle issue de la loi de 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9) ne fait aucune référence, même implicite, à l'auteur du harcèlement : le texte est résolument centré sur la victime qui ne doit pas subir d'agissements de harcèlement. Cette absence de précision pourrait laisser penser que l'auteur du harcèlement n'est pas nécessairement l'employeur, ni l'un de ses collaborateurs ni même un salarié de l'entreprise. Ce sentiment est cependant atténué par le texte de l'article L. 1152-5 (N° Lexbase : L0732H9Y) qui dispose que "tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire", ce qui laisse supposer qu'à l'exception de l'employeur, seul un salarié peut se rendre coupable de harcèlement moral.

D'autres textes se sont intéressés à la qualification de harcèlement. Ainsi, l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail définit le harcèlement comme la situation dans laquelle "un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail" (9). L'article L. 1152-1 du Code du travail n'offre aucune indication sur l'auteur du harcèlement. Enfin, l'article 1er, alinéa 3, de la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L8986H39), qui assimile discrimination et harcèlement, les définit comme "tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant". Aucun de ces textes ne comporte donc de précision sur l'auteur du harcèlement.

L'avènement du harcèlement managérial (10) a, en outre, confirmé la tendance à la dilution d'une responsabilité personnelle dans le cadre du harcèlement puisqu'un employeur peut aujourd'hui être responsable des conséquences d'un harcèlement moral lié à des méthodes de management trop agressives, sans pour autant qu'un salarié auteur du harcèlement soit clairement identifié. Qui que soit l'auteur du harcèlement, cette situation ne devait pas se produire puisque l'employeur a l'obligation de prévenir la survenance de situations de harcèlement moral dans l'entreprise, comme le lui impose l'article L. 1152-4 du Code du travail.

L'interprétation des textes comme les évolutions jurisprudentielles en matière de harcèlement moral laissaient donc penser que, peu à peu, l'identification de l'auteur du harcèlement perdrait, comme pour le harcèlement sexuel, toute importance. Cela n'est pourtant pas le cas, comme en témoigne l'affaire commentée qui exige un lien d'autorité de fait ou de droit.

  • Le harcèlement du fait d'un tiers à l'entreprise

Faut-il exclure la responsabilité de l'employeur lorsque l'auteur du harcèlement est un tiers à l'entreprise ?

Bien sûr, la situation statistiquement la plus fréquente mettra en cause l'employeur ou l'un de ses subordonnés. Il est d'ailleurs significatif de constater que la doctrine la plus autorisée dans ce domaine ne semble pas envisager que l'auteur du harcèlement puisse être une autre personne que l'employeur ou l'un de ses subordonnés (11). Pourtant, comme le démontre l'affaire sous examen, le harcèlement peut être infligé par d'autres personnes que l'employeur ou le salarié. Les conditions de travail peuvent être dégradées par des clients de l'entreprise, par des salariés mis à disposition par d'autres entreprises, par des fournisseurs ou des partenaires commerciaux, etc.. A partir du moment où le législateur ne s'intéresse pas à la qualité de l'auteur du harcèlement, on peut se demander pour quelle raison le juge distingue là où la loi ne le fait pas...

Bien heureusement, la position de la Chambre sociale n'est pas absolue puisqu'elle permet tout de même que l'employeur soit responsable de situations de harcèlement dans lesquelles aucun de ses salariés n'est impliqué, à condition qu'il exerce sur l'auteur une autorité "de fait ou de droit". Le harcèlement commis par des salariés mis à disposition devrait très probablement entrer dans cette catégorie, de la même manière que celui infligé par des personnes placées dans l'entreprise sans être subordonnées à l'employeur tels que, par exemples, des stagiaires. L'immense majorité des situations devrait donc être couverte si bien qu'en pratique, la solution est opportune... à défaut d'être solidement justifiée en droit.


