La lettre juridique n°190 du 17 novembre 2005

La lettre juridique - Édition n°190

Éditorial

Code des marchés publics : cent fois sur le métier, remets ton ouvrage

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N0865AKA

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Deux ans... Telle aura été, sans doute, l'espérance de vie du Code des marchés publics version 2004 ! Pourtant, le Nouveau Code des marchés publics, entré en vigueur le 10 janvier 2004, était le fruit d'une large concertation menée depuis novembre 2002 avec l'ensemble des acteurs de la commande publique, le système mis en oeuvre lors de la précédente réforme du 7 mars 2001 ne correspondant pas aux souhaits de simplification, de souplesse et d'efficacité des acheteurs publics. Mais, l'adoption le 31 mars 2004 des directives "marchés publics" nécessite une transposition en droit national avant le 31 janvier 2006. En conséquence, un projet de décret réformant le Code des marchés publics a été élaboré pour transposer les directives communautaires aux organismes soumis au Code des marchés publics. Ce projet intègre l'ensemble des souplesses et nouveautés du droit communautaire de la commande publique. Il clarifie, également, certains points qui se sont révélés source de difficultés d'application ou d'interprétation pour les acteurs de la commande publique (Code des marchés publics et Code Général des Collectivités Territoriales, qui peut signer quoi et comment -ordonnance du 6 juin 2005- ? ; les contrats d'emprunts et le décret du 27 mai 2005 ; les marchés de service de l'article 30 et la modification du 24 août 2005, sur ce sujet lire Chrystel Farnoux, Responsable du service juridique de la Chambre de commerce et d'industrie de l'Essonne...). Et les récentes décisions jurisprudentielles ne font que raviver le débat. Quid de cet arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre dernier qui a annulé la procédure de passation du marché passé par la Région Nord-Pas-de-Calais, ayant pour objet la programmation de l'implantation d'une antenne du musée du Louvre à Lens, en ce que les mesures de publicité ne permettaient pas d'assurer une publicité suffisante auprès des programmistes ayant vocation à y répondre de telle sorte que soient respectés les principes de libre accès à la commande et d'égalité de traitement des candidats ; arrêt qui semble encadrer la liberté laissée aux acheteurs publics de déterminer les modalités de publicité et de mise en concurrence ? Quid des deux décisions des 29 juin et 7 octobre dernier, par lesquelles le Conseil d'Etat a rendu obligatoire la pondération des critères de jugement des offres dans les procédures de marchés publics ? Quid de cette décision en date du 4 novembre 2005, par laquelle le Conseil d'Etat a clos, au moins pour un temps, le débat qui s'était cristallisé autour de la qualification des contrats de mobilier urbain, en se prononçant pour leur soumission au Code des marchés publics et donc à l'obligation de mise en concurrence préalable ? Autant d'interrogations auxquelles la deuxième édition de la Revue Lexbase de Droit Public tente de répondre, vous apportant un éclairage original (cf. le point de vue de Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice) et professionnel (cf. les points de vue de Maître Sudaka, Avocat associé, et Maître Kaladjian, Avocat à la Cour, Cabinet Neveu, Sudaka et associés ; celui de Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale) sur un droit des marchés publics en perpétuel mouvement depuis 2001.

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Contrôle fiscal

[Textes] L'entrée en vigueur de la Convention sur l'assistance administrative mutuelle du 25 janvier 1988

Réf. : Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale du 25 janvier 1988

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N0882AKU

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Le 07 Octobre 2010

Si le développement des mouvements internationaux de personnes, de capitaux, de biens et de services peut être considéré par les différents Etats comme largement bénéfique, en revanche, selon ces derniers, il a accru les possibilités d'évasion et de fraude fiscales. Partant de ce constat les Etats membres du Conseil de l'Europe et les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ont considéré nécessaire d'organiser une coopération croissante entre les autorités fiscales comme aboutissement de tous les efforts déployés au cours des dernières années sur le plan international, que ce soit à titre bilatéral ou multilatéral, pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales. Cette Convention a été à ce jour ratifiée par une douzaine de pays dont les Etats-Unis, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique et l'Italie (*). Parmi ceux qui ont refusé d'approuver la Convention on notera l'Allemagne, le Luxembourg, la Suisse et le Lichtenstein (**). C'est ainsi qu'est née la convention portant assistance administrative mutuelle en matière fiscale signée par les Etats membres du Conseil de l'Europe et les pays membres de l'OCDE, le 25 janvier 1988.
L'approbation de cette Convention par la France a été autorisée par la loi n° 2005-225 du 14 mars 2005 (N° Lexbase : L0862G8G), et est entrée en vigueur le ler septembre 2005, puis publiée au Journal officiel du 24 septembre 2005 par un décret en date du 19 septembre 2005 (décret du 19 septembre 2005, n° 2005-1198, portant publication de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (ensemble deux annexes) N° Lexbase : L6028HCA).

Cette Convention est accompagnée de deux annexes. La première annexe porte plus particulièrement sur les impôts auxquels s'applique la convention et la seconde annexe, sous forme d'une déclaration, décrit le champ d'application territorial de cette dernière.

On observera que l'objet de la Convention (art. 1) ne couvre pas seulement l'assistance administrative proprement dite, suivant des modalités d'application pratiques visées au chapitre IV (art. 18 à 23), mais aussi, le cas échéant, les actes accomplis par des organes juridictionnels.

1. Rappel des principes fondamentaux et garanties des contribuables

Dans son préambule la Convention rappelle que cette coopération internationale doit assurer le respect des principes fondamentaux "en vertu desquels toute personne peut, dans la détermination de ses droits et obligations, prétendre à une procédure régulière" lesquels "doivent être reconnus dans tous les Etats comme s'appliquant en matière fiscale" et que ces derniers doivent "s'efforcer de protéger les intérêts légitimes du contribuable, en lui accordant notamment une protection appropriée contre la discrimination et la double imposition".

En effet, la volonté affichée des Etats signataires de la Convention de faciliter l'évaluation correcte des obligations fiscales de leurs contribuables doit les conduire en contrepartie, selon la Convention, à assurer une protection appropriée de leurs droits.

C'est ainsi que les Etats ne doivent pas prendre des mesures, ni fournir des renseignements, d'une manière qui ne soit pas conforme à leur droit et à leur pratique, et doivent tenir compte du caractère confidentiel des renseignements, ainsi que des instruments internationaux relatifs à la protection de la vie privée et au flux de données de caractère personnel.

Pour procéder à l'établissement et à la perception des impôts, au recouvrement des créances fiscales ou aux mesures d'exécution y relatives et, exercer des poursuites devant une autorité administrative ou engager des poursuites pénales devant un organe juridictionnel, la Convention précise (art. 4) que les renseignements échangés entre les parties doivent "paraître pertinents". Les renseignements qui, selon "toute vraisemblance, seraient dénués de pertinence au regard des objectifs" précités de la Convention, ne peuvent selon cette dernière faire l'objet d'échange.

Par ailleurs, il est également précisé que les renseignements doivent être produits avec l'autorisation préalable de la partie qui les a fournis, lorsqu'ils sont utilisés comme moyen de preuve devant une juridiction pénale, sauf si les parties intéressées, d'un commun accord ont renoncé à cette condition.

En outre, une partie peut, par une simple déclaration indiquer que, conformément à sa législation interne, ses autorités peuvent informer son résident ou ressortissant avant de fournir des renseignements le concernant en application des articles 5 (échange de renseignements sur demande) et 7 (échange spontané de renseignements) de la Convention.

Enfin, la convention apporte des précisions sur les conditions et modalités des demandes de l'Etat requérant à l'Etat requis (art. 18 à 21) et sur le secret des renseignements obtenus qu'ils doivent garantir (art. 22). Ainsi, la demande de l'Etat requérant doit être conforme à sa législation et à sa pratique administrative (art. 18) et être présentée après épuisement de tous les moyens dont il dispose sur son propre territoire, à moins que leur usage ne donne lieu à des difficultés disproportionnées (art. 19). A défaut de ces conditions, l'Etat requis peut décliner la demande de l'Etat requérant. La protection des personnes et les limites de l'obligation d'assistance se trouvent clairement établies par la déclaration (art. 21), qu'aucune disposition de la Convention ne peut être interprétée comme limitant les droits et garanties accordés aux personnes par la législation ou la pratique de l'Etat requis.

Cette assistance administrative comprend (art. 2) l'échange de renseignements (Section I, art. 4 à 7), y compris les contrôles fiscaux simultanés et la participation à des contrôles fiscaux menés à l'étranger (Section I, art. 8 à 10) ainsi que le recouvrement des créances fiscales, y compris les mesures conservatoires (Section II, art. 11 à 16) et, enfin, la notification de documents (Section III, art. 17).

2. L'échange de renseignements

Il est précisé, par la Convention, en ce qui concerne les personnes visées par cette dernière, que la partie accordera son assistance administrative, que la personne affectée soit un résident ou un ressortissant d'une partie ou de tout autre Etat.

Les impôts visés par la Convention couvrent de manière très large les impositions de toute nature (art. 2) dont notamment l'impôt sur le revenu ou les bénéfices, les impôts sur les gains en capital qui sont perçus séparément de l'impôt sur le revenu.

Le terme "impôt", au sens de la Convention, désigne tout impôt ou cotisation de sécurité sociale.

2.1. L'échange de renseignements proprement dits (art. 5 à 7)

i) L'échange de renseignements sur demande (art. 5) vise la demande d'un Etat requérant, à un autre Etat, l'Etat requis, de lui fournir tout renseignement (art. 4) concernant une personne ou une transaction déterminée.

Si les renseignements disponibles dans les dossiers fiscaux de l'Etat requis ne lui permettent pas de donner suite à la demande de renseignements, il doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de fournir à l'Etat requérant les renseignements demandés.

ii) L'échange automatique de renseignements (art. 6) vise des renseignements (art. 4) pour des catégories de cas et selon les procédures qu'elles déterminent d'un commun accord.

iii) L'échange spontané de renseignements (art. 7) vise la communication par une partie sans demande préalable, à une autre partie, d'informations dont elle a connaissance dans les situations suivantes :

- la première partie a des raisons de présumer qu'il existe une réduction ou une exonération anormale d'impôt dans l'autre partie ;

- un contribuable obtient, dans la première partie, une réduction ou une exonération d'impôt qui devrait entraîner pour lui une augmentation d'impôt ou un assujettissement à l'impôt dans l'autre partie ;

- des affaires entre un contribuable d'une partie et un contribuable d'une autre partie sont traitées par le biais d'un ou plusieurs autres pays, de manière telle qu'il peut en résulter une diminution d'impôt dans l'une ou l'autre ou dans les deux ;

- une partie a des raisons de présumer qu'il existe une diminution d'impôt résultant de transferts fictifs de bénéfices à l'intérieur de groupes d'entreprises ;

- à la suite d'informations communiquées à une partie par une autre partie, la première partie a pu recueillir des informations qui peuvent être utiles à l'établissement de l'impôt dans l'autre partie.

2.2. L'échange de renseignements par les contrôles fiscaux (art. 8 à 10) :

i) Les contrôles fiscaux simultanés (art. 8) sont ceux qui sont entrepris en vertu d'un accord par lequel deux ou plusieurs parties conviennent de vérifier simultanément, chacune sur son territoire, la situation fiscale d'une ou de plusieurs personnes qui présente pour elles un intérêt commun ou complémentaire, en vue d'échanger les renseignements ainsi obtenus.

A la demande de l'une d'entre elles, deux ou plusieurs parties se consultent pour déterminer les cas devant faire l'objet d'un contrôle fiscal simultané et les procédures à suivre. Chaque partie décide si elle souhaite ou non participer, dans un cas déterminé, à un contrôle fiscal simultané.

ii) Les contrôles fiscaux à l'étranger (art. 9) peuvent avoir lieu, lorsque à la demande de l'autorité compétente d'un Etat requérant, l'autorité compétente de l'Etat requis autorise les représentants de l'autorité compétente de l'Etat requérant à assister à la partie appropriée d'un contrôle fiscal dans l'Etat requis.

Si la demande est acceptée, l'autorité compétente de l'Etat requis fait connaître aussitôt que possible à l'autorité compétente de l'Etat requérant la date et le lieu du contrôle, l'autorité ou le fonctionnaire chargé de ce contrôle, ainsi que les procédures et conditions exigées par l'Etat requis pour la conduite du contrôle. Toute décision relative à la conduite du contrôle fiscal est prise par l'Etat requis.

Il convient toutefois d'observer que la Convention laisse à la partie concernée par ce type de demande, la faculté d'informer l'un des dépositaires de son intention de ne pas accepter, de façon générale, ce type de demande ; cette déclaration pouvant être faite ou retirée à tout moment.

Si une partie reçoit d'une autre partie des renseignements sur la situation fiscale d'une personne qui lui paraissent en contradiction (art. 10) avec ceux dont elle dispose, elle en avise la partie qui a fourni les renseignements.

3. Le recouvrement des créances fiscales (art. 11 à 16)

L'expression "créance fiscale désigne tout montant d'impôt ainsi que les intérêts, les amendes administratives et les frais de recouvrement y afférents qui sont dus et non encore acquittés".

A la demande de l'Etat requérant, l'Etat requis procède au recouvrement des créances fiscales, non contestées et faisant l'objet d'un titre, du premier Etat comme s'il s'agissait de ses propres créances fiscales.

On observera que dans l'hypothèse où la créance concerne une personne qui n'a pas la qualité de résident dans l'Etat requérant, la Convention s'applique seulement lorsque la créance ne peut plus être contestée, à moins que les parties concernées n'en soient convenues autrement.

Dans l'hypothèse du recouvrement des créances fiscales concernant une personne décédée ou sa succession, l'assistance est limitée à la valeur de la succession ou des biens reçus par chacun des bénéficiaires de la succession selon que la créance est à recouvrer sur la succession ou auprès des bénéficiaires de celle-ci.

Il est à noter que les questions concernant le délai (art. 14) au-delà duquel la créance fiscale ne peut être exigée sont régies par la législation de l'Etat requérant.

Les actes de recouvrement accomplis par l'Etat requis à la suite d'une demande d'assistance et qui, suivant la législation de cet Etat, auraient pour effet de suspendre ou d'interrompre le délai de l'Etat requérant, ont le même effet au regard de la législation de ce dernier Etat. L'Etat requis informe l'Etat requérant des actes ainsi accomplis.

Il sera observé qu'en tout état de cause, l'Etat requis n'est pas tenu de donner suite à une demande d'assistance qui est présentée après une période de quinze ans à partir de la date du titre exécutoire initial.

La créance fiscale pour le recouvrement de laquelle une assistance est accordée ne jouit dans l'Etat requis d'aucun des privilèges (art. 15) spécialement attachés aux créances fiscales de cet Etat, alors même que la procédure de recouvrement utilisée est celle qui s'applique à ses propres créances fiscales.

A la demande de l'Etat requérant, l'Etat requis prend des mesures conservatoires (art. 12) en vue du recouvrement d'un montant d'impôt, même si-la créance est contestée ou si le titre exécutoire n'a pas encore été émis.

La demande d'assistance administrative est accompagnée (art. 13) d'une attestation précisant que la créance fiscale concerne un impôt visé par la présente Convention et, en ce qui concerne le recouvrement, mention qu'elle n'est pas ou ne peut être contestée.

Est jointe également à cette attestation une copie officielle du titre permettant l'exécution dans l'Etat requérant ainsi que de tout autre document exigé pour le recouvrement ou pour prendre les mesures conservatoires.

Le titre permettant l'exécution dans l'Etat requérant est, s'il y a lieu et conformément aux dispositions en vigueur dans l'Etat requis, admis, homologué, complété ou remplacé dans les plus brefs délais suivant la date de réception de la demande d'assistance par un titre permettant l'exécution dans l'Etat requis.

Si sa législation ou sa pratique administrative le permet dans des circonstances analogues, l'Etat requis peut consentir un délai de paiement (art. 16) ou un paiement échelonné, après avoir au préalablement informé l'Etat requérant.

On notera avec intérêt, en conclusion, la satisfaction affichée, à l'occasion de l'adoption par la France de cette Convention, dans les rapports parlementaires, notamment, ceux du Sénat, aux termes desquels "la Convention est utile pour la France pour trois raisons majeures".

La première raison a trait au fait que "son caractère multilatéral élargit [...] les possibilités et l'efficacité de la coopération entre les Etats" ; la deuxième raison a trait au fait qu'elle "réglemente et renforce les garanties des contribuables" et qu'elle "permet l'assistance au recouvrement qui n'est nullement visée par les conventions fiscales bilatérales" ; la troisième raison, enfin, a trait au fait la Convention "en proposant un ensemble de règle en vue de la notification de documents à l'étranger, vient mettre de l'ordre dans une pratique administrative internationale aux frontières mal définies".

Jean-Marc Priol
Avocat au barreau des Hauts-de-Seine
Landwell & Associés


(*) Y compris la Suède, la Norvège, l'Islande, la Finlande, la Pologne et l'Azerbaïdjan.
(**) Texte signé mais non ratifié à ce jour ; Canada et Ukraine.

newsid:80882

Marchés publics

[Textes] Le décret du 24 août 2005 : la procédure allégée mise aux normes européennes

Réf. : Décret n° 2005-1008 du 24 août 2005 (N° Lexbase : L8142HB8)

Lecture: 6 min

N0723AKY

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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne

Le 07 Octobre 2010

L'article 30 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3900HCG) est l'objet, depuis quelques temps, de nombreux débats juridiques et évolutions réglementaires. En effet, l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 février 2005 était venu modifier le principe établi par le Code des marchés publics du 7 janvier 2004, à savoir la quasi liberté des personnes publiques concernant les modalités de passation des services non prévus par l'article 29 du même code (N° Lexbase : L1074DYG). Cette situation avait entraîné l'application de l'ensemble des règles du code aux marchés de service et ce, quelle que soit la prestation concernée, c'est-à-dire que celle-ci soit ou non prévue par l'article 29 (hormis pour les prestations de représentation d'une personne publique en vue du règlement d'un litige, pour lesquelles, la procédure allégée pouvait être mise en oeuvre).
Le décret n° 2005-1008 du 24 août 2005 (N° Lexbase : L8142HB8) est venu nuancer la situation découlant de l'annulation, par la Haute juridiction administrative, de l'alinéa 1er de l'article 30. En effet, ce dernier pose, tout en atténuant la liberté découlant de la rédaction initiale du code, des dérogations au principe de publicité de l'acte d'achat. La distinction entre les deux catégories de service est maintenue. Or, contrairement aux dispositions initiales, le décret, fort des termes posés par la jurisprudence précitée, limite l'obligation de publicité et même de mise en concurrence, concernant les prestations non listées par l'article 29, aux marchés dont les caractéristiques empêchent la mise en oeuvre de toute mesure de publicité ou rendent celles-ci inutiles.
Ainsi, il convient de se demander quelles sont, désormais, les obligations des entités soumises au code, pour les prestations de services ne figurant pas à l'article 29.
  • Quelle mesure de publicité ?

Contrairement à la dérogation générale et inconditionnelle posée par les rédacteurs des dispositions d'origine, le décret du 24 août 2005 inverse la logique en posant le principe de publicité ou le cas échéant, de mise en concurrence, de l'acte d'achat.

Or, à ce principe, est attachée une dérogation. En effet, l'alinéa 3 de l'article 30 modifié, prévoit qu'aucune publicité ou mise en concurrence ne pourra être faite quand, au regard des caractéristiques du marché et notamment au regard de son objet, de son montant ou encore du degré de concurrence entre les prestataires, celles-ci s'avèrent impossibles à initier ou encore inutiles. Nonobstant l'analyse au cas par cas qui devra systématiquement être menée, cette dérogation pourrait notamment s'appliquer pour des prestations artistiques ou pour lesquelles, il n'existe qu'un fournisseur ou qu'un nombre limité, déterminé et connu de fournisseurs. Or, dans cette dernière hypothèse, si la publicité s'avère inutile, la mise en concurrence devra cependant, être mise en oeuvre.

  • Quelle procédure ?

En dehors des rares cas où la personne publique est autorisée à passer outre toute mesure de publicité ou de mise en concurrence (cf. supra), celle-ci ne pourra choisir un prestataire qu'à l'issue d'une procédure de passation respectant les principes fondamentaux que sont la transparence des procédures, la liberté d'accès à la commande publique et l'égalité de traitement des candidats et soumissionnaires à un marché (C. marchés publ., art. 1er N° Lexbase : L1067DY8).

Ladite procédure peut être la procédure adaptée, comme cela est autorisé par l'alinéa 1er de l'article 30 modifié. Cependant, il paraît inconcevable (alors même que le service relève sans aucun doute, de l'article 30), car juridiquement injustifiable, d'utiliser cette procédure dans l'hypothèse où les caractéristiques du marché permettent la mise en oeuvre d'un appel d'offres ou de toute autre procédure formalisée (en cas de marchés d'un montant supérieur au seuil de 150 000 euros HT pour l'Etat et de 230 000 euros HT pour les collectivités territoriales). Citons à cet égard, les prestations de gardiennage pour lesquelles rien n'empêche de suivre l'intégralité des dispositions réglementaires prévues en matière d'appel d'offres.

  • Quelles règles applicables ?

Les règles applicables aux procédures lancées en application de l'article 30 modifié, sont celles prévues par :

- le titre I du code, relatif à son champ d'application et aux principes fondamentaux inhérents à la qualification même de marché public. Rappelons, en effet, que tout marché doit être passé, indépendamment de la procédure de passation mise en oeuvre (procédures adaptée, allégée ou formalisée), en respectant les trois principes précités (cf. supra - Quelle procédure ?).

En outre, l'article 6 du code (N° Lexbase : L3901HCH) relatif à la définition des prestations n'est obligatoire qu'à partir du seuil de 230 000 euros HT (rappelons à cet égard, que le seuil de déclenchement est, pour les marchés ne relevant pas de l'article 30, de 150 000 euros HT pour l'Etat).

- le titre II hormis les dispositions incluses dans son chapitre V, à savoir celles relatives aux documents constitutifs du marché et plus particulièrement aux clauses obligatoires à insérer dans lesdites pièces.

