La lettre juridique n°440 du 19 mai 2011

La lettre juridique - Édition n°440

Éditorial

L'adoption simple et le rapt de Ganymède

Lecture: 6 min

N1596BSW

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


A la lecture de cet arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 mai 2011, on ne peut s'empêcher de penser aux "deux amies", au "sofa" et, singulièrement, aux "amantes" de Henri de Toulouse-Lautrec. Certes, les consoeurs de La Goulue n'avaient sans doute pas de velléités relatives à un quelconque lien juridique entre elles, malgré le profond attachement, si ce n'est amour, qui pouvait les unir. Mais, malgré une dépénalisation révolutionnaire de l'homosexualité et un silence empreint de gêne du Code de 1810, le "siècle bourgeois" aura fait son oeuvre, et revendiquer un lien juridique, semblant marital ou filial, ne traversait pas, pour sûr, les esprits. Et, la solution rendue par la Haute juridiction en ce mois de mai 2011 n'aurait sans doute pas été différente en 1895 : l'adoption simple est impossible entre concubins. Le fondement en est des plus évidents : l'adoption simple établit un lien de filiation entre adoptant et adopté ; aussi, comment voulez-vous que cette procédure, inscrite aux articles 343 et suivants du Code civil, puissent être de mise entre deux concubins, qu'ils soient homosexuels ou non d'ailleurs ?

La décision rapportée n'est assurément pas à mettre dans le même panier que celles qui freinent l'émancipation juridique de l'homosexualité, pour ne pas dire "l'égalitarisme" -les mêmes droits quelle que soit la différence de situations-. Bien que l'affaire portée devant la Cour concernait deux femmes, l'une née le 6 janvier 1928, une contemporaine de la danseuse de l'Alcazar décédée en 1929, et l'autre adoptée simplement par jugement du 18 octobre 2002, la solution eut été assurément la même si elle avait trait à l'adoption d'un genre différent. La plus âgée des deux femmes avait donné à ses neveux et nièces la nue-propriété des parts sociales dont elle était propriétaire dans deux SCI. A la suite de son décès, un litige était né entre sa concubine adoptée et les consorts latéraux, la première demandant la révocation des donations au motif qu'elles avaient, de plein droit, été révoquées par son adoption, et les seconds formant tierce opposition au jugement d'adoption. Dans sa décision du 4 mai 2011, la première chambre civile rappelle que l'adoption simple a pour objet non pas de renforcer des liens d'affection ou d'amitié entre deux personnes ayant des relations sexuelles, mais de consacrer un rapport filial. Aussi, après avoir retenu que l'adoptante et l'adoptée vivaient en concubinage depuis 1990 et que l'adoptante n'avait jamais évoqué l'existence d'un rapport filial, mais aussi, que l'adoption simple leur permettait de contourner les règles civiles régissant les donations entre vifs, la cour d'appel a souverainement apprécié la demande en révocation de l'adoption au regard de la finalité de l'institution, et constaté son détournement.

Pour la Haute juridiction, les choses sont claires : soit la relation en cause est une relation quasi-filiale, soit elle est une relation amoureuse, voire sexuelle. Mais, elle ne peut être les deux à la fois ; et ce, quelle que soit l'orientation sexuelle des protagonistes. La loi avait justement pris garde à ne pas mélanger les genres : une différence d'âge de quinze ans est nécessaire entre l'adopté et l'adoptant -sauf s'il s'agit de l'enfant du conjoint, la différence d'âge est ramenée à dix ans-. Mais, la notion de concubinage, définie comme "une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple", était, jusqu'à l'introduction tardive, en 1999, de l'article 515-8 du Code civil, une notion floue, sans réelle existence. Aussi, il n'est pas étonnant que les deux concubines aient souhaité établir, entre elles, un lien juridique assurant la protection matérielle de la plus jeune. C'est simplement le truchement qui ne fut pas le bon ; à l'adoption simple, les "deux amantes" eurent mieux fait de préférer le pacte civil de solidarité (Pacs). Mais, il faut dire que la plupart des avancées juridiques liées à ce "partenariat de vie" furent adoptées après 2002...

En l'espèce, l'adoption simple était doublement dévoyée : d'une part, parce que la vie de couple supplantait l'idée d'une éventuelle relation filiale ; et, d'autre part, parce que l'adoption simple ne fut qu'un instrumentum servant la cause homosexuelle de l'époque, à savoir la protection matérielle du concubin survivant, en l'absence de tout droit héréditaire. La sanction de la Cour de cassation ne pouvait qu'être des plus fermes.

Pourtant, sur le plan historique, comme sur le plan pratique, il y aurait beaucoup à dire sur cet interdit présenté comme une évidence.

D'abord, parce que la pédérastie désigne, à l'origine, et avant d'être tronquée par les écrits homophobes du XVIème siècle, une institution morale et éducative de la Grèce et de la Rome antiques, des mondes celtes, du Japon féodal, de la Chine, et de l'Italie de la Renaissance... Elle caractérisait une relation particulière entre un homme mûr (adulte) et un jeune garçon (adolescent). Il convient, dès lors, de s'éloigner tant de la destruction de Sodome et Gomorrhe que des bogomiles de Bulgarie de la fin du Xème siècle, pour ne retenir de la relation entre érastes et éromènes, subtilement évoquée sur l'Arc de Triomphe de François Rude, que la formation des élites sur le mode ésotérique, que l'on retrouvera également chez Platon (Le Banquet ou Phèdre). Il est même certain que la relation homosexuelle -pardonnez l'anachronisme conceptuel- chez les grecs anciens n'avait de légitimité, voire de légalité (cf. la grande rhêtra de Lycurgue à Sparte) que du fait de cette sensible différence d'âge. Et, la finalité reconnue de cette relation institutionnalisée sous d'autres temps et d'autres lieux revêtait, assurément, une dimension filiale (sans laquelle Platon condamne la pédérastie dans Les Lois). Par conséquent, concubinage (par étymologie "vivre en relation avec") et filiation faisaient bon ménage. La solution de la Haute juridiction, bien que fondée sur une incompatibilité intrinsèque et incontestable, du point de vue des moeurs du XXIème siècle, n'est, dans son raisonnement, pas absolue. La relation de fait empêche la filiation de droit essentiellement parce que l'adoption simple consacre un rapport affectif filial et que, sauf à revenir sur l'interdit de l'inceste, l'incompatibilité sexuelle entre concubinage et filiation doit être de mise sans exception aucune.

Ensuite, sur le plan pratique, la question de la preuve révèle toute son importance en la matière. En effet, chacun sait combien l'établissement d'un concubinage à l'égard des tiers dépend de la preuve apportée par les concubins eux-mêmes ou ces tiers. Et, cette preuve des faits juridiques pouvant être établie par tous moyens et par quiconque n'est pas toujours des plus simples. En l'absence de certificat de concubinage ou d'acte de communauté de vie, le concubinage est caractérisé par l'existence de relations sexuelles, une communauté de vie (C. civ., art. 515-8), une stabilité et une certaine durée des relations (C. civ., art. 515-8), voire une certaine notoriété (cf. la loi du 6 juillet 1989, relative aux baux d'habitation). A l'inverse, sauf à apporter les preuves des éléments constitutifs du concubinage, celui-ci ne sera pas caractérisé. Et, toute relation amoureuse ou charnelle ne pourra pas subir l'interdit de l'adoption simple ; d'autant que la condition sexuelle n'est pas légale mais implicite ; d'autant que la manifestation d'un rapport filial et protecteur, compte tenu de la différence d'âge et du pygmalionisme naturel, pourrait être aisée à rapporter, voire à créer pour les besoins de la cause... D'où l'on voit que le recours à l'abus de droit et la condamnation du détournement de l'adoption simple sont des armes bien plus utiles que le rappel à la volonté filiale.

Reste comme un goût amer face à l'incurie des pouvoirs publics à ce défaire d'un corpus cultuel propre à ralentir, autant que faire ce peu, une émancipation juridique de l'homosexualité. Sans promouvoir de nouveaux bataillons sacrés de Thèbes, il est "dérangeant" de constater combien les personnes concernées furent, encore une fois, avant les aménagements du Pacs conduisant à une quasi-équivalence juridique et fiscale entre les modes de vie légaux, obligées à des circonvolutions juridiques confinant à l'abus de droit, pour assurer la protection matérielle de leur aimé survivant. Mais au pays des droits l'Homme, l'on oublie souvent de faire ses humanités...

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Éditorial

Taxe de séjour : ne tirez pas sur l'ambulance !

Lecture: 5 min

N1868BTD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 17 Mai 2012


"Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit".

On comprend que les collectivités locales et singulièrement les communes soient sujettes au spleen, devant le déficit abyssal auquel leurs emprunts toxiques les ont conduites (22 milliards d'euros), un spleen tel qu'elles doivent, désormais, trouver de nouvelles ressources, afin de financer leurs infrastructures. Et, si, avec Baudelaire, elles pensent que nous sommes tous des touristes de la vie, la taxe de séjour est, à n'en pas douter, l'une des ces impositions les plus savamment concoctées pour participer au renflouement budgétaire. La taxe est discrétionnaire, affectée, quasi-indolore et, surtout, elle n'est pas supportée par ceux qui sont amenés à voter localement. Bien qu'elle ne représente que 128 millions d'euros, c'est donc "tout bénéf." pour les élus locaux en quête de nouveaux deniers... Rien de plus sain que de faire payer le touriste en mal de soleil, de neige ou d'expériences sportives ou culturelles, pour qu'il contribue à son accueil. Mais de là à vouloir imposer les patients d'un hôpital, il y a un cynisme -ou une bêtise, on ne sait- qui traduit, certes, un désarroi face à la crise des ressources fiscales et financières, mais également une méconnaissance du champ et de l'objet de la taxe de séjour, ce que le dernier rapport parlementaire en date (11 juillet 2001) souligne en évoquant la complexité et le manque de lisibilité de cette imposition ; ce que confirme le rapport d'information sur l'action de l'agence de développement touristique Atout France et la promotion de la "destination France" à l'étranger, de juin 2011.

Il est donc heureux que la Cour de cassation y ait mis bon ordre, le 3 mai 2012. Les juges du Quai de l'Horloge retiennent que les malades d'un hôpital n'y séjournant pas pour les vertus touristiques de la commune dans laquelle il est situé, cet hôpital n'est pas soumis à la taxe de séjour à raison de ces malades. La commune considérait que la taxe de séjour, que certaines communes sont autorisées à percevoir, concerne toute forme d'hébergement à titre onéreux, à l'exception des colonies et centres de vacances collectives d'enfants et est établie sur les personnes qui ne sont pas domiciliées dans la commune et n'y possèdent pas une résidence à raison de laquelle elles sont passibles de la taxe d'habitation. "Les hôtels sont des refuges où le touriste soigne chaque soir son insatisfaction. D'ailleurs l'hôtellerie maintenant compte en lits, comme les hôpitaux" nous livrait Jean Dutourd. Ainsi, sur la foi de Monsieur l'Académicien, la commune s'engouffrait dans la brèche du 7° de l'article R. 2333-44 du Code général des collectivités territoriales qui fait entrer dans le champ d'application de la taxe, après quelques énumérations, finalement toute forme d'hébergement à titre onéreux. Et, le flou de cette disposition conduit inévitablement à des expérimentations plus ou moins hasardeuses en matière d'établissement et de recouvrement de la taxe.

Encore que, dans le cas présent, la commune s'appuyait certainement sur une ancienne jurisprudence du Conseil d'Etat qui, dans un arrêt du 6 juillet 1956, avait estimé que "les malades séjournant dans les hôpitaux [étaient] redevables de la taxe". Les "Sages" du Palais-Royal avaient, en effet, considéré qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte la nature de l'hébergement mais uniquement les exonérations prévues expressément par la loi. Et, sur la base de cet arrêt, on pouvait donc, tout aussi bien, exiger des établissements pénitentiaires ou des écoles, qu'ils perçoivent la taxe sur les personnes qu'ils hébergent ! C'est donc un revirement de jurisprudence auquel se livre la Cour de cassation, s'attachant à l'esprit de la loi comme à celui de la taxe elle -même : le financement de l'accueil des touristes et des infrastructures liées à leur présence dans la commune.

Impôt acquitté par les touristes au bénéfice des touristes et du développement de la station, la taxe de séjour devrait pouvoir asseoir sa légitimité sur un dispositif clair, une juste répartition de la charge et une totale transparence dans l'utilisation du produit. La poursuite de cet objectif ne peut résulter que de la mise en oeuvre d'une réelle simplification de la loi accompagnée des moyens d'en assurer une application juste, rigoureuse et transparente.

Centenaire, d'inspiration germanique -la Kur-taxe était en vigueur en Allemagne et dans l'empire austro-hongrois, en 1910 (le rapprochement fiscal franco-allemand avant l'heure en somme)-, la taxe n'a fait l'objet d'une profonde réforme qu'en 1988. Et, force est de constater que le tourisme, les besoins de financement des infrastructures et la pression fiscale ont considérablement évolué depuis.

D'abord, si en matière de fiscalité, l'on a coutume de parler d'autonomie, afin de déconnecter l'interprétation fiscale des droits civil, social et des affaires (principalement), le principe de réalisme aurait dû conduire l'administration à ne pas persévérer, du moins jusqu'à conduire l'affaire devant la Haute juridiction, pour tenter de recouvrer cette taxe auprès de l'hôpital contribuable. A l'exception des cures, il semble étrange de considérer un patient hospitalisé comme un touriste. Certes, on y vient avec ses valises, on n'y prend des "photos", "le gîte et le couvert" sont assurés en pension complète, mais le coeur n'y est pas et la visite des différents services hospitaliers est loin d'être une excursion prisée. Tout cela relève du bon sens, mais les finances publiques ont leurs raisons que la raison ne semble pas connaître.

Ensuite, et à la décharge des élus locaux réclamant la perception, il faut dire que le régime de la taxe de séjour, laissé finalement à leur discrétion bien que réglementairement encadré, n'est pas des plus intelligibles, comme avait pu le regretter, il y a plus de 10 ans, le rapport d'information déposé au bureau de l'Assemblée nationale, qui tentait de rechercher les moyens d'améliorer le rendement de la taxe de séjour qui constitue une ressource, certes insuffisante, mais néanmoins nécessaire.

Alors, on ne s'étonnera guère de la "bévue" communale, lorsque l'on sait, par une étude réalisée sur la région Rhône-Alpes (étude réalisée en 1999, à la demande de la région, par le cabinet Architecture et Territoires), que, dans 50 % des cas, les délibérations des collectivités locales relatives à la taxe de séjour ne sont pas conformes à la réglementation. Des cas qui n'ont d'ailleurs pas été sanctionnés par le contrôle de légalité ; des cas "d'arrangement avec la loi" qui ont pu être constatés par le rapporteur de l'Assemblée nationale, dans presque toutes les communes visitées au cours de sa mission. Et, ce dernier d'ajouter que cette situation inévitable, compte tenu de l'état actuel de la législation, explique sans doute la discrétion de l'administration quant aux contrôles de légalité.

Aussi, les conditions de son application en France conduisent à la rendre difficilement praticable par les communes et souvent mal acceptée des professionnels du tourisme. La situation qui en résulte est caractérisée par un rendement de l'impôt très inférieur à ce que la fréquentation touristique permettrait d'espérer (128 millions d'euros recouvrés sur 333 millions d'impôt putatif).

Les pistes explorées pour la recherche d'une amélioration de cette situation amènent immanquablement à reconsidérer le dispositif législatif et réglementaire de la taxe ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel s'exercent certaines formes de locations saisonnières.

Ces préconisations qui datent de 2001 sont pour le moment restées lettre morte : à l'heure de la nécessité du rendement et de l'efficacité de l'impôt, sans parler de son acceptation, au-delà du problème du consentement à l'impôt, la chose apparaît des plus regrettables. Et, tirer sur l'ambulance est loin d'être la solution adéquate...

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4ème table ronde : le produit défaillant

[Evénement] La dernière actualité jurisprudentielle

Lecture: 21 min

N1609BSE

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par Maître Annie Velle, Avocat au barreau de Lyon

Le 19 Mai 2011

I - Le contexte général

Il n'existe pas de législation spécifique en France en matière de responsabilité du fait des produits de santé (à la différence de l'Allemagne qui disposait d'un régime spécifique applicable aux fabricants de produits pharmaceutiques issu d'une loi du 24 août 1976).

Le dispositif repose sur la combinaison des règles issues :

  • de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX), qui transpose en droit interne la Directive européenne 85/374 du 25 juillet 1985 N° Lexbase : L9620AUT). et qui est relative à la responsabilité spécifique du fait des produits défectueux (C. civ., art. 1386-1 N° Lexbase : L1494ABX à 1386-18) mis en circulation à compter du 30 juillet 1988.

Il s'agit d'une responsabilité objective fondée, non pas sur la faute, mais sur un défaut du produit.

Il s'agit d'une responsabilité de plein droit, sauf pour le producteur à prouver certains cas d'exonération limitativement énumérés dans l'article 1386-11 du Code civil (N° Lexbase : L1504ABC).

La responsabilité du producteur obéit aux mêmes règles pour toutes les victimes du produit. D'où un dépassement de la dualité des responsabilités délictuelle et contractuelle.

Il ne suffit toutefois pas qu'un produit ait causé un dommage ; encore faut-il que ce dommage soit dû à "un défaut de sécurité du produit".

Aux termes de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3), "un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation".

Autrement dit, le défaut, au sens de la loi du 19 mai 1998, c'est le caractère anormalement dangereux du produit.

  • de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite loi "Kouchner" (N° Lexbase : L1457AXA) qui prévoit le régime de la responsabilité sans faute lorsque le dommage résulte d'un produit de santé (C. santé publ., art. L. 1142-1, I, alinéa 1er N° Lexbase : L1910IEH). Elle vise le défaut du produit de santé, sans définir cette notion.

Cette notion de défaut de produit de santé renvoie aux dispositions du Code civil issues des articles 1386-1 à 1386-18 (responsabilité du fait des produits défectueux)

Existe-t-il un droit spécial inhérent à la responsabilité du fait des produits de santé ?

Il convient de se référer à l'article L. 1110-5, alinéa 3, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0022G9P), relatif à l'obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produit de santé.

L'on peut puiser dans ces textes une certaine marge de manoeuvre, notamment sur la question très sensible de la preuve du défaut et de l'appréciation de celui-ci. Cette marge de manoeuvre n'existe pas dans le champ de la directive, puisque la victime doit prouver le défaut et que ce défaut doit être caractérisé dans les conditions de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3).

Ces deux lois comportent des règles de prescription différentes :

  • loi du 19 mai 1998 : l'action de la victime est soumise à un double délai :

    - trois ans à compter de la connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur (C. civ., art. 1386-17 N° Lexbase : L1510ABK) ;

    - sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci est éteinte dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit (C. civ., art. 1386-16 N° Lexbase : L1509ABI). Il s'agit d'un délai préfix qui ne peut être interrompu ou suspendu.

Le régime est défavorable aux victimes.

  • loi du 4 mars 2002 : dix ans à compter de la consolidation du dommage (qu'il s'agisse d'une responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle et que la compétence soit judiciaire ou administrative).

Il existe, enfin, des régimes spécifiques, tels que, par exemple, le régime des dommages consécutifs aux vaccinations obligatoires, qui prévoit la responsabilité de plein droit de l'Etat, supportée par l'ONIAM, ou encore, depuis la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 (N° Lexbase : L2678IC8), la mise en place d'un dispositif spécifique de règlement amiable des contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C, causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang, avec compétence exclusive depuis le 1er juin 2010 de l'ONIAM pour connaître des demandes d'indemnisation.

II - Le domaine de la responsabilité du fait des produits de santé en pleine construction jurisprudentielle - A titre illustratif....

1. La définition du produit de santé

Il s'agit d'une notion large, le Code de la santé publique définissant le produit comme tout "meuble". Les produits de santé sont des produits à finalité sanitaire destinés à l'homme et incluent, notamment, les médicaments, les produits sanguins labiles (sang total), les organes et cellules sanguines d'origine humaine, les tissus, les cellules...

Il convient de signaler un arrêt important prononcé le 27 janvier 2010 par le Conseil d'Etat (CE, 4° et 5° s-s-r., 27 janvier 2010, n° 313568 N° Lexbase : A7556EQW) :

- les faits : à la suite d'une transplantation cardiaque réalisée auprès d'un Etablissement hospitalier dépendant des HCL, Mme P. a été contaminée par le virus de l'hépatite C dont était porteur le donneur de l'organe précédemment prélevé par le CHU de Besançon.

- après de multiples épisodes de procédure, la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé la responsabilité pour faute du CHU de Besançon retenue par le tribunal administratif de Lyon et admis la responsabilité des HCL, même sans faute de leur part, parce qu'assimilant le coeur transplanté à un produit de santé défectueux (CAA Lyon, 20 décembre 2007, n° 03LY01329 N° Lexbase : A1787ERM). Elle appliquait ainsi la jurisprudence "Marzouk" (CE 5° et 7° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 220437 N° Lexbase : A1898C98), selon laquelle "le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé".

La cour administrative d'appel de Lyon avait considéré l'organe contaminé comme un produit de santé, "eu égard à ses fins thérapeutiques".

la décision du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2010 : par une motivation assez lapidaire, le Conseil d'Etat retient que seule une faute pourra permettre d'engager la responsabilité des hôpitaux qui ont prélevé l'organe et procédé à la transplantation en cas de contamination du bénéficiaire d'une greffe par un agent pathogène dont le donneur était porteur.