(1) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN) ; JCP éd. G, 2010, 321, note J. Mouly ; JCP éd. S, 2010, 1125, note C. Leborgne-Ingelaere ; RDT, 2010, p. 303, note M. Véricel.
(2) Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0773AYB), Dr. soc., 2002, p. 445, note A. Lyon-Caen ; RTDCiv., 2002, p. 310, note P. Jourdain ; D., 2002, p. 2696, note X. Prétot ; RJS, 2002, chr. p. 495, note P. Morvan.
(3) C. trav., art. L. 4121-1 (N° Lexbase : L1448H9I).
(4) Cass. soc., 3 février 2010, préc..
(5) V. en part. J. Mouly, préc., et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, préc..
(6) Sur laquelle, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil - Les obligations, Dalloz, 10ème édition, 2009, p. 582.
(7) V. nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, préc..
(8) Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011, relative à l'organisation de la médecine du travail (N° Lexbase : L8028IQE) et nos obs., Loi relative à l'organisation de la médecine du travail, Lexbase Hebdo n° 451 du 1er septembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7359BSD). D'une manière générale sur la réforme, v. également, M. Caron, P.-Y. Verkindt, La réforme de la médecine du travail n'est plus (tout à fait) un serpent de mer..., JCP éd. S, 2011, 1421.
(9) Sur cet accord, v. Ch. Willmann, L'ANI sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0959BQL) ; RDT, 2010 p. 428, note P. Adam.
(10) Sur ce concept, v. en dernier lieu Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL) et les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG).
(11) V. Ch. Radé, Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise, éd. Liaisons, 2011, pp. 178-179 qui n'envisage que la responsabilité de l'employeur ou du salarié et semble, par là, ne pas envisager l'hypothèse que l'auteur du harcèlement soit une tierce personne.

Décision

Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-68.272, FS-P+B (N° Lexbase : A8752HYS)

Cassation partielle, CA Paris, 22ème ch., sect. C, 26 mars 2009, n° 06/14017 (N° Lexbase : A5407EEY)

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L)

Mots-clés : obligation de sécurité de l'employeur, obligation de résultat, exonération, harcèlement moral, auteur du harcèlement, tiers à l'entreprise

Liens base : ; (N° Lexbase : E3145ETN)

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Sociétés

[Jurisprudence] Exécution forcée des pactes d'actionnaires : l'audace du tribunal de commerce de Paris

Réf. : T. com. Paris, ord. référé, 3 août 2011, n° 2011052610 (N° Lexbase : A5940HYN)

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

Le 03 Novembre 2011

En retenant le principe d'une réparation en nature, par l'exécution forcée des engagements violés, en présence d'un pacte d'actionnaires comportant notamment une clause d'équilibre dans la composition du comité de surveillance de la société concernée, le président du tribunal de commerce de Paris, par l'ordonnance de référé en date du 3 août 2011 (sur cette décision, voir aussi F.-X. Lucas, Editorial, Exécution forcée des pactes : les bonnes lectures du TC de Paris, Bull. Joly, 2011, p. 745), a certainement fait preuve d'une audace remarquable. Ramenés à l'essentiel, les faits illustrent bien une pratique devenue assez familière dans le droit des sociétés, ce qui accentue la portée de la décision prise par le tribunal de commerce de Paris. On ne pourra pas tenter de minimiser l'importance de la position adoptée en invoquant le caractère très particulier du cas de figure. Le capital d'une société par actions simplifiée était réparti entre un actionnaire majoritaire et divers autres actionnaires, personnes morales et personnes physiques. Un pacte d'actionnaires avait été conclu entre eux, aux termes duquel il était prévu que le comité de surveillance est composé de cinq membres nommés et révoqués librement par les associés de la société statuant à la majorité simple parmi les candidats présentés selon les principes suivants : trois membres seront nommés parmi les candidats présentés par l'actionnaire majoritaire et deux membres parmi les candidats présentés par le principal actionnaire minoritaire. Lors d'une assemblée générale tenue le 27 juin 2011, la nomination de deux des membres du comité de surveillance ne s'était pas effectuée selon les prévisions du pacte d'actionnaires et les deux personnes nommées ne figuraient pas parmi les candidats présentés par le principal actionnaire minoritaire. Ce dernier saisit alors le président du tribunal de commerce de Paris, en référé, d'une demande tendant à constater la violation du pacte d'actionnaires et d'ordonner les mesures requises pour que les stipulations dudit pacte soient respectées. C'est en faisant droit à cette demande que l'ordonnance de référé ici rapportée retient l'attention. La position adoptée, fondée sur une argumentation détaillée sans doute peu habituelle pour cette catégorie de décision de justice, est spectaculaire. Alors même qu'elle s'inscrit dans un contexte jurisprudentiel peu favorable à l'exécution forcée des engagements contractuels (I), il s'agit bien d'une position de principe fermement en faveur de ce mode de sanction de la violation d'un pacte d'actionnaires (II) et qui n'hésite pas à retenir une mise en oeuvre contraignante du respect de l'engagement pris (III).

