La lettre juridique n°643 du 11 février 2016

La lettre juridique - Édition n°643

Éditorial

Droits de l'enfant : de l'image d'Epinal au pays d'Emile

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 11 Février 2016


"Béni soit celui qui a préservé du désespoir un coeur d'enfant !" Cette citation de Bernanos devrait être inscrite au frontispice de la Convention internationale des droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 novembre 1989. Pour autant, la France pourrait-elle s'enorgueillir de mander ainsi l'un de ses plus illustres humanistes, alors qu'elle fait à nouveau l'objet de remontrances, sous forme de recommandations éditées par le Comité sur les droits de l'enfant de l'ONU, dans son dernier rapport publié, en anglais, le 4 février 2016 ?

Certes, aucun Etat signataire n'est épargné ; mais l'ennui, c'est que la France est un Etat récidiviste et qui ne semble pas faire évoluer sa législation vers plus de protections des droits et libertés des enfants, malgré les rapports et recommandations successifs.

Maintenant, à bien y regarder de près, l'état des droits et libertés pour les enfants n'est pas si différent de celui des adultes : et c'est sans doute ce manque de considération singulière qui heurte aujourd'hui les vigiles de la Convention. Les droits des enfants sont, en effet, les mêmes droits de l'Homme que ceux des adultes, adaptés au particularisme et à la fragilité, surtout, de la condition enfantine.

Alors, on ne s'étonnera pas que le rapport fasse état, par exemple, de l'insuffisance du budget alloué aux secteurs sociaux pour les enfants en situation défavorisée, comme les enfants roms, les enfants migrants, y compris les demandeurs d'asile et les enfants réfugiés... mais plus surprenant -et peut-être dérangeant pour la solidarité nationale-, sont visés également les enfants de Mayotte et des autres départements et territoires d'outre-mer ! Et si de manière générale, le Comité recommande de faire de l'éradication de la pauvreté des enfants une priorité nationale et d'allouer des ressources techniques, financières et humaines à des programmes pour soutenir notamment les enfants de familles monoparentales, vivant dans des bidonvilles ou dans des "zones urbaines sensibles"... les enfants vivant dans les DOM-TOM et les enfants migrants non accompagnés, sont ici encore visés.

Chacun sait, notamment, les mauvaises conditions relatives à l'éducation et à l'accès aux soins des enfants migrants, dans la zone de Calais et de Grande-Synthe. Le Secours catholique et Médecins du monde ont, d'ailleurs, décidé d'intervenir en soutien à plusieurs référés-libertés déposés par des mineurs isolés étrangers au tribunal administratif de Lille, afin que des mesures de protection soient prises en leur faveur.

Mais croire que le rapport du Comité des droits de l'enfant se focalise uniquement sur l'insalubrité et l'insécurité des enfants migrants ou roms serait trompeur. Les recommandations sont, malheureusement, encore plus précises et fortes pour promouvoir une culture de l'égalité, de la tolérance et du respect mutuel, pour prévenir et combattre la discrimination persistante.

Le Comité recommande ainsi à la France d'intensifier ses efforts pour combattre les stéréotypes de genre ; mais aussi de développer et mettre en oeuvre un protocole de soins de santé fondée sur les droits pour les enfants intersexués...

Le Comité recommande ainsi à la France l'adoption d'une stratégie globale de prévention et de lutter contre toutes les formes de violence contre les enfants, notamment d'interdire légalement la pratique des enfants "d'emballage" et toute autre pratique qui revient à de mauvais traitements ; mais aussi de redoubler d'efforts pour changer les traditions et les pratiques qui entravent le bien-être des enfants, notamment en interdisant l'accès aux enfants à la tauromachie et les performances violentes associées...

Le Comité recommande ainsi à la France d'interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes et d'établir l'obligation de tous les juges d'aborder systématiquement la question de la révocation de la responsabilité parentale dans les cas de parents condamnés pour des infractions graves contre un ou plusieurs de leurs enfants.

Le rapport n'en reste pas à des considérations générales. Il préconise ainsi de faire respecter pleinement le droit de l'enfant à connaître ses parents biologiques, ses frères et soeurs et recommande la suppression de l'exigence du consentement de la mère biologique pour révéler son identité. Comme il exhorte la France à remplacer le terme "autorité parentale" avec celle de la responsabilité parentale, ou une terminologie semblable en conformité avec les droits de l'enfant...

Le Comité constate que la condition des enfants handicapés n'est pas non plus conforme aux droits et libertés de la Convention. La France doit ainsi reconnaître le droit de tous les enfants à une éducation inclusive et faire en sorte que l'éducation intégratrice soit prioritaire sur le placement des enfants dans des institutions spécialisées et des classes séparées à tous les niveaux. Le rapport recommande dès lors de former tous les enseignants et les professionnels de l'éducation sur l'éducation inclusive et la fourniture d'un soutien individuel, des environnements inclusifs et accessibles, en accordant l'attention voulue à la diversité spécifique de chaque enfant ; sans oublier d'entreprendre des campagnes de sensibilisation pour lutter contre la stigmatisation et les préjugés contre les enfants handicapés.

Le droit des étrangers est bien entendu visé. Le Comité souhaiterait que la France évite la détention des enfants en zone d'attente et mette un terme à l'utilisation de tests d'os.

Enfin, sur la justice des mineurs, le rapport préconise de fixer un âge minimum de la responsabilité pénale, pas en dessous de l'âge de 13 ans et en exigeant la capacité de l'enfant de discernement ; de ne pas traiter les enfants de plus de 16 ans comme des adultes ; de veiller à ce que, dans la pratique, la détention ne soit utilisée comme une mesure de dernier ressort et pour la plus courte durée possible, enfin de mettre en place des installations spécialisées de justice pour mineurs.

En 2010, la Cour de cassation affirmait que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants conformément à l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, directement applicable devant les tribunaux français.

La question n'est donc plus, heureusement, d'envisager les droits et libertés de l'enfant sous le prisme de son intérêt : "l'intérêt de l'enfant" commande au juge depuis plus d'une dizaine d'années, et ce de manière de plus en plus croissante, de l'interdiction de la filiation incestueuse au droit de visite des grands-parents maintenu malgré la suspension du droit de visite du père, en passant par la longue saga de l'adoption dans les couples homosexuels. En revanche, il n'est pas de l'intérêt de l'enfant, âgé de 18 mois, né sous X, et placé dans une famille en vue d'adoption, d'être restitué à son père biologique, lequel était incarcéré au moment de la naissance de l'enfant et l'avait reconnu postérieurement.

Maintenant, il est vrai que le Gouvernement a renoncé à légiférer sur les fessées et que le nouveau Garde des Sceaux est prié de botter en touche sur la justice des mineurs, malgré une nécessaire et arlésienne réforme de l'ordonnance de 1945. Comme il est vrai que l'interdiction de la tauromachie demeure un problème culturel dans plusieurs de nos régions... Rien d'insurmontable pour envisager un prochain rapport du Comité des droits de l'enfant plus clément, me diriez-vous ? Mais ne nous y trompons pas, on mesure la considération d'une Nation pour ses enfants au regard de la protection des plus faibles d'entre eux, c'est-à-dire des enfants migrants isolés et des handicapés et là, clairement, les volontés manquent sous le voile de l'indifférence générale. Comme le DALO, la France envisage l'atteinte aux droits et libertés fondamentales par le biais de la réparation, de l'indemnisation plutôt que l'efficience de ces droits, pourtant "rien ne peut compenser une seule larme d'un seul enfant", écrit Dostoïevski dans Les frères Karamazov.

Alors, relisons Les Orientales d'Hugo, et plus particulièrement son poème sur L'enfant, où comment, alors que "Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil" dévastée par les turcs, "Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,/Courbait sa tête humiliée", et à la question "Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner/Pour rattacher gaîment et gaîment ramener/En boucles sur ta blanche épaule/Ces cheveux, qui du fer n'ont pas subi l'affront", répond de manière cinglante à l'occidental qui l'interpelle : "Je veux de la poudre et des balles". Tout est dit, ici, en juillet 1828.

La France demeure encore ce pays qui vit Rousseau changer profondément et moderniser l'appréhension de l'éducation et de l'instruction de l'enfant... Des enfants de la noblesse et de la grande bourgeoisie, s'entend... Rousseau, lui qui abandonna les siens. C'est toute l'ambiguïté du pays d'Emile.

newsid:451268

Assurances

[Brèves] Nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l'assuré : stop à la mauvaise foi des assurés !

Réf. : Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 15-13.850, F-P+B (N° Lexbase : A3120PKR)

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N1254BWD

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Le 11 Février 2016

D'une part, l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM), le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré et l'article L. 113-2 (N° Lexbase : L0061AAI) n'impose pas l'établissement d'un questionnaire préalable écrit ; d'autre part, le juge peut prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration, les déclarations faites par l'assuré à sa seule initiative lors de la conclusion du contrat. C'est ainsi que s'est prononcée la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 4 février 2016, semble vouloir faire évoluer sa jurisprudence, en approuvant la cour d'appel ayant retenu la nullité d'un contrat multirisque habitation après avoir relevé l'existence de déclarations spontanées mensongères de l'assuré (Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 15-13.850, F-P+B N° Lexbase : A3120PKR). En l'espèce, une SCI avait fait assurer un immeuble ancien, déclaré vide, dans lequel elle avait entrepris des travaux de rénovation à l'effet de le louer en habitation. A l'issue du contrat, les parties avaient établi, sur la foi des informations communiquées par la SCI faisant état de l'achèvement des travaux entrepris dans l'immeuble assuré et de sa location à 100 % en habitation, un nouveau contrat comportant de nouvelles garanties moyennant une prime d'assurance moins élevée. Après la destruction de l'immeuble dans un incendie, l'assureur avait refusé sa garantie, se prévalant d'une fausse déclaration intentionnelle de l'assuré lors de la souscription du nouveau contrat. La SCI faisait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l'assuré, soutenant que celle-ci procède des seules réponses qu'il a apportées aux questions précises posées par l'assureur lors de la conclusion du contrat (en ce sens, rappelons notamment : Cass. mixte, 7 février 2014, n° 12-85.107 N° Lexbase : A9169MDX ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87.195, FS-P+B N° Lexbase : A0745MH3), sans pouvoir résulter des mentions, relatives à d'éventuelles déclarations de l'assuré, insérées dans les conditions particulières de la police. Mais l'argument est écarté par la Cour suprême qui énonce les règles précitées. Aussi, ayant relevé que, d'abord, c'était l'assuré lui-même qui avait pris attache avec l'assureur en se rendant à son agence pour l'informer de la fin des travaux de transformation et de ce que les locaux étaient loués, qu'ensuite, l'agent avait écrit à la SCI pour lui transmettre une proposition de contrat en faisant état de cette circonstance et en lui laissant le soin de prendre connaissance de ce contrat pour, s'il lui donnait satisfaction, le retourner signé, la cour s'est fondée, à bon droit, pour annuler le contrat, sur de telles déclarations dont elle avait ainsi fait ressortir le caractère spontané et mensonger en relevant qu'au jour du sinistre, peu de travaux avaient été entrepris, et que le bâtiment était inhabitable et totalement inoccupé.

newsid:451254

Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Liberté d'expression : condamnation disproportionnée d'un avocat

Réf. : CEDH, 12 janvier 2016, Req. 48074/10 (N° Lexbase : A5139N3Q)

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N1132BWT

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

Le 11 Février 2016

Par un arrêt du 12 janvier 2016, la CEDH a jugé que la condamnation d'un avocat pour les propos tenus dans ses écritures constitue une ingérence dans l'exercice par l'intéressé de son droit à la liberté d'expression. Les sanctions pénales, dont celles comportant éventuellement une privation de liberté, limitant la liberté d'expression de l'avocat de la défense peuvent difficilement trouver de justification et ne sont pas proportionnées au but légitime poursuivi.

Chargé de la défense des intérêts de son client, un avocat espagnol avait, dans une demande écrite déposée devant les juridictions ibériques, formulé des jugements de valeur à l'encontre d'un juge. Plus spécialement, l'avocat relevait que le juge "a volontairement décidé de fausser la réalité", commis "une interminable succession d'infractions", adopté "une injustifiable façon de procéder" et émis "un rapport mensonger" dans lequel figuraient "des indications fausses et malintentionnées". Sur ce fondement, une procédure pénale pour délit présumé de calomnie fut ouverte devant les juridictions espagnoles à l'encontre de l'avocat. Celui-ci fut condamné à une peine d'amende assortie d'une peine de substitution de privation de liberté.

