La lettre juridique n°384 du 25 février 2010

La lettre juridique - Édition n°384

Éditorial

Rétention administrative : l'affaire "Muskhadzhiyeva" n'est pas une histoire belge

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N2515BNH

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Ah ! Qu'ils sont marris ces avocats et autres nonces de la défense des droits de l'Homme (et de l'enfant), voyant que le Salut de la rétention administrative ne viendra pas de Strasbourg ! La Cour européenne sonnait, il y a peu, le glas de la garde à vue "à la française", quelle que soit l'interprétation qu'il faille donner de sa jurisprudence, emballement politico-médiatique -sur fond de revendications légitimes- oblige. Mais, la Cour demeure mi-figue, mi-"raison", face aux conditions de la rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, préférant un "panaché jurisprudentiel" à une position clairement favorable au respect des droits de l'Homme (et de l'enfant -nous précisons, eu égard aux circonstances de l'espèce ayant conduit à la lecture de cet arrêt du 19 janvier 2010, dont nous ne faisons, ici, l'écho-).

"Avoir un enfant, c'est manifester un accord absolu avec l'homme. Si j'ai un enfant, c'est comme si je disais : je suis né, j'ai goûté à la vie et j'ai constaté qu'elle est si bonne qu'elle mérite d'être multipliée", nous livre Milan Kundera dans La Valse aux adieux. Il est, alors, étrange que l'épreuve de la réalité migratoire confrontée au droit des étrangers ne décourage pas ces milliers d'immigrants politiques ou économiques d'avoir des enfants en terra in(re)cognita. Un exemple parmi d'autres ?

Celui de cette femme et de ses quatre enfants fuyant la Tchétchénie ainsi "conviés" à passer un mois dans un centre de rétention administrative belge. L'ensemble des rapports médicaux et psychologiques montre une dégradation importante de l'état de santé des enfants et un stress communicatif de la mère qui ne fait rien pour arranger la chose. Le rapport sur le centre de rétention en cause conclut que le maintien des familles avec enfants est, du point de vue des droits de l'enfant et de son bien-être, inacceptable dans les circonstances actuelles.

Du pain béni pour les "droits-de-l'hommistes" direz-vous ! La Cour européenne avait, déjà, frappé du sceau "non conventionnel" la rétention administrative d'un enfant, considérant, en l'espèce, un traitement inhumain et contraire aux droits de l'Homme. Ici, ce n'est pas un, mais quatre enfants, aux chocs traumatiques avérés. Que nenni ! Oyez oyez braves Etats signataires, la situation n'est pas comparable parce que les quatre malheureux n'avaient pas été séparés de leur mère !

Autrement dit, entre la peste et le choléra, faites votre choix : soit les enfants sont séparés de leurs parents et l'intérêt supérieur de l'enfant est sérieusement mis à mal ; soit les enfants accompagnent les parents en rétention et l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas mieux garanti. A nouveau Charybde, à nouveau Scylla.

Et puis, quel camouflet pour ceux qui pensaient que la protection conventionnelle revêtait un intérêt certain en droit interne : autrement dit la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme n'est pas plus protectrice, en l'espèce, que le bloc constitutionnel français, et la Cour européenne pas plus zélée que la Cour de cassation.

A la question : les enfants peuvent-ils faire l'objet d'une rétention administrative ? Le Quai de l'Horloge répondait, le 10 décembre 2009 : "peut-être ben que oui, peut-être ben que non", cela dépend des conditions de la rétention -conditions qui comme chacun le sait s'apparentent à un centre de loisir éducatif pour jeunes immigrés en attente d'intégration-. Donc, pour être tout à fait clair : pas d'exclusion de la rétention des enfants par principe. Et bien, à peu de chose près -nous précisons, pour éviter de taxer les juges strasbourgeois de moines copistes de la doxa française-, c'est ce qu'il convient de retenir de cette sentence du 19 janvier 2010, et non les 17 000 euros de dommages et intérêts obtenus par la famille retenue.

Aussi, cette décision suscite-t-elle, au moins succinctement, trois premières observations.

Tout d'abord, en France, l'article R. 553-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile détermine la capacité d'accueil des centres de rétention (140 places maximum) et la nature des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective. On évoque une surface utile minimum de 10 m² par retenu comprenant les chambres et les espaces librement accessibles aux heures ouvrables ; des chambres collectives non mixtes, contenant au maximum six personnes ; des équipements sanitaires, comprenant des lavabos, douches et w.-c., en libre accès et en nombre suffisant, soit un bloc sanitaire pour 10 retenus ; un téléphone en libre accès pour 50 retenus ; des locaux et matériels nécessaires à la restauration conformes aux normes ; une salle de loisirs et de détente distincte du réfectoire, dont la superficie est d'au moins 50 m², majorée de 10 m² pour 15 retenus supplémentaires ; une ou plusieurs salles dotées d'équipement médical, réservées au service médical ; un local permettant de recevoir les visites des familles et des autorités consulaires ; un local réservé aux avocats ; un local affecté à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ; un local, meublé et équipé d'un téléphone, affecté à l'association ayant pour mission d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits ; un espace de promenade à l'air libre ; un local à bagages ; pour les centres habilités à recevoir des familles, des chambres spécialement équipées, et, notamment, de matériels de puériculture adaptés. Bref, rien qui ne laisse vraiment place au hasard, à l'improvisation administrative ! Et, de deux choses l'une : soit les centres de rétentions ne sont pas conformes aux prescriptions légales, et il y a tout lieu de se poser la question de la légalité de la rétention ; soit ils le sont, et les juges savent parfaitement si ces normes réglementaires sont conformes aux prescriptions constitutionnelles et internationales des droits de l'Homme. Point besoin d'ergoter sur la prétendue incompatibilité des conditions de rétention avec les droits fondamentaux, qui plus est lorsque la privation de liberté n'a pas de caractère punitif résultant de la décision d'une autorité judiciaire, mais celui d'une mesure administrative. On arguera, bien entendu, que le juge de cassation n'étant pas juge du fait, l'appréciation souveraine des juges du fond remplira allègrement, mais ni solennellement, ni uniformément, le rôle protecteur tant attendu.

Ensuite, le fond du problème n'est-il pas que le centre de rétention est, en fait, un canada dry de la prison ? Mêmes odeurs, mêmes saveurs, mêmes couleurs... mais pas le même nom ! Et, l'on sait l'état de nos prisons. Plus globalement, le respect des droits de l'enfant et son épanouissement s'accommodent-ils de vivre dans n'importe quel bâtiment administratif. Se souvenir de Michel Foucault, dans Surveiller et punir, et de son : "Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?" ; si bien que l'enfant est, d'ores et déjà, fragile dès lors qu'il sort de son cocon familial, cocon qui s'épanouit nécessairement au sein d'une habitation réelle.

Enfin, évitons les "faux-semblants" : cette décision européenne, tout comme la décision de la Haute juridiction française, consacrent, en fait, l'Universalisme républicain, celui de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, celui de l'idéal nationaliste républicain ; celui qui fait que la France de l'exception culturelle, et notamment la culture des droits de l'Homme, si exceptionnelle, pourrait s'honorer à prendre les devants en excluant toute rétention administrative des enfants par principe, quitte à ce que les parents "échappent" à la rétention elle-même -250 enfants et moins de 500 parents sur plus de 35 000 personnes placées, chaque année, en rétention-. Les modalités alternatives existent, comme l'assignation à résidence préconisée par la Défenseure des enfants, Dominique Versini. Seulement, l'Universalisme républicain n'est pas l'Universalisme philosophique, l'Humaniste, pis l'Internationale socialiste ! L'Universalisme républicain, contrairement aux trois autres, s'embarrasse de la Nation, et donc de la nationalité. Et, qui dit nationalité, dit immigration -concept inconnu avant les nationalismes de la fin du XIXème siècle-, donc la régulation de l'immigration et des flux migratoires. Intrinsèquement, l'Universalisme républicain porte en lui le germe de la discrimination, certes légale, et par conséquent, celui de l'atteinte aux libertés : CQFD ! Ménager l'Universalisme des droits de l'Homme et la maîtrise des flux migratoires : telle est l'ambition de l'Universalisme républicain au XXIème siècle, après avoir conquis les âmes, par la force des baïonnettes impériales puis coloniales, au XIXème et au XXème siècles.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Statut du salarié "porté" : la Cour de cassation plus audacieuse que le législateur !

Réf. : Cass. soc., 17 février 2010, 2 arrêts, n° 08-45.298, M. Adelino Sousa Pina, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9244ERS) et n° 08-40.671, M. Denis Lorenzo, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9243ERR)

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N2567BNE

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

Ignoré du droit, appréhendé de manière contradictoire par les juges (1) et suscitant des réserves de la doctrine (2), le portage salarial a gagné en lisibilité et en sécurité juridique en 2008, par l'émergence d'un régime et surtout d'une définition issus de deux textes dont on se souvient de l'apport et de la portée : l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, dit de modernisation du marché du travail (art. 19) ; et la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (art. 8) (N° Lexbase : L4999H7B), insérant dans le Code du travail un nouvel article L. 1251- 64 (N° Lexbase : L8532IAA) (3). Mais les solutions retenues par le législateur avaient laissé les partenaires sociaux et la doctrine finalement insatisfaits, en raison des lacunes et zones d'ombre laissées en l'état par la codification. Si un accord avait bien été conclu le 15 novembre 2007 (accord relatif au portage salarial), il ne s'appliquait, en réalité, qu'aux activités qui entrent dans le champ d'application de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987. Bref, faute d'initiative prise par les partenaires sociaux (dans le cadre d'un nouvel accord collectif étendu, prévu par l'article 19 de l'Ani du 11 janvier 2008) ou le législateur, la jurisprudence était attendue. Par deux arrêts rendus le 17 février 2010, la Cour de cassation vient de répondre à ces attentes. Elle y affirme la soumission des contrats de portage salarial aux règles d'ordre public du droit du travail et précise les obligations des parties en découlant. Saisie à propos de contrats de portage salarial conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008, entre des sociétés de portage et des travailleurs du bâtiment, la Chambre sociale a jugé que ces contrats étaient soumis aux règles d'ordre public du droit du travail : le premier arrêt (pourvoi n° 08-45.298) est rendu sous le visa des articles L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) (selon lequel le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun) et L. 1211-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0764H98) (fixant le champ d'application du Code du travail). Elle en déduit que la société de portage, en sa qualité d'employeur, est tenue de fournir du travail à son salarié. Par conséquent, elle n'est pas fondée à licencier un salarié au motif qu'il est demeuré sans activité pendant deux mois, quand bien même il aurait, parallèlement au contrat de travail, souscrit l'engagement de rechercher ses missions et de les exécuter dans le respect des règles en vigueur dans son domaine d'activité. Dans le second arrêt (pourvoi n° 08-40.671), la Chambre sociale, après avoir rappelé qu'il ne peut être dérogé par voie contractuelle à l'obligation d'indiquer dans le contrat de travail souscrit à temps partiel la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail et sa répartition entre les jours de la semaine ou du mois, casse l'arrêt d'une cour d'appel qui avait refusé de requalifier en contrat à temps plein un contrat de travail prévoyant une durée de travail minimale symbolique, la durée réelle étant variable et dépendant de l'activité déployée par le salarié selon sa propre initiative.

Ces deux arrêts dessinent ainsi, en complément de la loi et de certaines dispositions conventionnelles, un régime de l'activité du contrat de portage salarial, aussi bien au regard de l'employeur que du salarié "porté".


Résumé

Pourvoi n° 08-45.298 : en application du droit commun des rapports de travail (C. trav., art. L. 1221-1 N° Lexbase : L0767H9B et L. 1211-1 N° Lexbase : L0764H98), il ne peut être reproché à un "porté" de ne pas avoir travaillé pendant plusieurs périodes faute d'avoir trouvé des missions à effectuer alors que c'est à la société de portage, en sa qualité d'employeur, de lui fournir du travail.

Pourvoi n° 08-40.671 : sauf exceptions prévues par la loi, il ne peut être dérogé par l'employeur à l'obligation de mentionner, dans le contrat de travail à temps partiel, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

I - Régime de l'activité de la société de portage

A - Régime légal

L'Ani du 11 janvier 2008 a défini le portage comme une relation triangulaire entre une société de portage, une personne (le porté) et une entreprise cliente ; la prospection des clients et la négociation de la prestation et de son prix par le porté ; la fourniture des prestations par le porté à l'entreprise cliente ; la conclusion d'un contrat de prestation de service entre le client et la société de portage ; et la perception du prix de la prestation par la société de portage qui en reverse une partie au porté dans le cadre d'un contrat qualifié de contrat de travail.

Le législateur n'a pas été beaucoup plus loin dans l'élaboration d'un régime juridique du portage, en se contentant de préciser que le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage (C. trav., art. L. 1251-64 N° Lexbase : L8532IAA).

De même, la prohibition du prêt de main d'oeuvre a été expressément écartée par le législateur pour les entreprises de portage. En effet, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite. Toutefois, cette interdiction générale ne s'applique pas aux opérations réalisées dans le cadre du travail temporaire et du portage salarial (C. trav., art. L. 8241-1 N° Lexbase : L3717IBB).

Dans le champ des rapports collectifs, le législateur a prévu qu'en l'absence de comité d'entreprise, l'employeur informe les délégués du personnel, une fois par an, des éléments qui l'ont conduit à faire appel, au titre de l'année écoulée (et qui pourraient le conduire à faire appel pour l'année à venir) à des contrats conclus avec une entreprise de portage salarial (C. trav., art. L. 2313-5 N° Lexbase : L8279IAU). De même, dans le cadre de son obligation annuelle d'information, dans les entreprises de moins de trois cents salariés (C. trav., art. L. 2323-47 N° Lexbase : L1852IEC), l'employeur remet au comité d'entreprise un rapport sur la situation économique de l'entreprise. L'employeur informe le comité d'entreprise des éléments qui l'ont conduit à faire appel, au titre de l'année écoulée (et qui pourraient le conduire à faire appel pour l'année à venir) à des contrats conclus avec une entreprise de portage salarial.

Enfin, chaque trimestre, dans les entreprises de trois cents salariés et plus, l'employeur informe le comité d'entreprise des éléments qui l'ont conduit à faire appel, au titre de la période écoulée (et qui pourraient le conduire à faire appel pour la période à venir) à des contrats conclus avec une entreprise de portage salarial (C. trav., art. L. 2323-51 N° Lexbase : L8624IAN).

B - Régime conventionnel

En application de l'accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007 visant les entreprises adhérentes du CICF-SNEPS (syndicat national des entreprises de portage salarial dont les activités entrent dans le champ d'application de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987), l'entreprise de portage salarial doit accompagner et encadrer scrupuleusement ses consultants, tout en préservant l'autonomie dont ils disposent. L'entreprise s'engage à réaliser un accompagnement actif des consultants pour leur permettre d'assurer le meilleur développement de l'activité dont ils ont la charge dans leur domaine de compétence. L'équipe fonctionnelle de l'entreprise de portage assurera, par ailleurs, tous les aspects de la gestion administrative de l'activité dont ont la charge les consultants. En ce qui concerne cette gestion administrative, l'entreprise de portage s'engage à accomplir les actions suivantes :

- élaboration et signature du contrat de travail avant le début effectif de la première mission ;
- réalisation des formalités administratives liées à l'embauche (DUE...) ;
- accomplissement de l'ensemble des obligations fiscales et sociales liées aux contrats commerciaux et aux contrats de travail ;
- gestion des frais professionnels et de mission en conformité avec les obligations fiscales et sociales ;
- réalisation des facturations sur la base des contrats commerciaux ;
- gestion des comptes d'activité et information mensuelle des consultants sur l'ensemble des éléments imputés sur ce compte d'activité (facturation, encaissement, frais de gestion, frais professionnels et de mission, rémunérations nettes et charges sociales) ;
- et établissement des fiches de paie sur la base des déclarations d'activité.

En ce qui concerne l'accompagnement des consultants dans le développement de leur activité, l'entreprise de portage doit mettre en oeuvre les moyens suivants :

- rémunérer les temps de prospection dans des limites et selon des modalités convenues ;
- assurer un accompagnement individualisé des consultants en fonction de leurs compétences et expériences respectives ;
- assurer la formation professionnelle des consultants en vue de leur permettre de réussir dans leur phase de prospection comme de réalisation de missions. L'entreprise de portage devra faciliter l'accès des consultants aux bilans de compétences et la validation des acquis de leur expérience ;
- assurer et coordonner les actions commerciales menées à l'égard des clients les plus importants, dans le cadre des appels d'offres émis par les entreprises ou organismes publics et privés. L'entreprise de portage doit organiser le développement de "temps collectifs" pendant lesquels les consultants pourront, sous la direction d'un responsable de l'entreprise de portage, échanger sur ces actions et les construire ;
- mettre en relation les offres et les demandes de prestations de services intellectuelles sous différentes formes possibles ;
- et identifier des segments de marché particulièrement dynamiques et porteurs, susceptibles de permettre de faire évoluer les offres de prestations des consultants. Cette démarche pourra s'accompagner d'un dispositif de formation adapté, en vue de permettre aux consultants de faire évoluer leurs domaines de compétence.

C - Régime contentieux

En l'espèce, la Cour de cassation, sous le visa des articles L. 1221-1 et L. 1211-1 du Code du travail a confirmé un principe bien connu selon lequel le contrat de travail comporte pour l'employeur l'obligation de fournir du travail au salarié (pourvoi n° 08-45.298). Pour juger que le licenciement du salarié "porté" était fondé sur une cause réelle et sérieuse, le débouter de ses demandes et le condamner à rembourser à la société les salaires perçus pour la période de mars à juillet 2005, la cour d'appel a mentionné que la charte de collaboration, paraphée et signée par le salarié porté, prévoyait que le collaborateur recherchait ses missions et les exécutait dans le respect des règles en vigueur dans son domaine d'activité.

Les juges du fond ont retenu qu'eu égard aux dispositions contractuelles, le fait d'être demeuré sans activité plus de deux mois consécutifs et de ne pas avoir réalisé la somme de 500 euros de marge par mois, fixée dans le dossier d'inscription, caractérisent la non atteinte de l'objectif ayant motivé le licenciement du 16 juin 2005. De plus, le salarié porté n'a pas justifié avoir adressé à la société une attestation des heures effectuées du 1er au 31 juillet 2004, aucune rémunération n'avait été versée en l'absence de démonstration d'une activité exercée. Enfin, s'agissant des mois de mars à juin 2005, il ne pouvait recevoir de rémunération dans la mesure où il ne justifiait pas avoir adressé à la société les attestations d'heures effectuées. Mais, au contraire, pour la Cour de cassation, les juges du fond ne peuvent relever que le salarié "porté" n'a pas travaillé pendant plusieurs périodes faute d'avoir trouvé des missions à effectuer, parce que, précisément, c'est à la société, en sa qualité d'employeur, de lui fournir du travail.

II - Régime de l'activité des "portés"

A - Régime légal

Le législateur n'a fixé ni le régime juridique du portage, ni le statut du "porté", en précisant seulement que la personne "portée" est soumise au régime du salariat et que doivent être garanties les droits de la personne portée sur son apport de clientèle (C. trav., art. L. 1251-64). C'est bien peu.

B - Régime conventionnel

L'Ani du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (art. 19) ne comportait aucune disposition opérationnelle. Les partenaires sociaux avaient, à cette occasion, émis le souhait d'organiser le portage afin de sécuriser la situation des portés ainsi que la relation de prestation de service. L'Ani du 11 janvier 2008 appelait la branche du travail temporaire à organiser, par accord collectif étendu, la relation triangulaire en garantissant au porté, le régime du salariat, la rémunération de sa prestation chez le client ainsi que de son apport de clientèle. La durée du contrat de portage ne devra pas excéder trois ans.

En revanche, l'accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007, visant les entreprises adhérentes du CICF-SNEPS, alors même que son champ professionnel reste étroit (supra), propose un certain nombre de références et de solutions dont le recensement est précieux.

  • Lien de subordination

L'accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007 visant les entreprises adhérentes du CICF-SNEPS (préc.) précise que les consultants, même s'ils disposent d'une large autonomie dans l'exercice de leur activité professionnelle, demeurent subordonnés à l'entreprise de portage salarial dans le cadre de leur contrat de travail. Ils ont en charge la prospection de nouvelles missions dans le respect des règles et directives édictées par l'entreprise de portage salarial (objet et modalités des missions, conditions tarifaires, etc.). L'entreprise de portage peut, en toute circonstance, décider de refuser la conclusion d'une mission prospectée. Ce refus devra être motivé.

Les consultants s'obligent, par ailleurs, à tout mettre en oeuvre, compte tenu de leurs compétences, pour procéder à la bonne réalisation des missions qui leur sont confiées jusqu'à leur terme. Si une difficulté, de quelque nature que ce soit, survient pendant la phase de réalisation des missions, les consultants doivent en avertir l'entreprise de portage salarial sans délai, afin que toute mesure utile puisse être mise en oeuvre par cette dernière, dans le respect des engagements contractuels à l'égard du client. Les consultants doivent, dans les relations commerciales, faire mention que leur activité est réalisée dans le cadre de l'entreprise de portage salarial et que cette dernière est seule compétente pour valider le contrat de prestation de services. Ils devront, par ailleurs, s'assurer, conjointement avec l'entreprise de portage salarial, que la mission projetée entre effectivement dans leur champ d'expertise.

  • Statut

Les consultants relèvent obligatoirement du statut cadre. Compte tenu que l'exercice de son activité professionnelle dans le cadre d'une entreprise de portage relève le plus souvent d'une reconversion professionnelle pour des cadres expérimentés qui ont souvent acquis une solide expérience dans leur domaine de compétences au cours de leurs précédents emplois mais qui n'ont pas l'expérience du travail par missions, les consultants qui ont moins de 18 mois d'ancienneté dans une entreprise de portage pourront être considérés comme des cadres relevant de l'article 3 de l'accord national du 22 juin 1999 sur la durée du travail de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987.

Dès lors qu'ils bénéficient d'une ancienneté supérieure à 18 mois au sein d'une entreprise organisée en portage salarial, ils seront obligatoirement considérés comme des cadres autonomes et pourront se voir appliquer l'article 4 de l'accord national du 22 juin 1999 sur la durée du travail de la convention nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 et seront obligatoirement positionnés au minimum au coefficient 3.1 (accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007).

  • Contrat de travail

Le contrat de travail des consultants doit comporter un descriptif des compétences de leurs domaines d'expertise et toute indication utile quant au degré d'autonomie dont ils disposent. Il doit faire état du caractère mixte des fonctions qui leur sont assignées : fonction de développement commercial et fonction de réalisation de missions. Le contrat de travail doit, en outre, préciser qu'il s'agit d'un contrat de télétravail (accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007).

  • Contrat à durée indéterminée à temps partiel modulé

L'activité des consultants varie d'une semaine sur l'autre et d'un mois sur l'autre en fonction des missions que le consultant aura à réaliser. Pour faire face à cette variation d'activité, les entreprises de portage pourront avoir recours au temps partiel modulé. Dans le cas des contrats à temps partiel modulé, la durée hebdomadaire ou mensuelle du temps de travail peut varier sur tout ou partie de l'année.

Ce contrat est écrit et mentionne, notamment, les éléments issus de la ou des premières missions connues, quant à la qualification du salarié ; à la mention de télétravailleur ; aux éléments de la rémunération ; à la durée hebdomadaire, mensuelle de travail ; aux périodes de travail ; et à la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes. Ces mentions constituent les clauses minimales devant figurer dans tout contrat de travail à temps partiel, les parties pourront compléter le contrat de travail au fil des missions effectuées. Ce dernier pourra comprendre des dispositions relatives aux besoins de formation du salarié ou encore aux exigences commerciales à respecter dans les relations du salarié avec les sociétés clientes, en ce qui concerne plus particulièrement les conditions de rentabilité des missions négociées (accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007).