I - Un contexte jurisprudentiel peu favorable à l'exécution forcée

A - L'hostilité générale de la Cour de cassation à la réparation en nature de la violation d'une obligation de faire

On ne peut manquer d'observer que la présente décision du tribunal de commerce de Paris intervient alors que la Cour de cassation a réaffirmé récemment, en présence d'une promesse unilatérale de vente d'immeuble, son hostilité à ce que la réalisation forcée de la vente puisse être ordonnée à titre de sanction de la rétractation par le promettant de son consentement à la vente, exprimée antérieurement à la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse (Cass. civ. 3, 11 mai 2011, n° 10-12.875, FS-P+B N° Lexbase : A1164HRK) ; JCP éd. E, 2011, 1670, note Y. Paclot ; Bull. Joly, 2011, p. 652, note D. Mazeaud).

Cette position de principe en faveur du seul octroi de dommages et intérêts pour sanctionner le non-respect de l'engagement de vendre pris par l'auteur de la promesse apparaît, malgré les fortes critiques qu'elle suscite de la part de la doctrine, d'autant plus solidement implantée au sein de la Cour de cassation que la Chambre commerciale l'a faite sienne, par arrêt en date du 13 septembre 2011 (Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.526, F-D N° Lexbase : A7535HXD) à propos d'une promesse unilatérale de cession d'actions. La même orientation jurisprudentielle se retrouve également à propos de la réparation du salarié, bénéficiaire d'options de souscription d'actions ou d'un plan d'attribution gratuite d'actions, privé du droit de lever les options par suite de son licenciement. Alors même que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la perte du bénéfice de l'offre de souscription des titres n'est réparée, le cas échéant, que par l'octroi de dommages et intérêts, et ce bien que la perte de la qualité de salarié qui conditionne l'exercice de l'option résulte d'une décision de licenciement injustifiée prise par la société employeur. La réparation en nature, consistant à laisser le salarié libre d'exercer son droit d'option nonobstant l'effet de son licenciement, est traditionnellement écartée par la Chambre sociale de la Cour de cassation au profit d'une réparation par équivalent financier (v. not., Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.027, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4508DDC ; Rev. sociétés, 2005, p. 396, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 2005, 131, n° 4, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; adde, G. Auzero, Stock-options et licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 137, du 7 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3011AB7).

B - L'incertitude particulière relative à la sanction de la violation d'un pacte d'actionnaires

Si la question relative à la détermination de la sanction idoine de la violation d'un pacte d'actionnaires alimente depuis quelques temps déjà la littérature juridique (v. not., E. Brochier, L'exécution en nature des pactes d'actionnaires : observations d'un praticien, RDC, 2005, p. 125 ; Dossier L'effectivité des pactes d'actionnaires, sous la direction de F.-X. Lucas et D. Martin, Bull. Joly, 2011, p. 614), l'état de la jurisprudence sur ce point suscite encore, à notre avis, bien des interrogations.