Après avoir interjeté appel et saisi le tribunal constitutionnel, l'avocat porta l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Dénonçant sa condamnation, il arguait d'une violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) : sa condamnation s'analyserait, selon lui, en une ingérence disproportionnée dans l'exercice de son droit à s'exprimer librement.

La Cour européenne des droits de l'Homme était donc appelée à se prononcer une nouvelle fois sur la question de savoir si la condamnation de l'avocat constituait une ingérence nécessaire dans son droit à s'exprimer librement.

La question n'est pas nouvelle et la jurisprudence, au niveau européen comme au niveau national (1), a précisé les contours de la liberté d'expression de l'avocat (2).

A l'instar de tous les justiciables, l'avocat jouit du droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Mais sa liberté de parole s'inscrit dans le contexte particulier de son statut et de sa mission (3). Dès lors que celle-ci s'inscrit dans l'exercice des droits de la défense, elle trouve écho dans l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). En conséquence, la Cour européenne impose de s'assurer que la sanction, même légère, prononcée par le tribunal ne soit pas dissuasive. L'avocat ne doit pas se sentir "restreint" dans ses choix de plaidoiries ou ses stratégies procédurales. Aussi, "tout effet dissuasif est un facteur important à prendre en compte pour ménager un juste équilibre entre les tribunaux et les avocats dans le cadre d'une bonne administration de la justice" (4). Il en résulte que la liberté d'expression de l'avocat ne peut être sujette à restriction que dans des cas exceptionnels (5). C'est cette solution que rappelle la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'arrêt "Rodriguez Ravelo" : la condamnation de l'avocat de la défense par les juridictions nationales s'analyse comme une "ingérence" dans son droit à s'exprimer librement (I) qui peut difficilement être justifiée (II).

I - Le droit de l'avocat à s'exprimer librement

La jurisprudence européenne rappelle régulièrement que le statut des avocats les place dans une situation particulière dans le fonctionnement de la justice. L'arrêt du 12 janvier 2016 n'y fait pas exception.

Cette singularité de la mission d'avocat justifie l'existence de normes de conduites imposées aux membres du barreau (6). Réciproquement, l'avocat bénéficie d'une plus grande faveur quant à l'exercice du droit de critique, qui semble plus largement admis que pour un particulier (7). Outre la substance des idées et informations exprimées, l'article 10 de la Convention européenne protège aussi leur mode d'expression. L'avocat peut ainsi légitimement intervenir dans la presse, participer aux débats d'intérêts généraux et se prononcer sur le fonctionnement de la justice (8). Les sanctions, même légères, prononcées dans le cadre d'une action en diffamation dirigée contre un avocat pour des critiques formulés lors d'une émission télévisées constituent donc une atteinte au droit à la liberté d'expression (9).

Il en résulte que les limites du droit de l'avocat à s'exprimer librement sont tracées strictement par la jurisprudence compte tenu du contexte dans lequel les propos ont été tenus : la liberté d'expression de l'avocat est appréciée différemment selon que les propos ont été tenus dans ou hors du prétoire (10) et, plus particulièrement, selon la fonction exercée par l'avocat (11).

La Cour européenne des droits de l'Homme a, plus spécifiquement, précisé qu'une restriction à la liberté d'expression de l'avocat de la défense, même au moyen d'une sanction pénale légère, ne peut qu'exceptionnellement passer pour nécessaire dans une société démocratique (12). Plus spécialement, la Cour européenne des droits de l'Homme rappelle que les avocats, lorsqu'ils défendent leurs clients devant les tribunaux, bénéficient des garanties de la liberté d'expression (13) : seuls les propos qui excèdent ce qu'autorise l'exercice des droits de la défense légitiment les restrictions à la liberté d'expression des avocats (14). Il en résulte que la liberté d'expression dont jouit un avocat dans le prétoire n'est pas illimitée et certains intérêts, tels que l'autorité du pouvoir judiciaire, sont assez importants pour justifier des restrictions à ce droit.

II - L'appréciation de la proportionnalité de l'ingérence dans la liberté d'expression

Bien qu'elle pose en principe que la condamnation des propos de l'avocat, singulièrement de la défense, constitue une ingérence dans sa liberté d'expression, la Cour européenne n'exclut pas qu'une telle ingérence puisse être justifiée. Ainsi, dans un arrêt du 15 décembre 2015, la Cour européenne a souligné qu'il convient de tenir compte de la mission particulière du pouvoir judiciaire dans la société. "Comme garant de la justice, valeur fondamentale dans un Etat de droit, son action a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer. Aussi peut-il s'avérer nécessaire de protéger celle-ci contre des attaques destructrices dénuées de fondement sérieux, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats visés de réagir. Pour autant, en dehors de l'hypothèse de telles attaques, les magistrats peuvent faire, lorsqu'ils agissent dans l'exercice de leurs fonctions officielles, l'objet de critiques dont les limites sont plus larges qu'à l'égard de simples particuliers" (15).

Recherchant l'équilibre entre l'exercice des droits de la défense, la liberté d'expression et le respect dû à la justice, la Cour européenne des droits de l'Homme précise classiquement que la sanction de la parole de l'avocat s'analyse en une ingérence dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression. Une atteinte à ce droit ne peut être qu'exceptionnelle et, par conséquent, rigoureusement motivée. La Cour exige donc des juridictions nationales que ces sanctions soient justifiées à la lumière de "l'ensemble de l'affaire", "y compris la teneur des remarques reprochées au requérant" et "le contexte dans lequel celui-ci les a formulées" (16).

Le principe est régulièrement rappelé : une restriction à la liberté d'expression d'une personne emporte violation de l'article 10 de la Convention européenne si elle ne relève pas de l'une des exceptions ménagées par le paragraphe 2 de cette disposition (17). Il y a donc lieu de déterminer si la restriction était "prévue par la loi", si elle visait un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et si elle était "nécessaire dans une société démocratique" pour atteindre ce ou ces buts (18).

La jurisprudence européenne a précisé que la condition de "nécessité dans une société démocratique" qui, seule, peut justifier l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, commande de déterminer si l'ingérence incriminée correspondait à "un besoin social impérieux" (19).

L'arrêt du 12 janvier 2016 prononcée par la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire "Rodriguez Ravelo" confirme la jurisprudence antérieure et franchit un pas supplémentaire : la Cour européenne précise, en effet, que les sanctions pénales dont, notamment, celles comportant éventuellement une privation de liberté limitant la liberté d'expression de l'avocat de la défense peuvent difficilement trouver de justification (20). La protection de la liberté d'expression de l'avocat de la défense dans l'exercice de la mission de défense des intérêts de son client s'en trouve renforcée.


(1) V. Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.028, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH).
(2) F. Lyn, La liberté d'expression de l'avocat en droit européen, Gaz. Pal., 21 juin 2007, p. 2.
(3) CEDH, 24 février 1994, Req. 8/1993/403/481 (N° Lexbase : A6616AWX), série A, n° 285-A.
(4) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10 (N° Lexbase : A9564DLS).
(5) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 (N° Lexbase : A1016GNX).
(6) CEDH, 28 octobre 2003, Req. 39657/98 (N° Lexbase : A3774PAZ).
(7) I. Kitsou-Milonas, Liberté d'expression des avocats, Europe 2004, comm. 166. V. l'arrêt cité par l'auteur : CEDH, 21 janvier 1999, Req. 25716/94 § 55 (N° Lexbase : A7086AWD), Rapp. M. Véron, La délicate conciliation entre immunité et provocation, Dr. Pén., 2015, comm., 68.
(8) CEDH, 20 avril 2004, Req. 60115/00 (N° Lexbase : A8913DBQ).
(9) CEDH 4 avril 2013, Req. 4977/05, disponible en anglais
(10) CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10 (N° Lexbase : A0946KKA). - D. Fallon, in V. Correia (Dir.,), Le point sur l'Europe. - Décisions de juin 2015 à septembre 2015, JCP éd. A, 2016, 2000.
(11) V. Renaudie, La liberté d'expression de l'avocat et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, Gaz. Pal., 2006, p. 2.
(12) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96, préc.; CEDH, 15 décembre 2005, n° 73797/10, préc..
(13) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96, op. cit. ; CEDH, 15 décembre 2005, n° 73797/10, préc..
(14) CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11 (N° Lexbase : A2647NZ3).
(15) CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11, préc...
(16) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10 ; CEDH 23 avril 2015, n° 29369/10, préc..
(17) CEDH, 26 avril 1979, Req. 6538/74 (N° Lexbase : A5104AYP), série A, n° 30, p. 29 ; CEDH, 17 décembre 2004, Req. 33348/96 (N° Lexbase : A4373DEP), § 85 ; CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10, § 167.
(18) CEDH, 14 décembre 2015, Req. 39294/09 (N° Lexbase : A0520NM9).
(19) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10, § 170, préc..
(20) CEDH, 12 janvier 2016, Req. 48074/10, § 50, préc..

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Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Liberté d'expression : condamnation disproportionnée d'un avocat

Réf. : CEDH, 12 janvier 2016, Req. 48074/10 (N° Lexbase : A5139N3Q)

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

Le 11 Février 2016

Par un arrêt du 12 janvier 2016, la CEDH a jugé que la condamnation d'un avocat pour les propos tenus dans ses écritures constitue une ingérence dans l'exercice par l'intéressé de son droit à la liberté d'expression. Les sanctions pénales, dont celles comportant éventuellement une privation de liberté, limitant la liberté d'expression de l'avocat de la défense peuvent difficilement trouver de justification et ne sont pas proportionnées au but légitime poursuivi.

Chargé de la défense des intérêts de son client, un avocat espagnol avait, dans une demande écrite déposée devant les juridictions ibériques, formulé des jugements de valeur à l'encontre d'un juge. Plus spécialement, l'avocat relevait que le juge "a volontairement décidé de fausser la réalité", commis "une interminable succession d'infractions", adopté "une injustifiable façon de procéder" et émis "un rapport mensonger" dans lequel figuraient "des indications fausses et malintentionnées". Sur ce fondement, une procédure pénale pour délit présumé de calomnie fut ouverte devant les juridictions espagnoles à l'encontre de l'avocat. Celui-ci fut condamné à une peine d'amende assortie d'une peine de substitution de privation de liberté.

Après avoir interjeté appel et saisi le tribunal constitutionnel, l'avocat porta l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Dénonçant sa condamnation, il arguait d'une violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) : sa condamnation s'analyserait, selon lui, en une ingérence disproportionnée dans l'exercice de son droit à s'exprimer librement.

La Cour européenne des droits de l'Homme était donc appelée à se prononcer une nouvelle fois sur la question de savoir si la condamnation de l'avocat constituait une ingérence nécessaire dans son droit à s'exprimer librement.

La question n'est pas nouvelle et la jurisprudence, au niveau européen comme au niveau national (1), a précisé les contours de la liberté d'expression de l'avocat (2).

A l'instar de tous les justiciables, l'avocat jouit du droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Mais sa liberté de parole s'inscrit dans le contexte particulier de son statut et de sa mission (3). Dès lors que celle-ci s'inscrit dans l'exercice des droits de la défense, elle trouve écho dans l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). En conséquence, la Cour européenne impose de s'assurer que la sanction, même légère, prononcée par le tribunal ne soit pas dissuasive. L'avocat ne doit pas se sentir "restreint" dans ses choix de plaidoiries ou ses stratégies procédurales. Aussi, "tout effet dissuasif est un facteur important à prendre en compte pour ménager un juste équilibre entre les tribunaux et les avocats dans le cadre d'une bonne administration de la justice" (4). Il en résulte que la liberté d'expression de l'avocat ne peut être sujette à restriction que dans des cas exceptionnels (5). C'est cette solution que rappelle la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'arrêt "Rodriguez Ravelo" : la condamnation de l'avocat de la défense par les juridictions nationales s'analyse comme une "ingérence" dans son droit à s'exprimer librement (I) qui peut difficilement être justifiée (II).

I - Le droit de l'avocat à s'exprimer librement

La jurisprudence européenne rappelle régulièrement que le statut des avocats les place dans une situation particulière dans le fonctionnement de la justice. L'arrêt du 12 janvier 2016 n'y fait pas exception.