  • Régime de l'activité salariale

L'accord relatif au portage salarial du 15 novembre 2007 fixe un régime précis de l'activité du porté : congés payés (point 2.4), mutuelle, prévoyance (point 2.5), taux journalier moyen, taux horaire moyen et salaire moyen des 12 derniers mois (point 2.6), frais professionnels (point 2.7), formation professionnelle, DIF (point 2.9), fonctionnement du compte d'activité (point 2.10), clause d'exclusivité et de non-concurrence (point 2.11), brevet d'invention, création de logiciels (point 2.12), clause d'objectif (point 2.13), congés sans solde (point 2.14), et conditions d'exécution des travaux et empêchement (point 2.15).

C - Régime contentieux

Dans la seconde espèce (pourvoi n° 08-40.671), la Cour de cassation vise non seulement le droit commun du contrat de travail, tel qu'il résulte des articles L. 1211-1 et 1221-1, mais aussi l'article L. 3123-14 du Code du travail (N° Lexbase : L3882IBE), dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008 (4). Sauf exceptions prévues par la loi, il ne peut être dérogé par l'employeur à l'obligation de mentionner, dans le contrat de travail à temps partiel, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Pour rejeter la demande de requalification du contrat de travail du salarié "porté" en contrat à temps complet, les juges du fond ont estimé que les parties ont conclu un contrat à durée indéterminée à temps partiel comportant des obligations particulières ainsi qu'une convention intitulée "charte de collaboration" fixant des dispositions contractuelles spécifiques. Cette convention cadre organisant le travail du salarié, n'est pas contraire à l'ordre public et a été acceptée par les parties en toute connaissance de cause. La conclusion de ce contrat et sa convention cadre annexe entre la société, entreprise de portage, et le salarié "porté" a pour effet de déléguer la charge de la fourniture du travail et la recherche de clients au salarié porté. L'une des dispositions spécifiques contractuellement acceptées fixe un minimum horaire symbolique de quatre heures par mois à effectuer par le salarié. Cette disposition a eut pour effet de rendre ce dernier autonome dans la gestion de son emploi du temps s'agissant des heures dépassant le minimum horaire le cas échéant.

Mais, pour la Cour de cassation, sauf exceptions prévues par la loi, il ne peut être dérogé par l'employeur à l'obligation de mentionner, dans le contrat de travail à temps partiel, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.


(1) CA Bordeaux, 13 janvier 2009, n° 08/00398 ; CA Pau, ch. soc., 24 janvier 2008 n° 06/02445 ; CA Montpellier, 7 novembre 2007, n° 07/2783 (non-reconnaissance d'un contrat de travail entre le porté et la société de portage, mais entre le porté et l'entreprise cliente) ; CA Lyon, 5ème ch., 13 octobre 2006, n° 04/06602, Mlle Françoise Vitali c/ SA Inter-venance (N° Lexbase : A8615DZ4), refusant la qualification de contrat de travail aux rapports contractuels noués entre un porté et une société de portage salarial ; TGI Paris, 1ère ch., sect. soc., 18 mars 2008, n° 06/08817, Mme Marie Alice Christian et a. c/ Assedic de Paris (N° Lexbase : A9156D7A) et nos obs., Le TGI de Paris requalifie en contrat de travail l'activité des "portés" d'une société de portage salarial, Lexbase Hebdo n° 303 du 9 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8880BEM). En l'espèce, le TGI de Paris reconnaît l'existence d'un contrat de travail pour les personnes recourant à une société de portage salarial et donc le droit pour celles-ci de prétendre aux allocations chômage. Il relève, dans son jugement, que les éléments nécessaires à la reconnaissance d'un lien de subordination sont bien présents. V., enfin, Cass. soc., 16 décembre 2009, n° 08-17.852, Assedic du Pas-de-Calais, F-D (N° Lexbase : A0789EQB) (une consultante ayant travaillé pour une société de portage salarial a droit aux allocations de chômage).
(2) L. Casaux-Labrunée, Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ?, Dr. soc., 2007, p. 58 ; L. Casaux-Labrunée (dir.), Le portage salarial - Fraude ou nouvelle forme d'organisation du travail ?, n° spécial SSL, supplément n° 1332, 10 décembre 2007 ; J.-Y. Kerbourc'h, Le portage salarial : prestation de service ou prêt de main d'oeuvre illicite ?, Dr. soc., 2007, p. 72 ; P. Morvan, Eloge juridique et épistémologique du portage salarial, Dr. soc., 2007, p. 607 ; J.-J. Dupeyroux, Le roi est nu-Réponse à P. Morvan, Dr. soc., 2007, p. 616.
(3) P. Bernard-Remond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), 30 avril 2008 ; D. Dord, Rapport Assemblée nationale n° 789, 8 avril 2008, Rapport sur le projet de loi (n° 743) portant modernisation du marché du travail ; Ch. Radé, Que reste-t-il de l'accord de modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008 après la loi du 25 juin 2008 ?, Lexbase Hebdo n° 319 du 26 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1900BHT) ; nos obs., Article 8 de la loi portant modernisation du marché du travail : consécration légale du portage salarial, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5333BGM).
(4) L'article L. 3123-14 du Code du travail (N° Lexbase : L3882IBE) porte sur le contrat de travail à temps partiel et ses mentions, relatives à la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ; les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ; et les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ; enfin, les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.


Décisions

1° Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.298, M. Adelino Sousa Pina, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9244ERS)

CA Pau, ch. soc., 24 janvier 2008

Textes visés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et L. 1211-1 (N° Lexbase : L0764H98)

Mots-clés : portage salarial ; société de portage salarial ; obligations ; obligation de fournir du travail ; défaillance de l'employeur

Lien base : (N° Lexbase : E7619ESY)

2° Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-40.671, M. Denis Lorenzo, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9243ERR)

CA Montpellier, 4ème ch. soc., 20 juin 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 1211-1, L. 1221-1 et L. 3123-14 (N° Lexbase : L3882IBE)

Mots-clés : portage salarial ; société de portage salarial ; obligations ; obligation de fournir du travail ; défaillance de l'employeur

Lien base : (N° Lexbase : E7619ESY)

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Papa, maman et moi en centre de rétention...

Réf. : CEDH, 19 janvier 2010, Req. 41442/07, Muskhadzhiyeva et autres c/ Belgique (N° Lexbase : A2046ER9)

Lecture: 10 min

N2454BN9

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

Deux arrêts rendus le 10 décembre 2009 (1) par la Cour de cassation avaient mis en lumière la situation éminemment problématique de très jeunes enfants étrangers contraints d'accompagner leurs parents en centre de rétention administrative, la Haute juridiction considérant, contre l'avis de son avocat général, que cette rétention ne constituait pas un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI). On attendait par conséquent que la Cour européenne prenne position, ce qu'elle a fait dans un arrêt en demi-teinte en date du 19 janvier 2010 (Muskhadzhiyeva et autres c/ Belgique). En effet, si la Cour européenne condamne bien la Belgique sur le double fondement des articles 3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants) et 5 § 1 (N° Lexbase : L4786AQC) de la Convention (le droit à la liberté et à la sûreté), il n'est pas certain que cette condamnation remette nécessairement en cause la jurisprudence de la Cour de cassation française. Il n'est en effet pas évident, compte tenu de l'analyse des juges de Strasbourg que la rétention en centre administratif de jeunes enfants constitue en elle-même un traitement inhumain et dégradant (I) et le recours au droit à la liberté et à la sûreté de l'article 5 de la CESDH revêt un caractère complexe quoique sans doute plus efficace (II). I - Le fondement incertain de l'article 3 de la CESDH

La question. La question posée par les différentes décisions, et résolue négativement par les arrêts de la Cour de cassation du 10 décembre 2009, était celle de savoir si, en elle-même, la rétention de jeunes enfants accompagnant leurs parents faisant l'objet d'une procédure d'expulsion du territoire, constituait un traitement inhumain et dégradant.

La réponse des juges du fond. Dans les deux affaires ayant fait l'objet des arrêts de la Cour de cassation, le premier président de la cour d'appel, compétent pour statuer sur le recours contre la décision du juge des libertés et de la détention relative au prolongement de la détention, avait considéré que la rétention constituait un traitement inhumain pour l'enfant comme pour ses parents. Il avait affirmé que même si le centre de rétention disposait d'un espace réservé aux familles, "le fait de maintenir dans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé de deux mois et demi [dans un cas] et d'un an [dans l'autre] constituait un traitement inhumain au sens de l'article 3 de la CESDH, en raison, d'une part, des conditions de vie anormales imposées à ce très jeune enfant [...] et, d'autre part, de la grande souffrance morale et psychique infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance dépassant par sa nature, son importance et sa durée le seuil de gravité requis par le texte" (2).

La réponse de la Cour de cassation. La réponse de la Cour de cassation avait été aussi lapidaire que cinglante : "en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser, en l'espèce, un traitement inhumain ou dégradant, le premier président a violé l'article 3 de la CESDH". La Cour de cassation refuse donc de considérer que la rétention d'une famille avec un enfant en bas âge constitue en elle-même un traitement inhumain ou dégradant, pour les parents comme pour les enfants. Selon cette analyse, il faudrait, pour admettre une telle qualification, démontrer que les conditions de rétention particulières auxquelles les enfants ont été soumis sont contraires à l'article 3 de la Convention. On peut se demander si la Cour européenne ne va pas dans le même sens...

La réponse de la Cour européenne des droits de l'Homme. Dans l'arrêt "Muskhadzhiyeva et autres c/ Belgique", la Cour européenne résout distinctement la question de l'existence d'un traitement inhumain pour les parents et pour les enfants.

Pour les premiers, en l'espèce la mère, la Cour affirme que "la requérante n'était pas séparée de ses enfants. Si le sentiment d'impuissance à les protéger contre l'enfermement même et les conditions de celui-ci a pu lui causer angoisse et frustration, la présence constante de ceux-ci auprès d'elle a dû apaiser quelque peu ce sentiment, de sorte qu'il n'a pas atteint le seuil requis pour être qualifié de traitement inhumain". La Cour semble ainsi considérer que l'enfermement des enfants ne constitue pas en lui-même un traitement inhumain pour leur parent, ce qui au demeurant pourrait être discuté.

Pour ce qui est des enfants, la Cour considère, à l'inverse, qu'ils ont bien été victimes d'un traitement inhumain dans l'espèce qui lui était soumise, principalement en raison de l'absence de structure adaptée aux enfants. Elle rappelle que l'article 22 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) incite les Etats à prendre les mesures appropriées pour qu'un enfant, qui cherche à obtenir le statut de réfugié, bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire, qu'il soit seul ou accompagné de ses parents, et déduit des circonstances de l'espèce que "compte tenu du bas âge des enfants requérants, de la durée de leur détention et de leur état de santé, diagnostiqué par des certificats médicaux pendant leur enfermement, la Cour estime que les conditions de vie des enfants requérants au centre 127 bis avaient atteint le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention et emporté violation de cet article".

Portée de la solution européenne. La formulation du constat de violation de l'article 3 peut laisser penser que ce sont "la réalité des conditions de détention" qui caractérise le traitement inhumain. Or, ce raisonnement conduit a contrario à considérer, que si, à l'inverse, les enfants ont été retenus avec leur parent dans une structure spécialisée comme il en existe en France depuis le décret n° 2005-617 du 30 mai 2005, relatif à la rétention administrative et aux zones d'attente (N° Lexbase : L7926G83 ; C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 553-3 N° Lexbase : L1743HWH), la rétention ne constituerait pas un traitement inhumain. Ce qui pourrait conforter la position de la Cour de cassation.

Pour autant, la Cour européenne a seulement répondu à la question qui lui était posée, consistant à savoir si la rétention dans un centre administratif pour adultes, d'enfants accompagnant leur parents, et non pas isolés comme dans l'arrêt "Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga" du 12 octobre 2006 (CEDH, 12 octobre 2006, Req. 13178/03 N° Lexbase : A7616DRI) (3), était contraire à l'article 3. Sa réponse positive n'implique pas forcément qu'elle ne considèrerait pas, si la question lui était posée, que la rétention dans un cadre spécifique d'enfants accompagnant leurs parents pourrait constituer un traitement inhumain.

Recours à la CIDE. Dans la droite ligne de sa jurisprudence en faveur de l'élaboration d'une protection catégorielle des enfants, en tant que personnes particulièrement vulnérables, la Cour européenne des droits de l'Homme pourrait, par une lecture de l'article 3, "à la lumière" de l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant -consacrant la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant sur toute autre considération-, considérer que l'enfermement d'un enfant, en dehors de l'hypothèse d'une peine consécutive à une infraction qu'il aurait lui-même commise, y compris lorsqu'il est accompagné de ses parents, constitue un traitement inhumain, en ce qu'il est en tant que tel contraire à son intérêt supérieur. Il ne semble pas que l'aménagement des lieux de rétention suffise à rendre la privation de liberté compatible avec les besoins d'un enfant en bas âge. A l'appui de cette analyse, on peut citer l'arrêt "Sultan Oner et autres c/ Turquie" du 17 octobre 2006 qui concernait deux enfants placés en garde à vue pendant dix-huit heures avec leur mère, soupçonnée d'avoir commis une infraction (CEDH, 17 octobre 2006, Req. 73792/01 N° Lexbase : A1914DSP). La Cour a considéré que "les autorités policières ayant fait fi de la situation des deux requérants mineurs, ces derniers se sont trouvés en butte à une négligence et ont certainement subi des dommages psychologiques directement imputables aux conditions imposées à leur mère". Et que "en l'espèce, il ne fait aucun doute que le système a failli à protéger ces enfants, au mépris de l'article 1 de la Convention qui, combiné avec l'article 3, commande aux Hautes Parties de prendre des mesures propres à empêcher que des personnes ne soient soumises à des traitements inhumains ou dégradants et à permettre une protection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables".

Séparation. Dans la mesure où l'intérêt supérieur de l'enfant n'est évidemment pas non plus compatible avec une séparation de l'enfant d'avec ses parents, par ailleurs prohibée par l'article 9 de la Convention internationale des droits de l'enfant, cette analyse aboutit en réalité à exclure toute rétention de parents de jeunes enfants, dont on veut bien admettre qu'elle paraît quelque peu extrême. C'est sans doute la raison pour laquelle, la Cour européenne se montre prudente sur une question particulièrement délicate au regard de la souveraineté des Etats, et n'a pas saisi l'occasion qui lui était donnée de qualifier la rétention de jeune enfant de traitement inhumain.

II - Le fondement complexe de l'article 5 de la CESDH

Une condamnation fondée sur les conditions de détention. L'article 5 § 1 f) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme permet la détention d'une personne contre laquelle une procédure d'expulsion est en cours. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle "l'article 5 § 1 f) n'exige pas que la détention d'une personne contre laquelle une procédure d'expulsion est en cours puisse être considérée comme raisonnablement nécessaire [par exemple pour l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir]", ce qui revient à dire que la seule existence de cette procédure justifie la détention -la Cour européenne apportant cette précision à propos de la mère des enfants-.

Toutefois, la cour reprend, cette fois à propos des enfants, l'arrêt "Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga", selon lequel "au regard de la jurisprudence dégagée par la Cour, un lien doit exister entre, d'une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l'autre, le lieu et le régime de détention". Elle en conclut qu'en l'espèce, le lieu de rétention n'étant pas adapté aux enfants, il ne satisfait pas aux exigences dégagées par la jurisprudence de la Cour à partir de l'article 5, ce qui, une fois encore, permet de déduire qu'à l'inverse, si le lieu de détention est aménagé pour recevoir des enfants, l'article 5 § 1 f) est respecté. Le raisonnement utilisé par la Cour dans l'arrêt "Muskhadzhiyeva" ne serait donc pas transposable aux arrêts de la Cour de cassation et plus généralement à la situation en France des enfants accompagnant leurs parents contre lesquelles une procédure d'expulsion est en cours, puisqu'ils sont censés être retenus dans des locaux aménagés pour les familles.

Applicabilité de l'article 5 § 1 f) aux enfants. On peut tout de même s'étonner que la Cour européenne ne s'interroge pas sur l'applicabilité aux enfants accompagnant leur parent en centre de rétention de l'article 5 § 1 f) de la Convention. Il faut, en effet, rappeler que, par hypothèse, les enfants ne peuvent faire l'objet d'une expulsion en raison de leur qualité de mineur. La rétention de ces enfants n'est pas justifiée en elle-même. Elle n'est admise que parce qu'elle découle de la rétention des parents qui est certes compatible avec l'article 5.

Protection par ricochet. Toutefois, la protection par ricochet permet de considérer comme incompatible à la Convention, une mesure qui, en elle-même, respecte les dispositions du Traité mais qui emporte une conséquence contraire à l'une de ses dispositions. Cette analyse de la Cour européenne a notamment permis de considérer que l'extradition d'une personne vers un pays dans lequel il risquait la peine de mort était incompatible avec la Convention, non pas en tant que telle mais du fait de la conséquence qu'elle emportait (4). En l'espèce, si on peut admettre que la rétention des parents faisant l'objet d'une procédure d'expulsion, est conforme aux exigences de l'article 5 de la Convention, le fait que cette rétention entraîne l'enfermement d'un enfant qui, lui, ne peut faire l'objet d'une expulsion, constitue une atteinte à ce même article 5.

Proportionnalité. Il convient alors de se demander si cette atteinte est justifiée par un but légitime et proportionnée à ce but. Le but légitime est à l'évidence le maintien de l'unité familiale. Mais encore faudrait-il démontrer que le seul moyen d'atteindre ce but est de placer toute la famille dans un centre de rétention. Dans le même sens, la Cour européenne avait reproché, dans l'arrêt "Sultan Oner et autres c/ Turquie" (préc.), à l'Etat turc de ne pas avoir démontré "que les autorités aient dûment considéré au préalable si d'autres mesures, moins sévères que la privation de liberté en cause, n'auraient pas été suffisantes pour sauvegarder l'intérêt public", ce qui l'avait conduite à considérer que les mesures imposées à la requérante et à ses enfants ne cadraient pas avec l'article 5 § 1 de la Convention.

Dans son avis rendu à propos des affaires soumises à la Cour de cassation, l'avocat général constatait que "l'accompagnement par le mineur de ses parents retenus en centre de rétention administrative n'est pas la seule solution dont dispose l'administration". Il est, en effet, possible d'assigner la famille à résidence ou de décider que la famille sera hébergée dans une chambre d'hôtel. Plusieurs pays européens ont mis en place de telles solutions alternatives au bénéfice des familles.

Rétention en dernier ressort. Ces mesures alternatives permettraient de respecter l'article 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant selon lequel la détention d'un mineur doit être une mesure de dernier ressort et d'une durée aussi brève que possible. La Défenseure des enfants, dans son rapport au Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies de décembre 2008, en a justement déduit une recommandation consistant à "ne recourir au placement en centre de rétention qu'à titre tout à fait exceptionnel lorsqu'aucune mesure n'a pas été possible et privilégier l'assignation à résidence des parents et de leurs enfants ou à défaut leur placement en résidence hôtelière".

Conclusion. Il faut partir du principe que la rétention des enfants, même dans des locaux aménagés, n'est pas conforme à leurs droits fondamentaux et que seules des circonstances exceptionnelles peuvent permettre d'y recourir ; et ne pas considérer, à l'inverse, que la rétention des enfants est admise dès lors que les locaux sont aménagés sauf à démontrer qu'en réalité les conditions d'hébergement ne sont pas adaptées. Ce dernier raisonnement reviendrait en effet à estimer que le décret qui a instauré des centres de rétention aménagés pour les familles a créé un statut juridique des mineurs accompagnant leurs parents détenus, ce qui ne peut être le cas (5).

Certes, l'exclusion de principe de la rétention pour les enfants entraîne l'exclusion de principe de la rétention pour leurs parents, qui ne pourrait être écartée que par la démonstration que cette rétention est nécessaire. Mais le respect des engagements internationaux de la France en faveur des enfants est à ce prix et que les esprits chagrins ne viennent pas nous dire qu'"il suffirait donc d'avoir des enfants pour échapper à la rétention administrative et finalement à l'éloignement du territoire" (6) ...


(1) Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, 2 arrêts, n° 08-14.141, Préfet de l'Ariège, FP-P+B+I (N° Lexbase : A4182EPL) et n° 08-21.101, Préfet d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+I (N° Lexbase : A4183EPM), JCP éd. G, 2010, II, 127, obs. N. Guimezanes.
(2) La précision des juges du fond selon laquelle la souffrance "était manifestement disproportionnée avec le but poursuivi, c'est-à-dire la reconduite à la frontière", était inutile puisque dès lors que le seuil de gravité est atteint pour caractériser le traitement inhumain, il ne peut recevoir de justification.
(3) RTDH, 2007-71, p. 823, note B. Masson.
(4) F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, Thémis, 5ème éd. Commentaire n° 15.
(5) Dans le même sens, Avis de l'avocat général Pierre Chevalier.
(6) N. Guimezanes, art. préc..

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[Focus] Avocat : quel-nom-de-domaine.com ?

Lecture: 3 min

N2584BNZ

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 03 Mars 2011

Depuis quelques mois, les instances représentatives de la profession se penchent sur le sujet des noms de domaine choisis par les avocats. Bien qu'elles admettent l'urgente nécessité d'adapter les règles existantes, elles rappellent que la question relève du régime de la publicité de l'avocat, tel que fixé par l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 (décret n° 2005-790, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat) et par le Règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8), en particulier, son article 10.10, relatif à la publicité. Ces textes sont quasi muets sur la question spécifique des noms de domaine. Mais, en attendant de fixer un régime adéquat ou, tout du moins, de s'accorder sur les bons usages, il faudra se référer aux principes qu'ils posent.

L'article 15 du décret du 12 juillet 2005 indique que la publicité est permise à l'avocat, "si elle procure une information au public et si sa mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession". Le texte précise que "la publicité inclut la diffusion de l'information sur la nature des prestations de services proposées, dès lors qu'elle est exclusive de toute forme de démarchage".

L'article 10.11 du RIN consacré à la publicité de l'avocat sur internet précise les mentions obligatoires et les mentions autorisées figurant sur le site et règlemente les liens hypertexte. Il prévoit, aussi, un contrôle de la part de l'Ordre, "qui doit être informé sans délai de l'ouverture du site et des noms de domaine permettant d'y accéder". Le texte reprend, également, le principe général contenu dans l'article 15 du décret, applicable aux noms de domaines : "le contenu du site doit être respectueux du secret professionnel et doit respecter, également, la dignité et l'honneur de la profession".

C'est à côté de cette dernière exigence que certains avocats seraient passés. De nombreux noms de domaine, plus que "douteux" pour certains, se sont multipliés sur la toile : cabinet-avocat-licenciement.com, droit-des-sociétés.net, droitaffaires.com, etc..

Plus grave, des avocats se sont attribués des noms de domaines laissant penser que les sites émanent des structures représentatives de la profession, voire participent directement à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la norme elle-même : accidentdutravail.net, maladies-professionnelles.fr, controle-urssaf.com, droitdelasecuritesociale.com, etc..

Ces dérives ont été dénoncées par Vincent Canu, membre du conseil de l'Ordre du Barreau de Paris : ces formules "ne respectent ni la dignité ni l'honneur de notre profession". D'autant que certaines contiennent des mentions qualificatives qui se veulent laudatives.

Après avoir attiré l'attention du conseil de l'Ordre du Barreau de Paris sur ces tromperies qui "violent les principes essentiels auxquels l'avocat est tenu", lors de sa séance du 26 mai 2009) (1), Vincent Canu a participé au groupe de travail "publicité personnelle de l'avocat" de la Commission des Règles et Usages du Conseil national des Barreaux (CNB). Ce groupe vient de remettre un rapport visant à réglementer les noms de domaine des avocats, qui sera soumis à concertation et qui sera examiné par l'assemblée générale du CNB à tenir les 12 et 13 mars prochains.

L'initiative du Conseil est heureuse, car si le Barreau de Paris avait tiré la sonnette d'alarme, il n'était pas dit que tous ses pairs le suivent dans cette démarche ou adoptent des interprétations communes des termes utilisés pour les noms de domaine.