Certes, à plusieurs reprises, des juridictions du fond ont opté pour l'exécution forcée d'un pacte d'actionnaires lorsque l'un des signataires n'a pas respecté l'engagement pris. Ainsi en a-t-il été jugé à propos d'un pacte stipulant une clause d'offre alternative (T. com. Paris, 17 octobre 2006, Bull. Joly, 2007, p. 72, note F.-X. Lucas, Dr. sociétés, 2007, n° 137, obs. H. Hovasse ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 décembre 2006, n° 06/18133 N° Lexbase : A0202DUZ, Bull. Joly, 2007, p. 479, note F.-X. Lucas) ou d'un pacte comportant une promesse de voter en faveur d'une augmentation de capital (CA Paris, 5ème ch., sect. C, 30 juin 1995, n° 93/27606 N° Lexbase : A1518AUR ; Dr. sociétés, 1995, n° 198, obs. D. Vidal ; JCP éd. E, 1996, II, 795, note J.-J. Daigre) ou encore d'un pacte de sortie conjointe (CA Versailles, 12ème ch., sect. 1, 14 octobre 2004, n° 03/04586 N° Lexbase : A7560DNC ; Rev. sociétés, 2005, p. 472, note I. Urbain-Parléani). Récemment encore, un arrêt très remarqué de la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 14ème ch., 27 juillet 2010, n° 10/00559 N° Lexbase : A4674E7A ; Rev. sociétés, 2011, p. 90, note A. Couret ; RTDCom., 2011, p. 134, obs. P. Le Cannu et B. Dondéro ; Bull. Joly, 2011, p. 986, note P. Mousseron ; sur cet arrêt, voir aussi, Quand la cour d'appel de Versailles renforce l'efficacité des pactes d'actionnaires - Questions à Maître Bruno Cavalié et Antoine Hontebeyrie, Lexbase Hebdo n° 414 du 28 octobre 2010 - édition privée, N° Lexbase : N4362BQM) avait suscité l'attention en reconnaissant, au titre de sanction de la violation d'une clause de stand still figurant dans un pacte d'actionnaires, au créancier de la clause le droit d'obtenir la cession forcée de la moitié des actions achetées par l'autre partie au pacte, en violation de son engagement.

Mais rien ne permet de dire que ce mode de sanction de la violation par l'un des signataires d'un pacte d'actionnaires de l'engagement pris trouve le même accueil devant la Cour de cassation. On peut ainsi remarquer que l'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 27 juillet 2010 précité a été cassé (Cass. com. 24 mai 2011, n° 10-24.869, F-P+B (N° Lexbase : A8716HSM), J.-B. Lenhof, Article 1134 versus article 1143 du Code civil dans la réparation en nature du préjudice résultant de la violation d'un pacte d'actionnaires, Lexbase Hebdo n° 258 du 7 juillet 2011 - édition affaires N° Lexbase : N6802BSQ ; Rev. sociétés, 2011, p. 482, note A. Gaudemet ; JCP éd. E, 2011, 1698, note R. Mortier) en des termes qui ne laissent guère d'espoir pour une position de principe en faveur de l'exécution forcée du pacte violé (voir les commentaires précités). Par ailleurs, il n'y a pas, à notre connaissance, un arrêt de la Haute juridiction affirmant clairement que le non-respect d'un pacte d'actionnaire doive se traduire par l'exécution forcée de l'engagement violé. La condamnation à des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi par le cosignataire du pacte paraît bien encore aujourd'hui la sanction la plus probable.

Dans un tel contexte jurisprudentiel, l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris apparaît donc bien audacieuse.

II - Une position de principe fermement en faveur de l'exécution forcée

A - L'exécution forcée du pacte et le droit des contrats

L'ordonnance ici commentée s'enracine fortement dans le droit des contrats et vient fonder la sanction d'une réparation en nature de la violation du pacte tant sur le terrain de l'autonomie de la volonté que sur celui de la force obligatoire des contrats.

Le président du tribunal de commerce de Paris met bien en avant qu'il s'agit ici "d'obliger un actionnaire à agir en appliquant l'engagement qu'il a contracté", pour reprendre les termes figurant dans son ordonnance. En se soumettant, par sa signature, aux obligations contenues dans le pacte, l'actionnaire exprime bien son consentement. Sous réserve de l'existence d'un vice du consentement (erreur, dol, violence), non invoqué en l'espèce, c'est bien par l'effet de l'expression de sa volonté que l'actionnaire se trouve tenu des obligations contenues dans le pacte. Pour s'en tenir à l'illustration fournie par l'espèce, l'obligation de nommer les membres du comité de surveillance selon les stipulations précises prévues au pacte est définitive. Le consentement de chacun des actionnaires est donné, au titre de l'autonomie de la volonté. Il ne reste plus alors aux signataires qu'à s'exécuter, au titre de la force obligatoire des contrats. L'engagement pris ne comporte pas une clause tacite permettant à l'un des signataires de s'en libérer moyennant le versement de dommages et intérêts à l'autre partie. La force obligatoire d'un contrat ne saurait être entendue comme incluant la faculté de changer d'avis. Cette conception des engagements pris dans un pacte d'actionnaires tranche évidemment avec celle qui prévalait, aux yeux de ce même tribunal de commerce de Paris, il y a vingt ans (V. T. com. Paris, 12 février 1991, Bull. Joly, 1991, p. 592) lorsqu'il était admis que quels que soient les engagements qu'ai pu prendre un associé dans un pacte, il demeurait libre de ne pas les respecter lors de la prise d'une décision collective et qu'il n'était pas du pouvoir du juge de le forcer à s'y tenir. Avec la décision ici examinée, le premier juge consulaire de Paris adopte une approche rigoureuse des engagements pris, tant d'un point de vue juridique que d'un point de vue moral. Il n'est pas mauvais que le bon sens se retrouve dans la règle de droit et l'on perçoit, entre les lignes de l'ordonnance du président du tribunal de commerce, le souci du magistrat de se placer sous ce double critère. En outre, on ne saurait minimiser le signal donné par un juge éminent issu lui-même du monde du commerce en faveur du respect de la parole donnée, facteur de sécurité dans les relations d'affaires.