Il convient, à cet égard, de souligner que lorsque la personne morale passant le marché se situe dans le cadre de l'article 30, le caractère écrit du contrat n'est pas rendu obligatoire. Cette disposition mérite quelques développements. En effet, même si le caractère écrit du contrat n'est pas obligatoire, nous ne pouvons que conseiller aux personnes publiques de rédiger des contrats écrits, sécurisant juridiquement (clauses relatives aux pénalités, aux modalités de vérification de la prestation, à la résiliation pour motif d'intérêt général ou pour faute du cocontractant...) mais aussi économiquement (objet précis du marché et contenu du prix -notamment au regard de son caractère forfaitaire- sur lequel le titulaire s'est engagé...) le contrat passé engageant, quelquefois de manière substantielle, l'Etat ou la collectivité passant le marché. Enfin, l'engagement écrit des parties est, en cas de contentieux, le mode de preuve le plus efficace pour faire valoir ses droits issus de l'application des clauses contractuelles.

-  le titre III, à l'exception des dispositions relatives à l'organisation de la publicité (articles 39 N° Lexbase : L8744GYI et 40 N° Lexbase : L8746GYL), à l'information des candidats potentiels (articles 41 N° Lexbase : L6445DYD, 42 N° Lexbase : L1085DYT) et rejetés (article 77 N° Lexbase : L6448DYH), aux modalités de présentation des offres (articles 48, 49 et 50 N° Lexbase : L1090DYZ) ; au groupement d'entreprises (section 6), à l'examen des candidatures et des offres (section 7), à la dématérialisation (section 8), aux procédures de passation (chapitre IV), aux marchés fractionnés, de définition et de maîtrise d'oeuvre (chapitre V), aux avenants (article 75 N° Lexbase : L1118DY3), à l'obligation de notification (article 79 N° Lexbase : L1110DYR). Nous ne pouvons encore une fois que conseiller aux acheteurs, dans un but de sécurisation du marché mais aussi afin d'optimiser son exécution, de mettre en oeuvre ou a minima, de s'inspirer, de certaines des dispositions précitées.

Nous prendrons ici deux exemples :

- l'examen des candidatures et des offres : les règles posées par le code permettent notamment de participer à la mise en oeuvre pratique du principe de transparence qui, rappelons le, doit être respecté quelle que soit la procédure mise en oeuvre ;

- la notification en bonne et due forme du marché paraît incontournable, notamment, afin d'anticiper (lorsque aucune date précise de prise d'effet n'est fixée), sur d'éventuels désaccords sur le champ d'application temporel dudit marché, c'est-à-dire sur sa durée (notamment en cas de marché "à bons de commande").

  • Quel organe compétent pour attribuer le marché ?

L'attribution du marché est de la compétence de la personne responsable du marché en dessous du seuil de 230 000 euros HT. Au dessus de ce seuil, compétence est donnée à la personne responsable du marché après avis de la commission d'appel d'offres pour l'Etat et de la commission d'appel d'offres pour les collectivités territoriales. La compétence de la personne responsable du marché se trouve donc élargie concernant l'Etat, l'avis de la commission d'appel d'offres étant normalement requis à partir de 150 000 euros HT.

En outre, il convient de préciser que les règles d'attribution prévues par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) modifiées par l'ordonnance n° 2005-645 du 6 juin 2005 (N° Lexbase : L8432G8S), s'appliquent aux personnes publiques entrant dans son champ d'application. Ainsi, l'assemblée délibérante (conseil municipal pour les communes et commission permanente pour les conseils généraux et régionaux) devra se prononcer (en amont ou en aval selon le cas d'espèce - cf. ordonnance précitée) sur tous les marchés d'un montant égal ou supérieur au seuil de 230 000 euros HT ou en cas d'absence de délégation de l'assemblée délibérante (CGCT, art. 2122-22 N° Lexbase : L7906HBG pour les communes, art. 3221-11 N° Lexbase : L4803AWS pour les départements et art. 4231-8 N° Lexbase : L4804AWT pour les régions), en dessous de ce seuil.

  • Quelle mesure de publicité a posteriori ?

Concernant lesdites mesures, il conviendra pour la personne publique, d'envoyer un avis d'attribution en cas de procédure dont le montant est égal ou supérieur à 230 000 euros HT (rappelons qu'en dehors de la procédure de l'article 30, le seuil est fixé à 150 000 euros HT pour l'Etat).

En outre, cette dernière devra, le cas échéant, transmettre le marché aux organes de contrôle (notamment contrôle de légalité). Rappelons, en effet, que cette obligation est prévue par les articles L. 2131-2 N° Lexbase : L2001GUN, L. 3131-2 N° Lexbase : L1855GUA et L. 4141-2 N° Lexbase : L1973GUM du Code général des collectivités territoriales, et rappelée par l'article 78 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L6449DYI).

Une précision semble devoir être apportée : le fait que la notion de procédure adaptée figure à l'alinéa 1er de l'article 30 modifié n'exclue pas, pour autant, la transmission du marché au contrôle de légalité. En effet, le décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 (N° Lexbase : L4183GUH) pris en vue d'adapter le Code général des collectivités territoriales au nouveau Code des marchés publics, précise que les marchés sans formalités préalables mentionnés dans le CGCT sont les marchés d'un montant inférieur aux seuils fixés par l'article 28 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8735GY8) à savoir, 150 000 euros HT pour l'Etat et à 230 000 euros HT pour les collectivités territoriales. Ainsi, seuls sont concernés les marchés passés selon la procédure adaptée eu égard à leur montant et non à leur nature.

Enfin, nous remarquerons que l'article 76 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1109DYQ) est applicable aux marchés passés selon l'article 30 et dont le montant est égal ou supérieur à 230 000 euros HT et ce, contrairement à sa rédaction initiale. Ainsi, l'ensemble des candidats et soumissionnaires devra être informé de la décision prise à leur égard ainsi que, le cas échéant, de la décision prise par la personne publique de déclarer la consultation infructueuse ou sans suite.

En outre, le délai de carence de 10 jours entre la notification des rejets et la notification du marché à l'attributaire, devra être respecté.

newsid:80723

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Conventions fiscales bilatérales et contributions sociales sur les revenus d'activité

Réf. : Cass. 2ème civ., 8 mars 2005, n° 03-30.700, SA Dalle c/ URSSAF de Lille, FS-P+B (N° Lexbase : A2644DHE), Cass., avis, 2 septembre 2005, n° 05-00006, M. X c/ Urssaf (N° Lexbase : A5259DLD)

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N0783AK9

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation s'est prononcée, dans un arrêt du 8 mars 2005, sur l'imposition à la CSG et à la CRDS des revenus d'activité de source française perçus par les Français ayant leur domicile ou leur résidence dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, elle a soumis à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) la question de savoir si le Règlement n° 1408-71 (Règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L4570DLT) peut faire obstacle à l'application des stipulations des conventions fiscales bilatérales. 1. Par un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation a confirmé le caractère de cotisations sociales de la CSG et de la CRDS, tout en faisant l'impasse sur les dispositions du Code de la sécurité sociale rendues applicables aux revenus de source française perçus par les Français résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne par les dispositions de l'article 13 du Règlement n° 1408-71

Alors qu'actuellement de nombreuses entreprises font l'objet de procédures de redressement de la part des Urssaf pour avoir omis d'acquitter la CSG et la CRDS sur les salaires des travailleurs exerçant une activité professionnelle en France mais résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne, la Cour de cassation s'est prononcée sur l'assujettissement à ces deux contributions des salaires versés aux travailleurs exerçant une activité en France et résidant en Belgique, en se référant à la seule condition d'exercice d'une activité en France au sens de l'article 13 du Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, qui dispose que "le travailleur occupé sur le territoire d'un Etat membre est soumis à la législation de cet Etat, même s'il réside sur le territoire d'un autre Etat membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre Etat membre".

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a repris la qualification de cotisations sociales donnée à ces contributions par un précédent arrêt rendu par la Chambre sociale de la même Cour (Cass. soc., 5 avril 2001, n° 99-18.886, Société Ideal Fibers c/ URSSAF de Lille N° Lexbase : A9764ATS), ceci en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s., 7 janvier 2004, n° 237395, Mme Martin c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6765DAS) et du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2000-437 DC, du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : A1162AIU). Rappelons à cet égard que, dans deux arrêts en date du 15 février 2000 (CJCE, 15 février 2000, aff. C-169/98, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A2801ATW et CJCE, 15 février 2000, aff. C-34/98, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A2802ATX), la CJCE n'avait pas position sur la qualification juridique de la CSG et de la CRDS, mais avait simplement considéré que la circonstance que ces contributions soient qualifiées d'impôts par une législation nationale ne faisait pas obstacle à ce qu'elles puissent relever du champ d'application du Règlement communautaire.

En effet, en vertu de l'article 13 du Règlement n° 1408-71 du 14 juin 1971, seule la législation du lieu d'exercice de l'activité professionnelle est retenue, lorsqu'il s'agit de soumettre les revenus issus de cette activité aux prélèvements sociaux destinés au financement de la Sécurité sociale. S'agissant, donc, de personnes résidant en Belgique mais exerçant une activité professionnelle en France, seule la législation française est applicable pour la soumission à la CSG et à la CRDS des revenus issus de cette activité.

Pourtant, dans son arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation n'a pas fait application des dispositions législatives concernées du Code de la sécurité sociale, à savoir l'article L. 136-1 (N° Lexbase : L4609AD3), qui font obligation au juge de déterminer le domicile fiscal des travailleurs en cause. En l'espèce, il y avait, donc, lieu de se référer aux articles de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 (Convention France-Belgique, Bruxelles 10 mars 1964 N° Lexbase : L6668BHG).

Or, selon un principe bien établi, les dispositions des conventions fiscales internationales ratifiées par la France priment sur la législation nationale (cf, notamment, QE n° 40691 de M. Ghysel Michel, JOANQ, 8 juillet 1996, p. 3604, min. Trav. et Aff. soc., réponse publ. 17 février 1997, p. 862, 10ème législature N° Lexbase : L2549HDR). Plus précisément, la notion de "résident" en droit conventionnel prime sur la notion de "domicile fiscal" en droit interne. Les dispositions de l'article 4 B du CGI relatives à la définition du domicile fiscal en droit interne ne sont, donc, applicables que sous réserve des conventions internationales. Dès lors, une personne considérée pour l'application d'une convention fiscale conclue par la France comme "résidente" de l'autre Etat contractant ne peut pas être regardée comme domiciliée fiscalement en France pour la mise en oeuvre du droit interne français, alors même qu'elle aurait son domicile fiscal dans notre pays au sens de l'article 4 B précité.

Il résulte de ce principe qu'une personne ne peut être à la fois domiciliée à l'étranger au sens d'une convention fiscale et domiciliée en France au sens des articles 4 A et 4 B du CGI.

Il y a, ainsi, lieu de faire une distinction entre "Etat de résidence fiscale" et "Etat d'imposition d'un revenu catégoriel". En effet, les stipulations des conventions fiscales ont pour but de définir l'Etat de la résidence fiscale, c'est-à-dire l'Etat d'imposition du revenu global. Cette définition conventionnelle ne fait, cependant, pas obstacle à ce que l'Etat de la source du revenu conserve, en application de sa propre législation, une compétence d'imposition qui s'exerce précisément sur les revenus à la source. A cet égard, il convient de renvoyer à un arrêt de la cour d'appel de Douai du 30 septembre 2003 (CA Douai, 30 septembre 2003, Fondation Institut Pasteur de Lille c/ Urssaf de Lille, RJS 4/04, n° 452), afférent à des salariés travaillant en France mais domiciliés en Belgique. La cour d'appel indique que les dispositions de l'article 11-1 de la convention franco-belge du 10 mars 1964, qui prévoient l'imposition en France des salaires perçus au titre d'une activité exercée dans ce pays, désignent, ainsi, "non pas l'Etat de la résidence fiscale, mais l'Etat de la source du revenu qui conserve une compétence d'imposition. [Toutefois], celle-ci s'exerce sur les revenus à la source et non de manière globale s'agissant de personnes non-résidentes". Par suite, si les dispositions de l'article 164 B du CGI ont pour objet de soumettre à l'impôt sur le revenu français des revenus de source française (notamment, des salaires) perçus par des résidents étrangers au sens des stipulations conventionnelles, cela est sans influence sur la définition du domicile fiscal de ces derniers. Or, les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale, sur lesquelles nous allons, maintenant, nous pencher, font référence, pour l'assujettissement à la CSG et à la CRDS, à l'Etat de la résidence fiscale ou Etat d'imposition du revenu global et non à l'Etat de la source du revenu ou Etat d'imposition d'un revenu catégoriel.

2. L'application des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale doit conduire à ne pas soumettre à la CSG et à la CRDS les revenus d'activité de source française perçus par les Français résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne

Le fait d'exercer une activité professionnelle en France, et, ainsi, de remplir un des critères de domiciliation fiscale en France fixés par l'article 4 B du CGI, n'est pas incompatible non seulemennt avec une domiciliation fiscale à l'étranger, mais même, doit s'effacer devant celle-ci. En bref, la domiciliation fiscale à l'étranger prime sur l'exercice d'une activité professionnelle en France.

Il résulte, en outre, des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale issues de l'ordonnance n° 2001-377 du 2 mai 2001 (ordonnance n° 2001-377, 2 mai 2001, prise pour l'application du Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L5408AS4), qui combinent un critère fiscal et un critère social, que les personnes qui travaillent en France sans y être domiciliées fiscalement ne sont pas assujetties à la CSG et à la CRDS, mais sont seulement redevables des cotisations d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès aux taux particuliers prévus par l'article L. 131-7-1, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L4373ADC) (lire R. Pellet, Protection sociale, Editions du Juris-Classeur, fascicule 204-15, p. 7, mise à jour au 1er mai 2004).

Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation, l'application de ces dispositions aurait dû conduire celle-ci à faire primer les stipulations de l'article 1-2 de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964, selon lesquelles "une personne physique est réputée résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer permanent d'habitation", sur les dispositions de l'article 4 B du CGI, selon lesquelles "1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : [...] b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle , salariée ou non [...]". En effet, les requérants disposaient bien en Belgique d'un foyer permanent d'habitation. Dès lors, l'application des dispositions de l'article L. 136 -1 du Code de la sécurité sociale, et en particulier de son "critère fiscal", aurait dû conduire la Cour à ne pas soumettre à la CSG et à la CRDS les revenus d'activité de source française perçus par ces derniers. La doctrine n'a, d'ailleurs, pas manqué de relever le caractère surprenant de cet arrêt (lire C. Tétard, La délimitation du champ d'application personnel de la CSG et de la CRDS : le cas des travailleurs exerçant une activité professionnelle en France et résidant en Belgique", JCP, éd. sociale, n° 5-10, 26 juillet 2005, p.14).

Il résulte de ce qui précède que la soumission à la CSG et à la CRDS des revenus d'activité de source française perçus par les Français domiciliés à l'étranger dépend in fine de l'application des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale. En effet, soit le juge judiciaire fait l'impasse sur ces dispositions et lesdits revenus sont soumis à la CSG et à la CRDS par le biais de l'article 13 du Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 (notons, cependant, qu'en appliquant uniquement les dispositions de cet article, sans appliquer les dispositions de l'article L. 136 -1 du Code de la sécurité sociale, la Cour de cassation méconnaît la portée de l'article qu'elle applique puisque celui-ci (l'article 13) renvoie précisément à la législation française (et, en particulier, à l'article L.136-1 du Code de la sécurité sociale) en tant que législation du lieu d'exercice de l'activité), soit le juge judiciaire décide d'appliquer les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale et les revenus d'activité de source française perçus par les Français domiciliés à l'étranger échappent à la CSG et à la CRDS en vertu de la primauté de la notion de "résident" en droit conventionnel sur la notion de "domicile fiscal" en droit interne.

Il faut, donc, en conclure que, dans l'état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, les Français qui sont domiciliés à l'étranger, quel que soit leur lieu de résidence, doivent acquitter la CSG et la CRDS sur leurs revenus d'activité de source française.

3. Dans un avis du 2 septembre 2005 (Cass., avis, n° 05-00006, M. X c/ Urssaf [LXB=A5259DLD]), la Cour de cassation a soumis à la Cour de Justice des Communautés Européennes la question de savoir si les dispositions du Règlement n° 1408-71 peuvent faire obstacle à l'application des stipulations de la convention fiscale franco-britannique

Saisie par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d'une demande d'avis, la Cour de cassation a décidé de soumettre à la CJCE la question de savoir "si le règlement n° 1408-71 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une convention, telle que la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968, prévoit que les revenus perçus au Royaume-Uni par des travailleurs indépendants résidant en France et assurés sociaux dans cet Etat sont exclus de l'assiette de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale prélevées en France". Notons que la Cour a, ce faisant, requalifié la demande d'avis formulée par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris qui était, ainsi, libellée : "Les contributions de Contribution sociale généralisée et de Contribution pour le remboursement de la dette sociale doivent-elles être considérées comme des impôts au sens de la Convention fiscale franco-britannique ?". Il apparaît, ainsi, que la question préjudicielle posée à la CJCE par la Cour de cassation est justifiée par une éventuelle contrariété entre le droit communautaire et le droit conventionnel fiscal bilatéral quant à la qualification de la CSG et de la CRDS.

Bien que l'avis de la Cour de cassation ne le précise pas, il est permis de supposer que les travailleurs indépendants visés par cet avis sont ceux qui disposent de façon habituelle en Grande-Bretagne d'une base fixe pour l'exercice de leurs activités. L'imposition de ces travailleurs est prévue par les dispositions de l'article 14-1 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L6745BHB) aux termes desquelles : "Les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire d'activités indépendantes ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que ce résident ne dispose de façon habituelle dans l'autre Etat contractant d'une base fixe pour l'exercice de ses activités. S'il dispose d'une telle base, les revenus sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à ladite base fixe". Il résulte de ces stipulations qu'une personne résidant en France (c'est-à-dire fiscalement domiciliée en France) qui perçoit des revenus d'une activité indépendante exercée en Grande-Bretagne doit normalement être imposée en France au titre de ces revenus, mais sera imposée en Grande-Bretagne si elle dispose dans ce pays d'une base fixe d'où proviennent les revenus en cause.

La question préjudicielle posée par la Cour de cassation semble, donc, concerner les travailleurs indépendants résidant en France, mais disposant d'une base fixe en Grande-Bretagne pour l'exercice de cette activité indépendante, lesquels sont imposés dans ce dernier pays. Or, si les revenus en cause sont imposés en Grande-Bretagne, leur éventuelle soumission à la CSG et à la CRDS dépend de la qualification donnée à ces contributions.

En effet, si la CSG et la CRDS sont qualifiées de cotisations sociales, les stipulations de la convention fiscale franco-britannique ne peuvent faire obstacle à ce que des revenus imposés en Grande-Bretagne soient soumis à ces contributions, dans la mesure où les travailleurs concernés résident en France et sont affiliés dans ce pays à un régime obligatoire d'assurance maladie, remplissant, ainsi, les critères fiscal et social prévus par les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale. Cette interprétation semble confirmée, a contrario, par les arrêts précités de la CJCE en date du 15 février 2000. La Cour avait, alors, jugé que la soumission à la CSG et à la CRDS des revenus d'activité et de remplacement des personnes travaillant dans un autre Etat membre de l'Union et relevant exclusivement du régime de sécurité sociale de cet autre Etat méconnaissait l'interdiction de double cotisation posée par l'article 13 du Règlement n° 1408-71.

En revanche, si, comme l'a envisagé le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, la CSG et la CRDS doivent être considérées comme des impôts au sens de la convention fiscale franco-britannique, les revenus des travailleurs indépendants basés en Grande-Bretagne, qui sont imposés dans ce pays, ne peuvent être soumis en France à la CSG et à la CRDS, puisque cela reviendrait à les imposer deux fois, une première fois en Grande-Bretagne et une seconde fois en France, ce contrairement à l'objectif même de la convention fiscale franco-britannique qui est d'éviter la double imposition des revenus perçus par les personnes entrant dans son champ d'application. En bref, les revenus en cause, imposés en Grande-Bretagne, ne sauraient être soumis en France au second impôt que constituent la CSG et la CRDS. Précisons, à cet égard, que les conventions fiscales internationales étant d'interprétation stricte (pour une illustration de ce principe CE, Contentieux, 6 mai 1996, n° 154217, Ministre du Budget c/ SA "Quartz d'Alsace" N° Lexbase : A9123AN9 ; lire les conclusions de G. Bachelier, BDCF 3/96, p. 44) qui se prononce sur la définition de la notion de "personnes physiques" au sens de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 (N° Lexbase : L6752BHK), le droit interne ne peut avoir pour effet d'étendre le champ d'application d'une convention fiscale bilatérale. Or, tel serait bien le cas si des revenus devant être imposés à l'impôt sur le revenu en Grande-Bretagne en vertu des stipulations de la convention fiscale franco-britannique étaient, également, imposés à la CSG et à la CRDS en France, alors même que le champ d'application de la convention, défini à l'article 1-1 de celle-ci, n'inclut pas ces "impositions sociales", les impôts français auxquels s'applique la convention étant, en effet, aux termes de l'article 1-1 b) de celle-ci l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et toutes retenues à la source, précomptes et avances décomptés sur ces impôts.

Soulignons, pour ne pas perdre de vue notre sujet, que cette application du principe de hiérarchie des normes a été essentielle dans la réponse donnée par le Conseil d'Etat à la demande d'avis présentée par le Tribunal administratif de Nice. En effet, la solution rendue par le Conseil est justifiée par le fait que l'imposition à la CSG et à la CRDS des nationaux français résidant à Monaco aurait pour effet d'étendre le champ d'application de l'article 7-1 de la convention franco-monégasque (lire Le droit interne peut certes modifier l'impôt sur le revenu mais non étendre le champ d'application d'une convention internationale, RJF 2/05, n° 163).

