Jurisprudence : Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21-10-2011

Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21-10-2011

A7832HYQ

Référence

Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21-10-2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5614447-cons-const-decision-n-2011190-qpc-du-21102011
Copier

Abstract

Par décision rendue le 21 octobre 2011, le Conseil constitutionnel a été amené se prononcer sur la constitutionnalité des articles 475-1 et 800-2 du Code de procédure pénale (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21 octobre 2011. . S'agissant de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, qui ouvre à la partie civile la faculté de demander au juge que la personne condamnée lui verse une indemnité au titre de ses frais irrépétibles (essentiellement des frais d'avocat), les Sages ont estimé qu'il ne méconnaissait aucune disposition constitutionnelle. . Il en va différemment s'agissant de l'article 800-2, lequel ouvre la possibilité à une juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe ou un acquittement d'accorder à la personne poursuivie qui en fait la demande une indemnité mise à la charge de l'Etat ou de la partie civile qui a mis en mouvement l'action publique. . Le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence selon laquelle aucune exigence constitutionnelle n'impose qu'une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu'elle a exposés en vue de l'instance. . Il a, en outre, rappelé que le ministère public n'est pas dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile, notamment s'agissant de la prise en charge par l'Etat des frais de la procédure pénale. . En tant qu'elles encadrent les conditions dans lesquelles l'Etat peut être condamné à verser à la personne poursuivie mais non condamnée une indemnité au titre des frais de procédure, les dispositions de l'article 800-2 n'ont pas méconnu l'équilibre des droits des parties dans la procédure pénale. . Lorsque l'action publique a été mise en mouvement par la partie civile, l'article 800-2 réserve la possibilité d'obtenir le remboursement des frais exposés pour sa défense à la personne poursuivie qui a fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement et, par conséquent, prive de la faculté d'obtenir le remboursement de tels frais l'ensemble des parties appelées au procès pénal qui, pour un autre motif, n'ont fait l'objet d'aucune condamnation. . Le Conseil a jugé qu'il en résultait une atteinte à l'équilibre des droits des parties et a ainsi déclaré l'article 800-2 du Code de procédure pénale contraire à la Constitution. . Le Conseil a reporté au 1er janvier 2013 la date de l'abrogation de cet article afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité..



Décision n° 2011-190 QPC

du 21 octobre 2011

M. Bruno LESOUËF et autre

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juillet 2011 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 4306 du 20 juillet 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Bruno LESOUËF et la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIÉS, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 475-1 et 800-2 du code de procédure pénale.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour les requérants par Me Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 30 août 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 31 août 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Bigot pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 octobre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 475-1 du code de procédure pénale : " Le tribunal condamne l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile la somme qu'il détermine, au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci. Le tribunal tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

" Les dispositions du présent article sont également applicables aux organismes tiers payeurs intervenant à l'instance " ;

2. Considérant qu'aux termes de son article 800-2 : " À la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe ou un acquittement peut accorder à la personne poursuivie une indemnité qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci.

" Cette indemnité est à la charge de l'État. La juridiction peut toutefois ordonner qu'elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l'action publique a été mise en mouvement par cette dernière.

" Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article " ;

3. Considérant que, selon les requérants, il résulte de ces dispositions que les conditions dans lesquelles la personne poursuivie mais non condamnée peut obtenir le remboursement des frais exposés dans la procédure sont plus restrictives que celles qui permettent à la partie civile d'obtenir de la personne condamnée le remboursement de ces mêmes frais ; que, par suite, ces dispositions méconnaîtraient le droit à une procédure juste et équitable ; que les requérants dénoncent, en particulier, le déséquilibre des droits au profit de la partie civile, d'une part, en cas de nullité de la procédure ou d'irrecevabilité de la constitution de partie civile et, d'autre part, au regard de la situation de la personne civilement responsable ; qu'ils font valoir, en outre, qu'il incomberait au Conseil constitutionnel d'apprécier la constitutionnalité de l'article 800-2 du code de procédure pénale au regard des modalités fixées dans le décret pris pour son application ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est " la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que son article 16 dispose : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;

5. Considérant qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose qu'une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu'elle a exposés en vue de l'instance ; que, toutefois, la faculté d'un tel remboursement affecte l'exercice du droit d'agir en justice et les droits de la défense ;

6. Considérant, d'une part, que l'article 475-1 du code de procédure pénale est applicable devant le tribunal correctionnel ainsi que devant la juridiction de proximité, le tribunal de police et la chambre des appels correctionnels ; qu'il se borne à prévoir que la partie civile peut obtenir de l'auteur de l'infraction une indemnité au titre des frais de procédure qu'elle a exposés pour sa défense ; qu'il ne méconnaît aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ;

7. Considérant, d'autre part, en premier lieu, que l'article 800-2 du même code a pour objet de permettre à la juridiction d'instruction ou de jugement statuant par une décision mettant fin à l'action publique de faire supporter par l'État ou la partie civile une somme au titre des frais non pris en compte au titre des frais de justice que la personne poursuivie mais non condamnée a dû exposer pour sa défense ; qu'en prévoyant que cette somme est à la charge de l'État ou peut être mise à celle de la partie civile lorsque l'action publique a été mise en mouvement non par le ministère public mais par cette dernière, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en lien direct avec l'objet de la loi ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'en renvoyant à un décret en Conseil d'État la détermination des conditions de son application, l'article 800-2 du code de procédure pénale ne méconnaît pas, en lui-même, le principe d'égalité ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'examiner les mesures réglementaires prises pour l'application de cet article ;

9. Considérant, en troisième lieu, que le ministère public n'est pas dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ; qu'il en va ainsi, notamment, de la mise à la charge de l'État des frais de la procédure pénale ; que, par suite, en encadrant les conditions dans lesquelles l'État peut être condamné à verser à la personne poursuivie mais non condamnée une indemnité au titre des frais qu'elle a exposés, les dispositions de l'article 800-2 n'ont pas méconnu l'équilibre des droits des parties dans la procédure pénale ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par la partie civile, les dispositions de l'article 800-2 réservent à la personne poursuivie qui a fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement la possibilité de demander une indemnité au titre des frais exposés pour sa défense ; qu'en revanche, elles privent de la faculté d'obtenir le remboursement de tels frais l'ensemble des parties appelées au procès pénal qui, pour un autre motif, n'ont fait l'objet d'aucune condamnation ; que, dans ces conditions, les dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale portent atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal ; que, par suite, elles sont contraires à la Constitution ;

11. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause " ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

12. Considérant que l'abrogation de l'article 800-2 du code de procédure pénale aura pour effet, en faisant disparaître l'inconstitutionnalité constatée, de supprimer les droits reconnus à la personne poursuivie qui a fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; que, par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de l'abrogation de cet article afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité,

DÉCIDE :

Article 1er

L'article 800-2 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution.

Article 2

La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter du 1er janvier 2013 dans les conditions prévues au considérant 12.

Article 3

L'article 475-1 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.

Article 4

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2011, où siégeaient : M. Jacques BARROT, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 21 octobre 2011.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.