B - L'exécution forcée du pacte et le droit des sociétés

Sur le point en discussion, le pacte d'actionnaires constituait une convention de vote dès lors que les signataires du pacte s'engageaient à nommer les membres du comité de surveillance selon la clé de répartition des postes établie. Pour imposer à l'un des signataires le respect de l'engagement pris, encore fallait-il que la validité du pacte, en ce qu'il constituait une restriction à la liberté de vote, ne soit pas mise en cause. L'ordonnance de référé ici commentée envisage bien cet aspect de la question, même si c'est de manière un peu indirecte.

Sans qu'il soit requis de rappeler les éléments du débat relatif à la licéité des conventions de vote, on sait que la jurisprudence retient la validité des conventions qui aménagent le droit de vote dès lors qu'elles sont limitées quant à leur champ d'application, conformes à l'intérêt social et exemptes de toute fraude aux dispositions d'ordre public (v. not., M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 24ème éd. LexisNexis manuel, n° 699). Alors même que les défendeurs n'invoquaient pas l'illicéité de la convention en cause, le juge des référés prend soin de relever qu'il n'était pas contesté que la nomination au comité de surveillance de la société de deux personnes présentées par le principal actionnaire minoritaire répondait à l'intérêt de la société elle-même, compte tenu du souci légitime de cet actionnaire d'être tenu informé des délibérations de cet organe et plus généralement du fonctionnement de la société. En outre, dès lors que l'actionnaire majoritaire était assuré, par l'effet du pacte, de disposer de trois personnes représentant ses intérêts au sein de ce même organe, cet équilibre dans la composition du comité de surveillance pouvait justifier la restriction conventionnelle à l'exercice du droit de vote, acceptée par les signataires.

On ajoutera que ladite convention de vote avait bien un objet limité, ne supprimant pas la liberté dans l'exercice du droit de vote pour les autres questions relevant des décisions collectives.

En définitive, au regard du droit des contrats comme du droit des sociétés, l'ordonnance prise par le président du tribunal de commerce de Paris apparaît fermement argumentée et de nature à sécuriser les pactes d'actionnaires en ce qu'elle prend appui sur le respect de l'engagement pris. Si cette décision peut contribuer à alimenter la discussion sur l'effectivité des pactes d'actionnaires, elle aura au moins le mérite de replacer le débat sur l'essentiel.

III - Une mise en oeuvre contraignante du respect du pacte d'actionnaires

Dès lors que le président du tribunal de commerce de Paris entendait assurer l'effectivité du pacte d'actionnaires, il lui fallait se prononcer sur les moyens à mettre en oeuvre. Faisant droit aux demandes formulées par l'auteur de la saisine, le juge procède en deux temps au moyen d'injonctions complémentaires visant, d'une part, à effacer les décisions adoptées, en violation du pacte d'actionnaires, lors de l'assemblée des associés et, d'autre part, à ce que soient prises celles qui auraient dû l'être en application dudit pacte.

A - Effacer ce qui a été fait en violation du pacte

Puisque la nomination des membres du comité de surveillance avait été effectuée lors d'une assemblée générale, le juge des référés ordonne donc la convocation d'une nouvelle assemblée afin que soit effacée la décision violant le pacte d'actionnaire.

