La lettre juridique n°459 du 27 octobre 2011

La lettre juridique - Édition n°459

Éditorial

D'une Convention non conventionnelle à une Confédération porteuse d'espoir pour la profession d'avocat

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N8353BS8

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Si Paris mérite, sans doute, une "messe", Nantes mérite ses édiles !

D'abord, parce que, la semaine dernière, nous n'avons pas arpenté les ateliers et les auditoriums d'une simple Convention nationale des avocats, mais parce que nous avons assisté à une communion de la profession, à la fois respectueuse de son héritage et tournée vers l'avenir de la Justice. Et, le député-maire Jean-Marc Ayrault d'en appeler aux mânes d'Henri IV qui, à travers son édit nantais, posa la première pierre de la défense des libertés, au premier rang desquelles figure, assurément, la liberté de conscience. Et, le Bâtonnier Bernard Morand d'évoquer le souvenir d'Alexandre Fourny, avocat nantais fusillé par l'occupant, 70 ans auparavant, et qui malgré les tristes jours entourant son trépas, exprimait, avec la ferveur d'un homme fidèle à son serment, à sa conscience et à son honneur, toute la confiance qu'il témoignait en l'avenir. Non, les 6 200 congressistes du parc des expositions de La Beaujoire ne sont pas venus uniquement pour assister à une myriade de conférences juridiques et techniques, à la faveur de la validation de leur formation continue ; ils ont répondu nombreux, de tous les barreaux de France et des Outres mers, à l'appel d'un "nouveau concile", à l'heure de la modernisation de la profession rendue nécessaire par l'oeuvre de justice dont elle est un élément consubstantiel.

Ensuite, parce que cette Convention exceptionnelle a pris des airs de Confédération des barreaux qui, si chacun venait en force défendre les couleurs de son territoire et, parfois, ses particularismes locaux, montrant par là même la vivacité du maillage ordinal français, ils ne s'en retrouvaient pas moins unis face à l'adversité d'une Justice égrotante. Les 6 200 avocats congressistes ne sont certes pas tous confrontés, au quotidien, aux mêmes difficultés d'exercer avec probité, indépendance et dévouement leur profession, mais ils sont tous solidaires de ceux qui, au judiciaire, sont en première ligne et aux premières heures de la défense des droits et libertés, dans le cadre d'une garde à vue, mal organisée et mal financée par les pouvoirs publics et qui ont su, malgré tout, relever le gant : le défi d'une justice pour tous et d'un accès au droit pour les plus faibles, malgré le collapsus. Ils sont, assurément, tous solidaires de leurs confrères qui, au juridique, et malgré la reconnaissance de leur compétence, de leur probité et de leur déontologie, à travers l'acte, désormais bien nommé, d'avocat, doivent affronter une concurrence déloyale de ceux qui, protégés par les sommets de l'Etat, conservent un monopole dont l'existence peine à se justifier, aujourd'hui, et de ceux qui, se présentant pourtant comme partenaires au service de l'information et de la formation des avocats, portent atteinte délibérément au périmètre du droit, en proposant leur office aux professions libérales les plus offrantes, voire en répondant eux-mêmes aux questions juridiques des justiciables, sur simple appel, au mépris de toute règle déontologique, au lieu et place des avocats.

Enfin, si la ville de Nantes mérite autant ses avocats, c'est qu'ils ont tous accueilli cette cinquième Convention nationale et les congressistes avec chaleur, confraternité, sourire et dévouement. Il est certain que la venue d'un Président, grand ordonnateur de la question prioritaire de constitutionalité, nouveau gage de protection des droits fondamentaux et des libertés, et de celle d'un illustre Garde des Sceaux qui, il y a trente ans, demandait, la voix émue, à des parlementaires frileux, pour ne pas dire hostiles, l'abolition de la peine de mort, méritaient à elles seules que les avocats fassent une escapade nantaise. Mais, assurément, c'est la convivialité avec laquelle les avocats nantais, au premier rang desquels les Bâtonniers et anciens Bâtonniers, Morand, Joyeux et Lesage, mais également tout le comité nantais d'organisation de la Convention, qui emporta l'adhésion de tous les confrères et la satisfaction de tous de participer à un événement exceptionnel, clôturé par un gala enchanteur, au sein d'un lieu, lui aussi, d'exception, Les Machines de l'Ile. Lorsque les portes se sont ouvertes, chacun a pu plonger dans le rêve et le voyage, à travers une réalité mystérieuse comme du temps où des vaisseaux y étaient lancés pour tous les voyages du monde. Telle est l'imagination et le courage qu'il est exigé des avocats, aujourd'hui, en charge d'apporter sécurité et confiance aux justiciables.

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Confidentialité des correspondances : nouvelle précision

Réf. : Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.219, F-P+B+I (N° Lexbase : A9493HXU)

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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut Rochelais de Formation Juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 27 Octobre 2011

Le principe de confidentialité ne s'applique pas aux correspondances échangées entre un avocat et les autorités ordinales. Tel est l'enseignement délivré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 septembre 2011. En l'espèce, deux avocats avaient fondé une association ayant pour objet de réunir les avocats d'origine italienne ou amoureux de l'Italie, ainsi que leurs proches ; l'un était devenu président et trésorier de l'association et l'autre, secrétaire général. Mais, à l'occasion d'une réunion du conseil d'administration, le premier avait été révoqué de ses fonctions pour être remplacé par le second. Les deux intéressés ont alors saisi le Bâtonnier de leur différend ; et par lettre, le membre du conseil de l'Ordre chargé de la communication, de la publicité et du démarchage a invité la partie la plus diligente à faire le nécessaire pour que l'association soit dissoute à défaut d'autres solutions propres à remédier aux dissensions opposant les sociétaires. Par la suite, le sociétaire malheureux a fait délivrer au co-fondateur de l'association une citation directe pour dénonciation calomnieuse à laquelle était jointe une copie de la lettre des autorités ordinales. Avisé de la situation, le Bâtonnier a vainement sommé l'avocat sociétaire évincé de retirer la citation délivrée en méconnaissance, selon le représentant de l'Ordre, du caractère confidentiel de la correspondance ainsi divulguée, avant d'engager des poursuites disciplinaires à son encontre, lui reprochant d'avoir violé le secret professionnel et d'avoir refusé de comparaître devant la commission de déontologie. Toutefois, les juges du fond ont écarté ce grief, approuvés en cela par la Cour de cassation. En effet, la Haute juridiction précise qu'aux termes de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée (N° Lexbase : L6343AGZ), en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. Elle ajoute que le règlement intérieur d'un barreau ne peut, sans méconnaître ces dispositions législatives, étendre aux correspondances échangées entre l'avocat et les autorités ordinales le principe de confidentialité institué par le législateur pour les seules correspondances échangées entre avocats ou entre l'avocat et son client. Par ailleurs, la première chambre civile décide que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le juge du fond a estimé que la preuve du second manquement -le refus de comparaître devant la commission de déontologie- n'était pas rapportée, en présence d'un doute sur le bon acheminement de la lettre de convocation devant ladite commission.

Ainsi, dans l'arrêt du 22 septembre 2011, la Cour considère que les échanges entre un avocat et les autorités ordinales ne bénéficient pas du principe de confidentialité (1). Afin de comprendre cette solution restrictive, il convient d'envisager la protection de la confidentialité des échanges entre, d'une part, l'avocat et ses clients et, d'autre part, l'avocat et ses confrères, avant d'examiner la négation de la confidentialité des correspondances entre l'avocat et les autorités ordinales.

I - La protection de la confidentialité des correspondances entre l'avocat et ses clients

Une protection justifiée. Le principe de confidentialité a pour fonction de protéger les échanges entre un client et son avocat indépendant. Il constitue, d'une part, un complément nécessaire au respect des droits de la défense reconnus au client (2) et procède, d'autre part, du rôle de l'avocat, considéré comme "collaborateur de la justice" (3), qui est appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin (4). Si l'avocat, dans le cadre d'une procédure judiciaire ou de sa préparation, était obligé de coopérer avec les pouvoirs publics en leur transmettant des informations obtenues lors des consultations juridiques ayant eu lieu dans le cadre d'une telle procédure, celui-ci ne serait pas en mesure d'assurer sa mission de conseil, de défense et de représentation de son client de manière adéquate, et ce dernier serait par conséquent privé des droits qui lui sont conférés par l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), ainsi que par les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux (5).

Une protection garantie au niveau national. Le principe de confidentialité est consacré par l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ) et l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 (N° Lexbase : L6939ICY). Cette disposition légale précise qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense (6), les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci (7), les correspondances échangées entre le client et son avocat (8) et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (N° Lexbase : L4971HDH), a même inséré un nouvel alinéa dans l'article 100-5 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3498IGN), lequel interdit, désormais, les transcriptions des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense.

En outre, les correspondances échangées entre l'avocat et son client sont protégées quel qu'en soit leur support (9). Ce principe est rappelé par l'article 2.2 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) : "le secret professionnel couvre toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil comme dans celui de la défense, et quels qu'en soient les supports matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique [...])". De même, selon l'article 3.1 du RIN, "tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits, quel qu'en soit le support (papier, télécopie, voie électronique...) sont par nature confidentiels". Il peut donc s'agir de courriers rapportant des faits, posant des questions ou des consultations sur l'élaboration de la défense ou d'un acte. Il peut également s'agir de courriers électroniques (10), de télécopies (11) ou de simples attestations (12). En particulier, une lettre écrite à un avocat par son client ou l'inverse est inviolable (13), qu'elle lui soit parvenue ou qu'elle soit en possession de l'administration postale ou du client ou encore d'un tiers mandaté par ses soins pour la lui remettre (14).

Une confidentialité garantie au niveau supranational. Au niveau européen, les juges strasbourgeois garantissent la confidentialité des correspondances sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Ils rappellent que des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est à la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client (15). Partant, si le droit français peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d'un avocat (16), celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n'interdit pas d'imposer aux avocats un certain nombre d'obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi, notamment, en cas de constat de l'existence d'indices plausibles de participation d'un avocat à une infraction. Reste qu'il est alors impératif d'encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l'administration de la justice et leur qualité d'intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d'auxiliaires de justice (17).

Au niveau communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes -aujourd'hui appelée Cour de justice de l'Union européenne- a affirmé le principe de confidentialité de la correspondance échangée entre un avocat et son client (18). Toutefois, dans un célèbre arrêt "AM & S" (19), la CJCE s'est prononcée sur l'étendue de la protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients en la subordonnant à deux conditions cumulatives. D'une part, l'échange avec l'avocat doit être lié à l'exercice du "droit de la défense du client" et, d'autre part, il doit s'agir d'un échange émanant "d'avocats indépendants", c'est-à-dire "d'avocats non liés au client par un rapport d'emploi". S'agissant de cette seconde condition, la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 septembre 2010, observe que l'exigence relative à la qualité de l'avocat indépendant procède d'une conception du rôle de ce dernier, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin. Il en découle que l'exigence d'indépendance implique l'absence de tout rapport d'emploi entre l'avocat et son client, si bien que la protection au titre du principe de la confidentialité ne s'étend pas aux échanges au sein d'une entreprise ou d'un groupe avec des avocats internes (20).

II - La protection de la confidentialité des correspondances entre l'avocat et ses confrères

L'affirmation du principe de confidentialité. Conformément aux prescriptions de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, le principe de confidentialité s'étend aux correspondances échangées entre l'avocat et ses confrères. Le secret professionnel couvre l'ensemble des documents faisant l'objet d'une même correspondance échangée entre avocats (21) et s'oppose à ce que les propos tenus dans une correspondance soient constitutifs d'une infraction disciplinaire (22). Le principe de confidentialité s'applique également au décompte des sommes dues et l'état de frais, dont l'envoi ne peut valoir acquiescement à un jugement (23). De même, l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (24). Dans le même sens, la Cour de cassation estime que le droit de se défendre reconnu à tout accusé dans les conditions définies à l'article 6 § 3 b et c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, c'est-à-dire de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ainsi que de pouvoir se défendre lui-même ou d'avoir l'assistance d'un défenseur de son choix ou désigné d'office, et à l'article 14-3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (N° Lexbase : L6816BHW) ne justifie pas qu'un avocat puisse, dans l'exercice de ses fonctions, enregistrer, à l'insu d'un confrère, une conversation professionnelle, en vue de sa divulgation, au prétexte qu'une inculpation pouvait être prononcée contre lui (25).

Des arrêts rendus par la Cour de cassation, on induit une "présomption de confidentialité des correspondances échangées entre avocats en France" (26). Mais, cette présomption est inversée lorsqu'il s'agit d'échanges entre un avocat français et un avocat inscrits à un barreau d'un Etat membre de l'Union européenne. En effet, "dans ses relations avec les avocats inscrits à un barreau d'un Etat membre de l'Union européenne, l'avocat est tenu au respect des dispositions de l'article 5-3 du Code de déontologie des avocats européens" (RIN, art. 21-5-3). Or, aux termes de ces dernières dispositions, "l'avocat qui entend adresser à un confrère d'un autre Etat membre des communications dont il souhaite qu'elles aient un caractère confidentiel ou 'without prejudice' doit clairement exprimer cette volonté avant l'envoi de la première de ces communications. Si le futur destinataire des communications n'est pas en mesure de leur donner un caractère confidentiel ou 'without prejudice', il doit en informer l'expéditeur sans délai". Du reste, "dans ses relations avec un avocat inscrit à un barreau en dehors de l'Union européenne, l'avocat doit, avant d'échanger des informations confidentielles, s'assurer de l'existence, dans le pays où le confrère étranger exerce, de règles permettant d'assurer la confidentialité de la correspondance et, dans la négative, conclure un accord de confidentialité ou demander à son client s'il accepte le risque d'un échange d'informations non confidentielles" (RIN, art. 3.1).

Les dérogations au principe de confidentialité. L'arrêt du 22 septembre 2011 précise que les correspondances entre l'avocat et ses confrères bénéficient du principe de confidentialité, à l'exception de celles portant la mention "officielle" (27). En effet, l'article 3 du RIN indique que "Peuvent porter la mention officielle et ne sont pas couvertes par le secret professionnel, au sens de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 : une correspondance équivalant à un acte de procédure ; ou une correspondance ne faisant référence à aucun écrit, propos ou éléments antérieurs confidentiels". Il en résulte qu'une lettre faisant état de faits notoires n'est pas confidentielle (28). Par ailleurs, il faut souligner que le secret des correspondances entre avocats ne couvre pas celles échangées entre deux avocats dont l'un a la qualité d'employeur de l'autre, lorsqu'elles concernent exclusivement leurs rapports personnels de travail. Dès lors, la clause de confidentialité contenue dans la transaction litigieuse ne peut s'imposer à la juridiction saisie de son exécution (29). Enfin, le secret des correspondances entre avocats ne peut s'appliquer lorsque l'un des deux n'agit qu'en qualité de partie et qu'il n'est pas, par sa profession, dépositaire de ces correspondances (30).

Cela étant, il reste à déterminer les conséquences juridiques de la négation de la confidentialité des échanges entre l'avocat et les autorités ordinales.

