La lettre juridique n°656 du 26 mai 2016

La lettre juridique - Édition n°656

Éditorial

Nabilla Benattia, la vie privée, la jurisprudence et... moi

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N2867BW4

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 09 Juin 2016


- "Nabilla Benattia condamnée à six mois de prison ferme" - LE MONDE | 19.05.2016 à 11h25

- "Nabilla Benattia condamnée à six mois de prison ferme/La jeune femme a été reconnue coupable de 'violences volontaires aggravées' sur son compagnon, Thomas Vergara". - France TV Info | publié le 19/05/2016 | 09:24

- "Nabilla Benattia condamnée à deux ans de prison dont six mois ferme" - Le HuffPost | Publication: 19/05/2016 17h

Vous me voyez venir avec mes gros sabots ! Profitant d'un sujet "people" pour faire de l'audience, histoire de glaner quelques âmes juridiques ou non perdues sur le chemin de nos e-mailings, newsletters et autres web-référencements...

Que nenni, chers lecteurs.

En lisant la presse déballer, sans retenue, avec force de détails, la condamnation (fait judiciaire) d'une starlette du petit écran (donnée objective, encore que), en l'occurrence Nabilla Benattia (donnée personnelle), je me disais, un brin circonspect, que toute la littérature, la glose sur le droit à l'oubli, le respect de la vie privée, inscrit dans le projet de loi d'Axelle Lemaire, pour une République numérique, avait du plomb dans l'aile.

Pour les pigistes de la presse "people" comme généraliste, aucune conséquence : ils pourront allègrement dévoiler l'identité des condamnés, les motifs, les peines, sauf demande expresse de l'intéressé au nom justement de son droit à l'oubli. Mais, ça, c'est le résultat de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, comme chacun le sait, dans son "combat" contre l'indexation de Google, notamment. Bref, le respect de la vie privée du justiciable passe par une simple demande de désindexation, ou presque.

Non, le grand comique, ou devrais-je dire, le jeu de dupe interminable, c'est que les éditeurs de bases jurisprudentielles pensaient devoir se contenter d'une simple anonymisation des parties. Du coup, la manchette serait devenue : "N. B. condamnée à deux ans de prison dont six mois ferme" !

Mais c'est là où l'on atteint le sommet de l'hypocrisie. Le nouvel article 12 bis A du projet de loi dispose que l'article L. 10 du Code de justice administrative est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

"Lorsqu'ils sont devenus définitifs, ces jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées.

Cette mise à disposition du public est précédée d'une analyse du risque de ré-identification des personnes.

Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du Code des relations entre le public et l'administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces jugements.

Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les jugements de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article".

En clair, point d'anonymisation à l'horizon ! Mieux, le respect de la vie privée. Or, la vie privée ne se limite pas à l'anonymisation. L'ensemble des éléments personnels (adresse, date de naissance, etc.), mais également l'ensemble des données ayant trait à la vie privée de la starlette devraient être bannis du jugement (le nom de son compagnon, par ailleurs, victime ; les circonstances de l'agression ; le lieu de résidence commune ; l'emploi de la demoiselle, etc.). Par conséquent, si le jugement correctionnel devait être publié, -on m'arguera qu'ils n'ont justement pas à être publiés, mais ne soyons pas chiches, une demande en réparation au civil poserait les mêmes questions-, il devrait se résumer en deux lignes : "Mme X ayant fait acte de violences volontaires aggravées sur son compagnon est condamnée à six mois de prison ferme". C'est succinct, un brin exagéré, mais pardonnez-moi de considérer que chaque élément inscrit dans une décision de justice, rendue au nom du Peuple français, est en soit un élément de la vie privée, lorsqu'il y va des personnes physiques -la Cour de cassation ayant précisé, il y a peu, que les personnes morales, elles, n'en avaient pas-.

Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée. C'est l'article 9 du Code civil qui le dispose. Bon, l'article 8 § 1 de la CESDH garantit pour sa part à "toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance" ; mais la CEDH n'anonymise pas ses arrêts... C'est dire l'imbroglio entre le respect de la vie privée et la décision judiciaire !

Ce droit profite à toute personne physique, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes et à venir, nous explique la Cour de cassation. Mais, il est de taille, si les personnes célèbres ont une "espérance légitime" de protection et de respect de leur vie privée -ça, c'est pour la CEDH-, l'existence d'un débat d'intérêt général primerait sur cette simple "espérance" -ça, c'est pour la Cour de cassation- ! Bref, la couverture médiatique de la vie privée de personnalités est acceptable si elle correspond à l'intérêt général et s'il y a un équilibre raisonnable avec le droit au respect de la vie privée.

Mais attention, le débat sur la vie privée ne porte pas uniquement sur les célébrités : la publication, au soutien d'un événement d'actualité judiciaire, de clichés pris dans le cercle de famille n'est pas de nature à porter atteinte à l'intimité de la vie privée. Et, bien entendu... La divulgation de faits relatifs à la vie privée d'un mineur est soumise à l'autorisation des personnes ayant autorité sur lui.

Pour la diffusion de la jurisprudence, cela va être d'un pratique à arbitrer tout cela...

A dire vrai, si l'on veut respecter la vie privée d'un justiciable, alors aucun arrêt ne doit être publié, en l'état ! "M. X, directeur de la clinique ZEBULON à Melun"... Ils ne sont pas nombreux à exercer cette fonction : l'identification est aisée, la vie privée est alors un vague souvenir lorsque l'on passe devant les tribunaux, tant les détails les plus souvent sordides de la vie privée y sont relatés. En même temps, peut-il en être autrement ?

Oui, si l'arrêt est correctement rédigé en amont, avant sa diffusion. C'est la naissance de la donnée judiciaire publique publiable (DJPP). Un acronyme qui dit toute l'ambition du projet. Au juge, le soin de rédiger son arrêt comme il l'entend, avec moult détails sur la vie privée des parties à l'instance ; arrêt qu'il pourra intégrer dans sa base de données que lui seul et ses pairs pourront consulter -on s'interrogera sur le statut des auxilliaires de justice que les magistrats estiment "indignes" d'accéder à pareilles données-. Le greffe remplirait des datas relatives à la vie privée, datas qui seraient retirées de l'arrêt de manière à ne produire qu'un ersatz de décision, parfaitement objectivé... et publiable. Tout cela n'est possible... qu'en amont de la publication, au stade de l'enregistrement au greffe de la décision. Après diffusion et pour publication, c'est source d'erreurs et de coûts... à répétition : c'est le meilleur moyen de confirmer la donnée inaccessible ou... très chère, puisqu'elle serait l'apanage de grands groupes capables d'investir massivement dans un tel projet.

Sans cela, les contentieux sur l'atteinte à la vie privée au coeur des décisions de justice n'ont pas fini de fleurir. Voilà, pour le coup, que la prose judiciaire des magistrats serait à même de causer une dommage au justiciable ?

"L'hypocrisie est l'hommage que la vérité paie à l'erreur" (George Bernard Shaw). Estimer qu'une décision de justice, prononcée au nom du Peuple français, en audience publique, puisse porter atteinte à la vie privée du justiciable qui réclame justement l'arbitrage de l'autorité publique, de la Nation toute entière, n'est-il pas de la plus grande hypocrisie érigée en vertu sur l'autel d'une vie privée qui s'accommode mal de la médiatisation et du numérique ?

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Assurances

[Brèves] Faculté prorogée de renonciation au contrat d'assurance vie en cas de non-respect par l'assureur du formalisme informatif : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation opérant une mise à l'écart définitive de la mauvaise foi de l'assuré

Réf. : Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-12.767, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6221RP4)

Lecture: 2 min

N2824BWI

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Le 26 Mai 2016

Si la faculté prorogée de renonciation prévue par l'article L. 132-5-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L4970I3H, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 N° Lexbase : L3994I73) en l'absence de respect, par l'assureur, du formalisme informatif qu'il édicte, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d'assurance, son exercice peut dégénérer en abus. C'est en ce sens que s'est prononcée la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 mai 2016, mettant ainsi un terme à sa jurisprudence antérieure, laquelle n'opérait aucune distinction fondée sur la bonne ou la mauvaise foi du preneur d'assurance (Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-12.767, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6221RP4 ; revirement par rapport à : Cass. civ. 2, 7 mars 2006, 2 arrêts, n° 05-10.366, FS-P+B N° Lexbase : A5091DNU et n° 05-12.338, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4391DNX ; il faut savoir que la loi précitée du 30 décembre 2014 a limité l'usage de cette faculté de renonciation, qui s'exerçait jusqu'alors "de plein droit", en exigeant qu'elle soit exercée par un souscripteur de bonne foi ; à noter que la cour d'appel de Paris, s'était prononcée sur l'application dans le temps de cette disposition, laquelle ne pouvait s'appliquer à une renonciation exercée antérieurement à son entrée en vigueur : CA Paris, 5 mai 2015, n° 11/15947 N° Lexbase : A9036NH7 ; la Cour de cassation règle donc la question en opérant un revirement de sa jurisprudence applicable antérieurement). Dans un premier temps, la Cour de cassation relève la conformité au droit de l'Union européenne des dispositions en cause, approuvant ainsi la décision de la cour d'appel sur ce point. Dans un second temps, elle censure la décision des juges parisiens qui, pour déclarer recevable et bien fondé l'exercice par les assurés de leur droit de renonciation, avaient retenu que la faculté de renonciation prévue par le Code des assurances est un droit discrétionnaire pour l'assuré dont la bonne foi n'est pas requise, qu'il soit averti ou profane et ne peut donc dégénérer en abus. Pour ce faire, elle énonce la solution susmentionnée, et ajoute que ne saurait être maintenue la jurisprudence initiée par les arrêts du 7 mars 2006 précités, qui, n'opérant pas de distinction fondée sur la bonne ou la mauvaise foi du preneur d'assurance, ne permet pas de sanctionner un exercice de cette renonciation étranger à sa finalité et incompatible avec le principe de loyauté qui s'impose aux contractants. Aussi, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel, reprochant aux juges du fond de s'être déterminés par voie de simple affirmation, en se bornant à constater que les conditions d'exercice du droit de renonciation étaient réunies, sans rechercher, au regard de la situation concrète des assurés, de leur qualité d'assurés avertis ou profanes et des informations dont ils disposaient réellement, quelle était la finalité de l'exercice de leur droit de renonciation et s'il n'en résultait pas l'existence d'un abus de droit.

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Avocats/Accès à la profession

[Jurisprudence] Accès dérogatoire à la profession d'avocat : exigence d'une pratique acquise sur le territoire français

Réf. : Cass. civ. 1, 4 mai 2016, n° 14-25.800, FS-P+B (N° Lexbase : A3316RMR)

Lecture: 7 min

N2707BW8

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 26 Mai 2016

Aux termes d'un arrêt en date du 4 mai 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé de renvoyer, devant le Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité visant à vérifier la conformité, au regard du principe de la liberté d'entreprendre de l'article 4 de la DDHC (N° Lexbase : L1368A9K), de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) prévoyant que l'accès direct à la profession d'avocat est réservé aux seules personnes justifiant d'une activité juridique suffisante "sur le territoire national". En l'occurrence, un ressortissant belge avait demandé son inscription au tableau de l'Ordre des avocats du barreau de Grasse sur le fondement de l'article 98 du décret n° 1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID). Au soutien de sa demande, il justifiait d'une licence en droit délivrée par l'Université libre de Bruxelles et d'une solide expérience en tant que juriste d'une organisation syndicale belge. Par une décision en date du 18 octobre 2013, le conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Grasse a rejeté cette demande, considérant qu'il ne satisfaisait pas aux conditions d'accès prévues par les textes. Sur appel interjeté par le ressortissant belge, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rendu un arrêt confirmatif en date du 26 juin 2014 (CA Aix-en-Provence, 26 juin 2014, n° 13/23414 N° Lexbase : A8681MRX), aux motifs que l'intéressé avait exercé une activité juridique au sein d'organisations syndicales en Belgique et n'avait, en conséquence, exercé aucune activité juridique sur le territoire français. Or, selon la cour d'appel, l'activité juridique visée à l'article 98. 5° du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 devait avoir été exercée sur le territoire français comme le précisait l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971. Pour la cour d'appel, il s'agissait d'une preuve de l'expérience du droit français et c'est justement cette expérience qui permettait au requérant de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat et d'être inscrit à un barreau français comme avocat selon la procédure dérogatoire. Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi et, par le biais d'un mémoire distinct et motivé, le ressortissant belge a sollicité la transmission au Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité, critiquant la constitutionnalité de l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. D'une part, il était argué que ce texte, en ce qu'il réserve le droit d'accès à la profession d'avocat aux seules personnes ayant exercé leur activité sur le territoire national, méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. D'autre part, il était soutenu que ce même texte, en ce qu'il subordonne le droit d'accès à la profession d'avocat par voie dérogatoire, à un critère de territorialité, méconnaît la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique, telle qu'elle découle de la liberté d'entreprise résultant de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1368A9K). Or, par un arrêt en date du 4 mai 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation a dit y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel dès lors que "la question posée présente un caractère sérieux en ce que l'exigence, pour bénéficier de l'accès dérogatoire à la profession d'avocat, d'une activité juridique exercée sur le territoire français pendant au moins huit ans, est susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre". Ainsi, la Cour de cassation considère que la restriction de l'accès à la profession d'avocat ne pose pas de difficulté sérieuse au regard du principe d'égalité. En revanche, il semblerait en aller différemment de la liberté d'entreprendre : selon la juridiction suprême de l'ordre judiciaire, la restriction à l'accès de la profession d'avocat, tirée de la nécessaire expérience sur le territoire français, serait susceptible de constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Dans un avenir très proche, le Conseil constitutionnel devra donc rappeler que la liberté d'entreprendre revêt un caractère atténué (I) et, ensuite, rechercher si l'atteinte consommée à la liberté d'entreprendre est justifiée au regard des objectifs poursuivis (II).

I - Caractère atténué de la liberté d'entreprendre

La liberté d'entreprendre ne figure pas, en tant que telle, dans le bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel l'a cependant déduite de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, dont il résulte que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi". Dans une décision en date du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel a d'abord souligné que la "liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre" (Cons. const., décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 N° Lexbase : A8037ACN). Dans des décisions subséquentes, le Conseil constitutionnel a fait état, plus clairement encore, de la "liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789" (Cons. const ., décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000 N° Lexbase : A8786ACE ; Cons. const., décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 N° Lexbase : A1727AIS). Or, si la liberté d'entreprendre est consacrée en son principe, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une liberté atténuée pouvant connaître des restrictions, du moment que celles-ci sont proportionnées : les juges du Conseil constitutionnel imposent donc de ne pas restreindre les libertés économiques de manière disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi (en ce sens, G. Clamour, Juris.-Cl. Libertés, Fasc., 1340, Libertés professionnelles et liberté d'entreprise, n° 53).

Il importe donc au Conseil constitutionnel de trouver un équilibre entre les différents intérêts en présence. Dans une décision en date du 16 janvier 2001, le Conseil constitutionnel a décidé que s'il "est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général", ce n'est qu'"à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi" (Cons. const., décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001 N° Lexbase : A6745C9P ; Cons. const., décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001 N° Lexbase : A2333AXP). C'est évidemment à l'aune de ce critère que le Conseil constitutionnel devra apprécier la restriction à la liberté d'entreprendre que consomme l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, en ce qu'il réserve le droit d'accès à la profession d'avocat.

II - Caractère raisonnable de la restriction

Il est indéniable que l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques porte une restriction à la liberté d'entreprendre. Il résulte, en effet, de ce texte que "nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit pas les conditions suivantes [...] être titulaire, sous réserve des dispositions réglementaires prises pour l'application de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France, d'au moins une maîtrise en droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession par arrêté conjoint du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, et du ministre chargé des universités". Ainsi, la loi du 31 décembre 1971 sur la profession a prévu que l'accès à la profession d'avocat soit ouvert à des personnes justifiant d'une certaine expérience professionnelle. L'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat précise ce dispositif en indiquant, notamment, que "les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale". Evidemment, les deux conditions se cumulent : il faut avoir exercé la fonction de juriste dans une organisation syndicale pendant une durée de huit ans et avoir exercé ces fonctions en France.