Il est intéressant de noter que le juge ne prononce pas la nullité de la décision de nomination contestée. On sait que, s'agissant d'une décision ne modifiant pas les statuts, la nullité ne pourrait résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre deuxième du Code de commerce relatif aux sociétés commerciales ou "des lois qui régissent les contrats", selon les dispositions de l'article L. 235-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL). Si la première catégorie de cas de nullité n'a bien sûr rien à voir avec la question de la violation du pacte d'actionnaires, la seconde, fondée sur le droit des contrats, plus ouverte en principe, n'apparaît pas non plus d'un recours très assuré. Les hypothèses de nullité d'une décision prise par un organe de la société visent essentiellement l'illicéité de l'objet, de la cause ou les vices du consentement, sans pertinence ici. La fraude aux droits des associés pourrait en revanche être envisagée. Des précédents jurisprudentiels existent (voir not., Cass. com., 6 juillet 1983, n° 82-12.910 N° Lexbase : A3729AG9, Bull. civ. IV, n° 206 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 25 novembre 2008, n° 06/18340 N° Lexbase : A7400EBP ; RJDA, 2009, n° 236) et l'application à une décision adoptée en violation d'un engagement contractuel pris vis-à-vis des associés ne serait pas inimaginable.

Pour autant, l'ordonnance examinée s'en tient à l'injonction de convocation d'une nouvelle assemblée des associés, qui devra se tenir dans un délai de vingt jours après la signification de l'ordonnance (sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant ladite signification). Au cours de cette assemblée, puisqu'il s'agit d'effacer ce qui a été irrégulièrement fait, injonction est faite aux actionnaires défendeurs de révoquer les deux membres du comité de sélection qui avaient été nommés, lors de la précédente assemblée, alors que leur nomination n'était pas le résultat de la mise en oeuvre des prévisions du pacte d'actionnaire.

B - Effectuer ce qui devait être fait en exécution du pacte

Poursuivant son objectif d'assurer l'effectivité du pacte d'actionnaires, le juge des référés ordonne ensuite à l'actionnaire majoritaire de nommer deux membres du comité de surveillance de la société choisis parmi les candidats présentés par le principal actionnaire minoritaire, se référant ainsi aux termes mêmes du pacte. On observe ici le recours à une position qui tranche avec ce qui est habituellement admis pour les pouvoirs du juge dans le fonctionnement interne d'une société. Ainsi, le parallèle peut être fait avec la sanction de l'abus de minorité. Lorsqu'un tel abus est retenu par le juge, il n'impose pas au minoritaire fautif de voter, lors d'une prochaine assemblée, dans un sens déterminé. Le juge ne peut que désigner un mandataire aux fins de représenter l'associé minoritaire lors d'une nouvelle assemblée et de voter en son nom "dans le sens des décisions conforme à l'intérêt social, mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires", selon les termes utilisés par la Cour de cassation dans l'arrêt "Flandin" (Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685 N° Lexbase : A5690ABD ; JCP éd. E, 1993, II, 448, note A. Viandier) qui constitue encore aujourd'hui la référence en la matière. Ici, le tribunal de commerce de Paris choisit un raccourci dont on ne peut cacher l'efficacité. Il ordonne directement à l'actionnaire concerné d'exercer son droit de vote selon les prévisions figurant au pacte. La différence apparaît alors nettement entre la sanction de l'abus de minorité et celle de la violation d'un pacte d'associé. Cette position suscitera sans doute des discussions voire des réserves. Elle apparaît toutefois justifiée. Lorsqu'il s'agit d'une hypothèse relevant de l'abus de minorité, par exemple à propos du refus de voter une augmentation du capital, le juge ne saurait imposer à l'associé minoritaire de voter, lors de l'assemblée à venir, en faveur de cette opération. Il ne peut substituer son appréciation à celle de l'associé lui-même. Le mandataire judiciaire aura justement à analyser les éléments en présence pour, en lieu et place du minoritaire, exprimer son vote dans un sens qui, tout ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime du minoritaire, soit conforme à l'intérêt social (selon le montant de l'augmentation et les conditions de souscription des titres). Lorsqu'il s'agit de la mise en oeuvre de stipulations précises d'un pacte d'actionnaires, chaque signataire a déjà, lors de l'acceptation du pacte, apprécié ses intérêts et donc exprimé son consentement. Le juge peut alors le contraindre à respecter les termes de son propre engagement. C'est bien le moins que l'on pourrait attendre de la justice.

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