III - La négation de la confidentialité des correspondances entre l'avocat et les autorités ordinales

Les termes du débat. Selon la Cour de cassation, la correspondance échangée entre un avocat et un membre du conseil de l'Ordre ne relève pas de la protection conférée par le principe de confidentialité. En effet, selon l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, "En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention 'officielle', les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel". On en déduit que ce texte ne vise que les correspondances échangées entre l'avocat et un client ou un confrère. Or, le règlement intérieur du barreau de Paris dispose que "Principes : Tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits, quel qu'en soit le support (papier, télécopie, voie électronique...) sont par nature confidentiels. Les correspondances entre avocats, quel qu'en soit le support, ne peuvent en aucun cas être produites en justice, ni faire l'objet d'une levée de confidentialité" (art. 3.1). Il ajoute que "Sous réserve des règles de procédure, les communications et correspondances entre l'avocat et toute autorité compétente de l'Ordre suivent les règles de l'article 3 du présent règlement" (art. P.3.0.1).

Le terme du débat. Or, la Cour de cassation déclare que le règlement intérieur d'un barreau ne peut étendre aux correspondances échangées entre l'avocat et son Ordre le principe de confidentialité institué par le législateur pour les seules correspondances échangées entre avocats ou entre l'avocat et son client. De fait, la Haute juridiction poursuit son travail de délimitation du principe de confidentialité et censure les interprétations excessives de la loi. Pour mémoire, la première chambre civile a exclu du champ de la règle les correspondances adressées par l'une des parties à l'avocat de son adversaire (31). Pareillement, elle a écarté le jeu de la confidentialité à propos de correspondances échangées par les avocats avec des tiers à la procédure (32). La Cour de cassation est même allée plus loin en excluant du bénéfice de la confidentialité une convention d'honoraires conclue par un comité d'entreprise avec son avocat, au motif que le demandeur, qui agissait en annulation de la convention, avait accès à l'ensemble des documents du comité en raison de ses fonctions de président dudit comité. Les Hauts magistrats ont considéré que le secret professionnel couvrant la convention ne lui était, dans ce contexte, pas opposable (33). Ces affaires montrent que la Cour de cassation fait preuve d'une grande vigilance et entend faire respecter scrupuleusement le principe de confidentialité contenu dans l'article 66-5. En conséquence, il semble nécessaire que le Barreau de Paris modifie son règlement intérieur afin qu'il soit en conformité avec la solution nouvellement dégagée par la Haute juridiction judiciaire.


(1) Sur le secret professionnel de l'avocat, v. F. Girard de Barros, L'avocat et le secret professionnel, Lexbase Hebdo n° 85 du 21 juillet 2011 - édition professions (N° Lexbase : N7004BS9). V. également du même auteur, L'avocat et la confidentialité des correspondances, Lexbase Hebdo n° 87 du 1er septembre 2011 - édition professions (N° Lexbase : N7347BSW).
(2) V. CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, quest. préj. (N° Lexbase : A5944AUP), points 20 et 23.
(3) L'expression "Mitgestalter der Rechtspflege" (collaborateur de la justice) est utilisée par la Cour dans l'arrêt "AM & S".
(4) V. CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396 (N° Lexbase : A6532AWT), § 37.
(5) V. CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05 (N° Lexbase : A9284DWR), point 32.
(6) V. CA Besançon, 12 mars 2008, RG n° 06/1348 (N° Lexbase : A6517ETK), publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(7) Qu'elles concernent un procès en cours ou à naître, v. Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05.11-314 (N° Lexbase : A3906D7S).
(8) V. Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 02-16.801 (N° Lexbase : A8322DBT), Gaz. Pal., 30 mai-3 juin 2004, avis Sainte-Rose. En revanche, le client, auteur de la lettre, peut produire cette correspondance, v. Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-17.162 (N° Lexbase : A5920EAI) ; Cass. crim., 26 mars 2008, n° 06-88.674 (N° Lexbase : A0165HZ7) ; Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-20.735 (N° Lexbase : A9671DNI).
(9) V. notamment, J.-M. Varaut et L. Ruet, Secret professionnel et confidentialité dans les professions juridiques et judiciaires, Gaz. Pal., 10-12 août 1997.
(10) V. CA Reims, 10 mars 2008, RG n° 07/629, publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(11) V. CA Nîmes, 26 octobre 2004, publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(12) Une attestation rédigée par un avocat alors qu'il était saisi d'un divorce pour lequel il intervenait pour les deux parties est couverte par le secret professionnel. L'avocat qui lui succède en faveur de l'une des parties ne peut donc pas s'en prévaloir et utiliser cette pièce, v. Réponse de la commission déontologie du 6 avril 2009.
(13) V. Cass. civ. 1, 14 mars 2000, n° 97-17.782 (N° Lexbase : A4155CHD), Bull. civ. I, n° 91.
(14) A. Damien et H. Ader, Règles de la profession d'avocat, Dalloz, n° 35-33, 2008, n° 36-11 ; TGI Paris 6 mai 2008, RG n° 06/01263 (N° Lexbase : A1780EEN), publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(15) V. CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 (N° Lexbase : A8281D9L).
(16) V. CEDH, 30 janvier 2007, n° 34514/02 (N° Lexbase : A3441EUY).
(17) V. CEDH, 1er septembre 2009, n° 45827/07 (N° Lexbase : A3442EUZ).
(18) V. CJCE, 26 mars 1987, aff. C-46/87 (N° Lexbase : A8553AUC), Rec. CJCE, 1987, p. 4797 ; CJCE, 28 octobre 1987, aff. C-85/87 (N° Lexbase : A7816AUZ), Rec. CJCE, 1987, p. 4367 ; CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-97/87 (N° Lexbase : A4525AWI), Rec. CJCE ,1989, p. 3165.
(19) V. CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, préc..
(20) Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 08-21.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3027EQ8).
(21) Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-10.057, FS-P+B (N° Lexbase : A9203A4M) ; Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 02-16.562, FS-P+B (N° Lexbase : A3468DE8) ; Cass. civ. 1, 10 février 2004, n° 02-10.283, F-D (N° Lexbase : A2704DBR).
(22) Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 04-20.396, FS-P+B (N° Lexbase : A7823DWN).
(23) Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, n° 04-18.726, F-P+B (N° Lexbase : A6500DYE).
(24) Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-12.653, FS-P+B (N° Lexbase : A5730DDL).
(25) Cass. civ. 1, 3 janvier 1991, n° 89-12.738 (N° Lexbase : A4402AHI).
(26) V. F. Girard de Barros, L'avocat et la confidentialité des correspondances, préc..
(27) V. également, Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 07-12.062, F-P+B (N° Lexbase : A6110D43).
(28) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 03-17.972, F-D (N° Lexbase : A3607DQN).
(29) V. Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 03-12.709, F-D (N° Lexbase : A0342DEE).
(30) V. CA Paris, Pôle 4, 3ème ch., 13 janvier 2011, n° 09/12879 (N° Lexbase : A7988GQW). Ne sont pas frappés de confidentialité les échanges entre l'avocat de la bailleresse et la société civile professionnelle (société d'avocats) en sa qualité de locataire ; cette dernière n'étant pas représentée par un avocat et échangeant avec l'avocat de la bailleresse uniquement comme partie éventuelle au contrat de location à renouveler.
(31) Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 06-14.303 (N° Lexbase : A5991D4N).
(32) Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 06-16.740 (N° Lexbase : A3925D7I).
(33) Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-11.314 (N° Lexbase : A3906D7S).

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Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Octobre 2011

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public

Le 27 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). La chronique d'actualité des contrats publics en droit interne met l'accent sur deux décisions. La première décision précise les conditions de l'articulation entre le référé précontractuel et le référé contractuel (CE 2° et 7° s-s-r., 30 septembre 2011, n° 350148, publié au recueil Lebon). Le Conseil d'Etat indique que, faute d'avoir été informé par le requérant de l'exercice d'un référé contractuel, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu par l'obligation de suspension de la signature du contrat posée par l'article L. 551-4 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1601IEZ). Le référé contractuel exercé par la suite par le concurrent évincé était donc irrecevable. La seconde décision traite de l'intéressante question du contenu des spécifications techniques dans les marchés publics. S'agissant d'un marché public de services, le juge administratif considère que le pouvoir adjudicateur peut faire mention d'un logiciel informatique déterminé, dès lors qu'il est libre et qu'il peut donc être utilisé, voire même modifié, par plusieurs opérateurs économiques (CE 2° et 7° s-s-r.., 30 septembre 2011, n° 350431, publié au recueil Lebon).
  • Irrecevabilité du référé contractuel faisant suite à un référé précontractuel non notifié au pouvoir adjudicateur par le requérant (CE 2° et 7° s-s-r., 30 septembre 2011, n° 350148, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1556HYB)

L'articulation entre le référé contractuel de l'article L. 551-14 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1603IE4) et le référé précontractuel de l'article L. 551-1 du même code (N° Lexbase : L1591IEN), institué par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), pose de nombreuses questions qui n'ont pas manqué d'alimenter le contentieux administratif et la une des revues juridiques au cours des deux dernières années (1).

Comme chacun sait, la succession des deux référés est par principe interdite (CJA, art. L. 551-14). Mais ce principe comporte trois exceptions, deux posées par le Code de justice administrative et une troisième, ajoutée par la jurisprudence administrative. Un référé contractuel est, tout d'abord, possible lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension automatique de la signature du contrat qui commence à courir à compter de la saisine du juge des référés précontractuels et qui prévaut jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle au pouvoir adjudicateur. De la même façon et fort logiquement, le référé contractuel est recevable lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté l'ordonnance rendue par le juge des référés précontractuels. A ces deux exceptions textuelles, il faut ajouter une dérogation d'origine jurisprudentielle consacrée par l'arrêt "France Agrimer" (2). Selon cette décision, le concurrent évincé peut parfaitement exercer un référé contractuel, après avoir introduit un référé précontractuel, dès lors "qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0165IRKqui prévoit l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours, réduit à onze jours dans le cas d'une transmission électronique, entre cette notification et la conclusion du marché".

Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, l'absence de notification de la part du pouvoir adjudicateur autorise donc le concurrent évincé à exercer un référé contractuel. Cette jurisprudence "France Agrimer" a été prolongée par un arrêt du 24 juin 2011 (3) qui a précisé que le concurrent évincé qui avait été informé dans les délais du rejet de son offre et qui avait donc pu exercer un référé précontractuel était, toutefois, recevable à prolonger ce dernier par un référé contractuel lorsque le pouvoir adjudicateur ne l'a pas informé précisément du délai à partir duquel le contrat pourrait être signé. Il incombe, désormais, au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats non retenus du délai de suspension qu'il entend s'imposer entre la date d'envoi de la notification du rejet de l'offre et la conclusion du marché. Précisant encore la jurisprudence "France Agrimer", un arrêt du 2 août 2011 (4) a ajouté que la computation du délai de standstill s'opérait de date à date, ce qui signifie donc concrètement que ce délai commence à courir à compter du jour de l'envoi de la notification du rejet de l'offre présentée par le concurrent évincé.

L'arrêt n° 350148 du 30 septembre 2011 apporte une nouvelle et précieuse indication quant à l'articulation des deux référés précontractuel et contractuel. Dans la présente espèce, une commune avait engagé une procédure adaptée pour la passation d'un marché à bons de commandes portant sur le nettoyage de réseaux de soufflage et de dégraissage de hottes et ventilations de plusieurs bâtiments municipaux. La société X avait remis, le 28 février 2011, une offre dont la commune avait demandé le détail par courriers des 3 et 24 mars 2011, en raison d'un prix très inférieur à l'estimation du marché. Cette offre a ensuite été écartée, malgré les éléments de réponse fournis par la société, au motif qu'elle était anormalement basse. La société a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande en référé précontractuel le 6 mai 2011, oubliant, toutefois, de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. Par un mémoire en défense du 20 mai 2011, la commune a informé le juge des référés que le contrat avait été signé le 10 mai 2011, jour de la communication de la requête de la société à la commune par le greffe du tribunal administratif. Refusant de rendre les armes, la société a alors changé son fusil d'épaule en présentant des conclusions sur le fondement de l'article L. 551-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1581IEB) (c'est-à-dire du référé contractuel) dans son mémoire en réplique. Le juge des référés du tribunal administratif a prononcé le non-lieu sur la demande en référé précontractuel, et a fait droit à son référé contractuel en annulant le contrat.

Saisi en tant que juge de cassation, il appartenait au Conseil d'Etat de régler la question suivante : l'exercice d'un référé contractuel était-il possible lorsque le requérant avait précédemment présenté un référé précontractuel sans le notifier au pouvoir adjudicateur ? Plus précisément, pouvait-on considérer que le pouvoir adjudicateur avait méconnu l'obligation de suspension de la signature du contrat posée par l'article L. 551-4 du Code de justice administrative (suspension qui vaut à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle), alors qu'il n'avait pas été informé par le concurrent évincé qu'il avait saisi le juge des référés d'un référé précontractuel ?

Le Conseil d'Etat répond par la négative. La lettre et l'esprit du Code de justice administrative impliquaient une telle solution. N'oublions pas, en effet, que l'article R. 551-1 de ce code (N° Lexbase : L9813IE8), relatif à la mise en oeuvre du référé précontractuel, dispose que "l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. Cette notification doit être faite en même temps que le dépôt du recours et selon les mêmes modalités. Elle est réputée accomplie à la date de sa réception par le pouvoir adjudicateur". Par ailleurs, cette obligation de notification remplit une fonction bien précise. Elle permet d'informer le pouvoir adjudicateur de ce qu'un référé précontractuel a été exercé et qu'il est donc tenu de respecter la suspension de la signature du contrat jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle (CJA, art. L. 551-4). Dès lors que la commune était dans l'ignorance du référé précontractuel, il ne pouvait pas lui être raisonnablement reproché d'avoir signé le contrat avant l'intervention de la décision du juge du référé précontractuel. La commune n'était donc pas en situation de violation caractérisée et volontaire de l'article L. 551-4 et la société évincée ne pouvait donc pas poursuivre son action sur le terrain du référé contractuel.

  • Les spécifications techniques dans les marchés publics de services : la mention d'un logiciel déterminé est possible (CE 2° et 7° s-s-r.., 30 septembre 2011, n° 350431, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1558HYD)

Selon l'article 6 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2695ICS), "les prestations qui font l'objet d'un marché ou d'un accord-cadre sont définies, dans les documents de la consultation, par des spécifications techniques formulées [...] soit par référence à des normes ou à d'autres documents équivalents accessibles aux candidats, notamment des agréments techniques ou d'autres référentiels techniques élaborés par les organismes de normalisation [...] soit en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles [...]". Cette détermination des spécifications techniques par les pouvoirs adjudicateurs pose, parfois, de redoutables difficultés, car elle peut être à l'origine de pratiques ou d'exigences qui visent à privilégier un candidat, et contribuent donc à violer le principe d'égal accès à la commande publique.