L'objectif, ici, est de mettre fin à "toute publicité trompeuse", indique Pierre Berger, Président de la Commission des Règles et Usages. Aux termes du projet de modification de l'article 10 du RIN, "l'utilisation de noms de domaine évoquant de façon générique le titre d'avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit ou une activité relevant de celles de l'avocat, est interdite". Le texte propose, donc, d'interdire l'utilisation de noms génériques. Seule serait, en fait, permise l'utilisation du nom ou la dénomination exacte du cabinet de l'avocat : "le nom de domaine doit comporter le nom de l'avocat ou la dénomination exacte du cabinet".

Le groupe de travail reprend, ainsi, les solutions dégagées dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Toulouse le 15 février 2001 (CA Toulouse, 1ère ch., 15 février 2001, n° 2000/01962 N° Lexbase : A6132ATB), au sujet du nom de domaine avocat-toulouse.com. Les juges avaient considéré qu'il est "difficilement concevable que le site professionnel d'un avocat ne comporte pas en premier lieu son nom ou celui de sa structure. Aucun auxiliaire de justice ne peut, en effet, s'approprier, même indirectement, le terme générique de sa profession sur un site internet et laisser ainsi entendre aux tiers non avertis qu'il représente l'intégralité de cette profession".

Avant l'examen du projet de modification de l'article 10 du RIN par l'assemblée générale du CNB à tenir au mois de mars prochain, les contributions des différents Barreaux vont être examinées. Notamment, le Barreau de Paris propose de laisser la possibilité pour l'avocat d'accoler à son nom la spécialisation dont il est titulaire, s'agissant de spécialisations "obtenues par un certificat délivré par les centres de formation" (2). Seraient, donc, exclues, dans un premier temps, les activités dominantes ou les champs de compétence. Toutefois, "souhaitant être totalement en phase avec le CNB sur ces questions, le Bâtonnier a proposé que cette idée soit soumise à la commission Règles et usages du CNB avant que de nouvelles dispositions ne soient votées".


(1) Cf. le Bulletin du Barreau de Paris n° 19, 4 juin 2009.
(2) Cf. le Bulletin du Barreau de Paris n° 6, 12 février 2010.

newsid:382584

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : nouvelles précisions sur le droit transitoire

Réf. : Cass. soc., 10 février 2010, n° 09-60.244, Société Sterna c/ M. Bruno Petit et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7875ER4)

Lecture: 7 min

N2502BNY

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


En mettant un terme à la présomption de représentativité et en faisant de l'audience électorale le critère majeur de la représentativité syndicale, la loi du 20 août 2008 a entraîné de profonds bouleversements dans notre droit de la représentation collective (1). Pour cette raison, mais également au regard du nouveau rôle des élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, il était opportun, pour ne pas dire nécessaire, que la loi ménage en la matière une période de transition. On saura donc gré au législateur d'avoir adopté des dispositions transitoires ayant globalement vocation à assurer l'application des règles antérieures pendant une durée sinon déterminée, du moins déterminable. Compte tenu, toutefois, de la rédaction des textes en cause, le terme de la période transitoire exigeait d'être précisé. Tel est l'objet de l'important arrêt rendu le 10 février 2010 par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Résumé

L'organisation dans l'entreprise d'élections ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de carence, impliquant qu'aucune organisation syndicale ne s'est présentée au scrutin, il en résulte que ces élections, qui ne permettent pas d'évaluer l'audience syndicale, ne mettent pas fin à la période transitoire, instituée par les articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, laquelle prend fin au plus tard le 22 août 2012.

I - De la nécessité des dispositions transitoires

  • La cause des dispositions transitoires

En mettant un terme à la présomption de représentativité, la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, a fait de l'audience électorale l'élément clef de l'accès des syndicats à la représentativité. Par définition, ce critère est indissociablement lié à l'organisation des élections professionnelles dans l'entreprise et plus précisément à leurs résultats. On sait, en effet, que doivent être pris en compte les suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles, qu'il s'agisse de mesurer la représentativité dans l'entreprise, la branche ou au niveau interprofessionnel. Dans le premier cas, un syndicat ne peut prétendre à la représentativité s'il n'a pas obtenu 10 % des suffrages, tandis que ce seuil est ramené à 8 % dans les deux autres cas.

Si la loi avait été d'application immédiate, cela aurait conduit à prendre en compte les résultats des élections professionnelles ayant eu lieu avant la réforme de 2008. Une telle option eut été difficilement admissible. Il aurait, tout d'abord, été contestable de se référer à des élections s'étant déroulées à une époque où, par hypothèse, les enjeux nouveaux s'attachant aux élections professionnelles ne pouvaient être pris en compte par les électeurs. Ensuite, compte tenu des bouleversements attachés à la réforme, il semblait opportun de ménager une période de transition.

  • Le contenu des dispositions transitoires

S'agissant de la seule détermination de la représentativité syndicale dans l'entreprise (2), le législateur l'a liée aux élections professionnelles intervenues postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Plus précisément, en application de l'article 11-IV, "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, est présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l'une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi, ainsi que tout syndicat représentatif à ce niveau à la date de cette publication" (3).

La date clef est donc constituée par la première réunion de négociation du protocole d'accord préélectoral. Si celle-ci intervient après la publication de la loi, les règles nouvelles s'appliquent. Si elle intervient avant, le système antérieur continue de s'appliquer ou, plus exactement, restent représentatifs jusqu'aux prochaines élections les syndicats présumés représentatifs (4) et ceux qui avaient établi leur représentativité à la date de la publication de la loi. Il faut donc relever qu'aucun syndicat n'est en mesure de prouver sa représentativité postérieurement à cette date.

Faisant en quelque sorte écho aux dispositions de l'article 11-IV de la loi du 20 août 2008, son article 13 dispose, en son dernier alinéa, que, "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles organisées dans les entreprises ou les établissements pour lesquels la date fixée pour la négociation du protocole préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, chaque syndicat représentatif dans l'entreprise ou l'établissement à la date de cette publication peut désigner un ou plusieurs délégués syndicaux pour le représenter auprès de l'employeur, conformément aux articles L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) et L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS) du Code du travail dans leur rédaction antérieure à ladite publication". Ces deux textes étaient en cause dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, qui permet à la Cour de cassation d'en préciser la portée.

II - De la portée des dispositions transitoires

  • L'affaire

Salarié de la société L., M. P. avait été élu délégué du personnel en mars 2008. L'activité de transport citerne de cette société avait été confiée, en juillet 2008, à la société S., nouvellement créée, par un contrat de location-gérance précisant la liste du personnel transféré sur laquelle M. P. figurait. L'inspecteur du travail avait, toutefois, refusé son transfert, ainsi que celui de dix-sept autres salariés protégés par décisions du 30 octobre 2008 contre lesquelles un recours hiérarchique avait été formé. Le personnel qui devait être repris par la société S. ayant été transféré le 1er janvier 2009, l'employeur avait organisé des élections professionnelles en invitant les organisations syndicales représentatives à élaborer un protocole préélectoral en février 2009. Aucun protocole n'ayant pu être conclu, et aucun candidat ne s'étant présenté ni au premier tour fixé le 26 février 2009, ni au second tour, un procès-verbal de carence avait été dressé le 12 mars 2009. Par décision postérieure du 30 mars 2009, le ministre des Transports a annulé les décisions de l'inspecteur du travail et autorisé le transfert de dix salariés protégés, dont M. P.. Par lettre du 23 avril 2009, le syndicat CFDT a désigné M. P. comme délégué syndical de l'entreprise S. ; désignation dont l'employeur a demandé l'annulation.

La société S. reprochait au jugement attaqué de l'avoir débouté de cette demande. Son pourvoi était essentiellement fondé sur les dispositions transitoires de la loi de 2008, telles qu'elles ont été précédemment rappelées. Pour aller à l'essentiel, la partie requérante soutenait que les élections professionnelles ayant eu lieu postérieurement à la loi du 20 août 2008 et le syndicat mandant n'ayant pas franchi le seuil de 10 %, la désignation ne pouvait être valable faute pour le syndicat d'être représentatif.

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, souligne "que l'organisation dans l'entreprise d'élections ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de carence, impliquant qu'aucune organisation syndicale ne s'est présentée au scrutin, il en résulte que ces élections, qui ne permettent pas d'évaluer l'audience syndicale, ne mettent pas fin à la période transitoire, instituée par les articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, laquelle prend fin au plus tard le 22 août 2012". Par suite, "le tribunal [ayant] constaté que M. [P.] avait été désigné délégué syndical, après le procès-verbal de carence, par une organisation syndicale bénéficiant de la présomption de représentativité par affiliation à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel, la décision déférée se trouve légalement justifiée par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués".

  • La solution

La solution retenue par la Cour de cassation nous paraît pleinement justifiée, ne serait-ce qu'au regard de la lettre des dispositions transitoires en cause. En effet, tant l'article 11, IV, que l'article 13 de la loi du 20 août 2008 se réfèrent "aux résultats des élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la [...] loi" (nous soulignons). Ce n'est donc pas l'organisation d'élections qui importe, mais le fait que celles-ci se soient déroulées effectivement et, plus exactement, aient pu produire des résultats permettant d'évaluer l'audience électorale.

Faute d'élections permettant une telle évaluation, il ne peut être considéré que la période transitoire a pris fin. Partant, restent représentatives à ce niveau les organisations syndicales mentionnées précédemment. Il en résulte, conformément aux prescriptions de l'article 13 de la loi du 20 août 2008, qu'un délégué syndical peut être désigné à ce niveau par chaque syndicat représentatif à la date de publication de la loi, conformément aux articles L. 2143-3 et L. 2143-6 du Code du travail dans leur rédaction antérieure à cette publication (5).

Cela étant, la solution retenue par la Cour de cassation nous paraît présenter une difficulté d'interprétation. Rappelons qu'elle y vise "l'organisation dans l'entreprise d'élections professionnelles ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal, impliquant qu'aucune organisation syndicale ne s'est présentée au scrutin". Bien que la question n'ait, à notre connaissance, jamais été soumise à la Cour de cassation, il est communément affirmé que l'obligation d'établir un procès-verbal de carence, qui repose sur le chef d'entreprise, est limitée au cas où la carence a été constatée à la fois au premier et au second tour et où aucun siège n'a donc été attribué (6).

Si tel était bien le cas en l'espèce, on doit se demander ce qu'il adviendrait de la situation dans laquelle aucune organisation syndicale ne s'étant présentée au premier tour des élections, dont on sait qu'il leur est réservé, un second tour était organisé avec des listes non syndicales, conduisant à l'élection de représentants du personnel. Dans une telle situation, aucun procès-verbal de carence n'aurait à être dressé, si l'on s'en tient à la position évoquée ci-dessus. Pour autant, et pour reprendre la solution de la Cour de cassation, ces élections ne permettraient pas d'évaluer l'audience syndicale, puisqu'aucun syndicat ne se serait présenté au scrutin. On est alors tenté d'en déduire que la période transitoire ne prendrait pas non plus pris fin ici. Il n'est toutefois pas certain que ce soit la solution à retenir. En effet, dans cette hypothèse, des élections ont bien eu lieu et des résultats sont donc disponibles. Bien plus, ne doit-on pas considérer que l'absence de listes syndicales traduit un désintérêt, voire une hostilité des salariés à l'égard des syndicats ?

En tout état de cause, la période transitoire ne saurait durer ad vitam aeternam. Ainsi que le précise la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, celle-ci prend fin au plus tard le 22 août 2012, c'est-à-dire quatre ans après la publication de la loi. On pourra s'étonner de cette précision et de ce terme, qui ne figurent pas expressément dans la loi du 20 août 2008. Ne pouvait-on pas, en effet, considérer que celle-ci se réfère à un terme imprécis, résidant dans les résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la loi ? Une telle position serait cependant contestable, dans la mesure où elle pourrait conduire à un maintien du dispositif antérieur pour une durée indéterminée, alors que la loi du 20 août 2008 a précisément entendu y mettre un terme.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale.
(2) La première mesure de l'audience au niveau des branches professionnelles et au niveau national et interprofessionnel sera réalisée au plus tard cinq après la publication de la loi (art. 11-I de la loi). L'article 11 organise à ce niveau aussi des dispositions transitoires dans ses § II et III.
(3) "Est également présumé représentatif dans les mêmes conditions tout syndicat constitué à partir du regroupement de plusieurs syndicats dont l'un au moins est affilié à une organisation syndicale de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi" (art. 11-IV, al. 2).
(4) Ainsi que la Cour de cassation l'a précisé dans l'un des arrêts rendus le 8 juillet 2009, cette présomption de représentativité "maintenue" est irréfragable (Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7069EIN. Lire Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale N° Lexbase : N1143BLW).
(5) N'est donc pas applicable dans ce cas l'exigence nouvelle que le délégué syndical ait été candidat aux élections professionnelles et ait recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour de ces élections.
(6) Cir. min. DRT n° 13 du 25 octobre 1983 (N° Lexbase : L9096AGY). Dès lors qu'un procès-verbal de carence a été établi, l'employeur n'est pas tenu d'organiser de nouvelles élections avant l'échéance d'une période de quatre années, correspondant en principe à la périodicité des élections dans l'entreprise. Il en irait, toutefois, différemment si un salarié ou un syndicat demandait à l'employeur d'organiser de nouvelles élections. En cas de refus de l'employeur, le tribunal d'instance pourrait ordonner à l'employeur de le faire (Cass. soc., 14 février 2007, n° 06-60.120, Société par actions simplifiée (SAS) Hyundai France N° Lexbase : A3109DUP).


Décision

Cass. soc., 10 février 2010, n° 09-60.244, Société Sterna c/ M. Bruno Petit et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7875ER4)

Rejet, TI Rouen (contentieux des élections professionnelles), 28 mai 2009

Textes concernés : loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), art. 11, IV et 13

Mots-clefs : représentativité ; détermination de l'audience électorale ; fin de la période transitoire

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Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] Cession d'entreprise et détermination des accords applicables aux salariés : la Cour de cassation fait la leçon

Réf. : Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-44.454, Société Mecasem, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7753ERL)

Lecture: 5 min

N2474BNX

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Les restructurations d'entreprise peuvent prendre de nombreuses formes et le Code du travail s'efforce, tout en accompagnant ces mutations nécessaires, de préserver les droits des salariés. Dans un arrêt en date du 10 février 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise les solutions qui doivent prévaloir pour la détermination de la convention collective applicable au salarié dont le contrat est, avec son entreprise, cédé, et confirme, à juste titre (I), que le salarié doit bénéficier cumulativement des dispositions de l'accord mis en cause, tant qu'un accord de substitution n'a pas été conclu dans les quinze mois suivant la cession, mais aussi des dispositions conventionnelles applicables dans sa nouvelle entreprise, à condition que ces dernières lui soient plus favorables (II).


Résumé

En cas de transfert du contrat de travail par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), la convention collective dont relève le cessionnaire s'applique immédiatement au salarié, les dispositions plus favorables de l'accord mis en cause continuant cependant à lui bénéficier dans les conditions prévues par l'article L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C).

I - Cession d'entreprise et détermination des accords applicables aux salariés cédés

  • Principes gouvernant la mise en cause des accords

La cession de l'entreprise emporte transfert des contrats de travail, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, mais non celle des accords collectifs qui s'appliquent en son sein et qui se trouvent mis en cause à la date du transfert dès lors que la nouvelle entreprise n'entre pas dans son champ d'application (1).

L'article L. 2261-14 du Code du travail prévoit les modalités de la survie de l'accord, qui "continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis prévu à l'article L. 2261-9 (N° Lexbase : L2434H9Z), sauf clause prévoyant une durée supérieure".

Le texte précise qu'à l'issue de ce délai total de quinze mois (trois mois de préavis et un an de survie (2)), et lorsque "la convention ou l'accord mis en cause n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord", "les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis, en application de la convention ou de l'accord, à l'expiration de ces délais".

Ce même texte prévoit, enfin, qu'"une nouvelle négociation doit s'engager dans l'entreprise concernée, à la demande d'une des parties intéressées, dans les trois mois suivant la mise en cause, soit pour l'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l'élaboration de nouvelles stipulations".

  • Règlement des concours d'application de conventions collectives

Si le texte s'intéresse au sort de l'accord mis en cause, il ne dit, en revanche, rien d'un éventuel concours avec l'accord applicable dans l'entreprise cessionnaire.

La question n'avait donné lieu qu'à peu de décisions.

Dans un arrêt publié en 1992, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré comme injustifié le licenciement d'une salariée qui refusait de se soumettre aux dispositions de la convention applicable dans la nouvelle entreprise et avait réclamé l'application de l'accord mis en cause dans le délai de quinze mois de la cession (3).

La solution fut confirmée en 1999, notamment (4), et la Haute juridiction précisa à cette occasion que les salariés pouvaient invoquer le bénéfice de la convention collective applicable dans la nouvelle entreprise si ses dispositions étaient plus favorables que celles maintenues en vigueur pendant le délai de quinze mois (5).

Un arrêt inédit rendu en 2007 avait, toutefois, jeté le trouble puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation y affirmait "qu'à défaut de convention ou d'accord de substitution, le nouvel employeur ne peut imposer aux salariés repris l'application immédiate du statut collectif en vigueur dans l'entreprise, lorsque ce statut est différent de celui dont ils relevaient avant le transfert des contrats de travail" (6), sans plus faire référence au principe de faveur (7).

II - La consécration d'une situation de concours réglée par l'application du principe de faveur

  • Confirmation du concours des accords et du recours au principe de faveur

C'est cette solution qui se trouve clairement confortée dans cet arrêt en date du 10 février 2010.

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en 1987 en qualité de technicien, la convention collective applicable étant celle de la métallurgie. Le contrat de travail du salarié avait été transféré en 2002 en application de l'article L 1224-1, à la suite du regroupement de l'activité métrologie au sein d'une nouvelle société, la relation de travail se trouvant alors régie par la Convention "Syntec". L'activité métrologie avait été de nouveau cédée en 2004 à une entreprise relevant, cette fois-ci, de la Convention collective de la métallurgie, dont le salarié réclamait l'application immédiate des dispositions plus favorables.

La cour d'appel de Versailles l'avait débouté après avoir considéré que la convention collective normalement applicable dans l'entreprise où le contrat de travail du salarié avait été transféré ne pouvait recevoir application qu'une fois expiré le délai de quinze mois de survie de l'accord mis en cause par le transfert.

Cet arrêt est cassé. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "en cas de transfert du contrat de travail par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail, la convention collective dont relève le cessionnaire s'applique immédiatement au salarié, les dispositions plus favorables de l'accord mis en cause continuant cependant à lui bénéficier dans les conditions prévues par l'article L. 2261-14 du Code du travail".

  • Une solution parfaitement justifiée

Cette solution, qui renoue avec l'arrêt rendu en 1999, est parfaitement justifiée en ce qu'elle combine le régime de la mise en cause qui, rappelons-le, ne concerne que l'accord applicable dans l'entreprise cédée avant la cession, et celles de l'article L. 2254-1, aux termes duquel, "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables".

Certes, on pourrait penser que, pour "imposer" la négociation d'un accord d'adaptation ou de substitution, il conviendrait de geler l'application de l'accord normalement applicable dans la nouvelle entreprise pendant quinze mois. Mais, outre que ce report d'application ne serait pas nécessairement favorable aux salariés, il ne repose sur aucun argument de texte sérieux.

Faut-il le rappeler, mais le message ne semblait pas avoir été bien compris par les magistrats versaillais, les dispositions de l'article L. 2261-4 ne concernent que le sort de l'accord mis en cause par le transfert, pour prévoir la survie le temps que les partenaires sociaux négocient et concluent un accord d'adaptation, destiné à limiter les effets du changement de statut (8), et non l'application aux salariés issus de la cession de l'accord, par ailleurs, applicable aux salariés de l'entreprise cessionnaire qui relève donc des dispositions du droit commun.

Dès lors, soit un accord d'adaptation a été conclu dans les quinze mois et ce dernier entrera alors en conflit avec l'accord applicable dans la nouvelle entreprise, ce conflit devant se régler par l'application des règles ordinaires, soit aucun accord n'aura été conclu et un conflit pourra surgir entre les avantages individuels acquis par les salariés, sur la base de l'accord mis en cause et non remplacé, et les dispositions de la convention collective normalement applicable dans la nouvelle entreprise des salariés.


(1) La règle s'applique donc aux accords d'entreprise, aux accords de branche non étendu, lorsque le nouvel employeur, quoique relevant du même secteur d'activité, n'adhère pas à une organisation patronale signataire de l'accord en cause, aux accords de branche étendus lorsque le nouvel employeur relève d'un autre secteur d'activité ou aux accords interprofessionnels lorsque le nouvel employeur appartient à une branche dans laquelle les organisations patronales signataires ne sont pas représentatives.
(2) Cass. soc., 22 juin 1993, n° 91-41.983, M. Hauray c/ Société Jet Fret (N° Lexbase : A6680ABZ) : "la mise en cause d'une convention ou d'un accord collectif prévue par l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACNest soumise, par ce texte, au régime des alinéas 3 et 6 du même article ; [...] il en résulte qu'elle est assimilée à une dénonciation, laquelle nécessite un préavis d'une durée de 3 mois, sauf clause conventionnelle contraire".
(3) Cass. soc., 14 mai 1992, n° 88-45.316, Mme Volet (N° Lexbase : A9354AAP).
(4) Sur le principe de l'application immédiate du statut collectif applicable dans l'entreprise cessionnaire : Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-13.582, Syndicat des pilotes d'Air France-Spaf, venant aux droits du Syndicat des pilotes d'Air Inter-Spit c/ Société Air France, FS-P+B (N° Lexbase : A3662DIH), Bull. civ. V, n° 164 : "attendu, ensuite, qu'à compter de la fusion-absorption intervenue entre les sociétés Air France et Air Inter Europe, les salariés de l'entreprise absorbée sont soumis de plein droit au statut du personnel de l'entreprise absorbante, élaboré par le conseil d'administration, sous contrôle des autorités de tutelle et dérogatoire au droit commun, qui leur est immédiatement applicable".
(5) Cass. soc., 16 mars 1999, n° 96-45.353, Société Sivec c/ Mme Passicousset (N° Lexbase : A6407AGE).
(6) Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-42.090, Société Casa services machines, F-D (N° Lexbase : A6026DZ9).
(7) La solution pouvait se justifier soit par le refus de faire application de l'accord normalement applicable dans la nouvelle entreprise pendant 15 mois, et ce pour laisser le temps aux partenaires sociaux de conclure un accord de substitution, soit par le fait que seul le salarié est en droit de revendiquer l'application du principe de faveur, et non l'employeur, compte tenu de son caractère d'ordre public de protection.
(8) Rappelons que cet accord d'adaptation peut valablement, pour tenir des particularités de la situation des salariés qui avaient bénéficié des dispositions de l'accord mis en cause, leur réserver le bénéfice de compensations financières qui ne bénéficieront donc pas à tous les salariés de l'entreprise (Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, FS-P+B N° Lexbase : A0465D3M et nos obs., Justification des inégalités salariales et cession de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 285 du 13 décembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N3933BDZ).