Cette restriction semble parfaitement légitime dans la mesure où elle s'intègre dans la poursuite de l'objectif à valeur constitutionnelle d'"une bonne administration de la justice" que le Conseil constitutionnel a consacré dans une décision en date du 3 décembre 2009 (Cons. const., décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, cons., n° 4 N° Lexbase : A3193EPX). Bien que cette notion soit encore relativement floue (en ce sens, v. H. Apchain, Retour sur la notion de bonne administration de la justice, AJDA 2012, p. 587 et s.), il est indéniable qu'"une justice bien administrée est une justice à la fois accessible, sereine et efficace" (J. Robert, La bonne administration de la justice, AJDA 1995, p. 117 et s., spéc. 118). Or, selon l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 "les avocats sont des auxiliaires de justice", de sorte qu'ils poursuivent, eux-aussi et de concert avec les magistrats du siège et du parquet, la bonne administration de la justice. Exiger du juriste souhaitant intégrer la profession d'avocat qu'il ait acquis une expérience juridique ou judiciaire en France, c'est avoir l'assurance d'une réelle connaissance de la justice française. Car rappelons-le, la personne qui obtient la dispense de certificat d'aptitude à la profession d'avocat en raison de son expérience professionnelle antérieure sera, directement, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats... L'entrée dans la profession est donc nettement plus abrupte qu'avant le décret n° 2004-1386 du 21 décembre 2004, relatif à la formation professionnelle des avocats (N° Lexbase : L5059GUW), car auparavant, les personnes admises à la profession sous le régime de la dispense de l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 étaient inscrites pendant une période d'un an sur la liste du stage et étaient soumises aux obligations qui en résultaient.

En somme, l'expérience professionnelle acquise sur le territoire français est une garantie de maîtrise du droit français, de forme et de fond, que l'avocat devra, jour après jour, mettre au service du justiciable. Certes, la liberté d'entreprendre s'en trouve atténuée, mais cette restriction poursuit l'objectif à valeur constitutionnelle d'une bonne administration de la justice.

newsid:452707

Bancaire

[Brèves] Droit au compte : sanction d'une banque pour non-respect de ses obligations

Réf. : ACPR, décision n° 2013-04, 19 mai 2016 (N° Lexbase : L1791K8T)

Lecture: 2 min

N2919BWZ

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Le 01 Juin 2016

L'ACPR a sanctionné, le 19 mai 2016, une banque pour non-respect de certaines de ses obligations en matière de droit au compte (DAC) (ACPR, décision n° 2013-04, 19 mai 2016 N° Lexbase : L1791K8T). L'Autorité relève que les circonstances dans lesquelles plusieurs bénéficiaires du DAC se sont vu retirer leur carte de paiement à autorisation systématique n'étaient pas conformes aux obligations applicables dans ce domaine. Par ailleurs, une large majorité des personnes morales bénéficiaires du DAC appartenant à l'échantillon examiné par la mission de contrôle avaient dû payer des frais de tenue de compte, ce qui est contraire au principe de gratuité de la fourniture des services bancaires de base pour cette catégorie de clients. Les conditions dans lesquelles des comptes "DAC" ont été clos ne respectaient pas non plus les dispositions applicables dans ce domaine, s'agissant en particulier de la motivation des lettres de clôture. Ces insuffisances dans des dossiers individuels sont à mettre en relation avec l'état, à la date du contrôle sur place, du dispositif de contrôle interne de la banque relatif au DAC, dont le rapport de contrôle soulignait les diverses carences qui portaient alors tant sur l'identification des comptes ouverts à des personnes morales que sur l'organisation des contrôles, permanent comme périodique. En outre, l'ACPR considère que si, d'une part, le dossier ne fait ressortir aucune volonté de méconnaître ces obligations et, d'autre part, l'établissement a engagé certaines actions pour remédier aux insuffisances constatées, notamment en ce qui concerne sa documentation interne et l'identification, dans ses systèmes d'information, de la clientèle DAC, il reste que la population particulièrement défavorisée concernée par cette législation appelait une attention particulière dont elle ne bénéficiait pas de la part de la banque à la date du contrôle. Dans ces conditions, et eu égard à l'assise financière de la banque, les manquements constatés justifient le prononcé d'un blâme et d'une sanction pécuniaire de 800 000 euros. Par ailleurs, le préjudice résultant d'une publication de la présente décision en y faisant apparaître le nom de l'établissement ne paraît pas disproportionné par rapport aux manquements réprimés et une telle publication ne risque pas non plus de perturber les marchés financiers, de sorte qu'il y a donc lieu de publier la présente décision sous une forme nominative (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E4259EYE).

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Bancaire

[Manifestations à venir] La titrisation des actifs : régime et garanties

Lecture: 3 min

N2899BWB

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Le 26 Mai 2016

Le Centre français de droit comparé organise le mercredi 15 juin 2016 une table ronde sur "La titrisation des actifs : régime et garanties" de 14h00 à 18h00. La titrisation est assurément l'une des grandes innovations financières de ces vingt dernières années ayant eu un impact majeur sur les marchés financiers internationaux. Elle permet à des établissements financiers de céder des créances au sens large qu'ils détiennent sur des entreprises ou des particuliers et de les transmettre à une structure ad hoc, généralement un fonds, en transformant ces créances en titres négociables. L'intérêt pour ces établissements financiers consiste en un transfert aux acquéreurs de ces titres du risque de non remboursement des créances cédées. Ainsi, les établissements financiers allègent leurs ratios d'endettement et retrouvent alors une nouvelle capacité de crédit. Les acheteurs de ces titres y trouvent également leur intérêt puisqu'en contrepartie, ils perçoivent un taux d'intérêt lié au niveau de risque de ces titres.

Née aux Etats-Unis, cette technique financière est apparue comme un moyen simple d'améliorer la gestion des banques dans le monde. Outre la Grande-Bretagne, pionnière en Europe, suivie par la Belgique et la France (par une loi de 1998), de nombreux pays se sont dotés d'une réglementation relative à cette opération de titrisation. Si le procédé s'est propagé dans l'ensemble des droits occidentaux, il existe néanmoins d'importantes différences de traitement de cette opération. De nature diverse, ces différences -tant théoriques que pratiques -concernent la teneur des droits transférés et la protection des tiers-.

Dans les systèmes de common law, l'une des questions les plus cruciales porte sur la qualification de la cession de créance (objet de la titrisation), à savoir si la cession est opposable au débiteur ou si ses effets sont limités aux rapports entre la banque cédante et les acheteurs des titres. Dans les pays de droit romano-germanique, se posent des questions d'opposabilité de la cession aux créanciers de la banque (au cas où celle-ci serait insolvable). Au-delà des questions de qualification de l'opération, les actifs "titrisables" peuvent varier : certains droits, comme le droit français, limitent le domaine de la titrisation, quand d'autres, comme le droit luxembourgeois, l'abordent de manière plus large.

Comme l'a montré la crise des subprimes, la titrisation peut avoir un effet systémique. Cette crise trouve son origine dans la titrisation des créances hypothécaires américaines, dont les débiteurs se sont révélés dans l'incapacité de rembourser leur dette. Mais le réassortiment des parts de titrisation initiales sur le marché international sans en dévoiler les défauts a eu des répercussions en chaîne sur l'ensemble du système bancaire occidental, en mettant en exergue l'ampleur des risques liés à ce type d'opération. Il a conduit à s'interroger sur la fiabilité des garanties censées assurer le remboursement. Dans un marché mondial soucieux de retrouver des modes de financements sains et durables, le sujet apparaît aujourd'hui d'une brûlante actualité pour signaler les écueils et préparer l'avenir.

  • Programme

14h00 - Allocution d'ouverture
Véronique Magnier, Professeur à l'Université Paris-Saclay, directeur de l'Institut Droit Ethique Patrimoine (IDEP)

14h15 - Rapport préliminaire
Thierry Granier, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille

14h45 - Table ronde présidée par
André Prum, Professeur à l'Université du Luxembourg

15h00 - L'expérience américaine
Pierre de Ravel d'Esclapon, avocat au Barreau de New-York, Professeur associé à l'Université de Montréal

15h25 - L'expérience anglaise
Dougall Molson, avocat associé Cabinet Freshfield

15h50 - L'expérience française
Xavier de Kergommeaux, avocat associé Cabinet Gide Loyrette Nouel, membre du conseil de l'Ordre de Paris

16h15 - L'expérience luxembourgeoise
Yann Paclot, Professeur à l'Université Paris-Saclay, avocat aux Barreaux de Paris et Luxembourg, Cabinet Jeantet, et Sara Gerling, avocat aux Barreaux de Luxembourg et de Cologne, Cabinet Jeantet

16h40 - L'expérience belge
Michel Tison, doyen de la Faculté de droit, Professeur à l'Université de Gand

17h05 - Débats

17h20 - Observations conclusives Prospective d'évolutions du droit français de la titrisation
Jacques Terray, avocat honoraire, ancien associé Cabinet Gide Loyrette Nouel

  • Date/heure

Mercredi 15 juin 2016
14h00 - 18h00

  • Lieu

Centre français de droit comparé
28, rue Saint-Guillaume
75007 Paris

  • Inscription/Contact

Centre français de droit comparé
28, rue Saint-Guillaume
75007 Paris
E-mail : cfdc@legiscompare.com

Conférence validée au titre de la formation continue des avocats.

newsid:452899

Collectivités territoriales

[Brèves] Possibilité du maire ou du conseil municipal de s'opposer à la publication d'un article dans le bulletin municipal d'information en cas d'infraction de presse

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 20 mai 2016, n° 387144, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0961RQN)

Lecture: 1 min

N2888BWU

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Le 28 Mai 2016

Le maire ou le conseil municipal peuvent s'opposer à la publication d'un article dans le bulletin municipal d'information en cas d'infraction de presse. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 20 mai 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 20 mai 2016, n° 387144, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0961RQN). Il résulte des dispositions de l'article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L6475A7X) qu'une commune de 3 500 habitants et plus est tenue de réserver dans son bulletin d'information municipale, lorsqu'elle diffuse un tel bulletin, un espace d'expression réservé à l'opposition municipale. Ni le conseil municipal, ni le maire de la commune ne sauraient, en principe, contrôler le contenu des articles publiés, sous la responsabilité de leurs auteurs, dans cet espace (voir TA Cergy-Pontoise, 9 mars 2016, n° 1601275 N° Lexbase : A0601Q8R). Il en va, toutefois, autrement lorsqu'il ressort manifestement de son contenu qu'un tel article est de nature à engager la responsabilité pénale du directeur de la publication, notamment s'il présente un caractère outrageant, diffamatoire ou injurieux de nature à engager la responsabilité du maire, directeur de publication du bulletin municipal, sur le fondement des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Tel n'est pas le cas, selon la Haute juridiction, d'une tribune dénonçant les conditions dans lesquelles un maire aurait obtenu sa réélection à l'Assemblée nationale et faisant part de craintes de voir des élus appartenant au Front national intégrer la prochaine équipe municipale.

newsid:452888

Contrat de travail

[Brèves] Nullité de la clause de mobilité et modalités à respecter en cas de changement d'employeur prévu et organisé par voie conventionnelle

Réf. : Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-26.556, FS-P+B (N° Lexbase : A0820RQG)

Lecture: 2 min

N2859BWS

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Le 26 Mai 2016

Est nulle la clause de mobilité par laquelle le salarié, lié par contrat de travail à une société s'est engagé à accepter toute mutation dans une autre société, alors même que cette société appartiendrait au même groupe (voir également sur ce thème, Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, F-D N° Lexbase : A2013DCK). Sauf application éventuelle de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), le changement d'employeur prévu et organisé par voie conventionnelle suppose l'accord exprès du salarié qui ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction, en sorte qu'en imposant aux salariés la modification de leur contrat de travail, l'employeur met fin au contrat qui les liait. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 mai 2016 (Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-26.556, FS-P+B N° Lexbase : A0820RQG).
En l'espèce, la société A a mis fin le 1er juin 2006 au marché concédé à la société B pour le transport de passagers au moyen de véhicules grand gabarit dénommés aérobus, qu'elle avait décidé de ne plus utiliser. Elle a confié un marché de transport de passagers par de nouveaux cars à grande capacité à la société C appartenant au même groupe D. Trente-trois conducteurs d'aérobus ont été transférés de la société B à la société C le 2 juin 2006 et M. X et vingt-et-un autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité de leur transfert, solliciter des dommages-intérêts et des indemnités de rupture de la société B pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des rappels de salaire de la société C.
La cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 4ème ch., 16 septembre 2014, plusieurs arrêts, dont n° S 11/08269 N° Lexbase : A5017MWQ) ayant débouté les salariés de leurs demandes d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts à l'encontre de la société B, ces derniers se sont pourvus en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel sur ce point au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E8748ESS et N° Lexbase : E8882ESR).

newsid:452859

Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Procédure de régularisation en cours de vérification de comptabilité : la lecture trop rigoriste de l'article L. 62 du LPF

Réf. : CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4612RN7)

Lecture: 7 min

N2886BWS

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Directeur du Master 2 Fiscalité européenne et internationale à la Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)

Le 26 Mai 2016

Un arrêt, en date du 4 mai 2016, mérite intérêt au regard de trois éléments (CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon). Tout d'abord, le Conseil d'Etat accepte que les revenus perçus en 2008 par les associés de la SCI soient imposés dans la catégorie des BIC ; pour le juge, la requalification opérée par l'administration (BIC versus IS) est jugée régulière. Deuxièmement, les opérations de construction-vente réalisées par la SCI présentent bien le caractère de BIC en vertu de l'article 35 du CGI (N° Lexbase : L1705IZ8) ; le juge constate que les requérants n'ont pas démontré l'absence d'intention spéculative et de condition d'habitude. Mais (et enfin), le Conseil d'Etat estime que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit dans sa lecture (par trop rigoriste) de l'article L. 62 du LPF (N° Lexbase : L7621HEY) ; les requérants pouvaient, à bon droit, procéder à une régularisation via une déclaration complémentaire nonobstant la requalification de l'impôt évoquée en amont. Au cas présent, une SCI (dont les requérants sont les uniques associés) a exercé de prime abord (2002-2006) une activité de gestion immobilière dont les produits relèvent alors de la catégorie des revenus fonciers. A partir de janvier 2007, la SCI exerce (après modification de ses statuts) une activité de construction-vente d'immeubles dont les bénéfices sont soumis au régime des BIC ; au titre de l'exercice clos de 2007, les résultats de la SCI ont été déclarés dans la catégorie des BIC. Sur treize appartements construits dans le cadre d'un ensemble immobilier, neuf sont vendus et quatre sont loués, ces derniers étant conservés dans le patrimoine de la SCI. Au titre de l'année 2008, c'est une déclaration d'IS que la SCI souscrit. A la suite d'une vérification de comptabilité courant sur cette année 2008, l'administration réalise une proposition de rectification qui est en réalité une opération de requalification : sur le fondement de l'article 239 ter du CGI (N° Lexbase : L4961HLC), les résultats issus de la construction-vente des appartements sont imposés à l'IR dans la catégorie des BIC. Les requérants saisissent le tribunal administratif de Lyon aux fins d'obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'IR auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 ; ils sont déboutés (TA Lyon, 9 avril 2013, n° 1105696). Interjetant appel devant la cour administrative d'appel de Lyon, ils voient leur requête rejetée (CAA Lyon, 22 mai 2014, n° 13LY01441 N° Lexbase : A0098MR3). Ils se pourvoient en cassation et le Conseil d'Etat rend la présente décision objet du présent commentaire.

Voyons les trois points qui méritent intérêt.