Dans l'arrêt rendu le 30 septembre 2011, une région avait lancé une procédure de passation d'un marché public de services ayant pour objet la mise en oeuvre, l'exploitation, la maintenance et l'hébergement d'une plateforme de service pour la solution open source d'espace numérique de travail (ENT) "Lilie" à destination des lycées de la région. Par courriers des 21 et 23 mars 2011, les sociétés X et Y, qui exercent une activité d'éditeur de logiciel d'espace numérique de travail, ont informé la région de leur intention de demander l'annulation de la procédure si la région ne se conformait pas à ses obligations de mise en concurrence, lesquelles faisaient, selon elles, obstacle à ce que l'appel d'offres lancé par la région imposât aux candidats le seul logiciel "Lilie". Saisi par les deux sociétés, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a annulé l'ensemble de la procédure et a enjoint, à la région Picardie, de la reprendre dans son intégralité, si elle entendait conclure le marché. Pour le juge des référés, la spécification par les documents de la consultation du logiciel "Lilie" avait pour effet d'éliminer le déploiement de toute autre solution logicielle. Ce même juge avait, également, relevé, au soutien de sa décision, que la mention du logiciel "Lilie" conférait un avantage concurrentiel à la société Z en sa qualité de co-concepteur et copropriétaire de ce logiciel.

Le Conseil d'Etat censure la solution retenue par le juge des référés. Si l'article 6-IV du Code des marchés publics dispose que, "les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type", ce n'est qu'à la stricte condition qu'une "telle mention ou référence aient pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits". De plus, même dans cette dernière hypothèse, une telle mention demeure possible si elle "est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes 'ou équivalent'" (5).

S'agissant des marchés publics de services, il importe donc de vérifier si la spécification technique en cause a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle. Appliquant cette grille d'analyse au cas d'espèce, le Conseil d'Etat relève que le logiciel "Lilie" est un logiciel libre, c'est-à-dire qu'il est librement et gratuitement accessible et modifiable par l'ensemble des entreprises spécialisées dans la réalisation d'espaces numériques de travail à destination des établissements d'enseignement qui étaient, ainsi, toutes à même de l'adapter aux besoins de la collectivité et de présenter une offre indiquant les modalités de cette adaptation. La mention du logiciel "Lilie" ne pouvait donc pas être regardée comme ayant pour effet de favoriser la société Z qui avait participé à sa conception et qui en était copropriétaire, de même qu'elle ne pouvait avoir pour effet d'éliminer les autres entreprises qui avaient toute liberté pour adapter le logiciel libre aux besoins de la région.


(1) Par exemple : P. Rees, Premier bilan de la jurisprudence administrative en matière de référé contractuel, Contrats Marchés publ., 2011, chron. 10.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 340944, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8947GGH).
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 24 juin 2011, n° 346665 et n° 346746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3555HU9).
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 2 août 2011, n° 347526, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9297HWA).
(5) Cette dernière exigence nous vient du droit de l'Union européenne : CJCE, 22 septembre 1988, aff. C-45/87 (N° Lexbase : A8454AUN), Rec. CJCE, 1988, I, p. 4929.

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Octobre 2011

Lecture: 12 min

N8356BSB

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

Le 27 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en procédures fiscales réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III. Dans le cadre de cette chronique, notre auteur revient sur trois arrêts rendus par la cour administrative d'appel de Paris. Dans un premier temps, le juge du fond est confronté à une affaire dans laquelle il considère que la photocopie d'une carte grise, et une attestation de vente d'un véhicule, dont la date ne coïncide pas avec la réalisation de la cession, n'ont pas de valeur probante suffisante pour démontrer l'exagération de la taxation d'office. De même, les relevés bancaires et une attestation de remboursement d'avance ne démontrent pas qu'un crédit bancaire provient du remboursement, par un ami, d'un cadeau acheté en commun (CAA Paris, 7ème ch., 29 juillet 2011, n° 09PA02968, inédit au recueil Lebon). Dans un deuxième temps, le juge écarte la qualification d'abus de droit fiscal à l'opération consistant en l'acquisition de titres placés sous le régime des sociétés mères, suivie de la vente des titres de la mère à une société qui, ensuite, l'absorbe. En effet, cette opération n'a pas un but exclusivement fiscal, et est motivée par un objectif économique (CAA Paris, 7ème ch., 29 juillet 2011, n° 09PA01219, n° 09PA01220 et n° 09PA06362, inédits au recueil Lebon). Dans un troisième temps, un autre montage échappe à la qualification d'abus de droit, car sa réalisation est inspirée par un objectif de simplification des structures et l'utilisation d'une trésorerie. Cet arrêt est l'occasion, pour le juge, de rappeler que l'avoir fiscal n'est pas subordonné à une condition de durée de détention (CAA Paris, 7ème ch., 29 juillet 2011, n° 09PA06363, inédit au recueil Lebon).
  • La preuve de l'origine des sommes créditées à un compte courant doit être apportée par le contribuable : exemples de pièces probantes (CAA Paris, 7ème ch., 29 juillet 2011, n° 09PA02968, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7906HX4)

Une consultante dans l'organisation de salons a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle (ESFP). A l'issue de cette procédure, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités, ont été mises à sa charge.

Les comptes bancaires de l'intéressée ont fait l'objet d'interrogations, sur le fondement de l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), qui précise que "l'administration peut demander au contribuable des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés". L'administration ne peut pas interroger le contribuable, sur le fondement de l'article L. 16 précité, tant que le vérificateur n'a pas restitué au contribuable les relevés bancaires que celui-ci lui a confiés (CE 8° et 7° s-s-r., 9 janvier 1991, n° 65364 et n° 65365, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9183AQ8, Les petites affiches, 1991, 52, p. 4, concl. Arrighi de Casanova). Les moyens relatifs à la régularité de la demande de justifications se rattachent à la procédure d'imposition (CE 9° s-s., 28 novembre 1984, n° 35759, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7824ALD, RJF, 1985, 1, comm. 111).

En l'espèce, l'examen des crédits bancaires pour lesquels l'administration interroge le contribuable sur le point de savoir quelles sont l'origine et la nature des sommes qui y sont inscrites révèle deux réponses du contribuable qui n'ont pas emporté l'adhésion de l'administration. A suivre la jurisprudence, est considérée comme insuffisante une réponse très incomplète ou évasive, qui ne comporte que des explications de caractère imprécis et invérifiables (CE 5° s-s., 27 janvier 1988, n° 42211, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3398ALG, Droit fiscal, 1988, comm. 1358, concl. Fouquet ; CE 9° et 8° s-s-r., 23 novembre 1998, n° 159470, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9023ASY, RJF, 1999, 1, comm. 4). Cette jurisprudence trouve à s'appliquer lors de la liquidation de bons de caisse anonymes (CE 7° et 8° s-s-r., 2 mars 1983, n° 30372, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8993ALN, RJF, 1983, 5, comm. 593), ou encore lors de la réalisation d'objets mobiliers sans autres justifications (CE ass. plén., 29 décembre 1978, n° 6487, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0224B98, Droit fiscal, 1979, comm. 745).

D'une part, la contribuable explique l'un des crédits comme étant le produit de la vente d'un véhicule, justifié par la photocopie de la carte grise portant la mention manuscrite "vendu le 6 septembre 1999". Il est troublant de constater que la somme litigieuse a été créditée le 21 juillet 1999 alors que la vente serait intervenue le 6 septembre de la même année. Bien que la contribuable ait produit une attestation de vente du véhicule en date du 6 septembre, à un résident suisse, il est surprenant qu'elle n'ait pas été en mesure de produire la copie de la déclaration de cession du véhicule à la préfecture.

D'autre part, la contribuable justifie un autre crédit bancaire par le remboursement fait par un ami d'un cadeau acheté en commun. Elle joint une attestation de la personne qui lui a remboursé ce qui peut, peut-être, être considérée comme une avance. La mention du tireur figure sur le relevé de compte produit. L'argument était d'autant moins dénué d'intérêt que le Conseil d'Etat a jugé acceptables les explications d'un contribuable qui fait valoir que des crédits bancaires peuvent être justifiés lorsque le contribuable fournit des explications d'ordre familial vérifiables ou vraisemblables (CE 9° et 8° s-s-r., 18 mars 1987, n° 54268, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2738AP4, RJF, 1987, 5, comm. 473). Les juges du Palais-Royal se sont parfois montrés magnanimes en acceptant qu'un contribuable justifie des crédits bancaires par des remboursements d'avances consenties en espèces, dès lors que le contribuable apporte divers témoignages (CE 27 juin 1980, n° 18913, Droit fiscal, 1980, comm. 2623).

Dans les deux cas, l'administration a taxé d'office, conformément aux dispositions de l'article L. 69 du LPF (N° Lexbase : L8559AEQ), les sommes en tant que revenus d'origine indéterminée. Un contribuable peut, à bon droit, être taxé d'office à raison des sommes pour lesquelles aucune indication suffisante est donnée, quand bien même il justifie en valeur plus de 95 % des crédits bancaires (CE 7° et 9° s-s-r., 15 avril 1992, n° 78300, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6300ARR, RJF, 1992, 6, comm. 771).

En conséquence, le contribuable qui a fait l'objet d'une imposition d'office ne peut en obtenir la décharge, ou la réduction, qu'en apportant la preuve du caractère exagéré de l'évaluation de ses revenus (LPF, art. L. 193 N° Lexbase : L8356AE9). L'administration précise dans sa doctrine, en ce qui la concerne, que "le droit accordé à l'administration de fixer unilatéralement les bases d'imposition ne confère pas à celle-ci un pouvoir discrétionnaire" (DB 13 O-1212). Elle doit, avant tout, établir qu'elle était en droit de mettre en oeuvre la procédure de demande de justifications.

Il n'est pas inutile de rappeler qu'un contribuable n'apporte pas la preuve d'un emprunt qu'il a contracté s'il ne produit pas les contrats de prêts (CE 3° s-s., 13 juin 1979, n° 13358, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2672AK8, Droit fiscal, 1980, comm. 910, concl. Fabre).

La cour administrative d'appel a suivi l'administration et rejeté la requête du contribuable.

  • L'acquisition de titres placés sous le régime des sociétés mères suivie de la vente des titres de la mère à une société qui, ensuite, l'absorbe, n'est pas constitutive d'abus de droit si l'opération n'a pas un but exclusivement fiscal (CAA Paris, 7ème ch., 29 juillet 2011, n° 09PA01219 N° Lexbase : A7224HXT, n° 09PA01220 N° Lexbase : A7225HXU et n° 09PA06362 N° Lexbase : A7230HX3, inédits au recueil Lebon)

Dans cette affaire, une société a vendu la totalité de ses titres, après la liquidation de ses actifs, à une autre société. Puis, elle a été absorbée par cette dernière. Mais, avant cette fusion, la première société avait acquis des titres de trois sociétés civiles immobilières (SCI) qui lui ont versé des dividendes. Ceux-ci ont bénéficié du régime des sociétés mères. Par ailleurs, la société a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux, ce qui lui a permis finalement de dégager un déficit.

L'administration a considéré que ce montage constituait un abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU).

Dans la grande variété des situations constitutives d'abus de droit dans un but exclusivement fiscal, retenons qu'un acte de rachat de titres par une société dont le but est exclusivement d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale est sanctionable (CE 7° s-s., 30 juin 1982, n° 16391, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8501AK3, Droit fiscal, 1983, comm. 355, concl. Schricke). Il en va de même d'un acte de constitution de SCI destiné à permettre aux associés l'occupation d'un immeuble à titre de résidence secondaire (CE 9° s-s., 3 octobre 1984, n° 38987, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6647ALR, RJF, 1984, 6, comm. 751).

Le Conseil d'Etat a déjà jugé qu'un montage juridique qui n'a pas d'autre but que celui d'éluder l'impôt dû par une société anonyme sur la plus-value réalisée lors de la cession de terrains à des SCI est constitutif d'abus de droit fiscal (CE 7° et 8° s-s-r., 2 juillet 1986, n° 38610, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3899AMD, Droit fiscal, 1986, comm.2266, concl. Fouquet).

La cour constate, en l'espèce, que la société et les SCI existaient avant l'opération de distribution des dividendes et la constitution de la provision, sans que le bénéfice de l'avantage fiscal ait été permis par l'interposition d'une société spécialement créée à cet effet. Il a été soutenu, sans être démenti, que l'achat des titres des trois SCI répondait à une motivation économique, l'amélioration de la trésorerie de la société.

Il a été jugé que l'apport des titres d'une société anonyme à une société civile, suivi de leur échange et de leur cession par la société civile n'ont pas eu un but exclusivement fiscal, dès lors que le contribuable démontre la réalité de l'activité de la société civile, laquelle, au moyen de l'apport de l'intéressé, a réalisé des investissements professionnels et patrimoniaux (TA Versailles, 13 décembre 2005, n° 0404909, RJF, 2006, 6, comm. 750).

En conséquence, l'administration n'apporte pas la preuve selon laquelle la société aurait procédé à un montage purement artificiel.

De plus, le juge considère qu'au vu des circonstances dans lesquelles elle a été réalisée, l'exonération des dividendes ne viole pas l'article 216 du CGI (N° Lexbase : L0666IPD). D'un point de vue formel, l'exercice de l'option pour le régime des sociétés mères s'effectue par indication portée sur l'un des imprimés joints à la déclaration de résultats. Ne peuvent être regardée comme ayant opté une société qui n'a pas intégré dans le résultat porté sur sa déclaration sa quote-part du boni de liquidation réputé distribué à raison de participations détenues dans une société ayant cessé d'être soumise à l'impôt sur les sociétés, ni ne l'a mentionné dans les déductions au titre du régime des sociétés mères et filiales (CE 9 janvier 2008, n° 302092, RJF, 2008, 4, comm. 412).

Dans cette affaire, les SCI ont été imposées à raison des bénéfices qui ont donné lieu à la distribution des dividendes versés à la société. Enfin, l'absence d'option pour le régime des sociétés mères aurait conduit à une seconde imposition des sommes distribuées à cette dernière société. Il est à noter que l'administration n'a pas remis en cause l'inscription des titres acquis à un compte de valeurs mobilières de placement, ni la constitution de provision.

Dans l'affaire qui nous occupe, la cour administrative d'appel de Paris conclut que l'acquisition de titres par une société qui vend ensuite ses propres titres à une autre société qui l'absorbe n'est pas constitutif d'un abus de droit, dès lors que cette opération, placée sous le régime des sociétés mères (CGI, art. 145 N° Lexbase : L3391IGP), était motivée par un objectif économique. La position du Conseil d'Etat est d'affirmer qu'est constitutive d'abus de droit l'action qui est inspirée exclusivement par le motif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales, ce qui n'est pas le cas d'un acte de rachat de titres par une société (CE 7° s-s., 30 juin 1982, n° 16391, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8501AK3, Droit fiscal, 1983, comm. 355, concl. Schricke). Le champ d'application du régime fiscal des sociétés mères vise les sociétés qui, ont leur siège soit en France, soit dans un autre Etat, et qui ont en France un établissement au titre duquel elles sont soumises à l'impôt sur les sociétés (CE 10° et 9° s-s-r., 15 décembre 2004, n° 235069, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4486DEU, RJF, 2005, 3, comm. 233, concl. Donnat).