Au total, c'est la question de la compatibilité entre le droit communautaire et le droit conventionnel fiscal bilatéral qui est, ainsi, posée. Certes, la CJCE a jugé, dans les arrêts du 15 février 2000 précités, que "la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale ne signifie pas que, au regard du règlement n° 1408-71, ce même prélèvement ne puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement et, partant, soit visé par la règle du non-cumul des législations applicables". Ainsi, le fait que la CSG et la CRDS relèvent du Règlement n° 1408-71 n'exclut pas qu'elles puissent être qualifiées d'impôts par une législation nationale et l'on pourrait supposer que cette "non-exclusivité" s'applique, également, aux conventions fiscales bilatérales.

Toutefois, cette compatibilité entre régime communautaire et qualification conventionnelle n'est possible que parce qu'elle ne remet pas en cause l'objectif du Règlement n° 1408-71, qui est d'éviter que les travailleurs des pays membres de l'Union Européenne ne soient frappés par une double cotisation. Au fond, les objectifs de ce Règlement et des conventions fiscales bilatérales sont, en quelque sorte, similaires : le premier vise à éviter les situations de double cotisation, tandis que les secondes visent à éviter les situations de double imposition. Dès lors, une convention fiscale bilatérale dont l'application conduirait à exempter certains travailleurs de toute cotisation méconnaîtrait l'objectif du Règlement n° 1408-71. Or, nous l'avons vu, si la CSG et la CRDS doivent être considérées comme des impôts au sens de la convention fiscale franco-britannique, elles ne peuvent frapper les revenus qui sont, déjà, imposés en Grande-Bretagne. Les travailleurs concernés, bien qu'ils résident en France et y soient affiliés à un régime obligatoire d'assurance maladie, échappent, ainsi, à toute "cotisation" (au sens communautaire du terme) au titre de ces revenus.

Au total, la qualification d'impôts donnée à la CSG et à la CRDS par la convention fiscale franco-britannique aboutirait, pour les revenus imposés en Grande-Bretagne, mais perçus par des résidents et affiliés français (plus précisément, par des personnes résidant en France et à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie), à une double absence de cotisation : absence en Grande-Bretagne, du fait de l'affiliation à un régime obligatoire français d'assurance maladie, et absence en France, du fait de l'interdiction de double imposition posée par la convention.

A supposer que la qualification conventionnelle donnée à la CSG et à la CRDS rejoigne, ainsi, la qualification nationale d'impôt donnée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, la convention fiscale franco-britannique serait, dès lors, contraire au Règlement n° 1408-71 et devrait, semble-t-il, en vertu du principe de hiérarchie des normes, s'effacer devant lui. En l'espèce, les travailleurs indépendants imposés en Grande-Bretagne mais résidant en France et affiliés dans ce pays à un régime obligatoire d'assurance maladie devraient être assujettis à la CSG et à la CRDS au titre des revenus issus de leur activité indépendante. La conclusion que l'on peut en tirer est que si, en principe, le Règlement n° 1408-71 n'exclut pas que la CSG et la CRDS soient qualifiées d'impôts par des stipulations conventionnelles, il s'oppose, toutefois, à cette qualification en tant qu'elle aboutit à une double absence de cotisation.

La question préjudicielle posée par la Cour de cassation à la CJCE traduit, donc, les interrogations que pose l'incertitude quant à la qualification de la CSG et de la CRDS. Pour autant, et à supposer que la CJCE estime que ces contributions doivent être considérées comme des impôts au sens de la convention fiscale franco-britannique (ce qui nous semble improbable, à la fois au regard des implications qu'aurait une telle qualification sur les conventions fiscales conclues entre des Etats membres de l'UE et des Etats non-membres, dont l'application ne peut être bloquée par le Règlement n° 1408-71, et au regard de la "politique jurisprudentielle" de la CJCE, laquelle s'est, jusqu'à présent, gardée de se prononcer sur la nature juridique de la CSG et de la CRDS), la qualification de cotisations sociales donnée à ces contributions par la Cour de cassation dans ses arrêts précités du 5 avril 2001 et du 8 mars 2005 pourrait être remise en cause, même si la qualification conventionnelle ne vaudrait que pour les personnes entrant dans le champ d'application de la convention fiscale franco-britannique.

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Social général

[Textes] Présentation de la circulaire du 14 septembre 2005 relative a l'épargne salariale

Réf. : Circulaire 14 septembre 2005, relative à l'épargne salariale (N° Lexbase : L1463HDK)

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N0746AKT

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par Sylvie Dutoit, Avocate au sein du cabinet Fromont Briens & associés

Le 07 Octobre 2010

Le 1er novembre 2005, était publiée la circulaire interministérielle du 14 septembre 2005, relative à l'épargne salariale. Cette publication officialise ainsi une troisième version de la circulaire interministérielle du 22 novembre 2001 (N° Lexbase : L0257AWG), publiée à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-152 du 19 février 2001 réformant les dispositifs d'épargne salariale en France (N° Lexbase : L5167ARS). Une précédente modification de la circulaire du 22 novembre 2001, en date du 6 avril 2005 (circ. DRT, 6 avril 2005, épargne salariale N° Lexbase : L1755G8I), avait intégré les dispositions de plusieurs textes ayant une incidence directe sur les systèmes d'épargne salariale en France :
- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), qui a institué le Perco ;
- la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8), qui a modifié les modalités de conclusion des accords collectifs de travail.

Cette troisième version reprend, dans son intégralité, la version du 6 avril 2005, en y ajoutant les mises à jour relatives à l'entrée en vigueur de deux nouvelles lois cet été :
- la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie , qui introduit un certain nombre de mesures relatives à l'épargne salariale ;
- la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises , qui ouvre les plans d'épargne salariale au conjoint, collaborateur ou associé des chefs d'entreprises d'au moins 1 et d'au plus 100 salariés et introduit un mécanisme de location d'actions.

En résumé, les nouvelles dispositions de la circulaire n'intègrent pas les mesures provisoires de déblocage de l'intéressement et de la participation 2004 d'ici le 31 décembre 2005 (dispositions "non pérennes"), mais portent plus particulièrement sur :
- l'ouverture de l'intéressement aux dirigeants des petites et moyennes entreprises et à leur conjoint collaborateur ou associé, et l'ouverture dans ces mêmes entreprises, de la possibilité pour les conjoints collaborateurs ou associés de souscrire à un plan d'épargne entreprise ;
- la possibilité nouvelle d'octroyer un rabais sur des titres non cotés en matière d'actionnariat salarié, dans le cadre d'un plan d'épargne entreprise ;
- les nouvelles dispositions relatives au transfert des avoirs.

Les autres dispositions nouvelles de la circulaire sont indiquées, pour mémoire, sous forme de tableau.

1. Mesures en faveur des dirigeants des petites et moyennes entreprises et de leurs conjoints collaborateurs ou associés

La loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie a ouvert la possibilité aux chefs d'entreprises comprenant habituellement au moins 1 salarié en sus du dirigeant lui-même et au plus 100 salariés, de bénéficier également de l'accord d'intéressement mis en place dans l'entreprise, à condition que ce dernier le prévoie expressément.

La circulaire précise que cette faculté n'est ouverte qu'en présence d'un effectif salarié d'au moins 1 salarié en plus du dirigeant, même si ce dirigeant est fiscalement assimilé à un salarié (président du conseil d'administration, directeur général, gérant minoritaire ou membre du directoire).

La circulaire reprend les dispositions de la loi qui adaptent pour ces bénéficiaires, du fait de la particularité de leur statut, les règles de l'intéressement.

- Répartition de l'intéressement :

Lorsque cette répartition est proportionnelle aux salaires, le revenu du chef d'entreprise ou de son conjoint collaborateur ou associé, est intégré dans la répartition sur la base de son revenu fiscal au titre de l'année précédant le versement de l'intéressement, dans la limite toutefois d'un plafond égal au salaire le plus élevé versé dans l'entreprise.

A cet égard, la circulaire ne précise pas l'application de ces règles au conjoint collaborateur ou associé. Néanmoins, le renvoi de l'article L. 441-2 du Code du travail (N° Lexbase : L7695HBM) "aux personnes mentionnées au 6ème alinéa de l'article L. 411-1 du Code du travail" rend applicables aux conjoints collaborateurs ou associés les mêmes règles que celles applicables au chef d'entreprise lui-même.

- Plafonnement de l'intéressement :

La même référence au revenu fiscal du chef d'entreprise de l'année précédente est retenue pour le plafonnement du montant de l'intéressement qu'il est possible de verser au titre d'une année, la limite du salaire le plus élevé versé dans l'entreprise n'étant pas retenue pour ce calcul.

- Régime social :

Par analogie avec le traitement social de l'intéressement pour les salariés, les sommes versées au chef d'entreprise au titre de l'intéressement n'entrent pas dans l'assiette des cotisations sociales des travailleurs non salariés.

Par contre, des dispositions fiscales spécifiques sont mises en évidence par la circulaire pour les conjoints collaborateurs ou associés ou les exploitants individuels ou associés de sociétés de personnes et assimilées n'ayant pas opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.

Les sommes versées à ces bénéficiaires ne sont pas déductibles des résultats de l'entreprise.

Quant au régime fiscal pour ces mêmes intéressés, les sommes versées au titre de l'intéressement ne sont pas assimilées à des traitements et salaires, comme pour les salariés bénéficiaires ou les mandataires de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés. La circulaire n'en précise pas la nature fiscale. Il est, à cet égard, intéressant de comparer avec le renvoi de l'article L. 441-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7698HBQ) à l'article 158, 5° a) du Code général des impôts (N° Lexbase : L8691DN9) sur la nature de salaire des sommes perçues au titre de l'intéressement, lorsqu'il s'agit d'appliquer ce texte, par exemple, à un gérant majoritaire de société soumise à l'impôt sur les sociétés.

Par ailleurs, la circulaire combine les articles L. 441-5 (N° Lexbase : L7698HBQ) et L. 441-6 (N° Lexbase : L7826HBH) du Code du travail pour en déduire une restriction de l'exonération de l'intéressement réinvesti dans un PEE au profit des seuls mandataires sociaux ou associés des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés. La circulaire exclut du bénéfice de l'exonération les exploitants individuels ou associés de sociétés de personnes non soumises à l'impôt sur les sociétés et assimilées et le conjoint collaborateur ou associé. Une telle interprétation, qui tire les conséquences fiscales pour les intéressés de la non déductibilité pour la société des sommes qui leur sont versées, restreint toutefois l'avantage pour ces bénéficiaires de participer au plan d'intéressement, et l'on pourrait s'interroger sur la conformité d'une telle interprétation avec la lettre de l'article L. 441-6 du Code du travail.

Il résulte néanmoins de l'ensemble de ces dispositions que deux régimes fiscaux de l'intéressement versé aux dirigeants émergent : celui versé aux dirigeants de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés et celui des dirigeants de sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés.

Enfin, la loi sur les petites et moyennes entreprises créé un nouveau statut du conjoint collaborateur et associé. La circulaire tire les conséquences de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, quant à l'accès de ces personnes à l'épargne salariale :
- comme évoqué ci-dessus, les conjoints collaborateurs et associés peuvent bénéficier de l'intéressement ;
- de même, la loi a ouvert la possibilité au conjoint du chef d'entreprise, collaborateur ou associé, d'effectuer des versements sur le plan d'épargne entreprise d'au moins 1 et au plus 100 salariés. Cette possibilité était déjà offerte aux chefs d'entreprises de ces mêmes PME depuis la loi du 19 février 2001 (contrairement à l'intéressement).

2. Evaluation de titres non cotés dans le cadre de l'actionnariat salarié

La circulaire intègre la possibilité, désormais prévue par la loi, d'octroyer aux salariés, dans le cadre d'un plan d'épargne d'entreprise investi en titres de la société, un rabais de 20 ou 30 % sur la valeur des titres, rabais antérieurement prévu pour les sociétés cotées.

La circulaire rappelle à cet égard que ces rabais bénéficient des exonérations fiscales et sociales comme pour les sociétés cotées.

La circulaire rappelle également l'obligation de respecter, à compter du 26 juillet 2005, des méthodes d'évaluation du prix de cession (lors de la revente des titres à l'expiration des délais d'indisponibilité), et par renvoi, du prix de souscription, préconisées à l'article L. 443-5, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L7759HBY) ("méthodes objectives retenues en matière d'évaluation d'actions en tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la situation nette comptable, de la rentabilité et des perspectives d'activité de l'entreprise. Ces critères sont appréciés, le cas échéant, sur une base consolidée ou, à défaut, en tenant compte des éléments financiers issus de filiales significatives. A défaut, le prix de cession est déterminé en divisant par le nombre de titres existants le montant de l'actif net réévalué d'après le bilan le plus récent. Celui-ci doit être ainsi déterminé à chaque exercice sous le contrôle du commissaire aux comptes".

Les sociétés ont jusqu'au 26 juillet 2006 pour mettre en place ces méthodes d'évaluation. L'obligation vise aussi bien les titres qui seront détenus en direct par les salariés que par l'intermédiaire d'un OPCVM, l'évaluation de ces derniers étant effectuée à dire d'expert d'ici cette date.

La sanction du non-respect de ces méthodes d'évaluation est (notamment ?), la déchéance du régime de faveur fiscal et social (à savoir, l'exonération de charges sociales et d'impôt sur le revenu du rabais, voire l'exonération fiscale des plus-values lors de la sortie du plan à l'expiration du délai d'indisponibilité).

A ce titre, un rapprochement peut être effectué avec les règles applicables en matière d'option de souscription ou d'achat d'actions non cotées. La loi n'a pas prévu la possibilité d'octroyer un rabais sur la valeur du titre à la date de détermination du prix d'achat ou de souscription par les salariés. La loi fait référence à des méthodes similaires d'évaluation de la valeur du titre à cette date (et donc du prix d'achat ou de souscription) mais renvoie à un décret pour les modalités précises d'évaluation.

De même, les adhérents d'un PEE peuvent également souscrire à des obligations émises par la société. Le prix de cession est alors fixé selon des conditions à déterminer par décret en Conseil d'Etat.

3. Transfert : information des salariés sur leurs avoirs

La circulaire modifie substantiellement le dossier "transferts - information des salariés sur leurs avoirs", pour tenir compte du nouvel article L. 444-9 du Code du travail (N° Lexbase : L7721HBL), qui liste désormais avec l'article R. 442-12, paragraphe 3, du même Code (N° Lexbase : L0397AD3) les cas de transfert de l'épargne salariale.

La nouveauté réside dans l'élargissement des cas de transfert des avoirs d'épargne salariale en dehors de la rupture du contrat de travail et de la nouvelle possibilité de transfert collectif à l'initiative de l'employeur, après information des représentants du personnel, en cas de fusion, cession, absorption ou scission rendant impossible la poursuite de l'ancien plan d'épargne.

4. Autres dispositions

La nouvelle circulaire précise, en outre, un certain nombre d'autres dispositions que nous reproduisons ci-après sous forme de tableau.

Participation Nouvelle répartition des droits individuels dans le cas où le plafonnement individuel est atteint pour certains salariés. La circulaire explicite la répartition de la réserve spéciale de participation, lorsque le plafonnement des droits individuels est atteint pour certains salariés : l'accord pouvait antérieurement prévoir que les sommes excédant le plafond pour un salarié pouvaient demeurer dans la réserve spéciale de participation pour être réparties au cours de l'exercice ou des exercices ultérieurs.

La circulaire précise désormais que l'excédent doit faire l'objet d'une nouvelle répartition entre tous les salariés n'ayant pas atteint le plafond. Seul le reliquat qui subsiste alors que tous les salariés ont atteint le plafond individuel demeure dans la réserve spécial de participation pour être réparti au cours des exercices ultérieurs.

Location d'actions La location d'actions ou de parts sociales n'est pas applicable aux actions soumises au délai d'indisponibilité propre à la participation (cas de versement de la participation en titres de l'entreprise), ni aux actions soumises au délai d'indisponibilité propre au PEE et, plus largement, aux plans d'épargne salariale.
Plan d'Epargne Entreprise Information des salariés sur l'existence d'un PEE La circulaire rappelle les mesures de renforcement de l'information des salariés sur l'existence d'un plan d'épargne dans leur entreprise : lorsqu'un tel plan n'est pas établi en vertu d'un accord d'entreprise, l'employeur doit remettre une notice d'information individuelle sur l'existence du PEE et le contenu de son règlement. A défaut, l'employeur doit communiquer au teneur de compte la liste nominative de l'ensemble des salariés, l'établissement teneur de compte devant procéder à ladite information nominativement par courrier à chaque salarié.
Contribution de 0,3 % additionnelle au prélèvement social Article 11-2° de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (N° Lexbase : L5185DZ3) La circulaire renvoie, concernant le régime de la contribution de 0,3 % additionnelle au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les revenus de reclassement, à l'instruction fiscale du 8 décembre 2004 (BOI 5 I-2-04 N° Lexbase : X6124ACS)

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Sécurité sociale

[Textes] Assurance maladie : nouvelles précisions à propos du dispositif du médecin traitant

Réf. : Décret du 3 novembre 2005, n° 2005-1368 (N° Lexbase : L1890HDD) ; décret du 3 novembre 2005, n° 2005-1369 (N° Lexbase : L1891HDE)

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Le 07 Octobre 2010

L'institution du médecin traitant est assurément l'un des piliers de la dernière réforme de l'assurance maladie (loi n° 2004-810 relative à l'assurance maladie N° Lexbase : L0836GT7). Cependant, les pouvoirs publics la mettent en place progressivement, voire très progressivement. Soucieux de l'efficacité du dispositif du médecin traitant, les pouvoirs publics ont très tôt précisé que son non-respect aurait, notamment, pour conséquence une majoration de la participation de l'assuré. Mais, de nombreuses questions relatives à cette majoration sont longtemps restées sans réponse. Par deux décrets en date du 3 novembre dernier (décret n° 2005-1368 relatif à la majoration de la participation de l'assuré prévue à l'article L. 162-5-3 du Code de la Sécurité sociale et modifiant ce code N° Lexbase : L1890HDD ; décret n° 2005-1369, fixant les conditions dans lesquelles la majoration prévue à l'article L. 162-5-3 du Code de la Sécurité sociale n'est pas appliquée N° Lexbase : L1891HDE), des précisions sont enfin apportées sur la mise en oeuvre de la majoration à laquelle l'assuré s'expose en cas de non-respect du dispositif du médecin traitant. Ces précisions portent, tout d'abord, sur le montant de cette majoration ; elles concernent, également, les cas dans lesquels la majoration ne sera pas appliquée. Le dispositif du médecin traitant a été placé au coeur de la réforme de l'assurance maladie initiée par la loi du 13 août 2004 (loi n° 2004-810 relative à l'assurance maladie N° Lexbase : L0836GT7). Pour l'essentiel, un rôle clé est attribué au médecin traitant, qui consiste essentiellement pour ce dernier à assurer le pilotage de l'assuré dans le système de santé et la tenue de son dossier médical (v. spéc. CSS, art. L. 162-5-3 N° Lexbase : L1384GUS).

Très tôt annoncé par les médias, ce nouveau dispositif a soulevé de nombreuses questions. En effet, même si le mécanisme de base n'est pas très compliqué -et existe d'ailleurs depuis longtemps dans de nombreux pays européens- (v., par ex., le medico de cabecera espagnol ou encore "l'assistant de triage" créé aux Pays-Bas), il appelait quelques précisions sur sa mise en oeuvre concrète.

En effet, la loi du 13 août 2004 prévoit notamment, en substance, que la participation des assurés peut être majorée pour ceux d'entre eux qui n'auraient pas choisi de médecin traitant ou qui consulteraient un praticien sans consultation et prescription préalables de leur médecin traitant. Quelques précisions avaient été apportées par la convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes signée le 12 janvier 2005 et approuvée par arrêté du 3 février 2005 (arrêté portant approbation de la convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes N° Lexbase : L5240G79), mais beaucoup faisaient encore défaut alors que la mise en oeuvre du dispositif dans son ensemble est prévue à compter du 1er janvier (sous la réserve des dispositions relatives au dossier médical, qui ne devraient prendre effet qu'en 2007).

Ces précisions sont enfin amenées par les pouvoirs publics. A l'occasion d'une récente chronique, nous nous faisions ainsi l'écho de l'adoption des dispositions réglementaires relatives aux contrats responsables (v. décret n° 2005-1226 du 29 septembre 2005 relatif au contenu des dispositifs d'assurance maladie complémentaire bénéficiant d'une aide et modifiant le Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5490HCC, Lexbase Hebdo n° 186 du 20 octobre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N9825AIQ). Rappelons simplement que ces dispositions sont venues préciser les conditions de la prise en charge par l'assurance maladie complémentaire des majorations restant à la charge de l'assuré en cas de non-respect du dispositif du médecin traitant.

Par deux décrets en date du 3 novembre 2005 (décret n° 2005-1368 du 3 novembre 2005 relatif à la majoration de la participation de l'assuré prévue à l'article L. 162-5-3 du Code de la Sécurité sociale et modifiant ce code N° Lexbase : L1890HDD ; décret du 3 novembre 2005, n° 2005-1369, fixant les conditions dans lesquelles la majoration prévue à l'article L. 162-5-3 du Code de la Sécurité sociale n'est pas appliquée N° Lexbase : L1891HDE), le pouvoir réglementaire ajoute une nouvelle pierre à l'édifice. Cette nouvelle pierre est de taille puisqu'elle concerne rien moins que le montant de la majoration de participation susceptible de s'imposer à l'assuré en cas de non-respect du dispositif du médecin traitant (1), mais également les cas dans lesquels la majoration sera écartée (2).

1. Le montant de la majoration de la participation de l'assuré

La participation de l'assuré (ou de ses ayants droit) au financement des dépenses de soins est une pratique généralisée dans les pays européens. En effet, cotisations ou impôts sont complétés dans la plupart des cas par la mise en place d'un ticket modérateur, c'est-à-dire d'une participation de l'assuré qui reste à la charge de ce dernier après remboursement des frais par la Sécurité sociale. Les explications données à la mise en place de tickets modérateurs sont diverses : responsabilisation des assurés, amélioration de la situation financière des régimes... En droit positif, la participation de l'assuré est prévue et précisée aux articles L. 322-2 et suivants du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1560GUC).