Décision

Cass. soc.,10 février 2010, n° 08-44.454, Société Mecasem, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7753ERL)

Cassation CA Versailles, 5 juin 2008, n° 07/00572, Bruno Legros c/ Société Mecasem (N° Lexbase : A4688ER3)

Textes visés : C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y)

Mots clef : cession d'entreprise ; convention collective ; mise en cause ; concours

Lien base : (N° Lexbase : E0772ETR)

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Procédure pénale

[Jurisprudence] La cour d'appel de Nancy botte en touche sur la question de la nullité de la garde à vue

Réf. : CA Nancy, 4ème ch., 19 janvier 2010, n° 09/01766 (N° Lexbase : A7916EQA)

Lecture: 11 min

N2462BNI

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par Nicolas Pasina, Avocat associé, SCP C.R.C, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Saint-Dié-des-Vosges

Le 07 Octobre 2010

C'est peu dire que le débat relatif à la garde à vue est d'une actualité toute particulière. Ce constat s'impose, tout d'abord, au regard de la presse généraliste qui a rendu compte, pour mieux les dénoncer, de certaines mesures de garde à vue prises à l'encontre de mineurs ou mêmes des conditions de leur interpellation, faisant en cela comme si ce débat était nouveau. Il faut dire que le nombre de personnes placées en garde à vue est en augmentation constante ces dernières années (577 816 personnes en 2008 hors gardes à vue pour délits routiers) et que cette mesure est depuis 2002 un indicateur officiel pour évaluer la performance des services de sécurité (ceci expliquant cela...). Mais ce constat s'impose, ensuite, au regard de la presse juridique qui s'est plus précisément intéressée à l'intervention de l'avocat lors d'une mesure de garde à vue, le tout dans un contexte de reforme de la procédure pénale dont la "mesure phare", s'il est besoin de le répéter, est la suppression du juge d'instruction.
On sait que l'avocat a réussi, petit à petit, à entrer ces dernières années dans les endroits les plus clos, là où la liberté des individus était restreinte afin de faire respecter leurs droits les plus élémentaires (tout particulièrement en prison). On sait aussi que cela ne s'est pas fait sans réticences et sans l'aide des juridictions (principalement administratives pour les conditions de détention).
La garde à vue était l'un des bastions les plus intouchables de notre procédure pénale jusqu'à ce qu'un tremblement de terre juridique, dont l'épicentre se trouve à Strasbourg et dont les répliques se font sentir un peu partout en France, ne vienne remettre en cause cette institution ou, en tous les cas, ses modalités d'application. Jusqu'à présent, le Code de procédure pénale prévoit que, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat pendant une demi-heure maximum. Ce dernier ne peut toutefois pas assister aux interrogatoires et n'a pas accès au dossier (C. proc. pén., art. 63-4 N° Lexbase : L0962DYB, pour l'enquête de flagrance, C. proc. pén., art. 77 N° Lexbase : L8622HWA et 54 N° Lexbase : L7099A4P pour l'enquête préliminaire et la garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire). Dans le cadre de la criminalité ou de la délinquance organisée, l'avocat ne peut intervenir que de manière différée à partir de la quarante-huitième ou la soixante-douzième heure (C. proc. pén., art. 63-4, dernier alinéa, et 706-88 N° Lexbase : L0891HHH).

Ce dispositif était critiqué par les avocats car il ne leur permettait pas de pouvoir exercer pleinement leur rôle de défenseur ne pouvant à la limite que déposer des observations s'il relevait des difficultés.
Les juridictions pénales, quant à elles, protégeaient la garde à vue en isolant de plus en plus les cas d'annulation de la procédure et, lorsqu'elles les annulaient, limitaient les effets de leur décision. C'est dire si l'on voulait privilégier les nécessités de l'enquête aux fins (et malgré les progrès incontestables de la police technique et scientifique) d'obtenir un aveu de la personne mise en cause.

Il en résultait que les droits de la défense ne pouvaient s'exercer au cours de la garde à vue, bien que ce soit le lieu d'exercice de diverses pressions. Cette situation allait être, pas à pas, remise en cause.
La Cour européenne des droits de l'Homme a, d'abord, indiqué que les règles relatives au procès équitable et à ses garanties doivent s'appliquer dès la phase préparatoire du jugement (CEDH, 8 février 1996, Req. 41/1994/488/570, Murray c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A8396AWU) : la présence de l'avocat lors du premier interrogatoire y était indiquée et souhaitée.
Ensuite, un arrêt du 27 novembre 2008, "Salduz c/ Turquie", rendu par la Grande Chambre de la Cour (CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02, Salduz c/ Turquie N° Lexbase : A3220EPX), posait également le principe d'une nécessité d'avoir un accès à une défense lors de la garde à vue.

Ces arrêts, diversement appréciés dans leur portée, mettaient en place, de la sorte, un véritable principe d'intervention immédiate. 
Les juridictions pénales françaises n'en tiraient quant à elles aucune conséquence juridique. Pourtant, l'arrêt "Dayanan c/ Turquie" (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03, Dayanan c/ Turquie N° Lexbase : A3221EPY) parfait et achève cette évolution (I), et trouve un écho favorable dans notre ordre juridique interne puisque la cour d'appel de Nancy, dans un arrêt du 19 janvier 2010, applique, d'une manière certes particulière, la jurisprudence européenne (II).

I - La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et son application en droit interne

La Cour européenne des droits de l'Homme, dans son arrêt rendu le 13 octobre 2009, expose clairement les principes qui, selon elle, doivent guider toute procédure pénale des Etats signataires, et ce au visa de l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (A). Cet arrêt a pu connaître un écho favorable de la part de certaines juridictions du fond en France (B).

A - L'arrêt "Dayanan"

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt "Dayanan", un ressortissant turc avait été placé en garde à vue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La législation turque ne prévoyait, dans ce type de procédure, aucune intervention d'un avocat, le mis en cause ne rencontrait son conseil que lorsque la garde à vue était achevée. Renvoyé devant la Cour de sûreté de l'Etat, il a été condamné à une peine de douze années d'emprisonnement. Le requérant, estimant que ses droits avaient été violés durant sa garde à vue, a saisi la Cour européenne qui, a clairement indiqué qu'"en ce qui concerne l'absence d'avocat lors de la garde à vue, la Cour rappelle que le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable.
Elle estime que l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire.
Comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa
jurisprudence, un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit. En effet, l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer.
En l'espèce, nul ne conteste que le requérant n'a pas bénéficié de l'assistance d'un conseil lors de sa garde à vue parce que la loi en vigueur à l'époque pertinente y faisait obstacle. En soi, une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention, nonobstant le fait que le requérant a gardé le silence au cours de sa garde à vue.
Partant, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l'article 6 § 1
[...]".

Quel abysse entre ce que la Cour estime devoir être les droits de la défense d'une personne privée de liberté en application de la CESDH et notre Code de procédure pénale prévoyant une intervention (différée dans les cas les plus graves à la quarante-huitième ou la soixante-douzième heure) d'un avocat pendant 30 minutes, dans des conditions matérielles souvent précaires et sans avoir accès au dossier !

Le rôle de l'avocat français actuellement est, il faut le reconnaître, quasi inutile sauf à rassurer autant que faire se peut la personne placée en rétention et s'assurer de sa santé. Ne nous trompons pas, telle est véritablement sa seule fonction.

Cette solution claire a, par la suite, été confirmée par la Cour de Strasbourg dans quatre arrêts, intéressants la procédure pénale turque et la procédure pénale ukrainienne, rendus en moins d'un mois (CEDH, 10 novembre 2009, Req. 35392/04, Bolukoc et autres c/ Turquie -texte uniquement disponible en anglais- ; CEDH, 19 novembre 2009, Req. 17551/02, Oleg Kolesnik c/ Ukraine -texte uniquement en anglais- ; CEDH, 1er décembre 2009, Req. 25301/04, Adalmis et Kilic c/ Turquie N° Lexbase : A2901EP7 ; CEDH, 8 décembre 2009, Req. 9762/03, Savas c/ Turquie N° Lexbase : A5461EPX).

Il faut rappeler que le président de la CEDH, Jean-Paul Costa a pu indiquer, dans un entretien au journal La Croix publié le 24 janvier 2010, le rôle de la jurisprudence de la Cour européenne, affirmant que "les Etats ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois" ou encore qu'il "fallait enjoindre aux pays européens de revoir leur législation quand un problème chez eux est analogue à celui identifié par la Cour dans un autre pays et cesser de jouer à cache-cache avec la Convention européenne".

Devant cette avancée spectaculaire, les avocats français se sont servis de ces jurisprudences pour faire respecter les droits des gardés à vue.

B - L'écho favorable des juridictions du fond

Mobilisés face à cette évolution jurisprudentielle, les avocats se sont organisés. Les institutions représentatives de la profession (Conseil national des Barreaux, Conférences des Bâtonniers) et les syndicats professionnels ont alors communiqué de véritables "kits garde à vue" avec des conclusions à soumettre in limine litis, tendant à faire reconnaître par les juridictions du fond la nullité des mesures de garde à vue prises contre leurs clients. Ces documents ont été transmis aux avocats par les Ordres.

En réaction, les syndicats de policiers, qui entendaient protéger leur mesure reine, voyaient dans cette action des avocats une véritable "déclaration de guerre" contre la police. En témoigne le communiqué du syndicat Synergie Officiers qui s'offusquait que "des accusations graves portées contre les policiers présentés comme les vigiles zélés d'un totalitarisme larvé et qui jettent encore un peu plus la suspicion sur des femmes et des hommes qui n'ont pas de leçons d'intégrité à recevoir de la part de commerciaux dont les compétences en matière pénale sont proportionnelles au montant des honoraires perçus".

Beaumarchais n'a-t-il pas dit que "tout ce qui est excessif est dérisoire" ?

Sans corporatisme aucun, cette marque de défiance injustifiée et d'un autre âge nous apparaît à proprement parler inacceptable car c'est bien vite oublier le serment de l'avocat et son rôle fondamental dans un pays démocratique, de droits et de libertés.

Cela est d'autant plus regrettable qu'il convient de rappeler avec force que la procédure pénale n'a pas vocation à être au service des enquêteurs mais doit concilier et les nécessités de l'enquête et les libertés publiques, qu'un avocat se doit de soulever tous les moyens utiles à la défense d'un justiciable et aux magistrats d'apprécier la pertinence des arguments soulevés, et que les avocats intervenants pour les plus démunis le font avec une conscience et un professionnalisme exemplaire (sous couvert d'une indemnisation ridicule).

Fort heureusement, les magistrats du siège, seuls garants des libertés individuelles, saisis de telles conclusions de nullités, accédèrent aux demandes présentées. 
Le juge des libertés et de la détention de Créteil, le 25 décembre 2009, refusa de prolonger une garde à vue prise dans le cadre d'une affaire de stupéfiants, au motifs "qu'en l'espèce, l'intéressé a demandé à s'entretenir avec un avocat dès son placement en garde à vue ; que les nécessités de l'enquête ne peuvent constituer des circonstances exceptionnelles justifiant que l'exercice de ce droit soit différé [...] que l'application systématique de ces dispositions légales [C. proc. pén., art. 706-88] constitue un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention [...]".
De même, le juge des libertés et de la détention près le tribunal du grande instance de Marseille, le 22 janvier 2010, dans le cadre d'une demande de prolongation de rétention administrative, indique, pour faire droit à l'exception soulevée par une avocate (désignée d'office), que "aucune circonstance impérieuse n'est invoquée pour justifier la nécessité de procéder à la première audition de M. X sans qu'il ait pu s'entretenir au préalable avec son conseil".
Encore, saisie d'un appel d'une ordonnance rendue par un juge des libertés et de la détention de Rennes, un conseiller de cette cour d'appel, citant dans son ordonnance les arrêts "Salduz" et "Dayanan", infirma, le 18 décembre 2009, l'ordonnance qui lui était déférée constatant qu'aucune raison impérieuse de restreindre les droits n'était invoquée en l'espèce par le préfet (il s'agissait d'un contentieux en matière de droit des étrangers).

Les tribunaux correctionnels suivaient également cette marche vers l'application des arrêts de la CEDH reconnaissant en cela le rôle de l'avocat et la discordance de notre droit national avec les impératifs découlant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Dès lors, il ne restait plus qu'à une cour d'appel de se prononcer.

II - L'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 19 janvier 2010

La chambre correctionnelle de la cour d'appel de Nancy a été la première à se prononcer sur ce problème, c'est dire si son analyse était attendue (A), bien évidemment la Cour de cassation a été saisie à son tour par le procureur général (B).

A - La décision de la cour d'appel

Le tribunal correctionnel de Nancy avait condamné, en comparution immédiate, deux prévenus soupçonnés de trafic de stupéfiants qui avaient avoué, en garde à vue, les faits ; ils n'avaient pu s'entretenir avec un avocat car la mesure avait été levée avant l'heure légale d'intervention de leur conseil.
En première instance, les avocats respectifs avaient soulevé la nullité de la garde à vue prenant appui sur les arrêts précités.
Le tribunal leur donna gain de cause mais, se fondant uniquement sur les perquisitions effectuées, les déclara coupables des faits. Les condamnés interjetèrent appel ainsi que le procureur de la République.

Devant la cour d'appel, les principes tirés de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et de son interprétation par les juges de Strasbourg furent soulevés, et le Parquet général, suivant en cela les instructions de la Chancellerie, s'opposa à l'application de la jurisprudence de la CEDH aux motifs que cette jurisprudence ne concerne que la Turquie et non la France, que la décision "Dayanan" n'est pas définitive, que les Etats contractants ont le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir le principe du procès équitable, et, enfin, que la législation française, à l'instar de celle d'autres pays, n'apparaît pas contraire à l'article 6 § 3 de la CESDH.
Enfin, le Parquet général indiquait qu'en l'espèce des éléments de preuves existaient en dehors des déclarations des mis en cause.

La cour d'appel a, d'abord, rappelé d'une manière claire que les principes dégagés par la CEDH ont vocation à s'appliquer à tous les Etats signataires et donc à elle. Elle considère ensuite, et là se trouve la difficulté, que bien qu'ayant demandé à s'entretenir avec un avocat et n'ayant pu le faire, il n'y a pas eu d'atteinte irrémédiable à leurs droits dans la mesure où leurs déclarations n'ont pas été prises en compte dans la déclaration de culpabilité du tribunal, de telle sorte qu'elle refuse d'annuler les procès-verbaux de garde à vue.
Pour autant, ajoute la cour d'appel, "il y a lieu toutefois de dire, en vue de satisfaire à la norme selon laquelle les restrictions à la possibilité d'avoir immédiatement accès à un avocat, lorsque des raisons impérieuses les justifient, ne doivent pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 de la Convention, que lesdits procès-verbaux recueillis au cours de la garde à vue seront écartés des débats".

Et voilà une nouveauté : on n'annule pas les procès-verbaux car le droit français est conforme à la CEDH mais, dans le même temps, on écarte des débats lesdits procès-verbaux !

On serait tenté, en vain, de chercher la disposition du Code de procédure pénale qui autorise cette pratique...

B - Quel avenir ?

Cet arrêt pose évidemment un problème de fond mais également, on l'a vu, une difficulté de raisonnement. Et là se situe indiscutablement le problème car la Cour de cassation, qui va être amenée à se prononcer sur pourvoi du Parquet général, pourrait se contenter de casser l'arrêt en raison de la contrariété de motifs évident de cette décision. Ou alors, et c'est à espérer, elle se saisirait de l'entier problème afin d'indiquer clairement sa position. C'est bien évidemment l'option attendue et souhaitable, ne serait-ce que pour l'intérêt des réformes à venir de notre procédure pénale.

Rappelons, en effet, que si le juge d'instruction est supprimé, la garde à vue sera une étape déterminante dans le procès pénal.
Les mis en cause pouvaient se rétracter devant le magistrat instructeur ; comment le feront-ils dans l'esprit de la réforme proposée par le Comité "Léger" ?

A l'évidence, l'on ne peut que se féliciter de cette évolution fondamentale. Il ne faut toutefois pas occulter les questions qu'elle pose en filigrane et les problèmes d'organisation interne à la profession d'avocats.
Comment les Ordre vont-ils s'organiser pour faire face à pareille révolution ?  
Comment les avocats vont-ils assurer cette lourde tâche ? Vont-ils devoir être en permanence dans les commissariats de police ? Quid des gendarmeries isolées ? Quels sont les moyens pour rémunérer les avocats qui assureront ces missions permanentes ?

Autant de questions auxquelles la profession doit immanquablement se préparer !

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Février 2010

Lecture: 15 min

N2445BNU

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par un contentieux portant sur la TVA lorsque, d'une part, une société est convaincue de s'être opposée au contrôle fiscal et, d'autre part, qu'elle prétend avoir exporté des biens hors de la Communauté européenne sans toutefois satisfaire aux obligations réglementaires (CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 307732, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) (I). Puis, la cour administrative d'appel de Marseille vient de rendre un arrêt, en matière d'intégration fiscale, relatif à la notion de détention continue de 95 % des titres d'une société filiale intégrée lorsque la société tête de groupe intégrante, en cours de constitution, a opté pour l'application de ce régime (CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01103, Société Alimentation Générale du Mail (CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01103, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) (II). Enfin, en matière de fiscalité de la propriété industrielle, le Conseil d'Etat prend position sur la déductibilité des frais de renouvellement d'une marque créée par le contribuable (CE 3° et 8° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 305449, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) (III). I - TVA, illustration d'une opposition à contrôle fiscal et preuve des exportations de biens hors de la Communauté européenne : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 307732, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0327EQ8)

La décision "SA Maison Bosc" rendue par le Conseil d'Etat témoigne de la difficulté à gérer une entreprise ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire avec comme acteurs la dirigeante de la société, l'administrateur judiciaire et l'administration fiscale. A la suite de deux vérifications de comptabilité portant sur les périodes du 1er juillet 1993 au 31 janvier 1996, puis du 1er février 1996 au 31 janvier 1997, le service a été amené à prononcer un rappel de TVA ainsi qu'une majoration des droits de 150 %, alors applicable, au titre d'une opposition à contrôle fiscal (CGI art. 1730 N° Lexbase : L4167HMB). Cette décision offre une illustration de ce qu'est concrètement une opposition à contrôle fiscal (A) ainsi que d'une gestion fiscale lacunaire des exportations de biens vers l'étranger (B).

A - L'opposition à contrôle fiscal : le pot de terre contre le pot de fer

En droit commun, l'administration est tenue d'entamer une procédure contradictoire avec le contribuable. Si ce dernier s'y oppose ou s'y soustrait, l'administration peut mettre en oeuvre, sans nécessairement mettre préalablement en garde le contribuable (CE Contentieux, 17 novembre 1997, n° 136114 N° Lexbase : A4982ASC), les dispositions du Livre des procédures fiscales autorisant le service à évaluer d'office (LPF, art. L 74 N° Lexbase : L8160AEX) les bases d'imposition lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou d'un tiers (CE Contentieux, 1er juin 2001, n° 185753 N° Lexbase : A6489ATI (1)). Dans une telle occurrence, la première des sanctions consiste à priver le contribuable du droit à une procédure contradictoire (CE 3° et 8° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 299933 N° Lexbase : A7093EAX). Cette sanction procédurale se double d'une sanction pénale (2) spécifique (3) (CGI, art. 1746, N° Lexbase : L1737HNN (4)) et d'une sanction administrative consistant, depuis le 1er janvier 2006 (ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités N° Lexbase : L4620HDH), en une majoration de 100 % (5) (CGI, art. 1732, N° Lexbase : L1722HN4) des droits au lieu de 150 % applicable jusqu'alors (6). Ce n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour le contribuable car cela peut inciter le service à y recourir.

La lecture de la jurisprudence démontre que l'imagination du contribuable est sans borne mais une telle attitude tourne toujours à son désavantage : il en est ainsi de l'impossibilité de joindre le contribuable (CE 7 décembre 1977, n° 3071 N° Lexbase : A4643AYM) ou lorsque ce dernier prétend avoir cessé toute activité et qu'il communique le nom de l'ancien comptable sans fournir son adresse (CE 15 juin 1987, n° 48864 N° Lexbase : A2460APS). La décision "SA Maison Bosc" enrichit ces exemples : l'instruction des faits nous apprend que l'administration fiscale, qui avait déjà rencontré des difficultés lors d'un précédent contrôle, avait adressé, par précaution et à la suite de l'absence de la dirigeante de la société vérifiée, deux courriers de mise en garde. Puis, le vérificateur avait été invité, par la dirigeante, à consulter chez l'expert-comptable les pièces de la comptabilité qui, après avoir décliné la mission confiée, avaient été restituées par l'expert comptable à la dirigeante de la société, ce qu'elle ne pouvait ignorer ! Le Conseil d'Etat approuve le juge d'appel d'avoir constaté que le contrôle fiscal n'a pu être réalisé du fait de l'attitude du contribuable ; ce qui justifiait l'évaluation d'office des résultats et l'application d'une majoration au taux de 100 % -au lieu de 150 %- même si les faits sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance de 2005 et si, toutefois, ils n'ont pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée : dans une telle hypothèse, le juge de l'impôt se place à la date à laquelle il statue. Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une jurisprudence déjà bien établie (CE 9° et 10° s-s-r., 26 décembre 2008, n° 282995 N° Lexbase : A9620EBW ; CE Contentieux, 5 avril 1996, n° 176611 N° Lexbase : A8780ANI).

B - La TVA et la preuve de l'exportation de biens

Les assujettis redevables se livrant au commerce extérieur sont exonérés de TVA (CGI, art. 262 N° Lexbase : L3544IAI). La TVA, qui constitue de loin la première source de recettes fiscales pour l'Etat, est un impôt susceptible d'entraîner une fraude particulièrement dommageable pour les finances publiques que le bien fasse l'objet d'une livraison intracommunautaire ou d'une exportation à l'intention des pays tiers à l'Union européenne d'où l'importance de la preuve dans un tel contentieux. Le Code général des impôts met à la charge du contribuable exportateur un ensemble d'obligations (CGI, ann. III, art. 74 N° Lexbase : L2156HMS) et, pour chaque envoi, le fournisseur doit établir une déclaration d'exportation, conforme au modèle donné par l'administration et visé par le service des douanes du point de sortie. Conscientes des difficultés pratiques liées à la production de l'exemplaire n° 3 de la déclaration d'exportation tenant au fait que les différents acteurs de la chaîne logistique ne retournaient pas le document visé à l'exportateur, les autorités publiques sont intervenues et permettent désormais au contribuable d'apporter l'un des éléments de preuve indiqués au d) de l'article 74 de l'annexe III au CGI modifié (7) en conséquence (décret n° 2004-468, 25 mai 2004, relatif aux formalités requises en matière de preuve des exportations de biens bénéficiant de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant l'annexe III au Code général des impôts N° Lexbase : L2177DYB, entré en vigueur le 3 juin 2004). Une telle modification réglementaire s'imposait d'autant plus que la jurisprudence des juges du fond a considéré, depuis lors, comme disproportionnée la présomption irréfragable de non exportation issue de l'ancienne rédaction de l'article 74 de l'annexe III au CGI, lorsque l'entreprise n'était pas en mesure de produire cette déclaration si toutefois il n'existait aucun doute quant à la réalité de l'exportation (CAA Lyon, 2ème ch., 28 décembre 2006, n° 02LY01071, Sarl France Europe Distribution N° Lexbase : A5893DTG ; contra : TA Nantes, 6 novembre 2001 n° 97-2787, SA Coréa, RJF, avril 2002 n° 380). Dans la pratique professionnelle, si une réponse ministérielle de 2004 précisait bien qu'en toute rigueur, "Jusqu'à l'adoption [du décret du 25 mai 2004], seul l'exemplaire numéro 3 de la déclaration en douane d'exportation visé au verso par le service des douanes du point de sortie de l'Union européenne pouvait servir de justificatif" (8), il est arrivé -et le présent arrêt "SA Maison Bosc" en témoigne en partie (9) (v. également dans le même sens : CAA Nantes, 1ère ch., 2 mars 2009, n° 07NT03555, SAS Millenis N° Lexbase : A2718ELA)- que l'administration accepte malgré tout de prendre en compte des éléments de preuve présentés par le contribuable suppléant l'exemplaire n° 3 de la déclaration en douane.

Au cas particulier, et compte tenu de la rédaction des textes applicables aux faits de l'espèce, la Maison Bosc s'est vue contester le caractère probant de certains justificatifs d'exportation car les documents présentés étaient illisibles -ce qui revient à considérer qu'ils n'étaient pas exploitables et ne pouvaient étayer la thèse du contribuable- ou étaient constitués de relevés ou d'avis d'opérations bancaires qui ne pouvaient établir la preuve de l'exportation "même s'ils [faisaient] apparaître que le donneur d'ordre [était] établi à l'étranger ou [mentionnaient] comme motif du paiement le règlement de l'achat de costumes destinés à des membres de professions judiciaires". L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris est confirmé par le Conseil d'Etat : devant le juge de l'impôt, les dispositions réglementaires sont strictement appliquées et la Haute juridiction administrative ne dit pas si l'article 74 annexe III au CGI, dans sa rédaction antérieure au décret du 25 mai 2004, était disproportionné par rapport au but assigné aux Etats membres par la Directive TVA (10). Mais, il est vrai également que les faits de l'espèce ne laissaient pas présager d'une absolue certitude quant à la réalité des exportations alléguées par la société ! En d'autres termes, en pratique, un tel litige doit trouver une issue amiable avec l'administration en charge du contrôle.