En l'espèce, l'abus de droit n'est pas démontré.

  • Abus de droit fiscal : la simplification des structures et l'utilisation d'une trésorerie sont des objectifs économiques excluant la qualification d'abus de droit ; l'avoir fiscal n'est pas subordonné à une condition de durée de détention (CAA Paris, 7ème ch., 29 juillet 2011, n° 09PA06363, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7231HX4)

Une société qui exerçait une activité de marchands de biens se trouve être déficitaire. Ceci ne l'empêche pas, dans le cadre d'une opération de fusion, d'imputer ses déficits sur les résultats bénéficiaires d'une société absorbée.

L'administration conteste l'opération sur le fondement de l'article L. 64 du LPF. Elle soutient que la société avait changé d'activité et ne pouvait pas imputer des déficits antérieurs.

Il est de jurisprudence constante qu'il est indispensable que le changement d'activité soit réel, entraînant les conséquences d'une cession d'entreprise et l'impossibilité d'utiliser les déficits. En réalité, l'entreprise change de "métier". Une entreprise qui avait une activité de fabrication de tables et qui passe à une activité de commercialisation de vélos est une entreprise qui a changé d'activité.

Dans le principe, l'absorption de la société bénéficiaire par le société déficitaire ne constitue pas un abus de droit (CE 7° et 9° s-s-r., 21 mars 1986, n° 53002, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3855AMQ, RJF, 1986, 5, comm. 470). Par exemple, l'administration ne peut soutenir que le chiffre d'affaires de la société absorbante est deux fois inférieur à celui de la société absorbée, dès lors qu'il ressort des écritures comptables de la première société que celle-ci a connu une augmentation très importante de son chiffre d'affaires par l'apport, concomitant au traité de fusion de nouvelles enseignes et qu'elle dépasse par son chiffre d'affaires, mais aussi en personnel, la société absorbée (CAA Paris, 5ème ch., 18 juin 2007, n° 06PA001941, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2232DXX, RJF, 2007, 12, comm. 1390, note Fouquet).

L'absorption d'une société par une autre ayant le même objet et la même activité, mais dont le chiffre d'affaires est très inférieur, n'entraîne pas la création d'un être moral nouveau, même si la dénomination de la société absorbante, ainsi que la répartition de son capital, ont été modifiées lors de la fusion, à condition que l'objet social et la nature de l'activité exercée soient restés les mêmes. Dans cette hypothèse, l'administration n'établit pas l'abus de droit car l'opération n'a pas eu un caractère fictif et répond à un intérêt économique, chose que ne conteste pas l'administration (CE 7° et 9° s-s-r., 21 mars 1986, n° 53002, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3855AMQ, RJF, 1986, 3, comm. 267, concl. Fouquet).

En outre, elle qualifie de fraude à la loi l'utilisation des avoirs fiscaux obtenus par la société à raison des dividendes versés par deux sociétés dont elle a acquis une partie des actions. Dans une affaire sortant du champ d'application de la procédure de répression des abus de droit, le juge peut appliquer la théorie de la fraude à la loi (CE Section, 27 septembre 2006, n° 260050, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3224DRT, Droit fiscal, 2006, 47, comm. 744, concl. Olléon).

A la suite de la cession de ces titres, l'administration a constaté que les dividendes perçus n'avaient supporté aucune imposition car leur montant avait été très précisément neutralisé par la moins-value.

A suivre la cour, concernant les déficits, le fait que la société requérante ait apporté un immeuble à une société, et ait obtenu des actions en contrepartie, dont la dépréciation a entraîné la constitution d'une provision qui est à l'origine d'une partie importante des déficits, n'est pas de nature à prouver que cette société a cessé son activité de marchand de biens, d'autant qu'elle n'a pas modifié son objet social.

L'objectif de la fusion était de permettre une simplification des structures et de la gestion comptable et financière des deux sociétés.

Enfin, concernant l'avoir fiscal, aujourd'hui disparu (CGI, art. 158 bis, plus en vigueur N° Lexbase : L2613HLD), le juge rappelle que la volonté du législateur était de favoriser l'actionnariat des entreprises et d'éliminer la double imposition qui frappait les dividendes. Le droit à l'avoir fiscal n'était nullement subordonné à une durée minimum de détention des titres, avant ou après la mise en paiement des dividendes auxquels il est attaché. S'agissant des personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, l'avoir fiscal est un moyen de paiement de l'impôt.

Il avait été jugé que l'administration ne peut remettre en cause l'utilisation abusive par une société de l'avoir fiscal sur le fondement de l'abus de droit, mais elle pouvait se placer sur le terrain plus général de la fraude à la loi (CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8913EKC).

Tout ceci conduit à considérer que l'administration ne rapporte pas la preuve que l'opération ait eu un but exclusivement fiscal.

En conséquence, la cour administrative d'appel donne raison à la société qui ne s'est pas rendue coupable d'abus de droit fiscal par l'opération menée, celle-ci lui permettant d'imputer ses déficits sur les résultats bénéficiaires de la société absorbée. La simplification des structures et l'utilisation d'une trésorerie sont des objectifs économiques excluant la qualification d'abus de droit, et l'avoir fiscal, quand il existait, n'était pas subordonné à une condition de durée de détention.

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Propriété intellectuelle

[Chronique] Chronique de droit de la propriété intellectuelle - Octobre 2011

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N8450BSR

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par Célia Zolynski, Professeur à l'Université de Rennes 1 et Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté

Le 03 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Célia Zolynski, Professeur à l'Université de Rennes 1 et Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté. Au sommaire de cette chronique, on retrouvera, tout d'abord, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 22 septembre 2011 dans lequel les juges européens apportent une nouvelle pierre dans le jardin du droit des marques et de son articulation avec les nouvelles technologies en confirmant la nécessité d'encadrer la faculté d'interdiction de l'usage d'une marque à titre publicitaire par un tiers concurrent dans le strict respect des diverses fonctions de la marque. Par ailleurs, le Professeur Martial-Braz a choisi de revenir également sur un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 20 septembre 2011 qui énonce que "le droit à rémunération supplémentaire, pour un salarié investi d'une mission inventive, prenant naissance à la date de réalisation de l'invention brevetable et non à celle du dépôt ou de la délivrance d'un brevet, c'est la loi en vigueur à la première de ces dates qui doit seule s'appliquer pour déterminer la mise en oeuvre de ce droit". Enfin, le Professeur Zolinsky apporte ses lumières sur l'important et étonnant arrêt de la CJUE du 4 octobre 2011 concernant la conformité des contrats de cession de droits pour la retransmission des matchs de football aux principes de libre prestation de services et de libre concurrence.
  • Utilisation de la marque d'un concurrent au titre de mots-clefs dans le cadre d'un service de référencement par internet : à vouloir faire parler les fleurs au pays de la Rose, le risque est de s'y piquer ! (CJUE, 22 septembre 2011, aff. C-323/09 N° Lexbase : A9468HXX)

C'est certainement la leçon très imagée que pourrait inspirer la fable qui s'est jouée devant la CJUE le 22 septembre 2011 (1).

La Cour de justice vient en effet d'apporter une nouvelle pierre dans le jardin du droit des marques et de son articulation avec les nouvelles technologies en confirmant la nécessité d'encadrer la faculté d'interdiction de l'usage d'une marque à titre publicitaire par un tiers concurrent dans le strict respect des diverses fonctions de la marque. En l'espèce, le litige opposait la société titulaire de la marque "Interflora" et la société Marks & Spencers. La première reprochait à la seconde d'avoir utilisé les termes "Interflora" ainsi que des variantes de ce terme comme mots-clefs dans le cadre du service de référencement par "Ad Words" mis en place par le moteur de recherche Google permettant d'apparaître dans la rubrique des "liens commerciaux". Or Marks & Spencers offre, à travers tant son important réseau de magasins que son site internet, un service de livraison de fleurs, concurrent de celui proposé par le titulaire de la marque Interflora protégée au titre de marque nationale au Royaume-Uni et au titre de marque communautaire. Ce dernier après avoir fait constater l'usage du signe constitutif de la marque dont il est titulaire a agi contre la société Marks & Spencer pour violation de ses droits de marques devant la High Court of Justice. Afin de déterminer si un tel usage était possible et corrélativement si le titulaire de la marque était habilité pour prohiber une telle utilisation, la High Court of Justice devait se fonder tant sur le droit national des marques harmonisé par la Directive 89/104 du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (N° Lexbase : L9827AUI), que sur le droit des marques communautaires issu du Règlement n° 40/94 du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (N° Lexbase : L5799AUC). Celle-ci a cependant décidé de surseoir à statuer afin d'obtenir des réponses à plusieurs questions préjudicielles. En effet les articles 5 de la Directive 89/104 et 9 du Règlement n° 40/94 soulignent en termes très généraux que le titulaire de la marque est habilité "à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires [...] d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels" ladite marque est enregistrée. Il est ensuite prévu en des termes plus précis les usages qui sont notamment susceptibles d'être interdit par le titulaire de la marque au titre desquels figure le fait "d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité". Toutefois, dans cette description, n'apparaît pas la pratique de référencement par mots-clefs rendue pourtant très courante en raison du développement de l'internet.

La Cour de justice, alors saisie pour interpréter ces textes, avait donc en substance à se prononcer sur la faculté du titulaire de la marque d'en interdire l'usage par les tiers, et plus spécialement par les concurrents, afin de faire la promotion de produits ou services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée.

Ce faisant, la Cour de justice devait également s'interroger sur les conséquences de cette pratique de référencement par l'usage de la marque du concurrent à l'égard du public consommateur. La solution rendue sous l'empire de textes désormais abrogés est toutefois parfaitement transposable dans le cadre de la Directive 2008/95 (N° Lexbase : L7556IBH) et du Règlement n° 207/2009 (N° Lexbase : L0531IDZ).

Joignant ces deux questions, la Cour de justice décide que le titulaire d'une marque n'est habilité à en interdire l'usage publicitaire aux tiers qu'à la condition que cette utilisation porte atteinte à l'une des fonctions de la marque.

La Cour de justice rappelle, en premier lieu, que le fait d'utiliser un signe au titre de mots-clefs dans le cadre d'un service de référencement afin de déclencher l'affichage de son annonce sur internet constitue bien un usage dans la vie des affaires au sens des textes précités (2). Elle souligne, en outre, qu'il s'agit d'un usage pour des produit ou des services de l'annonceur, que les mots-clefs retenus soient apparents ou invisibles dans l'annonce même (3). La Cour de justice ne déduit toutefois pas de tels constat que le titulaire puisse, sans condition, interdire aux tiers l'usage en qualité de mots-clefs dans le cadre d'un service de référencement des signes protégés par la marque.

Le principe posé est donc bien celui de la libre utilisation des signes protégés. Liberté sous conditions toutefois dès lors que le titulaire peut interdire l'usage de sa marque si un tel usage porte atteinte aux fonctions de la marque.

Si la fonction d'indication d'origine constitue l'une des fonctions de la marque, la plus essentielle sans aucun doute, elle n'est cependant pas exclusive. Et les juges n'ont pas entendu restreindre à la protection de cette seule fonction la faculté d'interdire l'usage de la marque en qualité de mot-clef dans le cadre d'un service de référencement par internet.

La Cour décide ainsi que "le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un concurrent de faire, à partir d'un mot-clef identique à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pur des produits ou services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistré, lorsque cet usage est susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque" et notamment la fonction d'indication d'origine, de publicité ou encore d'investissement. Ce faisant, la Cour précise les éléments d'interprétation qu'il convient d'adopter pour déterminer ces trois fonctions de la marque.

La fonction d'indication d'origine, tout d'abord, sera atteinte chaque fois que l'annonce d'un tiers qui apparaît par l'usage du signe protégé à titre de marque suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque. Il en ira également ainsi en l'absence de toute suggestion d'un quelconque lien économique, lorsque l'annonce reste vague sur l'origine des produits et services en cause au point qu'un "internaute normalement informé et raisonnablement attentif" puisse ne pas connaître les liens économique existant entre l'annonceur et le titulaire de la marque (4). Il y a donc une atteinte à la fonction d'indication d'origine chaque fois que les réponses obtenues par l'emploi par un internaute du signe protégé risque de lui faire croire erronément à l'existence d'un lien économique entre l'annonceur et le titulaire de la marque.

La fonction de publicité, en revanche, n'est nullement atteinte par l'utilisation d'un signe identique à la marque dans le cadre d'un service de référencement (5). En effet, cette utilisation contraint seulement le titulaire à intensifier ses efforts publicitaires. Elle ne le prive pas de la possibilité d'utiliser efficacement sa marque pour informer et convaincre les consommateurs, ce qui constitue la fonction de publicité de la marque.

Enfin, la fonction d'investissement a pour but de permettre au titulaire de la marque d'acquérir ou de conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs. Elle se distingue toutefois de la seule fonction de publicité dès lors que cet objectif peut être également obtenu par des moyens étrangers à la publicité, à l'instar de techniques commerciales. Une telle fonction de la marque sera atteinte lorsque l'usage par un tiers de la marque de son concurrent dans le cadre d'un service de référencement par internet gêne de manière substantielle l'emploi par ledit titulaire de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs (6).

La décision ainsi rendue confirme la solution retenue dans l'affaire "Google" très commentée (7) et permet de déterminer avec davantage de précision le cadre juridique de l'utilisation des marques par internet. Ce faisant, l'arrêt rendu souligne l'aspect créateur de la jurisprudence de la Cour de justice qui à force de réitération affine les différentes fonctions de la marque qu'elle a elle-même pris le soin de consacrer. La reconnaissance de nouvelles fonctions assure une plus large portée à la marque. Toutefois, une telle pratique pourrait se révéler pernicieuse si ces fonctions conduisaient à l'avenir à exclure la faculté d'interdire l'usage du signe par le titulaire de la marque enregistrée.

Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté


  • Rémunération supplémentaire des salariés au titre des inventions de mission et application de la loi dans le temps : mieux vaut tard que jamais... sauf pour le salarié inventeur qui ne s'est vu reconnaître que tardivement le droit à une rémunération supplémentaire ! (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-20.997, FS-P+B N° Lexbase : A9526HX4)

En effet, seules les inventions réalisées après la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 novembre 1990 (loi n° 90-1052 N° Lexbase : L9557A9T) sont susceptibles de donner lieu à la rémunération supplémentaire prévue par ce texte au titre des inventions de mission .

En l'espèce, le salarié d'un laboratoire pharmaceutique avait réalisé plusieurs inventions avant l'entrée en vigueur de la loi rendant obligatoire la reconnaissance d'une rémunération supplémentaire au titre des inventions de mission dans les conventions collectives ; toutefois la délivrance des brevets avait eu lieu après l'entrée en vigueur dudit texte. Ce dernier réclamait donc un complément de rémunération pour ces inventions. Les juges du fond lui ont accordé une telle rémunération au motif que la loi était applicable aux brevets délivrés après l'entrée en vigueur de la loi y compris pour des inventions réalisées avant le 26 novembre 1990.