Admettre l'application de la responsabilité du fait des produits défectueux, c'était :

- assimiler le greffon contaminé à un "produit" ;
- considérer l'hôpital responsable du prélèvement comme un "producteur" ;
- décider que l'organe avait été mis en circulation.

L'application de la Directive de 1985 aux organes humains ne s'imposait pas d'évidence.

Ainsi, la CJCE avait appliqué la Directive à un vaccin (CJCE, 2 décembre 2009, aff. C-358/08 N° Lexbase : A2771EPC), à un produit de rinçage utilisé à l'occasion de la greffe d'un rein afin de préparer celui-ci à être transplanté (CJCE, 10 mai 2001, aff. C-203/99 N° Lexbase : A4309ATR), à un flacon de sang dont la transfusion a entraîné une contamination par l'hépatite C (CJCE, 25 avril 2002, aff. C-183/00 N° Lexbase : A5768AYB).

La CJCE avait considéré qu'un produit défectueux peut être considéré comme mis en circulation lorsqu'il est par exemple utilisé à l'occasion d'une prestation de service concrète, de nature médicale, consistant à préparer un organe humain en vue de sa transplantation, dès lors que le dommage causé à celui-ci est consécutif à cette préparation (CJCE, 10 mai 2001, préc.).

On s'attendait donc à ce que le Conseil d'Etat posât une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, démarche au demeurant recommandée par le rapporteur public dans ses conclusions.

Au final, considérer que le greffon contaminé échappait au régime communautaire de responsabilité du fait des produits défectueux conduit le Conseil d'Etat à rechercher la responsabilité des hôpitaux mis en cause sur le terrain de la responsabilité pour faute.

2. L'imputabilité du dommage au produit

La victime supporte la charge de la preuve. Aux termes de l'article 1386-9 du Code civil (N° Lexbase : L1502ABA), "le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage".

La question de la preuve du défaut est délicate, puisque ce dernier est apprécié à l'aune de la sécurité légitime à laquelle le patient peut prétendre.

Des décisions récentes marquent une évolution de l'appréhension par la Cour de Cassation du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage :

  • Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) : cet arrêt entérine, pour la première fois, la condamnation d'un laboratoire fabriquant un vaccin anti-hépatite B à indemniser une victime qui a connu une poussée de sclérose en plaques apparue deux mois après l'injection du produit.

Antérieurement, la première chambre civile de la Cour de cassation avait semblé hostile à la mise en cause des laboratoires, compte tenu de l'état actuel des connaissances scientifiques et médicales (Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 01-13.063, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5811C94).

Puis, par six arrêts prononcés le 22 mai 2008, la première chambre civile avait retenu la preuve de l'imputabilité de la sclérose en plaques au vaccin anti-hépatite B, ainsi que le caractère défectueux de ce produit par des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes (Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 N° Lexbase : A7001D8S, n° 06-14.952 N° Lexbase : A7009D84, n° 06-10.967, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7005D8X, n° 05-10.593 N° Lexbase : A6996D8M, n° 06-18.848 N° Lexbase : A7014D8B et n° 07-17.200, F-D N° Lexbase : A7136D8S).

La portée réelle de cet assouplissement semblait toutefois incertaine. Même en admettant le recours aux présomptions, il semblait difficile de rattacher certaines affections à la vaccination anti-hépatite B, en l'absence d'éléments tangibles permettant d'expliquer scientifiquement le déclenchement de ces affections, et presque impossible de prouver le défaut du produit compte tenu du petit nombre de victimes rapporté aux millions de personnes vaccinées sans incident.

Dans l'arrêt prononcé le 9 juillet 2009, la Cour de cassation entérine le raisonnement de la première chambre civile de la cour d'appel de Lyon (dans son arrêt prononcé le 22 novembre 2007) qui avait retenu un faisceau d'indices constituant "des présomptions graves, précises et concordantes" permettant de présumer, par application de l'article 1353 du Code Civil (N° Lexbase : L1017ABB), que la poussée de sclérose en plaques pouvait avoir été causée par l'injection du vaccin anti-hépatite B.

Les conditions de la preuve de l'imputabilité de la poussée à la vaccination sont au nombre de trois selon la Cour de cassation :

1. nous sommes dans une situation d'incertitude scientifique, au sens d'absence de certitude, dans la mesure où l'état des connaissances scientifiques ne permet pas de déterminer l'étiologie de la sclérose en plaques ;

2. l'apparition de la poussée doit se réaliser dans un délai voisin de l'injection (en l'espèce, deux mois) ;

3. les juges doivent rechercher et écarter les autres causes possibles du dommage s'ils veulent faire jouer la présomption d'imputabilité : en l'espèce, les juges avaient relevé l'absence d'antécédents familiaux et personnels de la victime.

Quant au défaut de sécurité du produit, la Cour de cassation entérine le raisonnement de la cour d'appel de Lyon qui avait relevé que le dictionnaire médical Vidal, comme la notice actuelle de présentation du vaccin, fait figurer au nombre des effets secondaires indésirables possibles du produit la poussée de sclérose en plaques. Or, la notice de présentation du produit litigieux ne contenait pas cette information.

C'est donc en raison d'une insuffisance dans l'information communiquée aux patients sur les risques éventuels liés à la vaccination que la défectuosité est établie, et non en raison d'une inversion du bilan coût-avantage de la vaccination.

Conséquence : seules les victimes vaccinées avec des produits mis en circulation avant la révision de la notice, intervenue le 3 décembre 1996, pourront donc être indemnisées.

Pour toutes celles qui ont été vaccinées après cette date, elles ne le seront pas nécessairement, car il faudra établir la défectuosité intrinsèque du vaccin. Or, en l'état actuel des connaissances scientifiques, il ne semble pas possible de remettre en cause la non-défectuosité du vaccin, tant qu'une inversion du bilan coût-avantage de la vaccination n'aura pas été constatée (en ce sens, Cass. civ. 1, 22 mai 2008, préc. ; CA Paris, 19 juin 2009, n° 06/13741 N° Lexbase : A5486EIZ).

Toutefois, ces victimes qui ne parviendraient pas à engager la responsabilité du producteur, notamment parce qu'elles échoueraient à prouver le défaut du vaccin -pour celles qui ont subi un acte de prévention à compter du 5 septembre 2001 (date d'application du dispositif d'indemnisation mis en place par la loi du 4 mars 2002)- pourront être indemnisées par l'ONIAM à condition toutefois que les séquelles conservées atteignent le seuil de gravité exigé par l'article D. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2332IP3). Appliquée à la vaccination anti-hépatite B, il suffit d'établir l'imputabilité directe du dommage à l'acte de vaccination (dans les conditions précisées par l'arrêt du 9 juillet 2009) pour que la victime soit indemnisée, sans qu'il soit nécessaire d'établir ici la défectuosité du vaccin.

En l'état actuel des textes et de la jurisprudence, demeurent sans indemnisation les victimes vaccinées avant le 5 septembre 2001 et ne relevant ni du régime d'indemnisation des vaccinations obligatoires, ni du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, et dès lors que la vaccin injecté a été mis en circulation après le 3 décembre 1996.

Certains auteurs préconisent dans ce contexte une modification du Code de la santé publique afin d'ouvrir droit à une indemnisation, au titre de la solidarité nationale, de manière à ce que toutes les victimes de ces affections soit traitées de manière égale, quelles que soient la date de la vaccination et les circonstances de celles-ci. Ce qui reviendrait à leur étendre le bénéfice du régime d'indemnisation des victimes de vaccinations obligatoires.

  • Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, deux arrêts, n° 08-10.081 (N° Lexbase : A3172EL3) et n° 08-16.305 (N° Lexbase : A3175EL8), FS-P+B : par ces deux arrêts du 24 septembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée dans les affaires dites "du Distilbène"

Rappel des faits : ces affaires mettent en cause une molécule, appelée diéthylstilbestrol (DES). Cette hormone, commercialisée par deux laboratoires sous deux appellations commerciales distinctes, a été massivement prescrite aux femmes pour diminuer les risques de fausses couches ou d'accouchements prématurés. Sont apparues chez les enfants de ces femmes (principalement chez les filles) des malformations génitales, des cancers du vagin ou des risques de stérilité. L'administration de l'hormone a été interdite en France en 1977.

Dans de nombreuses hypothèses, les ravages du DES ne se manifestent que tardivement, soit au moment de la puberté, soit lorsque ces jeunes femmes décident d'avoir des enfants, ce qui complique d'autant la preuve de l'exposition à l'hormone compte tenu de l'allongement de l'âge moyen du premier enfant constaté ces dernières années.

Dans la première espèce, une femme née en 1965 apprit en juin 1988 qu'elle était atteinte d'un adénocarcinome (tumeur maligne) à cellules claires du col utérin, qu'elle imputa à la prise par sa mère durant sa grossesse de Distilbène.

Elle assigna alors son fabricant, la Société UCB Pharma, mais également la Société NOVARTIS Santé familiale, fabricant de l'autre produit disponible sur le marché, sans avoir toutefois été en mesure de fournir de preuve directe que sa mère s'était vu administrer du DES pendant sa grossesse, ce qui avait conduit la cour d'appel de Versailles à la débouter de ses demandes dans un arrêt du 29 novembre 2007.

En l'espèce, la victime n'avait pas été en mesure de produire le dossier médical de sa mère, détruit lors d'un incendie en 1980, ni aucune prescription médicale de DES. Elle avait simplement fourni une attestation de sa mère par laquelle celle-ci jurait sur l'honneur avoir pris du Distilbène. ; le document avait été jugé "d'une faible force probante" par la cour d'appel de Versailles. La cour d'appel avait débouté la demanderesse en indiquant que les attestations de mémoire de sa mère, non confortées par des documents médicaux source contemporains de sa grossesse, ne peuvent donc être administrés comme preuve de l'exposition au Distilbène durant la grossesse de sa mère, ni au titre des présomptions graves, précises et concordantes, exigées par l'article 1353 du Code civil.

La motivation retenue par la Cour était la suivante : "il appartenait à la requérante de prouver qu'elle avait été exposé au médicament litigieux dès lors qu'il n'était pas établi que le DSB était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait". La solution se justifie donc par le fait que la pathologie en cause, à savoir un adénocarcinome (tumeur maligne) à cellules claires du col utérin, pouvait avoir d'autres causes que l'exposition au DES, et que la patiente n'était ni en mesure d'écarter ces autres causes, ni de prouver avec certitude avoir été exposé in utero au DES.

Cette analyse est conforme aux solutions adoptées par la Cour de cassation lorsqu'elle recourt à des présomptions pour établir l'imputabilité d'un dommage à un évènement donné, puisque c'est l'élimination des autres causes possibles de ce dommage qui rend vraisemblable l'origine que l'on cherche à établir.

La seconde espèce était assez similaire. Egalement née en 1965, une jeune femme avait elle aussi présenté un adénocarcinome (tumeur maligne) à cellules claires du col utérin qui avait été décelé et opéré en 1986.

Elle avait également été déboutée en appel de ses demandes, car elle n'avait pas été en mesure de rapporter la preuve directe de son exposition au DES, sa mère n'ayant conservé aucun document de l'époque, le médecin ayant suivi la grossesse étant entre-temps décédé et la pharmacie censée avoir délivré le médicament ne présentant aucune archive probante. La demanderesse ne pouvait se fonder que sur une mention portée sur son carnet de santé par sa mère, sans aucune datation possible, et par une attestation sur l'honneur.

La cour d'appel de Versailles, par un arrêt prononcé le 10 avril 2008, avait écarté ces éléments en raison de leur faible force probante et du lien unissant le témoin à la demanderesse (CA Versailles, 3ème ch., 10 avril 2008, n° 07/02477, SA N° Lexbase : A1645D9S).

L'arrêt sera pourtant cassé par la Cour de cassation pour violation des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) du Code civil, les juges ayant "constaté que le DES avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que la requérante avait bien été exposée in utero à la molécule litigieuse, de sorte qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage".

Dans cette affaire, les experts missionnés avaient exclu que la pathologie dont souffrait la requérante puisse avoir une autre cause que l'exposition au DES. D'où une différence capitale avec l'affaire précédente dans laquelle les experts avaient considéré que la pathologie pouvait avoir d'autres causes. A partir du moment où la seule cause possible du dommage était l'exposition au DES, alors l'imputabilité pouvait valablement être présumée en dépit de l'absence de preuve documentaire directe.

Demeurait ensuite la difficulté tirée de l'existence de deux médicaments potentiellement en cause et de l'impossibilité d'imputer le dommage plus précisément à l'un d'entre eux. Pour sortir de cette impasse, la Cour de cassation a fait ici application de la jurisprudence concernant les dommages causés par le membre indéterminé d'un groupe déterminé, à moins qu'il ne prouve n'avoir pas causé le dommage.

En conséquence, une fois l'imputabilité de l'affection au DES admise, chaque fabriquant est présumé responsable de l'entier dommage, dans la mesure où il est susceptible de l'avoir causé, à moins qu'il n'établisse avec certitude qu'il n'a pas pu causer le dommage.

Cette jurisprudence, très favorable aux victimes, tient du tour de passe passe juridique, car elle repose sur un doute portant sur le principe même de la participation de l'un des deux à l'action dommageable. L'on n'est donc plus dans les hypothèses d'action collective (ex. : groupe de chasseurs ou de délinquants) qui repose sur la certitude que chaque membre du groupe a pu commettre l'action.

La différence de traitement entre les deux espèces est choquante, car elle revient à laisser les juges du fond décider souverainement s'il y a lieu ou non de condamner les laboratoires, dès lors qu'ils ont respecté les consignes méthodologiques fixées par la Cour de cassation. Les experts apparaissent peser très lourd dans le débat judiciaire.

  • Cass. civ. 1, 25 novembre 2010, n° 09-16.556, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3357GLW) : par cet arrêt en date du 25 novembre 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel de Paris avait estimé souverainement que les faits relevés ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes, en sorte que n'était pas établie une corrélation entre l'affection de la demanderesse et la vaccination.

En l'espèce, une femme avait été vaccinée contre l'hépatite B les 29 juin 1994, 13 janvier 1995 et 12 juin 1995 avec le vaccin Genhévac B fabriqué par la société Pasteur Vaccins, devenue Sanofi Pasteur MSD. Elle a présenté quinze jours après la dernière injection des symptômes qui ont abouti, en juillet 1996, au diagnostic de la sclérose en plaques.

La première chambre civile de la Cour de cassation laisse ainsi aux juges du fond, dès lors qu'ils se situent dans le cadre de la recherche des présomptions graves, précises et concordantes, toute latitude pour conclure souverainement à l'existence ou non d'une "corrélation" entre la vaccination et l'affection en cause.

Nous sommes ainsi dans une justice au cas par cas qui laisse les victimes dans une situation de désarroi, les laboratoires dans l'incompréhension et les juges du fond dans une situation de malaise.

Certains auteurs appellent à une intervention du législateur afin de clarifier cette question de la preuve de l'imputabilité de la vaccination à l'affection en cause (exemple : les victimes contaminées par le VIH ou le HIV qui bénéficient d'une présomption d'imputabilité).

3. La résistance des juridictions administratives à l'application de la loi du 19 mai 1998

3.1. Il convient, également, de relever une résistance des juridictions administratives à l'application de la loi du 19 mai 1998, illustrée par un arrêt de la cour administrative de Nancy du 26 février 2009 (CAA Nancy, 3ème ch., 26 février 2009, n° 07NC00691 N° Lexbase : A5646EDH).

Les faits consistent en des brûlures occasionnées à un enfant âgé de treize ans au cours d'une intervention chirurgicale pratiquée en octobre 2000 au sein du CHU de Besançon, du fait d'un matelas chauffant sur lequel il avait été installé.

La cour considère que "le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, et ce sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le fabricant du matériel en cause peut être identifié, ce régime spécial de responsabilité étant distinct du régime général de responsabilité du fait des produits défectueux dont les principes résultent de la Directive communautaire 85/374 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), actuellement transposée en droit interne par les articles 1386-1(N° Lexbase : L1494ABX) et suivants du Code civil ; que son existence est compatible avec les objectifs de ladite directive, dont l'article 13 dispose qu'elle ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre d'un régime spécial de responsabilité préexistant".

Ainsi, afin de contourner la Directive et la loi de transposition, la cour vise l'article 13 de la Directive lequel prévoit que :

"la présente Directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente Directive (soit le 30 juillet 1985)".

Cet arrêt est une confirmation de la jurisprudence "Marzouk" du Conseil d'Etat (arrêt du 9 juillet 2003 précité), la Haute Juridiction ayant considéré que le service public hospitalier était responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise (en l'espèce, la défaillance d'un respirateur artificiel). Lors du prononcé de cet arrêt, la Directive de 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux n'était pas applicable, le produit ayant été mis en circulation antérieurement au 30 juillet 1988. De sorte que le Conseil d'Etat n'avait pas à examiner la question de l'application de la Directive.

Cet arrêt a été confirmé par le Conseil d'Etat dans un arrêt "Dumas" du 15 juillet 2004, dans la circonstance de la rupture d'une tige fémoro-tibiale en titane posée lors d'une arthrodèse (CE 5° et 4° s-s-r., 15 juillet 2004, n° 252551 N° Lexbase : A2889HRG).

3.2 - A noter, toutefois, que cette position n'a pas été reprise par la cour administrative d'appel de Lyon, dans un arrêt prononcé le 9 avril 2010 (CAA Lyon, 6ème ch., 9 avril 2010, n° 07LY00716 N° Lexbase : A5071EX4) : dans cette espèce, une personne a fait l'objet, le 21 octobre 2003, d'une intervention chirurgicale au CH de Givors aux fins de pose d'une prothèse totale de la hanche droite. La tête en céramique de cette prothèse s'est cassée le 12 mai 2004, nécessitant son remplacement par une autre prothèse.

Le tribunal administratif de Lyon avait retenu la responsabilité sans faute du CH de Givors du fait de la défaillance de cette première prothèse.

La cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement "considérant qu'il résulte des objectifs de la Directive communautaire n° 85/374 du 25 juillet 1985, actuellement transposée aux articles 1386-1 et suivants du Code civil, que lorsqu'un Centre Hospitalier a fourni un produit défectueux à un patient, et que le producteur est connu, seul ce dernier est susceptible de répondre de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit ; que dès lors que le producteur de la prothèse dont le patient incrimine la défectuosité lui est connu, il n'est pas recevable à rechercher la responsabilité sans faute du CH de Givors, qui n'en était que fournisseur".

3.3 - Sur pourvoi du centre hospitalier mis en cause (en l'occurrence, le CHU de Besançon), l'arrêt prononcé le 26 févier 2009 par la cour administrative d'appel de Nancy a été déféré au Conseil d'Etat (CAA Nancy, 3ème ch., 26 février 2009, n° 07NC00691 N° Lexbase : A5646EDH).

Par un arrêt prononcé le 4 octobre 2010 (CE 4° et 5° s-s-r., 4 octobre 2010, n° 327449 N° Lexbase : A3527GBA), le Conseil d'Etat a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, libellée comme suit :

"- compte tenu des dispositions de l'article 13, la Directive du 25 juillet 1985 permet-elle la mise en oeuvre d'un régime de responsabilité fondé sur la situation particulière des patients des établissements publics de santé, en tant qu'il leur reconnaît notamment le droit d'obtenir de ces établissements, en l'absence même de faute de ceux-ci, la réparation des dommages causés par la défaillance des produits et appareils qu'ils utilisent, sans préjudice de la possibilité pour l'établissement d'exercer un recours en garantie contre le producteur.

- la Directive limite-t-elle la possibilité pour les Etats membres de définir la responsabilité des personnes qui utilisent des appareils ou produits défectueux dans le cadre d'une prestation de services et causent, ce faisant, des dommages au bénéficiaire de la prestation ?".

Autrement dit, s'il est répondu négativement à la première question par la CJUE, le régime de responsabilité défini par la Directive concerne-t-il, outre les dommages subis par les utilisateurs des produits défectueux, mais aussi ceux qu'un utilisateur a pu causer à un tiers, notamment dans le cadre d'une prestation de service au bénéfice de ce dernier ?

A suivre donc en fonction de la position qui sera prise par la Cour de justice de l'Union européenne...

En synthèse, l'on peut citer que "presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies" (Molière, extrait du Malade Imaginaire).

Un système de santé nécessite la plus grande des sécurités en ce qu'il consacre ce qu'il y a de plus sacré chez l'homme (la naissance - la vie - la mort).

Et parce que l'on touche au sacré et à l'essence même de l'homme, un cadre juridique adéquat apparaît désormais comme une nécessité absolue. Ce cadre juridique renvoie en tout état de cause à une réflexion plus philosophique sur la notion de patient. Doit-il être assimilé à un "consommateur" ?

Lors de la transposition de la Directive communautaire dans le dispositif législatif français, un premier débat s'était engagé de savoir si les éléments et produits du corps humain devaient être assimilés à des produits. La Directive ne distinguant nullement entre les différents produits, ils furent intégrés dans le dispositif législatif.

En tout état de cause, les "empilements" de textes actuels -sources d'interprétations jurisprudentielles- n'apportent aucune sécurité aux producteurs et fournisseurs de produits de santé, pas plus qu'aux victimes.