On notera, pour conclure, que cette décision a fait l'objet d'une prompte réaction de l'administration fiscale qui souligne que ses agents peuvent ne pas accepter les éléments de preuve opposés par le contribuable "s'il existe des doutes sérieux sur leur validité ou leur sincérité" (instruction du 11 février 2010, BOI 3 A-2-10 N° Lexbase : X6979AGL).

II - Intégration fiscale et société intégrante en formation : notion de détention continue des titres des sociétés filiales intégrées : CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01103, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1266EQX)

L'arrêt "Société Alimentation Générale du Mail" a trait à un contentieux qui fut pendant longtemps fort rare devant le juge de l'impôt et qui tend, aujourd'hui, à se développer : rappelons que le régime de l'intégration fiscale permet à une société intégrante de "se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice" (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L3718IAX) ; les sociétés intégrées étant, alors, tenues, à titre de garantie, à hauteur de l'impôt qu'elles auraient acquitté si elles n'avaient pas été intégrées.

Les faits de l'espèce rapportent qu'à l'automne 1995, une personne physique s'engage à acquérir les actions de deux sociétés anonymes sous conditions suspensives devant être réalisées au plus tard le 31 décembre de la même année. Dans le même temps, l'acquéreur entame des démarches en vue de constituer une holding de reprise sous la forme d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).

A l'issue d'une vérification de comptabilité, le vérificateur a remis en cause l'application du régime de l'article 223 A du CGI, puisque, selon l'administration, les titres sociaux des sociétés intégrées n'ont pas été détenus à 95 % de manière continue pendant l'année 1996, premier exercice d'application du régime d'intégration fiscale. L'arrêt rendu par le juge d'appel, réformant le jugement du tribunal administratif de Montpellier et accordant notamment au contribuable la décharge des cotisations d'IS et de la contribution additionnelle à cet impôt, prend position, à la fois, sur les effets de conditions suspensives insérées dans le contrat d'acquisition des actions des deux sociétés anonymes intégrées (A) ; ainsi que sur les conséquences de la reprise des engagements -dont l'option pour l'intégration fiscale- souscrits au nom de la société intégrante en formation (B).

A - Le civil tient le fiscal en l'état

Le protocole d'acquisition des titres sociaux des sociétés anonymes concernées stipulait un ensemble de conditions suspensives. Ainsi, l'article 7 du contrat signé par les parties le 13 octobre 1995 prévoyait qu'il deviendrait définitif dès l'obtention d'un ou de plusieurs prêts bancaires, de l'agrément du cessionnaire et de la mainlevée des cautions. Toutes ces conditions ont, finalement, été réalisées dès le 8 décembre 1995. Par conséquent, le transfert de propriété des actions a bien eu lieu au moment où un accord est intervenu sur la chose et le prix (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG) après levée des conditions suspensives. L'administration fiscale ne peut contester l'effet juridique du contrat conclu entre les parties en prétendant y voir une promesse de vente optionnelle. Ou encore en s'appuyant sur les modalités de paiement des cessions d'actions ou l'inscription sur le registre des titres du transfert de ces actions puisque, en droit français, c'est le principe de transfert de propriété solo consensu qui s'imposait, eu égard aux faits de l'espèce, pour ces titres non cotés "quoique la chose n'ai pas encore été livrée ni le prix payé" (Cass. com., 22 novembre 1988, n° 86-18.152, M. Korzilius GMBH c/ Consorts Korzilius N° Lexbase : A3966AGY ; Cass. com., 30 novembre 2004, n° 02-16.229, Société Editions Atlas c/ Société Seeft management N° Lexbase : A1185DEM (11)). En revanche, depuis l'adoption de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), le régime du transfert de propriété des valeurs mobilières (12) émises par des sociétés par actions dont les titres sont cotés ou non est unifié (13) et résulte de leur inscription au compte de l'acheteur (C. com., art. L. 228-1 N° Lexbase : L5565IC4 ; décret n° 2006-1566, du 11 décembre 2006, art. 60 N° Lexbase : L7100HT7 ; C. com., art R. 228-10 N° Lexbase : L0320HZU). Mais rien n'interdit aux parties de s'entendre sur la date à laquelle les titres seront inscrits au compte de l'acheteur (14) !

Dans une telle hypothèse, la démarche de l'administration fiscale surprend : dans une décision récente, le service a, également, tenté de contester les effets d'une clause suspensive insérée dans une convention de cession de clientèle d'un expert-comptable à l'un de ses confrères pourvu que ce dernier soit agréé par l'organe de tutelle. Le Conseil d'Etat, censurant les juges du fond qui avait repris la thèse de l'administration fiscale (CAA Douai, 3ème ch., 7 juin 2005, n° 03DA00401, M. et Mme Paul Deperrois N° Lexbase : A2640DKY), en avait alors tiré toutes les conséquences après une juste analyse des effets juridiques de cette clause (CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2008, n° 283956, M. et Mme Deperrois N° Lexbase : A8670D7A).

Le parallèle entre les deux arrêts "Société Alimentation Générale du Mail" et "Deperrois" réside dans le fait que le contribuable a bien la maîtrise du fait générateur de l'impôt grâce au droit des contrats (notre thèse, L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Paris 13, 2009, § 87 et s.) ; ce que conteste par principe l'administration fiscale alors que la jurisprudence rendue par le juge de l'impôt offre de nombreuses illustrations témoignant de ce phénomène (v., ainsi, pour les conséquences fiscales d'une clause contractuelle visant à proroger l'échéance d'un bail à construction qui se distingue d'une tacite reconduction du contrat : CE 3° et 8° s-s-r., 25 janvier 2006, n° 271523, Société Immobilière du Parc N° Lexbase : A5396DMS).

B - La reprise des engagements souscrits au nom de la société intégrante en formation

Les conditions suspensives ayant été levées le 8 décembre 1995, le gérant de l'EURL Cigale Distribution, agissant au nom de cette société en formation, a opté le 12 décembre 1995 pour le régime de l'intégration fiscale à compter du 1er janvier 1996 (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L4177HLB) comprenant, dans le périmètre d'intégration, les deux sociétés filiales AGM et AGC dont les titres venaient d'être achetés. La loi fiscale exige une détention continue d'au moins 95 % des titres de la société intégrée pendant toute la durée de l'exercice social : or, l'EURL intégrante a finalement acquis la personnalité morale le 3 janvier 1996 lorsqu'elle a été immatriculée (C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIE). L'administration entendait, alors, en tirer argument pour remettre en cause l'application de ce régime au cas d'espèce. La loi commerciale dispose que les engagements souscrits au nom d'une société en formation, régulièrement constituée et immatriculée, puis repris, sont réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société. Au cas particulier, il n'est pas contesté que ces engagements ont bien été repris par l'EURL Cigale Distribution. Le juge d'appel, pour écarter la thèse de l'administration fiscale, va appliquer les dispositions commerciales en considérant que l'acquisition des titres des deux sociétés anonymes intégrées ainsi que l'option formulée par l'EURL intégrante en cours de formation devaient être réputées avoir été faites dès l'origine par la société Cigale Distribution. Par conséquent, la société intégrante détenait bien de manière continue en 1996 au moins 95 % des "parts" -sic (15)- des sociétés anonymes AGM et AGC. A notre connaissance, cette jurisprudence est inédite en matière d'intégration fiscale, mais il existe, en BIC, une décision de la Haute juridiction administrative considérant que, quelle que soit la date de début d'exploitation mentionnée dans les statuts, la société n'a d'existence fiscale qu'à compter du jour d'ouverture de l'exercice au cours duquel elle a été immatriculée (CE Contentieux, 28 février 1997, n° 141459, Mme Pinaton N° Lexbase : A8344ADE). De plus, la cour administrative d'appel de Marseille écarte la doctrine administrative selon laquelle "une société nouvelle ne peut faire partie d'un groupe que si son immatriculation au Registre de commerce et des sociétés est antérieure à la date commune d'ouverture des exercices des sociétés du groupe. En effet, la date de création d'une société s'entend de la date de son immatriculation au Registre de commerce et des sociétés" (16). En droit des sociétés, il serait plus juste d'écrire que l'immatriculation confère la personnalité morale à la société, c'est-à-dire une capacité juridique. Jusqu'à son immatriculation, la société n'est pas nulle : elle a été créée inter partes (17) (v., ainsi, s'agissant des sociétés en participation : C. civ., art. 1871 N° Lexbase : L2069ABA). Par ailleurs, la jurisprudence administrative accepte de recevoir en justice la demande d'une société à responsabilité limitée (SARL) en cours de formation si, toutefois, les statuts ont été signés et enregistrés (CE 1° et 6° s-s-r.., 23 janvier 2006, n° 284788, Commune de Blauzac N° Lexbase : A5442DMI (18)) ; l'ordre administratif se distinguant fondamentalement sur ce point de son homologue judiciaire qui considère la situation au jour de l'assignation sans régularisation possible (Cass. com., 20 juin 2006, n° 03-15.957, Société Déclics-multimédia c/ Société Santé magazine N° Lexbase : A9595DP3).

III - Fiscalité de la propriété industrielle : déductibilité des frais de renouvellement d'une marque créée : CE 3° et 8° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 305449, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0306EQE)

La fiscalité de la propriété industrielle -en l'occurrence le droit des marques - est mise à l'honneur dans la décision "Société Beauté Créateurs" : à la suite d'une vérification de comptabilité, une société filiale du groupe L'Oréal qui exerce une activité de vente par correspondance de produits cosmétiques s'est vue notifier en matière d'IS des redressements portant, notamment, sur la possibilité de déduire des frais de dépôt, d'acquisition et de surveillance de marques. Pour l'administration fiscale, ces dépenses devaient être activées. Ce fut également l'opinion de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 5 mars 2007, n° 04PA00659, SA Beauté Créateurs N° Lexbase : A8340DUG ; v. également : CAA Paris, 2ème ch., 7 août 2003, n° 99PA00183, SA Laboratoires Pharmascience N° Lexbase : A6124C9P). Il est intéressant de souligner que devant le juge d'appel, la société contribuable prétendait opposer l'incohérence des résultats du fait de l'activation des charges ce que la cour n'a pas manqué de rejeter dès lors que cette argumentation n'était pas pertinente.

La cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat, se fondant sur les dispositions des articles 38 (N° Lexbase : L3699ICY) et 209 (N° Lexbase : L3322IG7) du CGI, offrent une lecture très différente de la loi fiscale qui entraînera la cassation de l'arrêt d'appel et son renvoi devant la même cour.

Pour la Haute juridiction administrative, il y a une distinction à opérer entre les frais exposés pour l'enregistrement de la marque et ceux exposés postérieurement à son dépôt ou son acquisition. Le droit de propriété industrielle conféré par l'enregistrement d'une marque pendant dix ans indéfiniment renouvelable (C. prop. intell., art. L 712-1 N° Lexbase : L3714ADW) s'analyse, en droit fiscal, comme un actif immobilisé incorporel dès lors que les trois critères mis en valeur par la jurisprudence "Sife" (CE Contentieux, 21 août 1996, n° 154488, Société Sife N° Lexbase : A0686AP4 ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5ème édition, 2009, p. 553) sont rapportés : la marque est dotée d'une pérennité suffisante ; elle constitue une source régulière de profit et elle est susceptible d'être cédée (18). La jurisprudence est sans équivoque à cet égard et elle a récemment rappelé la vigueur des critères proposés dans l'arrêt "Sife" (CE 9° et 10° s-s-r., 16 octobre 2009, n° 308494, Société Pfizer Holding France N° Lexbase : A0752EMS, note de Y. de Kergos et J. Monsenego, Dr. fisc., 2010, comm. 94) aux termes d'une décision qui tire les conclusions, en droit fiscal, des stipulations contractuelles d'une concession de sous-licence exclusive : les rédacteurs d'actes sont invités à se rapprocher des fiscalistes ! Dans une telle occurrence, les frais exposés pour la création d'une marque s'ajoutent au coût de revient de cet actif immobilisé et ne sont donc pas déduits du résultat comptable. L'arrêt "Société Saint-Gobain Vitrage International" avait déjà statué dans ce sens (CE Contentieux, 31 janvier 1997, n° 158678, Société Saint-Gobain Vitrage International N° Lexbase : A8039AD4) concernant l'incorporation dans le prix de revient immobilisé des frais afférents aux demandes d'enregistrement des marques déposées par le contribuable. En revanche, le Conseil d'Etat dit pour droit que ne peuvent être regardés comme des éléments du prix de revient d'une marque inscrite à l'actif du bilan les frais exposés postérieurement au dépôt ou à l'acquisition d'une marque lorsqu'elle maintiennent la valeur de la marque en question sans prolonger la durée des droits ou en accroître la valeur. La position de la Haute juridiction administrative valide incidemment le raisonnement suivi il y a peu par la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 1ère ch., 26 mars 2009, n° 08VE01605, Société France Immobilier Group N° Lexbase : A9977EGM) qui avait considéré que des frais de renouvellement de la protection juridique d'une marque devaient être analysés comme une charge d'entretien dès lors qu'ils ne modifiaient pas la valeur comptable de l'immobilisation. On remarquera également que cette solution est en accord avec le droit comptable (PCG, art. 311-3-3) et la doctrine administrative (instruction du 30 décembre 2005, BOI 4 A-13-05, § 13 N° Lexbase : X5228ADY).


(1) "Le 9 août 1985, trois agents de l'administration fiscale, accompagnés de gendarmes, effectuèrent sur les lieux un contrôle inopiné, sur le fondement de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales ; qu'à cette occasion, le requérant et ses fils proférèrent à l'encontre des vérificateurs des menaces qui les contraignirent à quitter les lieux sans avoir pu ni remettre l'avis de vérification, ni procéder à aucune constatation matérielle ; qu'un procès-verbal de ces faits fut établi, le jour même, par les gendarmes et un autre, le 27 août 1985, par le vérificateur ; que, par un jugement du 3 juin 1986 devenu définitif, le tribunal de grande instance de Perpignan statuant en matière correctionnelle condamna X. à 2 500 francs d'amende pour opposition à contrôle fiscal".
(2) "Le fait de mettre les agents habilités à constater les infractions à la législation fiscale dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions est puni d'une amende de 25 000 euros, prononcée par le tribunal correctionnel. En cas de récidive de cette infraction, le tribunal peut, outre cette amende, prononcer une peine de six mois de prison. L'opposition collective à l'établissement de l'assiette de l'impôt est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende".
(3) Le contribuable peut également être poursuivi s'il commet un délit pénal de droit commun sur la personne de l'agent des impôts : violence, séquestration...
(4) Jusqu'au 31 décembre 2005 : CGI, art. 1737 (N° Lexbase : L4225HMG).
(5) Mais également : "L'interdiction de participer aux travaux des commissions instituées par les articles 1650 à 1652 bis et 1653 A".
(6) Jusqu'au 31 décembre 2005 : CGI, art. 1730 N° Lexbase : L4167HMB).
(7) "d Que, dans les cas où le fournisseur ne détient pas la déclaration d'exportation visée conformément au premier alinéa du c et à l'exclusion des opérations mentionnées aux quatrième à huitième alinéas du I de l'article 262 du Code général des impôts, il mette à l'appui du registre mentionné au a, pour justifier de la sortie des biens expédiés vers un pays n'appartenant pas à la Communauté européenne, un territoire mentionné au 1° de l'article 256-0 du Code général des impôts ou un département d'outre-mer, en plus de la déclaration en douane enregistrée par le bureau des douanes où elle a été déposée, l'un des éléments de preuve complémentaires ci-après : 1° La déclaration en douane authentifiée par l'administration des douanes du pays de destination finale des biens ou une attestation de cette administration accompagnée, le cas échéant, d'une traduction officielle ; 2° Tout document de transport des biens vers un pays n'appartenant pas à la Communauté européenne, un territoire mentionné au 1° de l'article 256-0 du Code général des impôts ou un département d'outre-mer ou tout document afférent au chargement du moyen de transport qui quitte la Communauté européenne pour se rendre dans le pays ou le territoire de destination finale hors de la Communauté ; 3° Tout document douanier visé par le service des douanes compétent et utilisé pour la surveillance de l'acheminement des biens vers leur destination finale hors de la Communauté, lorsqu'il s'agit de biens soumis à des contrôles particuliers ; 4° Les documents mentionnés à l'article 302 M du Code général des impôts, visés par le bureau des douanes du point de sortie de la Communauté ou tout autre élément de preuve alternatif accepté par l'administration chargée de la surveillance des mouvements de produits soumis à accises ; 5° Pour tous les produits autres que ceux soumis à accises ou à des contrôles douaniers particuliers et lorsqu'il s'agit d'une livraison effectuée dans les conditions prévues au premier alinéa du 2° du I de l'article 262 du Code général des impôts, une déclaration du transporteur ou du transitaire qui a pris en charge les biens, accompagnée de la preuve du paiement des biens par le client établi dans un pays n'appartenant pas à la Communauté européenne, un territoire mentionné au 1° de l'article 256-0 du Code général des impôts ou un département d'outre-mer".
(8) QE n° 45189 de M. Moyne-Bressand Alain, JOANQ 3 août 2004 p. 5919, min. Bud., réponse publ. 16 novembre 2004 p. 8997, 12ème législature (N° Lexbase : L5841IGG).
(9) "Qu'eu égard aux justifications produites par la société, l'administration a admis la réalité de certaines exportations effectuées par la requérante et réduit en conséquence de 600 620 francs à 461 025 francs le montant de TVA exigible ; que, cependant, l'administration conteste le caractère probant des autres justificatifs d'exportation présentés par la requérante et refuse d'accorder à celle-ci un dégrèvement supplémentaire", CAA Paris, 2ème ch., 27 avril 2007, n° 06PA00945, Société Maison Bosc (N° Lexbase : A9239ERM).
(10) Art. 15 de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) ; aujourd'hui : art. 131 et 146 de la Directive 2006/112/CE du 29 novembre 2006 (N° Lexbase : L7664HTZ).
(11) "Et attendu, en troisième lieu, qu'après avoir exactement énoncé que le contrat de cession d'actions, soumis au droit commun de la vente, est conclu dès lors que les parties sont d'accord sur la chose et sur le prix, indépendamment de tout formalisme, et retenu qu'il n'en est autrement qu'autant que les parties ont érigé ce formalisme en condition suspensive, la cour d'appel a souverainement estimé qu'il n'était pas établi que les parties avaient eu la volonté de faire des événements invoqués par la société Atlas des conditions suspensives de leur accord ; qu'en l'état de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions visées par la troisième branche, a légalement justifié sa décision".
(12) Il s'agit de titres négociables : les actions, les obligations, les parts de fondateur, les certificats d'investissement (supprimés pour l'avenir par l'ordonnance du 24 juin 2004), les titres participatifs : M. Germain et V. Magnier, M. Germain (dir.), Traité de droit commercial Les sociétés commerciales, 19ème édition, 2009, p. 559.
(13) Jusqu'alors, les dispositions de l'article -aujourd'hui abrogé- L. 431-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1935HBB) ne visaient que les seuls titres cotés cédés sur un marché réglementé d'instruments financiers et subordonnaient leur transfert de propriété à une inscription au compte de l'acheteur : C. Nouel et R. Gentilhomme, Titres sociaux : imposition des plus-values et date de transfert de propriété, Bulletin Fiscal Francis Lefebvre, juin 2004, § 26.
(14) A. Charveriat, A. Couret, B. Zabala, Mémento Sociétés commerciales 2010, Editions Francis Lefebvre, § 17156 ; F. Roussel et C. Vernières, Le transfert de propriété des valeurs mobilières non cotées, JCP éd. E, 2007,ét. 1840.
(15) Dans une société anonyme, les titres s'appellent des actions. Les actions sont négociables alors que "les parts sociales ne peuvent être représentées par des titres négociables" dans les SARL (C. com., art. L. 223-12 N° Lexbase : L5837AIZ).
(16) Doc. adm. 4 H-6612, 12 juillet 1997, n° 14.
(17) "Dès que les statuts ont été signés, la société est constituée, bien qu'elle n'ait pas la personnalité morale", P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial Sociétés commerciales, Dalloz, coll., Précis, 12ème édition, 2008, § 76.
(18) "Considérant que, si l'ensemble des formalités qu'implique la constitution d'une société à responsabilité limitée n'étaient pas accomplies à la date de l'introduction de la demande de suspension, il n'est pas contesté qu'étaient intervenus les premiers actes de création de la SARL 'Pain de Blauzac', notamment la signature de ses statuts par les associés et la présentation à l'enregistrement ; qu'il ressort, en outre, des pièces du dossier que la constitution de cette société a été entreprise en vue d'acquérir et d'exploiter le fonds de commerce de boulangerie rattaché à l'immeuble faisant l'objet de la décision de préemption litigieuse ; que, par suite, les fins de non-recevoir tirées du défaut de capacité et d'intérêt pour agir de cette société en cours de constitution doivent être écartées".
(18) La notion de cessibilité concerne les concessions de marques et de brevet. Certains droits sont immobilisés alors qu'ils ne peuvent être cédés : CE 9° et 10° s-s-r., 3 mars 2003, n° 232393, Société Trinôme (N° Lexbase : A0892DAB).

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Professions libérales

[Questions à...] Professions libérales : l'avenir est devant vous - Questions à Maître Brigitte Longuet, avocate associée du cabinet LRS, membre de la CNCPL

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N2557BNZ

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Le 10 septembre 2009, Hervé Novelli -Secrétaire d'Etat chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises (PME), du tourisme, des services et de la consommation- confiait à Brigitte Longuet -avocate associée du cabinet LRS, membre de la Commission nationale de concertation pour les professions libérales (CNCPL) et ancien membre du Conseil national des barreaux et du conseil de l'Ordre des avocats de Paris-, la mission de lui proposer des mesures susceptibles de renforcer les professions libérales, de les développer, "en un mot : de [leur] redonner la place qu'[elles] mérite[nt] dans la définition des politiques publiques" (Lire Quelle réforme pour les professions libérales ? Questions à Maître Brigitte Longuet, avocate associée du cabinet LRS, membre de la CNCPL, Lexbase Hebdo n° 4 du 21 octobre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N1662BMI). L'initiative était opportune eu égard, notamment, à la légitimité économique et sociale de ces professionnels : 640 000 entreprises libérales, 1,7 million d'emplois, plus de 190 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 65 000 entreprises créées en 2007... Il était grand temps "de donner plus de cohérence à ce paysage très morcelé", ainsi que l'indique l'initiateur de cette réflexion.

4 mois et 70 auditions (de plus de 150 acteurs concernés) plus tard (soit le 21 janvier 2010), Brigitte Longuet a remis au Secrétaire d'Etat son rapport intitulé 33 propositions pour une nouvelle dynamique de l'activité libérale.

33 propositions donc, qui ont le "soutien total" d'Hervé Novelli. Il s'est engagé à les porter dans les semaines à venir, précision faite que le travail, eu égard à sa transversalité, sera mené en interministériel. Trente-trois propositions qui constituent, en grande partie, le programme de Brigitte Longuet, candidate à l'élection au Bâtonnat de Paris, qui se déroulera en décembre prochain. Celle-ci nous a fait l'honneur d'une rencontre, pour nous présenter, plus en détail, son rapport, fruit de quatre mois de travail intensif et de plus de six années de réflexion passées au sein de la CNCPL.

Lexbase : De quels constats êtes-vous partie et dans quel état d'esprit avez-vous mené vos travaux ?