La Cour de cassation était donc saisie de la détermination du critère d'application de la loi dans le temps. Le droit à rémunération supplémentaire peut-il être admis pour des inventions réalisées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi mais dont le brevet a été délivré postérieurement ?

De manière fort classique la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 septembre 2011 (8), décide de censurer les juges du fond en visant l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3556AD3), dans sa rédaction issue tant de la loi du 2 janvier 1968 antérieurement applicable et de la loi du 26 novembre 1990, au motif que "le droit à rémunération supplémentaire, pour un salarié investi d'une mission inventive, prenant naissance à la date de réalisation de l'invention brevetable et non à celle du dépôt ou de la délivrance d'un brevet, c'est la loi en vigueur à la première de ces dates qui doit seule s'appliquer pour déterminer la mise en oeuvre de ce droit". Or sous l'empire du texte ancien, il était prévu dans la convention collective que seules les inventions revêtant un intérêt exceptionnel étaient susceptibles d'être récompensées par une rémunération supplémentaire, et qu'il appartiendra aux juges de déterminer si les inventions revêtaient bien en l'espèce une telle qualité.

La loi du 2 janvier 1968 ne prévoyait que la possibilité pour les conventions collectives de reconnaître une rémunération supplémentaire pour les inventions de service. Cette rémunération pouvait donc être soumise à condition, à l'instar de ce qui était prévu dans la convention collective de l'industrie pharmaceutique où la rémunération était conditionnée par l'intérêt exceptionnel pour l'entreprise que devait revêtir le brevet. La loi du 13 juillet 1978, en transformant notamment l'invention de service en invention de mission, n'avait cependant pas modifié les modalités de reconnaissance de cette prime à la recherche. Ce n'est en effet que la loi du 26 novembre 1990 qui modifiera la lettre du texte devenu l'article L. 611-7 en substituant aux termes "le salarié [...] peut bénéficier", ceux, beaucoup plus contraignants, de "le salarié [...] bénéficie". Le principe de non-rétroactivité de la loi, prévu à l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4), implique de déterminer le critère qui permet l'application de la loi nouvelle, critère constitué par l'existence des droits. Or sur ce point, la Cour de cassation n'innove nullement et respecte la logique du droit des brevets. La question s'était en effet posée pour l'application de la loi du 13 juillet 1978 et la Cour de cassation avait décidé que "l'existence même des droits qui [...] découlent des inventions de salariés ayant donné lieu au dépôt d'une demande de brevet" (9). La solution rendue par la Cour de cassation le 20 septembre 2011 s'inscrit donc naturellement dans cette perspective.

Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté


  • Exclusivité 0, Harmonisation 1 ! Une étonnante victoire (CJUE, 4 octobre 2011, aff. C-403/08 N° Lexbase : A1573HYW)

La Cour de justice vient de rendre un arrêt étonnant concernant la conformité des contrats de cession de droits pour la retransmission des matchs de football aux principes de libre prestation de services et de libre concurrence. Saisie par la Hight court of Justice, la Cour devait se prononcer sur la licéité de la pratique consistant pour la tenancière d'un pub au Royaume-Uni à diffuser les rencontres de la ligue 1 anglaise par l'intermédiaire du décodeur d'un diffuseur grec, à moindre coût, en violation de la répartition territoriale des droits de retransmission réalisée par la Federation Association Premier League, et ce au moyen d'une fausse adresse et d'une fausse identité. La solution était très attendue. L'arrêt du 4 octobre 2011 est assez surprenant. Donnant raison à la tenancière du pub, cette décision fait trembler les professionnels du secteur qui s'interrogent sur sa portée. L'arrêt "Premier League" appelle en effet de nombreuses remarques qui ne porteront ici que sur ses conséquences dans le domaine des droits d'auteur et droits voisins. Il convient à ce titre de revenir successivement sur les apports de cette décision concernant la licéité de l'exclusivité territoriale (I) puis de comprendre de quelle manière la Cour de justice participe à l'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins (II).

I - Une remise en cause de l'exclusivité territoriale

La Cour de justice remet en cause l'exclusivité territoriale mise en oeuvre par la fédération : elle critique à la fois sa non-conformité au principe de libre prestation de services et sa non-conformité avec les règles imposant une libre concurrence. Il est dès lors nécessaire d'analyser le raisonnement des juges pour comprendre ensuite la portée de l'arrêt.

La Cour de justice a examiné l'exclusivité de retransmission à l'aune des principes organisant le marché intérieur pour conclure à la non-conformité de la pratique litigieuse. Concernant tout d'abord le principe de libre prestation de services (10), la Cour de justice va retenir que la législation nationale qui prohibe l'importation, la vente et l'utilisation des cartes pour décodeurs permettant d'accéder à un service crypté diffusé depuis un autre Etat membre par satellite n'est pas conforme à l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2705IPU). Sa démarche, classique, conduit à procéder en deux temps pour, d'abord, vérifier l'existence d'une restriction à la libre prestation de services et, ensuite, analyser si celle-ci est justifiée. Ainsi, l'arrêt commence par relever que la législation nationale protégeant les limitations territoriales qui restreignent l'usage des cartes de décodeur à certaines zones territoriales limite l'accès à ces services et, partant, restreint la libre prestation de services. La restriction étant caractérisée, la Cour de justice analyse ensuite son éventuelle justification. Parmi les justifications avancées, la principale consistait en la protection des droits de propriété intellectuelle assurée par la répartition territoriale des autorisations de diffusion. A cette occasion, la Cour de justice rappelle que la protection de la propriété intellectuelle constitue de longue date une raison impérieuse d'intérêt général permettant de justifier une atteinte portée à la libre prestation de service (v. déjà en ce sens CJCE, 18 mars 1980, aff. C-62/79 N° Lexbase : A5882AUE et CJCE, 20 janvier 1981, aff. C-55/80 et C-57/80 N° Lexbase : A6056AUT). Soulignant à cette occasion la difficulté portant sur le point de savoir si les rencontres sportives peuvent être protégées par un droit de propriété intellectuelle (11), la Cour de justice va écarter cette justification pour défaut de proportionnalité. Elle retient, en effet, que la protection ainsi organisée par la législation va au-delà de ce qui est nécessaire pour parvenir à l'objectif poursuivi. Cela rappelle combien la Cour, généreuse lorsqu'il s'agit d'étendre les justifications aux restrictions à la libre prestation de services en découvrant de nouvelles raisons impérieuses d'intérêt général, se montre rigoureuse dans son contrôle de proportionnalité (jusqu'à donner l'impression de reprendre d'une main ce qu'elle avait donné de l'autre !). En ce qui concerne plus particulièrement les droits de propriété intellectuelle, la Cour confirme sa jurisprudence passée retenant que la restriction est justifiée dès lors qu'elle permet de sauvegarder les droits qui constituent l'"objet spécifique" du droit d'auteur, lequel autorise les titulaires de droits à exploiter les objets protégés en accordant des licences en contrepartie desquelles ils perçoivent une rémunération (CJCE, 18 mars 1980, aff. C-62/79, préc. et CJCE, 20 octobre 1993, aff. C-92/2 et 326/92 N° Lexbase : A3435DAH). Elle confirme bien que "les règles du Traité ne sauraient, en principe, faire obstacle aux limites géographiques dont les parties au contrat de cession de droits de propriété intellectuelle sont convenues pour protéger l'auteur et ses ayants droit" (12). La Cour apporte, en revanche, d'intéressantes précisions concernant le montant de cette rémunération : selon elle, il ne s'agit en aucun cas d'assurer la "rémunération la plus élevée possible", mais plutôt de garantir "une rémunération appropriée pour chaque utilisation d'objets protégés", laquelle suppose d'être "raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie" (13) ; elle précise que, pour cela, il convient de prendre en compte des paramètres tels que l'audience réelle et potentielle ainsi que les barrières linguistiques. La Cour en déduit qu'en matière de diffusion satellitaire, l'exclusivité territoriale consentie conduit à des différences de prix qu'elle qualifie d'"artificielles" entre les marchés nationaux, emportant leur cloisonnement. On notera d'ailleurs ici que, si la tenancière du pub à Portsmouth diffusait les rencontres via un décodeur grec, c'est parce que son abonnement était presque divisé par dix par rapport au prix de l'abonnement pratiqué par le diffuseur anglais. La Cour de justice ne paraît pas être restée insensible à cet argument d'ordre pécuniaire. Cela ne saurait étonner dans la mesure où, déjà dans son arrêt "Coditel II", la Cour invitait la juridiction nationale à vérifier si les redevances dues au titre du droit exclusif de représentation d'un film ne dépassaient pas "une juste rémunération des investissements" (14). La Cour de justice paraît bien s'inscrire ici dans une logique concurrentielle qui la conduit à contrôler le caractère excessif des prix (15), ce que confirme son analyse de l'exclusivité au regard de l'article 101 TFUE (N° Lexbase : L2398IPI).

Concernant ensuite la libre concurrence, la Cour de justice admet que les clauses de licence exclusive figurant dans les contrats de cession de droits de retransmission pour les matchs de la ligue 1 anglaise constituent une restriction à la concurrence prohibée par le Traité. Elle commence par rechercher si les clauses du contrat de licence exclusive conclu entre le titulaire de droits et l'organisme de diffusion ont un objet anticoncurrentiel, ce qui permet, on le sait, de présumer l'atteinte. Pour ce faire, la Cour rappelle qu'il faut analyser l'accord stricto sensu, i.e. la teneur de ses stipulations ainsi que ses objectifs, et prendre également en compte son contexte économique et juridique. Concernant la catégorie d'accord en cause, la Cour confirme encore sa jurisprudence "Coditel II" selon laquelle l'octroi d'une licence exclusive n'a pas per se un objet anticoncurrentiel (16). Elle constate néanmoins que tout accord qui conduit à un cloisonnement des marchés nationaux doit être jugé contraire à l'article 101 TFUE. L'accord qui organise une exclusivité territoriale absolue est dès lors présumé anticoncurrentiel en raison de son objet. Mais cette présomption peut être renversée : il convient alors de prouver que son contexte économique et juridique justifie que l'accord ne porte pas ainsi atteinte à la concurrence. Or, la Cour de justice constate qu'une telle preuve n'est pas rapportée en l'espèce. Elle en déduit donc que l'accord constitue une restriction à la concurrence interdite au sens de l'article 101 TFUE.

La portée de l'arrêt n'est pas évidente à déterminer. Sa lecture ne permet pas de clairement préciser s'il remet en cause tout système de découpage géographique pour la cession des droits ou s'il s'explique par les circonstances propres au litige. La formulation retenue par l'arrêt, qui précise ne pas opérer de revirement par rapport à ses arrêts "Coditel", ne permet pas d'être catégorique. Il faut toutefois noter que la Cour de justice prend soin de souligner que les marchés en cause sont distincts et que, depuis lors, l'acquis a évolué ; elle pourrait ainsi se ménager une "porte de sortie" pour faire évoluer à l'avenir sa jurisprudence (17). La décision paraît donc plutôt s'expliquer par les circonstances propres à la situation. La Cour de justice précise en effet que, en l'espèce, la répartition territoriale conduit à un cloisonnement des marchés, que son objet anticoncurrentiel n'est nullement justifié par les circonstances propres à l'espèce. On peut notamment penser que l'intérêt du consommateur a été déterminant en la matière compte tenu du coût d'accès aux services proposés. On retrouverait finalement la même logique que celle ayant guidé la jurisprudence de la Cour relative à l'application (détournée) de la théorie des facilités essentielles en matière de propriété intellectuelle. On se souvient, en effet, que ce qui expliquait les solutions de l'arrêt "Magill" (18) ou encore "IMS" (19) était bien l'intérêt du consommateur d'accéder à un nouveau produit (20). L'intérêt du consommateur pourrait bien ici encore être l'élément fondamental qui permet de faire céder un monopole de droit, l'objectif étant que le consommateur accède au service fourni à meilleur prix. On se situe alors dans une logique propre au droit de la concurrence -qui fait primer l'intérêt général, celui du marché et des consommateurs- et non dans celle gouvernant le droit d'auteur (21). La prééminence du raisonnement de nature concurrentiel pourrait également s'expliquer en raison de l'objet du litige dans la mesure où la Cour de justice dénie la qualité d'oeuvre de l'esprit aux retransmissions footballistiques. On retrouve ici encore la même logique que celle adoptée par la Cour de justice concernant ces créations "à la marge". Plus généralement, on sait combien les litiges paraissant opposer droit d'auteur et concurrence inquiètent lorsque les solutions retenues semblent atteindre ce qui est la substance même du droit d'auteur ; qu'en revanche, sont saluées les solutions qui conduisent à reconnaître au droit de la concurrence un rôle "correcteur", une fonction de régulation des excès du droit d'auteur (22). Mais la formulation retenue dans l'arrêt "Premier League" ne permet pas de trancher clairement dans un sens ou un autre. Quoi qu'il en soit, cette solution confirme la sévérité des autorités de concurrence à propos des licences territoriales exclusives (23) : si elles ne sont pas interdites per se, elles doivent néanmoins passer les fourches caudines du test de proportionnalité, sans succès en l'espèce. Si la portée de l'arrêt demeure incertaine concernant l'avenir des licences exclusives portant sur les droits de retransmission, il est en revanche très clair quant à son apport au processus d'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins.

II - Une harmonisation prétorienne du droit d'auteur

La Cour de justice confirme sa tendance récente à s'immiscer dans le processus d'harmonisation en matière de droit d'auteur et de droits voisins.