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Avocats

[Manifestations à venir] 62ème Congrès des avocats allemands (Deutscher Anwaltstag)

Lecture: 1 min

N2825BSG

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Le 19 Mai 2011

A l'invitation de l'Ordre des avocats de Strasbourg, le 62ème Congrès des avocats allemands (Deutscher Anwaltstag) se tiendra du 2 au 4 juin 2011 à Strasbourg. Pour rendre hommage à la vocation européenne de la ville, le congrès 2011 s'articulera autour du thème directeur : Avocats en Europe - Partenaires sans frontières. C'est dans cet esprit que sera traité un grand nombre de questions liées à la fois au droit et à la pratique, susceptibles d'intéresser autant les avocats français que les avocats allemands. Une traduction simultanée en français sera assurée pour de nombreuses manifestations. Le Congrès des avocats allemands est organisé chaque année dans une ville différente par L'association des avocats allemands (le DAV, Deutscher Anwaltverein, association regroupant 68.000 adhérents volontaires). Réunissant quelque 1 800 avocats qui s'y rencontrent pour des échanges professionnels, il s'agit de la plus grande manifestation du genre en Allemagne. Cette année, pour la première fois de son histoire, le Congrès se tient en dehors des frontières de l'Allemagne, à Strasbourg.
  • Programme

Vous pouvez télécharger le programme de ce congrès à l'adresse suivante www.anwaltstag.de

  • Date

Jeudi 2 juin 2011 au samedi 4 juin 2011

  • Lieu

Strasbourg

  • Tarif

Tous les avocats domiciliés en France bénéficieront du tarif d'inscription préférentiel réservé aux membres du Deutscher Anwaltverein.

  • Renseignements et inscriptions

www.anwaltstag.de

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Eric Devaux, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Béthune

Lecture: 9 min

N2812BSX

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 20 Mai 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des Barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le Barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Eric Devaux, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Béthune. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Béthune ?

Eric Devaux : Le barreau de Béthune est un barreau de taille moyenne, jeune et assez féminisé, comptant un peu plus d'une centaine d'avocats inscrits, essentiellement généralistes.

La particularité locale que nous avons est l'importance de la population sur le ressort ce qui fait d'une part, que l'activité est très importante au tribunal de grande instance et, d'autre part, que nous avons un énorme pourcentage d'aide juridictionnelle (5ème ou 6ème rang au niveau national). Aussi l'actualité récente, notamment la garde à vue, a un impact fort sur notre activité puisque une forte population a pour corollaire une forte délinquance...

Et comme il y a beaucoup d'intervention dans le cadre du secteur assisté nous rencontrons des difficultés particulières et non négligeables dans la mise en oeuvre de la réforme.

Le barreau de Béthune est un barreau très réactif et très motivé.

L'ambiance et l'état d'esprit qui nous animent sont particuliers et ont toujours fait envie aux barreaux limitrophes et même plus lointains. En effet, nous avons toujours privilégié une excellente ambiance interne, une grande convivialité, une grande confraternité, une grande ouverture pour les confrères extérieurs, un excellent accueil, ce qui n'est pas toujours le cas dans tous les barreaux. Tous ces éléments là ont toujours été l'une des caractéristiques du barreau de Béthune et malgré le renouvellement des générations cela ne change pas et je m'en félicite.

Lexbase : Bâtonnier depuis le 1er janvier 2011, quels sont les objectifs que vous visez durant ces deux années de mandat ?

Eric Devaux : L'objectif principal est d'essayer de faire face et c'est déjà beaucoup tant sur l'année en cours que sur l'année à venir !

Il faut faire face aux deux énormes réformes auxquelles on est et on sera confronté : la garde à vue et la réforme des cours d'appel. Il n'y a pas de quoi s'amuser, ni de quoi se réjouir particulièrement ; c'est difficile à mettre en oeuvre pour la garde à vue et cela le sera tout autant pour la procédure d'appel.

C'est déjà un beau programme. Et pour le reste, je tenterai de pérenniser la tradition béthunoise : faire face à toutes les difficultés qui peuvent surgir là où on ne les attend pas forcément et puis préserver l'ambiance du barreau. Je considère que le barreau est une espèce de grande famille et je n'aime pas les familles lorsqu'elles se déchirent ; j'aime lorsqu'il y a une solidarité, une réactivité qui fait que lorsque l'un faiblit, l'autre le prend en charge.

Enfin, je souhaite continuer les travaux commencés sous mon prédécesseur, mais poursuivis activement depuis janvier, visant à réunir les CARPA de la quasi-totalité des Barreaux du Nord-Pas-de-Calais, à l'exception de Lille. Ce projet de fusion doit se concrétiser au 1er juillet 2011 par la création de la CARPA des Hauts de France. C'est évidemment un projet important pour nos barreaux qui a mobilisé l'énergie des Bâtonniers et présidents de CARPA du ressort, lesquels se sont à de nombreuses reprises réunis à Béthune, siège de la future CARPA, pour résoudre au fur et à mesure les nombreux problèmes posés par la création de cette nouvelle structure.

A une époque où la profession subit des réformes et des décisions qu'elle n'a pas toujours voulues, il est important de noter que nous pouvons aussi travailler ensemble avec la création d'organismes ou d'institutions utiles à la Profession.

On ne peut que se féliciter de voir des barreaux coopérer pour élaborer un projet commun conforme à leurs attentes.

Lexbase : Les arrêts rendus par l'Assemblée plénière le 15 avril dernier (1) ont quelque peu précipité la mise en place de la réforme de la garde à vue. Comment s'organise le barreau de Béthune ?

Eric Devaux : Concernant cette réforme on a pris l'habitude de dire que c'est le barreau qui l'a voulue et que c'est à lui de l'assumer : c'est à la fois vrai et faux.

C'est, évidemment, le barreau qui a toujours dit qu'il fallait modifier les données qui composent la garde à vue, telle qu'elle existait précédemment. Mais cette réforme est également conditionnée tant par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, que par celle de la Cour européenne des droits de l'Homme (2). Ce n'est pas le barreau aujourd'hui, avec la faible efficacité, la faible aura dont il jouit qui est en mesure de créer ou de susciter un texte de loi quel qu'il soit. Nous sommes d'accord pour dire que c'est une bonne réforme. Cela fait vingt-cinq ans que je fais ce métier, et vingt-cinq ans que j'entends dire que les gardes à vue se déroulent dans des conditions parfois très critiquables, indignes, que la pression effectuée, même par des policiers consciencieux, était susceptible d'entraîner sur des gens faibles ou fatigués des aveux qui, derrière, les liaient dans le cadre du débat judiciaire.

Donc nous ne pouvons que nous satisfaire de l'instauration de cette réforme et de l'intervention, même dans des conditions réduites et minimales, de l'avocat pendant la phase d'enquête.

Mais maintenant il faut l'assumer ! Pour l'assumer, très clairement des barreaux comme le nôtre (comme ceux de Boulogne ou Valenciennes, par exemple), qui regroupent une centaine d'avocats dans un ressort où il y a beaucoup de population et pas mal de délinquance, sont des barreaux où la mise en oeuvre de la réforme est très difficile. Dans un petit barreau, il n'y a pas beaucoup d'avocats et pas beaucoup de délinquance et les choses sont gérables ; dans un grand barreau il y a peut être beaucoup de délinquance mais il y a surtout beaucoup d'avocats pour assumer la charge et c'est plus facile à gérer également.

Très localement, comment avons-nous fait ?

D'entrée de jeux nous avons pris à la lettre les décisions de l'Assemblée plénière du 15 avril, (que nous n'avions pas forcément vu venir notamment en termes de conséquences...).

Nous avons aussitôt organisé un conseil de l'Ordre exceptionnel et décidé qu'il n'était pas question de ne pas y aller tout de suite et surtout qu'il fallait y aller à fond !

Nous avions bien compris qu'il y allait avoir une période intermédiaire assez floue entre ce 15 avril et le 1er juin, date normale de mise en oeuvre du texte de loi du 14 avril 2011 (3). Pendant cette période de flou, nous avons décidé de continuer avec le système qui était mis en place précédemment, c'est-à-dire trois avocats volontaires de permanence par semaine plus deux volontaires qui viendraient épauler l'équipe de base, ces volontaires étant choisis principalement au sein du conseil de l'Ordre avec cette particularité, et j'ai été très clair là-dessus que, d'une part, il fallait qu'il y ait des volontaires et, d'autre part, qu'ils risquaient fort de ne pas être payés. Les nouvelles données financières ne seront appliquées qu'au 1er juin, selon la loi du 14 avril, et pour cette période intermédiaire ceux qui vont faire face à cette obligation nouvelle ne pourront être payés dans les conditions nouvelles. Néanmoins j'ai eu suffisamment de confrères volontaires tout de suite, pour faire face immédiatement à la nouvelle contrainte. Ainsi, depuis le 15 avril, nous assumons avec des volontaires les permanences de garde à vue.

Il a été convenu avec cette équipe de permanence, qui correspond aujourd'hui à 2/5ème du barreau, de faire des permanences d'une semaine à 5 ou 6 avocats, toutes permanences pénales confondues avec un coordinateur, membre du conseil de l'Ordre, qui recueille tous les appels téléphoniques et les attribue ensuite aux avocats de permanence, en fonction de leur emploi du temps, de la charge qu'ils ont déjà assumée, de leur localisation et du point de chute de la garde à vue. Depuis le 15 avril cela fonctionne. Nous nous sommes donnés quelques semaines pour voir quelles seraient les difficultés que nous allions nécessairement rencontrer, quels étaient les point qu'il faudrait sans doute modifier. Mais pour l'instant le barreau de Béthune assume, bien que cela soit évidemment très lourd.

A titre d'exemple, dans la nuit du 15 au 16 avril, il y a eu quatre confrères qui sont allés assumer des gardes à vue au commissariat de Lens en pleine nuit ; ils sont arrivés vers 23 heures et sont sortis vers 4-5 heures du matin. Et depuis c'est quasiment chaque jour pareil. C'est-à-dire que les gardes à vue sont souvent la nuit, à des horaires très décalés par rapport aux horaires de travail "normaux" avec des laps de temps assez importants. La garde à vue d'une demi-heure est assez résiduelle ! Lorsque un avocat se rend en garde à vue et qu'il assure l'entretien, la première audition, les délais inévitables d'attente, de mise en place, d'organisation, le temps consacré atteint facilement trois à cinq heures.

Lexbase : Quel est votre avis sur le financement proposé de cette nouvelle garde à vue ?

Eric Devaux : Je note que ce que la Chancellerie a proposé n'est pas très éloigné de ce que le Conseil national des barreaux demandait. Donc je ne trouve pas la proposition totalement ridicule, je dis simplement qu'il faudra voir à l'usage comment cela se passe. La proposition telle qu'elle a été présentée par la Chancellerie repose sur l'idée qu'on peut forfaitiser l'intervention de l'avocat sur trois heures. Si d'expérience il s'avère que les gardes à vue génèrent des temps de présence ou des temps d'audition beaucoup plus importants que ceux qui avaient été jaugés dans le cadre des discussions, il faudra en tirer les conséquence qui s'imposent : tout travail méritant une rémunération juste, dans cette hypothèse là il me paraîtra nécessaire de rediscuter du montant de l'indemnisation proposée par la Chancellerie. Cela n'est pas d'actualité immédiate ; je pense qu'il faut se laisser quelques mois de recul pour voir à quoi correspond en moyenne la charge des nouvelles gardes à vue (tout en sachant que l'Etat a des limites et qu'il a déjà programmé un moyen de se rembourser en faisant supporter par chaque justiciable tout ou partie du nouveau coût de la garde à vue, ce qui de mon point de vue est quand même un petit peu anormal...).

Lexbase : L'acte contresigné d'avocat a fait son entrée dans le paysage juridique français le 28 mars dernier (4). Comment appréhendez-vous ce nouvel outil ?

Eric Devaux : Je considère que tout ce qui donne à la Profession une nouveauté en termes de potentiel d'activité est quelque chose de bien.

En effet, nous avons, quand même, tendance à voir notre périmètre d'intervention constamment réduit, diminué, décortiqué ; aussi lorsque on nous donne une possibilité d'intervention nouvelle, nous ne pouvons que nous en féliciter. Ceci dit, personnellement j'attends encore que l'on m'explique très concrètement tous les avantages présentés par cet acte. J'en conçois quelques uns, en particulier en matière familiale, j'en aperçois quelques autres, mais j'avoue que mon imagination est une imagination de juriste et donc elle est assez courte ! Je ne suis pas sûr que nous en ayons, nous généralistes avec une activité judiciaire assez classique, un usage très fréquent, mais j'espère me tromper. Et si c'est le cas je ne pourrai que m'en satisfaire, car cela voudrait donc dire que mon activité peut se développer sous un angle que je n'avais pas prévu au départ ! Au final, j'attends encore qu'on me donne quelques arguments pour être convaincu.

Lexbase : La Convention nationale des avocats se tiendra à Nantes en octobre prochain. Quelles sont les attentes du barreau de Béthune sur cet évènement ?

Eric Devaux : Le barreau de Béthune étant toujours très actif et très réactif, tout a été fait pour qu'au moins une bonne trentaine d'avocats soient présents lors de cette manifestation.

Et nous attendons beaucoup de ce qui sera dit sur les thèmes d'actualité tels que la réforme de la garde à vue, notamment la confrontation avec les autres barreaux, les initiatives locales qui ont été prises, ou encore l'acte d'avocat. Le rendez-vous sera également l'occasion de confronter nos craintes et nos angoisses vis-à-vis de la nouvelle réforme de la procédure d'appel qui sera mise en oeuvre deux mois plus tard et qui, elle aussi, va modifier les modes d'intervention, la pratique de tous les cabinets puisque tous les cabinets ont des procédures d'appel en cours. Donc comment faire ? Dans quelles conditions ? Avec qui ? Quelle est l'attitude qui va être adoptée par nos clients ? Tout cela reste encore assez flou aujourd'hui et selon les réponses à ces questions, il faudra que, dans les cabinets, un travail important soit fait pour assumer cette nouvelle charge, cette nouvelle responsabilité au 1er janvier 2012. Très clairement, si les institutionnels restent avec leur réseau d'avocats et invitent leur avocat à conserver le dossier en appel et à tout gérer, nous allons forcément avoir un volume d'affaires constant et il va faudra assumer les contraintes de procédures propres à l'appel (aujourd'hui encadré dans des délais extrêmement courts avec des sanctions redoutables).

Il faut que l'avocat soit prêt, que le personnel du cabinet soit prêt. Cela induit un mode de fonctionnement plus resserré, plus exigeant que celui que nous avons aujourd'hui puisque nous ne pourrons plus nous reposer sur la vigilance de l'avoué pour nous avertir en temps utile des délais à respecter.


(1) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4) ; n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7) ; n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8).
(2) CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 (N° Lexbase : A3220EPX) ; CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03 (N° Lexbase : A3221EPY) ; Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P) ; Cass. crim., 19 octobre 2010, 3 arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY).
(3) Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN).
(4) Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions juridiques ou judiciaires et certaines professions réglementées ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 4680452, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "LOI n\u00b0 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions r\u00e9glement\u00e9es (1)", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L8851IPI"}}).

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Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] La Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence relative à l'action en requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 5 mai 2011, n° 10-10.818, F-D (N° Lexbase : A2675HQ7)

Lecture: 6 min

N2775BSL

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par Xavier Berjot, avocat associé Ocean Avocats

Le 19 Mai 2011


Dans un arrêt du 5 mai 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation semble réaffirmer la solution dégagée par la première chambre civile, dans son arrêt du 14 mai 2009 (1), selon laquelle l'impossibilité, pour le collaborateur libéral, de développer effectivement une clientèle personnelle caractérise un contrat de travail. Bien qu'il s'agisse, en l'espèce, d'un arrêt de rejet, de surcroît non publié, la Chambre sociale reprend les principes désormais bien établis en matière de requalification du contrat de collaboration libérale de l'avocat en contrat de travail.

I - Bref exposé des faits

Mme X, initialement engagée comme avocate salariée au sein du cabinet Archibald Andersen, travaillait sous la responsabilité de M. Y dans le département des fusions-acquisitions.

Au début de l'année 2003, M. Y a rejoint le cabinet Mayer Brown avec une équipe de quatre autres avocats, dont Mme X, qui a donc démissionné de son poste d'avocate salariée, le 10 janvier 2003.

Mme X a par la suite été engagée en qualité de collaboratrice libérale par le cabinet Mayer Brown, qui a résilié le contrat de collaboration cinq ans après, le 28 mai 2008.

C'est dans ces conditions que Mme X a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris pour faire juger que son contrat de travail avait été transmis au cabinet Mayer Brown en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) et, en tout état de cause, qu'elle exerçait à titre d'avocate salariée.

Dans une décision du 9 janvier 2009, le délégué du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris a rejeté les demandes de Mme X, et sa décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 24 novembre 2009.

II - La solution de l'arrêt du 5 mai 2011

Dans son arrêt, la Cour de cassation rejette l'intégralité des moyens soulevés par Mme X à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris.

Concernant la transmission de son contrat de travail du cabinet Archibald Andersen au cabinet Mayer Brown, la Cour de cassation considère que la cour d'appel a justement relevé que le départ de Mme X procédait de sa démission et de sa volonté de poursuivre ailleurs son activité professionnelle et qu'elle ne formait pas avec les autres avocats, partis en même temps qu'elle, une équipe dédiée à une activité déterminée.

Par ailleurs, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir rejeté la demande de requalification de Mme X, énonçant notamment que celle-ci "avait été engagée en vertu d'un contrat de collaboration libérale qui l'autorisait à créer ou développer une clientèle personnelle, qu'elle avait d'ailleurs poursuivi au sein du cabinet le traitement des dossiers dont elle était chargée, que le temps de travail imposé n'était pas incompatible avec le développement d'une clientèle personnelle, qu'elle ne justifiait pas d'instructions reçues du cabinet et disposait librement de son temps [...]".

III - L'analyse de l'arrêt

  • Sur le transfert du contrat de travail en vertu de l'article L. 1224-1 du Code du travail

L'article L. 1224-1 du Code du travail dispose que "lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur [...] tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise".

Selon la Cour de cassation, ce texte (anciennement l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail N° Lexbase : L5562ACY) s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est reprise (2).

Or, en l'espèce, la cour d'appel avait relevé que Mme X et son équipe, sous la direction de M. Y ne constituaient pas une entité économique autonome, ni une entité économique conservant son identité dès lors qu'il n'existait aucune équipe dédiée à l'activité personnelle de M. Y qui appartenait à un groupe de soixante personnes.

En outre, selon la cour d'appel -suivant en cela le Bâtonnier-, il était loisible à Mme X de rester au cabinet Archibald Andersen ou de négocier avec le cabinet Mayer Brown le maintien de son statut de salariée.

La Cour de cassation a donc logiquement repris les motifs de la cour d'appel selon laquelle le départ de Mme X procédait de sa démission et de sa volonté de poursuivre ailleurs son activité professionnelle et qu'elle ne formait pas avec les autres avocats partis en même temps qu'elle, une équipe dédiée à une activité déterminée.

  • Sur la requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail

Les principes posés par la Cour de cassation paraissent conformes à ceux qui résultent de son arrêt de principe du 14 mai 2009 précité (3).

Dans cette décision, la Haute Juridiction avait, en effet, affirmé que "si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat lié à un cabinet par un contrat de collaboration ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle [...]".

Dans les deux cas, la Cour de cassation s'est donc attachée à vérifier si la cour d'appel avait bien constaté la possibilité effective, pour l'avocat libéral, de développer sa clientèle personnelle.

La solution de l'arrêt du 5 mai 2011 est logique dans la mesure où il relève que la cour d'appel avait notamment constaté que l'avocate avait poursuivi au sein du cabinet le traitement des dossiers dont elle était chargée et que son temps de travail imposé n'était pas incompatible avec le développement d'une clientèle personnelle.

Il semble donc que cette avocate pouvait non seulement se constituer une clientèle personnelle, mais aussi la développer.

Pourtant, une simple lecture de l'arrêt de la cour d'appel de Paris établit que cette avocate n'avait, en réalité, développé aucune clientèle personnelle et que son temps de travail était particulièrement important.

Sur le premier point, la cour d'appel a certes noté que Mme X avait "poursuivi au sein du cabinet le traitement des dossiers dont elle était chargée", mais il ne s'agissait aucunement de dossiers personnels.

D'ailleurs, la cour d'appel avait relevé que, de 2003 à 2007, les revenus de Mme X étaient constitués exclusivement des rétrocessions d'honoraires versées par le cabinet Mayer Brown.

Sur le second point, les juges du fond avaient relevé que Mme X devait facturer 2 000 heures par an en qualité de collaboratrice (ce qui équivaut à peu près à 43 heures facturées par semaine, déduction faite d'un mois de vacances).

En définitive, si la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt du 5 mai 2011 est conforme à sa jurisprudence antérieure, la cour d'appel de Paris semble, en revanche, faire preuve de sévérité à l'égard des actions en requalification.

Toutefois, il convient de se garder d'une lecture trop hâtive de cette décision de la cour d'appel.

En effet, si les juges avaient constaté que Mme X se voyait imposer un temps de travail, ils avaient relevé, par ailleurs, "qu'elle ne justifiait pas d'instructions reçues du cabinet et disposait librement de son temps".

Ainsi, aucun lien de subordination n'existait entre cette avocate et le cabinet qui avait recours à ses services professionnels.

Or, ce lien de subordination est l'élément déterminant du contrat de travail, sans lequel ce dernier n'existe pas.

Il est rappelé à cet égard que "le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné" (4).

En l'espèce, dès lors que la cour d'appel n'avait pas caractérisé de lien de subordination entre les parties, il était parfaitement logique qu'elle écarte les prétentions de l'avocate.

La Cour de cassation n'a, d'ailleurs, pas manqué de reprendre les termes de l'arrêt de la cour d'appel, selon lesquels Mme X "ne justifiait pas d'instructions reçues du cabinet et disposait librement de son temps".