On l'a dit, la réforme de l'assurance maladie issue de la loi du 13 août 2004 a notamment eu pour objectif de mettre l'accent sur la définition de parcours de soins s'imposant à l'assuré dans un but de rationalisation des pratiques médicales mais, également, de rationalisation des dépenses de santé. Le médecin traitant a été conçu comme la cheville ouvrière de ces parcours.

Ainsi, le Code de la Sécurité sociale prévoit désormais le choix d'un médecin traitant par tout assuré ou ayant droit âgé de 16 ans ou plus. Soucieux de ne pas heurter, au moins frontalement, le principe de libre choix du praticien, les pouvoirs publics n'ont pas interdit la consultation d'autres praticiens que le médecin traitant. Mais, il a été prévu que l'absence de choix d'un médecin traitant ou la consultation d'un autre médecin sans prescription préalable du médecin traitant conduit à une majoration du ticket modérateur (de la participation) restant à la charge de l'assuré (en ce sens, v. CSS, art. L. 162-5-3 N° Lexbase : L1384GUS).

L'incitation financière est claire. Cependant, les modalités exactes de cette incitation restaient à définir. En effet, les assurés ont été appelés à choisir un médecin traitant depuis déjà quelques mois. Pourtant, ils ne disposaient pas de tous les éléments : les pouvoirs publics n'avaient pas encore fixé le montant de la majoration prévue en cas d'absence de choix d'un médecin traitant ou de consultation directe sans passage par le médecin traitant choisi. Cette carence n'a pas été sans soulever de nombreuses questions, notamment parmi les acteurs de l'assurance maladie complémentaire qui ont légitimement pu s'interroger sur les modalités d'une éventuelle prise en charge de la majoration de participation (v. notre récente chronique relative aux contrats responsables, précitée).

Il n'est pas inutile de rappeler que, dans sa décision relative à la loi du 13 août 2004 (Cons. const., décision n° 2004-504 DC, du 12 août 2004, loi relative à l'assurance maladie N° Lexbase : A1527DDW), le Conseil constitutionnel avait retenu que les majorations devraient être "fixées à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946" (N° Lexbase : L6815BHU) (garantie de la protection de la santé). La juridiction constitutionnelle avait parfaitement perçu que la mise en place de tickets modérateurs (et qui plus est de majorations de tickets modérateurs) doit impérativement s'opérer dans certaines limites, à défaut de quoi la protection garantie par l'assurance maladie serait remise en cause.

Alors que les majorations sont applicables dès le 1er janvier 2006, le décret n° 2005-1368 du 3 novembre 2005 vient, enfin, préciser que la participation de l'assuré ou de son ayant droit peut être majorée pour les actes et consultations réalisés par des médecins de 7,5 à 12,5 % du tarif servant de base au calcul des prestations en nature de l'assurance maladie. Le texte prévoit également que cette majoration s'applique aux personnes bénéficiant d'une allocation de solidarité (CSS, art. R. 322-3 N° Lexbase : L7931G7U), ainsi qu'aux cas d'hospitalisation.

La rédaction du décret pourrait surprendre : le taux de la majoration n'est pas précisément fixé : seule une fourchette est déterminée. La fixation exacte de la majoration est confiée par le décret à l'UNCAM (Union nationale des caisses d'assurance maladie). Rappelons que cette union a été créée par la loi du 13 août 2004 dans le but d'améliorer la coordination des actions en direction des professionnels de santé dans une optique de maîtrise des dépenses et de gestion des risques (v., CSS, art. L. 182-2 et s. N° Lexbase : L1519GUS).

Il convient, également, de souligner que l'UNCAM constitue un établissement public national à caractère administratif soumis au contrôle de l'Etat. De plus, la mission confiée à l'UNCAM fait l'objet d'une autre limite : en effet, le décret du 3 novembre prévoit également que la majoration ne peut dépasser un montant égal au produit de la rémunération applicable aux consultations de cabinet des médecins spécialistes pratiquant des honoraires opposables, tels que fixés par la convention nationale (ou le règlement arbitral) multiplié par le taux retenu par l'UNCAM.

Alors que la fin de l'année approche, il serait souhaitable que la fixation précise du taux de majoration intervienne assez rapidement... Pour l'heure, une seule chose est sûre : l'assurance maladie complémentaire ne pourra prendre en charge la majoration, sauf à perdre le label de "contrats responsables". Le pouvoir réglementaire a cependant été plus précis quant aux cas d'exonération de la majoration.

2. Les cas d'exonération de la majoration de participation de l'assuré

Les systèmes de sécurité sociale ayant recours au ticket modérateur prévoient, pour la plupart, des cas d'exonération dans certaines hypothèses pour lesquelles il serait inopportun de maintenir une participation de l'assuré. La majoration du ticket modérateur prévue en cas de non-respect du dispositif du médecin traitant est également écartée dans certains cas pour lesquels ce non-respect est considéré comme justifié ou légitime.

L'article L. 162-5-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1384GUS) précisait déjà que la majoration n'est pas applicable lorsque la consultation se fait en cas d'urgence auprès d'un autre médecin que le médecin traitant ou lorsque la consultation se fait en dehors du lieu où réside de façon stable et durable l'assuré ou son ayant droit. Ces deux exceptions méritaient quelques précisions.

Le décret n° 2005-1368 reprend les exceptions prévues par le législateur et apporte des éléments de précision. Au sujet de la seconde exception, liée à l'urgence, le décret retient que la majoration est écartée lorsque l'assuré ou son ayant droit recourt à un médecin "parce qu'il est confronté à une situation non prévue plus de huit heures auparavant pour une affection ou la suspicion d'une affection mettant en jeu la vie du patient ou l'intégrité de son organisme et nécessitant l'intervention rapide du médecin".

On conçoit que la définition de l'urgence est délicate, mais la définition retenue laisse augurer de belles joutes contentieuses... Une déception plus marquée peut, en revanche, être exprimée en ce qui concerne la première exception liée à une consultation en dehors du lieu de résidence. En effet, cette exception aurait pu faire l'objet d'une définition plus précise et surtout plus objective. Or, le décret se contente d'indiquer que la majoration est écartée lorsque l'assuré ou son ayant droit est "éloigné de son lieu de résidence habituelle". On peut se demander en quoi le texte législatif est précisé...

Outre les hypothèses déjà prévues par l'article L. 162-5-3 et précisées par le décret n° 2005-1368, d'autres cas d'exonération de la majoration de participation sont énoncées par le décret n° 2005-1369. Pour l'essentiel, trois types d'exonération de la majoration sont prévues.

Le texte prévoit, tout d'abord, un ensemble de situations dans lesquelles le parcours de soins connaît des aménagements en raison de particularités liées à la pathologie de l'assuré et au(x) traitement(s) qu'elle impose (notamment par rapport au passage préalable par le médecin traitant). Ainsi, la majoration n'est pas appliquée quand, à la suite d'une prescription du médecin traitant, des soins itératifs sont pratiqués par le médecin consulté.

On conçoit aisément l'aberration qui aurait consisté à imposer un passage par le médecin traitant avant chaque soin par le médecin consulté ! Cependant, la logique du parcours de soins est respectée, voire renforcée : un passage préalable par le médecin traitant et une prescription de ce dernier sont prévus et les soins itératifs donnés par le médecin consulté doivent faire l'objet d'un plan de soins convenu entre le médecin traitant et le médecin consulté en accord avec le patient (1).

Dans la même logique, la majoration est écartée en cas d'intervention successive de plusieurs médecins pour une même pathologie. Le texte réglementaire pose une condition du même type que la précédente : l'exonération de majoration n'interviendra que sous réserve que cette séquence de soins soit réalisée en concertation avec le médecin traitant.

Enfin, une troisième hypothèse d'exonération concerne les assurés souffrant d'une affection de longue durée. On sait que la loi du 13 août 2004 a complété l'article L. 324-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1286GU8) : en cas d'ALD, le médecin traitant et le médecin conseil établissent conjointement un protocole de soins périodiquement révisable. Là encore, très logiquement, le décret du 3 novembre 2005 prévoit que la majoration n'est pas due pour les actes et consultations prévus dans le cadre de ce protocole.

L'exonération de majoration est, en second lieu, prévue pour des situations dans lesquelles l'organisation des soins impose de déroger, ou au moins d'aménager le dispositif du médecin traitant. Ainsi, l'exonération de majoration est retenue pour les actes et consultations assurés (en cas d'indisponibilité du médecin traitant) par le médecin qui assure son remplacement ou, lorsque le médecin traitant exerce en centre de santé ou en groupe, par un autre médecin exerçant dans le même centre ou dans un cabinet situé dans les mêmes locaux (2).

Dans la même logique, l'exonération est retenue pour les actes et consultations d'un médecin intervenant au titre de la permanence des soins mentionnée à l'article L. 6315-1 du Code de la santé publique ou encore pour les actes et consultations assurés par un médecin exerçant dans une consultation hospitalière de tabacologie, d'alcoologie, ou de lutte contre les toxicomanies (3).

Enfin, l'exonération est retenue dans des hypothèses qui ont été fréquemment évoquées lors de l'adoption du dispositif du médecin traitant : il est, en effet, rapidement apparu (et les intéressés n'ont pas manqué de le faire savoir...) que le passage préalable par le médecin traitant n'était pas opportun en ce qui concerne certaines spécialités. Quelques débats ont eu lieu à propos des spécialités devant être comprises dans cette hypothèse d'exonération de majoration. Le décret précise que la majoration n'est pas appliquée lorsque le patient consulte, sans prescription de son médecin traitant, des médecins relevant des spécialités suivantes : gynécologie médicale, gynécologie obstétrique, ophtalmologie, psychiatrie et neuro-psychiatrie.

Olivier Pujolar
Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Le plan de soins doit fixer la nature et la périodicité des soins prévus.

(2) Dans ces hypothèses, la question peut être parfois posée de la réalité du respect d'un certain parcours de soins : l'identité géographique n'implique pas forcément une pratique coordonnée...

(3) Le texte prévoit, enfin, l'exonération de la majoration lorsqu'un militaire consulte sur prescription d'un médecin du service de santé des armées.

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Concurrence

[Jurisprudence] Les coûts liés à la domination : le cas de France Telecom

Réf. : Décision Conseil de la concurrence n° 05-D-59, 7 novembre 2005, relative à des pratiques mises en oeuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'Internet haut débit (N° Lexbase : X4339AD3)

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par André-Paul Weber, Professeur d'économie, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence

Le 07 Octobre 2010

Par la décision n° 05-D-59 du 7 novembre 2005 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société France Telecom, le Conseil de la concurrence vient de conclure que la société en cause avait abusé de sa position dominante et enfreint, par conséquent, les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3778HBK). Une sanction administrative record de 80 millions d'euros lui a été infligée. Cette décision offre un double intérêt. D'une part, elle rappelle les obligations qui pèsent sur l'entreprise dotée d'une position dominante et qui dispose, par ailleurs, d'une facilité essentielle. D'autre part, elle opère une claire distinction entre les sanctions qui sont infligées en cas d'irrespect des injonctions et celles qui résultent d'une infraction aux dispositions relevant des articles L. 420-1 (N° Lexbase : L6583AIN), L. 420-2 ou L. 420-5 (N° Lexbase : L3779HBL) du Code de commerce. I - Le rappel des faits

Courant 1999, l'opérateur de réseau 9 Telecom Réseau souhaite offrir aux fournisseurs d'accès à internet un service de collecte du trafic généré par leurs abonnements ADSL qui soit concurrent du service proposé par France Telecom. La société 9 Telecom Réseau, ne pouvant alors pas accéder à la boucle locale et donc servir directement les abonnés, demande à France Telecom de pouvoir accéder au "circuit virtuel", solution qui consiste en la fourniture de transport de données à haut débit entre l'abonné et un point de présence de l'opérateur, un "circuit virtuel" étant dédié à chaque raccordement à haut débit. La mise en oeuvre de cette option permet, alors, à l'abonné d'être le client du nouvel opérateur pour le service de transport de données à haut débit, tout en demeurant le client de France Telecom pour le service téléphonique.
En novembre 1999, France Telecom informait le demandeur de l'élaboration "d'une offre de vente en gros de ses services, destinée aux opérateurs tiers pour leur permettre d'offrir des services équivalents à ceux de France Telecom". Mais, faute d'obtenir une réponse précise, le requérant devait saisir le Conseil de la concurrence en soutenant que l'opérateur historique abusait de sa position dominante sur le marché des services d'accès à haut débit en cherchant, notamment, à placer les nouveaux entrants dans une situation de dépendance, en pratiquant des conditions discriminatoires amenuisant les marges bénéficiaires, et visant au total à consolider sa position sur le marché concerné. La saisine au fond était parallèlement assortie d'une demande de mesures conservatoires.
Par la décision 00-MC-01 du 18 février 2000 (décision Conseil de la concurrence n° 00-MC-01, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société 9 Télécom Réseau N° Lexbase : X6610ACS), le Conseil de la concurrence faisait injonction à France Telecom "[...] de proposer aux opérateurs tiers, dans un délai maximum de huit semaines [...], une offre technique et commerciale d'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à Internet par la technologie ADSL ou tout autre solution technique et économique équivalente permettant aux opérateurs d'exercer une concurrence effective, tant par les prix que par la nature des prestations offertes".

Mais, le 15 février 2001, la société 9 Telecom Réseau devait à nouveau saisir le Conseil de la concurrence pour non respect de l'injonction. Elle faisait, alors, valoir que, si France Telecom a, en avril 2000, transmis une offre aux opérateurs tiers, cette offre présentait de multiples restrictions techniques et tarifaires non conformes à l'injonction. Dans sa décision du 13 mai 2004 (décision Conseil de la concurrence n° 04-D-18, concernant l'exécution de la décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société 9 Télécom Réseau N° Lexbase : X5323AC7), le Conseil, se fondant sur des exercices de simulation, avait cherché à vérifier en quoi un opérateur efficace, achetant à France Telecom les prestations correspondant au "circuit virtuel" pour revendre un service équivalent à celui offert, par ailleurs, par France Telecom, parvenait ou non à dégager une marge suffisante pour faire face à ses coûts. Les tests entrepris ayant révélé l'existence d'un ciseau tarifaire, le Conseil concluait que France Telecom ne s'était pas conformé à l'injonction du 18 février 2000 et c'est sur ce fondement qu'une sanction pécuniaire de 20 millions d'euros a été infligée. Par un arrêt du 11 janvier 2005, la cour d'appel de Paris a validé l'analyse du Conseil sur le fond tout en alourdissant le montant de la sanction passant à 40 millions d'euros (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 11 janvier 2005, n° 2004 /11023, Société France Telecom SA c/ 9 Telecom Réseau "9 Telecom" N° Lexbase : A9500DEL). Un pourvoi en cassation est sur ce point pendant.

Par la décision n° 05-D-59 de ce 7 novembre dernier, le Conseil de la concurrence se prononce sur le fond du dossier. Il relève, en premier lieu, que France Telecom a, en décembre 1999, opposé un refus à 9 Telecom Réseau interdisant à ce dernier d'accéder au marché de l'internet à haut débit. L'opérateur alternatif a, alors, été dans l'impossibilité de proposer des offres en gros aux fournisseurs d'accès à internet.
En deuxième lieu, si, ultérieurement, France Telecom a offert aux opérateurs alternatifs des solutions techniques leur permettant de faire des offres en gros à ces fournisseurs, les conditions tarifaires proposées leur interdisaient de concurrencer les offres de France Telecom.
Le Conseil relève enfin que ce n'est qu'en septembre 2002 que France Telecom a proposé des conditions tarifaires permettant aux opérateurs concurrents de bâtir des offres dans des conditions économiques acceptables à destination des fournisseurs d'accès à internet.

II - La qualification des faits : les contraintes pesant sur le détenteur de toute infrastructure essentielle

Dans sa décision au fond, le Conseil considère que le refus opposé à 9 Telecom Réseau en décembre 1999 concernant l'accès au marché de l'internet haut débit, puis les conditions tarifaires ultérieurement proposées, ont permis à France Telecom de rester, jusqu à la fin de l'année 2002, l'unique offreur de transport du trafic internet haut débit entre les abonnés et les fournisseurs d'accès à internet. Dans de telles conditions, ces fournisseurs d'accès n'ont pas été en mesure de bénéficier de la concurrence sur ce marché et donc de conditions techniques ou tarifaires plus intéressantes, ce dont les consommateurs auraient pu bénéficier.

En fait, la décision s'inscrit dans le droit fil de la doctrine des infrastructures essentielles. Une entreprise en situation de monopole ou de position dominante, qui détient une infrastructure à laquelle les entreprises opérant sur un marché aval (ou amont) doivent nécessairement avoir accès pour concurrencer, sur ce marché, l'entreprise détentrice de l'infrastructure, est tenue de permettre l'accès à cette dernière sur une base équitable et non discriminatoire. Cette notion a, pour la première fois, été appliquée par le Conseil de la concurrence dans la décision du 26 juin 1990 (décision Conseil de la concurrence n° 90-D-22, relative à la situation de la concurrence dans le secteur des carburants aviation N° Lexbase : X5784AC9). En l'espèce, la ressource essentielle était constituée par les installations de stockage et d'acheminement aux avions de carburant sur les aéroports d'Orly et de Roissy. Mais le recours à la qualification d'"infrastructure essentielle" a, pour la première fois, été utilisée dans la décision n° 96-D-51, concernant l'usage d'une hélistation (décision Conseil de la concurrence n° 96-D-51, 3 septembre 1996, relative à des pratiques de la SARL Héli-Inter Assistance N° Lexbase : X5507ACX), laquelle a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel du 9 septembre 1997. Par la suite, la jurisprudence et la doctrine ont précisé les conditions dans lesquelles la détention d'une infrastructure essentielle avait pour effet de cantonner dans de strictes limites la liberté économique de son détenteur.
Désormais, comme le relève le Conseil, la limitation de la liberté contractuelle du détenteur d'une infrastructure essentielle s'applique lorsque :
- en premier lieu, l'infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole ou une position dominante ;
- en deuxième lieu, l'accès à l'infrastructure est indispensable pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure détient un monopole ou une positon dominante ;
- en troisième lieu, l'infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère ;
- en quatrième lieu, l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées ;
- en cinquième lieu, l'accès à l'infrastructure est techniquement possible.

Or, en l'espèce, le Conseil de la concurrence a considéré que les kilomètres de câbles de cuivre reliant les 34 millions de prises téléphoniques, permettant, grâce à la technique ADSL, de transporter les sons mais aussi l'internet rapide et illimité dans tous les foyers constituaient une infrastructure essentielle. A l'époque des faits, la position stratégique détenue par France Telecom lui a donné la capacité de contrôler la structure et le niveau des coûts de ses concurrents. Par le biais de sa stratégie France Telecom a donc été en mesure de "[...] préempter le marché de gros de fourniture du service Internet ADSL, de s'y maintenir en position de quasi monopole, et de contraindre le marché de détail des services Internet ADSL. Les FAI [fournisseurs d'accès Internet] concurrents de Wanadoo ont été tributaires des tarifs de l'option 5, dont France Telecom détenait l'exclusivité, et contraints par les caractéristiques de débit imposées par France Telecom dans la conception de leur offre de détail. Cette pratique a été poursuivie pendant près de trois années, malgré les injonctions du Conseil et les avertissements donnés par l'ART dans ses avis et décisions sur le caractère anticoncurrentiel de son comportement".

D'un mot, en subissant une sanction pécuniaire de 80 millions d'euros, France Telecom est invité à payer le prix d'une stratégie visant à dominer le marché de l'internet haut débit. Mais une question demeure. Comment s'articule la sanction en cause avec le montant de la sanction antérieurement prononcée par le Conseil constatant que l'injonction prononcée en février 2000 n'avait pas été respectée (décision Conseil de la concurrence n° 04-D-18, 13 mai 2004, précitée) ?

III - La question de l'articulation des sanctions

Dans sa défense, s'agissant du fond du dossier, la société France Telecom devait faire valoir qu'au cas où le Conseil déciderait de lui infliger une sanction pécuniaire, celle-ci ne pourrait, sans violer la règle non bis in idem, sanctionner les mêmes faits et tenir compte du même dommage à l'économie que celui déjà sanctionné par la décision n° 04-D-18, sanction, on le rappelle, aggravée par la cour d'appel dans son arrêt du 11 janvier 2005.

La réponse qu'apporte sur ce double plan le Conseil est d'un grand intérêt.

Le Conseil rappelle tout d'abord l'évidence voulant que la règle précitée du non bis in idem interdit de punir deux fois des mêmes faits. Mais, ce rappel opéré, le Conseil fait une claire distinction entre les pratiques sanctionnées au titre de la décision n° 05-D-59 et celles sanctionnées par la décision antérieure n° 04-D-18. Tandis que la sanction de 80 millions d'euros est la conséquence des infractions à l'article L. 420-2 du Code de commerce, la sanction qui avait été antérieurement prononcée était fondée sur de l'article L. 464-3 du même code (N° Lexbase : L5680G47), lequel dispose que, "si les mesures prévues aux articles L. 464-1 (N° Lexbase : L6639AIQ) et L. 464-2 (N° Lexbase : L5682G49) ne sont pas respectées, le Conseil peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l'article L. 464-2".
Et, ce stade, rappelons encore que les articles L. 464-1 et L. 464-2 donnent au Conseil de la concurrence un pouvoir d'injonction aussi bien au titre du prononcé de mesures conservatoires (art. L. 464-1) qu'à la suite d'une instruction au fond (art. L.464-2). En bref, l'élément punissable n'est pas le même. En 2004, il convenait de sanctionner le refus de respecter une injonction prononcée par le Conseil, en 2005, il s'est agi de sanctionner une infraction aux règles de la concurrence.