I - Article 239 ter du CGI et requalification régulière de l'impôt : imposition dans la catégorie des BIC des revenus issus de la construction-vente d'appartements et perçus par les associés de la SCI

Les résultats issus de la construction-vente des appartements sont imposés à l'IR dans la catégorie des BIC à la suite d'une opération de requalification ; la déclaration d'IS n'avait pas rencontré l'adhésion de l'administration.

Il convient de lire simultanément les articles 206 (N° Lexbase : L3845KWC) et 239 ter du CGI. En vertu de l'article 206 du CGI, relatif au champ d'application de l'IS (dans la version applicable au litige selon la formule consacrée), les sociétés civiles sont passibles de cet impôt si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 (N° Lexbase : L4844IQH) et 35 du CGI. En vertu de l'article 35 du CGI, relèvent des BIC pour l'application de l'IR les bénéfices réalisés par des personnes physiques qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles pour édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux. Les dispositions de l'article 206 du CGI s'appliquent sous réserve des dispositions de l'article 239 ter. Il n'y a point application de l'article 206 du CGI en présence de sociétés civiles qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, aux conditions suivantes : les sociétés ne doivent pas être constituées sous la forme de sociétés par actions ou à responsabilité limitée, leurs statuts doivent prévoir la responsabilité indéfinie des associés au regard du passif social. Quant au régime applicable, il renvoie à celui des SNC : les sociétés visées sont soumises au même régime que les SNC réalisant d'identiques opérations, et leurs associés sont imposés dans les mêmes conditions que ceux de SNC.

Selon les requérants, l'article 239 (N° Lexbase : L4947HLS) du CGI ne pouvait recevoir application dès lors que la SCI était antérieurement une société de gestion immobilière relevant, de 2002 à 2006, du régime des revenus fonciers. Le Conseil d'Etat va opérer une lecture ductile de l'article 239-I du CGI : on ne saurait limiter l'application de cet article aux sociétés civiles de construction-vente issues de la transformation d'une SNC effectuant les mêmes opérations. Cela induit, selon le juge de l'impôt, qu'une société de construction-vente donnant à bail des appartements, même n'ayant pas trouvé acquéreur, ne peut prétendre être exclue du dispositif dérogatoire prévu à l'article 239 ter du CGI..., dès lors que son activité peut être qualifiée de nécessaire et accessoire. Appliquant son raisonnement à l'espèce, le Conseil d'Etat constate que la SCI requérante, après modification des statuts, avait proposé à la vente l'ensemble des appartements. Elle remplit les conditions prévues à l'article 239 ter du CGI et relève, ainsi, du régime dérogatoire prévu. Quant à la question de l'objet social, qui avait connu une mutation génétique, elle est évacuée par le Conseil d'Etat en peu de mots : le fait que cet objet social (relatif à la construction-vente) n'ait été adopté qu'à compter du début de l'année 2007 est sans incidence sur le régime d'imposition des bénéfices tirés de la vente des appartements. La cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

II - Opérations de construction-vente présentant le caractère de BIC sur le fondement de l'article 35 du CGI : non démonstration par les requérants de l'absence d'intention spéculative et de condition d'habitude

Le second point qui mérite particulière attention représente une déclinaison du premier en ce qu'il est encore question de l'article 35 du CGI. En vertu de ce dernier, les opérations de construction-vente présentent le caractère de BIC à condition que surviennent deux éléments : une intention spéculative, un caractère habituel. Quid de la situation de la SCI dans l'espèce qui nous intéresse ? Après avoir acquis deux terrains en 2002 et 2005, la SCI a modifié son objet social à partir du 1er janvier 2007 aux fins de réaliser des opérations de construction-vente de tous biens immeubles. En 2007 et 2008, elle procède à la construction d'un ensemble immobilier de treize appartements dont neuf ont été vendus. Aux yeux des contribuables, tant l'intention spéculative que la condition d'habitude sont à exclure ; les profits réalisés doivent être regardés comme des plus-values privées. Pour le Conseil d'Etat, cependant, les opérations visées mettent en lumières les deux conditions mentionnées à l'article 35 du CGI, l'intention spéculative et la condition d'habitude. Dans une formule probatoire qui laisse songeur, le juge pose que "les requérants n'apportaient aucun élément contraire susceptible de permettre d'établir l'absence d'intention spéculative dans cette opération". Est classiquement retenue une logique de présomption fonctionnelle : par la réalisation des opérations de construction-vente, la présomption d'intention spéculative et la condition d'habitude est regardée comme établie. Une telle logique probatoire induit un renversement de la charge de la preuve, renversement établi par la formulation (là encore classiquement) négative retenue par le juge ("les requérants n apportaient aucun élément contraire"...). A défaut d'arguments pertinents en défense, le juge semble réceptionner la thèse de la logique déduction : puisque la SCI n'exerçait qu'une activité de construction-vente, il est loisible de déduire l'intention spéculative de l'objet social lui-même. Il est en quelque sorte procédé (vu l'objet social dépourvu d'ambiguïté) à une objectivisation de la présomption. De l'objet social théorique à la pratique, il n'y a qu'un pas, conduisant le juge à toujours sillonner un identique chemin. En principe, la condition d'habitude n'est pas remplie lorsqu'une SCI réalise une opération spéculative unique, la vente et revente, en l'état, d'un immeuble. Or, le schéma rencontré dans la présente affaire connaît des atours bien différents ; la SCI n'a-t-elle pas construit treize appartements pour les proposer à la vente ? La SCI n'a-t-elle pas vendu neuf de ces treize appartements ? La condition d'habitude semble s'imposer alors, naturellement (1).

III - Déclaration rectificative et requalification de l'impôt (LPF, art. L. 62). Censure de la lecture rigoriste de la cour administrative d'appel

Enfin, attardons nous sur l'article L. 62 du LPF. Celui-ci dispose que le contribuable peut, au cours d'une vérification de comptabilité et pour les impôts sur lesquels porte cette vérification, régulariser les erreurs, inexactitudes, omissions ou encore insuffisances dans les déclarations souscrites par lui dans les délais. Une telle procédure de régularisation spontanée, impliquant le paiement d'un intérêt de retard égal à 70 % de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI (N° Lexbase : L9755I3P), ne peut recevoir application que si sont remplies trois conditions. Premièrement, le contribuable doit faire la demande avant que n'advienne une proposition de rectification ; deuxièmement, la régularisation ne saurait viser, selon une précautionne formule, une "infraction exclusive de bonne foi" ; troisièmement, le contribuable doit, lorsqu'il dépose sa déclaration complémentaire dans les trente jours de sa demande, acquitter l'intégralité des suppléments de droits simples et des intérêts de retard au moment du dépôt de la déclaration (2). La finalité de telles dispositions est louable : par un acte spontané, tout aussi louable, le contribuable est à même de régulariser une déclaration malheureusement inexacte en raison des "erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisance" (3). Cela dit, une telle déclaration complémentaire ne saurait, rappelle le juge en une évidente clause de sauvegarde, "pallier le défaut de souscription d'une déclaration" (4). Appliqué à notre espèce, l'article L. 62 du LPF tel que lu par le Conseil d'Etat conduit à la censure de l'arrêt de la cour administrative d'appel pour erreur de droit. La cour administrative d'appel avait, en effet, rejeté la demande des requérants regardant infondée la majoration pour dépôt tardif prévue à l'article 1728 du CGI (N° Lexbase : L9544IY7) : aux yeux du juge d'appel, la seconde déclaration accompagnant la demande de régularisation ne pouvait être considérée comme une déclaration "complémentaire" au sens de l'article L. 62 du LPF. La raison en est le changement d'impôt découlant du processus de requalification opéré par l'administration : la première déclaration visait l'IS, un changement de type de déclaration était survenu, une absence d'identité des contribuables était constatée. Dès lors, la césure IS versus BIC engendrait, toujours selon la cour administrative d'appel, une ontologique récusation de la seconde déclaration qui ne pouvait prétendre à la complémentarité. Une question de genre en quelque sorte appliquée au droit fiscal... Le Conseil d'Etat, fort noblement, redresse le bâton tordu. Il est possible, pour les associés de la SCI ayant déposé une déclaration d'IR, de régulariser celle-ci en vertu de l'article L. 62 du LPF : il leur suffit de déclarer, dans la catégorie des BIC, les sommes déclarées à tort au titre de l'IS. La déclaration seconde méritait bien, conformément aux prétentions des requérants, d'être adjectivée et de devenir complémentaire. Le Conseil d'Etat retient ici une lecture anti-formaliste de l'article L. 62 du LPF qui ne peut être que saluée.


(1) Pour la condition d'habitude, cf par exemple CE 7° et 8° s-s-r., 24 juillet 1981, n° 22950 (N° Lexbase : A3604AKP) ; ou encore CE 7°, 8° et 9° s-s-r., 25 juillet 1980, n° 12091, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6283AIK).
(2) Ou à la date limite de paiement portée sur l'avis d'imposition en cas de mise en recouvrement par voie de rôle.
(3) CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4612RN7).
(4) CE 9° et 10° ch., 4 mai 2016, n° 383135, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..

newsid:452886

Entreprises en difficulté

[Brèves] Notion de période suspecte en cas de conversion d'une procédure de sauvegarde en redressement ou liquidation judiciaires et annulabilité de remises de chèques opérées pendant la période suspecte

Réf. : Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-24.910, FS-P+B (N° Lexbase : A0769RQK)

Lecture: 2 min

N2913BWS

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Le 28 Mai 2016

En cas de conversion d'une procédure de sauvegarde en redressement puis liquidation judiciaire et report de la date de cessation des paiements avant l'ouverture de la sauvegarde, la période suspecte, qui commence au jour de la cessation de paiements, ne peut comprendre la période d'observation de la procédure de sauvegarde. Par ailleurs, des remises de chèques opérées pendant la période suspecte ne peuvent être annulées sur le fondement de l'article L. 632-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3422ICQ) que si elles ont eu lieu dans le cadre d'un fonctionnement anormal du compte n'enregistrant que les remises à son crédit, seul cas où ces remises valent, en diminuant le solde débiteur du compte, paiement d'une dette échue au sens de ce texte. Telles sont les précisions apportées par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 mai 2016 (Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-24.910, FS-P+B N° Lexbase : A0769RQK). En l'espèce, une société a fait l'objet, le 25 juillet 2008, d'une procédure de sauvegarde qui a été convertie en redressement puis liquidation judiciaires les 28 novembre 2008 et 24 juillet 2009. Un jugement du 15 mai 2009 a reporté la date de cessation des paiements au 1er juin 2007. Le liquidateur a demandé l'annulation des versements effectués par la société sur un compte ouvert dans les livres d'une banque entre le 31 décembre 2007 et le 19 août 2008. Pour accueillir la demande d'annulation de l'ensemble des remises de chèques, l'arrêt d'appel (CA Riom, 18 juin 2014, n° 12/02991 N° Lexbase : A3605MRX) retient que la banque avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société à compter de juillet 2008. La Cour de cassation censure sur ce point les juges du fond au visa de l'article L. 632-2, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT) : en statuant ainsi, alors que, la période suspecte s'étendait du 1er juin 2007 au 25 juillet 2008, sans pouvoir comprendre la période d'observation de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel, qui ne pouvait annuler l'ensemble des remises de chèques jusqu'au 19 août 2008 sur le seul fondement du texte susvisé, a violé celui-ci. De même, la Haute juridiction censure l'arrêt d'appel au visa du même texte en ce qu'il a retenu, pour annuler les remises de chèques effectuées par la société sur son compte courant après la date de cessation des paiements et avant l'ouverture de la sauvegarde, que la banque ne pouvait plus ignorer, à compter de juillet 2008, la situation de sa cliente. Or, en se déterminant ainsi, sans rechercher si les remises de chèques antérieures au jugement de sauvegarde avaient eu lieu dans le cadre d'un fonctionnement anormal du compte n'enregistrant que les remises à son crédit, seul cas où ces remises valaient, en diminuant le solde débiteur du compte, paiement d'une dette échue au sens du texte susvisé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E1386EUU et N° Lexbase : E1435EUP).

newsid:452913

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Conditions d'exonération des plus-values à long terme sur des titres de participation

Réf. : CE 3° et 8° ch., 20 mai 2016, n° 392527, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0965RQS)

Lecture: 2 min

N2871BWA

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Le 27 Mai 2016

Sur le plan comptable, les titres de participation (dont le montant net des plus-values à long terme est fixé à 0 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007 : CGI, art. 219 N° Lexbase : L3200KWG) sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Une telle utilité peut notamment être caractérisée si les conditions d'achat des titres en cause révèlent l'intention de l'acquéreur d'exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d'exercer une telle influence, ce qui est le cas en particulier d'une SELARL. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 20 mai 2016 (CE 3° et 8° ch., 20 mai 2016, n° 392527, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0965RQS). En l'espèce, la SELARL d'un docteur, chirurgien-urologue et unique associé, a acquis, en 2003, 364 actions d'une clinique, représentant 0,88 % du capital social de celle-ci, laquelle détenait la totalité du capital social d'une polyclinique dans laquelle le docteur exerçait son activité professionnelle. Ces titres, inscrits dans un compte "titres de participation", ont été cédés par la SELARL le 10 octobre 2007, générant une plus-value dont l'administration a refusé l'exonération car les actions cédées ne constituaient pas des titres de participation. Cependant, la Haute juridiction n'a pas donné raison à l'administration. En effet, l'utilité de l'acquisition des titres s'apprécie notamment, comme il a été dit, par l'influence ou le contrôle que la détention de ces titres permet à la société acquéreuse d'exercer sur la société émettrice. Elle peut aussi être caractérisée, en particulier s'agissant d'une SELARL, lorsque les conditions d'acquisition des titres révèlent l'intention de la première de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu'une telle détention lui confère ou les avantages qu'elle lui procure pour l'exercice de cette activité. Ainsi, c'est sans méconnaître le critère d'utilité pour la société détentrice des titres que les juges du fond (CAA Nancy, 25 juin 2015, n° 14NC00699 N° Lexbase : A2182NRA), qui ont par ailleurs observé que la SELARL du docteur les avait conservés environ quatre ans et demi, ont relevé que la participation de cette société au capital social de la clinique permettait à son unique associé d'exercer son activité professionnelle dans des conditions privilégiées et qu'elle contribuait ainsi à l'exercice et au développement de l'activité de sa SELARL alors même que sa quotité ne lui permettait pas d'exercer une influence sur la société émettrice. Cette décision permet l'application à une SELARL d'un principe dégagé en 2010 (CE 3° et 8° s-s-r., 20 octobre 2010, n° 314247, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4483GCZ) .

newsid:452871

Fonction publique

[Brèves] Incapacité d'un directeur à gérer ses agents : motif de nature à justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 20 mai 2016, n° 387105, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0960RQM)

Lecture: 1 min

N2897BW9

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Le 27 Mai 2016

L'incapacité d'un directeur à gérer ses agents est un motif de nature à justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 20 mai 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 20 mai 2016, n° 387105, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0960RQM, voir sur l'existence de défaillances dans l'organisation du service et de difficultés relationnelles avec les agents relevant de ce directeur, CAA Bordeaux, 9 mars 2009, n°07BX02439 N° Lexbase : A3719EPG). Etait en cause le licenciement pour insuffisance professionnelle du directeur de la culture d'une communauté urbaine, intervenu après une suspension prononcée dans l'attente de poursuites disciplinaires. Le licenciement est fondé sur l'incapacité de l'intéressé à développer des relations de travail adéquates avec ses équipes, cette insuffisante compétence managériale étant susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service public. Alors même que la communauté urbaine ne contestait pas les connaissances techniques de l'intéressé en matière d'action culturelle, la fonction de directeur de la culture, de nature essentiellement managériale, ainsi que la mission de réorganisation et de rationalisation du service culturel qui lui était également confiée exigeaient des qualités professionnelles de gestion, de communication, de dialogue et de conduite du changement, ainsi d'ailleurs que sa fiche de poste le mentionnait. En l'espèce, les carences relevées dans la manière de servir, de nature à établir son incapacité à remplir les fonctions qui lui avaient été confiées, étaient corroborées par des témoignages versés au dossier et justifient un licenciement pour insuffisance professionnelle (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E9754EPX).

newsid:452897

Fonction publique

[Jurisprudence] Validité du régime spécifique de congé de grave maladie des agents non titulaires de la fonction publique territoriale - Conclusions du rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 4 mai 2016, n° 389688, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4635RNY)

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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 26 Mai 2016

Dans un arrêt rendu le 4 mai 2016, la Haute juridiction a indiqué que la différence de traitement appliqué, en matière de congé de grave maladie, entre fonctionnaires territoriaux et agents non titulaires de la fonction publique territoriale, est justifiée par la spécificité des conditions d'emploi de ces derniers ainsi que par le fait que ces deux catégories d'agents bénéficient de régimes de protection différents. Elle est ainsi en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit. Elle n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient. Dès lors, en refusant d'abroger une telle mesure réglementaire adaptant le droit au congé de grave maladie à la situation particulière des agents non titulaires de la fonction publique territoriale, le Premier ministre n'a pas porté illégalement atteinte au principe d'égalité de traitement entre les agents publics, qu'ils soient titulaires ou non titulaires. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver une partie des conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas. Mme X a été recrutée en qualité d'agent public contractuel par une commune de Seine-Saint-Denis au début de l'année 2009. Elle souffre depuis 2010 d'un syndrome dépressif, que le diagnostic d'un cancer du sein n'a pas arrangé. Un différend s'est noué entre l'intéressée et la commune au sujet des congés pour maladie dont elle était en droit de bénéficier.