Cette singularité de la mission d'avocat justifie l'existence de normes de conduites imposées aux membres du barreau (6). Réciproquement, l'avocat bénéficie d'une plus grande faveur quant à l'exercice du droit de critique, qui semble plus largement admis que pour un particulier (7). Outre la substance des idées et informations exprimées, l'article 10 de la Convention européenne protège aussi leur mode d'expression. L'avocat peut ainsi légitimement intervenir dans la presse, participer aux débats d'intérêts généraux et se prononcer sur le fonctionnement de la justice (8). Les sanctions, même légères, prononcées dans le cadre d'une action en diffamation dirigée contre un avocat pour des critiques formulés lors d'une émission télévisées constituent donc une atteinte au droit à la liberté d'expression (9).

Il en résulte que les limites du droit de l'avocat à s'exprimer librement sont tracées strictement par la jurisprudence compte tenu du contexte dans lequel les propos ont été tenus : la liberté d'expression de l'avocat est appréciée différemment selon que les propos ont été tenus dans ou hors du prétoire (10) et, plus particulièrement, selon la fonction exercée par l'avocat (11).

La Cour européenne des droits de l'Homme a, plus spécifiquement, précisé qu'une restriction à la liberté d'expression de l'avocat de la défense, même au moyen d'une sanction pénale légère, ne peut qu'exceptionnellement passer pour nécessaire dans une société démocratique (12). Plus spécialement, la Cour européenne des droits de l'Homme rappelle que les avocats, lorsqu'ils défendent leurs clients devant les tribunaux, bénéficient des garanties de la liberté d'expression (13) : seuls les propos qui excèdent ce qu'autorise l'exercice des droits de la défense légitiment les restrictions à la liberté d'expression des avocats (14). Il en résulte que la liberté d'expression dont jouit un avocat dans le prétoire n'est pas illimitée et certains intérêts, tels que l'autorité du pouvoir judiciaire, sont assez importants pour justifier des restrictions à ce droit.

II - L'appréciation de la proportionnalité de l'ingérence dans la liberté d'expression

Bien qu'elle pose en principe que la condamnation des propos de l'avocat, singulièrement de la défense, constitue une ingérence dans sa liberté d'expression, la Cour européenne n'exclut pas qu'une telle ingérence puisse être justifiée. Ainsi, dans un arrêt du 15 décembre 2015, la Cour européenne a souligné qu'il convient de tenir compte de la mission particulière du pouvoir judiciaire dans la société. "Comme garant de la justice, valeur fondamentale dans un Etat de droit, son action a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer. Aussi peut-il s'avérer nécessaire de protéger celle-ci contre des attaques destructrices dénuées de fondement sérieux, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats visés de réagir. Pour autant, en dehors de l'hypothèse de telles attaques, les magistrats peuvent faire, lorsqu'ils agissent dans l'exercice de leurs fonctions officielles, l'objet de critiques dont les limites sont plus larges qu'à l'égard de simples particuliers" (15).

Recherchant l'équilibre entre l'exercice des droits de la défense, la liberté d'expression et le respect dû à la justice, la Cour européenne des droits de l'Homme précise classiquement que la sanction de la parole de l'avocat s'analyse en une ingérence dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression. Une atteinte à ce droit ne peut être qu'exceptionnelle et, par conséquent, rigoureusement motivée. La Cour exige donc des juridictions nationales que ces sanctions soient justifiées à la lumière de "l'ensemble de l'affaire", "y compris la teneur des remarques reprochées au requérant" et "le contexte dans lequel celui-ci les a formulées" (16).

Le principe est régulièrement rappelé : une restriction à la liberté d'expression d'une personne emporte violation de l'article 10 de la Convention européenne si elle ne relève pas de l'une des exceptions ménagées par le paragraphe 2 de cette disposition (17). Il y a donc lieu de déterminer si la restriction était "prévue par la loi", si elle visait un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et si elle était "nécessaire dans une société démocratique" pour atteindre ce ou ces buts (18).

La jurisprudence européenne a précisé que la condition de "nécessité dans une société démocratique" qui, seule, peut justifier l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, commande de déterminer si l'ingérence incriminée correspondait à "un besoin social impérieux" (19).

L'arrêt du 12 janvier 2016 prononcée par la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire "Rodriguez Ravelo" confirme la jurisprudence antérieure et franchit un pas supplémentaire : la Cour européenne précise, en effet, que les sanctions pénales dont, notamment, celles comportant éventuellement une privation de liberté limitant la liberté d'expression de l'avocat de la défense peuvent difficilement trouver de justification (20). La protection de la liberté d'expression de l'avocat de la défense dans l'exercice de la mission de défense des intérêts de son client s'en trouve renforcée.


(1) V. Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.028, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH).
(2) F. Lyn, La liberté d'expression de l'avocat en droit européen, Gaz. Pal., 21 juin 2007, p. 2.
(3) CEDH, 24 février 1994, Req. 8/1993/403/481 (N° Lexbase : A6616AWX), série A, n° 285-A.
(4) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10 (N° Lexbase : A9564DLS).
(5) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 (N° Lexbase : A1016GNX).
(6) CEDH, 28 octobre 2003, Req. 39657/98 (N° Lexbase : A3774PAZ).
(7) I. Kitsou-Milonas, Liberté d'expression des avocats, Europe 2004, comm. 166. V. l'arrêt cité par l'auteur : CEDH, 21 janvier 1999, Req. 25716/94 § 55 (N° Lexbase : A7086AWD), Rapp. M. Véron, La délicate conciliation entre immunité et provocation, Dr. Pén., 2015, comm., 68.
(8) CEDH, 20 avril 2004, Req. 60115/00 (N° Lexbase : A8913DBQ).
(9) CEDH 4 avril 2013, Req. 4977/05, disponible en anglais
(10) CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10 (N° Lexbase : A0946KKA). - D. Fallon, in V. Correia (Dir.,), Le point sur l'Europe. - Décisions de juin 2015 à septembre 2015, JCP éd. A, 2016, 2000.
(11) V. Renaudie, La liberté d'expression de l'avocat et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, Gaz. Pal., 2006, p. 2.
(12) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96, préc.; CEDH, 15 décembre 2005, n° 73797/10, préc..
(13) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96, op. cit. ; CEDH, 15 décembre 2005, n° 73797/10, préc..
(14) CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11 (N° Lexbase : A2647NZ3).
(15) CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11, préc...
(16) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10 ; CEDH 23 avril 2015, n° 29369/10, préc..
(17) CEDH, 26 avril 1979, Req. 6538/74 (N° Lexbase : A5104AYP), série A, n° 30, p. 29 ; CEDH, 17 décembre 2004, Req. 33348/96 (N° Lexbase : A4373DEP), § 85 ; CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10, § 167.
(18) CEDH, 14 décembre 2015, Req. 39294/09 (N° Lexbase : A0520NM9).
(19) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/10, § 170, préc..
(20) CEDH, 12 janvier 2016, Req. 48074/10, § 50, préc..

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Bancaire

[Brèves] Nécessité de démontrer la qualité de consommateur d'une SCI pour bénéficier de la prescription biennale de l'article L. 137-2 du Code de la consommation même pour un prêt soumis au crédit à la consommation

Réf. : Cass. civ. 1, 3 février 2016, n° 15-14.689, F-P+B (N° Lexbase : A3076PK7)

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N1304BW9

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Le 16 Février 2016

L'article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) prévoit que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Néanmoins, il est nécessaire, pour l'emprunteur souhaitant bénéficier des dispositions du Code de la consommation, de démontrer sa qualité de consommateur. La soumission d'un contrat de prêt aux dispositions des articles L. 321-1 (N° Lexbase : L6508ABN) et suivants du Code de la consommation, relatives au crédit immobilier, et bien que visant la protection de l'emprunteur qui contracte un prêt pour une activité autre qu'exclusivement professionnelle, ne permet pas de déduire que l'emprunteur est un consommateur. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 février 2016 (Cass. civ. 1, 3 février 2016, n° 15-14.689, F-P+B N° Lexbase : A3076PK7). En l'espèce, un établissement de crédit avait consenti un prêt immobilier à une société civile immobilière (SCI) ; certaines échéances étant restées impayées, l'établissement a engagé une procédure de saisie immobilière. La SCI s'y opposa au motif que l'action de la banque était tardive en application des dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation. La SCI a fondé son argument sur le fait que les parties avaient soumis le contrat de prêt aux dispositions des articles L. 321-1 et suivants du Code la consommation, ce qui a convaincu la cour d'appel. Ainsi déboutée, la banque forma donc un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2015 par la cour d'appel de Grenoble (CA Grenoble, 13 janvier 2015, n° 14/03609, N° Lexbase : A2200M9D). La Haute juridiction, énonçant la solution précitée, casse et annule l'arrêt d'appel, considérant que l'article L. 137-2 du Code de la consommation vise uniquement l'action des professionnels pour les biens et services qu'ils fournissent aux consommateurs. Or, la cour d'appel, ayant fondé sa décision sur le fait que les parties entendirent soumettre ledit contrat de prêt aux dispositions des articles L. 321-1 et suivants du Code de la consommation, n'a pas constaté la qualité de consommateur de l'emprunteur, et prive ainsi de base légale sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9005BXS).

newsid:451304

Contrats administratifs

[Brèves] Recours "Tarn-et-Garonne" : un concurrent évincé ne peut invoquer que les manquements aux règles de passation du contrat en rapport avec son éviction

Réf. : CE sect., 5 février 2016, n° 383149, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5051PKB)

Lecture: 1 min

N1267BWT

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Le 11 Février 2016

Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif dans le cadre d'un recours "Tarn-et-Garonne" (CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6449MIP, selon lequel tous les tiers potentiellement lésés par un contrat administratif peuvent contester sa validité) ne peut, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 février 2016 (CE sect., 5 février 2016, n° 383149, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5051PKB). La Haute juridiction estime que la décision "Tarn-et-Garonne" a jugé que le recours ne trouve à s'appliquer, quelle que soit la qualité dont se prévaut le tiers, qu'à l'encontre des contrats signés à compter de la lecture de cette même décision. Il en résulte que le recours de la société X, formé devant le tribunal administratif de Montpellier antérieurement à cette décision, doit être apprécié au regard des règles alors applicables, qui permettaient à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure un contrat administratif d'invoquer tout moyen à l'appui de son recours contre le contrat. En résiliant le marché public contesté sans avoir recherché si le moyen retenu pouvait être utilement invoqué par la société eu égard à l'intérêt lésé dont elle se prévalait, la cour administrative d'appel n'a donc pas commis d'erreur de droit, ni méconnu l'étendue de son office.

newsid:451267

Discrimination et harcèlement

[Jurisprudence] La caractérisation harmonieuse du harcèlement moral aux plans civil et pénal

Réf. : Cass. crim., 26 janvier 2016, n° 14-80.455, F-P+B (N° Lexbase : A3388N7M)

Lecture: 8 min

N1292BWR

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 11 Février 2016

Comme cela est également le cas du harcèlement sexuel, le harcèlement moral connaît la particularité d'être doublement défini par le législateur, au plan pénal dans le Code pénal, au plan civil dans le Code du travail. Malgré les nuances que présentent les deux textes légaux, les caractères du harcèlement moral sont identiques : les agissements de harcèlement moral peuvent être de nature identique ou différente, à condition d'être répétés ; les agissements de harcèlement peuvent avoir pour but, ou seulement pour résultat, de dégrader les conditions de travail de la victime. Ce sont ces caractères que la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle ou précise par un arrêt rendu le 26 janvier 2016 (I), ce qui semble être une interprétation convenable du texte d'incrimination, en parfaite harmonie avec les solutions retenues en la matière par la Chambre sociale (II).
Résumé

Ajoute à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas la cour d'appel qui retient que la caractérisation du délit de harcèlement moral exige, d'une part, que soient constatés des agissements répétés de nature différente, d'autre part, que ces agissements aient initialement eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la dignité et à la santé de la victime.

Commentaire

I - Précisions relatives à la répétition et aux effets des agissements de harcèlement moral

Les définitions civile et pénale du harcèlement moral. Le harcèlement moral connaît la particularité de résulter de deux définitions légales distinctes.

La première est issue de l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) qui dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

La seconde provient de l'article 222-33-2 du Code pénal (N° Lexbase : L9324I3Q) qui l'incrimine dans des termes proches, comme "le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

Là où la première vise des agissements répétés, la seconde est légèrement plus précise en ciblant les propos ou comportements répétés. Pour le reste, les deux définitions sont quasiment identiques (1).

Faut-il tirer une distinction de cette légère variation des définitions ?