Brigitte Longuet : La mission qui m'a été confiée pouvait être envisagée sous deux angles positif ou négatif.

On aurait pu considérer qu'il s'agissait de sauver in extremis les professions libérales traditionnelles de la crise, dans laquelle elles sont plongées depuis plusieurs années, due à la concurrence impitoyable au niveau national, européen et international.

Cette crise trouve, d'abord, sa source dans la diversification des activités survenue au gré de l'évolution des besoins essentiels du public, et la multiplication corrélative des professions libérales non réglementées (au nombre de cent cinquante pour vingt-sept professions libérales réglementées). Les besoins de la population ont considérablement évolué (notamment, sur le plan de la médecine, de la psychologie, du droit, etc.) et ont entrainé l'apparition de nouveaux professionnels, de plus en plus nombreux et dont les activités ne peuvent plus se définir dans le cadre d'une ancienne profession. Les frontières des activités sont devenues de plus en plus floues, certains professionnels travaillant, désormais, dans un domaine traditionnellement dévolu à d'autres professions (cas, par exemple, des experts comptables et des avocats). La crise financière a, ensuite, heurté de plein fouet ce corps social. Enfin, la transposition d'ici décembre 2010 de la Directive "Services" (Directive 2006/123 du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L9889HT4), visant à créer un marché intérieur des services (en facilitant la liberté d'établissement et l'exercice des prestataires de services dans d'autres Etats membres), achèvera d'intensifier ce fort contexte concurrentiel, si rien n'est fait d'ici là sur le plan interne pour l'éviter.

Ces constats alarmants ne résistent pas à l'examen ; les considérer comme tels serait mal comprendre les avantages que nous offre l'Europe, aujourd'hui, si nous sommes prêts à saisir cette opportunité, tout en sachant conserver au secteur libéral sa particularité. Nous sommes à un moment charnière où tout reste possible. (Ré)agissons efficacement.

Pour ma part, j'ai choisi d'être optimiste et de me concentrer sur l'exemplarité des professionnels libéraux et leur extraordinaire potentiel d'innovation et de développement. Les professions libérales sont fortes de leurs savoirs, de leurs compétences et de leur expertise. A égale, mesure, elles sont fortes des valeurs d'intérêt général, d'une mission sociale, sur lesquelles sont assises leurs activités. Ces professionnels (qu'ils exercent une activité réglementée ou non) contribuent à l'utilité collective et introduisent la notion de délégation de service public au sein de la relation professionnelle, ce que soulignait déjà en 1947, le Professeur Jean Savatier.

La qualité du service qu'elles fournissent et la nature sociale de leur mission sont la valeur ajoutée des professions libérales ; le vecteur indiscutable qui permettra à l'Europe et à la France de conserver leur rang. A l'aube de l'ouverture du marché communautaire des services, le maintien de ces garanties doit être assuré. Cette exigence passera nécessairement par l'assurance d'un exercice indépendant et auto-régulé. Une réforme transversale doit, donc, être engagée à cette fin, en vue de regrouper les acteurs. Aujourd'hui, les libéraux n'ont pas l'habitude de mettre en valeur leurs synergies communes et sont souvent ressentis comme appartenant à un corps morcelé. Or, l'indépendance du secteur libéral suppose l'unification.

Lexbase : Pour quelles raisons avez-vous préféré définir l'activité libérale, plutôt que les professions libérales ?

Brigitte Longuet : L'un des objectifs qui m'a été assigné par le secrétaire d'Etat était de définir le secteur libéral et ses particularités face au commerce et à l'artisanat.

Il était essentiel de comprendre ce secteur en intégrant la notion de marché qui recouvre anciennes et nouvelles activités.

J'ai, ainsi, préféré définir la notion d'activité libérale, pour sa transversalité. Hervé Novelli l'a compris. Il a dit être convaincu par la démarche : "les professions s'adaptent sans cesse aux évolutions de la société si bien qu'une définition ne saurait alors qu'être temporelle, instantanée, et donc condamnée à l'obsolescence". Recourir à cette notion d'activité permet de contourner cet obstacle et, également, de soumettre à la même réglementation (avec, bien entendu, des aménagements), les professions réglementées et les professions non réglementées.

Si les activités libérales diffèrent, parfois, considérablement, elles sont toutes exercées dans le cadre de valeurs communes, que sont :

- une compétence reconnue ;

- le respect d'une éthique ;

- la priorité des intérêts du client ;

- l'indépendance d'exercice ;

- la liberté du choix du client ;

- la responsabilité civile professionnelle ;

- un exercice de proximité et une disponibilité ; et

- le caractère civil des activités principales (les activités commerciales accessoires étant permises).

Ces valeurs doivent constituer le socle de la définition de l'activité libérale. J'ai, donc, proposé que soit inséré dans le Code civil un nouvel article 1831-6, aux termes duquel, "est qualifiée d'activité libérale, toute activité professionnelle de nature civile exercée à titre habituel dont l'objet est d'assurer, au bénéfice d'une clientèle, des prestations principalement intellectuelles mises en oeuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées. L'activité libérale doit obligatoirement être exercée de manière indépendante dans l'exercice de l'art ou de la science et sous sa propre responsabilité par un professionnel soumis à des obligations éthiques".

Cette définition se retrouvera dans les 27 pays européens, car elle reprend les critères du considérant 43 de la Directive "Qualification" (Directive 2005/36 du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles N° Lexbase : L6201HCN).

Inévitablement, l'adoption de cette définition entraînera à la marge une requalification de certains professionnels et imposera que soit revu dans l'avenir leur régime d'affiliation aux caisses de retraite, sans porter atteinte, bien entendu, aux droits acquis.

Lexbase : Outre cette définition, quelles sont les propositions phares de votre rapport ?

Brigitte Longuet : Il est ressorti des nombreuses auditions -ce que je pressentais déjà- que deux séries de mesures devaient nécessairement et rapidement être prises pour préparer l'avenir du secteur libéral : mieux affirmer son existence et son utilité, d'une part, et simplifier et faciliter l'exercice libéral pour accroître la compétitivité des entreprises, d'autre part.

Elaborer une définition adéquate de la profession libérale via son activité et structurer son organisation et sa représentation relevaient du premier impératif. Sur le sujet de la gouvernance, je propose de clarifier le rôle des Ordres et de les moderniser. Mais, je propose, surtout, de renforcer la place et les prérogatives de la CNCPL, qui a toute légitimité en termes de représentation à l'échelon national. Je recommande qu'elle dépasse son statut de simple institution de concertation, pour prendre en charge, notamment, l'élaboration d'un socle déontologique commun à tous.

Le second impératif consiste à moderniser les entreprises libérales et accroître leur compétitivité. L'interprofessionnalité me semble être un excellent moyen d'y parvenir.

Une interprofessionnalité de moyens tout d'abord, en multipliant les plateformes de services.

Les activités des professionnels libéraux sont, aujourd'hui, complémentaires et ne peuvent se passer les unes des autres. Nous devons travailler main dans la main, plutôt que rester cloisonnés dans l'exercice de nos activités respectives. Pour prendre l'exemple des avocats, ils doivent passer d'une logique d'absorption des autres professions à une logique de management, d'ouverture horizontale à ceux susceptibles de leur apporter des services complémentaires et de nouveaux débouchés. Il existe déjà des "familles" de professions qui travaillent ensemble : je pense, notamment, aux experts comptables, qui recourent aux services des cabinets d'audits et de spécialistes en restructuration d'entreprises et en procédures collectives.

Une interprofessionnalité ponctuelle, ensuite, dans le cadre d'opérations particulières nécessitant l'intervention de plusieurs professionnels libéraux. Je recommande d'instituer des groupements momentanés d'entreprises libérales (GMEL), réponse pragmatique aux besoins du public, et, en particulier, à ceux des PME (qui représentent un champ considérable de développement pour les professions libérales). Les avantages sont certains : un cadre juridique clair et adapté à chaque cas, qui permet aux professionnels libéraux de travailler ensemble sur une même opération et de présenter un interlocuteur unique au client.

Une interprofessionnalité capitalistique, enfin. Concernant les sociétés de participations, là encore, il faut raisonner par "familles d'activités" et, non, de professions. Les regroupements doivent être permis, mais des garde-fous doivent être posés (limitation du nombre de participations dans plusieurs structures, etc.).

En vue de développer les financements des entreprises libérales, je préconise, également, que le capital des sociétés d'exercice libéral (SEL) soit ouvert aux tiers, dans une limite de 49 %, ce qui permet la conservation de la majorité du capital et des droits de vote par les professionnels et, par là, le contrôle de la structure d'exercice. Ce dispositif pourrait être accompagné de mesures spécifiques, notamment concernant les comptes-courants.

Sur les structures d'exercice, je propose de laisser les professionnels recourir aux formes sociales de droit commun (étant précisé qu'elles seraient, néanmoins, adaptées à l'activité en cause). Dans ce cadre et pour ne pas pénaliser les professionnels libéraux, il conviendrait de prévoir la neutralité fiscale en cas de changement de structures.

Concernant, plus particulièrement les avocats, je souhaite que leur soit étendu le régime de l'auto-entrepreneur, certains d'entre eux connaissant une situation économique difficile rendant légitime une telle mesure. Hervé Novelli a indiqué vouloir examiner ce point avec la Chancellerie.

Je suis, également, d'avis que le collaborateur libéral doit être mieux protégé. Je soumets, donc, l'idée de mettre en place un temps de développement personnel en cours de contrat, de développer un système assurantiel en cas de rupture et d'allonger le délai de prévenance, à partir de cinq années de collaboration libérale, Enfin, mon rapport comprend un certain nombre de propositions en matière fiscale, visant à une harmonisation entre BNC et BIC.

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Affaires

[Manifestations à venir] Quel droit pour la responsabilité sociale de l'entreprise ?

Lecture: 3 min

N2525BNT

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Le 07 Octobre 2010

Les 18 et 19 mars 2010, l'Université Paris V (Descartes), en partenariat avec le Centre de droit des affaires et de gestion (Cedarg) et de l'Association pour le développement de l'enseignement et de la recherche sur la responsabilité sociale de l'entreprise (Aderse), organise deux colloques sur les thèmes de "Quel droit pour la responsabilité sociale de l'entreprise?" et "Quels modèles de gestion pour quelle RSE?", placés sous le haut patronage de Monsieur Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer en charge des Technologies vertes et des négociations sur le climat. Les intervenants se proposent donc de revenir, autour de plusieurs tables rondes, sur un concept qui tend à prendre une place prépondérante dans le comportement des entreprises. Contribution aux enjeux du développement durable, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) implique la prise en compte des préoccupations sociales, économiques et environnementales des activités de l'entreprise pour adopter les meilleures pratiques possibles. La RSE permet ainsi d'associer logique économique, responsabilité sociale et écoresponsabilité et ce, dans une démarche purement volontariste.
  • Programme

- Journée du 18 mars 2010 : Quel droit pour la RSE ?

Table ronde n° 1 - Quelles normes pour la RSE ?
Table ronde n° 2 - RSE et droit social
Table ronde n° 3 - RSE et droits fondamentaux
Table ronde n° 4 - RSE et droit de l'environnement
Table ronde n° 5 - RSE et droit des affaires

- Journée du 19 mars 2010 : Quels modèles de gestion pour quelle RSE ?

Table ronde n° 1 - Quel modèle de commerce international pour quelle RSE ?
Table ronde n° 2 - Quel modèle de GRH pour quelle RSE ?
Table ronde n° 3 - Quel modèle de la valeur pour quelle RSE ?
Table ronde n° 4 - Quel modèle de management pour quelle RSE ?
Table ronde n° 5 - L'intérêt général au risque de la RSE

  • Intervenants

- Journée du 18 mars 2010 :

Axel Kahn, Président de l'Université Paris Descartes
Jean-Pierre Machelon, Doyen de la Faculté de Droit
Martine Béhar-Touchais, Directrice du CEDAG
François-Guy Trébulle, Professeur, Université Paris-Descartes
Jean-Claude Javillier, Professeur émérite, Université Paris II-Panthéon-Assas, Ancien directeur du département des normes du bureau international du travail
Stéphane Rousseau, Professeur, Université Montréal
Ivan Tchotourian, Maître de conférences, Université de Nantes
Philippe Didier, Professeur, Université Paris-Descartes
Nicolas Molfessis, Professeur, Université Paris II-Panthéon-Assas, Secrétaire général du Club des juristes
Bernard Teyssié, Professeur, Université Paris II-Panthéon-Assas
Christine Neau-Leduc, Professeur, Université de Montpellier
René-Charles Drouin, Professeur, Université de Montréal
Marie-Pierre Blin, Maître de conférences, Université Toulouse 1-Capitole
Yves Desjacques, DRH Groupe Casino
Jean-Pierre Marguenaud, Professeur, Université de Limoges
Nicolas Mathey, Professeur, Université Paris-Descartes
Nicolas Cuzacq, Maître de conférences, Université Paris Est
Yann Queinnec, Association Sherpa
Marie-Claude Guilbaud, Directeur du Pôle sociétal EDF
Philippe le Tourneau, Professeur émérite, Université Toulouse 1-Capitole
Hubert de Vauplane, Directeur juridique et conformité du groupe Crédit Agricole SA
Eric Dezeuze, Avocat au Barreau de Paris
Catherine Malecki, Maître de conférences, Université Paris-Sud
Marina Teller, Maître de conférences, Université de Nice
Jacques Mestre, Professeur, Université Aix-Marseille-III
Gérard Martin, Professeur, Université de Nice et Sciences-po Paris
Christian Huglo, Avocat au Barreau de Paris
Blandine Rolland, Maître de conférences, Université de Mulhouse

- Journée du 19 mars 2010 :

Nicole Barthe, Présidente de l'Aderse, Professeur, Université de Nice Sophia Antipolis
Pierre-Louis Dubois, Délégué général de la FNEGE
Gérald Augustin, Responsable section gestion, Université Paris-Descartes
Martine Brasseur, Directrice du Cedarg, Université Paris-Descartes
Pierre-Louis Dubois, Professeur, Université Paris II Panthéon-Assas
Amina Bécheur, MCFU, Université Paris Est
Corinne Gendron, Professeur UQUAM, Chaire du DD et de la RSE
Jean-Christophe Laugee, Directeur de l'innovation sociétale, Groupe Danone
Jacques Igalens, Professeur, Université Toulouse I-Capitole, Président honoraire AGRH
Jean-Marie Peretti, Professeur, Université de Corté et ESSEC, Président de l'IAS
Gérald Roux, Directeur Général, Koné France
Robert Teller, Professeur, IAE de Nice Sophia Antipolis
Michel Albouy, Professeur, IAE de Grenoble
Charles-Henri D'Arcimoles, Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Pauline Danel, Responsable développement durable, Groupe Véolia Environnement
Odile Uzan, MCFU, Université Paris-Descartes
François Meyssonnier, Professeur, IAE de Nantes
Florent Pestre, MCFU, Université Paris Sud
Henri Savall, Professeur, IAE de Lyon III, Directeur de l'ISEOR
Claire Martin, Directrice RSE, Groupe Renault
Jean-Jacques Rosé, Sociologue, SHADYC-EHESS
Yvan Pesqueux, Professeur, CNAM Paris
Zahir Yanat, Professeur, ESC Bordeaux

  • Dates

- 18 mars 2010, 8h45-17h30

- 19 mars 2010, 8h15-17h15

  • Lieux

- Journée du 18 mars 2010 :

Faculté de Droit
10, avenue Pierre Larousse
92240 Malakoff

- Journée du 19 mars 2010 :

Faculté de droit
12, rue de l'école de médecine
75006 Paris

  • Tarifs

Inscription à la journée du 18 mars 2010, prix TTC : 100 euros (déjeuner inclus)
Inscription à la journée du 19 mars 2010, prix TTC : 100 euros (déjeuner inclus)
Inscription aux journées des 18 et 19 mars 2010, prix TTC : 170 euros

Entrée gratuite pour les étudiants mais inscription obligatoire

  • Renseignements

Bérangère Condomines
berangere.condomines@parisdescartes.fr
Tél. : 06 88 08 21 21

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Droits fondamentaux

[Manifestations à venir] Les droits de la femme en France

Lecture: 4 min

N2570BNI

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Le 07 Octobre 2010

L'Association française des femmes juristes (AFFJ), Sciences Po Lille et l'Institut régional d'administration de Lille (IRA) organisent une journée consacrée aux droits des femmes en France, à l'occasion de la Journée de la femme. Il s'agit d'une première rencontre exceptionnelle entre universitaires, magistrat(e)s, avocat(e)s, notaires, élu(e)s, journalistes, médecins pour aborder les sujets d'actualité juridique et politique. Qu'ils, qu'elles soient acteurs ou témoins, tous, toutes partageront leur expérience, et leur analyse. Cette approche pluridisciplinaire permettra d'aborder les sujets de l'égalité de traitement (au travail), de la souffrance morale au travail, des avancées du Code du travail, du sexisme du Code civil, de la réforme du divorce et de la transmission patrimoniale des femmes, mais aussi de la place, du rôle et des attentes des femmes politiques qui façonnent l'avenir des femmes de demain. Cette journée d'étude sera ouverte aux professionnels du droit, aux étudiants et à tous les publics intéressés par ces thèmes. Cette première édition sera suivie d'une autre journée en 2011, puis en 2012, afin de pouvoir appréhender un maximum de sujets.
  • Programme

Table Droit du travail (9h00 - 10h45)

Malgré six lois entre 1972 et 2008, et un accord national interprofessionnel conclu le 1er mars 2004, la situation n'est clairement pas satisfaisante en matière d'égalité professionnelle. Les écarts de situation professionnelle et de carrière restent importants. Les deux tiers des bas salaires sont des femmes qui sont près de deux fois plus souvent au SMIC que les hommes (près de 20 % contre 11 %). Il y a cinq fois plus de femmes à temps partiel que d'hommes. Les femmes sont moins représentées dans les fonctions qualifiées : seulement 37 % des cadres ou cadres supérieurs alors que les filles réussissent mieux que les garçons jusqu'à la fin des études secondaires. La rémunération moyenne est inférieure de 27 % à celle des hommes. 5 % seulement des accords d'entreprises traitent d'égalité professionnelle. Les intervenants aborderont les questions d'actualité juridique : égalité de traitement au regard du droit européen et du droit français, souffrance morale au travail, plafond de verre...

- Intervenants :

Jean-Guy Huglo est président de la chambre sociale de la cour d'appel de Douai depuis 2001, il a été référendaire à la Cour de justice des Communautés européennes auprès de l'avocat général français de 1988 à 1992, puis conseiller référendaire à la Cour de cassation pendant 10 ans.

Nathalie Leroy est avocate en droit du travail, elle a cofondé le cabinet BL & associés à Paris, et a rejoint en septembre 2009 le Barreau de Lille. Elle est administratrice de l'AFFJ depuis 2004. Elle a enseigné à l'Université de Paris XIII et de Rouen le droit du travail et l'hygiène et la sécurité au travail et enseigne également le droit du travail à Sciences Po Lille.

Alexandra Trichard-Salembier est praticien hospitalier, médecin du travail au CHRU de Lille. Elle travaille également à la consultation de pathologie professionnelle de psychopathologie du travail et est référent du ministère du Travail sur le stress au travail pour le Nord.

Pierre-Yves Verkindt est agrégé des Facultés de droit, il vient de rejoindre l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Membre élu du Conseil national des universités, il est spécialiste de droit social.

Table droit civil (11h00 - 12h45)

Le droit civil est un enjeu majeur pour les femmes : le nom, le droit du divorce et de la transmission patrimoniale ont beaucoup évolué ces dernières années, même si le Code civil reste profondément sexiste.

- Intervenants :

Marie-Jeanne Campana est agrégée des Facultés de droit, et Professeure émérite de droit privé à l'Université Paris X Nanterre-La Défense, où elle est membre du Centre de droit international de Nanterre (CEDIN). Elle est également membre du conseil d'administration et ancienne présidente et vice présidente de l'AFFJ.

Caroline Frémiot Betscher est avocate au Barreau de Douai ; spécialisée en droit de la famille elle est l'auteure de quatre ouvrages destinés au grand public, dont un "Guide du Pacs et du concubinage" et un "Guide du divorce".

Philippe Lefevre est avocat au barreau de Lille et fondateur de la SCP Lefevre, Chevalier & associés. Avocat en droit des affaires, et en droit pénal des affaires, il est engagé depuis de nombreuses années à titre personnel dans le monde sportif et associatif et lutte activement contre les discriminations.

Anne Vilain Floquet est notaire à Lille, associée depuis 1988 de l'Etude Fontaine - Roussel & associés à Lille. Elle est spécialisée dans le domaine du contentieux familial (divorce, séparation, règlements successoraux), et est chargée de cours en master de gestion de patrimoine à la Faculté libre de sciences économiques et de gestion.

Table droit politique (14h15 - 16h00)

Ce que les femmes ont apporté dans la vie politique, ce qu'elles attendent, ce qu'elles ont changé. Actrices et témoins de leur parcours en politique, elles feront le point sur la question des quotas, l'égalité en politique, déceptions et espoirs...

- Intervenants :

Marie-Christine Blandin a été professeure de biologie, ancienne présidente du Conseil régional Nord Pas-de-Calais, elle est actuellement sénatrice du Nord.

Michelle Demessine est engagée en politique depuis 1970. Elle a présidé le comité départemental de l'Union des femmes françaises de 1976 à 1990. En 1992, elle est élue sénatrice du Nord, puis devient secrétaire d'Etat au tourisme de 1997 à 2001. A nouveau sénatrice du Nord, elle est aussi, depuis mars 2001, chargé des sports en tant adjointe au maire de Lille et vice-présidente de Lille Métropole Communauté Urbaine.

Odile Leperre-Verrier est psychologue, diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris. Collaboratrice de Michel Crépeau et de Roger-Gérard Schwartzenberg, elle a été membre de différents cabinets ministériels avant d'être élue députée au Parlement européen. Aujourd'hui, consultante, elle travaille pour la délégation de la région Nord Pas-de-Calais à Bruxelles.

Véronique Marchand est journaliste-rédactrice (Grand reporter) à France3 Nord Pas-de-Calais à Lille où elle suit en permanence l'actualité politique, les magazines politiques, ainsi que les soirées électorales.

Pierre Mathiot est Professeur des Universités en sciences politiques et Directeur de Sciences Po Lille.

Anne Voituriez est avocate au Barreau de Lille, spécialisée en droit commercial, administratrice de l'AFFJ, et conseillère municipale de la ville de Loos.

  • Date

Lundi 8 mars 2010
8h30 - 16h30

  • Lieu

Sciences Po Lille
84, rue de Trévise
59000 Lille
M° Porte de Valenciennes

  • Renseignements

Nathalie Leroy,
Association française des femmes juristes
www.affj.asso.fr
n.leroy@50rueprincesse.com

newsid:382570

Bancaire

[Textes] L'Autorité de contrôle prudentiel : nouveau vaisseau-amiral du contrôle micro-prudentiel en matière bancaire et assurantielle

Réf. : Ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance (N° Lexbase : L4185IG4)

Lecture: 13 min

N2580BNU

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Octobre 2010

Dans l'antichambre crépusculaire d'une grave crise financière, à propos de laquelle on affirme volontiers qu'elle a creusé son lit sur les insuffisances du système de régulation bancaire et financière (1), l'heure est à la révolution institutionnelle. D'ailleurs, celle-ci entend être aussi tentaculaire que l'a été la crise des subprimes elle-même : une très volumineuse littérature d'experts du Prince (2) invite à mener la réforme au niveau micro et macro-prudentiel (3), et aux plans international et national. L'échelon international est en passe d'être franchi : le G20 a transformé son forum de stabilité financière en un véritable conseil (4), élargi et renforcé, et l'Union européenne est en passe de se doter d'un quarteron d'organes de supervision (5). En France, avant même que le législateur communautaire ne commette son oeuvre, l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 (l'"ordonnance") vient bouleverser le paysage institutionnel en matière bancaire et financière. Adoptée sur le fondement de l'article 152 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2009, de modernisation économique (N° Lexbase : L7358IAR), l'ordonnance (6) fait disparaître le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (le CECEI) et la Commission bancaire, tous deux issus de la loi n° 84-46, relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (N° Lexbase : L7223AGM), ainsi que l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (l'ACAM) et le Comité des entreprises d'assurance (le CEA), créés par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB) (7) pour les remplacer par une institution unique : l'Autorité de contrôle prudentiel (l'ACP), régie par les dispositions des nouveaux articles L. 612-1 (N° Lexbase : L4138IGD) et suivants (8) du Code monétaire et financier. En ce sens, l'ordonnance comporte des dispositions transitoires détaillées (ordonnance n° 2010-76, art. 22), dont on infère que l'Autorité de contrôle prudentiel n'aura de réalité concrète qu'au jour où son collège (sur lequel nous reviendrons) se réunira pour la première fois (ordonnance n° 2010-76, art. 22, I). De même, l'ordonnance procède-t-elle à un vaste travail de réécriture et d'harmonisation de dispositions existantes de sorte à prendre en compte la naissance de l'ACP (ordonnance n° 2010-76, art. 2 et s.).