Le Conseil fait, par ailleurs, observer que, si les articles L. 464-1 et L. 464-2 font référence au concept de gravité des pratiques, cette gravité ne s'apprécie pas de la même façon selon que l'on se réfère à l'une ou l'autre de ces dispositions. En prononçant une sanction sur le fondement de l'article L. 464-2, c'est-à-dire au terme d'une instruction au fond, la sanction est prononcée eu égard à "[...] la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques [...]". Et, s'agissant d'une sanction résultant du non respect d'une injonction, le Conseil affirme que la notion de gravité est appréciée différemment. Il s'appuie, sur ce plan, sur l'arrêt de la cour d'appel du 11 janvier 2005 en soulignant que le fait de ne pas respecter une injonction claire et dépourvue d'ambiguïté revêt "en soi" un caractère de "gravité exceptionnelle". Et, sur ce plan, le Conseil avance la conclusion selon laquelle "[...] la circonstance que pour respecter les critères fixés par l'article L. 464-2 du code de commerce auxquels renvoient implicitement les dispositions de l'article L.464-3, la cour d'appel ait tenu compte dans sa sanction prononcée le 11 janvier 2005 de 'l'importance du dommage causé à l'économie' par le refus de respecter les injonctions du Conseil, dommage qui se confond en partie avec celui né des pratiques en cause dans la présente affaire, n'interdit pas au Conseil de prononcer une sanction pour réprimer ces dernières [paragraphe 136].
[...] il s'agit pour lui de réprimer le comportement en cause, en fixant le montant de la sanction pécuniaire à un niveau qui, pour être dissuasif, doit être établi en proportion avec le dommage causé à l'économie, c'est-à-dire avec la perte de surplus économique subi par les entreprises concurrentes, les entreprises clientes et, in fine, les consommateurs finals, du fait du fonctionnement moins concurrentiel du marché en cause [paragraphe 137].
Aucun obstacle juridique ne s'oppose donc à ce que deux sanctions successives, infligées à raison de pratiques différentes, prennent en compte, pour calculer leur montant, un critère partiellement commun" [paragraphe138].

A ce stade, une question vient naturellement à l'esprit. Le prononcé des sanctions pécuniaires en application de l'article L. 464-3 pour irrespect d'une injonction autorise-t-il à prendre en considération la question de la gravité des faits ? La question n'est pas anodine. En effet, trois points essentiels méritent d'être rappelés.
En premier lieu, selon l'article L. 464-1, les mesures conservatoires ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante.
En deuxième lieu, l'article L. 464-2 I prévoit, dans ses deuxième et troisième alinéas, que le Conseil peut imposer des injonctions et imposer des sanctions pécuniaires proportionnées à la gravité des faits reprochés, ainsi qu'à l'importance du dommage causé à l'économie, etc.
Et, en dernier ressort, l'article L. 464-3 précise que l'irrespect des mesures conservatoires ou injonctions prononcées sur la base, respectivement, des articles L. 464-1 et L. 464-2 donne au Conseil la possibilité de prononcer une sanction pécuniaire "dans les limites fixées à l'article L. 464-2". Cette dernière mention est essentielle.
La lecture littérale de ce dernier article suggère l'idée que le prononcé des sanctions pécuniaires ne peut aller au-delà des montants précisément mentionnés à l'article L. 464-2 (3 millions d'euros si le contrevenant n'est pas une entreprise et le contrevenant étant une entreprise 10 % de son chiffre d'affaires mondial hors taxes). Une lecture plus large de cet article voulant que le prononcé des sanctions soit, entre autres éléments, proportionné à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, serait en effet contraire à la logique. Comment pourrait-on traiter de la question de la gravité alors même que le dossier au fond n'a pas été examiné ?

La décision n° 05-D-59 du Conseil semble, certes de façon implicite, vouloir répondre à l'interrogation soulevée. Il y est, en effet, soutenu que"[...] dans un souci d'équité [la décision] tient compte, pour fixer la sanction due au titre de la présente décision, de l'amende de 40 millions d'euros à laquelle France Telecom a déjà été condamné pour ne pas avoir respecté les injonctions prononcées par le Conseil : dans le contexte propre à l'espèce, et compte tenu de la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, il s'agit d'un élément qui doit être pris en compte pour atténuer la sanction qui serait normalement due au titre du grief retenu [paragraphe 140].
[...] les dommages à l'économie, pris en compte dans la présente décision et ceux pris en compte dans la décision du Conseil puis dans l'arrêt de la cour d'appel sanctionnant le non respect de l'injonction prononcée par le Conseil présentent une zone de recouvrement et se confondent en partie : il y a lieu d'en tenir compte dans le prononcé de la sanction [paragraphe 141].

Non sans incohérence, après avoir soutenu que les sanctions issues des décisions n° 04-D-18 (décision confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 janvier 2005) et n° 05-D-59 reposaient sur des fondements différents, irrespect d'une injonction dans le premier cas et infraction aux dispositions de l'article L. 420-2 dans le second, le Conseil de la concurrence a, au total, consenti à réduire le montant de la sanction contentieuse en raison même de l'arrêt rendu par la cour d'appel.

Le Conseil de la concurrence serait-il venu au secours de la cour d'appel ? En tout état de cause, ce sera à la Cour de cassation de se prononcer sur la lecture qu'il convient de faire des dispositions combinées des articles L. 464-3, L. 464-1 et L.464-2 du Code de commerce.


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Bancaire

[Jurisprudence] Le tiers-saisi peut-il exciper de l'insaisissabilité d'une créance cambiaire ?

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-16.902, Mme Sandrine Peluhet, épouse Aubergy c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Pyrénées-Gascogne, FS-P+B (N° Lexbase : A5752DKA)

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Le 07 Octobre 2010

Le billet à ordre développe un contentieux de faible densité, ce qui rend d'autant plus intéressantes les décisions rendues à son sujet. Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient-elle de rendre un arrêt, en date du 27 septembre 2005 (1), qui affirme la nature insaisissable de la créance cambiaire et mérite, pour cela, une attention particulière. En l'espèce, de manière paradoxale, la simplicité des faits est venue compliquer la situation juridique. Une fille a souscrit quatre billets à ordre en faveur de sa mère. La banque de cette dernière a fait pratiquer une saisie-attribution sur le paiement des billets entre les mains de la fille en sa qualité de tiers-saisi. Celle-ci a refusé le paiement de la créance, à la banque saisissante, en invoquant une remise de dette à son profit. Pour contester la procédure d'exécution, la fille, tiers-saisi, invoque "l'irrecevabilité d'une opposition au paiement sur les billets à ordre hors les cas de perte ou de redressement ou liquidation judiciaire du porteur". En réponse, la banque considère que "le tiers-saisi n'a pas qualité pour soutenir un moyen personnel au débiteur afin de s'opposer au paiement". La cour d'appel confirme la prétention de la banque et juge, "peu important le fait que l'insaisissabilité de la créance causant le billet à ordre procède de la loi". La Cour de cassation casse et annule cette décision au motif que "le tiers-saisi, souscripteur d'un billet à ordre, dispose d'un intérêt à agir pour s'opposer au paiement d'une créance cambiaire par nature insaisissable et dont il pourrait répondre". Ce faisant, elle met en évidence deux problèmes qui méritent d'être analysés. Le premier présente la particularité de ne pas opposer les parties sur le fond, il s'agit de l'insaisissabilité de la créance cambiaire et, plus généralement, de l'opposition au paiement d'un effet de commerce. Le second manifeste, au contraire, une véritable divergence, il concerne l'intérêt pour agir du tiers-saisi.

I - L'opposition au paiement d'un effet de commerce

Bien que le billet à ordre manifeste des différences structurelles avec la lettre de change, comme la confusion sur la personne du souscripteur des qualités de tireur et de tiré, bien qu'il "fasse figure de parent pauvre dans la théorie des effets de commerce" (2), il n'en demeure pas moins que son régime juridique se moule dans celui de la lettre de change (3). Se trouve, de la sorte, applicable au billet à ordre, l'article L. 511-31 du Code de commerce (N° Lexbase : L6684AIE) selon lequel "il n'est admis d'opposition au paiement qu'en cas de perte de la lettre de change ou de redressement ou liquidation judiciaire".

Ce texte déroge au droit commun des obligations qui pose, dans l'article 1242 du Code civil (N° Lexbase : L1355ABS), que "le paiement fait par le débiteur à son créancier, au préjudice d'une saisie ou d'une opposition, n'est pas valable à l'égard des créanciers saisissants ou opposants".

La juxtaposition de ces deux textes conduit à préciser la nature de la créance de paiement et à s'interroger sur la notion d'opposition au paiement pour enfin préciser les restrictions opérées par l'article L. 511-31 du Code de commerce.

A - La nature de la créance de paiement

La créance de paiement, en matière d'effets de commerce, peut être double. S'agissant d'une lettre de change, le paiement peut, en effet, être dû au titre de la créance cambiaire ou au titre de la créance de provision pour une lettre de change non acceptée ou pour laquelle le droit cambiaire est devenu inopérant. En revanche, la question du dédoublement de la créance de paiement se pose pour le billet à ordre. En effet, si la confusion des qualités de tireur et de tiré sur la personne du souscripteur conduit à considérer que la souscription du billet produit les mêmes effets que l'acceptation de la lettre de change (4), en revanche, l'existence de la provision a fait débat (5).

La négation d'une provision du billet à ordre reposait sur le silence de l'article L. 512-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6737AID) (6) qui ne cite pas, dans son énumération de renvoi, les textes relatifs à la provision de la lettre de change (7). Ce principe, posé par la Cour de cassation (8) et approuvé assez largement par la doctrine (9), avait, notamment, pour conséquences que le porteur négligent du billet à ordre ne pouvait exercer le recours que lui donne l'article L. 511-49, II, du Code de commerce (N° Lexbase : L6702AI3), contre le bénéficiaire qui n'a pas fourni provision, ou encore que la prescription de l'action cambiaire laissait le tiers porteur sans recours contre le souscripteur (10).

La négation de la provision a suscité la réaction d'une partie de la doctrine qui a fait valoir, entre autres, qu'il n'y avait aucune raison de ne pas donner au porteur d'un billet à ordre les mêmes garanties que celles attribuées au porteur de la lettre de change, alors que les deux titres sont des effets de commerce dont le régime spécifique est destiné à sécuriser au maximum les paiements (11). Sans doute convaincue, la Cour de cassation est revenue sur sa position pour admettre que les règles relatives à la provision sont applicables à la créance fondamentale que détient le bénéficiaire à l'encontre du souscripteur et reconnaître que cette créance se trouve transmise aux porteurs successifs du billet à ordre (12).

A l'issue de cette évolution, il faut reconnaître au porteur du billet à ordre la double qualité de créancier : l'une au titre du rapport cambiaire et l'autre au titre du rapport fondamental de provision. Ainsi, pour le cas où la négligence ou la prescription viendrait à faire perdre au porteur ses recours cambiaires, celui-ci serait toujours à même d'exercer les recours qu'il tient de la provision (13). Dès lors, l'admission de la coexistence de la créance cambiaire et de la créance fondamentale conduit à considérer que l'opposition au paiement du billet à ordre concerne ces deux créances (14).

B - La notion d'opposition au paiement

L'opposition au paiement est l'acte par lequel un tiers interdit à un débiteur de se libérer de sa dette entre les mains de son créancier (15). L'article 1242 du Code civil stipule, à cet effet, que le paiement dû par un débiteur à son créancier peut être interdit par le créancier de ce dernier au moyen d'une saisie ou d'une opposition (16). Dérogeant à cette disposition du droit commun, l'article L. 511-31 du Code de commerce n'admet d'opposition au paiement que pour les cas de perte du titre ou de redressement ou liquidation judiciaire du porteur. La comparaison de ces deux textes, qui doivent se compléter comme un principe et son exception, montre que les termes utilisés ne sont pas identiques et n'ont donc pas le même sens. Plus précisément, l'opposition de l'article L. 511-31 du Code de commerce semble correspondre à la désignation générique de toute interdiction de payer faite au débiteur, alors que l'opposition de l'article 1242 du Code civil exprime un contenu plus technique qui vient en concours avec la saisie. Il faut cependant avoir à l'esprit, d'une part, que la rédaction de l'article 1242 date de la promulgation du Code civil et que le sens technique des termes utilisés a pu évoluer depuis et, d'autre part, que le terme d'opposition ne se rapporte à aucune procédure précise (17). Cela fait, l'opposition énoncée par l'article L. 511-31 recouvre deux situations, comme le suggère l'article 1242 du Code civil.

a) L'opposition au paiement peut, d'abord, consister dans l'exercice d'une mesure exécutoire qui permet à un créancier d'obtenir, par la contrainte, le règlement de sa créance (18). Il en est ainsi de la saisie-attribution par laquelle le créancier saisissant, muni d'un titre exécutoire, fait défense à un tiers-saisi de payer son propre débiteur et se fait attribuer les sommes correspondantes à concurrence du montant de la saisie (19). Dès la saisie opérée, le créancier saisissant se trouve investi d'un droit de propriété sur la créance saisie (20), ce qui signifie que la somme saisie a quitté le patrimoine du débiteur-saisi pour intégrer celui du créancier saisissant. Il s'agit là de l'effet translatif attaché à cette procédure exécutoire (21). On conçoit, alors aisément, que le paiement dû par le débiteur à son créancier ne puisse intervenir puisque la créance a été, en quelque sorte, interceptée par un tiers-saisissant avant qu'il ne se réalise. L'avis à tiers-détenteur (22) qui développe un effet translatif immédiat au profit du Trésor public, à l'instar de la saisie-attribution (23), constitue, également, une mesure exécutoire par laquelle peut s'exercer une opposition à paiement. Il existe, certes, d'autres mesures exécutoires comme, notamment, la saisie immobilière, la saisie-vente des meubles corporels, la saisie des rémunérations, mais leur domaine d'intervention les exclut du champ de l'article L. 511-31 du Code de commerce qui fixe le régime de l'opposition au paiement des seuls effets de commerce.

b) L'opposition au paiement peut, également, venir de l'exécution d'une mesure conservatoire dont l'objectif est de "conserver un droit ou un bien afin de protéger le créancier en évitant que son débiteur n'en dispose ou ne s'en dessaisisse" (24). Il s'agit seulement, au moins dans un premier temps, de geler la créance et bloquer le paiement qui doit intervenir. A l'évidence, relève de cette catégorie la saisie-conservatoire des créances (25). Mais ne faut-il pas, à cet effet, prendre en compte toute démarche visant à paralyser le paiement pour préserver la situation du créancier ? La réponse tient dans le double sens que revêt l'opposition au paiement. Lato sensu, elle traduit un résultat selon lequel le paiement ne peut avoir lieu au profit du créancier, quelle que soit la procédure utilisée, et c'est l'interprétation qu'il faut lui reconnaître dans l'article L. 511-31 du Code de commerce. Stricto sensu, l'opposition possède un sens plus technique, réservé à des hypothèses où le paiement se trouve bloqué en dehors de toute saisie, comme le suggère l'article 1242, qui fait référence, de façon concurrente, à la saisie et à l'opposition.

Pour inventorier les cas d'opposition, au sens technique et restreint du terme, susceptibles d'interdire au débiteur de payer sa dette, encore faut-il que leur existence et leurs modalités soient prévues et organisées par la loi. La jurisprudence confirme ces exigences lorsqu'elle décide que l'article 1242 du Code civil n'est pas applicable à la simple opposition d'un créancier (26). Il faut donc retenir les oppositions organisées par la loi. La plus évidente est certainement l'opposition des créanciers du vendeur de fonds de commerce au paiement du prix de vente par l'acquéreur (27). Plus discrète, l'acceptation d'une succession sous bénéfice d'inventaire permet aux créanciers du défunt de faire opposition afin qu'il soit établi une procédure d'ordre (28). L'opposition concerne encore la restitution ou le déplacement d'un bien ayant fait l'objet d'un dépôt (29). Mais ces cas d'opposition (30) n'assument pas tous une fonction conservatoire du paiement, qui plus est le paiement d'un effet de commerce. Seule l'opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce poursuit directement cet objectif lorsqu'elle concerne un billet de fonds émis pour permettre le règlement du prix.

La notion d'opposition étant ainsi un peu mieux cernée, l'affirmation de la nature insaisissable de la créance cambiaire, contenue dans l'arrêt du 27 septembre 2005, peut être analysée.

C - La nature insaisissable de la créance cambiaire

L'article 1242 du Code civil reconnaît aux créanciers un droit à l'opposition au paiement, entendue à la fois comme une mesure exécutoire et une mesure conservatoire, des créances appartenant à leurs débiteurs. Prenant le contre-pied de cette règle de droit commun, l'article L. 511-31 du Code de commerce pose le principe inverse de l'interdiction de toute opposition en matière d'effets de commerce, sauf exceptions.

Le fondement de ce principe peut être certainement différencié selon les différentes relations juridiques qui se greffent sur un effet de commerce (31), mais il est évident que l'article L. 511-31 pose une règle qui tend à sécuriser le paiement et le crédit, réalisés au moyen de ces instruments, au même titre que l'inopposabilité des exceptions. Il exprime la rigueur des obligations cambiaires qui ne doivent pas être entravées (32). L'interdiction intéresse le crédit public et possède, en conséquence, une portée générale quant aux créanciers opposants et, quant à la nature de l'acte d'opposition (33).

L'article L. 511-31 autorise, exceptionnellement, l'opposition au paiement de la lettre de change et du billet à ordre dans les seuls cas de perte du titre et de redressement judiciaire du porteur (34). Dans le premier cas, auquel il faut assimiler toute dépossession involontaire dont le vol (35), l'autorisation d'effectuer une opposition au paiement se justifie par la nécessité de protéger le titulaire dépossédé contre un porteur illégitime et de mauvaise foi. Dans l'hypothèse du redressement ou de la liquidation judiciaire du porteur, l'opposition a pour rôle d'empêcher le tiré de payer le porteur faisant l'objet d'une telle procédure afin que le règlement intervienne entre les mains de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur (36). Fondé initialement sur le dessaisissement du débiteur, en vigueur sous l'empire de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes (N° Lexbase : L7803GT8), l'extension de l'opposition à l'incapacité du porteur a été proposée (37), ce qui semble admettre que, malgré les termes restrictifs de l'article L. 511-31, d'autres cas d'opposition peuvent être admis, pourvu qu'ils se situent dans la mouvance de ceux énoncés dans ce texte. Cependant, la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises (N° Lexbase : L7852AGW) a modifié ce fondement en matière de redressement judiciaire, dans la mesure où le dessaisissement dépend de la mission confiée à l'administrateur judiciaire. Aussi, lorsque la mission consiste dans l'assistance ou la représentation du débiteur dans l'administration de son patrimoine, l'opposition au paiement de l'effet de commerce se conçoit. Lorsque la mission porte sur la surveillance de la gestion du débiteur, elle n'a plus les mêmes raisons de s'imposer (38). En réalité, il faut considérer que l'opposition faite au tiré de payer le porteur relève du principe d'égalité des créanciers qui sous-tend toute procédure collective et qui doit prendre l'ascendant sur celui de la sécurité du paiement d'un effet de commerce.

En dehors, donc, des deux cas autorisés par l'article L. 511-31 du Code de commerce, l'opposition au paiement d'un effet de commerce n'est pas recevable. C'est alors, tout à fait légitimement, que la jurisprudence reconnaît l'impossibilité d'effectuer une saisie-attribution ou un avis à tiers détenteur sur la créance due au porteur de l'effet par le tiré ou le souscripteur (39).

Dans son arrêt du 27 septembre 2005, la Cour de cassation confirme cette jurisprudence, mais ce faisant, elle donne l'impression de fonder sa décision sur la nature insaisissable de la créance cambiaire (40). Or, cette créance n'est pas spécialement ni intrinsèquement moins saisissable qu'une autre créance. Sa nature cambiaire n'entraîne pas un tel effet. Elle ne produit pas davantage un obstacle aux mesures conservatoires. Plus simplement, afin de sécuriser le paiement des effets de commerce, la loi, à travers l'article L. 511-31 du Code commerce, prohibe par principe les oppositions au paiement des effets de commerce et n'admet que deux dérogations : la perte de l'effet et l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du porteur. Ne relevant ni de l'une ni de l'autre, la saisie-attribution se heurte au principe de prohibition des oppositions au paiement.

D'ailleurs, ce principe de prohibition concerne, également, le paiement du chèque puisque l'article L. 131-35, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9756DYY) dispose que l'opposition au paiement d'un chèque n'est admise qu'en cas de perte de vol, d'utilisation frauduleuse du chèque et de redressement ou liquidation judiciaire du porteur. Il se retrouve encore à propos de la carte de paiement, pour laquelle l'article L. 132-2, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3484APQ) dispose qu'il ne peut être fait d'opposition au paiement qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse de la carte ou des données liées à son utilisation, de redressement ou de liquidation judiciaire du bénéficiaire. Or, la créance de chèque est exceptionnellement une créance cambiaire, il faut pour cela que le chèque circule et soit donc endossable. Quant à la créance de carte de paiement, elle n'est jamais cambiaire. Pour ces deux instruments de paiement, comme pour la lettre de change et le billet à ordre, l'insaisissabilité ne se rapporte pas à la nature de la créance, contrairement à ce que laisse entendre la Cour de cassation, mais elle relève du principe de prohibition des oppositions à paiement qui leur est propre et qui déroge au droit commun.

Cette analyse se vérifie en observant que le principe d'interdiction des oppositions au paiement d'un effet de commerce concerne, non seulement la créance cambiaire, mais également la créance de provision comme l'admet la jurisprudence (41), ce qui paraît, somme toute logique, dans la mesure où la provision participe à titre accessoire ou principal au règlement de l'effet. Cette interdiction a donc bien une portée générale indépendante de la nature de la créance et n'a de légitimité qu'en rapport avec la fonction de paiement de l'instrument.

Comment, alors, comprendre que la jurisprudence permette au porteur de consolider son droit sur la provision, soit en pratiquant une saisie entre les mains du tiré, soit en faisant défense au tiré de payer la provision (42) et contrevienne ainsi directement à la prohibition des oppositions au paiement formulée par l'article L. 511-31. L'explication se trouve dans le fait que la démarche du porteur envers le tiré ne constitue pas une opposition au paiement mais tend, au contraire, à préserver le règlement à son profit. Le principe de prohibition des oppositions au paiement contribue à conforter le règlement du titre au profit du porteur, or celui-ci parvient, lui-même, à un tel résultat en usant de la saisie ou de la défense de payer à l'égard de son débiteur. Ce qui revient à dire que l'opposition au paiement faite par le créancier à son débiteur n'entre pas dans le champ de l'article L. 511-31.