Agissements, comportements ou propos répétés. Le caractère répété des agissements, comportements ou propos harcelant a toujours été affirmé avec une grande clarté. Si, en effet, la nouvelle définition civile du harcèlement sexuel laisse la place au chantage résultant d'un fait unique (2), la Chambre sociale exige, en revanche, fermement, la répétition, pour qualifier le harcèlement moral (3). Aucune autre considération temporelle ne semble devoir être prise en compte. Ainsi, le caractère très bref (4) ou, au contraire, très long (5) du temps séparant les divers agissements est indifférent : les juges du fond qui prennent en considération cette faible ou grande durée ajoutent à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas.

Au plan pénal, le délit de harcèlement moral est une infraction qui exige la répétition des comportements ou propos prohibés. L'interprétation stricte de la loi pénale pouvait, toutefois, interroger sur le sens à retenir du pluriel employé par le texte. Viser des propos et comportements répétés n'a peut-être pas exactement le même sens que viser un propos ou un comportement répété. Une interprétation littérale incite à penser que la première formule exige des agissements de nature différente, alors que la seconde nécessiterait la démonstration d'un agissement identique plusieurs fois répété (6).

Les conséquences des agissements de harcèlement. Pour le reste, les deux définitions sont identiques en ce qu'elles visent des comportements ayant "pour objet ou pour effet" d'altérer les conditions de travail, altération "susceptible de" porter atteinte à la santé, à la dignité ou à la carrière du salarié.

Les potentialités ouvertes par ces termes ont été exploitées de plusieurs manières par la Chambre sociale et la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Au plan civil, la Chambre sociale juge ainsi que l'intention de dégrader les conditions de travail n'est pas un élément nécessaire à la qualification de harcèlement, ce qui semble découler de la définition légale qui prévoit que les agissements peuvent avoir "pour effet" cette altération, sans avoir eu "pour objet" d'aboutir à ce résultat (7). La Chambre sociale ne recherche que rarement la réalité de la dégradation des conditions de travail, d'abord, parce qu'elle est généralement évidente, lorsque des agissements de harcèlement surviennent, ensuite, parce que ces agissements peuvent avoir eu seulement pour objet, sans avoir eu pour effet, de parvenir à une telle dégradation qui peut donc rester potentielle. Enfin, la dégradation des conditions de travail n'est que "susceptible de" porter atteinte à la santé, à la dignité ou à la carrière professionnelle du salarié, si bien qu'à nouveau, la simple potentialité d'une telle atteinte suffit à caractériser un harcèlement moral (8).

Au plan pénal, le caractère formel de l'infraction fait débat. Faut-il, comme certains auteurs le pensent, que la matérialité de l'altération des conditions de travail, de l'atteinte à la santé ou à la dignité soit démontrée (9) ? L'infraction est-elle, au contraire, caractérisée, lorsqu'est démontrée une simple potentialité d'altération ou d'atteinte (10) ?

C'est à l'ensemble de ces questions relatives à la répétition des propos et comportements, d'une part, et au caractère formel de l'infraction, d'autre part, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation était appelée à apporter des réponses.

L'espèce. Après avoir bénéficié d'un avantage que ses collègues de travail considéraient comme indu, une salariée subit un ensemble de comportements vexatoires ou humiliants de nature variée. Aucun des salariés de son service ne lui adressait plus la parole, ne venait plus lui apporter de l'aide comme cela était de coutume entre collègues, et les altercations étaient nombreuses (11). A la suite d'un signalement de la médecine du travail, une plainte est déposée par la salariée, une information est ouverte du chef de harcèlement moral, à l'issue de laquelle plusieurs de ses collègues sont renvoyés devant le tribunal correctionnel. Le tribunal juge la prévention établie, jugement contre lequel est interjeté appel.

La chambre des appels correctionnels de la cour de Montpellier infirme le jugement et déboute la partie civile en s'appuyant essentiellement sur deux arguments. D'abord, en se fondant sur l'exigence d'interprétation stricte de la loi pénale, la cour juge que le texte d'incrimination impose la démonstration d'agissements de nature différente et répétitifs, et relève que s'il existait bien un agissement de même type ayant perduré (isolement professionnel), aucun autre agissement harcelant complémentaire ne venait s'y adjoindre pour permettre la caractérisation de l'élément matériel de l'infraction. Ensuite, la cour note que la mise à l'écart de la salariée n'avait pas "initialement" eu pour objet ou pour effet d'attenter à sa dignité ou à sa santé.

Par un arrêt rendu le 26 janvier 2016, la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 222-33-2 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC). Après avoir rappelé la substance de ces deux textes, la Chambre criminelle répond à chacun des deux arguments des juges d'appel et dispose que la cour "a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas en retenant que la caractérisation du délit de harcèlement moral exige, d'une part, que soient constatés des agissements répétés de nature différente, d'autre part, que ces agissements aient initialement eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la dignité et à la santé de la victime". La cassation des seules dispositions civiles est prononcée pour violation des textes visés.

II - Indifférence à l'égard de l'intention de l'auteur et de la temporalité des agissements

Des agissements répétés, quelle qu'en soit la nature. La Chambre criminelle précise donc que la répétition de propos ou de comportements, au sens du Code pénal, ne doit pas être entendue comme la conjonction d'agissements nécessairement différents. La réitération de comportements identiques suffit à caractériser l'infraction.

On notera, d'abord, que la Chambre criminelle reprend ici une formule déjà employée par la Chambre sociale à propos de l'étalement dans le temps des agissements de harcèlement (12). Comme ce critère temporel, l'exigence de faits différents n'est pas clairement exigée par le texte d'incrimination, si bien que la cour d'appel "ajoute à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas". La technique est tout de même osée puisque, nous l'avons vu, l'interprétation littérale stricte du texte pouvait aboutir au raisonnement inverse sans que cela ne soit choquant, sur le plan technique tout du moins. La pluralité des interprétations du texte pouvant être retenues montre une nouvelle fois que, n'en déplaise aux Chambres criminelle et sociale de la Cour de cassation (13), la définition légale du harcèlement moral n'est peut-être pas aussi claire qu'elles le jugent (14).

Au-delà du principe de légalité criminelle, on peine à être convaincu par le raisonnement des juges d'appel. Le harcèlement, quelle qu'en soit la forme, exige la répétition, au sens d'une usure de la victime par le renouvellement persistant de comportements vexatoires. Cette répétition répond tout aussi bien au harcèlement, qu'un même comportement soit sans cesse réitéré ou qu'une variété d'agissements se succèdent.

Le harcèlement moral est une infraction d'habitude qui n'exige donc pas que soient répétés des comportements purement identiques, mais plus largement des "actes semblables" qui, pris isolément, ne seraient pas punissables (15). Si l'on ose la comparaison avec l'infraction d'habitude, la plus souvent donnée en exemple qu'est l'exercice illégal de la médecine, le raisonnement des juges d'appel conduirait à ce que cette infraction ne soit pas punissable si l'auteur réitérait systématiquement le même acte médical, ce qui serait, évidemment, bien trop restrictif.

Outre le fait qu'elle clôt le débat sur la nature exacte du terme "répétées", employé par l'article 222-33-2 du Code pénal, la solution rendue par la Chambre criminelle présente également l'intérêt de préciser davantage le sens à retenir du texte d'incrimination. Il y a fort à parier que, par effet de ricochet, la même interprétation sera retenue par la Chambre sociale, si toutefois elle devait être saisie de cette question qui ne semblait pas, jusqu'ici, faire débat en droit du travail.

La confirmation du caractère formel de l'infraction de harcèlement moral. Par la seconde partie de son argumentation, la Chambre criminelle rappelle que le délit de harcèlement moral est bien une infraction formelle et même, comme le relève Romain Ollard, doublement formelle (16).

Cette fois, en effet, le texte d'incrimination est totalement dépourvu d'ambiguïté : l'altération des conditions de travail peut n'être que potentielle, tout comme l'atteinte à l'état de santé, à la dignité ou aux perspectives de carrière du salarié victime.

L'argumentation des juges d'appel suscitait là encore la circonspection. Non seulement l'ajout de l'adverbe "initialement" modifiait l'élément légal de l'infraction, mais de plus, on peine à comprendre comment cette précision pouvait être opérationnelle. Cet élément temporel ne peut être concilié avec l'intention de dégrader les conditions de travail (pour objet) car on voit mal comment cette intention peut être différée après la commission des agissements. A l'inverse, il est le plus souvent improbable que l'altération effective des conditions de travail, de la santé ou de la dignité du salarié (pour effet) soit immédiatement concomitante à la commission des agissements. Pour le dire autrement, si les agissements ont "pour objet" la dégradation, l'intention est toujours initialement présente, alors que si les agissements ont "pour effet" la dégradation, cet effet n'est jamais initial. L'ajout opéré par la cour d'appel avait donc pour conséquence de subjectiver le délit de harcèlement moral, de le limiter aux seuls cas dans lesquels l'intention du harceleur peut être démontrée, ce qui restreint bien trop le champ d'un texte dont, nous l'avons vu, l'interprétation sur ce point semble claire.

Pour conclure, on peut donc noter que la Chambre sociale et la Chambre criminelle adoptent, par des voies différentes, des positions parfaitement harmonieuses. L'intention de l'auteur du harcèlement, pas davantage qu'un quelconque critère temporel non prévu par les textes, n'ont d'importance dans la caractérisation du harcèlement.


(1) On relèvera que la première vise la dégradation de "ses" conditions de travail, tandis que la seconde envisage la dégradation "des" conditions de travail, ce qui, par une interprétation littérale, permettrait une approche plus vaste en droit pénal et une caractérisation du harcèlement par dégradation des conditions de travail globale dans l'entreprise et non, seulement, des conditions de travail du salarié victime. Les effets de la distinction demeurent assez hypothétiques.
(2) C. trav., art. L. 1153-1, 2° (N° Lexbase : L8840ITL) : "soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers".
(3) Cass. soc., 15 avril 2008, n° 07-40.290, F-D (N° Lexbase : A9760D7M).
(4) Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152, F-P (N° Lexbase : A7227EXX) et nos obs., La durée ne constitue pas un critère du harcèlement, Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N3017BPG).
(5) Cass. soc., 25 septembre 2012, n° 11-17.987, F-D (N° Lexbase : A6080ITD).
(6) Sur ce débat et en faveur d'une acception large, v. V. Malabat, A la recherche du sens du droit pénal du harcèlement, Dr. soc., 2003, p. 493.
(7) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321, FS-P+B (N° Lexbase : A1629ENN) ; Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL) et les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG).
(8) V., par ex., Cass. soc., 20 octobre 2011, n° 10-19.291, F-D (N° Lexbase : A8845HYA).
(9) Par ex., M. Véron, Droit pénal spécial, Sirey, 15ème éd., 2015, p. 81.
(10) En ce sens, v. Y. Mayaud, Pour une juste lecture de la qualification de harcèlement moral, RSC, 2014, p. 66.
(11) D'autres faits, dont la matérialité semblait discutée en appel, aggravaient la situation : menaces anonymes, disparition volontaire de tenues de travail, dégradation du repas de la salariée, etc.).
(12) Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152, F-P, préc..
(13) Cass. QPC, 11 juillet 2012, n° 11-88.114, F-P+B (N° Lexbase : A8805IQ8) ; Cass. QPC, 11 juillet 2012, n° 12-40.051, F-P+B (N° Lexbase : A8804IQ7).
(14) Le principe de légalité criminelle avait permis la remise en cause de la définition pénale du harcèlement sexuel (Cons. const., décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012 n° 2012-240 QPC N° Lexbase : A5658IKR, et les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel et le harcèlement sexuel, Lexbase Hebdo n° 485 du 17 mai 2012 - édition sociale N° Lexbase : N1900BTK), mais la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9) ayant institué le harcèlement moral est déjà passé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel par contrôle a priori (Cons. const., décision n° 2001-455 DC, du 12 janvier 2002 N° Lexbase : A7587AXB).
(15) V., B. Bouloc, Droit pénal général, D., 24ème éd., 2015, p. 22.
(16) V., déjà Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 10-82.266, F-P+B (N° Lexbase : A0348H9R) ; Cass. crim., 14 janvier 2014, n° 11-81.362, F-P+B (N° Lexbase : A7905KTX) et les obs. de R. Ollard, De la nature formelle de l'infraction de harcèlement moral, Lexbase Hebdo n° 562 du 13 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1168BUS).

Décision

Cass. crim., 26 janvier 2016, n° 14-80.455, F-P+B (N° Lexbase : A3388N7M).