La naissance de cette nouvelle autorité de supervision (C. mon. fin., art. L. 612-1, I) relève, peu ou prou, de la même logique concentrationniste qui, comme l'observe le Professeur Bonneau (9), avait animé le secteur boursier en 1996 et 2003 (10). L'ACP constitue une innovation importante puisqu'elle est chargée -chose peu commune en France- d'une double surveillance sectorielle : celle des établissements de crédit et celle des entreprises d'assurance (C. mon. fin., art. L. 612-2, I N° Lexbase : L4140IGG). Aussi, l'ACP est-elle désormais l'autorité de supervision (C. mon. fin., art. L. 612-2, I), notamment des établissements de crédit, des entreprises d'investissement (autres que les sociétés de gestion de portefeuille), des entreprises de marché, des établissements de paiement, des réassureurs ou des véhicules de titrisation mentionnés à l'article L. 310-1-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7028IAK) : il faut bien avouer les problématiques sont liées. En ce sens, elle marque une différence de méthode en comparaison de celle retenue au niveau communautaire pour échafauder la macrostructure de surveillance de l'Union européenne, d'essence mono-sectorielle (11). Cependant, et quoiqu'elle fasse simultanément écho aux préoccupations "safety and soundness" et "conduct of business" (12), l'ACP n'est pas une autorité unique de supervision (13) : elle laisse subsister l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) et il lui sera prochainement adjoint le Conseil de régulation financière et du risque systémique (15).

Le rapport au Président de la République sur l'ordonnance met en exergue le fait que la création de l'ACP est motivée par trois objectifs concordants :
- assurer la sécurité des consommateurs (16) d'assurance et de produits bancaires, clairement, c'est ici la considération "conduct of business" qui prévaut ;
- assurer la stabilité du système financier, ce qui relève du souci "safety and soundness" ;
- et renforcer l'influence de la France dans les négociations internationales sur la réforme de la régulation financière. Après le patriotisme économique, un peu de patriotisme financier ne fait pas de mal !

A travers l'étude de ses principales caractéristiques, nous nous proposons de voir comment l'organisation (I) et les pouvoirs (II) de la nouvelle autorité française de régulation peuvent concourir à la réalisation de ces objectifs.

I - L'organisation de l'Autorité de contrôle prudentiel

S'agissant tant de l'indépendance qui la caractérise (A) que des organes qu'elle abrite (B), l'Autorité de contrôle prudentiel présente une nature classique de prime abord mais tachetée d'atypisme, témoignage de l'esprit qui a présidé à sa création.

A - L'indépendance "adossée" de l'Autorité de contrôle prudentiel

De disposition expresse, l'ACP est une autorité administrative indépendante (17) : ce faisant, elle ne fait qu'épouser la forme qui était celle des organes de contrôle dont elle est l'agrégation, forme devenue incontournable dans notre ordre juridique national. Si elle n'est pas dotée de la personnalité morale (18), elle compense cette faiblesse par la faculté offerte à son président d'agir devant toute juridiction "pour l'accomplissement des missions qui [lui] sont confiées" (C. mon. fin., art. L. 612-16, I N° Lexbase : L4145IGM) et de se constituer elle-même "partie civile à tous les stades de la procédure pénale" dans les domaines d'action qui sont les siens (C. mon. fin., art. L. 612-16, II).

L'indépendance de l'ACP se traduit en matière financière (C. mon. fin., art. L. 612-18 N° Lexbase : L4182IGY), mais aussi fonctionnelle puisque l'autorité nouvelle dispose d'un personnel et de services propres... mais composés d'agents dont l'employeur est la Banque de France (19) (C. mon. fin., art. L. 612-19, II N° Lexbase : L4160IG8) ! Ce dernier trait est représentatif de l'impression que laisse l'ACP d'être un bras armé de la Banque de France, tant elle entretient avec cette dernière des rapports étroits (toute indépendante qu'elle soit) : elle est présidée par le Gouverneur de la Banque de France (C. mon. fin., art. L. 612-5, 1° N° Lexbase : L4164IGC) (20), peut recevoir des dotations financières additionnelles de la part de cette dernière et son budget est une annexé à celui de cette dernière (C. mon. fin., art. L. 612-18), de manière générale elle dispose des moyens qui lui sont "fournis par la Banque de France (C. mon. fin., art. L. 612-19, I)... L'ordonnance n'est pas avare d'exemples ! Au fond, il s'agit peu ou prou du même adossement à la Banque de France que celui que connaissait, par exemple, le CECEI. Et pour cause ! A cet égard, le Rapport au Président de la République souligne qu'à la lumière de la crise il est apparu opportun de maintenir un lien fort avec la Banque de France (21). La part du lion laissée au secteur bancaire, faut-il en déduire une forme d'inféodation de l'assurance à la banque ? Sans doute (22), à titre de phénomènes remarquables sur la question le lecteur prendra note du fait que l'ordonnance prévoit la mise à disposition du corps de contrôle des assurances (C. mon. fin., art. L. 612-19) et que les règles sur l'autorité de supervision en charge du secteur des assurances sont désormais contenues dans le Code monétaire et financier... il y a des symboles qui laissent songeur.

B - Les organes de l'Autorité de contrôle prudentiel

L'ACP est structurée autour d'organes collégiaux et d'organes à membre unique, que nous avons déjà évoqués à titre subliminalement.

Au rang des organes collégiaux, la summa divisio consiste en l'existence, d'une part, du collège et, d'autre part, d'une commission des sanctions.

Le collège exerce la compétence de droit commun de l'ACP (C. mon. fin., art. L. 612-4 N° Lexbase : L4123IGS). De manière générale, le collège est une formation bien connue au sein des autorités de supervision françaises ; celui de l'ACP fait montre d'un classicisme assumé en se rapprochant à s'y méprendre de celui de l'AMF ou de l'Autorité des normes comptables (ANC), ne serait-ce qu'en termes de composition (23). A titre principal, celui de l'ACP se distingue par la présence de "connaisseurs" (24) de chacun des secteurs sous tutelle de l'ACP, ainsi que par l'existence (logique) d'un sous-collège sectoriel de l'assurance composé des "principaux" membres du collège auxquels s'ajoutent les membres connaisseurs en matière assurantielle (C. mon. fin, art. L. 612-7, 1° N° Lexbase : L4181IGX) et d'un sous-collège sectoriel de la banque composé de la même manière mutatis mutandis (C. mon. fin. L. 612-7, 1° et 2°). Le collège a aussi la possibilité de créer des commissions spécialisées (C. mon. fin., art. L. 612-8 N° Lexbase : L4137IGC).

La commission des sanctions, exerce, quant à elle, le pouvoir de sanction de l'ACP (cf. C. mon. fin., art. L. 612-38 N° Lexbase : L4135IGA et s.). Elle rappelle un peu l'ex Commission bancaire, même si elle ne compte que cinq membres (contre six pour la précédente) et n'est plus présidée par le Gouverneur de la Banque de France mais par le conseiller d'Etat qui en fait partie de droit.

Cette division se trouve renforcée par l'incompatibilité instaurée entre la fonction de membre du collège et celles de membre de la commission des sanctions (C. mon. fin., art. L. 612-9, 2° N° Lexbase : L4153IGW).

Question pour les amateurs de who's who institutionnel : quel sens faut-il donner à la simple présence facultative et délibérative dans ces aréopages du directeur du Trésor, ancien membre de droit du CECEI et de la Commission bancaire (C. mon. fin., art. L. 612 11 N° Lexbase : L4136IGB) ? Peut-être celui d'un ombilic moins prononcé entre le pouvoir politique et les organes de contrôle, la volonté d'éviter tout conflit d'intérêts étant bien marqué dans l'ordonnance (25). Quant à l'absence des représentants des organisations syndicales ou du personnel des secteurs d'activité concernées, que prévoyait pour le CECEI l'ancien article L. 612-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6290DIS) et pour le CEA l'ancien article L. 413-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L2168ICB), nous nous garderons de lui donner une signification trop polémique.

On retrouve également des organes à membre unique au sein de l'ACP :
- le Président qui, comme nous l'avons déjà relevé, est le Gouverneur de la Banque de France (26) et qui préside le collège de l'ACP, ce qui lui donne compétence pour fixer l'ordre du jour de ses différentes formations (C. mon. fin., art. L. 612-2, II) et voix prépondérante en leur sein (C. mon. fin., art. L. 612 13 N° Lexbase : L4156IGZ) ;
- le secrétaire général, cheville ouvrière (si l'on puis dire) de l'ACP (C. mon. fin., art. L. 612-15 N° Lexbase : L4139IGE), en charge de l'organisation et de la direction des services de l'ACP, ainsi que des enquêtes diligentées par l'ACP ;
- le vice-président (C. mon. fin., art. L. 612-12, III al. 1er N° Lexbase : L4158IG4) et le premier secrétaire général adjoint (C. mon. fin., art. L. 612-15 al. 2), qui assistent chacun respectivement les personnages précédents. Leur présence souligne le caractère bi-sectoriel de l'autorité nouvelle : le vice-président dirige le sous-collège du secteur de l'assurance (C. mon. fin., art. L. 612-12, III, al. 1), et le premier secrétaire général adjoint doit être choisi pour raison de son "expérience en matière d'assurance ou bancaire complémentaire de celle du secrétaire général" (C. mon. fin., art. L. 612-15, al.2).

Trait saillant de l'ACP à ce stade de l'analyse : son unité duale. Son visage de Janus (27) n'en est pas moins apparent lorsque l'on se penche de plus près sur les pouvoirs que l'ordonnance fait siens..

II - Les pouvoirs de l'Autorité de contrôle prudentiel

Une nouvelle fois sans grand surprise, parce que l'ACP tient aussi de l'organisation mécaniste décrite par H. Mintzberg (28), le rôle général de contrôle et de surveillance qui lui est confié par le législateur et les pouvoirs qui en découlent sous-tendent fortement son fonctionnement. Il est possible de systématiser ses pouvoirs (A), lesquels sont assumés par les organes composant l'ACP, selon leur compétence qui est la leur (B).

A - Typologie des pouvoirs de l'Autorité de contrôle prudentiel

Deux objectifs de niveau égal (29) sont assignés à l'ACP : veiller à la "préservation de la stabilité du système financier et à la "protection" des utilisateurs de toutes sortes dudit système (C. mon. fin., art. L. 612-1, I). Par ailleurs, est clairement mis en avant le fait que, dans l'accomplissement de ses missions, l'ACP est tenue d'observer la marche du cortège européen : aussi, doit-elle notamment prendre en considération les objectifs de stabilité au sein de l'Espace économique européen et coopérer avec les autorités compétentes des autres Etats membres (C. mon. fin., art. L. 612-1 III).

Dans cette veine, l'ACP se voit chargée plus particulièrement :
- d'exercer une surveillance permanente de la situation financière et des conditions d'exploitation des personnes soumises à son contrôle, notamment au respect des exigences de solvabilité et, pour les établissements de crédit et assimilés, des exigences de liquidité (C. mon. fin., art. L. 612-1 II, 2) ;
- et de veiller au respect par les personnes soumises à son contrôle des règles destinées à assurer la protection de leur clientèle (C. mon. fin., art. L. 612-1 II, 3).

Ces nobles missions impliquent des pouvoirs conséquents. Il n'y a nul lieu d'être déçu en la matière ; comme c'était plus ou moins le cas pour les entités qu'elle rassemble désormais, l'ordonnance prévoit pour l'ACP :
- le pouvoir d'examiner les demandes d'autorisations ou de dérogations individuelles qui lui sont adressées par les personnes soumises à son contrôle, et plus généralement de prendre des décisions relatives à ces personnes (C. mon. fin., art. L. 612-1, II, 1). Plus prosaïquement, l'ACP reprend ici le rôle jusqu'alors dévolu au CECEI et au CEA, c'est-à-dire à titre principal, l'instruction des dossiers d'agrément en qualité d'établissement de crédit ou de paiement, et de ceux pour obtenir le statut d'entreprise d'assurance ;
- le pouvoir de contrôler les personnes soumises à son autorité (C. mon. fin., art. L. 612-1, II, in fine) ;
- le pouvoir de prendre des mesures de police administrative eu égard à ces mêmes personnes (CMF, art. L. 612-1, II, in fine) ;
- et le pouvoir de sanctionner ces personnes (C. mon. fin., art. L. 612-1, II, in fine).

Ces trois dernières prérogatives englobent peu ou prou celles qui relevaient préalablement du ressort de la Commission bancaire et de l'ACAM.

B - La répartition des pouvoirs au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel

La répartition des pouvoirs au sein du nouveau fleuron de notre système de surveillance bancaire et assurantielle n'est pas sans subtilité, pour tenir compte non seulement du bi-polarisme animant l'ACP mais aussi de critiques récentes formulées à ses prédécesseurs.

La compétence générale au sein de l'ACP est dévolue à la formation plénière du collège, qui "arrête les principes d'organisation et de fonctionnement, le budget et le règlement intérieur" et "examine toute question de portée générale commune aux secteurs de la banque et de l'assurance (C. mon. fin., art. L. 612-12, I) tandis que, sans grande originalité, chacun des sous-collèges sectoriels "a vocation à examiner les questions individuelles et les questions générales spécifiques à son secteur. Pour décliner l'exemple pris plus avant, c'est donc au sous-collège du secteur bancaire qu'il revient de statuer sur les agréments en matière d'établissement de crédit ou de paiement, et au sous-collège du secteur assurantiel de faire de même pour les entreprises d'assurance. Le collège est également compétent pour prendre les nombreuses mesures de police administrative prévues par les nouveaux articles L. 612-30 (N° Lexbase : L4120IGP) et suivants du Code monétaire et financier.

Pour sa part, le président de l'ACP dispose de pouvoirs propres, tels celui d'ester en justice au nom de l'ACP, de prendre à titre exceptionnel des décisions relevant des formations collégiales de l'ACP ou de recourir contre les décisions de la commission des sanctions (C. mon. fin., art. L. 612-16, IV N° Lexbase : L4145IGM) (31) ; pour le collège de l'AMF, tous les espoirs sont donc permis ! Quant au secrétaire général, outre le fait qu'il soit institué en gardien de la déontologie de l'Autorité et en responsable de son fonctionnement quotidien (C. mon. fin., art. L. 612-15, al. 4), il est le récipiendaire d'un pouvoir de contrôle et d'enquête.

Cela nous mène naturellement au sujet du pouvoir disciplinaire de l'ACP, qui s'exerce sur les personnes soumises à sa supervision (C. mon. fin., art. L. 612-2). Force est de constater qu'il a fait l'objet d'un soin tout particulier de la part des rédacteurs de l'ordonnance : à l'évidence, il s'agit de ne pas offrir le flanc aux critiques appuyées que la Cour européenne des droits de l'Homme avait pu adresser à la Commission bancaire (32). En ce sens, l'ACP dispose d'une procédure disciplinaire des plus précises et assise sur une stricte séparation des pouvoirs (33) :
- comme nous l'avons dit plus haut, les enquêtes et autres contrôles sont diligentés à l'initiative du secrétaire général (C. mon. fin., art. L. 612-23 N° Lexbase : L4180IGW et L. 612-26 N° Lexbase : L4173IGN) ;
- en revanche, l'opportunité des poursuites est laissée aux formations compétentes du collège qui doivent, à cet effet, notifier par l'intermédiaire du président les griefs à la personne incriminée et saisir la commission des sanctions (C. mon. fin., art. L. 612-38 N° Lexbase : L4135IGA) ;
- cette dernière statue contradictoirement (C. mon. fin., art. L. 612-38) et peut adopter une sanction s'étendant du simple avertissement à la radiation de la liste des personnes agréées, en passant par la démission d'office d'un ou plusieurs dirigeants (C. mon. fin., art. L. 612-39 N° Lexbase : L4165IGD) (34).

Le "Rapport Deletré I" proposait de retirer à la Commission bancaire sa nature de juridiction administrative (35), prévue par l'article L. 613-23 du Code monétaire et financier. Qu'en est-il s'agissant de la commission des sanctions de l'ACP, qui reprend le flambeau de la Commission bancaire ? L'ordonnance est muette sur le sujet. Pouvons-nous en conclure que la commission des sanctions de l'ACP n'est pas une juridiction administrative ?Il est permis d'en douter : non seulement l'ordonnance aménage des droits nombreux pour le justiciable faisant face à la Commission des sanctions, et notamment celui de pouvoir former un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'Etat contre les décisions de ladite commission, sous réserve d'un filtre du sous-collège concerné (C. mon. fin., L. 612-15, IV), mais en plus la jurisprudence paraît en sens contraire (36).

L'oeuvre de l'ordonnance n'est pas exclusivement institutionnelle ; c'est également l'occasion de compléter quelques insuffisances des textes en vigueur jusqu'alors, comme la possibilité nouvelle de diligenter des investigations sur pièces et sur place à l'égard d'une société de gestion d'un organisme de titrisation supportant des risques d'assurance (C.mon. fin., art. L. 214-49-13-1 N° Lexbase : L4142IGI). Mais, clairement, l'essentiel n'est pas là : la France est, désormais, dotée d'une autorité de supervision moderne et bien taillée pour prévenir les soubresauts d'un système bancaire et financier structurellement instable car d'obédience capitaliste (37). Particulièrement, comme nous avons pu le constater, l'ACP est remarquable de par sa double compétence qui exerce une influence sensible sur sa structure et ses règles de fonctionnement : l'ACP est une autorité de supervision deux en un, tout comme d'ailleurs, le système de contrôle micro-prudentiel français s'apparente aujourd'hui à un système deux en un puisqu'assis sur un twin peak revisité (38), comprenant l'AMF et l'ACP (les deux sommets étant reliés par l'étroit pont de singe qu'est leur "pôle commun" (39) : C. mon. fin., art. L. 612-47 N° Lexbase : L4130IG3 et s.) ! Du twin peak au Vier-Augen Prinzip cher au droit bancaire et financier, deux devient peu à peu le nombre d'or de la matière... "Pensez deux fois avant de parler et vous parlerez deux fois mieux" (40).


(1) Voir, dès son introduction le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance.
(2) Voir ainsi, le Rapport de la mission de réflexion et de propositions sur l'organisation et le fonctionnement de la supervision des activités financières en France, janvier 2009 (dit "Rapport Deletré I") ; Rapport The high-level group on financial supervision in the EU, février 2009 (dit "Rapport Larosière") ; Rapport de la mission de conseil sur le contrôle et le respect des obligations professionnelles à l'égard de la clientèle dans le secteur financier, juillet 2009 (dit "Rapport Deletré II") ; Ph. Marini, Rapport d'information n° 59 sur la crise financière et la régulation des marchés, Assemblée nationale, octobre 2009 (dit "Rapport Marini") ; ou encore S. Huyghe et J.-L. Warsmann, Rapport d'information n° 2208 sur les défaillances de la régulation bancaire et financière, Assemblée nationale, décembre 2009 (dit "Rapport Huyghe").
(3) Le contrôle micro-prudentiel a pour principal objet le contrôle des acteurs du secteur bancaire et financier, tandis que le contrôle macro-prudentiel cherche à détecter les risques induits par le système : cf. "Rapport Larosière" (op. cit.), n° 145 et s., p. 44 et s.. Dans les sources "non-officielles", on peut aussi lire D. Plihon, Instabilité financière et risque systémique : l'insuffisance du contrôle macroprudentiel, in Le Financement de l'économie, sous la dir. de B. Ferrandon et O. Montel, Cahiers français, n° 331, La Documentation française, 2006.
(4) Qui continue à être hébergé par la banque des règlements internationaux.
(5) Nommément : l'Autorité bancaire européenne (proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une autorité bancaire européenne, COM(2009) 501 final), l'Autorité européenne des assurances et pensions professionnelles (proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une autorité européenne des marchés financiers, COM(2009) 502 final), l'Autorité européenne des marchés financiers (proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une autorité européenne des marchés financiers, COM(2009) 503 final) et le Conseil européen du risque systémique. A ce sujet, on peut se reporter à R. Vabres, Le système européen de supervision : Etat des lieux et perspectives, Revue de droit bancaire et financier, janvier-février 2010, p. 27.
(6) Dans ses articles 1 et 8, notamment.
(7) Institutions qui n'auront donc été que relativement éphémères.
(8) Tout de même au nombre de 50 !
(9) Th. Bonneau, Commentaire de l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance, JCP éd. E., 2010, n° 6, 1140.
(10) Qui, respectivement, avaient fusionné le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil du marché à terme dans le Conseil des marchés financiers (loi n° 96-597 du 2 Juillet 1996, de modernisation des activités financières, art. 27 et s. N° Lexbase : L5893A4Z), puis ce dernier dans l'AMF (avec l'ancienne Commission des opérations de bourse) (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière, art. 1 et s. N° Lexbase : L3556BLB).
(11) Voir supra. En ce sens, l'ordonnance suit largement les recommandations du "Rapport Deletré II" (op. cit.).
(12) Que décrit le "Rapport Deletré I" (op. cit.), p. 111 : la première consiste en un pur contrôle prudentiel, la seconde en un souci de protection des "consommateurs" de produits et services financiers.
(13) Quoique pourrait laisser penser le nouvel article L. 612-1, I du Code monétaire et financier : "L'Autorité de contrôle prudentiel, autorité administrative indépendante, veille à la préservation de la stabilité du système financier [...]".
(14) Qui est également une autorité à classer parmi celles en charge du contrôle micro-prudentiel.
(15) Projet de loi de régulation bancaire et financière déposé à l'Assemblée nationale par le Premier ministre le 16 décembre 2009, art. 1 et s..
(16) Terme dont il est intéressant de constater qu'il est mobilisé par les auteurs du texte dans leur rapport mais pas dans l'ordonnance elle-même.
(17)  L'ordonnance en dispose de la plus expresse des manières, ce qui a le mérite de ne pas générer des débats semblables à ceux pouvant concerner l'AMF.
(18) Ce que dit expressis verbis le Rapport au Président de la République (op. cit.).
(19) Ce qui ne lui ôte pas pour autant son indépendance fonctionnelle.
(20) Ou un sous-gouverneur qu'il désigne.
(21) Op. cit..
(22) Dans le même sens, cf. Th. Bonneau, op. cit., id. : le Professeur Bonneau évoque une "tutelle bancaire".
(23) Pour celui de l'AMF, voir C. mon. fin., art. L. 621-2, II (N° Lexbase : L6344ICX) ; pour celui de l'ANC, voir ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 créant l'Autorité des normes comptables, art. 2 (N° Lexbase : L5927ICI). On retrouve seize membres dans les trois collèges (le nouveau nombre d'or ?), parmi lesquels invariablement : un conseiller d'Etat, un conseiller à la Cour de cassation, un conseiller maître à la Cour des comptes et le Président de l'Autorité des normes comptables (bien que l'article L. 621-2, II du Code monétaire et financier continue, s'agissant du collège de l'AMF, d'évoquer le Président du défunt Conseil national de la comptabilité, grâce à la "disposition-balai" de l'article 6 de l'ordonnance n° 2009-79 précitée).
(24) Pour reprendre le terme utilisé par le Rapport au Président de la République (op. cit.).
(25) Qui prévoit des règles détaillées sur ce point concernant les membres des organes collégiaux de l'ACP (C. mon. fin., art. L. 612-10 N° Lexbase : L4144IGL).
(26) Cf. supra.
(27) Sans qu'il faille voir dans l'utilisation de cette métaphore quelque jugement de valeur de l'auteur...
(28) H. Mintzberg, Mintzberg on Management : Inside Our Strange World of Organizations, 1989.
(29) Le Rapport au Président de la République (op. cit.) explique que ces deux objectifs sont placés "sur le même plan".
(30) Cf. supra.
(31) Voir, communiqué de presse du 17 décembre 2009, Réaction de l'Autorité des marchés financiers à la décision de sa Commission des sanctions relative à l'affaire EADS.
(32) CEDH, 11 juin 2009, Req. 5242/04, Dubus SA c/ France (N° Lexbase : A1869EI3) ; arrêt à propos duquel on peut lire la note du Professeur Couret (JCP éd. E., 2009, 2018) et nos obs., Non-conformité à l'article 6 § 1 de la CESDH de la procédure devant la Commission bancaire, Lexbase Hebdo n° 361 du 30 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N1487BLN).
(33) Empêchant, par exemple, le président de l'ACP de prendre des décisions en matière disciplinaire (C. mon. fin., art. L. 612-14, II, 3).
(34) Il s'agit de la même échelle de sanctions à six barreaux que celle qu'appliquait la Commission bancaire.
(35) Op. cit., p. 33 et s..
(36) N'oublions pas l'affaire "Didier", célébrissime en matière de contentieux administratif financier : CEDH, 27 août 2002, Req. n° 58188/00, Didier c/ France (décision d'irrecevabilité).
(37) J. Schumpeter, Capitalism, Socialism, and Democracy, 1942
(38) Le twin peak est un modèle de supervision par objectif dont les vertus sont prônées par le "Rapport Deletré I" (préc., p. 11) que l'on retrouve notamment en Australie et aux Pays-Bas. Par principe, il sépare un pôle prudentiel d'un pôle de contrôle des pratiques commerciales et de marché. Le twin peak que crée l'ordonnance dépend d'une logique sectorielle, dans l'esprit des recommandations du "Rapport Huyghe" (préc., p. 111). "Always two, they are".
(39) Que le Rapport au Président de la République (op. cit.) qualifie d'"innovant", sans qu'il "n'ajoute ni ne retranche aucun compétence" à l'AMF ou l'ACP.
(40) Citation que l'on prête au moraliste grec Plutarque.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Marchés publics : l'annulation par le Conseil d'Etat du seuil des 20 000 euros