En conclusion, l'arrêt du 5 mai 2011 est conforme à la jurisprudence désormais bien établie de la Cour de cassation et présente en outre l'intérêt de réaffirmer qu'un lien de subordination juridique est essentiel pour caractériser un contrat de travail.


(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP).
(2) Ass. Plén., 16 mars 1990, n° 86-40.686 (N° Lexbase : A1771AGP).
(3) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, préc..
(4) Cass. soc., 1er juillet 1997, n° 94-45.102 (N° Lexbase : A1666ACP).

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Domaine public

[Questions à...] L'occupation illégale du domaine public de la SNCF par France Télécom - Questions à Marc Richer, Avocat associé, Cabinet RLQC

Lecture: 5 min

N1589BSN

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 19 Mai 2011

Dans une décision rendue le 15 avril 2011 (CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2011, n° 308014, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5423HN8), le Conseil d'Etat a dit pour droit que France Télécom avait bien occupé sans titre l'ancien domaine public de la SNCF de 1991 à 1996, à raison de la présence, sur les emprises de ce domaine, de câbles de télécommunications. La Haute juridiction a rappelé, à cette occasion, que l'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant et qui l'oblige à réparer le dommage causé au gestionnaire de ce domaine par cette occupation irrégulière. Aucune disposition légale ou règlementaire n'ayant eu pour objet, ou pour effet, de transférer à l'exploitant public France Télécom le droit d'occuper sans autorisation, et au surplus à titre gratuit, le domaine public ferroviaire, cette société ne pouvait donc occuper régulièrement ce domaine sans y être autorisée expressément par la SNCF qui en était alors le gestionnaire, et qui devait donc percevoir les redevances dues à raison de son occupation par les personnes autres que l'Etat. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Marc Richer, Avocat associé, Cabinet RLQC. Lexbase : Quels sont les textes qui encadrent le principe de versement d'une redevance pour occupation du domaine public ? Comment sont-ils appliqués par les juridictions ?

Marc Richer : L'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L1665IPD) dispose que toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance. Les établissements publics demeurent seuls compétents, sans restriction, pour fixer les redevances sur le domaine public qui leur appartient. Le versement d'une redevance perçue en contrepartie d'un contrat d'occupation du domaine public relève de la compétence du juge administratif sur le fondement d'un décret-loi du 17 juin 1938, aujourd'hui article L. 84 du Code du domaine de l'Etat (N° Lexbase : L2077AA8).

Ces redevances représentent le pendant des avantages spéciaux sur le domaine public, et l'occupation irrégulière n'est pas regardée comme étant de nature à dispenser l'occupant de redevances. A ce titre, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 (N° Lexbase : L3736HI9), qui a engendré les articles du Code général de la propriété des personnes publiques relatifs aux dispositions financières des biens relevant du domaine public, la jurisprudence n'a cessé de rappeler le principe selon lequel l'exonération sans titre n'excluait pas le paiement d'une redevance, et ce encore récemment (CAA Marseille, 10 janvier 2011, n° 08MA05219 N° Lexbase : A2914HRD), soit quelques semaines avant l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 2011 concernant la SNCF et France Télécom.

Lexbase : Existe-t-il des possibilités d'exemption à cette redevance ? Une personne publique peut-elle décider par elle-même d'y renoncer ?

Marc Richer : Le principe posé par l'article L. 2125-1 est le paiement d'une redevance. Mais par ce même article, le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit clairement quatre exceptions entraînant la gratuité. C'est le cas lorsque "l'occupation ou l'utilisation est la condition naturelle est forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous" et quand elle "contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même", mais aussi lorsque "les occupation ou utilisation concerne une installation par l'Etat d'équipements visant à améliorer la sécurité routière" ou quand celles-ci sont délivrées "aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général". A chaque fois, l'Etat peut se dispenser de demander une redevance. En revanche, mis à part ces exceptions, le renoncement de perception de la redevance qu'une collectivité voudrait décider paraît difficile, et la cour administrative d'appel de Marseille a, à ce titre, dégagé un principe général du droit de non gratuité des autorisations d'occupation privative, principe ne pouvant être annulé que par la seule notion d'intérêt général (CAA Marseille, 6ème ch., 6 décembre 2004, n° 00MA01740 N° Lexbase : A1418DGM).

La contrepartie de l'exonération légale doit donc avoir pour but l'intérêt public. Toutefois, l'administration peut moduler cette redevance, dans le cas où celle-ci ne romprait pas le principe d'égalité des usagers du service public, si tant est que les différences de traitement puissent être justifiées par des considérations d'intérêt général, et s'expliquent par des considérations objectives (CE, 15 février 1991, n° 70556 N° Lexbase : A1003ARL). L'administration en fixe aussi le prix et le taux peut-être établi soit par loi, soit par décret, ou encore par arrêté ministériel. S'il s'agit du domaine des collectivités locales, une délibération du conseil compétent s'impose. En revanche, les différences tarifaires ne doivent ni être discriminatoires, ni disproportionnées les unes par rapport aux autres. Elles ne peuvent pas non plus résulter uniquement de la surface occupée ou de la nature de l'activité exercée, et du caractère permanent ou occasionnel de l'occupation.

Lexbase : Les régimes d'encadrement des redevances sont-ils différents selon le type d'occupation (téléphone, électricité, eau) ?

Marc Richer : Le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit, tout d'abord, un régime de redevance différent du régime commun, celui "susceptible d'être perçu par l'Etat en raison de l'occupation de son domaine public par les canalisations ou ouvrages des services d'eau potable et d'assainissement exploités par les collectivités territoriales et leurs groupements" (C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2125-2 N° Lexbase : L2910IQT). Ce régime est fixé par un décret du 30 décembre 2009 (décret n° 2009-1683 N° Lexbase : L1839IG9), pris en application de l'article L. 2224-11-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3866HW4). Ce renvoi vers un simple décret permet de ne pas rompre l'égalité entre les collectivités qui auraient délégué la gestion du service public de l'eau et celles qui l'exploiteraient en régie. Il fixe le montant des redevances en fonction du prorata des lignes de canalisations situées sur le domaine public.

L'article L. 2333-84 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9537DNK) fixe, quant à lui, les modalités du régime des redevances dues pour le transport et la distribution d'électricité et de gaz. Enfin, les articles L. 45-1 (N° Lexbase : L9515ICE), L. 47 (N° Lexbase : L9502ICW) et L. 48 (N° Lexbase : L0765IGG) du Code des postes et des communications électroniques, fixent les modalités qui s'appliquent aux redevances dans le domaine des télécommunications.

Lexbase : En l'espèce, France Télécom considérait avoir une autorisation tacite d'occupation. Pensez-vous que cette position pouvait se justifier ?

Marc Richer : France Télécom a bénéficié, jusqu'à l'ouverture de la concurrence, du droit d'occuper à titre gratuit le domaine public. La loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications (N° Lexbase : L7801GT4) après l'ouverture du marché, a fait cesser cette situation. De plus, l'article L. 47 du Code des postes et des télécommunications précise, lui aussi, que l'occupation du domaine public par un opérateur "donne lieu à versement de redevances dues à la collectivité publique concernée pour l'occupation de son domaine public dans le respect du principe d'égalité entre tous les opérateurs". Certes, un décret, le 1er janvier 1997, a institué un régime d'autorisation tacite d'occupation du domaine public, mais le conseil d'Etat a jugé celui-ci illégal (CE, 21 mars 2003, n° 189191 (N° Lexbase : A7834C8N).

La Haute assemblée avait, alors, considéré qu'il n'était pas possible d'autoriser tacitement l'occupation du domaine public sans porter atteinte au principe constitutionnel de protection de ce domaine que le Conseil constitutionnel avait consacré dans une décision rendue le 21 juillet 1994 (Cons. const., décision n° 94-346 DC N° Lexbase : A8307ACN) : "[...] ainsi que l'a rappelé la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (loi n° 2000-321 N° Lexbase : L0420AIE), un régime de décision implicite d'acceptation ne peut être institué lorsque la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y opposent [...] en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1364A9E), auquel se réfère le Préambule de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif d'ordre constitutionnel [...] le pouvoir réglementaire ne pouvait donc légalement instaurer un régime d'autorisation tacite d'occupation du domaine public, qui fait notamment obstacle à ce que soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d'implantation et d'exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la voirie". La position de France Télécom paraissait donc difficile à défendre.

newsid:421589

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2011

Lecture: 13 min

N2759BSY

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Le 19 Mai 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 3 mai 2011. Dans le premier, appelé à la plus large diffusion (arrêt P+B+R+I), la Chambre commerciale pose une solution de principe, pour les procédures collectives régies par les dispositions issues de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, selon laquelle "la compensation pour dettes connexes ne pouvait être prononcée dès lors que [le créancier] n'avait pas déclaré sa créance". Dans le second arrêt, promis aux honneurs du Bulletin, la même formation énonce que le fait générateur de la créance de prix de vente, en cas de promesse unilatérale d'achat, est situé au jour de la levée d'option d'achat et détermine des effets attachés à l'admission d'une créance au passif sur la nature antérieure ou postérieure de cette créance
  • L'impossible compensation pour dettes connexes après jugement d'ouverture en l'absence de déclaration de la créance (Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-16.758, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7122HPH)

Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), la créance non déclarée dans les délais était frappée d'extinction (C. com., art. L. 621-46, al. 4 N° Lexbase : L6898AIC). Cette solution, si elle était brutale, présentait cependant l'intérêt d'être extrêmement simple dans ses conséquences : la disparition de la créance avait pour corollaire l'impossibilité de poursuivre la caution, l'impossibilité pour le créancier d'arguer de l'existence d'un droit de rétention ou encore l'impossibilité de se prévaloir, après jugement d'ouverture, de la compensation pour dettes connexes.

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT) a écarté l'extinction de la créance non déclarée (1) sans pour autant préciser, dans un premier temps, le sort de cette créance. Comblant partiellement ce vide, l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT) a inséré, à l'article L. 622-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L2534IEL), un alinéa 2 précisant que "les créances non déclarées [...] sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan [...]". Le texte est en revanche resté muet quant au sort de la créance non déclarée pendant la procédure collective, c'est-à-dire pendant la période d'observation et la liquidation judiciaire. Faisant sienne la solution préconisée par la doctrine (2), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que la créance non déclarée était inopposable la procédure collective (3).

La sanction attachée à l'absence de déclaration de créance dans les délais étant désormais clairement posée, il reste à en tirer les conséquences car nombre de questions sont susceptibles de se poser à ce sujet : l'inopposabilité de la créance non déclarée fait-elle l'échec à l'exercice d'un droit de rétention, à l'attribution judiciaire du gage ou encore à la levée d'option d'achat d'un contrat de crédit-bail alors que certains loyers antérieurs au jugement d'ouverture sont restés impayés ? L'inopposabilité de la créance non déclarée doit-elle rendre impossible l'exercice de la compensation après jugement d'ouverture pour dettes connexes ? C'est à cette dernière interrogation que répond la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mai 2011, appelé à la plus large diffusion (arrêt P+B+R+I).

Pour que la compensation légale ait joué avant jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur, il est nécessaire que les créances réciproques se soient trouvées certaines, liquides et exigibles avant cette date. Si les conditions de cette compensation légale -qui joue automatiquement- ne sont pas réunies au jour du jugement d'ouverture, une compensation peut s'opérer après jugement d'ouverture lorsque les dettes sont connexes (cf. C. com., art. L. 622-7, al. 1er N° Lexbase : L3389ICI en sauvegarde, applicable également en redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, al. 1er N° Lexbase : L2453IEL ; et C. com., art. L. 641-3, al. 1er N° Lexbase : L3500ICM en liquidation judiciaire). La compensation peut donc s'opérer après jugement d'ouverture si les dettes réciproques sont issues d'un même contrat ou de contrats qui, bien que distincts, s'inscrivent dans une opération économique globale (4). L'absence de certitude de la créance fait par principe obstacle au jeu de la compensation pour dettes connexes (5). En revanche, la jurisprudence pose en règle que l'admission de la compensation pour dettes connexes dans le cadre de la procédure collective ne nécessite pas, au jour où statue la juridiction, la réunion des deux autres conditions de la compensation légale, à savoir les caractères de liquidité et d'exigibilité de la créance (6). Cette règle est essentielle pour permettre le jeu de la compensation pour dette connexes alors que le débiteur fait l'objet d'un plan de sauvegarde ou de redressement entraînant un report de l'exigibilité des dettes du débiteur.

Le jeu de cette compensation pour dettes connexes est-il cependant subordonné à la déclaration préalable de la créance au passif du débiteur ? Alors que la cour d'appel de Montpellier (20 octobre 2009) avait répondu à cette question par la négative, par arrêt du 3 mai 2011, la Chambre commerciale casse l'arrêt d'appel en posant une solution de principe selon laquelle "la compensation pour dettes connexes ne pouvait être prononcée dès lors que [le créancier] n'avait pas déclaré sa créance".

Est ainsi consacrée par la jurisprudence la solution prônée par la doctrine (7) et précédemment déjà adoptée par certains juges du fond (8). Le créancier qui souhaite se prévaloir de la compensation pour dettes connexes se trouve donc dans l'obligation de déclarer sa créance. Cette créance antérieure au jugement d'ouverture devra donc être déclarée par le créancier dans son intégralité et non pas seulement pour le solde obtenu après compensation avec la créance en sens inverse détenue par le débiteur sous procédure collective.

Cette solution doit être saluée dans la mesure où elle découle fort logiquement du nouveau principe d'inopposabilité de la créance non déclarée : faute pour le créancier antérieur de pouvoir opposer son droit de créance et donc de pouvoir se présenter comme créancier dans la procédure collective de son débiteur, il ne peut pas se prévaloir d'une créance "en face de la dette qu'il lui est demandé de payer" (9).

Ainsi, au regard de la compensation, la situation du créancier antérieur qui n'a pas déclaré sa créance est analogue à celle qui était la sienne sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 : que la créance non déclarée soit éteinte ou simplement inopposable à la procédure collective, le créancier défaillant ne pourra pas invoquer une compensation pour dettes connexes après jugement d'ouverture.

Force est de constater que le "cadeau" fait par le législateur du 26 juillet 2005 au créancier n'ayant pas déclaré sa créance est loin d'être somptueux. Dans nombre d'hypothèses, le créancier défaillant ne sera guère mieux traité sous l'empire de la législation actuelle que sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985. On pense notamment à la situation délicate du créancier négligeant ou retardataire lorsqu'est adopté un plan de sauvegarde ou de redressement au profit du débiteur : la créance non déclarée demeurera inopposable au débiteur pendant l'exécution du plan et après parfaite exécution de celui-ci (C. com., art. L. 622-26, al. 2 N° Lexbase : L2534IEL en sauvegarde, applicable en redressement par renvoi de l'article L. 631-14, al. 1er). De même, les conséquences pratiques de l'extinction et de l'inopposabilité de la créance seront voisines en matière de compensation pour dettes connexes.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


  • Fait générateur de la créance de prix de vente convenu dans une promesse unilatérale d'achat et détermination des effets attachés à l'admission d'une créance au passif sur la nature antérieure ou postérieure de cette créance (Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-18.031, F-P+B N° Lexbase : A2481HQX)

Classiquement cardinale dans le droit des entreprises en difficulté, la distinction des créances antérieures et des créances postérieures au jugement d'ouverture n'a sans doute pas livré tous ses secrets.

Certes, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, le critère organique -régularité de la naissance de la créance- et le critère chronologique ne sont plus suffisants pour déterminer si une créance peut bénéficier du traitement préférentiel réservé à certaines créances postérieures. Il faut, en effet, y ajouter le critère téléologique pour savoir si un créancier est postérieur méritant. Il n'en demeure pas moins que la date de naissance de la créance reste de première importance puisque, quels que soient les mérites du créancier, il ne pourra prétendre au paiement à l'échéance, garantie des garanties, ou, à défaut, au paiement par privilège, que s'il est postérieur. Il n'est donc pas surprenant que cette question agite toujours les prétoires.

A la vérité, la difficulté rencontrée dans l'arrêt commenté était soumise à la loi du 25 janvier 1985, mais son étude garde toute son actualité dans la mesure où la réponse apportée à la question aurait été identique sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises.

En l'espèce, une société V. avait promis à diverses personnes détenant des quirats dans les copropriétés de navires, et ayant en conséquence la qualité de quirataires, d'acquérir les parts de ces derniers. Variété de société en participation, la société de quirataires permet d'assurer la gestion d'un pool d'investissement constitué entre propriétaires de bateaux.
Nous étions donc en présence d'une promesse unilatérale d'achat. Le promettant de la promesse d'achat, la société V., a été placé en redressement judiciaire. Postérieurement au jugement d'ouverture du promettant, les bénéficiaires de la promesse ont levé l'option stipulée à leur profit. Ils ont alors demandé à la société V., le promettant, de payer les prix convenus pour les différents quirats -prise de participation dans la société de quirataires-. La question qui se posait était de savoir si le promettant devait payer le prix après le jugement d'ouverture. La réponse à la question dépendait fondamentalement de la détermination de la nature antérieure ou postérieure de la créance de prix.

La cour d'appel va rejeter la demande en paiement formée par certains quirataires au motif que leurs créances ont pour origine les promesses unilatérales d'achat, qui engageait la société V. depuis une date antérieure à l'ouverture de sa procédure collective.
Cassant l'arrêt de la cour d'appel, la Cour de cassation va juger que "la vente des quirats n'était devenue parfaite que par la levée d'option pendant la période d'observation".

Ainsi, selon la Cour de cassation, le fait générateur de la créance de prix de vente, en cas de promesse unilatérale d'achat, est situé au jour de la levée d'option d'achat.

La solution ne saurait surprendre. La jurisprudence avait déjà jugé que la promesse unilatérale de vente doit être considérée comme un contrat en cours, dès lors qu'avant le jugement d'ouverture, la levée d'option n'est pas intervenue (10). Si le bénéficiaire de la promesse de vente est sous procédure collective, l'indemnité d'immobilisation, contrepartie de l'interdiction de vente du bien par le propriétaire, n'est due qu'en cas de continuation du contrat (11).

La question de la détermination de la nature antérieure ou postérieure de la créance se rattache, en effet, intimement à la question de la continuation des contrats en cours, dans les contrats synallagmatiques. On sait que, en ce domaine, la Cour de cassation a opté pour la thèse matérialiste, dite aussi thèse économique, consistant à fixer la date de naissance de la créance à la fourniture de la contrepartie du contrat en cours. Ainsi, dans le bail, le loyer a pour fait générateur la jouissance procurée. Au fur et à mesure de cette jouissance, naissent les créances de loyers.

Cette thèse matérialiste est, ici encore, adoptée par la Cour de cassation, qui rejette la thèse volontariste fixant la date de naissance de la créance à la signature du contrat. Toutefois, en l'espèce, la Chambre commerciale nous semble s'être arrêtée en chemin. En effet, s'il est indiscutable, au regard de la thèse matérialiste, que la créance de prix de vente ne peut être née de la signature de la promesse unilatérale d'achat, puisque la vente n'existe pas encore, il ne peut, à notre sens, davantage naître de la levée d'option d'achat. Ainsi, en matière de vente de meuble, la Cour de cassation fixe classiquement la date de naissance de la créance de prix, non à la signature du contrat (thèse volontariste), mais à la livraison, qui correspond à la contrepartie du prix, c'est-à-dire à la cause de la créance de prix (thèse matérialiste). Dans le contrat de vente, l'obligation essentielle du vendeur est la délivrance de la chose. Elle constitue, pour l'acheteur, la cause de son obligation de payer le prix. Cette obligation ayant pour contrepartie la délivrance de la chose, il en résulte que la créance du prix de vente est, pour l'intégralité, une créance antérieure au jugement d'ouverture si la délivrance intervient avant jugement d'ouverture (12). L'accord sur la chose et sur le prix ne constitue donc pas le fait générateur de la créance de prix de vente.

Le fait que la vente soit assortie d'une clause de réserve de propriété ne modifie pas la solution. La clause de réserve de propriété n'affecte nullement la perfection de la vente. Elle a seulement pour effet de mettre en condition le transfert de propriété du bien vendu, au profit de l'acheteur. Plus fondamentalement au regard de l'analyse ci-dessus développée, il sera observé que le transfert de propriété n'est pas l'obligation caractéristique du contrat de vente, qui demeure, du côté du vendeur, la délivrance de la chose vendue. Le transfert de propriété n'est qu'une conséquence de l'effet translatif du contrat. Il en est un effet, non une obligation, car il n'appartient pas, par sa seule volonté, au vendeur d'"exécuter" le transfert de propriété. Celui-ci se produit indépendamment de toute initiative de sa part, au contraire de l'obligation de délivrance.

L'article L. 621-122 du Code de commerce (N° Lexbase : L6974AI7 ; loi du 25 janvier 1985, art. 121, in fine, anc. N° Lexbase : L6502AHB), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, et dont les solutions sont reproduites à l'article L. 624-16, alinéa 4 (N° Lexbase : L3509ICX), dans la rédaction que lui donne cette loi, en tire d'ailleurs la conséquence. L'action en revendication du vendeur sous clause de réserve de propriété peut être paralysée contre l'engagement pris par l'acheteur ou par l'administrateur de payer immédiatement, ou dans le délai fixé par le vendeur avec autorisation du juge-commissaire, le solde du prix de vente. Le vendeur peut accepter des délais de paiement. En ce cas, la créance de prix est alors assimilée à une créance postérieure. Cela fait clairement apparaître que la créance de prix d'une vente avec clause de réserve de propriété est une créance antérieure au jugement d'ouverture, pour la totalité. Le législateur procède en effet par fiction légale, en traitant comme une créance postérieure cette créance antérieure.