Cassation (CA Montpellier, 19 décembre 2013).

Textes visés : C. pén., art. 222-33-2 (N° Lexbase : L5358IGK) ; C. pr. pén., art. 593 (N° Lexbase : L3977AZC).

Mots-clés : harcèlement moral ; délit ; répétition ; intention de l'auteur.

Liens base : (N° Lexbase : E5283EXX) ; (N° Lexbase : E0257E7N).

newsid:451292

Douanes

[Brèves] Application stricte de l'obligation pour l'administration des douanes de communiquer le montant des droits au débiteur préalablement à l'avis de mise en recouvrement

Réf. : Cass. com., 2 février 2016, n° 14-24.819, FS-P+B (N° Lexbase : A3153PKY)

Lecture: 1 min

N1272BWZ

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Le 18 Février 2016

Pour être recouvrés par la voie de l'avis de mise en recouvrement, les droits qui en font l'objet doivent avoir été régulièrement communiqués au débiteur (Code des douanes, art. 345 N° Lexbase : L0950ANI). Le montant des droits doit être communiqué au débiteur dès qu'il a été pris en compte par l'administration des douanes (Code des douanes communautaire, art. 221 N° Lexbase : L6102AUK). Ainsi, pour être régulière, cette communication doit avoir été précédée de leur prise en compte (CJCE, 23 février 2006, aff. C-201/04 N° Lexbase : A1457DNB). Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 2 février 2016 (Cass. com., 2 février 2016, n° 14-24.819, FS-P+B N° Lexbase : A3153PKY). En l'espèce, dans le cadre de son activité d'intermédiaire, la société requérante a, pour le compte de ses clients, importé des marchandises en provenance de fournisseurs établis hors de l'Union européenne. Le 7 septembre 2007, l'administration des douanes lui a notifié un redressement au motif que certaines sommes devaient être intégrées dans la valeur en douane taxable des marchandises. Par la suite, un avis de mise en recouvrement lui a été notifié le 28 septembre 2007. Dès lors, pour rejeter la demande d'annulation de l'avis de mise en recouvrement du 28 septembre 2007, les juges du fond ont retenu que le montant de la dette douanière a été régulièrement communiqué à la société par cet avis, après avoir été pris en compte le 12 septembre 2007 par l'administration des douanes. Toutefois, pour la Cour de cassation, qui a donné raison à la société requérante, cette décision est infondée car la prise en compte a eu lieu concomitamment à la notification et non antérieurement. Cet arrêt constitue une application stricte d'une solution dégagée par la Chambre commerciale en 2015 (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-10.774, FS-P+B N° Lexbase : A4356NBX).

newsid:451272

Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] L'exigence d'activité principale pour l'exonération partielle d'ISF des droits détenus par des mandataires sociaux

Réf. : Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-23.681, FS-P+B (N° Lexbase : A3925N3R)

Lecture: 6 min

N1283BWG

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par Sabrina Le Normand-Caillère, Maître de conférences à l'Université d'Orléans et Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité

Le 11 Février 2016

A l'occasion d'un arrêt rendu le 5 janvier 2016, la Chambre commerciale de la Cour de cassation interprète pour la première fois l'article 885 I quater du CGI (N° Lexbase : L5727IXE) (Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-23.681, FS-P+B). Pour appliquer l'exonération partielle d'impôt de solidarité sur la fortune des parts ou actions détenues par les salariés ou mandataires sociaux, les Hauts magistrats interprètent littéralement le texte (I). Si cette décision mérite approbation, elle laisse toutefois en suspens certaines interrogations s'agissant de sa portée. Il est ainsi regrettable que les Hauts magistrats se soient abstenus de définir expressément ce qu'il faut entendre par "activité principale" (II). I - L'interprétation littérale de l'exigence d'activité principale

En 1998, un contribuable a été révoqué de son mandat de président du conseil d'administration d'une société anonyme. Jusqu'en 2007, il a toutefois conservé sa qualité d'administrateur au sein de cette dernière dont il était également actionnaire.

Au titre des années 2006 à 2008, l'administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification en matière d'impôt de solidarité sur la fortune compte tenu d'une sous-évaluation de ses actions. Après mise en recouvrement et rejet de ses différentes réclamations, l'ancien dirigeant a saisi le tribunal de grande instance afin d'être déchargé des impositions supplémentaires. Lors d'un arrêt du 23 juin 2014, la cour d'appel de Nancy l'a débouté de ses demandes (CA Nancy, 23 juin 2014, n° 13/00342 N° Lexbase : A9320MRM). Selon les juges du fond, la qualité d'administrateur de l'ancien dirigeant ne suffirait pas à établir, au regard des dispositions de l'article 885 I quater du CGI, que l'exercice de cette fonction constituerait son activité principale. Pour la caractériser, il devrait, selon les juges, justifier des revenus perçus.

Saisie du litige, la Cour de cassation a dû interpréter la lettre de l'article 885 I quater du CGI, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 (N° Lexbase : L6429HET), s'agissant tout particulièrement de la condition "d'activité principale".

Dans son arrêt du 5 janvier 2016, la Chambre commerciale casse et annule la décision d'appel. Au visa de l'article 885 I quater du CGI, les Hauts magistrats réalisent une application littérale de ce texte en énonçant que "les parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises dans les bases d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune, à concurrence des trois quarts de leur valeur, lorsque leur propriétaire exerce son activité principale dans cette société comme salarié ou mandataire social".

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, l'article 885 I quater du CGI dispose que "les parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises dans les bases d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune, à concurrence des trois quarts de leur valeur, lorsque leur propriétaire exerce son activité principale dans cette société comme salarié ou mandataire social, ou y exerce son activité principale lorsque la société est une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu visée aux articles 8 (N° Lexbase : L1176ITQ) à 8 ter". En outre, les titres sociaux doivent restés la propriété du contribuable pendant une durée minimale de six années à compter du premier fait générateur au titre duquel l'exonération est sollicitée.

Mise à part la condition liée à l'activité principale, les deux autres exigences, posées par l'article 885 I quater du CGI, ne suscitent pas de difficulté particulière dans cette affaire.

D'une part, s'agissant de la qualité de mandataire social, l'administration considère depuis son instruction du 1er juin 2006 que sont visés par l'exonération "le président du conseil d'administration, les administrateurs, le président du conseil de surveillance, les membres du conseil de surveillance, le directeur général, les directeurs généraux délégués, les membres du directoire ou le gérant" (1). En tant que membre du conseil d'administration, le contribuable peut ainsi légitimement revendiquer l'exonération partielle de ses droits sociaux.

D'autre part, s'agissant de la durée de ses fonctions, l'ancien dirigeant a exercé ses fonctions de 1998 jusqu'en 2007. Cette condition est en conséquence remplie. L'exercice de son mandat est effectif en l'espèce puisqu'il est rapporté, dans les moyens annexés au pourvoi, que l'ancien dirigeant a préparé et participé à l'ensemble des réunions du conseil d'administration de la société, qu'il a sollicité la production d'un certain nombre de documents auprès des organes de direction et des commissaires aux comptes et s'est également chargé de suivre l'actualité du groupe.

Pour pouvoir bénéficier de l'exonération à hauteur des trois quarts de la valeur des droits sociaux, encore faut-il que l'activité exercée par le contribuable soit "principale". L'administration fiscale supporte ainsi la charge de la preuve du caractère non accessoire de l'activité (2). Dans le silence des textes, l'administration fiscale renvoie, dans son instruction, à l'exonération des biens professionnels (3). Or, l'article 885 N du CGI (N° Lexbase : L1128ITX) réserve le bénéfice de cette dernière mesure de faveur à l'exercice à titre principal par le propriétaire de biens d'une profession commerciale, artisanale, agricole ou libérale (4). Pour l'administration fiscale constitue l'activité principale "celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques même si elle ne dégage pas la plus grande part de ses revenus" (5). Si ce critère reste inopérant, l'activité principale se caractérise par celle qui attribue la plus grande part de revenus, mise à part ceux ne se rattachant pas à une activité professionnelle tels que les revenus fonciers ou encore les revenus de capitaux mobiliers ou encore ceux relevant d'une activité antérieure.

En l'espèce, les juges du fond ont recherché si la mission de membre de conseil d'administration exercée par le contribuable constituait son activité principale. Conformément à l'instruction fiscale dédiée à l'exonération des biens professionnels, ils ont utilisé la technique du faisceau d'indices. Ils ont ainsi pris en compte "le temps passé dans les différentes activités, l'importance des responsabilités exercées et les difficultés rencontrées, la taille de la société". Pour la cour d'appel, l'énoncé des activités du redevable ne suffisait pas à établir que l'exercice au sein de la société de ses fonctions de mandataire social car celui-ci "ne justifie pas avoir tiré des revenus de cette activité". Au visa de l'article 885 I quater du CGI, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Nancy pour avoir exigé que l'activité principale prenne en compte celle des revenus. Si elle semble valider la technique du faisceau d'indices utilisé par les juges du fond conformément à l'instruction fiscale, elle indique néanmoins que cette exigence d'activité principale "n'implique pas nécessairement de percevoir une rémunération". Ce critère n'ayant pas été retenu par le législateur lors de la rédaction de l'article 885 I quater, les juges du fond ont, en conséquence, ajouté à ce texte une condition qu'il ne prévoit pas.

De prime abord simple, cette décision s'avère néanmoins imprécise.

II - La portée de la décision

Si cette décision mérite approbation, elle laisse certaines zones d'ombre susceptibles d'incompréhension.

L'emploi de l'adverbe "nécessairement" laisse en effet planer un doute. A lire cette décision, l'existence d'une rémunération rétribuant le mandat social ne serait pas nécessaire pour bénéficier de l'exonération partielle. La preuve de l'absence de rémunération n'exclurait pas ipso facto le bénéfice du mécanisme de faveur.

Toutefois, au regard de l'instruction relative aux biens professionnels, diverses questions se posent. La rémunération constitue-t-elle un nouvel indice participant à la définition des activités économiques du contribuable ou alors est-elle un critère alternatif indépendant lorsque la traditionnelle technique du faisceau d'indices s'avère inopérante ? La rémunération peut-elle ainsi faire partie du faisceau d'indices permettant de caractériser l'existence d'une activité principale, notamment en cas de pluralité d'activités ? Corroborée par d'autres éléments, la rémunération pourrait permettre de départager les activités litigieuses. Si l'absence de rémunération ne peut permettre de déchoir le contribuable de l'exonération, il pourrait en aller différemment lorsque ce critère établit, avec d'autres éléments, le caractère accessoire de l'activité litigieuse.

Ce doute par la Cour de cassation laisse au lecteur un avis mitigé. Pourquoi la Cour de cassation ne s'est-elle pas saisie de la question afin de donner de lege ferenda une définition explicite et expresse de la notion d'activité principale ? Elle aurait ainsi pu souligner clairement ce qui relève absolument de l'activité principale et ne pas se borner simplement à indiquer ce qui n'implique pas "nécessairement". En utilisant la formule négative, par défaut, la Chambre commerciale laisse un pouvoir important d'appréciation aux juges du fond. Elle laisse surtout le champ libre à l'administrative fiscale d'interpréter cette notion, condition sine qua non du régime de faveur.

Enfin, cette décision peut paraître étonnante au regard des autres dispositifs d'exonération en matière d'impôt de solidarité sur la fortune. La rémunération est un critère déterminant dans la plupart des régimes de faveur comme en témoigne l'exonération complète des biens professionnels (6) ou encore celle relative au pacte Dutreil (7).