II - L'intérêt pour agir du tiers-saisi

Dans la relation triangulaire de la saisie-attribution, la situation du tiers-saisi paraît neutre. Sa position de débiteur le rend normalement indifférent quant au destinataire du règlement de sa dette, dans la mesure où il se trouve extérieur au litige qui oppose le créancier-saisissant et le débiteur-saisi (43). Il est seulement "tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur-saisi" (44).

La contestation de la saisie (45) appartient, principalement, au débiteur-saisi en raison de sa qualité de partie au rapport litigieux avec le créancier-saisissant. Son intérêt à agir est évident.

En revanche, la question se pose de savoir si le tiers-saisi dispose de la même faculté de contestation. Cette question était au coeur du litige dans l'affaire sur laquelle la Chambre commerciale de la Cour de cassation a statué par son arrêt du 27 septembre 2005. Les textes ne donnent aucune indication précise à ce sujet. L'article 45 de la loi de 1991, sur les procédures civiles d'exécution, se contente d'enfermer "toute contestation" dans le délai d'un mois et l'article 64 du décret du 31 juillet 1992 vise la contestation en cas de refus de paiement du tiers-saisi. Par conséquent, le tiers-saisi peut, comme n'importe quel autre tiers, contester la saisie (46). La Cour de cassation a même posé en principe (47), qu'il peut élever une contestation, sans avoir à respecter le délai d'un mois imparti à cet effet (48). Le tiers-saisi doit simplement posséder un intérêt pour agir.

L'intérêt pour agir s'entend comme le profit, l'utilité ou l'avantage que l'action peut procurer à une partie dans un contentieux (49). A l'égard du tiers-saisi, l'intérêt pour agir doit s'établir par rapport à sa qualité, ou si l'on préfère sa position, dans le rapport juridique qui l'oblige. Lorsque le tiers-saisi possède la qualité de tiré d'une lettre de change ou de souscripteur d'un billet à ordre, il se trouve, à l'égard du bénéficiaire ou du porteur, dans la situation de débiteur d'une obligation au titre de la créance cambiaire, au titre de la provision ou même au titre des deux, selon la situation développée par l'effet de commerce. Il doit le paiement au bénéficiaire ou au porteur de l'effet en cette qualité. Or, l'acte de saisie emporte un effet d'attribution immédiat de la créance saisie au profit du créancier-saisissant qui "rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation" (50). Devenu de ce fait débiteur du créancier-saisissant, le tiers-saisi possède, effectivement, un intérêt à agir pour contester la saisie.

Le tiers-saisi dispose de moyens de défense lui permettant de mettre à néant la prétention du saisissant. Il peut ainsi contester la validité de la saisie-attribution en invoquant, notamment, sa nullité ou sa caducité (51) ou encore de la prohibition des oppositions au paiement en dehors des cas prévus par la loi, comme vient de le faire la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté. Le tiers-saisi peut, également, se prévaloir à l'encontre du créancier-saisissant des exceptions personnelles qu'il tient du rapport de provision et qui lui permettent de ne pas payer le débiteur -saisi, telles, par exemple, la nullité, la compensation, l'inexécution ou la remise de dette comme cela a été invoqué dans l'affaire examinée (52).

Une fois de plus, la rencontre entre le droit cambiaire et les procédures civiles d'exécution exprime toutes les subtilités de la technique et de l'analyse juridique.

Jean-Pierre Arrighi
Professeur à l'Université de Nice-Sophia Antipolis


(1) D 2005, 2672 note X. Delpech.
(2) M. Jeantin, P. Le Cannu et Th. Granier, Instruments de paiement et de crédit. Titrisation, Dalloz, 7ème éd. 2005, n° 399.
(3) Article L. 512-3 du Code de commerce qui déclare, pour l'essentiel, applicable au billet à ordre les dispositions prévues pour la lettre de change.
(4) Article L. 512-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6740AIH).
(5) Sur la question, v. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 73-79.
(6) Ancien article 185.
(7) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 75.
(8) Cass. com. 15 décembre 1947, S 1948, I, 41 note P. Lescot, JCP éd. G., 1948, II, 4130, Banque 1948, 214 obs. X. Marin, RTD com. 1948, 288 obs. R. Houin ; Cass. com. 29 juin 1948, Bull. n° 170, RTD com. 1949, 139 obs. R. Houin.
(9) P. Lescot et R. Roblot, Les effets de commerce, Sirey 1953, t. II, n° 778 ; R. Roblot, Les effets de commerce, Sirey 1975, n° 474 ; Ripert et Roblot, Traité de droit commercial, LGDJ, t. 2, 17ème éd., 2004, par Ph. Delebecque et M. Germain, n° 2117; M. Jeantin, P. Le Cannu et Th. Granier, op. cit., Dalloz 7ème éd. 2005, n° 409.
(10) V., sur les conséquences de ce principe, J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 74.
(11) V. J. Hamel, G. Lagarde et A. Jauffret, Traité de droit commercial, t. 2, Dalloz 1966, n° 1496 ; J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 76.
(12) Cass. com. 3 mars 1987, n° 85-15.564, CIC c/ BPRNP (N° Lexbase : A6259CLE), D 1988, som., 6 obs. F. Derrida ; Cass. com. 5 mars 1991, n° 89-20.252, CIO c/ Sollac (N° Lexbase : A2817ABX), Bull. civ. n° 95, JCP éd. G 1992, II, 21888, note M. Crionnet, JCP éd. E, 1992, II, 289 et 289 bis note M. Crionnet, D 1992, som., 28 obs. M. Vasseur et 117 obs. A. Bénabent, LPA 29 juillet 1992, p. 39 note V. Roulet, Gaz. Pal. 26 novembre 1992, p. 2 note M. Leschemelle. V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 78-79.
(13) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 490, n° 77.
(14) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 11.
(15) J. Flour, J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, Les obligations, Le rapport d'obligation, A. Colin, 3ème éd., 2004, n° 141.
(16) V.- J. Issa-Sayegh, Juris-classeur civil, article 1235-1248, fasc. 50, n° 3 et suivants. 
(17) R. Perrot et Ph. Théry, L'épée de Damoclès (à propos des mesures d'exécution pratiquées en période suspecte), D 2005, 1842, note 4. Sur l'opposition comme nouveau cas de nullité de la période suspecte dans la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, v. J.-P. Arrighi, Les nouveaux cas de nullités de la période suspecte, Gaz. Palais 9-10 septembre 2005, p. 9, n° 36 et suivants. 
(18) M. Donnier et J.-B. Donnier, Voies d'exécution et procédures de distribution, Litec, 7ème éd., 2004, n° 587.
(19) Article 42 à 47 de la loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9124AGZ) ; article 53 à 79 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 (N° Lexbase : L3496AHX) ; M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 963 et suivants. 
(20) M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 964.
(21) Article 43, alinéa 1er de la loi du 9 juillet 1991.
(22) Article 263 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8283AEI).
(23) M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 989-993 ; S. Rezek, Recouvrement des créances : différences et ressemblances entre l'avis à tiers détenteur et la saisie-attribution, JCP éd. N, 2002, 1623.
(24) M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 379.
(25) Article 74 de la loi du 9 juillet 1991 ; M. Donnier et J.-B. Donnier, op. cit., n° 493 et suivants. 
(26) CA Aix en Provence, 10 avril 1991, Société Morey Provence Languedoc c/ Compagnie Abeille Paix.
(27) Article L. 141-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5679AI8).
(28) Article 808 du Code civil (N° Lexbase : L3429ABM).
(29) Article 1944 du Code civil (N° Lexbase : L2168ABW).
(30) Les oppositions à tiers détenteur de la mutualité sociale agricole (C. rur., art. L. 725-12 N° Lexbase : L1497ANR) et de la sécurité sociale (régime des travailleurs non-salariés des professions agricoles : C. sec. soc, art. L 652-3 N° Lexbase : L5530AD8) relèvent d'une procédure proche de la saisie-attribution.
(31) V. J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 2-3.
(32) G. Gavalda et J. Stoufflet, Instruments de paiement et de crédit, Litec, 5ème éd, 2003, n° 128.
(33) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 6-12.
(34) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 17 et suiv.
(35) G. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 125 et 128.
(36) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 81-83.
(37) R. Roblot, op. cit., n° 334 ; G. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 128.
(38) J. Issa-Sayegh, Juris-classeur commercial, fasc. 445, n° 81.
(39) Cass. com. 29 novembre 1982, n° 81-14005, SBCIC c/ SCASO (N° Lexbase : A5057CKI), Bull. civ. n° 374, D 1983, IR, 246 obs. M. Cabrillac ; CA Dijon, 23 mai 1973, RTD com.1973, 833 obs. M. Cabrillac et J.L. Rives-Lange ; Cass. com. 15 juin 1993, n° 91-14.201, Mer Montagne Vacances c/ CRCAM Ile de France (N° Lexbase : A5657AB7), Bull. civ. n° 245, D 1994, som., 181 obs. M. Cabrillac.
(40) V. les observations de X. Delpech au D. 2005, 2672.
(41) Cass. com. 29 novembre 1982, préc. ; Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-11.348, CIC Paris c/ Sté Sugamu Shinkin Bank (N° Lexbase : A9291C7A) ; CA Montpellier, 21 mars 1951, Banque 1951, 304 obs. X. Marin, RTD com. 1951, 549 obs. E. Becqué et H. Cabrillac et la doctrine (Ripert et Roblot, op. cit., t. 2, n° 1979-1 et 2075 ; Ch. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 99 et 128).
(42) Cass. com. 24 avril 1972, n° 71-10. 080, SARL Les magasins Gervais c/ Société de banque et de crédit (N° Lexbase : A6742AXY), Bull. civ. n° 119, D. 1972, 686 note R. Roblot ; Cass. com. 3 mai 1995, n° 92-14.646, Société bordelaise de CIC c/ Meijas (N° Lexbase : A7863CLS), D. 1996, 292 note D. Gibirila.
(43) V. R. Perrot et Ph. Théry, Saisie-attribution : la situation du tiers saisi, D. 2001, 721, n° 19 (les arrêts du 5 juillet 2000).
(44)  Article 44 de la loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution ; V.-M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 928 et suiv. ; J.M. Dellici, La réforme des procédures civiles d'exécution. Son application aux opérations de banque, Banque éditeur, 2ème éd., 1997, n° 279-280.
(45) Article 45 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ; article 65-68 du décret du 31 juillet 1992 ; V. M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 953 et s. ; R. Lauda, Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2001-2002, n° 5240 et s.
(46) V. M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 953-955; R. Lauda, Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2001-2002, n° 5240 et 5246 ; R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 20-22.
(47) Cass. civ. 2, 5 juillet 2000, arrêt n° 1, n° 97-22.512, Société Belluard et Gomis c/ Société Union Kovaska Industrija Zrece (N° Lexbase : A9085AGL), arrêt n° 2, n° 98-17.707, Receveur des Finances de Lisieuix c/ Société Générale (N° Lexbase : A9089AGQ), Bull. civ. n° 112, D. 2000, IR, 226, Ann. Loyers 2001, 548 obs. R. Martin, Procédures 2000, n° 197 obs. C. Laporte, RTD civ. 2000, 903 obs. R. Perrot ; v. aussi, R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 23-24.
(48) Article 45, alinéa 1er, de la loi du 9 juillet 1991.
(49) L. Cadiet, Droit judiciaire privé, Litec, 3ème éd., 2000, n° 843 ; P. Julien et N. Fricéro, Droit judiciaire privé, LGDJ, 2ème éd., 2003, n° 67.
(50) Article 43, alinéa 1er, de la loi du 9 juillet 1991. V. M. Donnier et J.B. Donnier, op. cit., n° 964-967; R. Lauda, Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2001-2002, n° 5201.
(51) R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 20.
(52) V. R. Perrot et Ph. Théry, art. préc., n° 21.

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[Manifestations à venir] Réforme du droit des sûretés personnelles ou réelles : vers de nouveaux principes communs et "directeurs"

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N0901AKL

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Le 07 Octobre 2010

Les éditions formations entreprises (EFE) organisent, les 29 et 30 novembre 2005, deux journées ayant pour thème "Réforme du droit des sûretés personnelles ou réelles : vers de nouveaux principes communs et "directeurs". L'objectif de cette manifestation est de faire le point sur le projet de réforme du droit des sûretés pour laquelle le Gouvernement a été habilité à légiférer par ordonnance, de manière imminente . Ainsi, cette formation permettra d'aborder les points centraux d'une réforme vivement attendue, notamment, les innovations majeures en matière de gage, les moyens développés pour rendre l'hypothèque plus accessible et plus attractive, ou encore l'impact de l'actualisation du nantissement de meubles corporels. Participeront, notamment, à cette manisfestation les membres du rapport Grimaldi.
  • Programme

Mardi 29 novembre 2005

Sûretés personnelles : vers une restauration de l'efficacité du cautionnement ?
Faites le point sur les objectifs de la réforme et sur son calendrier
Quelle nouvelle typologie des différents cautionnements ?
Quel impact sur la nature et l'étendue de l'engagement de caution ?
Le formalisme applicable à l'engagement de caution : vers une meilleure protection de la caution personne physique ?
La généralisation de l'information de la caution : vers une obligation unique de portée générale ?
Consécration législative de l'exigence de proportionnalité du cautionnement : quelles limites ?
Garantie à première demande/lettre d'intention : quelle incidence d'une codification ?

  • Mercredi 30 novembre 2005

Sûretés réelles : vers un assouplissement de leur régime juridique ?
La réforme du gage : vers une nouvelle sûreté réelle mobilière conventionnelle sans dépossession ?
Quelle actualisation du nantissement de meubles incorporels ?
Intégrez les nouvelles dispositions spécifiques aux propriétés-sûretés
La propriété cédée à titre de garantie : quelle efficacité ?
La propriété retenue à titre de garantie ou la nouvelle réglementation d'ensemble de la réserve de propriété
L'impact en pratique de l'édiction de règles de classement des privilèges mobiliers : identifiez les principes essentiels de leur classement
Vers une modernisation de l'hypothèque, un recours facilité ?
L'antichrèse-bail : la nouvelle donne

  • Dates

Mardi 29 novembre 2005
Mercredi 30 novembre 2005

  • Prix

1 jour : 900 euros H.T.
2 jours : 1 600 euros H.T.

  • Renseignements / Contact

EFE
50, avenue de la Grande Armée
75848 Paris cedex 17
Tél. : 01 44 09 17 58
Fax : 01 44 09 22 22
info@efe.fr

newsid:80901

Marchés publics

[Questions à...] L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre 2005 : le contrôle du respect du principe d'égalité d'accès à la commande publique dans le cadre des marchés passés selon la procédure dite adaptée

Réf. : CE, 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 278732, Région Nord-Pas-de-Calais N° Lexbase : A6994DKA

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par Propos recueillis par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public

Le 07 Octobre 2010

Dans le cadre d'un marché passé selon une procédure adaptée, le Conseil d'Etat a annulé, par un arrêt du 7 octobre 2005, la procédure de passation du marché passé par la Région Nord-Pas-de-Calais, ayant pour objet la programmation de l'implantation d'une antenne du musée du Louvre à Lens, en ce que les mesures de publicité ne permettaient pas d'assurer une publicité suffisante auprès des programmistes ayant vocation à y répondre de telle sorte que soient respectés les principes de libre accès à la commande et d'égalité de traitement des candidats (CE, 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 278732, Région Nord-Pas-de-Calais N° Lexbase : A6994DKA). Cet arrêt semble encadrer la liberté laissée aux acheteurs publics de déterminer les modalités de publicité et de mise en concurrence. Aussi, afin d'apprécier la portée pratique de cet arrêt et les conséquences à en tirer du point de vue des personnes publiques, nous avons interrogé Maître Sudaka, avocat associé, et Maître Kaladjian, avocat à la Cour, Cabinet Neveu, Sudaka et associés. Lexbase : Comment analysez-vous l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre 2005, Région Nord-Pas-de-Calais ?

Maître Sudaka, Maître Kaladjian : L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre 2005 est un arrêt d'espèce ; il convient de l'interpréter en tant que tel, compte tenu de la spécificité des faits qui étaient soumis à l'appréciation du Conseil d'Etat.

Il n'en est pas moins intéressant puisqu'il s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence et de la doctrine précédentes, et notamment d'un arrêt du 23 février 2005, par lequel le Conseil d'Etat avait annulé le I de l'article 40 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8746GYL) (CE 2° et 7° s-s., 23 février 2005, n° 264712, Association pour la transparence et la moralité des marchés publics (ATMMP) et autres [LXB=A7529DGX ]).

Ce texte dispensait des mesures de publicité permettant une mise en concurrence effective pour la passation des marchés visés :

- au I de l'article 28 (N° Lexbase : L8735GY8) ;
- à l'article 30 (N° Lexbase : L1101DYG) ;
- aux II et III de l'article 35 (N° Lexbase : L1079DYM).

Le Conseil d'Etat avait censuré l'exception prévue par référence à l'article 30 (cas de marchés selon procédure adaptée), aux motifs que :

"quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté, d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures",

et que dès lors :

"le premier alinéa de l'article 30 ne pouvait, sans méconnaître les principes de la liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, dispenser de façon générale la passation de tous ces contrats d'une procédure adéquate de publicité et de mise en concurrence".

Dans ce précédent arrêt, le Conseil d'Etat avait constaté une contradiction entre :

- les dispositions de l'article 40-I en ce qu'elles faisaient référence à l'article 30, pour l'exclure de manière générale, des formalités de publicité ;

- les dispositions de ce texte qui prévoient explicitement : "les modalités de publicité et de mise en concurrence".

Le Conseil d'Etat a affirmé la prééminence de ces règles telles qu'elles figurent au titre I du Code des marchés publics.

L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre dernier ne fait que réaffirmer ces principes en estimant que, même s'agissant d'un marché passé selon une procédure adaptée, ceux-ci demeurent applicables. Les mesures de publicité mises en oeuvre par la région Nord-Pas-de-Calais ont, en conséquence, été jugées insuffisantes pour satisfaire au respect de libre accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats.

Il ne s'agit que de l'application des dispositions de l'article 28-I du Code des marchés publics.

L'arrêt répond aux dispositions de ce texte, après avoir procédé à une analyse factuelle.

Lexbase : Quelles conséquences tirez-vous, alors, des circonstances de l'espèce ? L'annulation de la procédure était-elle, selon vous, justifiée ?

Maître Sudaka, Maître Kaladjian : Dans le cas d'espèce, il s'agissait d'un marché public ayant pour objet la programmation d'une implantation d'une antenne du musée du Louvre à Lens (59), étant précisé que l'avis d'appel public à la concurrence exigeait des candidats des "références récentes en matière de conception et de programmation de grands musées".

Les mesures de publicité mises en oeuvre par la Région Nord-Pas-de-Calais, consistant en la publication de l'avis d'appel public à la concurrence dans le journal "La voix du Nord" et la mise en ligne sur le site internet du conseil régional pendant 15 jours, ont été jugées insuffisantes, par le Conseil d'Etat, pour assurer le respect des principes de libre accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats. Par ailleurs, la circonstance qu'indépendamment de la volonté de la personne publique, l'avis d'appel public à la concurrence avait été mis en ligne sur le site internet du journal "le Moniteur du bâtiment et des travaux publics" a été considérée sans incidence dans l'appréciation de la régularité des mesures de publicité auxquelles la personne publique a procédé.

Les faits étaient donc très particuliers. On peut en tirer quatre conséquences générales :

  • Tout d'abord, les modalités de publicité doivent être adaptées au montant et à l'objet du marché.

Il existait pour ce marché une distorsion entre son montant, qui était relativement peu élevé (35 000 euros HT), et son objet qui, lui, revêtait une certaine importance, puisqu'il s'agissait de la programmation de l'implantation d'une antenne du musée du Louvre. Le Conseil d'Etat a procédé à une application pure et simple de l'article 28 : la liberté offerte à la personne publique doit être adaptée à l'objet du marché.

Le montant estimé du marché ouvre la faculté, pour la personne publique, de disposer d'une certaine liberté pour définir les modalités de publicité. Cependant, ces modalités de publicité doivent être adaptées à l'objet du marché, qui peut constituer un tempérament important à la liberté résultant du montant de la commande publique, lorsque sa mise en oeuvre implique des mesures de publicité que son seul montant n'aurait pas justifiées.

La liberté de la personne publique est donc relative puisqu'elle demeure soumise à une obligation minimale : le respect des principes généraux applicables à la commande publique.

  • En outre, les modalités de publicité doivent être adaptées au "marché" des candidats à consulter.

En effet, il faut rechercher dans les règles de la consultation (RPAO-règlement particulier de l'appel d'offres), quels sont les professionnels qui doivent être touchés par la mesure de publicité.

En l'espèce, les références exigées des candidats faisaient allusion aux "grands musées". Il fallait entendre par là, les musées nationaux ce qui impliquait, pour la personne publique, qu'elle procède à une consultation des candidats à un niveau national. En procédant à une publication dans un journal local, la personne publique a en quelque sorte "raté" l'objet même de sa consultation, alors qu'elle devait atteindre l'ensemble du marché des programmistes.

La consultation devait, au surplus, être d'autant plus large que le nombre de candidats potentiels était limité.

La consultation doit donc être organisée en recherchant une adéquation entre l'objet du marché et le "marché" des candidats potentiels à consulter.

  • La publication de l'avis d'appel public à la concurrence doit émaner de la personne publique soumise à l'obligation de publicité et non d'un tiers.

La circonstance selon laquelle l'avis de publicité avait été mis en ligne sur le site internet du journal le "Moniteur du bâtiment et des travaux publics" a été considérée comme sans incidence sur l'appréciation de la régularité des mesures de publicité.

Il semble que le Conseil d'Etat ait voulu sanctionner la collectivité qui a méconnu les obligations qui pèsent sur elle à titre personnel.

  • Enfin, que penser de la publicité sur le propre site internet de la collectivité ? S'agit-il d'une réelle mesure de publicité ?

Certes, tout le monde peut avoir accès au site internet de la collectivité. Mais il semble qu'il y ait une réelle confusion entre l'accès ouvert à tous via internet, et la publication qui doit atteindre tous les candidats potentiels : le flux d'information n'est pas le même. C'est la personne publique qui doit informer l'ensemble des candidats.