L'arrêt rapporté présente un intérêt d'une importance plus grande encore : celui de la détermination des effets attachés à l'admission d'une créance au passif sur la nature antérieure ou postérieure de cette créance. En d'autres termes, un créancier peut-il prétendre être titulaire d'une créance postérieure, éligible au traitement préférentiel, alors qu'il a déclaré cette créance au passif et qu'elle a été admise à ce passif ?

En l'espèce, plusieurs quirataires avaient déclaré au passif leurs créances de prix de vente de leurs quirats. Ils avaient été admis au passif. Malgré cette admission, ils poursuivaient le paiement de leur créance à l'encontre de la société V., placée en redressement judiciaire, soutenant qu'ils étaient titulaires d'une créance postérieure. Le pouvaient-ils encore ?

Non, répond, la Cour de cassation, suivant en cela l'analyse de la cour d'appel. "Attendu que la décision d'admission des créances au passif ayant autorité de chose jugée quant à la date de naissance de la créance déclarée, en application de l'article L. 621-43 du Code de commerce (N° Lexbase : L6895AI9) dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 par rapport à la date d'ouverture de la procédure collective ne peut plus être contestée".

Cette solution, qui peut peut-être surprendre le lecteur, ne peut pourtant qu'être approuvée (13).

La créance antérieure doit être déclarée au passif du débiteur, contrairement à une créance postérieure, le principe méritant cependant des nuances depuis la loi de sauvegarde des entreprises.

En elle-même, la déclaration de créance n'exerce pas d'incidence sur la nature de la créance. En effet, une créance postérieure éligible au traitement préférentiel ne doit pas être déclarée au passif. La Cour de cassation en a d'ailleurs tiré la conséquence, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, que la déclaration irrégulière d'une créance postérieure ne pouvait entraîner son extinction (14).

En revanche, si la créance bénéficiant du traitement préférentiel réservé aux créanciers postérieurs a été déclarée par erreur, au même titre qu'une créance antérieure, et a fait l'objet d'une admission au passif, l'autorité de chose jugée attachée à la décision d'admission emporte comme conséquence la transformation de la créance postérieure en une créance antérieure. Il convient en effet de préciser que l'admission de la créance a autorité de chose jugée, notamment sur la nature de la créance. Le créancier, après admission, ne pourra plus faire valoir les prérogatives attachées à une créance postérieure, devant au contraire se soumettre aux contraintes liées à la nature de créance antérieure. La question a été spécialement étudiée pour les créances nées d'un contrat de crédit-bail (15), le créancier ayant tendance à maximiser sa déclaration de créance, sans mesurer exactement le risque inhérent à pareille pratique, en déclarant des loyers à échoir.

Nous ne pouvons donc que souscrire à l'analyse développée par la Cour de cassation et nous réjouir de voir la rigueur juridique triompher. Puisque la Cour de cassation continue à considérer la déclaration de créance comme équivalente à une demande ne justice, il est logique d'en tirer les conséquences. Le créancier demande en justice quelque chose. Il l'obtient. Il ne peut, par la suite, prétendre qu'il se serait trompé. L'autorité de la chose jugée est là pour lui interdire de se contredire par deux actions en justice successives. S'il a demandé au juge de dire blanc, et si le juge a dit blanc, il ne peut ensuite, au titre de la même créance, lui demander de dire noir.

Ainsi, et pour notre plus grande satisfaction, voilà finies les approximations et si les plaideurs -et l'on pensera ici tout spécialement aux administrateurs judiciaires- veulent utiliser cette jurisprudence, ils auront sans doute beaucoup à y gagner, pour tenter l'élaboration de plans de sauvegarde ou de redressement, en s'appuyant sur les erreurs commises par les créanciers, transformant des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel en des créances soumises à la discipline collective, pouvant comme telles subir les délais du plan au lieu d'obéir aux règles de la continuation des contrats en cours.

L'habitude, qui seule justifie l'attitude de certains créanciers, est bien mauvaise conseillère et a une fâcheuse tendance à anesthésier les esprits...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Sur les raisons de la suppression du principe de l'extinction de la créance non déclarée, v. P.-M. Le Corre, Dalloz action, 2010/2011, n° 665.75.
(2) P.-M. Le Corre, Les créanciers antérieurs dans le projet de sauvegarde des entreprises, Interv. Colloque Crajefe, Nice 27 mars 2004, LPA, 10 juin 2004, n° 116, p. 25 et s., sp. p. 30 ; Ph. Pétel, Procédures collectives, Dalloz, 4ème éd., n° 382 ; A. Lienhard, Procédures collectives, Delmas, 2011, n° 1108 ; F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, 8ème éd., Lgdj n° 536 ; J.-L Vallens, Lamy Droit commercial, éd. 2006, n° 3269 ; J.-Ch. Boulay, Les créanciers antérieurs dans les procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 135 et s., sp. p. 140 ; J.-Cl. Com., M.-P. Dumont-Lefrand, fasc. 2152, Procédure de sauvegarde, éd. 2006, n° 42 ; F. Derrida et J.-P. Sortais, La situation des créanciers forclos dans les nouvelles procédures collectives, LPA, 22 mars 2006, n° 58, p. 7 ; A. Jacquemont, Droit des entreprises en difficulté, Litec, 5ème éd., n° 468 ; C. Saint-Alary-Houin, 5ème éd., n° 716 ; F. Macorig-Venier et C. Saint-Alary-Houin, La situation des créanciers dans la loi de sauvegarde des entreprises, RD banc. et fin., 2006/1, p. 60 et s., sp. p. 65, n° 29 ; C. Régnaut-Moutier, note sous Cass com., 27 mars 2007, n° 06-10.267, F-P+B (N° Lexbase : A8021DUM), Act. proc. coll., 2007/8, n° 86 ; F. Vinckel, Le droit d'action des créanciers chirographaires dans la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, Rev. proc. coll., 2007/1, p. 6 et s., sp. p. 8, n° 14.
(3) Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-70.312, FS-P+B (N° Lexbase : A5651GDN), D., 2010, 2645, note A. Lienhard ; Gaz. pal., éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 7 et 8 janvier 2011, n° 7 et 8, nos obs. ; JCP éd. E, 2011, chron. 1030, n° 10, obs. M. Cabrillac ; Rev. sociétés, 2011, p. 194, note crit. Ph. Roussel Galle ; Gaz. pal., 25 et 26 février 2011, p. 45, note S. Reifegerste ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Novembre 2010 Lexbase Hebdo n° 228 du 21 novembre 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N5745BQT).
(4) V. not. sur la question, P.-M. Le Corre, Dalloz action, 2010/2011, préc., n° 632.45.
(5) Cass. com., 14 février 2006, n° 04-11.887, F-D (N° Lexbase : A9808DM9).
(6) Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-21.446, F-D (N° Lexbase : A5620DDI), RDBF, 2005/2, p. 28, n° 58, note F.-X. Lucas ; Cass. com., 28 avril 2009, n° 08-14.756, F-D (N° Lexbase : A6530EGX), D., 2009, AJ p. 1353, note A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2009/3, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle, Dr. sociétés, juin 2009, p. 31, n° 124, note J.-P. Legros, RTDCiv., 2009, p. 721, n° 6, obs. B. Fages, RTDCom., 2009/4, p. 809, n° 5, obs. A. Martin-Serf.
(7) P.-M. Le Corre, Dalloz action, 2010/2011, préc., n° 632.47, En ce sens aussi, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, préc., n° 537-2 ; A. Jacquemont, Droits des entreprises en difficulté, préc., n° 349 ; contra P. Crocq, La réforme des procédures collectives et le droit des sûretés, D., 2006, chron. p. 1306 et s., sp. p. 1307, n° 11.
(8) CA Paris, 5ème ch., sect. B, 5 mars 2009, n° 08/13721 (N° Lexbase : A8412EDW) ; CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 30 septembre 2010, n° 07/02349 (N° Lexbase : A8338GA3).
(9) P.-M. Le Corre, Dalloz action, 2010/2011, préc., n° 632.47.
(10) CA Besançon, 2ème ch. com., 4 mars 2003, Rev. proc. coll., 2004, p. 65, n° 2, obs. Ph. Rousel-Galle.
(11) Cass. com., 1er février 2000, n° 97-21.642, inédit (N° Lexbase : A9236CKB) ; Rev. proc. coll., 2003/1, p. 18, obs. Ph. Roussel Galle.
(12) Cass. com., 15 février 2000, n° 96-17.884, publié (N° Lexbase : A8058AGK), Bull. civ. IV, n° 32, JCP éd. E, 2000, pan. 588, RJ com., 2001, 83, n° 1574, note J.-L. Courtier ; Cass. com., 3 avril 2001, n° 98-14.049, inédit (N° Lexbase : A1898ATH), Rev. proc. coll., 2002, p. 101, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(13) Sur la préconisation de cette solution, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, préc., n° 411.11 et n° 666.33.
(14) Cass. com., 12 janvier 2010, n° 08-21.456, FS-P+B (N° Lexbase : A3015EQQ) ; D., 2010, AJ p. 203, note A. Lienhard ; Rev. proc. coll., 2010/4, comm. 160, note F. Pérochon ; nos obs., in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Février 2010, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N2390BNT).
(15) E. Le Corre-Broly, Le contenu de la déclaration de créance du crédit-bailleur ou "qui trop déclare, rien n'obtient", Banque et droit, janvier-février 1998, n° 57, p. 3 ; du même auteur, La déclaration de créance du bailleur financier et du crédit-bailleur - L'abus de déclaration peut être dangereux pour la santé financière, Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 14.

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Fiscalité du patrimoine

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Mai 2011

Lecture: 7 min

N1613BSK

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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris

Le 19 Mai 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en fiscalité du patrimoine, réalisée par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris. Cette chronique traite, tout d'abord, d'une décision rendue par la Cour de cassation, le 27 avril 2011, en matière d'impôt de solidarité sur la fortune. En l'espèce, l'administration avait remis en cause la qualité de "biens professionnels" qu'un couple de contribuable avait attribuée à des de valeurs mobilières de placement. Cette requalification a entraîné, pour le couple, la perte du régime d'exonération de l'article 885 O ter du CGI. Notre auteur saisit l'occasion que lui donne cette décision pour revenir sur la doctrine élaborée par l'administration pour traiter, spécifiquement, du cas des titres de placement et liquidités, dans le cadre de cette disposition. Ensuite, la chronique revient sur deux décisions du Conseil d'Etat, en date du 15 avril 2011, dans lesquelles il est question de l'imposition séparée du couple vivant sous des toits séparés et soumis à la séparation des biens. Cette modalité d'imposition, encore peu appliquée en pratique, est pourtant utilisée de façon croissante.
  • ISF : imposition des titres et liquidités excédant les besoins de l'entreprise (Cass. com., 27 avril 2011, n° 10-16.539, F-D N° Lexbase : A5335HPB)

Dans le cadre de l'article 885 O ter du CGI (N° Lexbase : L8826HLH), l'administration fiscale est en droit de réintégrer la valeur des parts correspondant aux éléments du patrimoine social excessifs et non nécessaires à l'activité.

1 - Principes d'imposition applicables

L'article 885 O ter du CGI dispose que "seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel". La règle est ancienne et existait déjà sous l'empire de l'ancien impôt sur les grandes fortunes.

Pourquoi une telle règle ? Cette règle dite "de proportionnalité" est destinée à éviter des transferts abusifs dans le patrimoine de la société de biens du patrimoine privé des actionnaires les plus importants. En effet, un tel apport est rémunéré par la remise d'actions ou de parts qui, à défaut de la règle de proportionnalité, auraient pu avoir, pour la totalité de leur valeur, la qualité de biens professionnels. L'article 885 O ter du CGI permet donc à l'administration fiscale d'opérer un retraitement de la valeur des parts exonérées au titre des biens professionnels. Compte tenu de la générale du texte, la règle s'applique aux entreprises individuelles.

2 - Les cas particuliers des titres de placement et liquidités

L'administration fiscale a élaboré une doctrine particulière concernant les liquidités et titres de placement (BOI 7 S-1-05 du 12 janvier 2005 N° Lexbase : X8035ACL). Ces valeurs inscrites au bilan d'une société sont présumées constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle, dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés.

L'administration peut démontrer que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social.

L'exonération se trouve, alors, limitée à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social autres que les liquidités et titres de placement.

Le fait que les valeurs réalisables à court terme ou disponibles d'une société (y compris les titres de placement) excèdent largement son passif exigible à court terme (y compris les comptes courants d'associés) ne constitue qu'un indice de l'existence éventuelle d'actifs ne revêtant pas un caractère professionnel. Cet indice ne peut constituer à lui seul une preuve de nature à renverser la présomption évoquée (QE n° 00388 de M. François Zocchetto, JO Sénat du 15 juillet 2007, p. 1156, réponse publiée le 13 mars 2008, p. 486 N° Lexbase : L1404IQ3 ; avant 2008, la doctrine administrative était plus sévère : cf. D. adm. 7 S-3323, n° 32, 1er octobre 1999).

Dans le cas exceptionnel où certains actifs d'une société apparaîtraient comme dépourvus d'utilité professionnelle, le calcul de la part professionnelle de la valeur des parts ou actions est effectué en appliquant à cette valeur le rapport existant entre la valeur réelle nette des biens professionnels figurant au bilan de la société et la valeur réelle nette globale du patrimoine social (BOI 7 R-2-82 du 19 mai 1982 ; D. adm. 7 S-3323 n° 26, 1er octobre 1999).

Comment apprécier la nécessité d'un seuil de trésorerie normal au regard de l'ISF ? Sur le sujet, la jurisprudence s'étoffe : l'absence de réinvestissement immédiat dans le cas de liquidités et titres de placement provenant de la vente d'actifs n'est pas une situation faisant échec à la présomption (Cass. com., 18 mai 1993, n° 91-15.463, publié au Bulletin N° Lexbase : A5737AB4 ; Cass. com., 13 janvier 1998, n° 96-10.156, inédit N° Lexbase : A3461CSY). Les juges vérifient néanmoins le niveau de nécessité des investissements et leur réalisation finale (CA Paris, 25 janvier 2008, n° 06/02129 N° Lexbase : A5144D4B). L'absence d'activité réelle ou économique permet à l'administration de faire échec à la présomption (Cass. com., 20 mai 2008, n° 07-14.426, F-P+B N° Lexbase : A7104D8M).

Le motif qui retient le montant des valeurs réalisables à court terme, excédant celui du passif exigible à court terme, comme seul critère "de normalité" n'est pas pertinent (Cass. com., 14 décembre 2010, n° 10-10.139, F-D N° Lexbase : A2709GNN).

3 - Les enseignements à tirer de la décision du 27 avril 2011

Dans la présente affaire, un couple de contribuables est redressé à l'ISF qu'il aurait dû payer du fait de l'existence de valeurs mobilières de placement que l'administration réintègre dans son patrimoine privé alors qu'elles figuraient à l'actif d'une société par application de l'article 885 O ter du CGI. La Cour de cassation rejette trois des quatre moyens soulevés par le couple. En effet, la notification de redressement est régulière, dès lors que les textes la fondant sont mentionnés (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4). En l'espèce, la notification contient l'article 885 O ter du CGI, l'instruction administrative 7 S-1-05, des tableaux chiffrés, des références de jurisprudence et des développements destinés à apporter la preuve du caractère non nécessaire à l'activité de la société des valeurs mobilières de placement et disponibilités dont l'administration a rejeté la qualification de biens professionnels.

Le juge suprême rappelle aussi que la dette fiscale établie à la suite d'une procédure de redressement et faisant l'objet d'un contentieux ne présente pas le caractère certain permettant sa comptabilisation à l'exercice au cours duquel la notification de redressement a été reçue. Toutefois, la Cour annule l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Angers (CA Angers, 1ère ch., 9 février 2010, n° 08/02766 N° Lexbase : A1621GMY), car le juge du fond aurait dû rechercher si l'administration fiscale n'avait pas fait l'erreur de prendre en compte la fraction de l'excès de trésorerie de la société correspondant à la part de capital social détenue par le couple. Elle aurait dû réintégrer la fraction de la valeur des parts correspondant aux éléments du patrimoine social considérés comme excessifs et non nécessaires à l'activité.

A ce niveau, l'arrêt ne retiendra pas plus l'attention. Cependant, la méthode retenue par l'administration fiscale est riche en informations. Pour apporter la preuve que les placements et disponibilités ne sont pas en tout ou partie des éléments nécessaires à l'activité de la société, le vérificateur avait procédé à une analyse précise des postes de bilan ; par exemple, évolution sur cinq ans du poste "valeurs mobilières de placement et disponibilités", part de ces dernières par rapport au chiffre d'affaires de chaque exercice, montant des valeurs réalisables à court terme par rapport au passif exigible et part des valeurs mobilières de placement et disponibilités sur l'actif immobilisé.

Par ailleurs, l'administration démontre que les ressources propres n'ont financé aucun investissement tant au niveau de la holding qu'au niveau des filiales. Les démonstrations comptables sont parfois parlantes et on ne se saurait trop attirer l'attention des dirigeants sur la force des chiffres et leurs conséquences en cas de contrôle fiscal. La justification du niveau de trésorerie ou d'épargne est un exercice bien difficile.

  • Imposition séparée d'un couple en séparation de biens et ne vivant pas sous le même toit (CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2011, n° 320073 et n° 318865, mentionnés aux tables du recueil Lebon [LXB=A5428HND])

1 - Le droit applicable en l'espèce

En vertu de l'article 6-4 du CGI (N° Lexbase : L0794IP4), les époux font obligatoirement l'objet d'impositions distinctes :

- lorsqu'ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit ;
- lorsqu'étant en instance de séparation de corps ou de divorce, ils ont été autorisés à avoir des résidences séparées ;
- lorsqu'en cas d'abandon du domicile conjugal par l'un ou l'autre des époux, chacun dispose de revenus distincts ;
- et lorsque, l'un des époux ayant abandonné le domicile conjugal, ils disposent l'un et l'autre de revenus distincts.

2 - Les circonstances de fait

L'administration a redressé deux sociétés, dans lesquelles, respectivement, chaque époux était associé majoritaire. Ayant remis en cause le bénéfice du régime d'exonération des entreprises nouvelles (CGI, art. 44 sexies N° Lexbase : L0835IPM) dans la société du mari, et ayant réintégré les intérêts des comptes courants d'associés dans les résultats de la société de la femme, l'administration a redressé, par imposition commune, les déclarations des époux, appliquant ainsi les conséquences des redressements antérieurs. Or, il ressort du dossier que les époux ont été mariés du 15 novembre 1993 au 13 mars 1998 sous le régime de la séparation de biens. Par ailleurs, les époux ne vivaient pas sous le même toit ; le mari résidait dans sa villa à Toulon où il exerçait son activité professionnelle et l'épouse à Paris dans le 17ème arrondissement avec ses deux enfants mineurs issus d'une précédente union et scolarisés à Paris où elle-même travaillait. Les époux se retrouvaient en fin de semaine quand leurs obligations professionnelles et familiales respectives le leur permettaient.

Etant mariés sous le régime de la séparation de biens et ne vivant pas sous le même toit, ils ne pouvaient faire l'objet d'une imposition commune mais devaient être imposés distinctement sur la base de leurs revenus propres. Se réunir au même lieu le temps des week-ends n'est pas constitutif d'une vie commune, "sous un même toit".

Le Conseil d'Etat, dans ces deux décisions, l'une étant rendue à la suite du pourvoi formé par l'ex mari, et l'autre intervenant à la suite d'un pourvoi formé par l'ex épouse, retient, dans un considérant de principe, qu'"en jugeant qu'un contribuable ne peut utilement demander la décharge ou la réduction des cotisations supplémentaires mises à la charge du couple par le moyen qu'il doit faire l'objet d'une imposition distincte de celle de son époux si l'imposition primitive établie au nom du foyer fiscal constitué par le couple est devenue définitive, la cour administrative d'appel de Marseille [CAA Marseille, 4ème ch., 24 juin 2008, n° 05MA02724, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0403EA8 et CAA Marseille, 4ème ch., 27 mai 2008, n° 05MA02750, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8973D99] a commis une erreur de droit".

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Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Mai 2011

Lecture: 10 min

N1612BSI

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

Le 20 Octobre 2011

La présente chronique expose trois décisions récentes du Conseil d'Etat. Bien que portant sur des domaines différents du droit de la fonction publique, à savoir la démission (CE Sect., 27 avril 2011, n° 335370, publié au recueil Lebon), la protection fonctionnelle (CE 4° et 5° s-s-r., 20 avril 2011, n° 332255, publié au recueil Lebon) et le licenciement pour insuffisance professionnelle (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2011, n° 328111, mentionné aux tables du recueil Lebon), ces décisions marquent toutes le souci de la jurisprudence administrative de veiller au respect des droits statutaires des fonctionnaires. A une époque où la fin de la singularité juridique de l'emploi public est régulièrement annoncée, ces arrêts viennent rappeler que les devoirs attachés à la mission de service public dont les agents publics ont la charge doivent s'accompagner de contreparties et de garanties professionnelles.
  • L'administration qui reçoit la démission d'un fonctionnaire doit se prononcer sur cette demande dans un délai de quatre mois (CE Sect., 27 avril 2011, n° 335370, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4348HPQ)

Il est souvent opposé aux fonctionnaires la sécurité de l'emploi dont ils bénéficient. S'il est indéniable que la titularisation implique pour l'agent une permanence et une stabilité, il ne faut pas oublier que les fonctionnaires peuvent, eux aussi, quitter le service public. La rupture peut être à l'initiative de l'employeur (sur le licenciement pour inaptitude professionnelle, voir infra), mais, également, de l'agent. La démission des fonctionnaires de l'Etat est régie par les dispositions de l'article 58 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions (N° Lexbase : L1022G8D). Selon ce texte, "la démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté expresse de quitter son administration ou son service. Elle n'a d'effet qu'autant qu'elle est acceptée par l'autorité investie du pouvoir de nomination et prend effet à la date fixée par cette autorité. La décision de l'autorité compétente doit intervenir dans le délai de quatre mois à compter de la réception de la demande de démission".