(1) BOI-PAT-ISF-30-30-10-30, n° 50 (N° Lexbase : X4374ALL).
(2) Cass. com., 10 mai 1988, n° 86-17.227, publié au Bulletin (N° Lexbase : A2081AHK) : Dr. fisc., 1988, n° 29-30, comm. 1600 ; Cass. com., 6 juin 1989, n° 88-13.836, inédit au Bulletin (N° Lexbase : A1297CUL) : Dr. fisc., 1989, n° 42, comm. 1941.
(3) BOI-PAT-ISF-30-40-80, n° 60 (N° Lexbase : X4237ALI) : l'activité principale "s'entend de celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques. Pour l'application de ce critère, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des activités professionnelles exercées par le redevable, y compris les professions salariées. Dans l'hypothèse où ce critère ne peut être retenu, il convient de considérer que l'activité principale est celle qui procure au redevable la plus grande part de ses revenus. Pour l'appréciation de cette notion, il convient de se reporter au BOI-PAT-ISF-30-30-10-30".
(4) CGI, art. 885 N : "Les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels".
(5) BOI-PAT-ISF-30-30-10-30, n° 10, préc..
(6) CGI, art. 885 O bis (N° Lexbase : L1126ITU) : "Les fonctions énumérées ci-dessus doivent être effectivement exercées et donner lieu à une rémunération normale. Celle-ci doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l'intéressé est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 (N° Lexbase : L2354IBS)".
(7) CGI, art. 885 I bis (N° Lexbase : L8951IQL) : "L'un des associés mentionnés au a exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation pendant les cinq années qui suivent la date de conclusion de cet engagement, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter (N° Lexbase : L1039HL3), ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option".

newsid:451283

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] Réduction d'ISF pour souscription au capital d'une PME : absence de la condition de permanence de l'activité de l'entreprise

Réf. : Cass. com., 2 février 2016, n° 14-24.441, FS-P+B (N° Lexbase : A3195PKK)

Lecture: 2 min

N1276BW8

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Le 12 Février 2016

La permanence de l'activité de l'entreprise, pendant le délai de cinq ans de détention des titres imposé au contribuable, n'est pas une condition d'application de la réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) prévue par l'article 885-0 V bis du CGI (N° Lexbase : L3817KWB). Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 2 février 2016 (Cass. com., 2 février 2016, n° 14-24.441, FS-P+B N° Lexbase : A3195PKK). En effet, l'article visé en l'espèce ne mentionne en aucun cas la notion de permanence de l'activité, dans sa version au moment des faits ou dans sa version actuelle. Dans l'affaire présentement soumise, le requérant, ayant souscrit au capital d'une société ainsi qu'à une augmentation du capital de celle-ci, a déduit une fraction du montant des versements effectués de la base de son imposition au titre de l'ISF. L'administration fiscale, au motif que cette société avait cessé son activité au bout de deux années, a remis en cause ces déductions et a mis en recouvrement les impôts et pénalités correspondants. Par la suite, la cour d'appel de Rennes a donné raison à l'administration en retenant que la condition de conservation des titres pendant une durée de cinq ans exigée par l'article 885-0 V bis du CGI doit être comprise comme celle de titres d'une société exerçant une activité, excluant celle de titres d'une société n'ayant plus d'activité, sauf si ces titres n'ont pu être conservés par suite de leur annulation pour cause de pertes ou de liquidation judiciaire (CA Rennes, 17 juin 2014, n° 13/03657 N° Lexbase : A7426MRH). Cependant, la Cour de cassation n'a pas suivi cette analyse. Selon la Haute juridiction, ni l'intention du législateur, ni les documents parlementaires publiés après la promulgation de la loi du 21 août 2007 (loi n° 2007-1223, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8) ne permettaient de considérer que le législateur avait entendu faire de la permanence de l'activité de l'entreprise, pendant le délai de cinq ans de détention des titres imposé au contribuable, une condition d'application de la réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune prévue par l'article 885-0 V bis du CGI. Pour justifier cette décision, il convient de remarquer que la doctrine administrative actuelle (BOI-PAT-ISF-40-30-30-10 N° Lexbase : X5051ALN), tout comme l'article de loi, n'évoque pas explicitement (ni tacitement) cette notion de permanence de l'activité .

newsid:451276

[Textes] Réforme du gage des stocks : "mais dans quel état j'erre ?"

Réf. : Ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016, relative au gage des stocks (N° Lexbase : L3474KYC)

Lecture: 10 min

N1251BWA

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 18 Mars 2016

Les amateurs de série ou de feuilletons connaissent, voire redoutent, le moment de la célèbre affirmation : "la suite au prochain épisode". Le gage des stocks, sans avoir ni l'humour d'un House M.D., ni le caractère addictif d'un 24, aura su tenir en haleine (toutes proportions gardées) le juriste amateur de péripéties "textuello-jurisprudentelles". L'ordonnance du 29 janvier 2016 semble constituer l'épisode final de ce feuilleton. Rappelons brièvement qu'à la suite de la réforme des sûretés par l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH), la question s'est posée de savoir si une sûreté réelle portant sur des stocks doit obligatoirement être soumise au régime du gage des stocks établi par les articles L. 527-1 (N° Lexbase : L2852IXW) et suivants du Code de commerce, ou si les parties peuvent avoir recours au droit commun du gage. Ce dernier est envisageable puisque le gage de droit commun, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006, peut porter sur des biens tels que les stocks : un gage sans dépossession peut porter sur un bien ou un ensemble de biens, présents ou futurs, et fongibles (C. civ., art. 2333 N° Lexbase : L1160HIS et s.).

Le régime spécial du gage des stocks étant lourd et inadapté, de nombreux contractants souhaitaient pouvoir utiliser le gage de droit commun.

La cour d'appel de Paris avait décidé que le créancier pouvait choisir s'il préférait prendre un gage des stocks ou un gage de droit commun (1). La Cour de cassation avait condamné cette solution, estimant que l'établissement de crédit qui souhaite une sûreté sur les stocks de son débiteur ne peut inscrire que le gage des stocks des articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce (2). La cour d'appel de Paris, sur renvoi, avait décidé de résister, en jugeant qu'aucune disposition n'interdit aux parties de choisir l'application du droit commun du gage, et qu'elles peuvent donc valablement se référer aux dispositions des articles 2333 et suivants du Code civil (3).
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a censuré cette résistance, en décidant que, "s'agissant d'un gage portant sur des éléments visés à l'article L. 527-3 du Code de commerce et conclu dans le cadre d'une opération de crédit, les parties, dont l'une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession" (4).

Entre-temps, l'article 240 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi "Macron" (N° Lexbase : L4876KEC), a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, avant le 6 février 2016, en vue de remplir deux objectifs. D'une part, il s'agissait de "rapprocher le régime applicable au gage des stocks [...] du régime de droit commun du gage de meubles corporels [...], pour le clarifier et rendre possible le pacte commissoire et le gage avec ou sans dépossession, en vue de favoriser le financement des entreprises sur stocks". D'autre part, il s'agissait de "modifier le régime applicable au gage de meubles corporels et au gage des stocks dans le cadre [des procédures collectives] en vue de favoriser la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif".

L'ordonnance commentée, en date du 29 janvier, a décidé de ne traiter que de la première problématique (5). Conformément au périmètre de l'habilitation législative, ce texte rapproche le régime du gage des stocks de celui du gage de droit commun.

Ce rapprochement est visible dès la nouvelle définition du gage des stocks, puisque celle-ci repart de la définition générale du gage telle que donnée par l'article 2333 du Code civil (C. com., art. L. 527-1, al. 1er, nouv. N° Lexbase : L3926KY3).

Pour le reste, l'ordonnance cherche, de manière louable, à accroître la simplicité du gage des stocks (I) et à renforcer la place de la liberté contractuelle (II). Des questions demeurent toutefois en suspens (III).

I - Un gage des stocks plus simple

Il était difficile de faire plus inutilement complexe que le gage des stocks version 2006. Aussi, la version 2016 s'est-elle efforcée de simplifier un certain nombre de points.

D'abord, le contrat nécessite pour sa validité beaucoup moins de mentions obligatoires qu'auparavant (C. com., art. L. 527-2, nouv. N° Lexbase : L3925KYZ). Désormais, l'écrit qui constate le gage doit désigner les créances garanties, décrire les biens gagés (en nature, qualité, quantité et valeur), indiquer leur lieu de situation, préciser la durée de l'engagement (ou préciser qu'il est à durée indéterminée) et, enfin, mentionner l'identité du tiers, en cas d'entiercement des stocks.

Ces mentions sont logiques : il est difficile d'imaginer un contrat de sûreté qui n'identifie pas la créance garantie ou les biens grevés. Le contrat constitutif est ainsi expurgé des mentions lourdes et inutiles qu'il devait comporter antérieurement : dénomination obligatoire d' "acte de gage des stocks", ou mention que l'acte est soumis aux dispositions du Code de commerce notamment.

Ensuite, la publicité du gage revient à sa fonction principale, à savoir l'opposabilité de la sûreté aux tiers. Dans sa version précédente, l'article L. 527-4 (N° Lexbase : L1402HIR) faisait de l'inscription du gage sur un registre du tribunal de commerce une condition de validité : la sanction du défaut de publicité était en effet la nullité. Dorénavant, toute référence à la nullité est écartée de ce texte (C. com., art. L. 527-4, nouv. N° Lexbase : L3923KYX). Cette évolution est cohérente. Certes, il existe encore certaines sûretés pour lesquelles la publicité est requise à peine de nullité, telles que le nantissement de fonds de commerce (C. com., art. L. 142-4 N° Lexbase : L1841KGB). Néanmoins, un tel formalisme est difficilement compréhensible en matière commerciale.

En outre, la clause d'arrosage a été assouplie. Ce mécanisme, qui protège le créancier contre une perte de valeur importante des biens grevés, était sans doute trop rigide dans la version datant de 2006 (C. com., art. L. 527-6 N° Lexbase : L1403HIS). C'était en cas de diminution de 20 % de la valeur des stocks grevés que le créancier pouvait réagir, en mettant en demeure le débiteur de rétablir la garantie ou de rembourser une partie des sommes prêtées en proportion de la diminution constatée. A défaut, le créancier pouvait exiger le remboursement total de la créance, alors considérée comme échue.

Ce mécanisme à double détente a été remplacé par un double mécanisme (C. com., art. L. 527-6, nouv. N° Lexbase : L3921KYU), en fonction de l'ampleur de la diminution. Si la valeur des stocks diminue d'au moins 10 %, le créancier peut exiger, après mise en demeure du débiteur, le rétablissement de la garantie ou le remboursement d'une partie des sommes prêtées en proportion de la diminution constatée. Si la valeur des stocks a diminué d'au moins 20 %, le créancier peut exiger, après mise en demeure du débiteur, le remboursement total de la créance considérée comme échue. Ce double seuil, avec deux degrés de réponse indépendants, est judicieux : le droit le plus virulent du créancier, à savoir obtenir le remboursement total, est déclenché en cas de diminution importante. En cas de diminution plus faible, un remboursement partiel ou la reconstitution des stocks apparaît une mesure suffisante pour préserver les droits du créancier.

Le texte réserve la possibilité pour les parties de stipuler une clause d'arrosage avec des taux supérieurs. Il faut en déduire que la stipulation de taux inférieurs n'est pas permise. Ceci évite que les créanciers n'imposent des seuils de déclenchement trop faibles, ce qui entraverait l'exercice de leur activité par les débiteurs.

Enfin, l'ordonnance du 29 janvier 2016 a fait disparaître l'obligation d'assurance des stocks contre les risques d'incendie et de destruction, auparavant imposée par l'article L. 527-6, alinéa 2. Assurément, cette suppression oeuvre dans le sens d'une plus grande simplicité, et même d'une liberté contractuelle accrue. Pour autant, elle ne mérite pas une approbation sans réserve. Certes, la constitution du gage des stocks s'en trouve allégée, le débiteur n'ayant plus à conclure au préalable un contrat d'assurance. Mais la sécurité du créancier s'en trouve également allégée. En effet, l'intérêt pour le créancier que la chose grevée de la sûreté soit assurée est qu'en cas de perte de la chose, ses droits sont reportés de plein droit, par le jeu de la subrogation réelle, sur l'indemnité d'assurance (C. assur., art. L. 121-13 N° Lexbase : L0089AAK). L'obligation d'assurance constituait donc un avantage supplémentaire pour le créancier. Néanmoins, les parties peuvent toujours prévoir contractuellement une telle obligation.

II - La liberté contractuelle renforcée

Les contractants qui souhaitent affecter des stocks en garantie disposeront à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 29 janvier 2014 d'une liberté contractuelle accrue, sur trois points au moins.

D'une part, conformément au droit commun du gage, ils pourront décider si la sûreté est constituée avec ou sans dépossession du débiteur (C. com., art. L. 527-1, al. 2, nouv.). Pour accompagner cette faculté, le nouvel article L. 527-1, par une énumération illisible dont seul le législateur contemporain a le secret, déclare applicable au gage des stocks un certain nombre de dispositions du doit commun, notamment celles relatives à la dépossession (dépossession de choses fongibles, remboursement des dépenses utiles et nécessaires, sanction de l'obligation de conservation du gage, perception et imputation des fruits, etc.). L'article L. 527-4, quant à lui, prévoit que la dépossession rend le gage des stocks opposable aux tiers, de manière comparable au droit commun (C. civ., art. 2337, al. 2 N° Lexbase : L7229IAY).