La seule publication sur son site internet par la personne publique n'est pas un moyen de publicité. En revanche, elle le serait si les candidats potentiels avaient été parallèlement informés de son existence.

Il peut en conséquence être conseillé aux personnes publiques de procéder à une publication de quelques lignes dans un journal ayant vocation à toucher l'ensemble des candidats potentiels, tout en renvoyant expressément à une publication complète sur leur site internet. Il pourrait s'agir d'un moyen économique, permettant de satisfaire à l'obligation de publicité c'est-à-dire d'assurer une publicité suffisante, tout en adaptant les modalités de cette publicité au montant du marché.

Pour conclure, cet arrêt du Conseil d'Etat, qui s'inscrit dans le prolongement de la jurisprudence et de la doctrine antérieures, nous semble parfaitement justifié.

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Marchés publics

[Jurisprudence] La qualification des contrats de mobilier urbain

Réf. : CE Contentieux, 4 novembre 2005, n° 247298 (N° Lexbase : A2732DLR) et n° 247299 (N° Lexbase : A4760DLU), Société Jean-Claude Decaux

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Alors que le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation formé par la société Decaux contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 mars 2002, vient de se prononcer sur la qualification des contrats de mobilier urbain, il y a lieu de rappeler les termes du débat juridique qui s'est cristallisé ces dernières années autour de cette question et qui a mis en lumière la spécificité de ces contrats. I. La tendance dominante de la jurisprudence récente était de qualifier de marchés publics les contrats de mobilier urbain

1) Dans la ligne d'un avis du Conseil d'Etat en date du 14 octobre 1980 (avis CE, 14 octobre 1980, n° 327449 N° Lexbase : X4356ADP EDCE 80-81, n° 32, p. 196), la tendance dominante de la jurisprudence actuelle est de qualifier ces contrats de marchés publics de prestations de service assortis d'une occupation du domaine public et soumis en tant que tels au Code des marchés publics.

Ainsi en ont jugé plusieurs tribunaux administratifs : tribunal administratif de Montpellier (TA Montpellier, 9 novembre 2000, Préfet de la région Languedoc Roussillon, Préfet de l'Hérault, n° 003828 et 003829), tribunal administratif de Cergy (TA Cergy, 5 décembre 2000, Préfet Seine-Saint-Denis, n° 999693, BJCP n° 17 p. 354).

Ainsi en a jugé également la cour administrative d'appel de Paris dans son arrêt du 26 mars 2002 (CAA Paris, 26 mars 2002, n° 97PA0373 N° Lexbase : A3825AZP et n° 01PA00232 N° Lexbase : A4143AZH, Société JC Decaux).

2) Dans ce dernier arrêt rendu en formation plénière, la cour a d'abord écarté la qualification de concession domaniale, à la fois par défaut et par excès, en jugeant, d'une part, que la condition de précarité n'était pas remplie et, d'autre part, que l'exercice par le cocontractant de missions d'intérêt général excédait l'objet de ce type de concession. La cour a ensuite écarté la qualification de délégation de service public, du fait de l'absence de versement de redevances par les usagers de la voirie publique et de prise en charge directe de l'exploitation d'un service public.

Surtout, la cour s'est démarquée de la qualification par défaut donnée à ces contrats par le Conseil d'Etat dans son avis de 1980 et a considéré que les contrats de mobilier urbain étaient des marchés publics en ce qu'ils comportaient le paiement d'un prix, constitué des avantages consentis par la commune "du fait, d'une part, de l'autorisation donnée à cette entreprise d'exploiter, à titre exclusif, une partie des surfaces offertes par le mobilier urbain à des fins publicitaires et, d'autre part, de l'exonération de tout versement de redevance pour occupation du domaine public".

Ce faisant, la cour a confirmé la solution retenue par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 5 décembre 2000 et l'analyse adoptée par le tribunal administratif de Nice dans un jugement du 2 juin 1992 (TA Nice, 2 juin 1992, n° 9103580 et 9103283). Ajoutons que cette solution, non encore confirmée par le Conseil d'Etat, a été également adoptée, de manière implicite, par un arrêt de la cour administratif d'appel de Nantes en date du 30 juillet 2003, également rendu en formation plénière (CAA Nantes, 30 juillet 2003, n° 02NT01384 et n° 02NT01590, Ville de Rennes N° Lexbase : A1895DAG). Enfin, dans un arrêt du 26 octobre 2004, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que la fourniture, à titre gratuit, d'agendas comportant des informations pratiques sur la commune, présentait un caractère onéreux et constituait ainsi un marché public au sens de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 (N° Lexbase : L0256AWE) (CAA Bordeaux, 26 octobre 2004, n° 01BX00342, Commune de Saint-Joseph N° Lexbase : A8312DEL, Contrats et Marchés Publics, février 2005, comm. 32, p. 25).

3) Encore plus récemment, par une ordonnance en date du 25 juillet 2005, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a annulé la procédure de passation du marché de la convention d'occupation domaniale des espaces publics parisiens et enjoint à la ville de Paris de reprendre la procédure en se conformant aux dispositions des articles 39 et suivants du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8744GYI).

Enfin, dans le cadre du pourvoi en cassation formé par la société Decaux contre l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Paris du 26 mars 2002, le commissaire du Gouvernement D. Casas a conclu à deux reprises, la première fois, le 8 juillet 2005, devant les 7ème et 2ème sous-sections réunies, et la seconde, il y a quelques jours, devant l'Assemblée du contentieux, à la qualification de marchés publics des contrats en cause.

II. Un courant jurisprudentiel et doctrinal minoritaire qualifiait cependant les contrats de mobilier urbain de contrats d'occupation du domaine public

1) Nous avons, cependant, parlé d'une tendance dominante de la jurisprudence actuelle : il faut en effet relever que, par deux jugements en date des 15 décembre 2000 et 7 novembre 2002, le tribunal administratif de Grenoble a jugé que les contrats de mobilier urbain constituaient des conventions d'occupation du domaine public et non des marchés publics, en l'absence d'un véritable prix payé par la commune, les recettes publicitaires étant en particulier perçues sur des tiers au contrat (TA Grenoble, 15 décembre 2000, n° 9802905 et 9804057, M. Avrillier c./ commune de Grenoble, BJDCP 2001, n° 17, p. 353 ; TA Grenoble, 7 novembre 2002, n° 0204092, Société Clear Channel France).

Par ailleurs, l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Paris a été rendu contrairement aux conclusions du commissaire du Gouvernement, V. Haïm, qui proposait également de qualifier de conventions d'occupation du domaine public les contrats de mobilier urbain pour deux raisons :

a/ l'absence de l'équivalent d'un prix, le renoncement à la perception de redevances ne se traduisant pas par une recette positive supplémentaire pour la commune, mais par une simple diminution des charges d'exploitation et le renoncement aux recettes publicitaires ne pouvant, en aucun cas, être pris en compte, dans la mesure où les communes ne peuvent légalement percevoir de telles recettes ;

b/ la marge pour risques et bénéfices relève des seules diligences de l'entreprise, la commune abandonnant ainsi non seulement des recettes mais également des charges et des risques puisque la société assure sa rémunération par les seuls résultats de l'exploitation.

2) Outre ce courant jurisprudentiel, un courant doctrinal notable s'est prononcé contre la qualification de marchés publics (Pr. de Laubadère, Traité des contrats administratifs, 1983, n° 194, p. 252 ; C. Maugüe, CJEG, avril 1997, p. 135 ; F. Lichère, RDP 1997, n° 6, p. 1765) et, de manière plus positive, pour la qualification de conventions d'occupation du domaine public : citons à cet égard le Pr. Jean-Bernard Auby (Gazette des communes du 7 avril 1997), le commissaire du Gouvernement G. Le Chatelier (Le Moniteur, 30 juin 2000), et... le Conseil d'Etat, lui -même, dans son rapport public de l'année 2002.

Dans ce rapport, le Conseil d'Etat considère que le raisonnement consistant à assimiler à un prix payé par la commune, les recettes publicitaires dont elle se prive, "paraît méconnaître le service fourni par l'entreprise (construction des installations, recherche des annonceurs, gestion commerciale du dispositif...)" et craint que "sa généralisation" aboutisse "à qualifier de marché public tout contrat conclu avec une entreprise occupant le domaine public en vue de s'y livrer à une activité commerciale".

3) Cet aperçu de la contestation jurisprudentielle et doctrinale de la jurisprudence dominante appelle plusieurs remarques.

a/ Il nous semble exact de considérer que l'abandon de recettes publicitaires ne peut constituer une composante du prix payé par la commune à la société, la diffusion de messages publicitaires constituant une activité commerciale interdite par nature aux personnes publiques (avis CE, 19 novembre 1987, n° 342940, section de l'intérieur, N° Lexbase : X4357ADQ). Toutefois, si le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 décembre 2000 précité considère comme un élément du prix "l'abandon à la [...] société des recettes publicitaires tirées de l'affichage sur la voie publique", l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris précité, qui confirme la solution rendue par le tribunal administratif, est plus précis et ne retient comme élément du prix que "l'autorisation donnée à cette entreprise d'exploiter, à titre exclusif, une partie des surfaces offertes par le mobilier urbain à des fins publicitaires" (nous soulignons). Il nous semble que la motivation retenue par la cour est moins contestable en ce qu'elle insiste sur le caractère d'exclusivité de l'exploitation du mobilier urbain, cette exclusivité ayant forcément un prix. Dès lors, l'on pourrait considérer que ce n'est pas l'abandon de recettes publicitaires en soi mais l'octroi de cette exclusivité d'exploitation du mobilier urbain qui constitue un élément du prix payé par la commune ; l'on éviterait ainsi de considérer comme un prix des recettes perçues sur un tiers au contrat pour se concentrer sur la seule relation entre la commune et son cocontractant ;

b/ en outre, le prix payé par la commune se compose d'un autre élément dont, à l'exception des conclusions contraires de V. Haïm sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, le caractère de prix n'est pas remis en cause par la jurisprudence et la doctrine précitées. Cet autre élément, ce sont les redevances pour occupation du domaine public que la commune renonce à percevoir et dont le montant est, contrairement au montant des recettes publicitaires, facilement évaluable. Que cette recette ne soit pas une recette positive n'enlève rien au fait qu'il s'agit bien d'un avantage consenti par la commune à son cocontractant en échange de prestations de services ;

c/ bien plus, le prix payé par la commune nous semble comprendre d'autres avantages en nature. En effet, la plupart des contrats de mobilier urbain prévoient que les abonnements et consommations électriques nécessaires au fonctionnement et à l'éclairage des colonnes sont assurés et supportés par la ville. Or, là encore, cet avantage est aisément quantifiable. Ces contrats prévoient également que, en cas de retard de la commune à fournir à la société les affiches comportant des informations de caractère général ou local, l'affichage est soit reporté soit effectué aux frais de la commune moyennant un prix fixé d'avance. La commune peut donc être amenée à acquitter un prix à la société en contrepartie de l'affichage des informations à caractère public et non-commercial. Nous voyons ainsi que la logique qui sous-tend la rédaction de ces contrats est bien celle d'un marché public, même si cette logique est implicite et se manifeste par défaut ou plutôt à titre subsidiaire et concerne un certain type d'informations ;

d/ il n'est enfin pas contesté que les contrats litigieux permettent à la commune d'assurer des missions d'intérêt général telles que l'information municipale, la propreté de la voirie et la protection des usagers des transports publics contre les intempéries. Ces objectifs figurent d'ailleurs en préambule dans chacun de ces contrats. Dès lors que ce critère d'intérêt général est vérifié par le juge, la crainte du Conseil d'Etat de voir qualifier de marché public "tout contrat conclu avec une entreprise occupant le domaine public en vue de s'y livrer à une activité commerciale" ne nous semble pas fondée.

III. Les contrats de mobilier urbain étant plus proches des marchés publics que des contrats d'occupation du domaine public, le Conseil d'Etat a retenu cette première qualification

1) Aux termes de cette analyse, il faut bien constater que les contrats de mobilier urbain occupent une zone intermédiaire entre les marchés publics et les contrats d'occupation du domaine public, empruntant à chacune de ces catégories certaines de leurs caractéristiques. Dès lors, leur qualification dépend des caractéristiques ou des critères que l'on privilégie : que l'on insiste sur le critère du prix, en particulier sur sa composante de recettes publicitaires, et la balance penche vers les contrats d'occupation du domaine public. Que l'on insiste plutôt sur le critère de l'intérêt général et la balance penche au contraire vers les marchés publics.

Dans la mesure où il s'agit de qualifier les conventions dans leur ensemble, il y a cependant lieu de qualifier de marchés publics les contrats de mobilier urbain, bien que ces contrats constituent également, et en partie, des contrats d'occupation du domaine public. Nous estimons, en effet, que les missions d'intérêt général qu'ont pour objet d'assurer ces contrats empêchent de les assimiler dans leur ensemble à des contrats d'occupation du domaine public.

2) Par ailleurs, si la logique économique de ces contrats les fait différer des marchés publics habituels en ce que le cocontractant se rémunère, à ses risques, sur des tiers au contrat, la même logique économique oblige à reconnaître que nous sommes bien en face de contrats conclus à titre onéreux permettant de répondre à des besoins de service public et plaide, en outre, pour une soumission desdits contrats aux règles de la concurrence ainsi que l'a relevé une décision du Conseil de la concurrence en date du 7 juillet 1998, laquelle a condamné la société requérante pour abus de position dominante (décision du Conseil de la concurrence, n° 98-D-52, 7 juillet 1998, relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain N° Lexbase : X7359ACK). A cet égard, relevons que, dans une décision du 30 juin 2005, le Conseil de la concurrence a, pour la première fois, infligé à la société Decaux une sanction pécuniaire d'un montant de 10 millions d'euros pour non-respect des injonctions figurant dans la décision du 7 juillet 1998 (décision du Conseil de la concurrence, n° 05-D-36, 30 juin 2005, relative au respect, par les sociétés du groupe Decaux, des injonctions prononcées par la décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 N° Lexbase : X3363ADW).

Il va de soi, enfin, qu'outre le débat juridique qu'il nourrit, l'enjeu de la qualification des contrats de mobilier urbain est avant tout économique puisque, dans l'état actuel de la législation et de la jurisprudence, seule la qualification de marché public et la procédure de mise en concurrence préalable semblent de nature à prévenir tout abus de position dominante. Notons à cet égard que le 8 juillet 2005, lors du premier examen du pourvoi en cassation formé par la société Decaux contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 mars 2002, le commissaire du Gouvernement D. Casas a invité le législateur à innover sur les contrats d'occupation du domaine public en prévoyant que ces contrats "ne puissent être passés sans une procédure de publicité minimale". Dans l'état actuel des choses, les contrats d'occupation du domaine public continuent de présenter, par rapport aux marchés publics, "l'intérêt" d'échapper à toute obligation de mise en concurrence.

3) Par une décision en date du 4 novembre 2005, le Conseil d'Etat a clos, au moins pour un temps, le débat qui s'était cristallisé autour de la qualification des contrats de mobilier urbain, en se prononçant pour leur soumission au Code des marchés publics et donc à l'obligation de mise en concurrence préalable (CE, 4 novembre 2005, n° 247298 Société Jean-Claude Decaux N° Lexbase : A2732DLR).

Pour ce faire, le Conseil s'est fondé sur l'objet et le mode de rémunération de ces contrats.

a/ S'agissant de leur objet, après avoir rappelé qu'il comportait aussi l'occupation du domaine public, la Haute juridiction administrative a insisté sur les missions d'intérêt général qu'ont pour objet d'assurer ces contrats, lesquelles empêchent de les assimiler dans leur ensemble à des contrats d'occupation du domaine public. Ces missions d'intérêt général comprennent à la fois l'information des habitants et la protection des usagers des transports en commun. Au fond, en étant la première à conclure des contrats de mobilier urbain, la société Decaux a elle-même créé les besoins d'intérêt général qui justifient maintenant la "requalification" de ses contrats en marchés publics.

Ajoutons, enfin, que l'accent mis sur l'objet du contrat a également permis au Conseil d'Etat d'écarter la qualification de délégation de service public dans la mesure où la société Decaux ne s'est pas vue confier par la collectivité la prise en charge effective d'un service public.

b/ S'agissant de mode de rémunération du cocontractant de la collectivité, le Conseil d'Etat a retenu une conception large de la notion de prix en différenciant nettement le paiement du décaissement. Dans la ligne de la jurisprudence communautaire et de la nouvelle rédaction du Code des marchés publics qui définit ces marchés comme des "contrats conclus à titre onéreux", le Conseil d'Etat a relevé que la rémunération de la société Decaux avait deux composantes, une composante "positive" et une composante "négative". En outre, il a précisé et développé la notion de rémunération en s'appuyant sur l'existence d'"avantages consentis à titre onéreux".

La première composante est l'autorisation exclusive accordée à la société d'exploiter une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires. A cet égard, le Conseil d'Etat a considéré que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne faisait pas obstacle à ce que la collectivité valorisât son domaine public, se prononçant ainsi implicitement sur l'argument invoqué par le commissaire du Gouvernement V. Haïm dans ses conclusions sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 mars 2002, selon lequel l'abandon de recettes publicitaires ne pouvait en aucun cas être pris en compte, dans la mesure où les communes ne peuvent légalement percevoir de telles recettes. Pour le Conseil, ce n'est donc pas la nature financière des recettes qui importe, mais leur "fait générateur", à savoir la jouissance par la collectivité, en tant que propriétaire de son domaine public, des fruits de ce domaine. En outre, comme nous l'avons indiqué plus haut, le Conseil d'Etat a, comme la cour administrative d'appel de Paris, et à la différence du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, insisté sur l'exclusivité d'exploitation du mobilier urbain à des fins publicitaires, laquelle a évidemment un prix. En se fondant sur cette exclusivité plutôt que sur l'abandon de recettes publicitaires, la Haute juridiction s'est donc attachée à définir la composante positive de la rémunération de la société Decaux.

La seconde composante de la rémunération de la société est, en revanche, négative puisqu'elle consiste en l'exonération de redevances d'occupation du domaine public. A cet égard, le Conseil d'Etat a nettement distingué la notion d'avantage à titre onéreux de la notion de décaissement en considérant que l'octroi d'un tel avantage pouvait fort bien ne pas se traduire par une dépense effective pour la collectivité, c'est-à-dire, plus prosaïquement, par une "sortie d'argent". Nous avons rappelé plus haut que la jurisprudence nationale s'était déjà prononcée en ce sens (cf. CAA Bordeaux, 26 octobre 2004, n° 01BX00342, Commune de Saint-Joseph précité, Contrats et Marchés Publics, février 2005, comm. 32, p. 25). C'est également le cas de la jurisprudence communautaire, la CJCE considérant que, lorsque l'administration renonce au recouvrement d'une dette, cela vaut acquittement de la dette et suffit à caractériser l'existence d'un contrat conclu à titre onéreux.

Au total, c'est donc aux termes d'une approche résolument réaliste et plus économique que juridique que le Conseil d'Etat s'est prononcé pour la qualification de marchés publics des contrats de mobilier urbain. Il est également permis de penser que cette approche était "finaliste" en ce qu'il s'agissait de soumettre ces contrats à l'obligation de mise en concurrence préalable dans un contexte marqué par la vigilance croissante du Conseil de la concurrence et la sévérité de la jurisprudence communautaire en matière de pratiques anti-concurrentielles.

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Urbanisme

[Textes] Des conventions d'aménagement aux concessions d'aménagement : les incertitudes persistent

Réf. : Loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 relative aux concessions d'aménagement (N° Lexbase : L8409G9C)

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Le 07 Octobre 2010

Par son arrêt "Sodegis" du 9 novembre 2004, la cour administrative d'appel de Bordeaux a provoqué, dans le monde de l'urbanisme, un séisme dont les effets se font encore sentir un an plus tard (CAA Bordeaux, 2e ch., 9 novembre 2004, n° 01BX00381, Sodegis N° Lexbase : A8313DEM). Devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, était en cause la compatibilité avec le droit communautaire du régime juridique des conventions publiques d'aménagement tel qu'il découlait implicitement de l'article L. 300-4 du Code de l'urbanisme, dans sa version issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (N° Lexbase : L9473AMS). La réaction de la cour était d'autant plus attendue que la Commission européenne avait entamé à l'encontre de la France une procédure en constatation de manquement (1). Les conventions d'aménagement sont des contrats par lesquels l'Etat, une collectivité locale ou un établissement public confie à des personnes publiques ou privées la réalisation d'opérations d'aménagement prévues par le livre III du Code de l'urbanisme. Selon le premier alinéa de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9483AM8), "les actions ou opérations d'aménagement ont pour objet de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturel". L'article L. 300-4 du Code de l'urbanisme différenciait les conventions publiques d'aménagement et les conventions simples (2). Cette distinction se fondait non seulement sur la qualité de leur titulaire, mais également sur leur régime juridique. Les titulaires des conventions publiques d'aménagement ne pouvaient être qu'un établissement public ou une société d'économie mixte dont plus de le moitié du capital appartient à une collectivité territoriale. Quant à leur régime juridique, il permettait que le titulaire se voit confier des prérogatives de puissance publique et surtout l'article L. 300-4 prévoyait expressément que ces conventions n'étaient pas soumises au chapitre IV de la loi du 29 janvier 1993, dite Sapin, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique. Quant à la qualification de marchés publics de ces conventions publiques d'aménagement, cette question restait très discutée par la doctrine (3). Il était donc considéré que la passation des conventions publiques d'aménagement n'était soumise à aucune procédure de publicité et de mise en concurrence (4). Or, c'est cette absence de publicité et de mise en concurrence que la Société Sodegis invoquait pour plaider la nullité d'une convention publique d'aménagement conclue avec la commune de Cilaos.

Dans son arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas directement remis en cause la compatibilité de l'article L. 300-4 avec le droit communautaire. Elle a toutefois jugé que la convention publique d'aménagement conclue entre la commune de Cilaos et la société Sodegis n'était pas un marché public, n'était pas soumise à la loi Sapin, mais qu'"elle n'était pas pour autant exclue du champ d'application des règles fondamentales posées par le traité de l'Union, qui soumettent l'ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs aux obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l'égalité d'accès à ces contrats" (5).