L'arrêt "Premier League" confirme la jurisprudence initiée par la décision "Infopaq" (24) selon laquelle la Cour de justice se reconnaît compétente pour définir l'objet du droit d'auteur au sens du droit de l'Union européenne, alors pourtant que l'acquis est jusqu'à présent resté silencieux à ce sujet (25). Elle affirme en effet que "le droit d'auteur au sens de l'article 2 [de la Directive "sur le droit d'auteur" (Directive (CE) n° 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L8089AU7)] n'est susceptible de s'appliquer que par rapport à un objet qui constitue une création intellectuelle propre à son auteur" (26), que "les différentes parties d'une oeuvre bénéficient d'une protection au titre de ladite disposition à condition de contenir des éléments qui sont l'expression de la création intellectuelle propre à l'auteur de cette oeuvre" (27). Partant, elle retient que les retransmissions footballistiques ne sauraient être qualifiées d'oeuvres au sens du droit d'auteur. Concernant la définition ainsi retenue de l'originalité, on relèvera sa conformité avec la définition admise en France par la jurisprudence. Quant au procédé, d'aucuns avaient déjà noté cette "politique extrêmement volontariste" du juge communautaire qui, sous couvert d'interpréter les directives en la matière -notamment la Directive 2001/29/CE-, s'arroge une compétence qui n'est pas la sienne en principe. Alors que le législateur communautaire était resté prudent face à la notion d'originalité -clé de voûte du droit d'auteur mais notion à contenu variable selon les Etats membres-, la Cour de justice semble faire fi de cette liberté qui paraissait être laissée aux Etats membres pour réaliser "une harmonisation judiciaire à marche forcée" (28). Ses décisions en série confirment ce nouveau rôle que joue désormais la Cour de justice dans la construction du droit d'auteur européen. On se situe donc dans une approche globale du droit d'auteur et des droits voisins, que confirme cette généralisation de la notion d'originalité (29). Cela est confirmé par la Cour de justice lorsqu'elle affirme que "compte tenu des exigences de l'unité de l'ordre juridique de l'Union et de sa cohérence, les notions utilisées par l'ensemble de ces directives doivent avoir la même signification, à moins que le législateur de l'Union n'ait exprimé, dans un contexte législatif précis, une volonté différente" (30). La Cour ne fait pas ici qu'encourager l'interprétation systémique parmi les méthodes d'interprétation des directives communautaires (31). Elle semble promouvoir une approche globale du droit d'auteur à partir d'un "droit commun" que constituerait la Directive 2001/29/CE ici qualifiée de "Directive sur le droit d'auteur" (la précision "dans la société de l'information" étant -délibérément ?- omise) (32). La Cour paraît ainsi s'inscrire dans la nouvelle politique des autorités de l'Union en matière de droit d'auteur. La Commission, dans sa stratégie publiée en mai 2011 (33) évoque en effet la possible adoption d'un Code européen du droit d'auteur qui permettrait de codifier l'acquis en le consolidant, notamment en clarifiant les relations entre les différents droits exclusifs conférés aux titulaires et en procédant à l'actualisation et à l'harmonisation des exceptions prévues par la Directive 2001/29. Les réflexions promettent d'être nourries et le droit d'auteur européen sera très certainement encore au centre de l'actualité ces prochains mois.

Célia Zolynski, Professeur à l'Université de Rennes 1


(1) Cf. D., 2011, act. C. Manara.
(2) CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08 (N° Lexbase : A8389ETU), Rec. p. I-2417, point 49 à 52, D., 2010, 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; CCE, 2010, comm. n° 132, Ch. Caron ; et CJUE 25, mars 2010, aff. C-278/08 (N° Lexbase : A9881ET7), Rec. p. I-2517, point 18.
(3) CJUE, 25 mars 2010, op. cit., point. 19 ; CJUE, ord. du 26 mars 2010, C-91/09, point 18.
(4) CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, op. cit, Rec. p. I-2417, point 89 et 90 ; CJUE, 8 juillet 2010, aff. C-558/08 (N° Lexbase : A0472E4A), point 35.
(5) CJUE, 23 mars 2010, op. cit., point 98 ; CJUE, 25 mars 2010, op. cit., point. 33.
(6) CJUE, 12 juillet 2011, aff. C-324/09 (N° Lexbase : A9865HUW), point 83.
(7) CJUE, 23 mars 2010, op. cit. ; Cass. com., 13 juillet 2010, n° 06-15.136, FS-P+B (N° Lexbase : A6717E4K), D., 2010. p. 1065, obs. I. Gavanon et J. Huet, ibid., p. 1992, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny, CCC, 2010, comm. n° 229, note M. Malaurie-Vignal ; Cass com., 13 juillet 2010, n° 08-13.944, FS-P+B (N° Lexbase : A6723E4R), D., 2010, p. 1966 obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny, ibid., 2010, p. 885, obs. C. Manara, ibid., 2011. 908, obs. S. Durrande, L'essentiel Droit de la propriété intellectuelle, 2010, n° 1, p. 1, obs. Lucas.
(8) Sur cet arrêt, cf. D., 2011, act. J. Daleau.
(9) Cass. soc., 25 février 1988, n° 84-45.086, publié (N° Lexbase : A7682AGM), Bull. civ. V, n°145,
(10) L'article 56 TFUE est jugé applicable à l'espèce dans la mesure où l'activité visait les services fournis par un diffuseur par l'intermédiaire d'un décodeur ; la commercialisation de ces derniers n'étant que secondaire, cela permet à la Cour d'écarter la libre circulation des marchandises.
(11) V. infra, II.
(12) Point 118.
(13) Point 108.
(14) CJCE, 6 octobre 1982, aff. C-262/81 (N° Lexbase : A6338AUB), point 14 ; RTDE, 1983, p. 297, obs. G. Bonet ; RTDCom., 1982, p. 558, obs. Françon.
(15) Comp. la prise en compte des prix excessifs dans la caractérisation d'un abus de position dominante. V. sur ce point N. Mallet-Poujol, Grands arrêts de la propriété intellectuelle, D., 2003, n° 3, note, spéc. p. 66 et les réf. citées.
(16) CJCE, 6 octobre 1982, aff. C-262/81 "Coditel II", préc., point 15.
(17) Point 118.
(18) CJCE, 6 avril 1995, aff. C-241/91 et 242/91 (N° Lexbase : A8042AYI), RTDE, 1996, p. 747, obs. J.-B. Blaise et p. 835, obs. G. Bonet ; D., 1996, chron., p. 119, note B. Edelman ; JCP éd. G, 1995, I 3883, note M. Vivant ; Grands arrêts de la propriété intellectuelle, préc., spéc. p. 66.
(19) CJCE 29 avril 2004, aff. C-418/01 (N° Lexbase : A0419DCI), D., 2004, JP, p. 2366, note F. Sardain ; CCE, 2004, comm. n° 69, obs. Ch. Caron ; Légipresse, 2004, n° 220, III, p. 57 ; RAE, 2003-2004, p. 463, nos obs..
(20) En ce sens, v. Ch. Caron, Le consumérisme en droit d'auteur, in Mélanges J. Calais-Auloy, Etudes du droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 781, spéc. n° 16 et s..
(21) V. déjà sur ce point nos obs., préc. note 19, p. 470.
(22) Notamment en ce sens Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd., 2010, n° 300.
(23) Sur cette question, v. O. Bosco, L'obligation d'exclusivité, Bruylant 2008, n° 150 et s..
(24) CJCE, 19 juillet 2009, aff. C-5/08 (N° Lexbase : A9796EIN) ; CCE, 2009, comm. 97, obs. Ch. Caron ; JCP éd. G, 2009, 272, note L. Marino ; Propriétés intellectuelles, 2009, p. 378, obs. V.-L. Bénabou ; RTDE, 2010, p. 944, obs. E. Treppoz.
(25) Egalement en ce sens, CJUE 22 décembre 2010, aff. C-393/09 (N° Lexbase : A7106GNI) ; Propriétés intellectuelles, 2011, p. 205, obs. V.-L. Bénabou ; Europe, 2011, comm. 86, obs. L. Idot ; RLDI, 2011/68, n° 2228, obs. H. Bitan.
(26) Pt. 155 et déjà arrêt "Infopaq" (CJCE, 19 juillet 2009, aff. C-5/08, préc.), point 37.
(27) Pt. 156 et déjà arrêt "Infopaq" (CJCE, 19 juillet 2009, aff. C-5/08), préc.), point 39.
(28) V. notamment V.-L. Bénabou, Propriétés intellectuelles, 2009, p. 378 et 2011, p. 209 ; adde, du même auteur "Que reste-t-il au juge national pour dire le droit d'auteur ?", RDTI, 2009/37, p. 71.
(29) Sur cette méthode, v. les critiques d'E. Treppoz, obs. préc.
(30) Point 188.
(31) Sur cette présomption de rationalité du législateur européen justifiant de recourir à ce procédé comparatiste mais avec prudence, v. nos obs, Méthode d'interprétation des directives communautaires, Dalloz, 2007, n° 83.
(32) Sur cette analyse, v. V.-L. Bénabou, Propriétés intellectuelles, 2011, p. 209.
(33) Communication de la Commission "Vers un marché unique des droits de propriétés intellectuelles. Doper la créativité et l'innovation pour permettre à l'Europe de créer de la croissance économique, des emplois de qualité et des produits et services de premier choix", COM(2011) 287 final, point 3.3.1, p. 14.

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Protection sociale

[Le point sur...] Le traitement social et fiscal applicable au financement de la portabilité des droits "prévoyance"

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)

Le 27 Octobre 2011

L'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a consacré dans son article 14 l'accès à la portabilité de certains droits (1). Y est notamment instituée la portabilité des garanties de prévoyance lato sensu consécutivement à la rupture du contrat de travail. Il s'agit de garantir, temporairement et à certaines conditions, le maintien de leur bénéfice aux anciens salariés. Ces dispositions créent une obligation à la charge des entreprises, dont la prise d'effet est intervenue au 1er juillet 2009 (2).
C'est, en effet, à l'entreprise d'assumer cette obligation de maintien des garanties (3). L'ANI prévoit que le financement de la prolongation des garanties est assuré conjointement par l'ancien employeur et l'ancien salarié ou par un système de mutualisation. Pour autant, l'accord est resté muet sur le traitement fiscal et social de ce financement dont on s'est demandé s'il devait être aligné sur celui appliqué à la contribution finançant les garanties des salariés présents dans l'entreprise. En 2009, les administrations fiscale et de la Sécurité sociale ont pris position... mais des positions malheureusement non concordantes à l'époque. L'évolution récente du ministère du Budget sur cette question (rescrit n° 2011/25 du 2 août 2011, régime fiscal des cotisations versées dans le cadre du maintien des droits à couverture complémentaire santé et prévoyance des anciens salariés au chômage prévu par l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 N° Lexbase : L1044IR4) nous donne l'occasion de dresser un panorama du traitement social et fiscal du financement de la portabilité des droits "prévoyance" non sans en avoir au préalable rappelé quelques éléments essentiels. Il ressort de ce panorama l'évidente "filiation" que la portabilité entretient avec le régime de prévoyance bénéficiant aux salariés en activité au sein de l'entreprise. La portabilité est désormais considérée comme le prolongement de ce régime puisque son traitement fiscal et social est aligné sur celui applicable au financement de ce régime. I - Quelques généralités sur le dispositif de la portabilité des droits "prévoyance"

Avant toute chose, il convient de préciser le champ d'application du dispositif. En effet, le mécanisme de la portabilité tel qu'issu de l'ANI n'est pas d'application générale malgré l'arrêté d'extension dont il a fait l'objet. Il n'est obligatoire que dans les entreprises relevant des branches dans lesquelles au moins une des trois organisation patronales signataires de l'ANI de 2008 est représentée, soit l'industrie, le commerce, les services et l'artisanat et dans lesquelles préexiste, à la rupture du contrat de travail, un régime de prévoyance et/ou de frais de santé. A contrario, ne sont pas tenus par ce dispositif les professions agricoles, les entreprises de l'économie sociale, les professions libérales, les VRP, le secteur de la presse, celui de l'enseignement privé (sauf le "hors contrat") et les officiers ministériels (4).

A - Les éléments clé du dispositif conventionnel

Si l'ANI du 11 janvier 2008 est le texte conventionnel à l'origine de la portabilité des droits "prévoyance", c'est en réalité l'avenant n° 3 du 18 mai 2009 qui en fixe le cadre, modifiant d'ailleurs assez substantiellement les dispositions initiales.

Bénéficiaires. Sont éligibles à la portabilité les anciens salariés lorsque la rupture de leur contrat de travail ouvre droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage. Peu importe par conséquent le mode de rupture dès lors qu'il fait partie des cas d'ouverture du droit à indemnisation chômage (5). Aux termes de l'article 2 du Règlement Unedic, sont concernés les salariés qui "sont involontairement privés d'emploi ou assimilés, les salariés dont la cessation du contrat de travail résulte : d'un licenciement ; d'une fin de CDD ; d'une démission considérée comme légitime (dans les conditions fixées par un accord d'application) ; d'un licenciement économique (causes énoncées aux articles L. 1233-1 N° Lexbase : L1100H9M, L. 1233-3 N° Lexbase : L8772IA7 et L. 1233-4 N° Lexbase : L3135IM3 du Code du travail) ; d'une rupture conventionnelle du contrat de travail, visée aux articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail". La seule exclusion figurant à l'article 14 de l'ANI vise les salariés dont le licenciement serait intervenu pour faute lourde.

Durée. Dans la version initiale, la durée de maintien de la couverture dépendait de la période de chômage. L'avenant modifie les modalités de calcul de cette durée qui est désormais fonction de la durée du dernier contrat de travail. Les garanties peuvent être prolongées pour une durée égale au dernier contrat de travail, appréciée en mois entiers, dans la limite de neuf mois maximum.

Mise en oeuvre et financement. Sous réserve des conditions précitées, la portabilité est un droit pour l'ancien salarié auquel il peut toutefois renoncer en notifiant sa décision par écrit à l'ancien employeur dans les dix jours qui suivent la date de cessation du contrat de travail.

Deux modalités de financement de la portabilité sont prévues. La première repose sur la mutualisation du financement qui est assurée par l'employeur et le collectif bénéficiaire du régime de prévoyance dans l'entreprise, une quote-part des contributions étant affectée au financement de la portabilité. La seconde modalité, applicable à défaut de mutualisation, est organisée lorsque le salarié sort de l'effectif de l'entreprise ; le financement de la portabilité est alors assuré conjointement par l'ancien employeur et l'ancien salarié dans les proportions et dans les conditions applicables aux salariés de l'entreprise.

B - La complexité et l'ambiguïté du dispositif conventionnel

Le dispositif dit de la portabilité est source de complexité et n'est pas exempt d'une certaine ambiguïté. Tout d'abord, il convient de rappeler que le bénéficiaire de la portabilité est nécessairement un ancien salarié mais un ancien salarié qui conserve un lien avec l'entreprise ; en effet, par le jeu de la portabilité, le bénéfice des garanties de prévoyance est prolongé alors même que le lien d'emploi est rompu.

Ensuite, il convient de souligner l'ambiguïté "congénitale" du dispositif qui se situe à mi-chemin du collectif et de l'individuel mais aussi de l'obligatoire et du facultatif. Si la sortie de l'entreprise emporte sortie du collectif assuré, le jeu de la portabilité continue de rattacher le sortant au régime collectif de prévoyance des actifs de l'entreprise. Par ailleurs, le sortant peut renoncer au bénéfice de la portabilité, ce qui peut induire qu'elle présente un caractère facultatif ; mais, d'un autre point de vue, on peut estimer que la portabilité est un droit pour le sortant auquel il peut renoncer.

Enfin, notons que l'ANI fait place à deux modes de financement : la mutualisation ou le financement organisé au moment de la sortie de l'entreprise. Le choix de la mutualisation n'est sans doute pas le plus aisé à instituer. Comme l'écrit un praticien avisé de la question, "sur un plan psychologique, il ne sera pas toujours facile de proposer aux salariés de préfinancer les conséquences de futurs licenciements prononcés par l'employeur" (6). En revanche, lorsque la mutualisation a pu être instaurée, elle simplifie la gestion pratique de la portabilité et lève également les incertitudes sur le traitement social du financement.

II - Traitement social du financement de la portabilité

Le traitement social du financement de la portabilité intéresse tant l'entreprise que le salarié sortant qui en bénéficie. Il doit être examiné au regard des cotisations de Sécurité sociale, de la CSG et de la CRDS mais également, pour les entreprises d'au moins dix salariés, de la taxe "prévoyance".