Par lettre du 24 décembre 2014, alors qu'elle n'était plus, depuis presque deux ans, employée par la commune, Mme X a adressé au Premier ministre, par l'intermédiaire de son avocat, une demande ayant un double objet : d'une part, elle demandait l'abrogation de l'article 8 du décret n° 88-145 du 15 février 1988, relatif aux conditions d'emploi des agents non titulaires de la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L1035G8T), en tant qu'il soumet à trois ans de services effectifs le bénéfice du congé de grave maladie à plein traitement ; d'autre part, elle demandait réparation du préjudice subi, selon elle, en raison de l'illégalité des dispositions contestées, en ce qu'elles avaient fait obstacle à ce que lui fût octroyé un congé de grave maladie.

Cette double demande a été implicitement rejetée et Mme X attaque ce rejet implicite.

Disons d'abord un mot des dispositions attaquées.

Le décret du 15 février 1988 a été pris pour l'application, notamment, de l'article 136 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX). Son titre III, qui regroupe ses articles 7 à 13, traite notamment des congés pour raison de santé auxquels ont droit les agents non titulaires. Son article 8 prévoit l'existence du "congé de grave maladie", qui est octroyée à l'agent contractuel en activité comptant au moins trois années de service, lorsqu'il est atteint d'une affection "le mettant dans l'impossibilité d'exercer son activité, nécessitant un traitement et des soins prolongés et présentant un caractère invalidant et de gravité confirmée". L'agent placé en congé de grave maladie conserve l'intégralité de son traitement pendant une durée de douze mois, celui-ci étant ensuite réduit de moitié pendant les vingt-quatre mois suivants.

La dénomination de "congé de grave maladie" employée par l'article 8 du décret n'apparaît pas dans la liste des congés pour raison de santé prévus, s'agissant des titulaires de la fonction publique territoriale, par l'article 57 de la loi de 1984. Mais il s'agit de l'exact équivalent du congé de longue maladie prévu au 3° de cet article. Or, les fonctionnaires titulaires peuvent bénéficier du congé de longue maladie dès leur nomination, aucune condition de durée des services accomplis n'étant exigée en ce qui les concerne.

C'est le rapprochement de la situation des agents contractuels avec celle des fonctionnaires titulaires qui est à l'origine de la contestation de Mme X pour l'accès à un même congé, les premiers sont soumis à une condition de durée de services de trois ans alors qu'aucune condition de durée de service ne s'impose aux seconds. L'intéressée y voit une différence de traitement injustifiée.

A l'appui de sa contestation de la légalité des dispositions de l'article 8 du décret de 1988, la requérante invoque deux moyens.

En premier lieu, ces dispositions méconnaîtraient les prévisions de la Directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (N° Lexbase : L0072AWL).

Cette Directive, que vous avez déjà appliquée (1), vise à lutter contre différentes formes de précarité dans le travail. Elle présente l'originalité de rendre obligatoire pour les Etats membres le résultat d'un processus de négociation collective conduit entre organisations d'employeurs et de salariés au niveau européen. Mme X se prévaut de la quatrième clause de l'accord annexé à la directive. Toutefois, le principe que cette clause énonce interdit les discriminations dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée. Or la différence de traitement dont Mme X se plaint ne fait intervenir aucune distinction tenant à la durée de la relation de travail. La distinction est autre : c'est celle qui existe entre les agents publics contractuels et les fonctionnaires titulaires. Le moyen est donc en tout état de cause inopérant et vous l'écarterez comme tel. Ainsi que le souligne le ministre de l'Intérieur en défense, la Cour de justice de l'Union européenne est d'ailleurs parvenue à la même conclusion (2).

En second lieu, la requérante soutient que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité.

C'est du moins ainsi qu'il faut, croyons-nous, interpréter ses écritures : même si, formellement, Mme X invoque un moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, elle déduit cette erreur, nous l'avons dit, du rapprochement des dispositions applicables, respectivement, aux fonctionnaires titulaires et aux agents contractuels.

L'invocation du principe d'égalité pose une question d'opérance, à laquelle il n'est pas tout à fait évident de répondre.

En l'état de votre jurisprudence, vous ne donnez au principe d'égalité qu'un champ d'application limité en droit de la fonction publique. Partant de l'idée que le moyen ne peut être soulevé de manière pertinente que lorsque sont en cause des situations identiques, vous n'acceptez en principe de comparer la situation d'agents titulaires que lorsqu'ils relèvent du même corps ou cadre d'emplois (3). Si tel n'est pas le cas, vous répondez que le principe d'égalité ne peut être utilement invoqué (4).

Entre agents titulaires et non titulaires, il s'agit presque d'un a fortiori. Vous jugez que ces deux catégories d'agents "ne se trouvent pas dans la même situation juridique au regard du service public" et vous en déduisez que "l'administration n'est pas tenue de soumettre les uns et les autres à la même réglementation" (5). Vous avez ainsi jugé, sur le fondement de ces considérations, que ne méconnaît pas le principe d'égalité le refus de soumettre les agents contractuels admis à l'Ecole nationale d'administration (ENA) à un régime de rémunération identique à celui dont jouissent les fonctionnaires titulaires admis dans le même établissement (6). Vous avez aussi précisé que "les agents contractuels recrutés sans limitation de durée ne sont pas dans la même situation juridique que les fonctionnaires" et vous en avez déduit immédiatement que le pouvoir réglementaire ne méconnaît pas le principe d'égalité en soumettant les premiers à des règles différentes de celles applicables aux fonctionnaires en matière de retraite et de congés (7). La même motivation expéditive a encore été adoptée récemment, à propos de régimes indemnitaires différents (8).

L'examen de votre jurisprudence montre ainsi que, lorsque vous vous trouvez face à une différence de situation radicale, vous écartez le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de manière sommaire, soit comme évidemment non fondé, en vous bornant à relever l'existence de cette différence de situation, soit même, encore plus brutalement, comme inopérant.

Vous pourriez être tenté par une réponse de cette sorte dans la présente affaire. Nous voudrions vous en dissuader, pour deux raisons qui, au fond, se rejoignent.

La première tient à l'existence d'un bémol à votre jurisprudence selon laquelle, en matière de fonction publique, le principe d'égalité ne joue qu'entre agents d'un même corps. Ce bémol s'applique lorsque sont en cause des dispositions qui n'ont pas vocation à régir les seuls agents d'un même corps, par exemple des textes instituant des primes en faveur des fonctionnaires affectés dans des quartiers urbains difficiles : dans ce cas, vous admettez l'opérance du moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité (9). Nous n'avons pas trouvé de jurisprudence consacrant explicitement l'existence de ce même bémol s'agissant des textes qui, au regard de leur objet, ont vocation à régir aussi bien les agents contractuels que les fonctionnaires titulaires. Mais nous ne voyons pas pourquoi il devrait en aller autrement. Or vous êtes, en l'espèce, devant une disposition ayant pour objet de prévoir des droits en faveur des agents atteints de graves maladies. A la différence de dispositions ayant pour objet de prévoir un déroulement de carrière au sein d'un corps ou d'un cadre d'emplois, elle n'a pas vocation, par son objet, à ne s'appliquer qu'à une ou des catégories particulières d'agents publics.

La seconde raison qui nous conduit à vous dissuader d'une réponse expéditive au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité tient à la formulation la plus récente de ses implications, qui résulte d'un considérant de principe forgé par votre assemblée du contentieux (10). Si l'on suit ce mode d'emploi à la lettre, il est difficile de justifier, en droit, les réponses d'inopérance que vous avez pu faire à ce moyen par le passé, ou celles l'écartant abruptement, au seul motif que la différence de traitement critiquée s'applique à des situations différentes. En toute rigueur, le constat d'une différence de situation, même radicale, ne devrait jamais suffire à écarter le moyen, puisqu'il faut encore vérifier, d'une part, que la différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la norme, d'autre part, qu'elle n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui peuvent la justifier. A tout le moins, si vous vous autorisez, parce qu'elle est expédiente, une réponse brève, elle ne doit pas vous conduire à faire l'économie du raisonnement qui y aboutit.

En l'occurrence, la différence de traitement entre agents contractuels et fonctionnaires titulaires est certaine.

Est-elle en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit ? -ou plutôt, des normes qui l'établissent, puisque dans la présente affaire, cette différence de traitement résulte de la combinaison de deux textes, l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et l'article 8 du décret du 15 février 1988-. L'objet de ces normes est de protéger les agents atteints de maladies graves, en leur conférant le droit à un congé rémunéré d'une durée pouvant aller jusqu'à trois années. Au regard d'un tel objet, il ne nous paraît pas illégitime de prévoir des conditions d'accès au bénéfice de cette protection différentes selon la nature de la relation qui unit les agents à leur employeur -ici, des conditions plus avantageuses pour les fonctionnaires titulaires que pour les agents contractuels-. Il est dans la nature même du système de la carrière de reconnaître aux fonctionnaires titulaires davantage de droits qu'aux agents contractuels, qui relèvent d'un système d'emploi. Les premiers ont en effet vocation à servir un employeur public durant l'intégralité de leur vie professionnelle, alors que les seconds, quand bien même ils seraient embauchés pour une durée indéterminée, n'ont en principe vocation qu'à occuper le poste sur lequel ils ont été recrutés. Dans le cas de ces derniers, quitte à forcer un peu le trait, la relation de travail reste ponctuelle, alors même qu'elle ne serait assortie, a priori, d'aucun terme, et elle a pour objet l'accomplissement d'une tâche déterminée. Dans ces conditions, comme le soutient en défense le ministre de l'Intérieur, on peut comprendre qu'une forme de proportionnalité soit exigée entre la durée des services accomplis et celle du congé rémunéré auxquels ces agents peuvent prétendre.

Reste à voir si la différence de traitement critiquée n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui peuvent la justifier. Nous n'identifions, en l'occurrence, aucune disproportion manifeste. Nous vous le disions à l'instant : dans le cas d'une relation de travail ponctuelle, il paraît assez naturel de prévoir une certaine. Vous jugez que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. En l'occurrence, ces durées sont identiques : trois ans de services sont requis pour ouvrir droit au bénéfice d'un congé rémunéré de trois années. En outre, signalons que les agents contractuels qui n'ont pas accompli cette durée minimale de service ne sont évidemment pas dépourvus de tous droits en cas de grave maladie : dès lors que celle-ci les place dans l'impossibilité d'exercer leurs fonctions, ils ont droit à un congé de maladie qui, s'il n'est pas rémunéré, donne lieu au versement des prestations en espèces du régime général de la Sécurité sociale.

Nous vous proposons donc de juger que les dispositions litigieuses ne méconnaissent pas le principe d'égalité, ni ne sont, pour les mêmes raisons, entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

Si vous nous suivez vous rejetterez les conclusions à fin d'annulation du refus d'abroger opposé à Mme X.

Le sort des autres conclusions de la requête s'en déduira. Vous pourrez admettre votre compétence pour statuer sur les conclusions indemnitaires de Mme X, au titre de la connexité. Elles doivent être rejetées par voie de conséquence de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité. Et il en ira de même des conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).

Par ces motifs nous concluons au rejet de l'ensemble des conclusions dont vous êtes saisi.


(1) Voyez pour un exemple récent, CE, 20 mars 2015, n° 371664 (N° Lexbase : A1292NEL), aux tables du Recueil.
(2) CJUE, 7 mars 2013, aff. C-178/12 (N° Lexbase : A3386RQH), points n°s 43 à 45.
(3) CE Ass., 13 mai 1960, n° 44344, 44345, au Recueil, p. 324.
(4) CE, 7 mai 1975, n° 86207 (N° Lexbase : A5031B7H), au Recueil ; CE, 26 juin 2009, n° 307369, 307370 (N° Lexbase : A4038EIE), au Recueil ; CE, 4 décembre 2013, n° 355521 (N° Lexbase : A8511KQB), point n° 4, aux tables du Recueil sur un autre point.
(5) CE, 11 janvier 1980, n° 11112 (N° Lexbase : A6781AIY), aux tables du Recueil.
(6) CE, 11 janvier 1980, n° 11112, préc..
(7) CE, 30 mars 1990, n° 76538 (N° Lexbase : A5910AQX), aux tables du Recueil.
(8) CE, 12 décembre 2014, n° 367562 (N° Lexbase : A6176M7U), inédite au Recueil.
(9) Voyez sur ce point CE, 9 février 2005, n° 229547 (N° Lexbase : A6699DG9), au Recueil.
(10) CE Ass., 11 avril 2012, n° 322326 (N° Lexbase : A4127IIP), au Recueil. Vous jugez que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

newsid:452828

[Jurisprudence] L'appel manifestement abusif d'une contre-garantie suppose la démonstration d'une collusion frauduleuse

Réf. : Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-28.962, FS-P+B (N° Lexbase : A3461RNI)

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N2837BWY

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 26 Mai 2016

L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 mai 2016 met en lumière les difficultés qui existent encore lorsqu'il s'agit de concilier le droit de la garantie autonome, l'esprit de cette sûreté et la pratique, notamment dans les relations internationales.
En l'espèce, une société française, par un marché de travaux signé le 12 janvier 2011, s'était engagée à fournir à une société égyptienne une usine "clefs en mains". Une banque s'est portée garante, par la signature d'une garantie de restitution d'avance et d'une garantie d'exécution. Ces deux garanties autonomes ont été contre-garanties en septembre 2011. Le 26 janvier 2011, la société égyptienne bénéficiaire a prononcé la résiliation du contrat et a appelé l'une des garanties de premier rang. Le lendemain de cet appel, le garant appelait la garantie du contre-garant. Ce dernier a refusé d'exécuter son engagement et a assigné le garant en vue de faire juger manifestement abusif son appel de la contre-garantie. Le garant de premier rang, à titre reconventionnel, a demandé à ce que le contre-garant soit condamné à exécuter son engagement.
Le tribunal de commerce de Paris avait entre-temps fait interdiction au garant de transférer des sommes de son établissement français à son établissement égyptien. Ce dernier a toutefois payé la garantie autonome au bénéficiaire, le 8 février 2012.
La cour d'appel de Paris, par un arrêt en date du 25 novembre 2014 (1), a jugé que l'appel de la contre-garantie était manifestement abusif, car l'appel de la garantie l'était lui-même. Elle a donc rejeté la demande du garant de premier rang tendant à la condamnation du contre-garant.
La Cour de cassation casse cet arrêt, au visa de l'article 2321, alinéa 2 du Code civil (N° Lexbase : L1145HIA), en se fondant sur la règle selon laquelle le caractère manifestement abusif de l'appel de la contre-garantie ne peut résulter du seul caractère manifestement abusif de l'appel de la garantie de premier rang. La Cour affirme qu'il est nécessaire que soit, en outre, démontrée, au moment de l'appel de la contre-garantie, une collusion entre le garant de premier rang et le bénéficiaire. Dans cette décision, la Cour de cassation adopte une solution qui est en apparence fondée (I), mais qui se révèle discutable (II).