Le raisonnement du juge bordelais est parfaitement orthodoxe au regard de la jurisprudence communautaire. Alors même que des contrats n'entraient pas dans le champ des directives communautaires relatives aux marchés publics, la Cour de justice avait néanmoins estimé, dans l'arrêt "Telaustria", que "les entités adjudicatrices les concluant sont, néanmoins, tenues de respecter les règles fondamentales du traité en général et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier". Elle avait ajouté que "ce principe implique, notamment, une obligation de transparence qui permet au pouvoir adjudicateur de s'assurer que ledit principe est respecté. Cette obligation de transparence qui incombe au pouvoir adjudicateur consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication" (6).

En réalité de manière plus générale, la compatibilité même avec le droit communautaire de l'article L. 300-4 du Code de l'urbanisme, dans sa version issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, apparaissait douteuse. Avec la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 relative aux concessions d'aménagement, le législateur est donc intervenu pour mettre en place un nouveau dispositif, en substituant les concessions d'aménagement aux conventions d'aménagement et pour valider les conventions d'aménagement passées en vertu des dispositions antérieures du Code de l'urbanisme.

Il n'en demeure pas moins que non seulement paraît incertain le sort des anciennes conventions d'aménagement (I), mais également le régime des nouvelles concessions d'aménagement (II).

I. Le sort incertain des anciennes conventions d'aménagement

Les anciennes conventions d'aménagement sont, désormais, dans une inquiétante situation d'insécurité juridique : leur compatibilité avec le droit communautaire est remise en cause de manière générale (A) et la validation législative française semble impuissante à couvrir cette incompatibilité (B).

A. L'incompatibilité communautaire des conventions d'aménagement

Au delà de la solution de la cour administrative d'appel de Bordeaux, il y a lieu de rappeler que la Cour de justice avait admis que certaines conventions d'aménagement puissent être considérées comme des marchés de travaux au sens de la Directive 93 /37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (N° Lexbase : L7740AU9), désormais reprise par la Directive n° 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (7).

De manière générale, la Commission européenne, dans le cadre de la procédure en constatation de manquement lancée contre la France, estimait que les conventions d'aménagement publiques ou ordinaires doivent être qualifiées, au regard du droit communautaire, soit de concessions de travaux (lorsqu'elles ont pour objet principal la réalisation de travaux et d'ouvrages dans le cadre d'opérations foncières ou urbaines et que le risque d'exploitation est assumé par le concessionnaire), soit de concessions de services (lorsqu'elles ont pour objet principal des missions qui ne comportent pas -ou seulement de manière accessoire- la réalisation d'un ouvrage, mais des missions telles que l'extension ou la gestion d'activités économiques ou le développement des loisirs), ou bien encore de marchés publics de travaux (lorsque les pouvoirs publics décident d'assumer le risque lié à l'opération en cause) ou enfin de marchés publics de services (pour les études préalables confiées par un mandat rémunéré à une liste limitative de personnes publiques et semi-publiques de droit français) (8).

En attendant, les décrets d'application de la loi 20 juillet 2005, on ne saurait trop conseiller aux collectivités de suivre la circulaire des ministères de l'Equipement et de l'Environnement, selon laquelle, "il appartient aux collectivités territoriales et à leurs groupements, sans attendre une modification de la loi, de procéder, lorsqu'elles sont amenées à choisir un aménageur, à une publicité adéquate, selon des modalités qu'elles fixent elles-mêmes en fonction de l'importance de l'opération, de façon à répondre aux obligations minimales de publicité et de transparence susmentionnées vis à vis de tout soumissionnaire potentiel" et "dans le cas où les collectivités territoriales ou leurs groupements hésiteraient sur la procédure à retenir, il y a lieu de leur conseiller de recourir à la procédure définie par le chapitre IV de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (loi Sapin)" (9).

Cette précaution est d'autant plus fondamentale qu'en toute hypothèse, le législateur ne peut valider les violations du droit communautaire.

B. L'impuissance de la validation législative des conventions d'aménagement

L'article 11 de la loi du 20 juillet 2005 valide les conventions passées avant l'entrée en vigueur de la loi "en tant que leur légalité serait contestée au motif que la désignation de l'aménageur n'a pas été précédée d'une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes". Cet article, ajouté à l'initiative de l'Assemblée nationale est a priori d'une totale inutilité et ne permet nullement de "sauver" les anciennes conventions d'aménagement.

Le Conseil d'Etat a jugé, sans ambiguïté, qu'une circulaire jugée contraire au droit communautaire et validée par une loi postérieure demeurait contraire au droit communautaire (10). Les anciennes conventions d'aménagement peuvent toujours être remises en cause devant la juge et ce nonobstant l'intervention de la loi du 20 juillet 2005.

En outre, contrairement à ce que certains commentateurs ont pu affirmer, il ne résulte nullement de la jurisprudence de la Cour de justice qu'un contrat conclu en violation du droit communautaire peut ne pas être remis en cause quand il a produit ses effets, tout au plus la procédure en constatation de manquement peut être déclarée irrecevable (11).

Le risque contentieux est, toutefois, précisément circonscrit. Il n'existe que dans l'hypothèse d'un différend entre les parties à la convention. Les recours des tiers contre les actes détachables de la convention d'aménagement pouvaient être envisageables, mais en pratique, désormais, il ne sont plus possibles en raison du délai de deux mois dans lequel doit être exercé le recours pour excès de pouvoir.

Reste alors à examiner les nouvelles concessions d'aménagement telles qu'elles résultent de la loi du 20 juillet 2005.

II. Le régime incertain des nouvelles concessions d'aménagement

En remplaçant les anciennes conventions d'aménagement par les nouvelles concessions d'aménagement, le législateur a procédé de manière pertinente à une unification des règles applicables, mais certaines difficultés subsistent (A). Ces concessions d'aménagement sont désormais soumises à des procédures de publicité et de mise en concurrence qui restent toutefois à définir (B).

A. L'unification des règles applicables aux concessions d'aménagement

Grâce à la notion de concession d'aménagement, le nouvel article L. 300-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1025HBL) met fin à la distinction entre convention publique et convention privée. En effet, selon son premier alinéa : "L'Etat et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, peuvent concéder la réalisation des opérations d'aménagement prévues par le présent livre à toute personne y ayant vocation". Dès lors, tous les opérateurs, y compris les sociétés privées, peuvent bénéficier des prérogatives de puissance publique nécessaires à la réalisation de l'opération d'aménagement. Il s'agit là d'un premier coup porté aux sociétés d'économie mixte qui, dans le régime antérieur, étaient les seules personnes privées à pouvoir conclure une convention publique d'aménagement.

L'alinéa 3 du nouvel article L. 300-4 vient donc préciser la consistance des prérogatives du concessionnaire et, de manière générale, ses différentes missions. "Le concessionnaire assure la maîtrise d'ouvrage des travaux et équipements concourant à l'opération prévus dans la concession, ainsi que la réalisation des études et de toutes missions nécessaires à leur exécution. Il peut être chargé par le concédant d'acquérir des biens nécessaires à la réalisation de l'opération, y compris, le cas échéant, par la voie d'expropriation ou de préemption. Il procède à la vente, à la location ou à la concession des biens immobiliers situés à l'intérieur du périmètre de la concession".

En outre, le nouvel article L. 300-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1026HBM) prévoit que le concessionnaire pourra bénéficier d'une participation du concédant au bénéfice de l'opération. Il peut s'agit soit d'un apport financier, soit d'un apport en terrain. Cette participation est soumise à approbation du préfet lorsque le concédant est l'Etat et à l'organe délibérant lorsqu'il s'agit d'une collectivité territoriale ou un établissement public. Le concédant possède alors un pouvoir de contrôle, notamment sur les pièces comptables. Comme l'a souligné Claude Deves, se pose la question de la compatibilité d'un tel dispositif avec le droit communautaire des aides d'Etat (12). Apparaît très incertaine, l'application de la jurisprudence "Altmark" selon laquelle ne sont pas des aides d'Etat, les subventions qui constituent une compensation des obligations de service public pesant sur l'entreprise bénéficiaire (13).

Enfin, le législateur a soumis les concessions d'aménagement à un certain formalisme. Toujours selon le nouvel article L. 300-5 du Code de l'urbanisme, doivent être indiqués, à peine de nullité, l'objet et la durée du contrat ainsi que les conditions de sa prorogation et de sa modification. Doivent aussi être précisées, les conditions de rachat, de résiliation ou de déchéance par le concédant, ainsi que, éventuellement les conditions et modalités d'indemnisation du concessionnaire.

Si toutes ces précisions étaient importantes, au regard du droit communautaire, la question la plus fondamentale était bien évidemment la soumission des concessions d'aménagement à des procédures de publicité et de mise en concurrence.

B. La soumission à des procédures de publicité et de mise en concurrence

Le législateur est resté relativement en retrait puisqu'il s'est contenté d'affirmer dans la nouvelle version de l'article L. 300-4, alinéa 2, du Code de l'urbanisme que "l'attribution des concessions d'aménagement est soumise par le concédant à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat". Il faudra, donc, pour de plus amples précisions, attendre l'intervention du pouvoir réglementaire.

L'article L. 300-5-2 (N° Lexbase : L1034HBW) prévoit, toutefois, que ces dispositions "ne sont pas applicables aux concessions d'aménagement conclues entre le concédant et un aménageur sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services et qui réalise l'essentiel de ses activités avec lui ou, le cas échéant, les autres personnes publiques qui le contrôlent". Il s'agit là de l'application de la théorie des prestations in house élaborée par la Cour de justice (14). Les sociétés d'économie mixte ne pourront toutefois pas bénéficier de cette exception. Le juge communautaire estime de manière fort restrictive que la théorie des prestations in house ne peut s'appliquer à l'égard des sociétés d'économie mixte, y compris dans l'hypothèse où les capitaux privés ne détiennent que des parts minoritaires (15).

Pour répondre également aux exigences du droit communautaire qui retient une conception extensive de la notion de pouvoir adjudicateur, le nouvel article L. 300-5-1 (N° Lexbase : L1033HBU) soumet le concessionnaire à des obligations de publicité et de mise en concurrence lorsqu'il conclut des contrats avec des tiers : "Lorsque le concessionnaire n'est pas soumis au code des marchés publics ou aux dispositions de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, les contrats d'études, de maîtrise d'oeuvre et de travaux conclus par lui pour l'exécution de la concession sont soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence définie par décret en Conseil d'Etat". Là encore le pouvoir réglementaire devra intervenir.

Quoi qu'il en soit, ces nouvelles concessions laissent subsister le problème de leur qualification au regard des Directives communautaires (16). Il faudra donc attendre la réponse de la Cour de justice à la question préjudicielle posée par le tribunal administratif de Lyon dans l'affaire "Auroux" (17). Conventions ou concessions, les incertitudes communautaires subsistent...

Olivier Dubos
Professeur de droit public à l'Université-Montesquieu-Bordeaux IV


(1) V. Actualités 79, JCP A 2004, p. 172-173.

(2) Sur toutes ces questions, v. C. Deves, Les contrats publics d'aménagement, in Les collectivités locales. Mélanges en l'honneur de Jacques Moreau, Paris, Economica, 2003, p. 95.

(3) C. Deves, note sous CAA Bordeaux, 9 novembre 2004, Sodegis, JCP A 2005, n° 1070, spéc. p. 365-366.

(4) V. de manière tout à fait significative, S. Braconnier (sous la direction de), Les collectivités territoriales et leurs contrats, Paris, Jurisclasseur, 2002, p. 216 et s.

(5) On regrettera ce malheureux "Traité de l'Union" puisqu'ici n'est pas en cause le Traité sur l'Union européenne, mais le Traité instituant la Communauté européenne. Mais, on plaidera que c'est un nouveau témoignage de la complexité du droit communautaire ou du droit de l'Union européenne auquel le Traité établissant une Constitution pour l'Europe a tenté, vainement pour l'instant, de mettre fin.

(6) CJCE, 7 décembre 2000, Aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG (N° Lexbase : A1916AWU), Rec., p. I-10745, spéc. n° 60 à 62.

(7) CJCE, 12 juillet 2001, Aff. C-399/98, Ordine degli Architetti delle province di Milano e Lodi, Piero De Amicis, Consiglio Nazionale degli Architetti et Leopoldo Freyrie c/ Comune di Milano (N° Lexbase : A5926AY7), Rec., p. I-5409.

(8) Sénat. Rapport n° 458 (2004-2005) de M. Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 juillet 2005, http://www.senat.fr/rap/l04-458/l04-458.html, spéc. I, B, 2.

(9) Circulaire NOR : EQUU0510021C n° 2005-9 du 8 février 2005 relative aux procédures de publicité et de concurrence préalables à la conclusion des conventions publiques d'aménagement (N° Lexbase : L2764HDQ).

(10) CE, 5 mai 1995, n° 154362, Ministre de l'Equipement c/ SARL DER (N° Lexbase : A4280ANT), Rec., p. 192.

(11) C. Deves, La loi relative aux concessions d'aménagement ou comment pare aux plus pressés, JCP A, 2005, n° 1342, spéc. p. 1569.
CJCE, 10 avril 2003, Aff. jointes C-20/01 et C-28/01 Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A6687A7S) Rec., p. I-3609, spéc. n° 33 et 54.

(12) C. Deves, op. cit., p. 1571.

(13) CJCE, 24 juillet 2003, Aff. C-280/00, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg c / Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH, en présence de Oberbundesanwalt beim Bundesverwaltungsgericht (N° Lexbase : A2343C9N), Rec., p. I-7747.

(14) CJCE, 18 novembre 1999, Aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia, Rec. p. I-8121 (N° Lexbase : A0591AWS).

(15) CJCE, 11 janvier 2005, Aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH c/ Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna (N° Lexbase : A9511DEY).

(16) Cf. supra I. A.

(17) TA Lyon, 7 avril 2005, n° 0205404, Auroux et autres.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat rend obligatoire la pondération des critères de jugement des offres

Réf. : CE 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 276867, Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole N° Lexbase : A6992DK8 ; CE 2° et 7° s-s., 29 juin 2005, n° 267992, Commune de la Seyne-sur-Mer N° Lexbase : A8669DIW

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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale

Le 07 Octobre 2010

Par deux décisions des 29 juin et 7 octobre dernier, le Conseil d'Etat a rendu obligatoire la pondération des critères de jugement des offres dans les procédures de marchés publics (CE 2° et 7° s-s., 29 juin 2005, n° 267992, Commune de la Seyne-sur-Mer ; CE 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 276867, Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole). Ces décisions ont été abondamment commentées, critiquées ou saluées. Elles constituent l'avant-dernière étape de l'intégration dans le droit des marchés publics français (2) d'une obligation d'origine communautaire (1). Les deux décisions ont été rendues dans le cadre de référés précontractuels. Dans la 1ère espèce, la Société Varoise de Construction Routière a demandé au tribunal administratif de Nice l'annulation d'une procédure de passation de marchés à bons de commande portant sur des travaux d'entretien et de grosses réparations de la voirie communale lancée par la commune de la Seyne-sur-Mer. Par une ordonnance du 11 mai 2004, le tribunal a accueilli sa demande. Dans la deuxième espèce, les sociétés Entreprise Individuelle de Travaux et Guigues ont demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation d'une procédure de passation de marchés à bons de commande portant sur des travaux d'extension, de renouvellement et de renforcement des réseaux d'adduction et de distribution d'eau potable et d'assainissement des eaux usées, lancée par la Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole. Par une ordonnance du 7 janvier 2005, le tribunal a accueilli leur demande.

Le Conseil d'Etat a confirmé les ordonnances des deux tribunaux et a reconnu le manquement des personnes publiques aux obligations de publicité et de mise en concurrence. L'argumentation retenue est quasi identique dans les deux espèces, fondée sur l'article 53-II, dernier alinéa, du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8486G7G), qui prévoit que "ces critères [de jugement des offres] sont pondérés ou à défaut hiérarchisés". Le Conseil d'Etat indique, en effet, que "c'est seulement si la pondération des critères d'attribution est impossible que la personne publique [...] peut se borner à procéder à leur hiérarchisation" (CE, n° 267992, 29 juin 2005, Commune de la Seyne-sur-Mer, précité). Le juge administratif confirme son analyse dans la décision du 7 octobre 2005 "Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole" : "les critères doivent être pondérés, sauf si la personne publique [...] peut justifier que cette pondération n'est pas possible [...] c'est seulement dans ce cas que cette personne peut se borner à procéder à leur hiérarchisation". L'obligation des personnes publiques est donc renforcée dans ce deuxième arrêt puisqu'elles doivent justifier de leur incapacité à pondérer les critères pour les hiérarchiser.

I. Une obligation d'origine communautaire...

La pondération des critères de jugement des offres et sa primauté sur la hiérarchisation trouve son origine dans la Directive n° 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU). Rompant avec les dispositifs des trois Directives précédemment en vigueur (Directive n° 93/36/CEE du 14 juin 1993 relative aux marchés publics de fournitures N° Lexbase : L7739AU8, Directive n° 93/37/CEE du 14 juin 1993 relative aux marchés publics de travaux N° Lexbase : L7740AU9, Directive n° 92/50/CEE du 18 juin 1992 relative aux marchés publics de services N° Lexbase : L7532AUI), le texte évoque en effet à plusieurs reprises la pondération des critères de jugement de offres, sans ambiguïté sur la supériorité de ce système sur la hiérarchisation des critères :

  • 46ème considérant : "Afin de garantir [...] [l']égalité de traitement [...] [il] incombe [...] aux pouvoirs adjudicateurs d'indiquer les critères d'attribution ainsi que la pondération relative donnée à chacun de ces critères [...]. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent déroger à l'indication de la pondération [...] dans les cas dûment justifiés, qu'ils doivent être en mesure de motiver, lorsque cette pondération ne peut pas être établie au préalable, notamment en raison de la complexité du marché" ;
  • article 40.5.e - Invitations à présenter des offres, à participer au dialogue ou à négocier : l'invitation à présenter des offres, à participer au dialogue ou à négocier comporte notamment "la pondération relative aux critères d'attribution du marché ou, le cas échéant, l'ordre décroissant d'importance de ces critères" ;
  • article 53.2 - Critères d'attribution des marchés : "le pouvoir adjudicateur précise dans l'avis de marché ou le cahier des charges [...] la pondération relative qu'il confère à chacun des critères choisis pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. [...] Lorsque [...] la pondération n'est pas possible pour des raisons démontrables, [le pouvoir adjudicateur] indique [...] l'ordre décroissant d'importance des critères".

Les décisions de tribunaux administratifs de Nice, Marseille et du Conseil d'Etat s'inscrivent très exactement dans ce dispositif. Il appartient, désormais, à la jurisprudence de définir au cas par cas le degré de complexité du marché qui sera suffisant pour justifier une dérogation au principe.

II. ... qui s'intègre progressivement en droit français

Le Code des marchés publics en vigueur actuellement est issu du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 (N° Lexbase : L0537DN9). Antérieur à la Directive communautaire 2004/18/CE du 31 mars de la même année, il ne pouvait donc initialement comporter un dispositif semblable en matière de critères d'attribution des marchés. L'article 53.II du code laisse, ainsi, aux acheteurs publics le choix entre pondérer ou hiérarchiser les critères, la première démarche étant simplement marquée d'une certaine faveur : "Ces critères [de jugement des offres] sont pondérés ou à défaut hiérarchisés".

Pour autant, depuis janvier 2004, le Code des marchés publics a été modifié plusieurs fois mais aucune de ses révisions n'a remis en cause l'alternative de l'article 53. Le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a, d'ailleurs, confirmé avec force, à la suite de questions de parlementaires, son attachement à cette liberté laissée aux collectivités, l'objectif étant de permettre aux personnes publiques de se familiariser progressivement avec ce nouveau mécanisme de sélection des offres. Les termes tranchés des réponses ministérielles peuvent cependant surprendre car elles ont été rendues après l'ordonnance du tribunal administratif de Nice du 11 mai 2004. La décision du tribunal y est, en effet, qualifiée d'"interprétation plus étroite [...] qui tend à rapprocher [...] le code de la Directive [ce rapprochement étant] prématuré [la Directive n'ayant] pas de caractère obligatoire avant l'écoulement du délai de transposition prévu au début de 2006". (rép. min. n° 49995, JOANQ du 14 décembre 2004, p. 10013 N° Lexbase : L2550HDS). Le ministre ajoute que la portée de la décision du tribunal doit être relativisée, "cette décision [ayant] été rendue dans le cadre d'une procédure d'urgence [...] sur laquelle le Conseil d'Etat n'a pas eu à se prononcer en appel" (rép. min. n° 14223, JOSQ du 19 mai 2005, p. 1420 N° Lexbase : L2668HD8). C'est chose faite depuis le 29 juin dernier et, le moins que l'on puisse dire, c'est que les analyses du Conseil d'Etat et du ministre s'opposent, même si le juge administratif prend soin de fonder sa décision non sur la Directive mais sur le Code des marchés publics et la préférence, somme toute assez discrète, qu'il attribue à la pondération.

Quoi qu'il en soit, le débat est maintenant clos et la pondération des critères de jugement des offres est désormais obligatoire, sauf impossibilité à justifier par la personne publique. Les deux décisions du Conseil d'Etat clarifient la question et anticipent, par ailleurs, sur le futur Code des marchés publics annoncé pour la fin de l'année et destiné à transposer les Directives communautaires de mars 2004 (Directive (CE) n° 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services [LXB=L1896DYU ] et Directive (CE) n° 2004/17 du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux N° Lexbase : L1895DYT). Le texte du projet de code reprend alors logiquement et très largement les termes de la Directive, dans son article 66-III : "Lorsqu'il est prévu plusieurs critères, ceux-ci sont définis et pondérés dans l'avis de publicité ou dans le règlement de la consultation. [...] Lorsque le pouvoir adjudicateur estime que la pondération n'est pas possible et qu'il peut en justifier, il présente [...] les critères par ordre décroissant d'importance" (avant-projet de décret portant Code des marchés publics disponible sur le site internet du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

Le délai laissé aux acheteurs publics pour se familiariser avec la pondération des critères est bel et bien terminé.

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