Ainsi, dans la fonction publique de l'Etat, la démission n'est pas totalement libre et discrétionnaire. L'administration peut donc contraindre, pour un motif tiré de l'intérêt du service, un agent à continuer d'exercer ses fonctions. L'arrêt du 27 avril 2011 modifie les conditions dans lesquelles l'administration peut -ou non- accepter la démission. Cette évolution se fait dans un sens favorable aux agents publics. Cet arrêt doit être lu à l'aune des récentes réformes de la fonction publique, qui visent à inciter les fonctionnaires à quitter l'administration.

En l'espèce, un administrateur civil s'est vu proposer une indemnité de départ volontaire en application du décret n° 2008-368 du 17 avril 2008, instituant une indemnité de départ volontaire (N° Lexbase : L8743H39). Cette indemnité (qui peut représenter jusqu'à vingt-quatre mois de rémunération brute) peut être versée aux fonctionnaires qui quittent définitivement la fonction publique de l'Etat à la suite d'une démission régulièrement acceptée. L'agent a présenté sa démission du corps des administrateurs civils par un courrier adressé au Premier ministre, remis le 17 octobre 2008 au directeur des personnels du ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi. Toutefois, ce n'est que par un décret du 11 mars 2009 que le Président de la République a accepté cette démission. Le fonctionnaire a, ensuite, formé un recours en annulation à l'encontre de ce décret et de la décision lui ayant refusé le versement de son traitement et de ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009.

La question qui se posait était celle de savoir si l'administration peut "régulièrement", au sens de l'article 24 du titre I du statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3), accepter une démission au-delà du délai de quatre mois mentionné par le décret du 16 septembre 1985. Jusqu'à présent, la solution retenue par la jurisprudence était favorable à l'employeur. En effet, en application de la décision du 21 octobre 1962 "Mériot" (Rec. CE, 1962, p. 563), le Conseil d'Etat ne reconnaissait au délai de quatre mois qu'un caractère indicatif. Par suite, l'agent ne pouvait invoquer l'existence d'une décision implicite (favorable ou non) à l'expiration de ce délai. La solution était critiquable. En effet, l'agent se trouvait donc contraint de demeurer en service sine die, sauf à prendre l'initiative d'un abandon de poste. De même, la pratique de l'acceptation rétroactive d'une démission plaçait les agents dans une situation des plus inconfortables. Ainsi, dans l'arrêt commenté, une fois la démission acceptée, l'agent a été rétroactivement privé de traitement pour la période comprise entre la remise de sa démission et son acceptation, près de cinq mois plus tard.

Désormais, la jurisprudence considère que, si l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose d'un délai de quatre mois pour notifier une décision expresse d'acceptation ou de refus, sans que puisse naître, à l'intérieur de ce délai, une décision implicite de rejet (contrairement au principe général), elle se trouve dessaisie de l'offre de démission à l'expiration de ce délai, dont le respect constitue une garantie pour le fonctionnaire. Elle ne peut, alors, se prononcer légalement que si elle est à nouveau saisie dans les conditions prévues par l'article 58 du décret du 16 septembre 1985.

Ainsi, la règle de droit commun (refus implicite né après un silence de deux mois) ne trouve pas à s'appliquer à l'hypothèse de la démission. Cependant, lorsque l'administration n'a apporté aucune réponse à la demande démission à l'intérieur du délai de quatre mois, elle sera considérée comme ayant implicitement refusé celle-ci. L'agent pourra, alors, contester ce refus devant le juge de l'excès de pouvoir. En l'espèce, le décret qui accepte la démission au-delà du délai de quatre mois est, de ce simple fait, illégal.

  • La protection fonctionnelle doit parfois être accordée, même si l'intérêt général s'y oppose (CE 4° et 5° s-s-r., 20 avril 2011, n° 332255, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1029HPS)

Au titre des garanties que le statut général offre aux fonctionnaires, la protection fonctionnelle est l'une des plus originales, dont la jurisprudence assure un respect strict. La protection fonctionnelle est régie par l'article 11 du titre I du statut général. Selon ce texte, "les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales [...] la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle [...] les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires".

L'arrêt du 20 avril 2011 est né dans des circonstances bien connues, tant elles ont défrayé la chronique. Un ancien directeur central des renseignements généraux avait conservé chez lui, aux termes de ses fonctions, tout un ensemble de notes recueillies durant son exercice professionnel. Ces documents ont été saisis par la justice puis -cela paraît presque normal, en dépit du secret de l'instruction- diffusés par extraits dans des journaux. La parution des fameux "carnets" a suscité nombre de réactions et commentaires. L'agent en question a été mis en cause, notamment dans des articles de presse, et il a fait l'objet de plusieurs plaintes pour diffamation, déposées par les personnes dont les faits et gestes étaient exposés dans les carnets.

Le fonctionnaire a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, afin que l'Etat prenne en charge sa défense, tant en défense qu'en demande, les faits à l'origine des poursuites et injures ayant eu lieu alors qu'il était en fonction. Le ministre de l'Intérieur a opposé un refus à cette demande. Celui-ci a été annulé par le Conseil d'Etat en 2009 (CE 4° et 5° s-s-r., 19 juin 2009, n° 323745, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2876EID). Réitérant sa demande, le fonctionnaire s'est vu opposer un second refus ; cette décision est partiellement annulée par l'arrêt commenté.

Pour refuser de nouveau la protection fonctionnelle, l'administration invoquait deux éléments : d'une part, l'existence d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions, à savoir le fait de conserver à son domicile des notes personnelles ; d'autre part, un motif d'intérêt général, ces carnets comportant des annotations susceptibles de jeter le discrédit sur des personnalités publiques et attentatoires à leur vie privée. Ce motif n'était opposé à l'agent pour que la protection contre les attaques.

Dans son arrêt, le Conseil d'Etat annule la décision de refus, mais uniquement en ce qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle à raison des plaintes déposées contre l'agent. La décision opère, ainsi, une distinction entre les divers motifs qui peuvent justifier un refus. Si l'administration peut invoquer l'intérêt général pour refuser la protection à un agent victime de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages (loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, art. 11 N° Lexbase : L5204AH9), une telle justification n'est pas opérante lorsque l'administration souhaite refuser la protection à raison de poursuites pénales dont l'agent est l'objet (alinéa 4 du même article 11).

L'invocation de l'intérêt général représente une hypothèse classique de dérogation au principe suivant lequel la protection fonctionnelle est un droit pour les agents victimes d'attaques (au sens large). De ce point de vue, l'arrêt commenté confirme une jurisprudence constante (CE, 25 juillet 2001, n° 210797, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5032AUW ; CE référé, 8 mars 2009, n° 335543 N° Lexbase : A1669ETY ; CE 4° s-s., 5 mai 2010, n° 326551, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1167EXI ; CE 4° s-s., 4 avril 2011, n° 334402, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8931HMQ).

Ainsi, si le ministre a eu tort d'opposer le caractère personnel de la faute commise par l'agent, le Conseil d'Etat constate, cependant, qu'il aurait pris la même décision sur le seul fondement du motif d'intérêt général mentionné dans sa décision, à savoir le fait que "l'Etat ne saurait couvrir de son autorité les agissements d'un directeur central des renseignements généraux ayant recueilli sur des personnalités publiques, dont certaines investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs, des informations sans lien avec les missions de service public dont il avait la responsabilité, et gravement attentatoires à l'intimité de la vie privée de ces personnes". Le refus est donc légal pour ce qui concerne les attaques et injures dont l'agent s'estimait victime.

En revanche, la question, à notre connaissance inédite, restait de savoir si l'administration peut opposer un motif tiré de l'intérêt général pour refuser la protection fonctionnelle à un agent faisant l'objet de poursuites pénales. Dans cette hypothèse, l'article 11 du statut général indique que la collectivité publique est tenue d'assurer cette protection dès lors que les faits ne sont pas constitutifs d'une faute personnelle. En présence d'une telle rédaction, le Conseil d'Etat ne pouvait qu'être incité à la prudence. Il semble bien, en effet, que le législateur a clairement eu pour objectif de limiter ici les causes de rejet des demandes et, partant, le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives. En l'espèce, le fait d'avoir conservé à son domicile les carnets contenant des notes relatives aux fonctions qu'il avait exercées n'a pas le caractère d'une faute personnelle, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent a conservé ces carnets en vue de s'en servir à des fins personnelles. Par conséquent, le fonctionnaire a droit à la protection fonctionnelle.

S'agissant de l'assiette financière de la protection contre les poursuites, l'arrêt indique que doivent être regardés comme des éléments pouvant donner lieu à cette protection les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l'encontre du fonctionnaire ou de l'ancien fonctionnaire, alors même que cette plainte aboutit ultérieurement à une décision de classement sans suite.

  • Le licenciement pour insuffisance professionnelle est possible même sans texte, à condition de respecter une procédure contradictoire (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2011, n° 328111, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1882G9L)

Dans l'arrêt ici commenté, le Conseil d'Etat affirme la primauté du pouvoir de l'administration, dès lors que celui-ci est tourné vers la plus grande satisfaction possible de l'intérêt général ; toutefois, la décision veille au respect des garanties élémentaires auxquelles les agents publics peuvent prétendre.

Une chambre des métiers -qui possède le statut d'établissement public- ayant licencié son directeur financier, cet agent a saisi le tribunal administratif et obtenu l'annulation de son licenciement au motif que le motif retenu par l'administration ne pouvait constituer, en l'espèce, un motif légitime. Pour arriver à cette solution, le tribunal et la cour administrative d'appel (CAA Nantes, 3ème ch., 5 février 2009, n° 07NT00962 N° Lexbase : A2093EID) ont estimé que le statut des personnels administratifs des chambres des métiers ne prévoyait pas la possibilité de prononcer le licenciement d'un agent pour insuffisance professionnelle. Ce type de licenciement repose sur une justification bien particulière. En effet, à l'exclusion de toute faute disciplinaire, l'administration peut se séparer d'un agent qui "ne répond pas aux attentes légitimes de son employeur compte tenu de son grade et de son emploi. Il n'accomplit pas de manière satisfaisante les missions qui lui sont confiées, notamment par comparaison avec les fonctions que doit normalement remplir un agent de son grade ou pourvu de ses titres" (1). En bref, il s'agit d'une mesure fondée sur l'intérêt général, celui-ci exigeant que les personnes travaillant à son service exercent leurs fonctions pour la plus grande satisfaction de la collectivité.

Une chambre des métiers peut-elle prononcer ce type de licenciement alors même que rien, dans le statut de ces agents, ne l'y autorise ? La réponse est positive pour le Conseil d'Etat. Dans des termes très généraux, l'arrêt note que "l'autorité administrative peut, même sans texte, procéder au licenciement d'un agent de droit public en raison de son insuffisance professionnelle, dès lors qu'elle s'entoure des garanties attachées à une décision de cette nature, notamment le respect d'une procédure contradictoire".

Cet arrêt est intéressant car il étend à l'ensemble des agents publics une possibilité que la jurisprudence a déjà admise pour les personnels contractuels (CE 8° et 9° s-s-r., 22 juillet 1994, n° 135108, mentionné au tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2160ASS). De plus, il rappelle qu'en toute hypothèse, le licenciement pour inaptitude professionnelle ne peut intervenir qu'après la mise en oeuvre d'une procédure contradictoire. En l'absence de texte, on peut estimer que cette procédure devra être calquée sur la procédure disciplinaire applicable à l'agent licencié, comme c'est le cas dans les fonctions publiques d'Etat (loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, art. 70 N° Lexbase : L4974AHP) et territoriale (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, art. 93 N° Lexbase : L4080E3I).

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour


(1) F. Mallol, Bilan de la jurisprudence sur le licenciement pour insuffisance professionnelle, AJFP, 1996, p. 43.

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Informatique et libertés

[Questions à...] "Whistleblowing" : la Cnil met à jour son autorisation unique - Questions à Alexandra Néri et Olivier Menant, avocats au cabinet Herbert Smith

Lecture: 5 min

N2757BSW

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par Sophia Pillet - SGR Droit social

Le 20 Mai 2011

Afin d'encadrer la mise en place d'un dispositif d'alerte professionnelle ou de "whistleblowing" au sein des entreprises et de simplifier leurs démarches administratives, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a adopté une autorisation unique, le 8 décembre 2005 (1), leur permettant de réaliser une déclaration simplifiée si elles se conformaient à un cadre juridique strictement défini. Cependant, le 14 octobre 2010 (2), la Cnil a modifié cette autorisation unique laissant alors six mois aux entreprises pour se mettre en conformité avec le nouveau texte. Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Alexandra Néri et Olivier Menant, avocats au cabinet Herbert Smith, afin de revenir sur les enjeux de la nouvelle autorisation unique en matière professionnelle et leurs conséquences directes sur les salariés. Lexbase : Qu'est ce qu'un dispositif d'alerte professionnelle ?

Alexandra Néri et Olivier Menant : Les dispositifs d'alerte professionnelle (ou "whistleblowing") consistent concrètement en une série de procédures et de moyens de traitement (une boîte aux lettres électronique, une ligne téléphonique dédiée, etc.), permettant aux salariés de signaler des agissements illégaux sans passer par les voies hiérarchiques traditionnelles, celle-ci pouvant être parfois impliquées dans les faits signalés.

Les dispositifs d'alerte professionnelle se sont généralisés aux Etats-Unis à la suite de l'adoption de la loi "Sarbanes-Oxley" du 31 juillet 2002. Cette loi devait renforcer, à la suite des affaires "Enron" et "Worldcom", les obligations imposées aux entreprises en matière de transparence financière (obligations concernant d'ailleurs certaines sociétés françaises cotées sur le marché américain).

C'est également en réponse aux nouvelles obligations (3) de contrôle interne imposées aux entreprises que les "chartes éthiques" (4) et les alertes professionnelles se sont développées en France sur le modèle américain.

Ces dispositifs impliquent la collecte et le traitement de données à caractère personnel, afin de traiter, orienter, et suivre les alertes, et doivent dès lors être mis en oeuvre conformément aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), et en particulier, faire l'objet d'une demande d'autorisation.

Dans un premier temps, la Cnil a simplement émis une recommandation générale, après avoir rejeté les demandes d'autorisation des sociétés McDonald's et Exide Technologies. Puis, face à la multiplication des demandes d'autorisation en application de l'article 25-I de la loi "informatique et libertés", la Cnil adoptait en 2005 (5) une autorisation unique n° AU-004, permettant aux entreprises concernées d'instaurer ce type de dispositif sur simple engagement de conformité à un cadre prédéfini. C'est cette autorisation unique qui a été mise à jour récemment.

Lexbase : Par une délibération du 14 octobre 2010 (6), la Cnil a modifié son autorisation unique permettant de mettre en place un dispositif d'alerte professionnelle. Pourriez-vous revenir sur le contexte et l'origine de cette décision ?

Alexandra Néri et Olivier Menant : En 2005, la Cnil avait défini le périmètre du dispositif aux termes de l'article 1er de son autorisation unique : les alertes devaient concerner uniquement les domaines comptables, bancaires, financiers et la lutte contre la corruption. Aux termes de l'article 3, la Cnil tolérait néanmoins que puissent être recueillies, puis réorientées les alertes situées hors du champ de l'article 1er et concernant certains faits graves, à savoir des faits mettant en jeu l'intérêt vital de l'organisme ou l'intégrité physique ou morale de ses employés.

Or, dans un arrêt du 8 décembre 2009 (7), la Cour de cassation a considéré que l'article 1er de l'autorisation unique définit de manière précise les finalités de ces alertes, de sorte que l'article 3 ne pouvait avoir pour effet d'y déroger.

La Cnil a ainsi modifié son autorisation unique afin de tenir compte de la position de la Cour de cassation.

Lexbase : Quels sont les nouveaux domaines pouvant faire l'objet d'une alerte professionnelle et quelles sont désormais les modalités d'archivage des alertes à mettre en oeuvre ?

Alexandra Néri et Olivier Menant : Avec cette mise à jour, il existe aujourd'hui un cinquième domaine couvert par l'autorisation unique, celui des pratiques anticoncurrentielles. Le terme est assez vague, mais il fait écho au Titre 2 (Livre 4) du Code de commerce sur les pratiques anticoncurrentielles, et est donc susceptible de couvrir un champ assez large, par exemple, les actions concertées, les ententes expresses ou tacites, les pratiques discriminatoires et autres abus de position dominante.

Par ailleurs, le système d'alerte peut maintenant couvrir les obligations nées de la loi japonaise "Financial Instrument and Exchange Act" du 6 juin 2006 (dite "Japanese Sox") et non plus seulement de la loi française ou de la section 301 de la loi américaine dite "Sarbanes Oxley".

Lexbase : Cette autorisation unique va-t-elle ouvrir de nouveaux droits ou obligations à l'égard des salariés ?

Alexandra Néri et Olivier Menant : Cette autorisation permet aux salariés de signaler en plus les comportements susceptibles de constituer une infraction au droit de la concurrence.

En revanche, le salarié ne peut plus utiliser le dispositif pour signaler de comportements autres que ceux clairement visés par l'autorisation unique. Par exemple, en cas de manquement grave à la politique de sécurité ou de divulgation d'informations confidentielles, le salarié devra utiliser les voies classiques.

Par ailleurs, s'agissant des données relatives aux salariés, et plus précisément de la durée de conservation de ces données, il est prévu que le responsable du traitement détruise ou archive les données relatives à une alerte dans un délai de deux mois lorsque celle-ci n'est pas suivie d'une procédure disciplinaire ou judiciaire, y compris dorénavant lorsque l'alerte n'a pas fait l'objet de vérifications.

Lexbase : Il n'est pas nécessaire aux entreprises de procéder à une nouvelle déclaration de conformité. En revanche, les entreprises concernées sont dans l'obligation de mettre en conformité leur traitement avant le 8 juin 2011. Quelle procédure devront alors suivre ces entreprises ?

Alexandra Néri et Olivier Menant : Les sociétés concernées doivent, d'une part, procéder à la modification des règles applicables dans l'entreprise (par exemple : code d'éthique définissant le champ d'application du dispositif à l'intention des salariés, avenant au règlement intérieur, et/ou à la charte informatique).

D'autre part, il est nécessaire de procéder à la destruction sans délai des données déjà collectées n'entrant pas dans le champ du dispositif, c'est-à-dire lorsqu'elles sont relatives à des faits mettant en jeu l'intérêt vital de l'entreprise ou l'intégrité physique ou morale des salariés.

Par ailleurs, il conviendra de mettre à jour (le cas échéant) le système informatique afin que les domaines hors champs ne puissent plus être traités ou que les alertes soient filtrées, et de manière à prendre en compte le nouveau champ des pratiques anticoncurrentielles. Dans le cas où le traitement a été confié à un prestataire externe, il conviendra de l'informer de cette mise à jour, de s'assurer que celui-ci respecte les nouvelles règles applicables et d'obtenir une garantie sur la conformité de ses services à ces règles.

Enfin, il conviendra d'informer les salariés sur le nouveau champ d'application en leur rappelant qu'ils doivent utiliser le recours aux voies classiques pour les domaines ne relevant pas de l'autorisation unique (voie hiérarchique, information des représentants syndicaux ou des services de ressources humaines) et, le cas échéant, de consulter les instances représentatives du personnel, et le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail sur les nouvelles règles.

Lexbase : A quelles sanctions s'exposeront les entreprises qui n'auront pas procédé à cette mise en conformité avant la date impartie par la CNIL, le 8 juin 2011 ?

Alexandra Néri et Olivier Menant : Les entreprises qui mettent en oeuvre un traitement de données à caractère personnel en infraction à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et, en particulier, qui ne respectent pas, y compris par négligence, les normes de la Cnil peuvent être condamnées à 300 000 euros d'amende (à multiplier par cinq pour les personnes morales) aux termes des articles 226-16 (N° Lexbase : L4476GTX) à 226-24 (N° Lexbase : L2353IEU) du Code pénal.

Plus probablement, les entreprises en infraction sont susceptibles de se voir infliger des sanctions administratives et financières par la Cnil en vertu des articles 45 et suivants de la loi "informatique et libertés", c'est-à-dire concrètement, des avertissements, des mises en demeures, voire des sanctions pécuniaires d'un montant maximal de 150 000 euros.

La Cnil dispose, également, d'un moyen de pression important du fait de son pouvoir d'injonction, qui peut impliquer l'interdiction pour l'entreprise de continuer à traiter les données en question.