I - Une solution en apparence fondée

La garantie autonome est une sûreté qui suppose une grande rigueur à l'égard du garant, afin d'améliorer son efficacité. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence, il y a déjà longtemps, a considéré que le donneur d'ordre ou un contre-garant ne pouvaient s'opposer au paiement de la contre-garantie qu'à une double condition : que l'appel par le bénéficiaire soit manifestement abusif et qu'il y ait fraude de la part du garant de premier rang ou collusion entre ce dernier et le bénéficiaire (2)

Juridiquement, l'idée se justifie par l'autonomie des garanties : une contre-garantie est une garantie autonome, au même titre que celle consentie par le garant de premier rang au profit du bénéficiaire. Le rapport triangulaire dans lequel s'inscrit la contre-garantie concerne le donneur d'ordre, le garant de premier rang et le contre-garant. Par conséquent, au regard du contre-garant, la mauvaise foi du bénéficiaire est, en elle-même, une exception inopposable puisque extérieure à l'opération de contre-garantie. Il est donc nécessaire que la mauvaise foi du bénéficiaire trouve un relais au sein de l'opération de contre-garantie, en la personne du garant de premier rang.

En opportunité, l'idée se justifie par l'esprit même de la garantie autonome. Il sera difficile de prouver la collusion entre le bénéficiaire et le garant de premier rang. Cette exigence renforce l'efficacité de la garantie autonome puisqu'il est moins aisé de la remettre en question. Si le blocage de la contre-garantie était trop facile, le garant hésiterait à payer, doutant de ses possibilités d'obtenir remboursement par le contre-garant des sommes déboursées.

Ainsi, en censurant la cour d'appel de Paris qui avait déduit le caractère manifestement abusif de l'appel de la contre-garantie de l'abus manifeste commis par le bénéficiaire lors de l'appel de la garantie, la Cour de cassation semble se montrer respectueuse du droit et de l'esprit de la garantie autonome.

Il convient simplement de noter que sur un point, la Chambre commerciale va plus loin que la lettre de l'article 2321, en exigeant que soit démontrée l'existence de la collusion, "au moment de l'appel de la contre-garantie". Cette condition est absente du texte. Elle n'est toutefois pas absolument nouvelle, puisqu'on en trouve des traces anciennes, notamment dans un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (3). Cette position est fondée, même si elle mériterait d'être aménagée. Elle est fondée, car l'inverse fragiliserait la garantie autonome. Admettre de retenir des éléments apparus ultérieurement pour décider que l'appel, qui n'était pas manifestement abusif à l'origine, le devient, porterait une atteinte considérable à la sécurité des garanties autonomes. Mais cette position mériterait d'être aménagée, car à la collusion au moment de l'appel devrait être assimilée la collusion au moment du paiement, lorsque ce dernier est effectué avant l'appel de la contre-garantie (4) : le garant de premier rang qui paye en toute bonne foi doit pouvoir ensuite appeler la contre-garantie, même s'il a décelé l'abus entre-temps.

II - Une solution en réalité critiquable

L'arrêt du 3 mai 2016 est en réalité critiquable, en ce qu'il restreint excessivement les possibilités de blocage de la contre-garantie.

En effet, il est traditionnellement considéré que le blocage de la contre-garantie peut être ordonné dans deux cas : lorsque le garant de premier rang est de mauvaise foi, et en cas de collusion (5). Dans l'arrêt commenté, la Cour n'envisage que la collusion, semblant écarter l'abus du garant de premier rang lui-même. La collusion s'entend de "l'entente secrète entre deux ou plusieurs personnes en vue d'en tromper une ou plusieurs autres" (6). L'hypothèse dans laquelle le créancier bénéficiaire et la banque garante de premier rang s'entendent pour nuire au donneur d'ordre et/ou au contre-garant n'est pas la plus fréquente. Elle est, peut-être, imaginable lorsque le bénéficiaire est un Etat et que le garant de premier rang en est la banque nationale... L'arrêt du 3 mai 2016 ne fait aucune référence à la simple fraude du garant de premier rang.

Faut-il déduire de cet arrêt que la Cour de cassation souhaite limiter les blocages de contre-garanties aux hypothèses dans lesquelles il existe une collusion entre le bénéficiaire et le garant de premier rang, et par là même écarter les cas où, sans qu'il y ait collusion, le garant a commis un abus ou une fraude ? Il est permis de le penser, s'agissant d'un arrêt promis aux honneurs de la publication au Bulletin.

Dès lors, l'arrêt du 3 mai 2016, qui pouvait sembler fondé en apparence, est en réalité très critiquable. Permettre au contre-garant ou au donneur d'ordre de bloquer le paiement de la contre-garantie en cas d'abus ou de fraude du garant, sans collusion de celui-ci avec le bénéficiaire est une solution parfaitement fondée. La contre-garantie est une garantie autonome à part entière, dans laquelle le garant de premier rang a la qualité de bénéficiaire. Admettre l'abus ou la fraude commis par le garant de premier rang n'est alors que la transposition au schéma triangulaire de la contre-garantie de la théorie de l'appel manifestement abusif. En outre, l'abus ou la fraude du garant de premier rang est beaucoup plus simple à établir que la collusion. Si l'appel du bénéficiaire est manifestement abusif, le garant n'aura pas pu, par hypothèse, ne pas en avoir conscience. Son paiement révèle donc une mauvaise foi, constitutive d'un abus ou d'une fraude (7).

Cette critique est renforcée par le constat que le fondement textuel retenu par l'arrêt n'est pas des plus judicieux. L'alinéa 2 de l'article 2321 du Code civil, visé par la Chambre commerciale, dispose que "le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre" (8). Cet alinéa n'existait pas dans le rapport de réforme présenté par la Commission "Grimaldi", et est un ajout des rédacteurs de l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH). L'idée était très certainement d'intégrer dans le Code civil l'importante théorie de l'appel manifestement abusif, dégagée par la Cour de cassation à l'occasion de ce qu'il est convenu d'appeler les affaires iraniennes (9). Néanmoins, cet alinéa 2 est pour le moins un peu étrange (comme souvent en ce qui concerne les ajouts effectués par les rédacteurs de l'ordonnance de 2006). En effet, les hypothèses de collusion se conçoivent davantage entre le bénéficiaire et le garant de premier rang qu'entre le bénéficiaire et le donneur d'ordre. Le visa de l'article 2321, alinéa 2 est dès lors discutable, puisque l'arrêt n'envisage absolument pas l'hypothèse traitée par ce texte, mais la collusion entre le bénéficiaire et le garant de premier rang.


(1) CA Paris, Pôle 2, 5ème ch., 25 novembre 2014, n° 13/15819 (N° Lexbase : A0780M4N).
(2) Cass. com., 12 décembre 1984, n° 83-15.389 (N° Lexbase : A2616AA7), D., 1985, p. 269, obs. M. Vasseur.
(3) V., not., CA Paris, 14 décembre 1987, D., 1988. somm. 248.
(4) Ce qui n'était pas le cas, rappelons-le, en l'espèce.
(5) Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil, les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, 6ème éd. 2012, n° 307.
(6) G. Cornu et a., Vocabulaire juridique, V° Collusion.
(7) Cass. com., 4 juin 2002, n° 99-21.477, F-D (N° Lexbase : A8479AYP), RJDA, 2002, 1196.
(8) C'est nous qui soulignons.
(9) Cass. com., 11 décembre 1985, n° 83-14.457 (N° Lexbase : A5900AAR), D., 1986, p. 213, note M. Vasseur.

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Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] L'expertise CHSCT en cas de projet important : quels critères ?

Réf. : Cass. soc., 12 avril 2016, deux arrêts, n° 14-23.809, F-D (N° Lexbase : A6982RIG) et n° 14-29.247, F-D (N° Lexbase : A6820RIG)

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par Pascal Lokiec, Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Le 26 Mai 2016

La Cour de cassation ayant formellement exclu tout "droit général à l'expertise" (1), le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne peut recourir à un expert que dans deux cas : d'une part, lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement, d'autre part, en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (2). La notion de "projet important" est au coeur de deux arrêts du 12 avril 2016 qui, bien que n'ayant pas les honneurs du bulletin, aident à cerner la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question (I). Une notion qui fait l'objet d'un contentieux nourri, dont le visage pourrait évoluer dans les prochains mois avec le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dite loi "El Khomri" (II).
Résumé

Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D : ayant retenu que deux des unités opérationnelles du technicentre d'aquitaine sont concernées par le projet, qu'il s'agit d'un simple changement d'organigramme et de management, que le métier, la rémunération, le lieu de travail restent identiques, que le choix proposé aux salariés porte sur un roulement et non sur un métier, que si le principe "un agent, un train" implique plus de responsabilité sur un même train, en compensation les agents ont moins de trains à traiter, la cour d'appel a pu en déduire que la nouvelle organisation projetée ne pouvait pas être qualifiée de projet important.

Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-29.247, F-D : ayant constaté, entre autre, que le contenu des missions assurées par les techniciens de Saint-Brieuc ne subirait aucune évolution, que le projet de fusion ne nécessitait pas l'organisation de formations des salariés et n'entraînait pas de modification des tâches, que selon les chiffres annoncés, l'augmentation du nombre d'interventions serait de 15 % et que les délais d'intervention prescrits en la matière pouvaient être respectés, la cour d'appel a pu en déduire que le projet de fusion des établissements de Guingamp et de Saint-Brieuc ne constituait pas un projet important.

I - La notion de projet important

Les arrêts du 12 avril 2016 participent d'une jurisprudence foisonnante sur la notion de projet important, d'où il est difficile d'extraire les critères déterminants. Tentons néanmoins de les esquisser.

A - La notion de "projet".

Avant de revêtir un caractère "important", la mesure litigieuse doit constituer un projet. Elle doit, en cela, constituer un acte de volonté, une décision, pas simplement une situation de fait résultant d'une baisse d'activité ou de chiffre d'affaires (3). Pour illustration, une société appartenant à un groupe avait engagé, à la suite de pertes importantes, un projet de réorganisation devant conduire notamment à une fermeture de site. Le CHSCT d'une autre société du même groupe, bien que non visée par le projet, avait soutenu qu'en raison des répercussions économiques du projet sur le volume d'activité de cette société, ledit projet constituait pour elle un projet important justifiant le recours, par le CHSCT, à un expert. Dans l'absolu, l'argumentation aurait pu prospérer s'il avait été établi que le projet de réorganisation était la cause de sa baisse d'activité, mais il s'agissait du "résultat prévisible de la fin de certains marchés à quoi s'ajoutaient les difficultés conjoncturelles affectant l'industrie automobile en Europe". Autant dire que les répercussions étaient, non pas liées au projet, mais à la conjoncture, c'est-à-dire à une situation de fait, ce qui a conduit à l'annulation du recours à l'expertise.

B - Le caractère "important".

L'essentiel du contentieux porte sur l'importance du projet. A l'évidence, il est impossible de lister, comme a tenté de le faire le projet de loi "El Khomri" pour la notion de difficultés économiques, l'ensemble des cas devant conduire à la qualification de "projet important" (4). Les hypothèses sont aussi diverses qu'il y a d'entreprises et de projets au sein de ces entreprises. D'où la prise en compte d'un ensemble de critères, sous le strict contrôle de la Cour de cassation (5).

L'analyse quantitative. Le critère le plus évident est d'ordre quantitatif, à savoir le ratio entre le nombre de salariés impactés par le projet et le nombre total de salariés dans l'entreprise ou l'unité de production concernée (6) (dans certaines affaires, les parties présentent au juge un pourcentage d'impact du projet (7)), sans qu'il soit requis que la majorité d'entre eux soient touchés (8).

Aussi évident soit-il, le critère quantitatif a perdu de son importance. Il est aujourd'hui acquis que "le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l'importance du projet" (9). Non seulement la Cour de cassation ne se contente pas de ce critère, mais elle admet aussi qu'un projet soit considéré comme important alors qu'il ne concerne qu'une faible proportion des salariés de l'entreprise, par exemple, la mise en place d'un service d'astreintes pour 9 salariés sur un effectif total de 379 dès lors qu'elle aboutit à la mise en place d'une unité de maintenance capable de faire face à tout moment à la demande (10). Inversement, un projet peut affecter une large proportion de salariés et ne pas être considéré comme important parce qu'il n'est pas "de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail" (11). La lecture des arrêts du 12 avril 2016 conforte le caractère non décisif de ce critère. Dans la première décision (n° 14-23.809), le fait que "deux des unités [...] [soient] concernées par le projet, quatorze des quarante-quatre agents [...] devant être transférés [...]" constitue un indice parmi une dizaine. Dans la seconde (n° 14-29.247), la proportion de salariés concernés n'apparaît même pas dans le raisonnement des juges, sans doute en partie parce que le nombre de salariés impactés n'avait pu être mesuré avec certitude dans cette affaire (V. le pourvoi en cassation).

L'analyse qualitative. C'est avant tout en termes qualitatifs qu'est appréciée l'importance du projet. L'analyse de la jurisprudence, confortée par les arrêts du 12 avril, permet de dégager un raisonnement en deux temps. Le premier temps porte sur l'objet du projet qui doit apporter des "transformations" au sein de l'entreprise ; une "simple évolution et une réorganisation de l'existant" ne caractérisent pas un projet important, énonce la Cour de cassation dans l'un de ses arrêts du 12 avril (12). La formule figurait déjà, dans des termes légèrement différents mais à la signification identique, dans un arrêt du 30 mars 2011 qui se référait "à une simple mesure d'organisation administrative"(13). Le second temps, qui cristallise l'essentiel des contentieux, porte sur les effets du projet. Celui-ci doit être de nature à "modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail" (14), plus précisément avoir des "répercussions importantes sur les conditions de travail de ces salariés en termes d'horaires, de tâches et de moyens mis à leur disposition" (15). Force est d'admettre, à la lecture notamment des arrêts du 12 avril 2016, que cette formule n'est pas parfaitement opératoire et que la jurisprudence n'est pas stabilisée. Dans un arrêt de mai 2011, on pouvait lire que ne constitue pas un projet important le projet de réorganisation n'ayant d'incidence "ni sur la rémunération, ni sur les horaires, ni sur les conditions de travail des salariés" (16) ; l'un des arrêts du 12 avril est fondé sur le fait que "le métier, la rémunération, le lieu de travail rest[aie]nt identiques" (17).

a - Les horaires

Parmi les critères les plus constants, figure l'impact du projet sur le temps de travail, à commencer par les horaires. Il a ainsi été jugé qu'un changement d'horaires constitue un projet important, dès lors que le médecin du travail a conclu que le travail posté était, en soi, perturbateur des rythmes biologiques (18). Dans l'un des arrêts du 12 avril 2016, l'impact du projet de fusion sur le temps de travail des salariés concernés fait partie des éléments pris en compte, puisque les juges mentionnent les "délais d'intervention" des salariés.

b - Les tâches

La modification des tâches est un autre élément récurrent. Dans l'un des arrêts d'avril, la Cour de cassation constate que "le métier" des salariés concernés restait "identique". Dans l'autre, elle relève que le projet "n'entraînait pas de modification des tâches" qui continuaient d'être exercées selon les mêmes règles. Ces arrêts confirment aussi qu'un "simple changement d'organigramme et de management" ne suffit pas (19). La Cour de cassation avait déjà écarté en 2001 le critère du "réaménagement de l'organigramme" (redéfinition des divisions, restructuration de l'encadrement, simplification de la gestion (20)).