A - Cotisations d'assurances sociales

Assise légale (CSS, art. L. 242-1 N° Lexbase : L9723ING). Le législateur a institué un régime social de faveur pour les employeurs qui financent des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance. La quote-part patronale est, en effet, déductible sous plafond de l'assiette des cotisations d'assurances sociales sous réserve de respecter les conditions posées à l'alinéa 6 de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (notamment le caractère obligatoire et collectif des garanties instituées).

L'écriture de l'alinéa 6, telle qu'elle résultait de la loi "Fillon" d'août 2003 (loi n° 2003-775, du 21 août 2003, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), était manifestement trop laconique pour permettre aux praticiens de disposer de certitude sur le sort social des sommes consacrées par l'employeur au financement de la portabilité. Face à ce vide juridique, la direction de la Sécurité sociale a décidé de considérer que le bénéfice de la portabilité ne remet pas en cause le caractère obligatoire des garanties (fiche 6, I-B-5°) (7), ne disqualifie pas l'opération de prévoyance dans son ensemble. Pour autant, rien n'était dit du traitement social à proprement parler de la part patronale destinée à financer la portabilité. Ce fut chose faite avec la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 (8) qui procède à la réécriture de l'alinéa 6 de l'article L. 242-1. La déductibilité sous plafond dispose désormais d'une assise légale puisque le texte vise explicitement les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs salariés, de leurs ayants droit et, également, des anciens salariés. S'agissant de la portabilité, il convient toutefois de ne pas oublier que le traitement social de faveur présuppose que le régime de prévoyance bénéficiant aux actifs de l'entreprise remplisse lui-même les conditions de déductibilité sociale posées et induites par l'alinéa 6.

Limites de déductibilité. En application de l'article D. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7142HZK), les contributions des employeurs au financement de prestations complémentaires de prévoyance sont exclues de l'assiette des cotisations de Sécurité sociale propre à chaque assuré, pour une fraction n'excédant pas un montant égal à la somme de 6 % du montant du plafond de la sécurité sociale et de 1,5 % de la rémunération soumise à cotisations de sécurité sociale en application de l'article L. 242-1, sans que le total ainsi obtenu puisse excéder 12 % du montant du plafond de la Sécurité sociale.

Lorsque la portabilité est financée par un système de mutualisation, la contribution patronale concerne un salarié présent dans l'entreprise et est intégrée dans la contribution globale consacrée à l'acquisition de garanties de prévoyance. Le traitement social s'en trouve facilité puisque le montant de la rémunération est clairement identifié. En revanche, en cas de financement de la portabilité à la sortie de l'entreprise, la question est plus délicate car le bénéficiaire de la portabilité ne perçoit plus de rémunération de la part de son ancien employeur, alors qu'il s'agit d'un paramètre de calcul des seuils de déductibilité. Afin de lever certaines incertitudes, la lettre-circulaire ACOSS du 24 mai 2011 a estimé qu'il y avait lieu de reconstituer une rémunération annuelle sur la base du montant moyen des douze derniers mois et de déterminer un plafond théorique "par extension de la solution retenue en cas de maintien des garanties durant une période de suspension du contrat de travail non indemnisée" (QR 10) (9).

B - CSG et CRDS (10)

En cas de mutualisation du financement de la portabilité, la contribution patronale est assujettie à la CSG au titre des revenus d'activité (au taux de 7,5 %) en application de l'article L. 136-2, II, 4° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9724INH) et à la CRDS (au taux de 0,5 %).

Si le financement est assuré à la sortie, la contribution patronale supporte également la CSG et la CRDS. L'ACOSS tolère alors que l'entreprise cotisante puisse précompter, au moment du solde de tout compte, le montant de ces prélèvements calculés forfaitairement sur neuf mois, c'est-à-dire sur la durée maximale de portabilité (QR 18). Une question relative au taux de la CSG demeure en suspens, dont la réponse peut intéresser tant l'entreprise que l'ancien salarié. En effet, lorsque le financement de la portabilité intervient au départ du salarié de l'entreprise, on peut se demander si l'on doit appliquer le taux de CSG prévu pour les revenus d'activité (7,5 %) ou celui de 6,2 % applicable à nombre de revenus de remplacement puisque le bénéficiaire de la portabilité est désormais pris en charge par l'assurance chômage. L'interrogation ne connaît pas de réponse officielle et aucune doctrine administrative n'existe sur ce point. Cependant, il nous semble que c'est le taux de 7,5 % qui devrait être retenu car l'on tend à considérer que la portabilité prolonge les garanties dont l'ancien salarié bénéficiait pendant sa période d'activité ; c'est d'ailleurs la position retenue par l'ACOSS (QR 10) (11).

C - Taxe "prévoyance"

Les entreprises de plus de neuf salariés supportent une taxe spéciale au taux de 8 % sur les contributions qu'elles consacrent au financement de prestations complémentaires de prévoyance. Afin de tenir compte du dispositif de portabilité, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 a complété l'article L. 137-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9722INE) dans des termes identiques à la réécriture de l'alinéa 6 de l'article L. 242-1 (N° Lexbase : L9723ING). Ainsi, entrent explicitement dans le champ de la taxe "prévoyance" les contributions des employeurs versées au bénéfice des salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit, pour le financement de prestations complémentaires de prévoyance. Il importe peu que ce financement soit mutualisé ou intervienne lorsque le salarié sort de l'effectif de l'entreprise.

Ajoutons que la lettre-circulaire ACOSS du 24 mai 2011 considère que le décompte de l'effectif pour vérifier le seuil d'assujettissement s'opère sans prendre en compte les anciens salariés bénéficiant de la portabilité (QR 16).

III - Traitement fiscal du financement de la portabilité

En matière sociale, le législateur a pris en considération l'apparition du dispositif conventionnel de la portabilité. Si, dans un premier temps, ce sont des circulaires de la direction de la sécurité sociale et de l'ACOSS qui ont abordé la question du traitement social, la loi a ensuite été modifiée apportant une sécurité juridique aux entreprises cotisantes (v. supra). En matière fiscale, en revanche, point d'évolution législative. Pour l'instant, et on doit le regretter, le régime fiscal se déduit pour l'essentiel des positions prises par l'administration fiscale à l'occasion des réponses qu'elle apporte à des rescrits (12) qui lui sont adressés.

A - Déductibilité fiscale pour l'entreprise

La part que l'employeur consacre au financement de la portabilité constitue, pour l'entreprise, une charge déductible de son résultat imposable en application de l'article 39, 1, 1° du Code général des impôts (N° Lexbase : L3894IAH). Il s'agit là d'une dépense de personnel qui est déduite du bénéfice net réalisé.

B - Déductibilité fiscale pour le salarié

Pour la détermination de revenus soumis à l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), l'article 83-1º quater du Code général des impôts (N° Lexbase : L4936IQU) permet, sous réserve du respect d'un certain nombre de conditions (13), la déduction plafonnée "des cotisations ou primes versées aux régimes de prévoyance complémentaire auxquels le salarié est affilié à titre obligatoire". Ces financements (part patronale et part salariale cumulées) sont déductibles dans la limite d'un montant égal à la somme de 7 % du montant annuel du plafond de la Sécurité sociale et de 3 % de la rémunération annuelle brute, sans que le total ainsi obtenu puisse excéder 3 % de huit fois le montant annuel du plafond précité (soit 8 484,48 euros pour 2011).

Contrairement à certains articles du Code de la Sécurité sociale, le texte de l'article 83-1° quater CGI n'a pas été modifié afin de tenir compte du dispositif conventionnel de la portabilité. Il n'existe donc aucune certitude sur le traitement fiscal applicable en matière d'IRPP. De plus, aucune circulaire ou instruction administrative n'a été consacrée à la question, l'administration fiscale ayant seulement pris position au travers de réponses apportées à des rescrits qui lui avaient été adressés.

Initialement (14), le ministère du Budget a considéré que, "dès lors que le maintien de la couverture complémentaire est facultative, les cotisations versées [au titre de la portabilité] [...] ne peuvent être admises en déduction sur le fondement du 1° quater de l'article 83 du CGI". En effet, pour l'administration fiscale, dans le dispositif de la portabilité, le maintien de la couverture "prévoyance" serait de nature facultative ; dès lors, la condition de déductibilité tenant au caractère obligatoire du régime serait remise en question pour les anciens salariés (15). Cette analyse révèle l'ambiguïté, précédemment soulignée, de la portabilité instituée par l'ANI de 2008 puisque, dans le même temps, l'administration de la Sécurité sociale opte pour une interprétation différente.

La mise en cohérence des doctrines administratives vient toutefois de s'opérer, l'administration fiscale ayant procédé en août dernier à un "revirement" à l'occasion d'une réponse apportée à un nouveau rescrit formulé en des termes exactement identiques à ceux de la première interrogation (16). Dans sa réponse, le ministère du Budget estime que, "dès lors que le maintien de la couverture complémentaire correspond à la poursuite du contrat obligatoire et collectif dont bénéficiaient ces salariés avant la rupture de leur contrat de travail, les cotisations versées aux contrats de prévoyance complémentaire [y compris la part patronale] en application de l'article 14 de l'ANI sont admises en déduction en application du 1° quater de l'article 83 du CGI l'année de leur versement à l'organisme de prévoyance" et ce, dans les limites posées par ce texte. Par cette nouvelle prise de position, l'administration fiscale en vient à considérer que la mise en oeuvre de la portabilité emporte prolongement des garanties. Il en résulte que la part patronale ne constitue pas un complément de rémunération imposable et que la part salariale est déductible des revenus soumis à l'IRPP (17).

On doit toutefois signaler la subsistance d'une divergence entre le traitement fiscal et social. Elle concerne l'hypothèse où aurait été mis en place un dispositif de portabilité plus généreux organisant le maintien de la couverture au-delà de la durée maximale de neuf mois prévue par l'ANI de janvier 2008. En effet, dans sa rédaction issue de la loi de financement pour 2011, l'alinéa 6 de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale vise de façon générale le financement de garanties au profit des anciens salariés sans se référer explicitement à l'ANI ; il s'en déduit logiquement que le traitement social d'un dispositif amélioré de portabilité est identique à celui retenu pendant la durée de maintien obligatoire prévu par l'ANI. En revanche, à l'occasion de sa réponse du 2 août 2011, l'administration fiscale refuse la déductibilité des cotisations correspondant au maintien de la couverture pendant une durée supérieure à 9 mois (18). Il faut espérer que le ministère du budget alignera prochainement sa position sur celle de la Direction de la sécurité sociale.

Désormais, en matière sociale et fiscale, la "filiation" entre la portabilité et le régime de prévoyance existant dans l'entreprise est nettement établie. Il ne faut toutefois pas occulter que cette filiation est aussi une dépendance. En effet, le bénéfice d'un traitement social et fiscal de faveur au profit du financement de ce maintien de garanties pour les anciens salariés est subordonné à une condition préalable : que le dispositif de prévoyance mis en place dans l'entreprise remplisse les conditions d'éligibilité au régime fiscal et social de faveur (notamment caractère collectif et obligatoire). Si tel n'est pas le cas, il conviendra d'en tirer toutes les conséquences en matière de portabilité, c'est-à-dire le double assujettissement, à cotisations sociales et à l'IRPP, du financement.


(1) V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Commentaire des articles 2, 3, 7, 8 et 14 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : détermination des moyens de création et de pérennisation de l'emploi, Lexbase Hebdo, n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8301BDS).
(2) L'entrée en vigueur effective du dispositif de la portabilité a été mouvementée et reportée à plusieurs reprises pour, finalement être fixée au 1er juillet 2009 par l'avenant n° 3 du 18 mai 2009.
(3) Contrairement aux dispositions de la loi "Evin" n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L5011E4D) qui mettent des obligations à la charge des assureurs.
(4) Un arrêté d'élargissement est certes envisagé mais n'a pas encore vu le jour.
(5) L'avenant précise qu'il appartient à l'ancien salarié de justifier de son indemnisation par l'assurance chômage et d'informer son ancien employeur de la cessation de cette indemnisation.
(6) G. Briens, Analyse critique de l'article 14 de l'ANI du 11 janvier 2008, SSL, n° 1409 du 20 juillet 2009.
(7) Circulaire n° DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009, relative aux modalités d'assujettissement aux cotisations et contributions de sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement de prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire (N° Lexbase : L9384ICK).
(8) Loi n° 2010-1594 de financement de la Sécurité sociale pour 2011 du 20 décembre 2010 (N° Lexbase : L9761INT).
(9) Lettre-circulaire de l'ACOSS n° 2011-0000036 du 24 mai 2011. Voir aussi lettre adressée par la Direction de la Sécurité sociale à la FFSA (DSS/SD5B/n° 09/6456 D du 29 mai 2009). Sur l'application pratique et l'appréciation des modalités de déductibilité qui suppose de distinguer la période antérieure à la rupture du contrat de travail et la période postérieure, v. la question-réponse (QR) 17 de la lettre-circulaire ACOSS.
(10) Bien que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) soient des prélèvements de nature fiscale, elles sont évoquées dans la présente étude dans la partie consacrée au traitement social car leur produit est affecté au financement de la Sécurité sociale.
(11) Il serait d'ailleurs assez délicat de considérer que la contribution patronale de la portabilité constitue un revenu de remplacement du seul fait qu'elle bénéficie à un ancien salarié percevant un revenu de remplacement (en l'occurrence une indemnisation chômage).
(12) Le rescrit est une procédure d'interrogation ouverte au contribuable. Cette procédure existe également en matière sociale.
(13) Conditions alignées sur celles exigées en matière sociale (spécialement le caractère collectif et obligatoire du régime de prévoyance). V. instruction fiscale 5F-15-05 du 25 novembre 2005 (N° Lexbase : X4536ADD).
(14) Réponse à un rescrit rendue publique le 20 octobre 2009, RES n°2009/60 (FP).
(15) Avec une double conséquence fiscale : l'intégration de la part patronale dans les revenus salariaux imposables et la non déductibilité de la part salariale de revenus imposables au titre de l'IRPP.
(16) Réponse rendue publique le 2 août 2001, RES n°2011/25 (FP).
(17) Ces nouvelles règles s'appliquent pour l'imposition des revenus 2009 et des années suivantes.
(18) Sans que l'on sache si la non déductibilité porte sur l'intégralité des cotisations ou seulement sur la part représentative du financement de la portabilité au-delà des 9 premiers mois.