(1) Délibération CNIL n° 2005-305 du 8 décembre 2005.
(2) Délibération CNIL n° 2010-369 du 14 octobre 2010.
(3) Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB), loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X), loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ).
(4) Voir, Code de déontologie : "On ne renonce pas à sa liberté de penser lors d'une embauche, ni même au cours de l'exécution de son contrat de travail" - Questions à Maître Dominique Bianchi, avocat au barreau de Lille, Lexbase Hebdo n° 422 du 6 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0291BR9).
(5) Délibération CNIL n° 2005-305 du 8 décembre 2005, préc..
(6) Délibération CNIL n° 2010-369 du 14 octobre 2010, préc..
(7) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL) et voir les obs. de Ch. Willmann, Alerte professionnelle : un code d'entreprise doit être conforme à la loi du 6 janvier 1978, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7165BMC).

newsid:422757

Internet

[Manifestations à venir] Implication des intermédiaires d'internet et sanction de la contrefaçon

Lecture: 1 min

N2832BSP

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Le 19 Mai 2011

Le CERDI (Centre d'études et de recherche en droit de l'immatériel) et le pôle Propriété intellectuelle de l'association Trans Europe Experts organisent à la Faculté Jean Monnet (Université Paris-Sud 11) le lundi 30 mai 2011 une matinée de réflexion consacrée à l'implication des intermédiaires d'internet et la lutte contre la contrefaçon, sous la direction de Célia Zolinsky, Professeur, Université Rennes I, directrice du pôle Propriété intellectuelle de TEE et Alexandra Bensamoun, maître de conférence HDR, Université Paris-Sud 11, secrétaire générale du CERDI. Le réseau Trans Europe Experts et CERDI, en collaboration avec DANTE (Laboratoire de Droit des Affaires et Nouvelles Technologies de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yevlines), ont répondu à la consultation de la Commission européenne sur l'application de la Directive 2004/48/CE du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4). Cet atelier de réflexion vise à approfondir l'un des aspects de la réponse. L'ensemble fera l'objet d'une publication dans la collection TEE/SGL (Société de Législation Comparée).
  • Programme :

- 9h00 : Accueil des participants

- 9h30 : Etat des lieux de l'articulation entre la Directive "e-commerce" et la Directive "enforcement" (conciliation normative et technique), Celia Zolinsky, Professeur, Université Rennes I, directrice du pôle Propriété intellectuelle de TEE

- 9h45-11h15 : Faut-il réformer la responsabilité des intermédiaires ?
. Panorama des questions
Alexandra Bensamoun, maître de conférence HDR, Université Paris-Sud 11, secrétaire générale du CERDI

. Arguments juridiques
Valérie-Laure Benabou, Professeur, Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, directrice du DANTE

. Arguments pratiques
Débats avec la salle

-11h15-11h45 : Pause café (Salle Imbert)

-11h45-13h00 : Les solutions alternatives : l'approche négociée
. La charte française
Pierre Sirinelli, Professeur, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, fondateur et codirecteur du CERDI

. La charte européenne
Benoît Tabaka, Directeur des affaires juridiques et réglementaires, PriceMinister

Débats avec la salle

-13h00 : Buffet (Salle Imbert)

  • Date :

Lundi 30 mai 2011
9h00-13h00

  • Lieu :

Salle Vedel
Faculté Jean Monnet
54, boulevard Desgranges
92330 Sceaux

  • Contact :

Entrée libre
Cf. la page internet du Master DI2C (Droit-Innovation-Communication-Culture) de l'Université Paris-Sud 11, Faculté Jean Monnet

newsid:422832

Internet

[Questions à...] Après le e-commerce et le m-commerce... un "nouveau-né", le f-commerce - Questions à Bernard Lamon, Avocat, Spécialiste en droit de l'informatique et des télécommunications, Lamon & Associés

Lecture: 3 min

N2821BSB

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 19 Mai 2011

On connaissait le e-commerce (commerce électronique), le m-commerce (commerce via les téléphones mobiles) ; une nouvelle expression a fait son entrée dans la galerie marchande NTIC, le f-commerce (Facebook commerce). La chose est désormais acquise, Facebook n'est plus seulement un réseau social, mais représente pour les entreprises une manne d'informations précieuses et un important vecteur de commercialisation de leurs produits et services. En dépassant la barre des 600 millions d'utilisateurs dans le monde en janvier 2011, Facebook est devenu le plus grand magasin du Monde. Selon une étude récente (CCM Benchmark Etudes février, 2011), toutefois, si 98 % des marchands en ligne seront présents sur le réseau social Facebook cette année, très peu d'entre eux y réaliseront des ventes. Ce nouveau vecteur de commercialisation soulève nécessairement des interrogations sur le cadre et le régime juridique applicable à l'opération de f-commerce. Pour nous éclairer, Lexbase Hebdo - éditions affaires a donc rencontré Maître Bernard Lamon, Avocat, Spécialiste en droit de l'informatique et des télécommunications, Lamon & Associés (1).

Lexbase : Qu'est ce que le "f-commerce" ?

Bernard Lamon : Le f-commerce ou social commerce est le fait de proposer à la vente des biens ou services par l'intermédiaire d'un réseau social. Facebook, où 700 milliards de minutes sont passées chaque mois, est le terrain de jeu privilégié de ce nouvel espace commercial.

Le commerce "Off-Facebook" est déjà répandu : il s'agit d'intégrer à son site d'e-commerce des fonctions Facebook ("like", "share", etc.).
Le "On-Facebook" est le plus poussé : le commerçant "ouvre" sa boutique directement sur sa page Facebook. Il s'appuie sur des fournisseurs d'applications "clés en mains" comme Boosket. Depuis peu, il est même possible d'intégrer un paiement Paypal au site de f-commerce : l'acte d'achat se réalise entièrement sur le domaine Facebook.

Sur Facebook, il convient de distinguer :
- la page personnelle de l'utilisateur ;
- la page commerciale du f-commerçant qui sera la "vitrine" de ses produits, de ses marques et de son activité ;
- et la page communautaire, c'est-à-dire la page créée par le site Facebook lui-même.

Des marques ont des pages communautaires. En avril 2010, Facebook a créé, sous sa propre initiative, des pages communautaires reprenant des marques très connues. Ces pages, développées sans l'autorisation des titulaires des marques, reprennent automatiquement les commentaires que les utilisateurs ont publiés sur leur page personnelle. Or, l'une des principales difficultés est que le titulaire desdites marques a également créé sa propre page qui coexiste avec les pages "communautaires" de Facebook. Cette coexistence est source de difficulté puisque les pages automatiques de Facebook ne peuvent pas être modifiées par les titulaires des marques.

Lexbase : Dans ce schéma, quel est le statut de Facebook ? Quel est le cadre juridique applicable à ces opérations de f-commerce ?

Bernard Lamon : Le plus probablement, c'est celui d'un hébergeur ou prestataire technique au sens de l'article 6 de la LCEN (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC). Cela implique un régime de responsabilité particulier relativement allégé. Facebook ne jouant aucun rôle sur le contenu de la page du f-commerçant, la qualité d'éditeur ne pourra pas, à mon sens, être retenue, et à ce titre, la responsabilité de Facebook sera subordonnée à la connaissance préalable d'une faute. Aussi, pour engager la responsabilité de Facebook, l'internaute devra rapporter la preuve que le site avait connaissance des faits litigieux.

A contrario, le f-commerçant, es qualité d'éditeur de la page litigieuse, engagera sa responsabilité pour le contenu publié sur sa page.

Lexbase : Quel est le risque majeur pour les f-commerçants ?

Bernard Lamon : Il y en a plusieurs :
- devenir de plus en plus indépendant d'une société privée pour animer son réseau commercial ;
- Facebook peut changer ses conditions commerciales à tout moment et ne s'en prive pas ;
- il y a également le risque systémique d'être l'objet d'une campagne de dénigrement.

Lexbase : Quels sont les risques à méconnaître les Terms de Facebook ?

Bernard Lamon : Facebook s'arroge des droits de vie ou de mort sur Facebook. Pour tout utilisateur qui ne respecterait pas les conditions d'utilisation une sanction de non-respect est appliquée. Cela signifie que le compte est suspendu. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé récemment à une marque française. Faute d'avoir répondu favorablement au service commercial de Facebook qui voulait lui facturer sa présence sur son site, en tant qu'agent économique, la page de cette marque a été très rapidement clôturée et la marque "blacklistée" pour une durée indéterminée.

Lexbase : En cas de litige, quels sont le tribunal compétent et la loi applicable ?

Bernard Lamon : Il faut distinguer deux situations.

D'abord, en cas de conflit avec Facebook, les conditions générales (qui changent souvent d'ailleurs) semblent désigner la loi irlandaise, en tout cas lorsque vous acceptez les conditions générales de Facebook, vous acceptez un contrat avec une société Irlandaise. Il faut mener une analyse complexe qui dépend notamment du point de savoir si vous intervenez en tant que consommateur ou commerçant. Il existe une société Facebook France mais il n'est pas certain qu'une action subsidiaire contre cette société soit recevable car son objet social est limité à de simples activités commerciales et non à la gestion même de ce site web.

Ensuiteen cas de conflit sur Facebook, par exemple pour une diffamation commise entre deux personnes tierces, alors les règles classiques de compétence et de loi s'appliquent.


(1) Cf. le site internet du cabinet Lamon & Associés.

newsid:422821

Procédure civile

[Manifestations à venir] L'appel

Lecture: 1 min

N2828BSK

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Le 19 Mai 2011

Le barreau de Toulon, le Centre de droit et de politique comparés, et l'association JurisProcess, avec le concours de l'Université du Sud-Toulon-Var, des éditions juridiques Lexbase et de la société de courtage des barreaux, organisent le 27 mai 2011 un colloque consacré à la procédure d'appel.
  • Programme

- 9h00 Accueil

- 9h30 Allocution d'ouverture, par Thierry Di Manno, Directeur du Centre de Droit et de Politique Comparés Jean-Claude Escarras, UMR 62-01

- 10h00 Rapport introductif "Les clés de compréhension des réformes de l'appel", par Soraya Amrani-Mekki, Professeur à l'Université de Nanterre

Matinée présidée par Madame Catherine Husson-Trochain, Première Présidente de la cour d'appel d'Aix-en-Provence

- 10h30 "La saisine de la cour d'appel", par Nicolas Cayrol, Professeur à l'Université de Tours

- 11h00 "Le principe de concentration des moyens", par Yves Strickler, Professeur à l'Université de Nice, Sophia-Antipolis

- 11h30 Débats-Pause

- 12h00 "Les nouvelles sanctions procédurales", par Cyril Martello, Avocat au barreau de Toulon, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var

- 12h30 "Le régime de l'exécution des jugements frappés d'appel", plaidoiries par Geoffrey Barthélémy, Josselin Bertelle, Laura Marec et Cindy Yvars, étudiants du Master droit processuel et contentieux administratif.

- 13h00 Déjeuner

Après-midi présidée par Monsieur le Bâtonnier Régis Durand, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Toulon

- 14h30 "La numérisation ou le système RPVA", par Laurent Chouette, Avocat au barreau de Toulon

- 15h00 "La postulation après la 'dite' fusion de la profession d'avoué", par Maître Blanc, avoué près la cour d'appel d'Aix-en-Provence

- 15h30 "Le Conseiller nouveau de la mise en état est arrivé...", par Michel Mallard, Premier président de la cour d'appel de Besançon

- 16h00 Débats - Pause

- 16h30 "Les moyens procéduraux d'une justice numérique ?", par Blandine Rolland, Maître de conférences à l'Université de Lyon 3

- 17h00 "Un appel efficace ?", par Laurent Pennec, Docteur en droit, Université du Sud Toulon-Var

  • Date

Vendredi 27 mai 2011
9h00-18h00

  • Lieu

Faculté de Droit de Toulon
Amphi 300
35 rue Alphonse Daudet
83200 Toulon

  • Renseignement

Tél.: 04 94 46 75 00

newsid:422828

Procédures fiscales

[Questions à...] Bouleversement de la mise en jeu de la responsabilité de l'administration fiscale : le passage à la faute simple va-t-il ébranler le modèle actuel de résolution des conflits ? - Questions à Jean-Pierre Lieb, chef du Service juridique de la fiscalité de l'administration fiscale

Réf. : CE Section, 21 mars 2011, n° 306225, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5714HIH)

Lecture: 9 min

N1352BSU

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 19 Mai 2011

Le 21 mars 2011, le Conseil d'Etat a opéré un revirement de jurisprudence en matière de mise en jeu de la responsabilité de l'administration fiscale. Le juge suprême a assoupli cette mise en jeu, qui, auparavant, était engagée en cas de faute lourde. En effet, par cette décision, le Conseil d'Etat annule un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 3ème ch., 5 avril 2007, n° 05NC00357, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8708DU3) qui constate qu'aucune faute lourde n'a été commise par les agents de l'impôt. En l'espèce, l'administration a fait une erreur sur la date à prendre en compte pour apprécier le statut de dirigeant d'une société (CGI, art. 117 N° Lexbase : L1784HNE). Cette "faute simple" a eu pour conséquence l'assujettissement du contribuable au paiement des dettes fiscales de la société qu'il ne dirigeait pourtant plus à la date à laquelle l'administration aurait dû se placer. Le requérant, après être passé devant le juge de l'impôt, afin que soit prononcée la décharge de l'imposition dont il a été redevable à tort, repasse devant le Conseil d'Etat afin, qu'il statue, cette fois, en tant que juge de la responsabilité, et condamne l'Etat à l'indemniser du fait du préjudice causé par l'erreur commise par les agents fiscaux (CE Section, 21 mars 2011, n° 306225, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5714HIH).
Ce passage à la faute simple comme critère d'engagement de la responsabilité de l'administration, aura-t-il un impact sur le quotidien des vérifications fiscales ? Jean-Pierre Lieb, chef du Service juridique de la fiscalité de l'administration fiscale, revient sur cette décision, afin d'analyser les changements qu'elle est susceptible de provoquer sur la procédure fiscale. Lexbase : Quelle était la jurisprudence antérieure à cette décision ? Sous quelles conditions, et à quel rythme, était engagée la responsabilité de l'Etat ?

Jean-Pierre Lieb : L'arrêt du Conseil d'Etat du 21 mars 2011 marque une évolution importante des critères d'engagement de la responsabilité de l'Etat en ce qu'il conduit principalement à abandonner, désormais complètement, l'exigence d'une faute lourde de l'administration fiscale.

Le Conseil d'Etat a suivi, dans sa jurisprudence relative à la responsabilité de l'Etat du fait de l'action de l'administration fiscale, la même évolution que celle qui a pu être observée en matière de responsabilité administrative générale. Sans évoquer l'époque lointaine où la responsabilité de l'administration fiscale ne pouvait être engagée qu'à raison d'une faute "manifeste ou d'une exceptionnelle gravité", le Conseil d'Etat est passé ensuite au régime de la faute lourde, puis à un régime mixte, dégagé par l'arrêt "Bourgeois" en 1990 (CE Section, 27 juillet 1990, n° 44676, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4648AQ9). Dans ce régime, relevaient de la faute lourde les erreurs commises lors de l'exécution d'opérations qui se rattachaient aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt, lorsque ces procédures comportaient des difficultés particulières tenant à l'appréciation de la situation des contribuables. En revanche, relevaient déjà du régime de la faute simple les erreurs commises en dehors de ces procédures ou celles commises à l'occasion de ces procédures lorsque l'appréciation de la situation des contribuables ne présentait aucune difficulté particulière. Tel pouvait être le cas d'une absence de prise en compte d'un sursis de paiement de l'impôt supplémentaire mis en recouvrement, de l'assujettissement d'un contribuable à un impôt dont il était, à l'évidence, exonéré, de la répétition annuelle d'une erreur malgré les éclaircissements apportés par un contribuable, etc..

S'agissant de la fréquence d'engagement de la responsabilité de l'Etat, les juridictions n'hésitent pas, lorsque c'est légitime, à condamner l'administration fiscale. Si l'on tient compte des contentieux de série, certaines années, le nombre de condamnations peut dépasser la centaine. Abstraction faite de ces contentieux, le rythme annuel moyen de condamnation est d'environ une dizaine d'affaires aux enjeux parfois très contrastés (de quelques milliers à quelques millions d'euros).

Mais il convient de souligner que, dès le stade de la réclamation du contribuable qui estime avoir subi un préjudice du fait de l'action des services fiscaux, l'administration est régulièrement amenée à admettre sa responsabilité, évitant ainsi tout contentieux inutile. Cette approche pragmatique requiert, cependant, que le demandeur ne soit pas tenté par une maximisation de ses prétentions. Les demandes manifestement exagérées, voire caricaturales, font obstacle à une transaction équitable.

Appliquée de façon loyale par l'administration, la jurisprudence "Bourgeois" permettait, ainsi, de corriger les effets de celles des erreurs des services qui ne pouvaient être excusées par les difficultés des tâches que ces services ont en charge, et qui causaient un préjudice effectif aux contribuables. Mais, sans doute, en permettant de donner une solution rapide aux affaires les plus sérieuses, cette approche a tari le nombre de dossiers arrivant jusqu'au Conseil d'Etat, ce qui a pu faire dire à certains que cette jurisprudence était restée lettre morte, d'où son abandon.

Lexbase : Le passage de la faute lourde à la faute simple bouleverse la mise en jeu de la responsabilité de l'administration fiscale, du moins en théorie. En pratique, cette décision va-t-elle modifier les procédures ?

Jean-Pierre Lieb : A première vue, l'arrêt "Krupa", dont il est question ici, bouleverse les conditions dans lesquelles l'administration fiscale doit remplir ses missions. Le principe étant que toute illégalité est une faute, tout dégrèvement accordé au contribuable deviendrait ainsi la manifestation d'une faute commise dans l'établissement ou le recouvrement de l'impôt. Sachant que chaque année sont présentées environ quatre millions de réclamations contentieuses et que l'administration fait droit à ces demandes à 90 % environ, à première vue toujours, la jurisprudence "Krupa" devrait appeler une réflexion sur les mesures qu'il conviendrait de prendre afin de protéger l'administration contre les effets potentiels de cette décision.

Mais il convient de rester serein et d'attendre à la fois, l'usage que les contribuables et leurs conseils feront de la nouvelle règle, et l'application qui en sera faite par les juridictions du fond. De plus, si l'arrêt "Krupa" pose clairement la règle de l'engagement de la responsabilité de l'Etat, il trace également un cadre dans lequel cette règle devra être appliquée. Ce cadre sera probablement précisé dans l'avenir par le Conseil d'Etat mais il est d'ores et déjà possible de faire un certain nombre de remarques.

Tout d'abord, un bon nombre de dégrèvements sont accordés à la suite de la correction d'une erreur du contribuable lui-même et font suite à la production tardive par ce dernier de justificatifs. Dans un tel cas, bien entendu, aucune faute ne peut être reprochée aux services.

De même, devrait être prise en compte l'attitude du contribuable, notamment dans le cas d'un contrôle fiscal. Si des rappels notifiés sont abandonnés alors que le contribuable vérifié était en situation d'opposition à contrôle, l'on espère que le rappel abandonné sera regardé comme notifié à tort, non du fait d'une faute du service vérificateur, mais du fait de "la victime".

En outre, l'arrêt "Krupa" pose le principe d'un traitement différent des rappels abandonnés à la suite d'une erreur de procédure.

Enfin, même si une faute des services est reconnue, encore faut-il que le contribuable soit en mesure d'établir un préjudice causé directement par cette faute. Ce préjudice ne peut être le seul versement de l'impôt dégrevé par la suite. En pratique, et la jurisprudence "Krupa" ne modifie en rien sur ce point l'état du droit, la démonstration d'un tel préjudice reste exceptionnelle.

Tous ces éléments conduisent à espérer que la jurisprudence "Krupa" ne sera pas un véritable bouleversement.

En tout état de cause, la responsabilité première de l'administration fiscale est d'appliquer la loi fiscale et de collecter l'impôt légalement du. Le risque de voir la responsabilité de l'Etat engagée en cas d'erreur commise dans la procédure de l'établissement ou de recouvrement de l'impôt ne saurait, d'une quelconque façon, entraver l'action de la DGFiP et en particulier de ses services de contrôle.

Aucune "procédure" ne sera donc modifiée et des consignes seront données à nos agents pour qu'ils continuent d'accomplir leurs missions avec la même rigueur professionnelle qui caractérise de longue date leur action, quelle que soit le régime de la responsabilité applicable à cette action.

Lexbase : La reconnaissance d'une faute commise par l'administration est-elle une affaire d'institution ou une affaire d'agent ? Autrement dit, lorsqu'un agent des impôts est impliqué dans une erreur, peut-il subir des sanctions disciplinaires ?

Jean-Pierre Lieb : Votre question est très intéressante, mais il faut ici distinguer entre une approche juridique et une approche, disons, sociologique, du comportement des agents.

Sur le plan du droit, la responsabilité des services fiscaux et de ses agents obéit aux règles classiques de la responsabilité administrative. De façon très schématique, la faute personnelle de l'agent est exceptionnelle et implique que l'agissement fautif soit détachable du service. Ce n'est qu'alors que la responsabilité personnelle de l'agent pourrait être recherchée devant le juge judiciaire. Mais, en pratique, il est toujours plus intéressant pour le plaignant de se tourner vers l'administration, qui sera mieux à même d'assurer son indemnisation.

Cela étant, il faut ajouter que les menaces personnelles de contribuables à l'égard de vérificateurs, menaces évoquant l'engagement de poursuites pénales à l'encontre de la personne de l'agent au prétexte qu'il serait mû par une vindicte personnelle ou ferait preuve d'un acharnement anormal ne sont pas exceptionnelles, même si elles restent rares. Il s'agit là de pressions de la part de contribuables souvent de mauvaise foi et dont il s'avère souvent in fine qu'ils ne sont pas d'un civisme fiscal exemplaire. En règle générale, les relations avec les contribuables de bonne foi qui constituent l'écrasante majorité de nos interlocuteurs sont aujourd'hui sereines et les contrôles se passent dans un climat apaisé.

J'ajouterai que l'administration assume pleinement son devoir de protection et d'assistance à l'égard des agents victimes de telles pressions ou menaces.