c - La charge de travail

Parmi les critères visés dans les arrêts du 12 avril 2016 figure celui de la charge de travail. En rappelant, dans le premier arrêt, que le projet litigieux conduira à ce que "les agents [aient] moins de trains à traiter" (21), la Cour de cassation se place implicitement sur ce critère. Dans le second, elle constate que "l'augmentation [jugée peu importante] du nombre d'interventions serait de 15 %, soit deux appels supplémentaires par semaine" (22) ; le pourvoi s'était appuyé explicitement sur le concept de "charge de travail". L'impact sur la charge de travail avait d'ores et déjà été pris en compte, pour caractériser un risque grave sur la santé des salariés (23).

d - La carrière et la formation

Les répercussions du projet sur la carrière des salariés sont également prises en compte, la Cour de cassation constatant, dans l'un des arrêts du 12 avril 2016, que "l'impact en termes de carrière est inexistant" (24). En revanche, un projet qui aurait pour seul effet de contraindre les salariés concernés à effectuer une formation, d'une durée limitée, ne constituerait vraisemblablement pas un projet important (25). C'est ce critère que la cour d'appel de Paris a utilisé à propos de l'installation de nouveaux logiciels, jugeant que la formation nécessaire des salariés à l'utilisation du nouvel outil et la coexistence des deux logiciels jusqu'à complète formation de tout le personnel sont des difficultés inhérentes à la mise en place de toute nouvelle application informatique au stade de l'appropriation, mais limitées à cette période (26). Il en aurait été tout autrement si l'installation du nouveau logiciel avait conduit à un changement de tâches, de métiers, de méthodes de travail, etc. (27). Même si, pour conclure au défaut de caractère important du projet, la Cour de cassation énonce dans l'un de ses arrêts du 12 avril 2016, sans autre précision, que "le projet de fusion ne nécessitait pas l'organisation de formations des salariés" (28), on ne peut en conclure qu'un projet, dont le seul effet serait d'impliquer une formation limitée dans le temps, constitue, désormais, un projet important.

e - Le lieu de travail

Le changement de lieu est aussi un critère d'importance, par son impact possible sur la vie personnelle des salariés. Ici se pose la question de l'articulation avec le droit de la modification du contrat de travail qui, lui aussi, est construit, pour l'essentiel, autour de l'importance du changement. A supposer que le changement dépasse les limites du secteur géographique, mais que l'accord des salariés (tout au moins d'une majorité d'entre eux) ait été obtenu, le projet perd-il son caractère important ? Une réponse négative s'impose. On ne peut qu'approuver la cour d'appel de Paris d'avoir exclu que le caractère volontaire de l'adhésion au projet de l'employeur empêche la qualification de projet important (29). De façon générale, il n'existe pas de lien automatique entre l'importance du changement au titre du droit de la modification du contrat et l'importance dudit projet au titre de l'expertise CHSCT et, plus généralement, de la consultation des IRP ; c'est ce qui explique que le changement de tâches, qui constitue un simple changement des conditions de travail, soit l'un des principaux critères de détermination de l'importance du projet ou que le changement de lieu soit pris en compte, sans que la Cour de cassation ne fasse (formellement, tout au moins, car ce critère joue sans doute en creux) de distinction selon qu'il se situe, ou non, au sein du même secteur géographique. Seule nuance, le fait que les changements de lieu aient été laissés au choix des salariés (c'est-à-dire que le refus du salarié serait -en théorie- sans conséquences pour lui) paraissent jouer en défaveur de la qualification de projet important (30).

f - L'impact sur la santé et la sécurité

La mise en cause de la santé, physique ou mentale, est avant tout un critère du risque grave (C. trav., art. L. 4614-12 N° Lexbase : L5577KGN). Toutefois, un projet peut être aussi qualifié d'important par son impact sur la santé ou la sécurité, à l'instar de celui "ayant pour objet de contrôler l'activité des machinistes receveurs en les exposant à des sanctions disciplinaires dépendant du résultat de tests de dépistage de stupéfiants effectués sans intervention médicale" (31). Il en va de même d'un dispositif de géolocalisation, son utilisation fut-elle exceptionnelle et ponctuelle (la direction avançait qu'il ne serait mis en oeuvre qu'en cas de vol du véhicule pour permettre de le retrouver) (32).

II - Les enjeux de la qualification

La contestation liée à la reconnaissance d'un projet important pourrait connaître des évolutions dans un futur proche, sous l'impact de la loi dite "El Khomri".

A - Le contentieux

De la compétence exclusive du président du tribunal de grande instance, le contentieux sur l'expertise CHSCT peut porter, en vertu de l'article L. 4614-13, sur la désignation de l'expert, l'étendue de l'expertise (qui doit être conforme à la mission indiquée dans la délibération du CHSCT), son délai, son coût (33) et sa nécessité. L'exigence d'un projet important appartient au contentieux de la nécessité, et en constitue d'ailleurs l'unique composante. "La contestation de l'employeur sur la nécessité de l'expertise ne peut concerner que le point de savoir si le projet litigieux est un projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail", énonce la Cour de cassation (34). Le fait que l'employeur, qui a pour projet l'introduction, dans le règlement intérieur, de dispositions sur le dépistage de produits stupéfiants au moyen de tests salivaires, ait déjà fait, par le passé, des campagnes de sensibilisation sur la consommation de drogues, est donc sans effet ("sans avoir à se prononcer sur les actions d'information accomplies, par ailleurs, par l'employeur", indique la Cour de cassation) sur la qualification de projet "important" (35).

B - Le financement de l'expertise

A défaut de budget propre du CHSCT, les questions de financement sont souvent complexes (par exemple, l'expert n'a pas de faculté de recouvrement de ses honoraires contre le comité qui l'a préalablement désigné), comme l'illustre le feuilleton du financement de l'expertise CHSCT dans l'hypothèse d'une annulation de l'expertise d'ores et déjà accomplie. Un feuilleton qui pourrait trouver son épilogue avec la loi dite "El Khomri". Rappelons que la Cour de cassation considère actuellement que lorsque la désignation de l'expert a été annulée par le juge, mais que l'expertise a déjà été réalisée, c'est à l'employeur de payer l'expert (36). Des voix dissonantes s'étaient fait jour du côté des juges du fond (37), jusqu'à exposer l'expert au remboursement des honoraires perçus (38). Surtout, saisi d'une QPC, le Conseil constitutionnel a conclu, dans une décision du 27 novembre 2015 que "la combinaison de l'absence d'effet suspensif du recours de l'employeur et de l'absence de délai d'examen de ce recours conduit [...] à ce que l'employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l'exercice d'une voie de recours" (cons. 10) et ainsi à l'inconstitutionnalité des alinéas 1er ("les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur") et 2 (première phrase : "l'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, saisit le juge judiciaire") de l'article L. 4614-13 du Code du travail (39).

Le projet de loi s'attaque à la réécriture de cet article et au traitement des questions pratiques qui se sont fait jour : Faut-il instaurer ou non un délai obligeant le juge à statuer après qu'il ait été saisi par l'employeur ? Faut-il consacrer un délai suspensif et, en cas de réponse affirmative, suspendre uniquement l'expertise ou également la consultation du CHSCT (40) ?

Le projet de loi répond à ces questions ; il prévoit que l'employeur, qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel de l'expertise tel qu'il ressort, le cas échéant, du devis, l'étendue ou le délai de l'expertise, saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du CHSCT ou de l'instance de coordination. Le juge statue en premier et dernier ressort dans les dix jours suivant sa saisine. Le délai suspend non seulement l'exécution de la décision du CHSCT mais aussi le délai dans lequel celui-ci est consulté, jusqu'à l'expiration du délai de pourvoi en cassation (deux mois). L'objectif poursuivi est manifestement de retarder le déclenchement de l'expertise et ainsi d'éviter autant que faire se peut, que la question du remboursement se pose.

Dans l'hypothèse où l'expertise aurait eu lieu (ce qui est plus vraisemblable en cas de risque grave, puisque l'urgence commande une expertise quasi immédiate), l'annulation par le juge de la décision de recourir à l'expert pourrait dispenser l'employeur d'avoir à le payer et, dans le cas où ce dernier aurait perçu sa rémunération, il devrait rembourser la somme perçue!

Une solution qui résout une situation insatisfaisante en créant une situation tout aussi insatisfaisante, puisque c'est l'expert qui va subir les conséquences de la décision erronée du CHSCT et d'une erreur de jugement sur l'importance du projet dont il n'est nullement responsable. D'où le biais imaginé par les auteurs du projet de loi, lequel prévoit que le comité d'entreprise "peut", à tout moment, décider de prendre en charge le coût de l'expertise dont l'expert est privé. Cette prise en charge serait imputée, comme le prévoit expressément le projet de loi, sur son budget de fonctionnement (41) et est strictement facultative, ce qui paraît logique, ne serait-ce que parce que malgré les rapprochements récents, CHSCT et CE sont des instances autonomes. Difficile de ne pas voir dans cette implication du comité d'entreprise un artifice sans réelle cohérence ni justification ! C'est peut être, une fois de plus, la question du budget du CHSCT qu'il faut relancer.


(1) Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-11.865, FS-P+B (N° Lexbase : A0743NY8).
(2) C. trav., art. L. 4614-12 (N° Lexbase : L5577KGN).
(3) Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-17.224, FS-P+B (N° Lexbase : A6031NTK).
(4) L'article L. 4612-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5581KGS) se contente d'établir une liste non exhaustive des aménagements importants justifiant la consultation du CHSCT (ce n'est pas ici l'expertise qui est visée) : "toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail".
(5) Cass. soc., 30 juin 2011, n° 09-13.640, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6704E3P) ; Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-67.476, F-D (N° Lexbase : A2597HQA).
(6) Cass. soc. 4 mai 2011, deux arrêts, n° 09-67.476, F-D (N° Lexbase : A2597HQA) et n° 09-66.556 (N° Lexbase : A2595HQ8).
(7) Cass. soc. 4 mai 2011, n° 09-66.556, préc..
(8) Cass. soc., 1er mars 2000, n° 97-18.721 (N° Lexbase : A0275AUQ) ; V. P. Lokiec, La notion de projet important, JSL, 2012, n° 317.
(9) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-15.086, FS-P+B (N° Lexbase : A7691ERB).
(10) Cass. crim., 19 novembre 2002, n° 02-80.105 (N° Lexbase : A6983A4E).
(11) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-15.086, FS-P+B (N° Lexbase : A7691ERB), SSL, 22 mars 2010, n° 1438, note A. Rymarz.
(12) Cass. soc. 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D (N° Lexbase : A6982RIG) ; le terme "évolution" figure aussi dans l'autre arrêt.
(13) Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-68.161, F-D (N° Lexbase : A3913HMU).
(14) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-15.086, FS-P+B (N° Lexbase : A7691ERB).
(15) Cass. soc., 8 février 2012, n° 10-20.376, F-D (N° Lexbase : A3512IC3).
(16) Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-66.556, F-D (N° Lexbase : A2595HQ8).
(17) Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D, préc..
(18) Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-18.240 (N° Lexbase : A7691AHC).
(19) Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D, préc..
(20) Cass. soc., 26 juin 2001, n° 99-16.096 (N° Lexbase : A7901ATS).
(21) Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D, préc..
(22) Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-29.247, F-D (N° Lexbase : A6820RIG).
(23) Cass. soc., 6 janvier 2012, n° 10-12.183, F-D (N° Lexbase : A4369IBG) : "l'alourdissement de la charge de travail consécutif à des réductions d'effectifs et à l'ouverture de nouvelles agence [...] avai[..]t d'importantes répercussions sur l'état de santé des salariés".
(24) Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D, préc..
(25) Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-67.476, F-D (N° Lexbase : A2597HQA).
(26) CA Paris, 8 juin 2015, n° 13/18434 (N° Lexbase : A4881RN4).
(27) Experts du CHSCT : la notion de projet important s'entend strictement, LSQ, 2011, n° 15862.
(28) Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-29.247, F-D, préc..
(29) CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 8 juin 2010.
(30) "Aucune mutation n'était imposée et qui avaient le choix de rejoindre un autre poste sur le même site notamment dans des services existants" ; la portée de l'arrêt est toutefois à atténuer dès lors qu'on se situait manifestement dans un même secteur géographique, Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-13.640, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6704E3P).
(31) Cass. soc., 8 février 2012, n° 11-10.382, FS-P+B (N° Lexbase : A3641ICT).
(32) Cass. soc., 25 janvier 2016, n° 14-17.227, F-D (N° Lexbase : A3338N7R) ; V. Aussi TGI Valence, 5 décembre 2012, 1ère ch., ord. référé n° 12/00632, LSQ, n° 16263, Juris. Hebdo n° 10/2013, 15 janvier 2013.
(33) C. trav., art. L. 4614-13 (N° Lexbase : L0722IXZ).
(34) Cass. soc., 26 juin 2001, n° 99-16.096 (N° Lexbase : A7901ATS).
(35) Cass. soc., 8 février 2012, n° 11-10.382 (N° Lexbase : A3641ICT).
(36) Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-24.218, FS-P+B (N° Lexbase : A4989KD7).
(37) CA Bourges, 23 janvier 2014, n° 13/01009 (N° Lexbase : A7823MCQ).
(38) TGI Nanterre, 19 juin 2014, ord. référé n° 14/01078.
(39) Cons. const., décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9179NXA).
(40) Sur ces questions, voir ici. http://www.elegia.fr/actualites/loi-el-khomri-une-nouvelle-reforme-susceptible-d-impacter-le-chsct
(41) C. trav., art. L. 4614-13 (N° Lexbase : L0722IXZ).

Décisions

Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-23.809, F-D (N° Lexbase : A6982RIG).

Cassation partielle (CA Bordeaux, 19 juin 2014, n° 13/07191 N° Lexbase : A3647PQ7).

Cass. soc., 12 avril 2016, n° 14-29.247, F-D (N° Lexbase : A6820RIG).

Rejet (CA Rennes, 17 octobre 2014, n° 14/03173 N° Lexbase : A6415MYA).

Textes concernés : C. trav., art. L. 4614-12 (N° Lexbase : L5577KGN).

Mots clés : expertise CHSCT ; projet important ; critères.

Lien base : (N° Lexbase : E3403ET9).