Cette possibilité renforce la liberté contractuelle et tend à rapprocher le gage des stocks du gage de droit commun. Il est cependant permis de s'interroger sur l'intérêt de la dépossession dans une sûreté comme le gage des stocks. Les stocks ont vocation à être vendus, et reconstitués. D'où ce mécanisme de sûreté flottante, rappelé par l'article L. 527-5, alinéa 2 (N° Lexbase : L3922KYW). Le constituant va-t-il pouvoir paisiblement exercer son activité professionnelle s'il a été dépossédé de ses stocks ?

D'autre part, la réalisation du gage des stocks est dorénavant calquée sur celle du gage de droit commun, par renvoi aux articles 2346 (N° Lexbase : L1173HIB) à 2348 du Code civil (C. com., art. L. 527-1, nouv. et L. 527-8, nouv. N° Lexbase : L3919KYS). Par conséquent, les parties sont désormais libres de stipuler un pacte commissoire dans leur contrat. Cette clause, qui était interdite auparavant (C. com., art. L. 527-2 N° Lexbase : L1400HIP), permettra au créancier de devenir de plein droit propriétaire des stocks grevés en cas de défaillance du débiteur. Il s'agissait là de l'une des principales différences entre le gage de droit commun et le gage des stocks.

Enfin, l'ordonnance du 29 janvier 2016 met un terme final à la controverse qui opposait la Cour de cassation et la cour d'appel de Paris. Le nouvel article L. 527-1, alinéa 4, dispose que "les parties demeurent libres de recourir au gage des stocks [...] ou au gage de meubles corporels" prévu par le Code civil. Les parties ont donc le choix entre le gage du Code civil et celui du Code de commerce.

Ce faisant, les rédacteurs de l'ordonnance donnent raison à la cour d'appel de Paris, désavouant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Il faut avouer que la solution choisie par l'ordonnance était prévisible au regard de l'article 240 de la loi du 6 août 2015, et que l'on peine à comprendre la position de la Cour de cassation. N'eut-il pas mieux valu attendre la promulgation de l'ordonnance, et rendre une décision en conformité avec le texte ? La situation sera d'autant plus difficilement acceptable pour le créancier concerné que la Cour d'appel de renvoi, celle de Versailles en l'occurrence, devra refuser le choix entre les deux sûretés, conformément à ce qu'a décidé l'Assemblée plénière, et étant précisé que l'ordonnance de 2016 ne s'applique pas aux contrats conclus avant son entrée en vigueur, le 1er avril 2016 (ordonnance n° 2016-56, art. 3).

III - Les questions en suspens

A la lecture de l'ordonnance du 29 janvier 2016, deux points nous semblent principalement demeurer incertains.

En premier lieu, le créancier doit-il respecter un délai pour procéder à la publicité de son gage sans dépossession, s'il a choisi le régime spécial du Code de commerce ? Avant la réforme, le texte exigeait que l'inscription soit réalisée dans les quinze jours de l'acte constitutif (6). Le nouvel article L. 527-4 ne précise plus aucun délai. S'agit-il d'un oubli des rédacteurs de l'ordonnance ou d'une modification volontaire et consciente ?

En faveur de l'oubli, il est possible d'avancer que le rapport remis au Président de la République relatif à l'ordonnance n'envisage aucunement ce délai, ni pour le déterminer, ni pour préciser qu'il n'y en a plus. En faveur d'une modification volontaire, il est permis de remarquer que l'ordonnance ne fait plus de la publicité une condition de validité du gage des stocks (cf. supra), ce qui laisse penser que le nouvel article L. 527-4 a été réfléchi par les rédacteurs de l'ordonnance.

Quoi qu'il en soit, la disparition de ce délai ne prête guère à conséquences : c'est au créancier qu'il appartient de procéder à la publicité et une formalité tardive ne peut nuire qu'à lui. Un délai n'est donc pas utile, à l'instar de ce qui existe en matière d'inscription hypothécaire.

En second lieu, l'ordonnance, en laissant le choix aux parties entre gage de droit commun et gage spécial des stocks, renforce les questions qui se posaient quant à l'utilité, et donc l'avenir, du régime spécial. Le gage des stocks a été à ce point rapproché du gage de droit commun qu'il est permis de se demander si son existence est véritablement nécessaire. La seule vraie différence qui subsiste est celle de la clause d'arrosage : elle est expressément prévue par les textes pour le gage des stocks, tandis que le Code civil est muet à ce propos pour le gage de droit commun. La différence est minime : rien n'interdit aux parties qui recourent au gage de droit commun de stipuler une clause d'arrosage. Le créancier étant un établissement de crédit, rompu à ce genre de contrats et de clauses, une telle stipulation ne lui posera guère de difficulté.

Il est incontestable que le droit français connaît de nombreuses sûretés réelles. Un certain nombre d'auteurs, dont nous confessons faire partie, estime qu'il y a même trop de sûretés réelles. Un certain "nettoyage" ne serait sans doute pas inutile. Et avant même d'envisager des suppressions ou des regroupements de sûretés, ne serait-il pas opportun d'éviter les doublons ? Le droit commun du gage suffirait largement à permettre de grever des stocks.


(1) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 3 mai 2011, n° 10/13656 (N° Lexbase : A9188HZC), RTDCiv., 2011, p. 785, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal., 22 décembre 2011, p. 21, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
(2) Cass. com., 19 février 2013, n° 11-21763, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3699I8I), D., 2013, p. 493, note R. Damman et G. Podeur ; JCP éd. G, 2013, 539, note N. Martial-Braz ; JCP éd. G, 2013, 585, n° 16, obs. Ph. Delebecque ; Gaz. Pal. 21 mars 2013, p. 22, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RLDC, 1er avril 2013, p. 26, note Ch. Gijsbers ; V. Téchené, Consécration du caractère exclusif du régime juridique du gage de stock, Lexbase Hebdo n° 329 du 28 février 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6011BTS). Adde, M. Bourassin, La force d'attraction du gage des stocks", D. 2013, p. 1363.
(3) CA Paris, 27 février 2014, n° 13/03840 (N° Lexbase : A0421MGP), D., 2014, p. 924, obs. Ch. Gijsbers ; A. Bordenave, Gage de stocks : une espérance nouvelle à encourager, Lexbase Hebdo n° 381 du 14 mai 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2163BUN).
(4) Ass. plén., 7 décembre 2015, n° 14-18.435, P+B+R+I (N° Lexbase : A7203NYG), nos obs., Gage des stocks et droit commun du gage, Lexbase Hebdo n° 449 du 7 janvier 2016 - édition affaires (N° Lexbase : N0598BW3).
(5) La réforme, relative aux procédures collectives, n'aura donc pas vu le jour, puisque le délai fixé par la loi d'habilitation est désormais expiré.
(6) Sûrement par mimétisme avec le nantissement du fonds de commerce. Notons cependant que le délai pour procéder à la publicité de celui-ci a été allongé à trente jours par la loi "Macron" (art. 107 de la loi ; C. com., art. L. 142-4 N° Lexbase : L1841KGB).

newsid:451251

Licenciement

[Brèves] Lettre de licenciement reprochant au salarié d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail : nullité du licenciement

Réf. : Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-18.600, FS-P+B (N° Lexbase : A3233PKX)

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N1265BWR

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Le 11 Février 2016

Le fait pour l'employeur de reprocher au salarié dans la lettre de licenciement d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail entraîne à lui seul la nullité du licenciement, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 février 2016 (Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-18.600, FS-P+B N° Lexbase : A3233PKX).
En l'espèce, engagé le 9 décembre 1983 par la société X en qualité de responsable mission révision pour occuper en dernier lieu les fonctions de directeur régional, M. Y a saisi, le 4 mars 2010, la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat de travail. Mis à pied à titre conservatoire le 23 mars 2010, il a été licencié pour faute grave par lettre du 7 avril 2010.
La cour d'appel (CA Versailles, 9 avril 2014, n° 12/02343 N° Lexbase : A8770MIN) ayant prononcé la nullité du licenciement et l'ayant condamné à payer au salarié diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail, l'employeur s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9237ESW).

newsid:451265

Procédure administrative

[Brèves] Office du juge du référé "mesures utiles" : impossibilité de faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, y compris celle refusant la mesure demandée, sauf péril grave

Réf. : CE, 5 février 2016, n° 393540, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5083PKH)

Lecture: 1 min

N1328BW4

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Le 12 Février 2016

Le juge du référé "mesures utiles" ne saurait faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu'il ne s'agisse de prévenir un péril grave, indique le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 février 2016 (CE, 5 février 2016, n° 393540, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5083PKH). L'administration pénitentiaire a rejeté les demandes de M. X tendant à l'adoption des mesures qu'il a ensuite demandé au juge des référés d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU), à savoir la délivrance du matériel nécessaire à l'entretien de sa cellule et à son hygiène personnelle. Tenu de ne pas faire obstacle à l'exécution de ces décisions, ce juge ne pouvait, dès lors, que rejeter les demandes dont il était ainsi saisi .

newsid:451328

Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] La simulation et le régime de communauté, ou comment créer un acquêt sans paiement...

Réf. : Cass. civ. 1, 13 janvier 2016, n° 14-17.911, F-D (N° Lexbase : A9421N3C)

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N1332BWA

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 11 Février 2016

"Après avoir constaté que la cession de parts sociales intervenue entre M. Z et Mme Y était assortie d'une contre-lettre excluant le paiement effectif du prix mentionné à l'acte apparent, la cour d'appel en a exactement déduit que l'acte secret n'était pas opposable à Mme X, laquelle avait la qualité de tiers à cette contre-lettre et que les parts sociales litigieuses ainsi acquises constituaient des biens communs". Voici une décision peu courante, rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 janvier 2016, qui se prononce sur l'incidence d'un cas de simulation en cas d'acquisition mobilière par un époux commun en biens suivi d'un apport à une société créée en cours de communauté. En l'espèce, deux femmes (Mme X et Mme Y) créent une société nommée S., le capital social étant réparti également entre elles. Fait remarquable, Mme X, se marie ultérieurement avec M. Z, qui n'est autre que le fils de son associée, Mme Y, le tout sous le régime de la communauté. En 2005, M. Z acquiert les parts sociales de sa mère, Mme Y, les parties prévoyant une contre-lettre aux termes de laquelle l'acquéreur était dispensé du paiement effectif du prix mentionné dans l'acte de cession. En 2009, les époux XZ créent une société N., à laquelle ils apportent toutes les parts de la société S. et M. Z est désigné comme gérant de la société nouvellement créée. En 2010, Mme X a revendiqué la qualité d'associée dans la société N. au titre des parts sociales acquises par M. Z au cours du mariage. En 2011, l'assemblée des actionnaires révoque M. Z de ses fonctions de gérant et désigne Mme X pour le remplacer. Un arrêt du 5 décembre 2013 (CA Nîmes, 5 décembre 2013, n° 11/04750 N° Lexbase : A7217KQD) rejette la demande de Mme Y (mère de M. Z) tendant à l'annulation de la cession de parts sociales du 1er juillet 2005, aux motifs que l'acte apparent dissimulait une donation. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par M. Z et décide que les parts ainsi acquises constituaient des biens communs. Le piège était absolument diabolique... Mme X était associée d'origine de la société S., ses 50 % des parts sociales constituant, au regard de son régime matrimonial, des biens propres puisqu'il s'agissait de biens présents au jour du mariage. Son mari, quant à lui, n'était pas un associé d'origine de la société, puisque les 50 % qu'il a fini par détenir dans la société S. résultaient d'un acte à titre onéreux conclu avec sa propre mère. C'est la qualification de ces 50 % qui constitue le coeur de la présente décision. En effet, lorsque les époux XZ, qui détenaient à eux deux 100 % de la société S., ont apporté leurs parts sociales à la société N., il était certain que la moitié de cet apport était effectué par Mme X au moyen de ses biens propres. Elle a donc été associée pour 50 % du capital de la société nouvellement créée. Son mari pensait aussi être associé à 50 % du fait de son apport à lui, mais c'était compter sans la revendication de la qualité d'associée que son épouse a finalement faite, se fondant sur les dispositions de l'article 1832-2 du Code civil (N° Lexbase : L2003ABS). En effet, ce texte dispose qu'en régime de communauté, si un époux apporte des biens communs à une société dont les parts sociales sont non négociables, le conjoint de l'apporteur peut revendiquer la qualité d'associé à hauteur de la moitié de l'apport. En clair, Mme X voulait la moitié des droits sociaux de son conjoint, afin des les ajouter à la moitié du capital social qu'elle détenait déjà en propre afin de disposer, en tout de 75 % du capital de la société N.. Avec une majorité des trois quarts, la gouvernance de la société ne pouvait donc lui échapper, et il ne lui échappa d'ailleurs pas. Le mari fut révoqué de ses fonctions de gérant, et l'épouse conquérante se fit nommer gérante à sa place. Bref, c'était un putsch sociétaire assorti d'un putsch familial...