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Voies d'exécution

[Projet, proposition, rapport législatif] Vers une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires

Réf. : Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 juillet 2011, portant création d'une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires

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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine

Le 15 Février 2012

Pour l'heure, le domaine de l'exécution proprement dite des titres exécutoires demeure, pour l'essentiel, régi par les droits nationaux des Etats membres de l'Union européenne. Cette situation est sur le point d'évoluer avec la création prochaine d'une procédure européenne de saisie conservatoire des avoirs bancaires. A vrai dire, la création de cette procédure, dans le but de simplifier et d'accélérer le recouvrement des créances transfrontières, est envisagée de longue date par les institutions européennes. Déjà, en 1998, la Commission européenne en soulignait l'opportunité dans une communication intitulée "Vers une efficacité accrue dans l'obtention et l'exécution des décisions au sein de l'Union européenne" (1). Il a néanmoins fallu attendre l'adoption d'un Livre vert (2) en octobre 2006 pour que les travaux préparatoires à l'élaboration de cette procédure débutent vraiment. Cinq ans plus tard, à l'invitation du Conseil européen (3), la Commission européenne a franchi une étape importante dans ces travaux préparatoires avec l'adoption -le 25 juillet 2011- d'une proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil "portant création d'une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale" (4). Comme cela est désormais traditionnellement le cas, la publication de cette proposition de Règlement a été accompagnée de celle d'une étude d'impact (5) -datée du même jour et rédigée en anglais- dans laquelle la Commission européenne insiste sur l'opportunité d'une action de l'Union européenne en ce domaine (6). Elle présente, dans cette étude, les différentes options qu'elle avait retenues comme hypothèses de travail et parmi lesquelles elle a opéré son choix. On y apprend que la Commission européenne avait identifié trois voies possibles : le statu quo après la révision -programmée- du Règlement "Bruxelles I" (N° Lexbase : L7541A8S) (option A), la création d'une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires (option B) et l'harmonisation des règles nationales relatives à la saisie des avoirs bancaires (option C).

C'est donc l'option B qui a finalement été privilégiée par la Commission européenne, à savoir celle d'une procédure européenne uniforme, applicable dans les litiges transfrontières, venant se superposer aux législations nationales sans les modifier (7). Il est à noter que cette option correspond aux attentes du Parlement européen manifestées dans une résolution adoptée le 10 mai 2011, par laquelle ce dernier avait anticipé l'adoption de la proposition de Règlement de la Commission et dans laquelle il entendait poser les jalons de la future procédure européenne de saisie conservatoire des avoirs bancaires (8).

Telle qu'elle est imaginée (9) par la Commission européenne, dans la proposition de règlement ici envisagée, la procédure européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires apparaît comme une procédure (potentiellement) efficace tout en étant respectueuse des droits fondamentaux -procéduraux et substantiels- des débiteurs (10). Afin d'en procéder à l'analyse, il convient d'envisager successivement le stade de la délivrance (I) puis celui de la mise en oeuvre de l'ordonnance européenne de saisie conservatoire (ci-après "l'OESC") (II).

I - La délivrance de l'ordonnance européenne de saisie conservatoire

La Commission européenne précise, non seulement le champ d'application de la procédure projetée (A), mais également les modalités d'obtention de l'OESC, plaçant ainsi tous les créanciers européens sur un pied d'égalité (B).

A - Le champ d'application de la procédure

La procédure projetée, dont l'objet est d'empêcher "le retrait ou le transfert de fonds détenus par le débiteur sur un compte bancaire au sein de l'Union" (art. 1), bénéficie d'un large champ d'application.

- Champ d'application matériel (art. 2). La procédure projetée s'applique aux créances pécuniaires en matière civile et commerciale. Sont exclues, les matières fiscales, douanières ou administratives ainsi que les domaines des faillites, de la sécurité sociale et de l'arbitrage. En revanche, contrairement au Règlement "Bruxelles I", cette procédure devrait s'appliquer aux domaines des régimes matrimoniaux, des successions et des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.

- Champ d'application géographique (art. 3). La procédure devrait (seulement) s'appliquer dans les matières "ayant une incidence transfrontière". La Commission européenne retient une définition négative de cette notion en précisant qu'une "matière" est ainsi considérée "à moins que la juridiction saisie de la demande d'OESC, tous les comptes bancaires visés par l'ordonnance de saisie conservatoire et les parties ne soient situés ou domiciliés dans le même Etat membre". Elle se livre donc à une interprétation extensive de la lettre de l'article 81 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2733IPW) (11), quelque peu différente de l'interprétation -plus restrictive- retenue par le législateur de l'Union européenne (en l'occurrence, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen). En effet, cette définition permet l'application de la procédure européenne pour le cas dans lequel l'un des comptes saisis se situe dans le même Etat membre que la juridiction délivrant l'ordonnance.

Par ailleurs, sauf décisions contraires de leur part, cette procédure ne devrait pas s'appliquer au Danemark ainsi qu'au Royaume-Uni et à l'Irlande (considérants 25 et 26).

B - Les modalités d'obtention de l'ordonnance

Concernant les modalités d'obtention de l'OESC, la Commission européenne opère une distinction selon que cette ordonnance soit délivrée avant (art. 6 à 13) ou après (art. 14 et 15) l'obtention d'un "titre exécutoire" établissant le droit de créance du demandeur, étant entendu qu'il doit s'agir d'un titre qui est, non seulement exécutoire dans l'Etat d'origine, mais également déclaré exécutoire dans l'Etat d'exécution (art. 5). Tout en prévoyant des dispositions spécifiques à chacune de ces situations, la proposition de Règlement contient également des dispositions qui leur sont communes.

- Dispositions spécifiques à la délivrance d'une OESC antérieurement à l'obtention d'un titre exécutoire. La procédure est nécessairement judiciaire. Sont, en principe, compétentes pour prononcer l'OESC, les juridictions internationalement compétentes pour connaitre du fond. De plus, les juridictions de l'Etat où le compte bancaire est situé ont également compétence pour prononcer une OESC "qui doit être exécutée dans cet Etat" (art. 6). La demande se fait au moyen d'un formulaire type multilingue -dont le contenu est précisé à l'article 8 de la proposition- et la délivrance de l'ordonnance est subordonnée à deux conditions classiques : la vraisemblance de la créance et l'existence de menaces dans le recouvrement (art. 7). En outre, une garantie peut être exigée, au demandeur, par la juridiction. Il est important de souligner que la procédure n'est pas contradictoire (art. 10), l'objectif est de préserver "l'effet de surprise" et, partant, l'efficacité de la procédure. Notons, enfin, que lorsque l'OESC est délivrée avant que le demandeur n'ait engagé une procédure sur le fond, ce dernier dispose d'un délai maximal de 30 jours pour introduire cette procédure (art. 13). A défaut, le défendeur pourra obtenir la remise en cause de l'ordonnance (art. 34 et 35).

- Dispositions spécifiques à la délivrance d'une OESC postérieurement à l'obtention d'un titre exécutoire. En fonction de la nature du titre -décision de justice, transaction judiciaire ou acte authentique- la demande visant à la délivrance de l'ordonnance peut notamment être faite auprès de la juridiction qui a prononcé la décision sur le fond ou approuvé la transaction judiciaire ou bien encore auprès de l'autorité compétente de l'Etat dans lequel l'acte authentique a été établi (art. 14). Là encore, la procédure n'est pas contradictoire et la demande se fait au moyen d'un formulaire dont le contenu est, cette fois, précisé dans l'article 15 de la proposition.

- Dispositions communes applicables à la délivrance d'une OESC antérieurement ou postérieurement à l'obtention d'un titre exécutoire. Au sein des dispositions "communes" -c'est-à-dire, celles trouvant indifféremment application que la délivrance de l'ordonnance ait lieu avant ou après l'obtention d'un titre exécutoire-, on retrouve des règles disparates qui ont principalement trait aux informations relatives au compte bancaire visé. A cet égard, il est prévu que le demandeur ait la possibilité de demander (12) à "l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution" qu'elle obtienne les informations nécessaires à l'identification du ou des comptes du défendeur, à savoir : l'adresse dudit défendeur, celle de la ou des banque(s) gérant le ou les compte(s) visé(s) et le ou les numéro(s) de compte de ce même défendeur (art. 17). Par ailleurs, on peut également souligner que le demandeur doit, lorsqu'il sollicite une OESC, préciser s'il a au préalable saisi une autre juridiction d'une demande semblable ou d'une demande visant à la délivrance d'une mesure conservatoire nationale équivalente destinée à garantir la même créance et dirigée contre le même défendeur (art. 19). La juridiction dernièrement saisie de la demande d'OESC pouvant -dans l'affirmative- estimer qu'il n'est pas nécessaire de délivrer une ordonnance supplémentaire. Notons, enfin, que la représentation par avocat -ou par "un autre professionnel du droit" (art. 41)- n'est pas obligatoire dans le cadre de cette procédure et que les frais de justice sont en principe supportés par la partie perdante (art. 42).

II - La mise en oeuvre de l'ordonnance européenne de saisie conservatoire

Le dispositif imaginé par la Commission européenne repose sur la suppression de l'exequatur. Ainsi, une OESC qui a été obtenue, dans un Etat membre, en application de cette procédure européenne, devrait être "reconnue et exécutoire", dans les autres Etats membres, "sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire soit nécessaire et sans qu'il soit possible de s'opposer à sa reconnaissance" (art. 23). En somme, la Commission retient le principe de la libre circulation des OESC.

Une fois posé ce principe, la Commission européenne apporte des précisions sur l'exécution (A) et les contestations éventuelles (B) de l'OESC.

A - L'exécution de l'ordonnance

Sont tour à tour envisagées, les modalités de signification ou de notification de l'OESC ainsi que les opérations de saisie.

- Notification de l'OESC. S'agissant, en premier lieu, de la signification ou de la notification de l'ordonnance à la banque (art. 24), il est prévu, d'une part, que s'applique le droit de l'Etat membre d'exécution lorsque l'ordonnance a été obtenue dans cet Etat et, d'autre part, que cette signification ou notification soit réalisée en application du Règlement (CE) n° 1393/2007 (13) lorsque l'ordonnance a été délivrée dans un Etat différent de l'Etat membre d'exécution. Dans ce dernier cas, il est toutefois précisé que "la personne ou l'autorité responsable de la signification ou de la notification dans l'Etat membre d'origine transmet l'OESC directement à l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution", laquelle à son tour signifie ou notifie l'ordonnance à la banque. S'agissant, en second lieu, de la signification ou de la notification de l'ordonnance au défendeur (14) (art. 25), des règles semblables sont prévues, en ce sens où le droit de l'Etat d'origine devrait s'appliquer lorsque le défendeur est domicilié dans cet Etat. A défaut, la signification ou la notification devrait être effectuée conformément au Règlement (CE) n° 1393/2007.

- Opérations de saisie. Il est proposé que l'établissement bancaire, à qui a été signifiée ou notifiée une OESC, la mette en oeuvre "immédiatement dès sa réception en veillant à ce que le montant qui y est spécifié ne fasse pas l'objet d'un transfert, d'un acte de disposition ou d'un retrait du ou des comptes désignés dans l'ordonnance ou identifiés par la banque comme étant détenus par le défendeur" (art. 26). Cette indisponibilité est limitée au montant spécifié dans l'OESC, les fonds qui excèdent ce montant devant rester à la disposition dudit défendeur (15). Il est également prévu que l'établissement bancaire informe l'autorité compétente et le demandeur, dans les trois jours qui suivent la réception de l'ordonnance (art. 27), afin de leur préciser si et dans quelle mesure les fonds qui se trouvaient sur le compte visé ont fait l'objet d'une saisie conservatoire. Cette information se fait au moyen d'un formulaire type (reproduit en annexe de la proposition) et peut être transmise de façon dématérialisée. L'éventuelle responsabilité de la banque peut être engagée en application du droit national de l'Etat membre d'exécution.

Par ailleurs, un renvoi est opéré au droit national de l'Etat membre d'exécution, concernant les saisies conservatoires de comptes joints et de comptes de mandataire (art. 29), les montants exemptés d'exécution (art. 32) ou encore l'ordre de priorité des créanciers en concurrence (art. 33). Plus généralement, un renvoi est opéré aux droits nationaux en ce qui concerne toutes les questions d'ordre procédural non expressément réglées dans la proposition de règlement (art. 45).

Notons qu'il devrait être mis fin à l'exécution de l'ordonnance, lorsque le défendeur dépose, auprès de l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution, une garantie dont le montant a été fixé au préalable dans l'OESC (art. 38).

B - La contestation de l'ordonnance

En plus de permettre au demandeur d'interjeter appel de la décision lui refusant la délivrance d'une OESC (art. 22), la proposition de règlement détaille les voies de recours offertes au défendeur -et aux tiers (art. 39)- dans l'hypothèse contraire où cette ordonnance est délivrée. Selon qu'ils portent sur l'ordonnance (16) ou sur son exécution, ces recours devraient être respectivement formés dans l'Etat membre d'origine (art. 34) ou dans l'Etat membre d'exécution (art. 35). Notons que lorsque le défendeur est un consommateur, un salarié ou un assuré, il devrait bénéficier d'un régime dérogatoire. Dans ces cas, en effet, les recours pourraient également être formés auprès de la juridiction compétente de l'Etat membre dans lequel le défendeur est domicilié (art. 36).


(1) Communication de la Commission 98/C 33 au Conseil et au Parlement européen : Vers une efficacité accrue dans l'obtention et l'exécution des décisions au sein de l'Union européenne.
(2) Communiqué IP/06/1460 du 24 octobre 2006.
(3) Conseil européen, Programme de Stockholm - Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, JOUE L 115, 4 mai 2010. Ce programme définit les priorités en matière de sécurité, de liberté et de justice pour la période 2010-2014.
(4) COM(2011) 445 final, 25 juillet 2011.
(5) Un résumé de cette étude est disponible en français (SEC(2011) 938 final, 25 juillet 2011, 10 p.).
(6) Voir également l'exposé des motifs de la proposition de règlement (spéc. pts 1 et 2).
(7) A l'image, par exemple, de la procédure européenne d'injonction de payer visée dans le Règlement (CE) n°1896/2006 du 12 décembre 2006 (N° Lexbase : L1426IRA) (JOUE L 399, 30 décembre 2006).
(8) Résolution du Parlement européen du 10 mai 2011 contenant des recommandations à la Commission sur des propositions de mesures provisoires concernant le gel et la transparence du patrimoine des débiteurs dans les cas transfrontaliers, P7_TA-PROV(2011)0193.
(9) L'avenir dira si les solutions avancées par la Commission européenne, dans cette proposition de Règlement, trouveront un écho favorable, auprès du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne, au moment de l'adoption définitive du Règlement.
(10) A rapprocher avec l'exposé des motifs de la proposition de Règlement, pt 3. 4.
(11) Cet article, sur lequel est fondée la proposition de Règlement, est la base juridique spécifique à l'action de l'Union dans le domaine de la coopération judiciaire civile.
(12) Il est prévu que cette demande soit formulée dans la demande d'OESC (art. 17, § 1).
(13) Règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ("signification ou notification des actes"), et abrogeant le Règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil (N° Lexbase : L4841H3P), JOUE L 324, 10 décembre 2007, p. 79.
(14) L'information du défendeur n'a lieu qu'une fois que l'OESC a produit ses effets.
(15) Sur l'hypothèse de saisie(s) conservatoire(s) de plusieurs comptes, voir l'article 28.
(16) Par ex., la contestation porte sur le respect des conditions de délivrance de l'ordonnance.

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