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Licenciement

[Brèves] De la compétence juridictionnelle en cas de refus d'examen par l'inspecteur du travail de la demande d'autorisation de licenciement lorsque le salarié n'est pas protégé

Réf. : Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-26.662, FS-P+B (N° Lexbase : A0854RQP)

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Le 27 Mai 2016

Le refus de l'inspecteur du travail d'examiner la demande d'autorisation de licenciement, au motif que l'intéressée ne bénéficiait pas de la protection légale prévue pour les délégués du personnel, constitue une décision administrative qui s'impose au juge judiciaire qui est tenu de surseoir à statuer lorsque la légalité de cette décision est contestée. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 mai 2016 (Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-26.662, FS-P+B N° Lexbase : A0854RQP).
En l'espèce, Mme X a été engagée le 3 novembre 2008 par le Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française Wallonie-Bruxelles pour exercer les fonctions de responsable du bâtiment du centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Elle a saisi, le 23 juin 2010, la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. La salariée ayant été élue déléguée du personnel, l'employeur a, le 30 juin 2010, sollicité de l'inspecteur du travail une autorisation de licenciement. Ce dernier, par décision du 31 août 2010, s'est déclaré incompétent et l'employeur a notifié à la salariée son licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 septembre 2010.
Pour dire que la salariée bénéficiait du statut de salarié protégé, la cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 23 septembre 2014, n° S 12/06349 N° Lexbase : A9350MW9) retient que Wallonie-Bruxelles international se présente comme l'un des services publics relevant de l'administration du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Plus précisément, elle est un organisme d'intérêt public, c'est-à-dire un organisme de droit public indépendant de l'administration mais concourant à l'action du Gouvernement dont elle dépend. Elle ajoute qu'en vertu de l'article L. 2311-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2532H9N), les dispositions relatives aux délégués du personnel sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés, mais aussi aux établissements publics à caractère industriel et commercial et aux établissements publics à caractère administratif lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé. A la suite de cette décision, l'administration Wallonie-Bruxelles international s'est pourvue en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et de l'article L. 2411-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0150H9G) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3617ET7).

newsid:452854

Procédure pénale

[Brèves] Publication d'une Directive européenne relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants dans le cadre des procédures pénales

Réf. : Directive 2016/800 du 11 mai 2016, relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L1804K8C)

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N2861BWU

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Le 26 Mai 2016

A été publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 21 mai 2016, la Directive 2016/800 du 11 mai 2016 (N° Lexbase : L1804K8C), ayant pour objet d'établir des garanties procédurales afin que les enfants, à savoir les personnes âgées de moins de 18 ans, qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, soient en mesure de comprendre et de suivre ces procédures et d'exercer leur droit à un procès équitable, et de prévenir la récidive et de favoriser l'insertion sociale des enfants. Tenant compte des Directives 2012/13/UE du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY) et 2013/48/UE du 22 octobre 2013, relative au droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L5328IYY), la présente Directive prévoit que les enfants devraient recevoir des informations concernant leurs droits ainsi que sur les aspects généraux du déroulement de la procédure. Les Etats membres devraient informer le titulaire de la responsabilité parentale des droits procéduraux applicables par écrit, oralement, ou les deux. Les Etats doivent veiller à ce que les enfants, qui sont des suspects ou des personnes poursuivies, bénéficient du droit d'accès à un avocat, du droit de ne pas s'incriminer soi-même et du droit de garder le silence. Il est prévu qu'en cas d'impossibilité pour le mineur d'être effectivement assisté d'un avocat, les auditions et les mesures d'enquête soient reportées pendant un délai raisonnable pour désigner un avocat et permettre son arrivée. Une dérogation relative à l'assistance par un avocat pourrait, toutefois, être faite, dans la limite du respect du droit à un procès équitable, lorsque cette assistance n'est pas proportionnée au regard des circonstances de l'espèce, étant entendu que l'intérêt supérieur de l'enfant devrait toujours demeurer une considération primordiale. Les Etats devraient au préalable énoncer clairement, dans leur droit national, les motifs et les critères d'une telle dérogation temporaire et en faire un usage limité. La confidentialité des communications entre les enfants et leur avocat est fondamentale pour garantir l'exercice effectif des droits de la défense et constitue un aspect essentiel du droit à un procès équitable. Aussi, la Directive prévoit-elle que les enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre d'une procédure pénale devraient avoir droit à une évaluation personnalisée aux fins d'identifier leurs besoins particuliers en matière de protection, d'éducation, de formation et d'insertion sociale. Enfin, les autorités compétentes devraient systématiquement envisager des mesures alternatives à la détention ; cette dernière devant toujours faire l'objet d'un réexamen périodique par une juridiction. La Directive entre en vigueur le 10 juin 2016.

newsid:452861

Recouvrement de l'impôt

[Brèves] Charge de la preuve pour l'administration : la déclaration de l'employeur fait foi sauf en cas d'éléments sérieux de nature à remettre en cause son exactitude

Réf. : CE 3° et 8° ch., 20 mai 2016, n° 387479, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0962RQP)

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N2877BWH

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Le 02 Juin 2016

En principe, l'administration fiscale, qui supporte la charge de la preuve lorsqu'elle remet en cause le montant des revenus déclarés par un contribuable et que celui-ci conteste cette remise en cause dans le délai qui lui est imparti, doit être regardée comme apportant une telle preuve, dans l'hypothèse où elle se fonde sur les montants mentionnés sur une déclaration annuelle des salaires versés souscrite par l'employeur du contribuable, par la seule production de ce document. Toutefois, si le contribuable fait état d'éléments sérieux de nature à faire apparaître que cette déclaration annuelle des salaires comporte des inexactitudes ou, d'une manière générale, a pu inclure des sommes dont l'intéressé n'aurait pas disposé au cours de l'année d'imposition, il incombe à l'administration d'établir par tout autre moyen complémentaire la perception effective des revenus en cause au cours de l'année d'imposition. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 20 mai 2016 (CE 3° et 8° ch., 20 mai 2016, n° 387479, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0962RQP). En l'espèce, la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 4 novembre 2014, n° 13VE03720 N° Lexbase : A0990RQQ), pour rejeter l'appel formé par le requérant, avait relevé que l'administration fiscale s'était fondée, pour procéder à la rectification, sur les déclarations annuelles de salaires établies par ses employeurs et avait retenu que l'intéressé n'établissait pas, par les pièces qu'il produisait, ne pas avoir effectivement disposé de revenus salariaux pour le montant total ressortant de ces déclarations annuelles de salaires. Néanmoins, la Haute juridiction a donné raison à l'administré. En effet, d'une part, le requérant faisait valoir que les montants portés sur ces déclarations de salaires incluaient, à titre de régularisation de cotisations sociales, une somme déjà perçue et imposée au cours de l'année 2003 et déclarée à tort en tant que droits d'auteur et produisait au dossier des attestations justifiant ses dires. D'autre part, l'administration n'apportait aucun élément de preuve complémentaire pour établir que cette somme n'était pas déjà comprise dans les revenus imposables de l'intéressé de l'année 2003 .

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Successions - Libéralités

[Jurisprudence] L'émergence confirmée d'un contrôle de proportionnalité des clauses pénales testamentaires

Réf. : Cass. civ. 1, 13 avril 2016, n° 15-13.312, FS-P+B (N° Lexbase : A6917RIZ)

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N2835BWW

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par Mélanie Jaoul, Maître de conférences, Laboratoire de droit privé (EA 707), Université de Montpellier

Le 26 Mai 2016

Si la Cour de cassation ne remet pas en cause la validité des clauses pénales testamentaires dans leur principe, elle vient les encadrer. En effet, dans son arrêt rendu le 13 avril 2016 (Cass. civ. 1, 13 avril 2016, n° 15-13.312, FS-P+B), la Haute juridiction vient déclarer non écrite la clause pénale dont la conséquence serait de porter atteinte au droit de chaque héritier de provoquer le partage. Ce faisant, la première chambre civile opère un contrôle de proportionnalité bienvenu. "Si l'on veut rendre un dernier service à un mort, c'est de le faire mettre au pied d'un arbre fruitier, ou dans un gras pâturage ; c'est tout ce qu'on lui doit : tout le reste est absurde". Ces mots de Sade la justice les a toujours battus en brèche... Aux morts, on doit le respect : respect de sa dépouille, respect de ses dernières volontés. La Cour de cassation a toujours veillé à ce que le respect des dernières volontés des défunts soit assuré pour autant que celles-ci ne constituent pas une atteinte à l'ordre public successoral. Aussi elle a toujours admis le principe de la clause pénale testamentaire par laquelle le testateur exhérède ses héritiers de leurs droits sur la quotité disponible dès lors que leur comportement n'est pas conforme à ses attentes.

Dans cette affaire, une femme décède, en décembre 1993, en laissant deux fils, Jacques et Michel, pour lui succéder. En 1987, celle-ci avait fait un testament olographe qui précisait que le partage de ses biens devrait se faire à l'amiable et que tout recours judiciaire, en vue de ce partage, aurait pour effet de réduire la part du demandeur ayant saisi le tribunal à la seule réserve légale. Après le décès de la mère, les deux frères opèrent différents partages amiables sur les biens de la succession de leur mère mais ne parviennent pas à trouver d'accord sur les biens immobiliers, demeurant ainsi en indivision pendant presque vingt ans. En 2010, Jacques a alors assigné son frère en partage d'immeubles demeurés indivis. Son frère conteste la demande sur deux fondements : l'un procédural, l'un au fond. D'abord, il soulève l'irrecevabilité de l'assignation, laquelle ne respectait pas les prescriptions de l'article 1360 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6314H7Y) qui, selon lui, doit porter sur l'ensemble de la succession y compris les biens ayant déjà fait l'objet d'un partage. Ensuite, il soulève que les droits de son frère devaient être réduits à sa seule réserve héréditaire en application de la clause pénale insérée dans le testament.

Saisie de la question, la cour d'appel de Grenoble (1) déboute le défendeur de ses deux demandes, décision qui est confirmée par cet arrêt de rejet rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. Les termes même de la décision ne sont pas sans surprendre. Ainsi, la Haute juridiction énonce, d'abord, que "ayant exactement retenu que l'assignation en partage n'avait pas à donner la consistance du patrimoine existant à l'ouverture de la succession, la cour d'appel a souverainement estimé que cet acte contenait un descriptif sommaire des biens restant à partager" ; et considère, ensuite, que "la clause litigieuse est de nature à interdire, en raison de ses conséquences préjudiciables, la cessation de l'indivision en cas de refus d'un indivisaire de procéder à un partage amiable ou en l'absence d'accord sur les modalités de celui-ci ; qu'après avoir constaté qu'en dépit des partages partiels intervenus, les immeubles étaient indivis depuis plus de vingt ans, la cour d'appel a pu décider que cette clause, qui avait pour effet de porter une atteinte excessive au droit absolu, reconnu à tout indivisaire, de demander le partage, devait être réputée non écrite".

Sur l'aspect procédural, il n'est rien à ajouter : l'article 1360 du Code de procédure civile, issu du décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 (N° Lexbase : L9637HT4) et applicable aux indivisions existantes et aux successions ouvertes non encore partagées au 1er janvier 2007, qui exige à peine d'irrecevabilité, un descriptif sommaire du patrimoine à partager ne vise que les biens n'ayant pas déjà fait l'objet d'un partage amiable. La solution est logique au vu de la rédaction du texte et la Cour de cassation, par cet attendu des plus sobres, rejette les prétentions du requérant. En effet, en visant le "patrimoine à partager" au moment de l'assignation en partage, on voit mal comment les magistrats auraient pu exiger que soient portés dans le descriptif des biens déjà attribués. La solution n'appelle donc pas beaucoup plus de commentaires sur ce point (2). Il en va autrement sur le second moyen au pourvoi. Cette décision vient en filigrane réaffirmer la validité des clauses pénales mais introduit un seuil de tolérance : si elles sont valables, elles ne sauraient attenter au droit constitutionnellement garanti de chaque indivisaire de provoquer le partage. Dans le cas où ces clauses franchiraient le Rubicon, la sanction ne se ferait pas attendre : la Haute juridiction les frappe du sceau de l'infamie et les déclare non écrites. Ainsi, l'épée de Damoclès pesant sur les héritiers obligés de se soumettre à la volonté du de cujus se fait moins menaçante.

Aussi, afin de voir les tenants et les aboutissants de cette décision, nous verrons, d'une part, que la validité de principe de ces clauses est désormais soumise à un contrôle de proportionnalité (I) et que, d'autre part, en cas d'atteinte disproportionnée au droit des indivisaires de provoquer le partage, la sanction résidera dans la nullité de ladite clause (II).

I - La validité des clauses pénales successorales sous réserve de proportionnalité

Depuis fort longtemps déjà (3), la Cour de cassation a admis la validité de principe des clauses testamentaires exhérédant les héritiers de leurs droits à la quotité disponible dès lors que ces derniers avaient recours à la justice étatique (Cass. civ., 25 février 1925). Ces clauses dites "pénales" (4) sont admises au sein des outils offerts au testateur (5) et ce afin de lui permettre de s'assurer que ses dernières volontés soient strictement respectées. En réalité, "à travers la qualification de clause pénale', ce que l'on vise le plus souvent, c'est le fait de contester en justice le contenu d'une donation, d'un testament ou d'une libéralité-partage" (6). Ainsi, par-delà le trépas, le de cujus peut imposer ses vues à ses héritiers et veiller à maintenir -au moins en apparence- la concorde entre eux.

Le mécanisme n'était pas sans créer quelques émois parmi les commentateurs en raison, principalement, des conséquences excessives de ce strict respect de la volonté des testateurs (7). Se fondant sur l'article 900 du Code civil (N° Lexbase : L0040HP8), la Cour de cassation admettait leur principe sous la seule réserve que celles-ci ne soient pas attentatoires à l'ordre public successoral. C'est ainsi que la première chambre civile a, dès 1970, énoncé qu'une clause pénale ne pouvait être valablement insérée dans une libéralité, et pour assurer l'exécution de ses dispositions, que lorsque celles-ci sont licites et ne touchent qu'a des intérêts privés et qu'il en allait autrement si ces dispositions étaient contraires aux prohibitions de la loi ou à l'ordre public (Cass. civ. 1, 10 mars 1970, n° 68-13.205 N° Lexbase : A8806CGA). L'atteinte à la réserve héréditaire étant depuis cette date considérée comme une atteinte à l'ordre public successoral et permettant à l'héritier ayant introduit l'instance en dépit de la clause de la faire déclarer non écrite (8). De même, elle réputait non écrite la clause pénale successorale privant de ses droits un héritier qui conteste les dispositions testamentaires, dès lors que son objectif tendait à assurer l'exécution de stipulations testamentaires portant atteinte à l'ordre public (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 04-16.461, FS-P+B N° Lexbase : A2794DUZ).

Dans cette dernière espèce d'ailleurs, la Cour était venue préciser que si la clause pénale testamentaire ayant pour objet de sanctionner l'héritier qui demande la révocation d'un legs pour ingratitude (C. civ., art. 955 N° Lexbase : L0111HPS) est contraire à l'ordre public, cet héritier encourt, néanmoins, "les effets de la clause si sa contestation est jugée infondée". La solution est logique puisque la cause de ce type de clause pénale réside dans la prévention d'une contestation qui n'avait pas lieu d'être formée. Mais cette dichotomie tranchée entre les clauses portant atteinte à l'ordre public -par essence restrictif- et celles ne portant atteinte qu'à des intérêts privés conduisait à des extrémités aberrantes. En effet, l'héritier ne saurait introduire une instance aux seules fins que le juge vérifie que la disposition testamentaire ne porte atteinte à sa réserve. Celui doit nécessairement pouvoir prouver l'existence d'une atteinte effective à la réserve, faute de quoi, il se verra appliquer la clause et sera, ipso facto, exhérédé.

Cette posture favorable de la jurisprudence est d'autant plus critiquable qu'elle aboutit, de par son caractère comminatoire de nature à dissuader l'héritier de saisir le juge, à limiter, au moins dans les faits, son droit d'accès au juge, droit qui est en principe libre tant qu'il ne revêt pas un caractère abusif. Ici, il semble que la Cour opère une tentative de conciliation -déjà amorcée en 2015- entre sa position classique et la prise en compte des critiques portées à son endroit. Ainsi avec cet attendu, l'espoir d'une solution plus nuancée faisant le pont entre la protection des dernières volontés du testateur et celle des héritiers est permis. Cette lueur n'est toutefois pas sans créer une certaine surprise puisqu'elle se fonde sur une technique inédite : la proportionnalité.

La Cour de cassation opère ainsi, sous l'impulsion de son premier président, sa révolution. Prenant acte de l'influence croissante du droit européen des droits de l'Homme, la Haute juridiction va vers l'admission du contrôle de proportionnalité comme instrument de régulation dès lors qu'il s'agit d'un contentieux relatif aux droits fondamentaux. Si d'autres juridictions (9) ont pour habitude d'user de ce type de contrôle, la Cour de cassation n'est pas coutumière du fait (10) : quelques décisions ont eu recours à la technique sans spécialement la nommer (11), même lorsque Monsieur Louvel exprime clairement que c'est elle qui a présidé à la décision (12). Pour le premier président, "ce contrôle de proportionnalité est bien de nature juridique puisqu'il procède d'une norme du traité. Mais il implique une appréciation d'ensemble des situations, de nature pluridisciplinaire, qui s'étend, au-delà des seuls aspects juridiques, aux réalités multiples du contexte, notamment social et économique, général et personnel, matériel et moral".