L'arrêt "Krupa" ne modifie, en fait, rien à l'équilibre, très classique, entre la responsabilité personnelle de l'agent et la responsabilité de l'Etat. Celle-ci reste la règle et c'est elle qui sera recherchée. D'autant plus que la faute de l'Etat résultera de la seule constatation de l'abandon d'un rappel ou d'un dégrèvement, alors que pour faire condamner la personne de l'agent, il faudrait prouver devant le juge judiciaire que le comportement de l'agent était fautif.

Bien entendu, lorsqu'il apparaît que des erreurs graves ont été commises dans la procédure d'imposition, l'agent qui les a commises peut, mais cela n'est pas nouveau, faire l'objet de sanctions disciplinaires ou administratives ou, dans un cas extrême, l'Etat, condamné du fait de ces fautes, peut engager une action récursoire à son encontre. Mais un tel cas apparaît comme assez hypothétique, compte tenu du fait que le travail d'un agent est rarement un travail solitaire, et que la procédure d'imposition est gérée davantage par un service que par une personne isolée.

En revanche, l'arrêt "Krupa" présente un risque : celui de voir les agents, en particulier ceux chargés du contrôle, inhibés dans leur action. Tout rappel notifié et devant, par la suite, être abandonné étant une faute en puissance, pouvant faire condamner l'Etat au paiement de dommages importants, le contrôleur pourrait choisir de ne plus prendre de risques, car même s'il ne sera pas personnellement responsable, au sens juridique, de cette condamnation, il en sera à l'origine. Une telle responsabilité morale peut aussi être lourde à porter.

Mais je le dis ici et nous le redirons à tous nos agents avec force et conviction, l'arrêt "Krupa" ne doit en rien modifier leur façon de servir, qui est marquée par un grand professionnalisme et la volonté d'appliquer, toujours dans le respect des droits des contrôlables, la loi fiscale. Rien que la loi fiscale mais toute la loi fiscale, y compris face aux situations de fraude ou d'optimisation agressive.

Lexbase : Craignez-vous la multiplication de recours tendant à mettre en jeu la responsabilité de l'administration ?

Jean-Pierre Lieb : Il est sans doute trop tôt pour le dire. D'un côté, l'arrêt "Krupa" apparaît comme un bouleversement : tout dégrèvement est une faute en puissance. Quelle tentation pour un contribuable, surtout s'il est mal conseillé, de se saisir d'une telle occasion pour obtenir, en plus du dégrèvement et des intérêts moratoires qui, le cas échéant, l'accompagnent, un "bonus", plus ou moins grand.

A l'inverse, j'ai bon espoir que les choses rentreront dans l'ordre, plus ou moins rapidement. L'arrêt "Krupa" pose des limites, qui doivent certes être précisées, mais qui rendront, en pratique, moins attractive une action en responsabilité qu'il n'y paraît. Et la DGFiP espère que le juge administratif sera particulièrement vigilant sur les circonstances dans lesquelles un préjudice direct pourra être retenu.

Lorsque les contribuables se rendront compte que la jurisprudence "Krupa" n'ouvre pas un droit automatique à un "bonus" en cas de dégrèvement, et qu'une action en responsabilité a un coût, celui de l'avocat, dont l'intervention est ici obligatoire et celui de la condamnation au paiement de frais irrépétibles que la DGFiP pourra solliciter lorsque la demande sera manifestement fantaisiste et de nature à mobiliser inutilement des agents qui ont des tâches plus importantes pour la collectivité que de traiter de telles demandes, le flux se tarira.

Dans un premier temps, l'administration, comme le juge administratif, sont susceptibles d'avoir à gérer une masse plus importante de contentieux indemnitaires. Mais j'espère sincèrement que les demandeurs, correctement conseillés, ne seront pas tentés par l'illusion d'un enrichissement finalement coûteux et que seules les situations véritablement critiques qui doivent être indemnisées au regard des critères établis par le Conseil d'Etat feront l'objet de tels recours.

Depuis de nombreuses années, notre politique contentieuse est axée sur la prévention des conflits et la réduction du nombre de contentieux juridictionnels. Soyez certaine que nous resterons, en dépit de cette évolution jurisprudentielle, attachés à éviter les occasions où un litige se noue entre le contribuable et l'administration et où, in fine, il est soumis à l'appréciation du juge.

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Le retrait du permis de conduire, un fait tiré de la vie personnelle comme les autres ?

Réf. : Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B (N° Lexbase : A2484HQ3) et Cass. soc., 4mai 2011, n° 09-43.192, F-D (N° Lexbase : A2584HQR)

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N2778BSP

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 19 Mai 2011

Alors que les médias se font l'écho d'une volonté affichée du Gouvernement de renforcer les mesures destinées à lutter contre les "violences routières" (1), deux arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendus les 3 et 4 mai 2011 viennent rappeler que le retrait du permis de conduire d'un salarié peut également avoir des conséquences sur son emploi. La position de la Chambre sociale semble cependant évoluer en prenant pour modèle les cas plus généraux dans lesquels un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut, parfois, justifier un licenciement. Ces deux arrêts montrent la volonté de la Cour de cassation de replacer le licenciement d'un salarié en raison du retrait de son permis de conduire pour des infractions commises dans le cadre de sa vie personnelle parmi les motifs de licenciement liés à la vie personnelle (I). Si l'intention est louable, il n'en demeure pas moins que les deux solutions rendues sont au moins en partie contradictoires, notamment sur le point de savoir si le fait d'être titulaire du permis peut ou non constituer une obligation contractuelle à laquelle le salarié doit se plier (II).
Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l'exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail.

Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-43.192, F-D

Appréciant les conditions réelles d'exercice du travail dans l'entreprise, la cour d'appel a constaté que la conduite d'un véhicule ne constituait pas l'un des éléments des fonctions de coordinateur de préparation qui étaient confiées au salarié ; que c'est dès lors sans encourir les griefs du moyen qu'elle a retenu que le licenciement de l'intéressé, motif pris d'une suspension provisoire de son permis de conduire, ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I - Le licenciement causé par un retrait du permis de conduire : un fait tiré de la vie personnelle

  • Licenciement et motif tiré de la vie personnelle du salarié

Le comportement adopté par un salarié en dehors de son activité professionnelle, lors de ses temps de repos par exemple, peut-il justifier un licenciement ? La réponse à cette question a longtemps été mal assurée.

Depuis 1991, en principe, il ne pouvait "être procédé au licenciement d'un salarié pour une cause tirée de sa vie privée" (2). A la "vie privée" s'est depuis lors substituée la notion construite par le droit du travail de "vie personnelle" (3). Mais, sur le fond, rien n'y change : un comportement adopté par le salarié dans sa vie extra-professionnelle ne peut en principe justifier une sanction. En principe...

L'exception la plus notable à ce principe relève, depuis toujours, du manquement à une obligation professionnelle par le salarié, manquement qui peut parfois survenir alors que le salarié ne se trouve pas dans les cadres de l'exécution de son contrat de travail. Cela est notamment le cas des différentes obligations accessoires du contrat de travail auxquelles le salarié demeure soumis même lorsque le contrat de travail est suspendu, même lorsque le salarié est en repos (4).

Par deux arrêts rendus en 2007 (5) et en 2009 (6), la Chambre sociale de la Cour de cassation semblait cependant adopter une approche légèrement différente de la précédente. Dans l'arrêt rendu le 23 juin 2009, notamment, elle affirmait sans détour et de manière solennelle "qu un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire" (7). Constatant, dans cette affaire, que les actes d'une salariée "ne constituaient pas des manquements à ses obligations professionnelles", elle pérennisait le principe et l'exception déjà évoquée. Néanmoins, par une interprétation a contrario de la règle de principe telle qu'énoncée, il semblait pouvoir être déduit qu'un comportement tiré de la vie personnelle du salarié, s'il ne pouvait justifier un licenciement disciplinaire, pouvait cependant appuyer un licenciement reposant sur un autre motif, principalement un licenciement pour "trouble objectif" (8).

Cette position semble confirmée par les deux arrêts sous examen qui, de manière plus spécifique cependant, concernent la justification du licenciement d'un salarié dont le permis de conduire lui a été retiré ou a été suspendu.

  • Licenciement et permis de conduire

Quelle utilité peut avoir, pour l'entreprise, le fait de conserver un chauffeur routier, un chauffeur de bus, un livreur qui perd son permis de conduire à la suite d'infractions au Code de la route commises en dehors du temps de travail ? Tout aussi légitime que soit cette interrogation, il n'est pas aisé de déterminer si, finalement, l'employeur doit conserver le salarié ou peut le licencier.

En effet, si l'on suit les clés de répartition établies de manière générale s'agissant de faits tirés de la vie personnelle du salarié, le retrait du permis de conduire ne saurait justifier un licenciement disciplinaire mais pourrait, éventuellement, justifier un licenciement pour trouble objectif causé à l'entreprise. Pourtant, la Chambre sociale a parfois adopté une autre position. Ainsi, dans une affaire jugée en 2003 à propos d'un chauffeur poids lourds qui s'était vu retirer son permis de conduire en raison d'un taux d'alcoolémie excessif en dehors de son temps de travail, la Cour jugeait "que le fait pour un salarié affecté en exécution de son contrat de travail à la conduite de véhicules automobiles de se voir retirer son permis de conduire pour des faits de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, même commis en dehors de son temps de travail, se rattache à sa vie professionnelle" (9). Afin de permettre une sanction de ce comportement lié au retrait du permis de conduire, la Chambre sociale rattachait donc, de manière quelque peu artificielle, ce comportement à la vie professionnelle du salarié et acceptait qu'il soit qualifié de faute grave.

Dans ce type d'hypothèse donc, il subsistait une divergence entre la position adoptée, de manière générale, à l'égard des faits tirés de la vie personnelle du salarié et celle concernant, de manière spécifique, le retrait du permis de conduire pour des infractions commises en dehors de la conduite d'un véhicule à des fins professionnelles. Cette disparité ne demeurait que devant la Chambre sociale de la Cour de cassation. En effet, le Conseil d'Etat, dans une affaire impliquant un salarié protégé licencié en raison de la suspension de son permis de conduire, a rompu avec cette logique en 2010 en jugeant que "le fait, pour un salarié recruté sur un emploi de chauffeur, de commettre, dans le cadre de sa vie privée, une infraction de nature à entraîner la suspension de son permis de conduire, ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations contractuelles à l'égard de son employeur" (10).

C'est sur cette position que semble s'aligner la Chambre sociale dans les deux espèces sous examen.

  • Première affaire

Un ouvrier nettoyeur, qui utilisait un véhicule de fonction mis à sa disposition par l'employeur pour l'exercice de ses missions, avait subi un retrait de son permis de conduire après avoir perdu l'ensemble de ses points. Son employeur prononça un licenciement pour faute grave au motif que le salarié n'était plus en mesure de conduire le véhicule mis à sa disposition dans le cadre de son activité professionnelle. Le salarié contesta le licenciement devant le juge prud'homal.

La cour d'appel de Paris jugea que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle estima, d'abord, qu'il ne relevait d'aucun élément ou document contractuel que le salarié ait été soumis à l'obligation d'être titulaire d'un permis de conduire valide dans le cadre de son activité. Les juges d'appel considéraient, en outre, que le salarié n'était tenu à aucune obligation d'information à l'égard de l'employeur s'agissant du retrait de points sur son permis de conduire. De manière plus surprenante peut-être, les juges parisiens estimaient encore que l'employeur aurait dû tenter de conserver le salarié sur un emploi ne requérant pas l'usage du permis de conduire sur l'un des chantiers de l'entreprise ne nécessitant pas la conduite d'un véhicule. Finalement, alors même que le salarié n'était pas en mesure d'assurer les fonctions qui lui avaient été confiées, la cour d'appel condamna l'employeur à lui verser des rappels de salaire ainsi qu'une indemnité compensatrice de préavis.

Le pourvoi formé par l'employeur soutenait, pour l'essentiel, que l'obligation d'être titulaire du permis de conduire était une condition déterminante de la relation de travail, comme le démontrait le versement d'une prime versée au salarié en qualité de conducteur permanent d'un véhicule de la société. La perte du permis de conduire caractérisait ainsi un manquement à une obligation contractuelle, lequel pouvait caractériser un motif disciplinaire de licenciement.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 3 mai 2011, rejette le pourvoi de l'employeur et avalise ainsi le raisonnement adopté par la cour d'appel de Paris. Elle dispose, d'abord, qu' "un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l'exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail". Elle en conclut, ensuite, que le salarié s'étant vu retirer son permis de conduire pour des infractions commises en dehors de l'exécution de son contrat de travail, le licenciement, "dès lors qu'il a été prononcé pour motif disciplinaire, était dépourvu de cause réelle et sérieuse".

  • Seconde affaire

Un salarié, assurant les fonctions d'agent de maîtrise coordinateur de préparation de véhicules, avait comme fonction secondaire la conduite de véhicules de l'entreprise. Si ces fonctions étaient accessoires, elles étaient cependant indispensables aux yeux de l'employeur et étaient expressément visées par la fiche de poste du salarié. Comme dans la précédente espèce, le salarié avait subi une suspension de son permis de conduire pour conduite sous l'emprise de stupéfiants en dehors de son temps de travail. L'employeur licencia le salarié sans, semble-t-il, invoquer une faute, mais en justifiant le licenciement par l'impossibilité pour le salarié d'exercer ses missions à la suite de la suspension de son permis de conduire.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence jugea que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que la conduite d'un véhicule ne constituait pas l'un des éléments des fonctions de coordinateur de préparation qui étaient confiées au salarié. L'employeur forma un pourvoi en cassation en contestant, pour l'essentiel, l'argumentation de la cour d'appel selon laquelle le contrat de travail n'avait pas prévu que la perte du permis de conduire pourrait justifier une résiliation du contrat de travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 4 mai 2011, rejette le pourvoi. Reprenant à son compte l'argumentation de la cour d'appel, la Haute juridiction juge que "c'est dès lors sans encourir les griefs du moyen qu'elle a retenu que le licenciement de l'intéressé, motif pris d'une suspension provisoire de son permis de conduire, ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse".

Ces deux arrêts ont ainsi pour conséquence de traiter le retrait de permis de la même manière que tout comportement tiré de la vie personnelle du salarié. Ce changement de position doit être analysé.

II - Le licenciement causé par un retrait du permis de conduire : un motif non disciplinaire

  • L'exclusion du caractère disciplinaire

"Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail". Si la formule ne surprend plus, c'est pourtant la première fois qu'elle est appliquée de la sorte au retrait ou à la suspension du permis de conduire d'un salarié en dehors de son temps de travail qui, nous l'avons vu, avait jusqu'ici pu justifier un licenciement disciplinaire (11).

La suite de l'argumentation est également très importante. Rappelons que la Chambre sociale déduit, en effet, de cette règle "que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l'exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail". Or, précisément, la discussion devant les deux cours d'appel s'articulait autour de la recherche d'une obligation contractuelle du salarié d'être titulaire du permis de conduire. La qualification de faute disciplinaire, exclue s'agissant d'un comportement extra-professionnel, aurait pu reparaître s'il avait été démontré que le salarié était contractuellement tenu d'être apte à conduire un véhicule. Si l'on pouvait en douter dans la seconde affaire où l'activité de conduite n'était manifestement que résiduelle, il aurait en revanche été beaucoup plus simple de conclure à un tel raisonnement dans la première affaire.

Cependant, quand bien même une telle obligation aurait été formellement constatée, la Chambre sociale semble paralyser une telle analyse, le retrait du permis de conduire "ne saurait être regardé comme une méconnaissance" des obligations contractuelles. En somme, directement ou indirectement, la privation du permis de conduire hors du temps de travail ne pourra donc jamais constituer une faute disciplinaire. Cela ne signifie pas, pour autant, qu'un tel comportement ne puisse justifier un licenciement puisque, comme l'énonce la Chambre sociale, le licenciement n'est pas justifié "dès lors" qu'il a été prononcé pour motif disciplinaire.

  • Un manquement contractuel non fautif ?

On retrouve à travers ces deux arrêts, tout le panel des solutions appliquées fermement depuis 2007 par la Chambre sociale en matière de comportement tiré de la vie personnelle du salarié. Comme nous venons de le voir, un comportement tiré de la vie privée du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire.

Une première exception à cette règle survient lorsque le salarié a manqué à une obligation contractuelle, telle que l'obligation de loyauté ou de discrétion, sachant cependant que le fait de ne pas perdre son permis de conduire ne peut constituer une telle obligation. Une seconde exception est maintenue comme semble l'illustrer une interprétation a contrario de la seconde affaire : un licenciement reste envisageable, à condition de ne pas constituer un licenciement disciplinaire, autrement dit, à condition que la perte du permis de conduire cause un trouble objectif à l'entreprise.

Cette seconde affaire, dont il faut rappeler que la Chambre sociale n'a pas jugé utile de la publier, laisse cependant perplexe sur un point au moins. En effet, même si la motivation de l'arrêt n'est guère développée et demeure donc susceptible de plusieurs interprétations, il semble que la Chambre sociale refuse de considérer que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse parce que la conduite d'un véhicule ne constituait pas "l'un des éléments des fonctions de coordinateur du salarié". Il n'est guère nécessaire de forcer beaucoup le trait pour comprendre que les juges refusent la qualification de cause réelle et sérieuse parce que la conduite d'un véhicule ne constituait pas l'une des obligations professionnelles, l'une des obligations contractuelles du salarié. Contrairement à ce qu'affirmait le premier arrêt, il serait donc possible que le retrait du permis de conduire pour des faits commis dans le cadre de la vie personnelle constitue un manquement aux obligations contractuelles du salarié...

A condition de se fier à cette interprétation, le manquement à son obligation par le salarié aurait pu justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse à défaut de permettre un licenciement disciplinaire. Or, à s'en tenir aux règles classiques en matière disciplinaire, le manquement du salarié à l'une de ses obligations constitue une forme d'insubordination et, par voie de conséquence, un comportement fautif. Il nous semble donc qu'il aurait été plus habile de considérer que le retrait du permis de conduire ne puisse jamais constituer un manquement du salarié à une obligation contractuelle, ce qui n'aurait bien entendu pas empêché de considérer que ce retrait causait un "trouble objectif" à l'entreprise. On remarquera, d'ailleurs, que la Chambre sociale n'évoque à aucun moment ce concept de trouble objectif. Il n'en demeure pas moins que, le second arrêt n'ayant pas été publié, il convient de ne pas lui donner une trop grande importance.

On pourra alors retenir que le licenciement du salarié en raison du retrait de son permis de conduire est sans cause réelle et sérieuse "dès lors" qu'il est qualifié de disciplinaire... ce qui, à l'inverse, suggère qu'il pourrait reposer sur une justification valable à condition que celle-ci ne soit pas disciplinaire.


(1) Les avertisseurs de radars dans le viseur, Le Monde, 12 mai 2011.
(2) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 89-44.605 (N° Lexbase : A9479AAC) ; Dr. soc., 1992, p. 79 ; RJS, 1992, p. 26.
(3) Ph. Waquet, Vie privée, vie professionnelle et vie personnelle, Dr. soc., 2010, p. 14.
(4) Par ex., sur l'obligation de bonne foi, v. Cass. soc., 12 octobre 2004, n° 03-43.465, F-D (N° Lexbase : A6176DD4).
(5) Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN) et les obs. d'O. Pujolar, Les correspondances privées reçues sur le lieu de travail ne relèvent pas du pouvoir disciplinaire de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 263 du 7 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3660BB8) ; JCP éd. G, 2007, II, 10129, note G. Loiseau ; RDT, 2007 p. 527, note T. Aubert-Monpeyssen.
(6) Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-45.256, FS-P+B (N° Lexbase : A4139EI7) et les obs. de G. Auzero, Un fait de la vie personnelle ne peut constituer une faute disciplinaire !, Lexbase Hebdo n° 358 du 9 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9884BKB) ; JCP éd. G, 2009, 243, note D. Corrignan-Carsin. V. déjà Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-44.513, F-D (N° Lexbase : A6218EHR).
(7) Cette règle avait, cependant, déjà été affirmée par la Chambre sociale, v., par ex., Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326, publié (N° Lexbase : A2206AAX). Malgré cette affirmation, la position inverse était parfois adoptée, v., par ex., Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-44.918, FS-P+B (N° Lexbase : A5597DMA).
(8) Par ex., s'agissant du placement en détention provisoire d'un salarié qui justifie un licenciement en raison du trouble objectif causé à l'entreprise, v. Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-41.788 (N° Lexbase : A9256AHB) ; Adde. Ph. Waquet, Le trouble objectif dans l'entreprise : une notion à redéfinir, RDT, 2006, p. 304.
(9) Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-43.227, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3400DA8), JCP éd. G, 2004, II, 10025, note D. Corrignan-Carsin ; Dr. soc., 2004, p. 550, note J. Savatier.
(10) CE 4° et 5° s-s-r., 15 décembre 2010, n° 316856, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6659GNX), JCP éd. G, 2011, 353, note J. Mouly.
(11) Cass. soc., 2 décembre 2003, préc..

Décision

Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B (N° Lexbase : A2484HQ3)

Rejet, CA Paris, 6e ch., Pôle 7, 30 avril 2009, n° 07/05785 (N° Lexbase : A0853EH3)

Textes cités : néant

Mots-clés : Permis de conduire. Retrait. Licenciement. Obligation contractuelle du salarié (non). Faute (non)

Liens base : (N° Lexbase : E2761ETG)

Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-43.192, F-D (N° Lexbase : A2584HQR)

Rejet, CA Aix-en-Provence, 17e ch., 14 septembre 2009, n° 08/21138

Textes cités : néant

Mots-clés : Permis de conduire. Suspension. Licenciement. Obligation contractuelle du salarié. Cause réelle et sérieuse (non)

Liens base :

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