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2010, n° 329100, M. Franck Perez ([LXB=A7061ERX ])

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N2516BNI

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par Vincent Corneloup, Avocat associé, spécialiste en droit public, docteur en droit public, SCP Dufay-Suissa-Corneloup

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt rendu le 10 février 2010, le Conseil d'Etat a annulé les dispositions du décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, relatif au relèvement de certains seuils du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3156ICU), relevant de 4 000 à 20 000 euros le seuil en deçà duquel un marché peut être conclu sans publicité, ni mise en concurrence préalable. Cette annulation prendra effet seulement à compter du 1er mai 2010. Ce faisant, le Conseil d'Etat a prononcé un arrêt riche en enseignements. A la fin de l'année 2008, le pouvoir réglementaire avait souhaité prendre un certain nombre de mesures afin de relancer l'économie dans le contexte de la crise qui se développait (1). Faciliter la passation des marchés publics par les pouvoirs adjudicateurs était l'un des axes de ces mesures. Plus particulièrement, le décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008, de mise en oeuvre du plan de relance économique dans les marchés publics (N° Lexbase : L3155ICT), avait procédé au relèvement du seuil en-dessous duquel les marchés peuvent être passés sans publicité, ni mise en concurrence préalable, ce seuil passant alors de 4 000 à 20 000 euros HT (2).

Monsieur P., avocat, a demandé au Premier Ministre de revenir sur cette mesure et, en l'absence de réponse de ce dernier, a saisi le Conseil d'Etat afin qu'il annule cette décision de rejet et le décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008 uniquement en tant qu'il relève le seuil ci-dessus présenté. Le Conseil d'Etat a, tout d'abord, constaté que Monsieur P. avait intérêt à agir en sa qualité d'avocat, puisqu'il a vocation à conclure des marchés de prestations de service juridique avec des collectivités territoriales. Sur le fond, il a annulé le décret attaqué en tant qu'il relève à 20 000 euros HT le seuil en deçà duquel il est possible de conclure un marché public sans publicité, ni mise en concurrence préalable. Sur ce point, il est essentiel de citer les termes exacts de la décision rendue :

"Les marchés passés en application du Code des marchés publics sont soumis aux principes qui découlent de l'exigence d'égal accès à la commande publique et qui sont rappelés par le II de l'article 1er du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA) dans sa rédaction issue du décret du 1er août 2006 (décret n° 2006-975, portant Code des marchés publics N° Lexbase : L4612HKZ) selon lequel : 'les marchés publics et les accords cadres [...] respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures [...]' ces principes ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse permettre au pouvoir adjudicateur de décider que le marché sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans les seuls cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles, notamment en raison de l'objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré [...] par suite, en relevant de 4 000 euros à 20 000 euros, de manière générale, le montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l'article 28 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3183ICU) sont dispensés de toute publicité ou mise en concurrence, le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d'égalité d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures".

Le Conseil d'Etat a, toutefois, restreint la portée de son arrêt, en précisant qu'il n'a aucune portée rétroactive, et que l'annulation ne prendra effet qu'à compter du 1er mai 2010, sous réserve, encore, "des actions engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement". L'on sait, en effet, que le juge administratif peut déroger à l'effet rétroactif de l'annulation d'un acte administratif lorsqu'il apparaît que cela serait de nature "à emporter des conséquences manifestement excessives" (3). En l'espèce, le Conseil d'Etat juge que l'annulation rétroactive de l'article 1er du décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008, qui relevait le seuil de la procédure adaptée à 20 000 euros, entraînerait "une atteinte manifestement excessive à la sécurité juridique", compte tenu du "grand nombre de contrats en cause et à leur nature". Il est donc pour le moins raisonnable qu'il ait modulé l'effet de son annulation en retenant que celle-ci ne verrait le jour que le 1er mai 2010.

La portée pratique de l'arrêt commenté est évidente puisque, désormais, il sera nécessaire pour les pouvoirs adjudicateurs de prévoir une publicité et une mise en concurrence préalable, même en dessous d'un montant estimé du marché inférieur à 20 000 euros HT. En toute logique, l'on revient au seuil de 4 000 euros qui préexistait à la disposition annulée du décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008. Mais, au-delà de cette conséquence évidente, le Conseil d'Etat a formulé dans cet arrêt un appel à la nuance dans l'objectif d'allègement du formalisme (I), et un rappel des principes fondamentaux du Code des marchés publics (II), dont il convient de mesurer toute la portée.

I - Un appel à la nuance

Le Conseil d'Etat a jugé qu'il est parfois possible de conclure un marché public "sans publicité, voire sans mise en concurrence" (A), mais qu'il est impossible de fixer, "de manière générale" un seuil de 20 000 euros (B) en deçà duquel tous les marchés peuvent être conclus librement.

A - La possibilité de conclure un marché "sans publicité, voire sans mise en concurrence"

En rappelant qu'un marché public peut éventuellement être conclu "sans publicité, voire sans mise en concurrence", le Conseil d'Etat met en avant que la publicité n'est évidemment pas une fin en soi, puisqu'elle n'est qu'un moyen de mise en concurrence. Ce qui importe véritablement, c'est cette dernière, afin que le rapport qualité/coût de l'achat public soit le meilleur possible, et que le plus grand nombre d'opérateurs économiques puisse accéder à la commande publique.

Parfois, la publicité n'est pas nécessaire dans la mesure où cette mise en concurrence peut être effectuée, par exemple, par la demande de devis à plusieurs entreprises, uniquement lorsque le montant estimé du marché est faible. Ce sera, ainsi, le cas en matière de travaux publics peu onéreux (l'appréciation est évidemment subjective mais des travaux de peinture pour un montant de 3000 euros ne nécessitent objectivement pas la parution d'un avis d'appel public à la concurrence). Le Conseil d'Etat indique qu'il est donc parfois possible de se passer d'une publicité. En revanche, il précise clairement qu'il est plus rare de pouvoir se passer d'une mise en concurrence "sans publicité, voire sans mise en concurrence". L'on comprend que l'absence de mise en concurrence doit véritablement être exceptionnelle.

Il est, toutefois, possible de décider qu'un marché public sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans un certain nombre de cas, limitativement énumérés (4) par la Haute juridiction administrative. Ces cas sont au nombre de deux : lorsque les formalités de publicité et/ou de mise en concurrence sont impossibles, ou lorsqu'elles sont manifestement inutiles.

Il faut bien admettre qu'il est très rare que la réalisation de ces formalités soit impossible. Bien évidemment, l'on songe à l'urgence ou à la survenance de faits particulièrement graves, comme des catastrophes naturelles, qui empêcheraient la passation d'une publicité, ou la mise en concurrence des opérateurs économiques. L'on comprend aisément qu'en principe, un pouvoir adjudicateur ne pourra pas se réfugier derrière de telles circonstances.

Il peut, également, arriver, de manière plus fréquente, que les formalités de publicité ou de mise en concurrence soient "manifestement inutiles". Là encore, le Conseil d'Etat est exigeant en ne visant pas simplement les formalités inutiles mais des formalités "manifestement inutiles". Il faut donc que l'inutilité soit flagrante et incontestable. La Haute juridiction administrative donne trois exemples d'hypothèses dans lesquelles les formalités sont manifestement inutiles : ce peut être en raison de l'objet du marché, de son montant, ou du degré de concurrence dans le secteur considéré. Il est évident que, lorsqu'il n'y a aucune concurrence sur le marché concerné, une publicité et une mise en concurrence n'auraient pas beaucoup d'utilité (5). C'est, également, le cas lorsque l'achat public est d'un montant dérisoire, par exemple s'il s'agit d'un achat inhabituel d'un montant d'une dizaine d'euros. Toutefois, en ce qui concerne le montant du marché, se pose évidemment la question de savoir à partir de quel seuil la mise en concurrence ou la publicité ne seront plus manifestement inutiles. Il est, encore, beaucoup plus difficile de déterminer les hypothèses dans lesquelles l'objet même du marché conduirait à conclure que les formalités de publicité ou de mise en concurrence seraient manifestement inutiles. Selon le Conseil d'Etat, c'est donc de manière rare, voire même exceptionnelle, qu'un pouvoir adjudicateur peut conclure un marché sans publicité, ni mise en concurrence préalable.

En toute logique, ce raisonnement le conduit à annuler le seuil de 20 000 euros en deçà duquel les marchés publics peuvent être conclus sans publicité, ni mise en concurrence, dans la mesure où les marchés d'un montant inférieur à cette somme n'ont, en aucun cas, un caractère rare, et encore moins exceptionnel.

B - L'impossibilité de fixer, de manière générale, un seuil à 20 000 euros

La fixation de ce seuil de 20 000 euros, même si elle a globalement fait le bonheur des acheteurs publics, avait été vivement critiquée par des commentateurs (6). En effet, d'un point de vue économique, il paraissait peu convaincant que le simple relèvement du seuil en deçà duquel il était possible de conclure des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence pouvait conduire les pouvoirs adjudicateurs à conclure un plus grand nombre de marchés. Par ailleurs, la volonté de promouvoir l'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique, qui était l'un des objectifs du pouvoir réglementaire lors de l'entrée en vigueur du Code des marchés publics le 1er septembre 2006, semblait être soudainement méconnue, puisqu'il y avait un risque que ces PME soient aisément écartées des marchés d'un montant inférieur à 20 000 euros, qui pourtant, pour nombre d'entre elles, constituent leur coeur de cible.

Ensuite, si le seuil de 20 000 euros pouvait paraître relativement bas pour certains marchés comme ceux de travaux, en revanche il était incontestablement élevé en matière de fournitures, et surtout en matière de services. En effet, même pour des collectivités territoriales de taille respectable, de nombreux marchés publics de prestations de services sont conclus pour des montants inférieurs à cette somme (7). De plus, pour de très nombreuses petites communes, le seuil de 20 000 euros était bien trop élevé puisque la plupart des montants de leurs marchés publics, hormis évidemment les marchés de travaux les plus importants, sont situés en dessous de ce seuil. Une mise en concurrence n'était, ainsi, que rarement réalisée pour les achats de ces petites collectivités territoriales, pourtant si nombreuses en France (8).

Ce sont assurément ces critiques que le Conseil d'Etat a fait siennes, puisqu'il indique que le relèvement du seuil à 20 000 euros "de manière générale" méconnaît les principes exposés à l'article 1er du Code des marchés publics. C'est donc l'application de ce seuil à tous les types de marchés publics de tous les pouvoirs adjudicateurs qui a posé difficulté. Il paraît évident que si ce seuil n'avait existé que pour les travaux, le Conseil d'Etat l'aurait jugé légal.

En défense, le ministère de l'Economie faisait valoir que, dans d'autres pays de l'Union européenne, le seuil en deçà duquel la conclusion des marchés publics peut être effectuée sans publicité ni mise en concurrence est plus élevé que le seuil initial de 4 000 euros, puisqu'il est, par exemple, de 5 à 50 000 euros en Allemagne selon les Länders et selon la nature du marché, de 15 000 euros en Grèce, de 29 000 euros en Italie, ou encore de 40 000 euros en Autriche. Mais comparaison n'est pas raison. Comme l'a parfaitement relevé Nicolas Boulouis, Rapporteur public dans cette affaire, une telle comparaison "est une erreur manifeste car les montants cachent des disparités importantes. Les éléments quantitatifs des autres Etats membres sont à manier avec circonspection. Ainsi, si l'Allemagne ne fait pas de publicité sous certains seuils, une trace du dépôt des offres est demandée. Les principes de la commande publique ne sont pas négligés par ces Etats" (9).

Il est aussi impératif de garder à l'esprit que la France compte beaucoup plus de collectivités territoriales que les autres Etats membres de l'Union européenne (10), et qu'il est donc normal que le seuil soit moins élevé en France que dans d'autres Etats. Enfin, comme cela vient d'être indiqué, dans plusieurs pays, les seuils sont différents selon qu'il s'agit de travaux, de fournitures ou de services, ce qui n'est pas le cas en France.

Il est évidemment loisible de s'interroger sur la position de l'Union européenne quant à ce débat français sur le seuil au-delà duquel les pouvoirs adjudicateurs doivent mettre en place au moins une procédure adaptée, mais aucune réponse satisfaisante ne peut en être attendue. En effet, les principes du Traité instituant la Communauté européenne, dont, évidemment, la libre concurrence, ne sont applicables que pour les marchés présentant un "intérêt transfrontalier" (11). Or, les marchés d'un montant très faible ne présentent pas, en principe, un tel intérêt, encore que ce ne soit nullement évident en ce qui concerne les pouvoirs adjudicateurs situés à proximité d'une frontière. Ainsi, en Alsace, de nombreux artisans allemands peuvent être intéressés pour la réalisation de travaux courants dans des communes françaises. Surtout, un seuil unique ne permet pas de distinguer les marchés qui auraient un intérêt transfrontalier de ceux qui n'en n'auraient pas. Pour reprendre un exemple célèbre (12), la programmation de l'implantation d'un musée peut constituer un marché d'un montant assez faible mais, vu le peu d'acteurs sur le marché concerné, l'on ne voit pas pourquoi des opérateurs économiques d'autres pays membres de l'Union européenne ne seraient pas intéressés. Surtout, quelle que soit la position de l'Union européenne et de la Cour de justice de l'Union européenne sur ce point, ce sont bien les principes fondamentaux posés par le Code des marchés publics qui doivent être impérativement respectés par tout pouvoir adjudicateur, d'où le rappel effectué par le Conseil d'Etat de ces principes fondamentaux du droit des marchés publics.

II - Un rappel des principes fondamentaux

Le Conseil d'Etat rappelle, dans l'arrêt commenté, que les principes posés par le II de l'article 1er du Code des marchés publics doivent toujours être respectés (A). Les pouvoirs adjudicateurs doivent donc être des plus prudents à ce propos. Il est, ainsi, nécessaire de s'interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour respecter, à chaque achat, ces principes (B).

A - Des principes devant toujours être respectés

Hormis les hypothèses mises en avant par le Conseil d'Etat et ci-dessus rappelées, dans lesquelles il est possible de conclure un marché public "sans publicité, voire sans mise en concurrence", il est acquis que les principes de liberté d'accès à la commande, d'égalité de traitement des candidats, et de transparence des procédures doivent être respectés dès le premier euro dépensé par un pouvoir adjudicateur.

Bien évidemment, l'annulation du seuil des 20 000 euros par le Conseil d'Etat fait "revivre" celui de 4 000 euros auquel il succédait. Mais cela ne signifie nullement que ce seuil de 4000 euros soit conforme aux principes énoncés par l'article 1er du Code des marchés publics et constitue un pare-feu imparable pour les pouvoirs adjudicateurs qui décideraient de ne jamais procéder à une publicité, ou même à une mise en concurrence en deçà de ce seuil. Le Conseil d'Etat n'était pas saisi de cette question et ne s'est donc pas prononcé sur ce point. Mais il serait parfaitement possible, pour un requérant, de contester la décision d'un pouvoir adjudicateur de ne pas procéder à une publicité et surtout à une mise en concurrence pour un marché d'un montant inférieur à 4 000 euros, en soulevant l'exception d'illégalité de l'article 28 du Code des marchés publics qui prévoit de nouveau ce seuil.

Le seuil de 4 000 euros pose, certes, beaucoup moins de difficultés que celui de 20 000 euros qui avait été fixé de manière volontariste dans l'objectif de lutter contre la crise (13). Ainsi, en matière de travaux, le seuil de 4 000 euros paraît raisonnable, au moins en ce qu'il permet de conclure des marchés d'un montant inférieur sans publicité. L'on peut, toutefois, être moins convaincu à propos de l'absence d'une mise en concurrence lorsqu'il s'agit de très petites collectivités territoriales pour lesquelles une dépense d'un peu moins de 4 000 euros n'est pas tout à fait négligeable (14).

En revanche, pour certaines fournitures et surtout certains services, le seuil de 4 000 euros peut encore sembler trop important, une fois de plus si l'on raisonne à l'échelle des petites collectivités territoriales. Il faut bien garder à l'esprit que ce montant permet à un pouvoir adjudicateur de passer un marché sans aucune publicité ni mise en concurrence, pour la réalisation, par exemple, d'une ou de plusieurs études, qui n'auront peut être pas beaucoup d'intérêt pour la collectivité concernée, mais qui seront systématiquement demandées au même opérateur économique chaque année. A moyen terme, la dépense publique concernée ne sera pas anecdotique, pas plus que ne le sera le chiffre d'affaires de l'heureux opérateur économique concerné. Il y a là, notamment du point de vue du principe de transparence, la possibilité de pratiques que l'on peut légitimement souhaiter ne plus rencontrer.

Ce qui signifie que les pouvoirs adjudicateurs doivent être prudents, même lorsqu'il s'agit de conclure des marchés publics d'un montant de moins de 4 000 euros. Il est donc impératif qu'ils prennent en considération les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, dès le premier euro dépensé, et qu'ils en gardent la trace.

B - Les moyens à mettre en oeuvre pour respecter ces principes

Lorsque le montant estimé du marché est inférieur à 4 000 euros, une publicité sous la forme d'un avis publié en mairie, sur un site internet ou même dans un journal est évidemment possible. La publicité faite sur le site internet du pouvoir adjudicateur est, ainsi, à encourager vivement. Mais la publicité prendra souvent la forme d'une demande de devis à des opérateurs économiques, le nombre de devis devant varier selon l'objet et le montant du marché. S'il s'agit d'un marché pour lequel un montant important est rapidement atteint, par exemple en matière de travaux, trois devis paraissent suffisants. En revanche, pour des prestations moins onéreuses, il peut être raisonnable d'aller jusqu'à 5, voire 7 devis.

Pour les prestations d'un montant véritablement faible, par exemple pour l'achat de fournitures de bureau par une petite collectivité territoriale, il paraît suffisant de demander chaque année à quelques fournisseurs leurs catalogues afin de pouvoir, à chaque commande, comparer les prix. De manière générale, il peut être intéressant de publier chaque année la liste des "petits achats" qui sont habituellement effectués afin que tout opérateur économique intéressé puisse se faire connaître. Lorsque des devis ou des catalogues sont à demander, il convient, évidemment, de ne pas limiter la demande à des opérateurs économiques situés sur territoire de la collectivité concernée, mais d'interroger, également, des opérateurs situés à l'extérieur de celle-ci, dans des limites géographiques acceptables.

L'essentiel est de garder les traces de ces démarches afin de pouvoir en apporter la preuve en cas de contestation par un opérateur économique. Il ne faut donc pas que les pouvoirs adjudicateurs hésitent à écrire leurs procédures internes d'achat, même pour les marchés d'un montant inférieur à 4 000 euros, et gardent, évidemment, une copie de toutes les notes et correspondances, même effectuées par voie électronique, qui ont été rédigées dans l'optique de respecter les principes fondamentaux de la commande publique.

De cette manière, l'esprit de l'arrêt commenté pourra être jugé comme respecté. Certains trouveront que c'est aller trop loin dans la mise en concurrence des opérateurs économiques et compliquer inutilement le travail des acheteurs publics. Mais l'on pourrait leur rétorquer que les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures s'accordent mal avec l'idée même de seuils, et que la bonne gestion des deniers publics justifie bien un tel effort. C'est pourquoi, il nous semble que l'arrêt rendu en l'espèce par le Conseil d'Etat doit être approuvé sans la moindre réserve.


(1) Il s'agissait de mettre en pratique la volonté du Président de la République, exprimé lors de son discours de Douai le 4 décembre 2008.
(2) C. marchés publ., art. 28 (N° Lexbase : L3183ICU), modifié en ce sens.
(3) CE 1° s-s., 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres (N° Lexbase : A1829DCQ), p. 197, Conclusions Devys, GAJA n° 116.
(4) Voir l'expression "dans les seuls cas" utilisée par le Conseil d'Etat.
(5) Mais le pouvoir adjudicateur doit avoir la certitude de cette absence de concurrence, ce qui n'est pas aisé. La plus grande prudence est donc de mise à ce propos.
(6) Voir, par exemple, notre article, Une réforme (trop) circonstancielle du Code des marchés publics, Lexbase Hebdo - édition publique n° 97 du 4 février 2009 (N° Lexbase : N4850BIH).
(7) Notamment les marchés de prestations de service juridique.
(8) Il faut bien se rappeler que 31 927 communes (sur un total de 36 569 en 2008) ont moins de 2 000 habitants, et que plus de 10 000 communes ont moins de 200 habitants.
(9) Cité par C. Emery, Marchés publics : le seuil de 20 000 euros sur la sellette, site internet du Moniteur, 14 janvier 2010.
(10) Lorsque l'Union européenne comptait 15 membres, la France avait autant de communes que les 14 autres Etats réunis.
(11) Voir CJCE, 13 novembre 2007, aff. C-507/03, Commission des Communautés européennes c/ Irlande (N° Lexbase : A5367DZS).
(12) Voir CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2005, n° 278732, Région Nord-Pas-de-Calais (N° Lexbase : A6994DKA), et, notamment, notre commentaire De la publicité des marchés publics à procédure adaptée, RLCT, 2006/1, n° 228.
(13) Voir, sur ce point, un article paru dans les Echos le 11 février 2010, selon lequel "tout n'est pas permis au nom de la lutte contre la crise".
(14) L'on songe, évidemment, aux plus de 10 000 communes qui comptent moins de 200 habitants.

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