Déjà, en matière de clauses pénales successorales, la Cour de cassation avait posé une première pierre à l'édifice de ce contrôle de proportionnalité et opéré un revirement remarqué. Ainsi, dans une décision du 16 décembre 2015 (14) relative à une donation-partage, la première chambre civile est venue affirmer, sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), que les juges du fond devaient rechercher si l'application de la clause pénale "n'avait pas pour effet de porter une atteinte excessive au droit d'agir en justice" des héritiers. Si l'on pouvait penser que cette décision était spécifique à la situation, le doute n'est plus permis et il semble évident que la Cour de cassation institutionnalise un véritable contrôle de proportionnalité des clauses pénales successorales.

Ainsi, si la Cour ne dénonce pas expressément sa dichotomie classique entre intérêts privés et ordre public, qui nous l'avons vu est excessive, elle vient au travers de la notion de proportionnalité en nuancer les effets. Dans la décision de décembre 2015, le contrôle de proportionnalité avait conduit la Cour à exclure l'application de la clause pénale, alors même que celle-ci ne relevait pas de l'ordre public successoral, en raison de son atteinte au droit des demandeurs d'agir en justice. Ici, la méthodologie employée est la même mais vient sanctionner la violation du droit "absolu reconnu à tout indivisaire de demander le partage" (C. civ., art. 815 N° Lexbase : L9929HN3) lequel bénéficie d'une protection au niveau constitutionnel (15).

Nous le voyons bien, la Cour marque le pas d'une ère nouvelle et opère un glissement : là où leur validité était subordonnée à une violation d'une règle d'ordre public, elle le sera sur le fondement de la proportionnalité avec les droits fondamentaux. D'aucuns critiquent ce changement de paradigme considérant que le principe de proportionnalité "est à manier avec d'infinies précautions et seulement en cas de nécessité, car il peut conduire le juge à remettre en cause des règles de droit en fonction de son sens de l'équité et à s'ériger ainsi en concurrent du législateur. De plus, la possibilité d'écarter une règle au motif que son application entraînerait une atteinte disproportionnée (ou excessive) à tel ou tel droit subjectif est génératrice d'une grave insécurité juridique et nuit à la prévisibilité du droit" (16). Si l'on comprend la critique, nous tendons à considérer que cette démarche volontariste à l'égard des règles à valeur supra législative telles que la Convention et la Constitution. S'il est vrai que le principe de proportionnalité, si cher aux juges européen et constitutionnel (17), peut conduire le juge à écarter certaines règles de droit cela ne fait pas de lui un "législateur" : il ne fait arbitrer qu'entre deux corps de règles dont il n'est pas l'auteur dans un sens que commande la logique et la hiérarchie des normes.

La question de l'impact de ce contrôle de proportionnalité, à l'heure où la Cour européenne des droits de l'Homme incite la Cour de cassation à l'opérer (18) ne doit pas conduire à voir nécessairement dans le juge un perturbateur. En effet, la notion d'atteinte à l'ordre public a des contours mieux définis mais les excès auxquels elle avait mené suscitent tout de même un accueil majoritairement positif. Elle ne permettait pas d'éviter des atteintes graves aux droits de l'héritier. En outre, le droit au partage de l'indivision est garanti au travers du droit de propriété lequel a une valeur constitutionnelle et comme le souligne le professeur Dross, "le droit au partage est fondamental [...] parce qu'il permet la cessation de cette situation de concurrence de propriétaires perçue comme pathologique en permettant le retour à la propriété exclusive du Code civil" (19). La solution est perfectible comme nous allons le voir mais elle opère un arbitrage intéressant dans lequel nous ne voyons pas une remise en cause générale des clauses pénales mais seulement une limitation de leur efficacité dès lors que l'on est en présence de droits fondamentaux.

II - La sanction de l'absence de proportionnalité dans l'atteinte du droit au partage

L'admission de ce contrôle de proportionnalité ne doit pas être perçue comme une remise en cause pure et simple des clauses pénales. Faire une telle lecture serait une erreur tant par rapport à la lettre de la décision, qu'à son esprit. D'ailleurs, la Cour ne remet pas en cause la dichotomie entre les clauses atteignant l'ordre public et celle attentant à de simples intérêts particuliers. En effet, à lire cette décision -et celle du 16 décembre 2015-, on pourrait y voir une adjonction plus qu'un remplacement de critère. Ainsi, les clauses pénales peuvent parfaitement être déclarées non écrites lorsqu'elles violent une règle d'ordre public et/ou une règle à valeur constitutionnelle ou conventionnelle. En effet, écarter la validité d'une clause ne violant pas l'ordre public -dont l'efficacité était jusque-là absolue- en raison de son atteinte disproportionnée à une norme bénéficiant d'une valeur supérieure n'exclut pas que celle-ci soit maintenue en cas de proportionnalité de l'atteinte. Le critère de l'ordre public n'étant pas élusif de la question de proportionnalité, on peut admettre l'effectivité du critère classique dans les limites d'une atteinte proportionnelle au droit de demander le partage de l'indivision, limite somme toute raisonnable et cohérente en droit. Ainsi, on peut inviter les notaires à vérifier d'abord que la clause pénale insérée dans le testament ne vient pas porter atteinte à une règle d'ordre public comme la réserve héréditaire, avant de vérifier, ensuite, que la clause qui ne porte atteinte qu'à des intérêts privés ne vient pas attenter de manière excessive à une liberté fondamentale.

Là où la question pourrait poser plus de problèmes c'est dans le cadre de l'appréciation de la proportionnalité. En effet, dans cette décision -comme dans celle rendue en décembre 2015- c'est au juge du fond qu'appartient le pouvoir d'apprécier si l'atteinte au droit fondamental visé par la clause pénale successorale est une atteinte proportionnée ou non. De l'appréciation de cette proportionnalité dépendra donc la validité de la clause d'exhérédation : l'atteinte à des libertés fondamentales n'est pas interdite, seule l'atteinte disproportionnée est sanctionnée. Dans son appréciation, les juges du fond, ne sont pas seuls et l'interprétation que fait la Cour européenne des droits de l'Homme de la norme dont la violation est alléguée fournit une aide précieuse aux juridictions nationales.

En revanche, la Cour de cassation, tant dans cette décision que la décision précitée, nous donne les modalités de la mise en oeuvre du contrôle de proportionnalité. Ainsi, les juges du fond sont invités à vérifier in concreto si l'atteinte est proportionnée. Dans l'arrêt de revirement, la cassation avait été opérée pour défaut de base légale, les juges du fond n'ayant pas vérifié si l'atteinte au droit des demandeurs d'agir en justice était proportionnée ou disproportionnée, eu égard au droit de la donatrice de garantir le respect de ses volontés : la réponse à cette question constituant alors une pure question de fait. Là encore, nous le constatons, la Haute juridiction vérifie que les juges du fond ont opéré une appréciation in concreto de la violation d'un autre droit fondamental. Et la démonstration peut avoir de quoi surprendre. En effet, la première chambre civile énonce qu'en "dépit des partages partiels intervenus, les immeubles étaient indivis depuis plus de vingt ans" ce qui justifiait que la cour d'appel ait pu décider que cette clause avait pour effet de porter "une atteinte excessive au droit absolu, reconnu à tout indivisaire, de demander le partage".

En l'espèce, la Cour de cassation valide la posture des juges du fond qui caractérisent l'excès dans l'atteinte au droit au partage par la durée de l'indivision -soit vingt années- en se fondant sur les différents partages opérés sur d'autres biens de la succession ainsi que sur l'impossibilité de trouver un accord amiable après toute cette durée... Commentant la décision, un auteur souligne que s'il est "pleinement convaincu par l'assouplissement de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les clauses pénales testamentaires", il est "plus réservé sur la justification donnée au cas d'espèce" à savoir qu'il ne voit pas "en quoi l'écoulement du temps change quoi que ce soit au problème" et que si la clause pénale vient à constituer "une menace excessive à leur droit à demander le partage, cela doit être vrai in abstracto et non in concreto" (20). Cependant deux pistes doivent être évoquées à l'appui du raisonnement in concreto fondé, d'une part, sur la durée de l'empêchement et, d'autre part, sur les conséquences préjudiciables excessives attachées à la clause.

D'abord, l'argument de l'écoulement du temps. Selon nous, cet argument puise sa source dans la nature même du droit au partage. Ainsi que nous l'avons dit, ce droit fondamental est à valeur constitutionnelle et entre dans le champ du droit de propriété, qui est le seul droit inviolable et "sacré". Comme on protège le propriétaire d'un fond des abus du droit de propriété (21) du voisin, on protège le propriétaire indivis qui faute de bonne volonté de son "co-propriétaire" est maintenu contre son gré dans l'indivision successorale. Si ce maintien se fait sur une durée raisonnable, il n'y a pas disproportion parce que le droit de propriété individuel protégé par le droit de provoquer le partage de l'indivisaire ne subit qu'une atteinte limitée et temporaire. Ce n'est que lorsque l'état d'indivision -qui n'est pas "naturelle"- perdure un temps qui dépasse le raisonnable sans que cela résulte d'un commun accord que l'on va pouvoir caractériser l'atteinte disproportionnée au droit des indivisaires de provoquer le partage car ce qui est en jeu c'est le droit de jouir de son droit de propriété. Ainsi, la Cour caractérise deux situations qui sont de nature -si elles s'installent dans la durée- à porter atteinte au droit au partage : "le refus d'un indivisaire de procéder à un partage amiable" et "l'absence d'accord sur les modalités de celui-ci". La solution vient par cet argument établir une forme d'équilibre entre la protection du droit au partage et la protection du droit de disposer librement de son patrimoine à cause de mort dont l'un des héritiers (ou plusieurs) tire excessivement avantage.

Ensuite, la décision est également fondée sur l'argument de la liberté d'agir en justice, liberté qui, en l'espèce, était atteinte tant les conséquences économiques de la clause pénale était préjudiciables. Par son impact sur la vocation successorale -renforcée par la position extrêmement ferme adoptée par la Cour jusque-là- la clause pénale avait pour effet de priver l'indivisaire de la possibilité d'agir sans craindre que sa mise en oeuvre ne soit prononcée !

Ici, le contrôle de proportionnalité nous semble être une réussite de par le subtil équilibre qu'il pose dans ses critères. Néanmoins, ce n'est pas le seul apport de cette décision. La Cour vient également affirmer la nature de la sanction encourue par la clause qui vient attenter à un droit fondamental : la clause tombe ! La première chambre civile pose donc le principe de la clause réputée non écrite ! Ici, on pourrait être conduit à se demander si la Cour ne met pas en place une forme de "police" des clauses abusives en matière successorale : en effet, elle offre aux juges du fond la possibilité d'apprécier in concreto si la clause pénale crée un "déséquilibre significatif". Toutefois, il s'agit plus vraisemblablement de la volonté de maintenir la validité du testament malgré la nullité de la clause, ce qui en raison du caractère intrinsèquement autonome (22) des clauses pénales est possible

L'appréciation doit être faite in concreto par le juge saisi d'un litige portant sur un contrat déjà conclu, in abstracto par celui saisi d'une demande en suppression de clause dans un type de contrat. Elle est nécessairement faite in abstracto par le pouvoir réglementaire et par la Commission des clauses abusives. Ainsi sont élaborées des listes de clauses abusives.

Cette décision, mise en perspective, nous semble donc opportune mais, nous le voyons, la proportionnalité doit raison garder... Ainsi que l'a écrit un auteur, "Disproportio omnia corrumpit" (23)... et sous couvert d'un heureux pragmatisme, il ne faudrait pas tomber dans l'excès d'une posture dogmatique (24). Ainsi, gageons que la Cour de cassation saura encadrer la passion dévorante de la proportionnalité afin de conserver le fragile équilibre que ces décisions semblent établir.


(1) CA Grenoble, 16 décembre 2014, n° 13/04391 (N° Lexbase : A6066Q33).
(2) Sur les aspects procéduraux, voir les obs. de J. Casey, AJ Famille, 2016, p. 275.
(3) Ainsi, la Cour de cassation en avait admis le principe sous réserve que ces clauses pénales n'affectent que des intérêts privés (par opposition à l'ordre public et aux bonnes moeurs) : Cass. civ., 2 février 1935. Depuis la Cour de cassation n'hésite pas à valider les clauses pénales successorales ne portant pas atteinte à l'ordre public : Cass. civ. 1, 9 octobre 1961, n° 59-12.833 (N° Lexbase : A1670RQW), Bull. civ. I, n° 442 ; Cass. civ. 1, 28 mars 2006, n° 04-10.596, F-P+B (N° Lexbase : A8530DNA).
(4) T. Le Bars, Les clauses dites pénales en droit des libéralités ou le mariage de la carpe et du lapin, in Mélanges Patrick Courbe, Dalloz, 2012, p. 345 ; sur la définition de la clause pénale, voir D. Mazeaud, La notion de clause pénale, préf. F. Chabas, LGDJ, coll. Bibl. droit privé, T. 223, 1992, n° 258 s..
(5) En réalité, le Professeur Le Bars souligne la variété des sanctions dans les clauses pénales qui ne sont pas nécessairement des clauses visant la limitation des droits de l'héritier à la seule quotité disponible de la succession du de cujus, mais peut viser également la perte du bénéfice d'une libéralité.
(6) T. Le Bars, Revirement de jurisprudence sur les clauses dites pénales en droit des libéralités, D., 2016, p. 578.
(7) T. Le Bars, op. cit..
(8) Cass. civ. 1, 25 juin 2002, n° 00-11.574, FS-P (N° Lexbase : A0198AZD).
(9) Sur ces questions, voir notamment : X. Philippe, Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences constitutionnelle et administrative françaises, Economica, PUAM, coll. Science et droit administratifs, 1990 ; J.-B. Duclercq, Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ, Bibl. constit. et sc. politique, T. 146, 2015.
(10) N. Molfessis, L'indispensable réforme de la Cour de cassation, Les affiches parisiennes, 6 juillet 2015.
(11) Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5510KQ7), D., 2014, p.179, note F. Chénedé, 153 ; AJ Fam., 2014, 124, obs. S. Thouret ; AJ Fam., 2013, 663, F. Chénedé ; RTDCiv., 2014, p. 88, obs. J. Hauser ; RTDCiv., 2014, p. 307, obs. J.-P. Marguenaud ; Cass. crim., 3 juin 2015, n° 14-86.507, F-P+B+I (N° Lexbase : A9226NIK) ; G. Chetard, Cassation pour "méconnaissance du principe de proportionnalité", AJ pénal, 2015, p. 487.
(12) A propos de Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5510KQ7), Bull. civ. I, n° 234 : B. Louvel, Réflexions à la Cour de cassation, D., 2015, p. 1326.
(13) B. Louvel, ibid..
(14) Cass. civ. 1, 16 décembre 2015, n° 14-29.285, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3651NZA).
(15) Cons. const., 9 novembre 1999, n° 99-419 DC (N° Lexbase : A8783ACB), D., 2000, p. 424, obs. S. Garneri ; RTDCiv., 2000, p. 109, obs. J. Mestre et B. Fages ; Petites affiches, 1er décembre 1999, 6, chron. J.-E. Schoettl ; JCP éd. G, 2000, I, 210, chron. N. Molfessis.
(16) T. Le Bars, op. cit..
(17) M. Mekki, Chron., D., 2016, p. 566 et spéc., Nullité et proportionnalité : quand le discours pragmatique cache une posture dogmatique !.
(18) C. Jamin, Contrôle de proportionnalité : Juger et motiver. Introduction comparative à la question du contrôle de proportionnalité en matière de droits fondamentaux.
(19) W. Dross, Droit civil, Les choses, LGDJ, 2012, n° 161.
(20) A. Cayol, Dalloz actualité, 11 mai 2016.
(21) Cass. Req., 3 août 1915, n° 00-02.378 (N° Lexbase : A6986CKX), DP, 1917, 1, 79 ; F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 12ème éd., 2007, p. 435.
(22) D. Mazeaud, op. cit., n° 163 s..
(23) A. Bénabent, Un culte de la proportionnalité... un brin disproportionné, D., 2016, p. 137.
(24) M. Mekki, ibid..

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