On comprend aisément que cette subtile prise de pouvoir supposait que les 50 % de parts sociales que le mari avait apporté à la société N. soient qualifiées de biens communs, sans quoi aucune revendication fondée sur l'article 1832-2 ne pouvait prospérer. Un élément rendait cependant cette qualification peut-être discutable : la contre-lettre qui assortissait la cession de droits sociaux entre Mme Y et son fils, et qui faisait que cette acquisition stipulée à titre onéreux ne le serait jamais dans les rapports entre la mère et le fils. Entre eux, certes oui, mais quid à l'égard des tiers ? Poser cette question revient forcément à poser une seconde question, qui n'a pas échappé à l'auteur du pourvoi : l'épouse du mari, auteur de la contre-lettre, est-elle un tiers au sens des dispositions de l'article 1321 du Code civil (N° Lexbase : L1432ABN) ? On le voit donc, tout le débat était celui de savoir si l'onérosité affichée dans l'acte apparent (l'acte de cession des parts sociales de Mme Y) pouvait être opposée par l'épouse du cessionnaire à ce dernier, ou si, au contraire, l'épouse était un tiers au sens du texte précité et devait donc voir dans cette cession un acte à titre gratuit, ce qui lui interdisait alors toute revendication de la qualité d'associé.

La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, a décidé que le conjoint du cessionnaire était bien un tiers (au sens de l'article 1321 du Code civil) par rapport à la contre-lettre qui dispensait cessionnaire de tout paiement effectif du prix de la cession et qu'en conséquence les parts sociales cédées l'avaient été à titre onéreux, faisant d'elles des biens communs dans le régime matrimonial du cessionnaire (CA Nîmes, 20 mars 2014, n° 11/00654 N° Lexbase : A1974MHL). C'est donc bien un apport d'actifs communs que le mari avait fait à la société N.. L'article 1832-2 du Code civil pouvait donc s'appliquer, offrant une majorité des trois-quarts à l'épouse...

La solution est-elle choquante ? Nous ne le pensons pas. En effet, est-il possible d'affirmer que l'épouse était reliée, d'une façon ou d'une autre, à la contre-lettre afin d'écarter la qualification de tiers ? La réponse ne peut être que négative, puisque tant la contre-lettre que l'acte apparent relèvent des pouvoirs de gestion concurrente de l'époux qui les a signés tous les deux. Le conjoint du signataire n'a strictement aucun pouvoir de contrôle ou d'intervention, et ne saura probablement pas (ou alors tardivement) que l'acte apparent (à titre onéreux) est démenti par une contre-lettre qui affirme la gratuité de l'opération. On se souviendra ici que la Cour de cassation décide que le tiers complice est celui qui participe activement à la simulation (Cass. civ. 3, 8 juillet 1992, n° 90-12.452 N° Lexbase : A3136AC7, Bull. civ. III, n° 246 ; JCP éd. G, 1993, II, 21982, note G. Wiederkehr) et que la seule connaissance de la simulation par le tiers ne suffit pas à caractériser sa participation active (Cass. civ. 1, 17 novembre 1999, n° 97-16.749 N° Lexbase : A9243CHS, Bull. civ. I, n° 311; Defrénois, 2000, 716, obs. Ph. Delebecque). De sorte que si une connaissance de la simulation ne vaut pas complicité (et donc préserve la qualité de tiers), que dire, a fortiori, de celui qui ignorait tout de la simulation ? Il en va forcément de même : il est nécessairement un tiers.

Bien sûr, la solution peut paraître sévère, car voici un acquêt créé alors que la communauté ne s'est absolument pas appauvrie. En effet, l'onérosité qui justifie l'existence d'un acquêt n'est que de pure façade puisque dans la réalité la communauté n'a jamais eu à payer cette acquisition du fait de l'existence de la contre-lettre. C'est donc un acquêt sans paiement. Mais est-ce réellement si choquant ? Nous ne le pensons pas car la qualification est acquise en raison de la volonté déclarée de l'époux. Or, ce dernier est toujours libre d'écarter la gratuité d'une opération afin de faire entrer, volontairement, le bien en communauté. L'apport en communauté n'est rien d'autre que cela. Certes, on peut dire que cette volonté est déclarée mais non réelle, puisque la volonté profonde de cet époux est de dire que l'opération a été conclue à titre gratuit. Mais on retrouve alors la difficulté précédemment signalée : l'autre époux (celui qui ne participe pas à l'opération) n'a strictement aucun moyen de savoir quelle est cette volonté secrète, et quand bien même il la connaîtrait, il ne participe pas à la simulation. Il reste étranger à celle-ci. C'est donc bien l'acte apparent qui doit être pris en compte pour la qualification du bien.

Enfin, la présente solution garantit fort bien les droits des créanciers du signataire des deux actes. Ces derniers peuvent s'en tenir à la qualification découlant de l'acte apparent, et la contre-lettre leur est indifférente. On préserve ainsi le principe d'immutabilité des conventions matrimoniales que la solution contraire malmènerait sérieusement.

Au total, le présent arrêt est d'une originalité certaine quant à l'hypothèse tranchée, mais le sens de la décision doit être pleinement approuvé. Il existe ainsi des acquêts sans paiement, ou si l'on préfère des acquêts par déclaration unilatérale d'un époux. Au cas d'espèce, nul ne disconviendra de ce que le résultat final est assez dur pour le mari, qui perd la majorité (et donc le contrôle) d'une société où il a possédé 50 % des parts sociales, se retrouvant réduit à 25 % du capital. Cependant, cette dureté découle de sa propre volonté de ne pas dire officiellement qu'il était destinataire d'une libéralité. Nul doute qu'une raison fiscale sous-tendait ce refus de dire les choses ouvertement (mais en pure perte, puisqu'il est jugé que les tiers qui y ont intérêt, comme le Trésor, peuvent se prévaloir de l'acte secret, v., Cass. civ. 1, 19 juin 1984, n° 83-12.396 N° Lexbase : A0315AH7, Bull. civ. I, n° 205 ; Cass. com., 14 mai 1985, n° 83-15.047 N° Lexbase : A4349AAC, Bull. civ. IV, n° 153 ; Cass. civ. 1, 17 septembre 2003, n° 01-12.925 N° Lexbase : A6251PKQ, Bull. civ. I, n° 181). La présente affaire invite donc chacun à prendre ses responsabilités : l'époux qui devra assumer les conséquences de ses choix officiels, mais aussi l'avocat ou le notaire qui aura recommandé le recours à la simulation sans avertir des dangers qu'elle recèle en régime de communauté... A bon entendeur...

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Social général

[Brèves] Obligation de travailler en prison après avoir atteint l'âge de la retraite : la CEDH se prononce pour la première fois

Réf. : CEDH, 9 février 2016, Req. 10109/14 (N° Lexbase : A5215PKD)

Lecture: 2 min

N1315BWM

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Le 12 Février 2016

En l'absence d'un consensus suffisant parmi les Etats membres du Conseil de l'Europe quant à l'obligation des prisonniers de travailler après avoir atteint l'âge de la retraite, il convient de souligner, d'une part, que les autorités suisses jouissent d'une marge d'appréciation considérable et, d'autre part, qu'il est impossible d'en tirer une interdiction absolue au titre de l'article 4 (N° Lexbase : L4775AQW) de la Convention. Le travail obligatoire effectué pendant la détention peut donc être considéré comme un travail requis normalement d'une personne soumise à la détention selon les termes de l'article 4 de la Convention. Dès lors, il ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire au sens du même article de la Convention. Telle est la solution dégagée par la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt rendu le 9 février 2016 (CEDH, 9 février 2016, Req. 10109/14 N° Lexbase : A5215PKD).
En l'espèce, le requérant est un ressortissant suisse, né en 1946, et est actuellement interné à Regensdorf. Par arrêt du 4 juillet 2003, le tribunal supérieur du canton de Zurich condamna le requérant à quatre ans et quatre mois de prison ferme. En mars 2010, le tribunal supérieur suspendit l'exécution de la peine privative de liberté en faveur d'un internement et le 6 décembre 2011, le requérant demanda à être dispensé de l'obligation de travailler dans le cadre de l'exécution des peines et des mesures. Cette requête fut rejetée et le requérant fut condamné à un régime carcéral plus strict à cause de son refus de travailler. Cette décision fut ultérieurement annulée à la suite d'un recours du requérant. Par un recours du 15 février 2013, le requérant s'adressa au Tribunal fédéral, invoquant notamment une application erronée des dispositions du Code pénal et des violations de la dignité humaine et de la liberté personnelle au sens de la Constitution fédérale. Le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant en expliquant que l'obligation faite aux détenus de travailler n'était pas en soi contraire aux droits de l'Homme, pour autant que le travail proposé était adapté aux capacités, à la formation et aux intérêts du détenu.
Invoquant l'article 4 § 2 de la CESDH (interdiction du travail forcé), le requérant allègue une violation de son droit de ne pas être soumis à un travail forcé ou obligatoire et souligne qu'il a atteint l'âge de la retraite. Invoquant l'article 14 (N° Lexbase : L4747AQU) (interdiction de la discrimination), il dénonce une discrimination qu'il aurait subie en tant que détenu ayant atteint l'âge de la retraite par rapport à une personne en liberté qui n'est pas obligée de continuer à travailler. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l'Homme le 26 janvier 2014.
La question de l'obligation de travailler en prison après avoir atteint l'âge de la retraite se pose ici à la Cour pour la première fois. En énonçant la règle susvisée la CEDH déclare qu'il n'y a pas eu violation de l'article 4 de la CESDH.

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Sociétés

[Brèves] Cession de droits sociaux : défaut de qualité à agir du tiers évincé en annulation de la préemption prévue par les statuts

Réf. : Cass. com., 2 février 2016, n° 14-20.747, FS-P+B (N° Lexbase : A3238PK7)

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N1302BW7

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Le 12 Février 2016

Si l'acquéreur de droits sociaux évincé a intérêt à l'annulation de la préemption prévue par les statuts, exercée par son bénéficiaire, il n'a pas qualité pour agir à cette fin. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 février 2016 (Cass. com., 2 février 2016, n° 14-20.747, FS-P+B N° Lexbase : A3238PK7). En l'espèce, les statuts d'une filiale commune à deux sociétés qui détenaient, chacune, 50 % de son capital, stipulaient que si l'un des associés projetait de céder à un tiers sa participation dans le capital de la filiale, l'autre associé aurait la faculté d'exercer son droit de préemption. L'une des deux associées a notifié à l'autre l'offre d'achat d'un tiers de la totalité de sa participation. L'associée non-cédante a exercé le droit de préemption au prix proposé par le tiers. Ce dernier, soutenant que le droit de préemption n'avait pas été régulièrement exercé, a assigné la cédante des droits sociaux, la cessionnaire et la société cible aux fins de cession à son profit des actions de cette dernière détenues par la cédante. Le tiers a également formé contre la cessionnaire une demande de dommages-intérêts pour exercice fautif de son droit de préemption. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui n'avait pas fait droit à ces deux demandes (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 6 mai 2014, n° 14/03884 N° Lexbase : A7941MKC). D'abord, énonçant la solution précitée, elle confirme l'arrêt d'appel ayant relevé que le demandeur, tiers à la convention de préemption, n'avait aucun lien de droit avec le bénéficiaire de celle-ci, de sorte qu'il en a exactement déduit qu'il n'avait pas qualité pour agir en nullité de la décision de préemption ainsi qu'en cession des actions à son profit. Par ailleurs, si les statuts de la société cible imposent à l'associé non-cédant de notifier dans les formes et délais prescrits son intention d'exercer son droit de préemption et de se porter acquéreur des actions à céder au prix de transaction, ils ne comportent aucune autre obligation, ni restriction, quant aux modalités de paiement du prix ou à la date du transfert de propriété, lesquelles relèvent de la seule volonté des associés cédant et cessionnaire. Dès lors ayant retenu que les statuts, qui avaient seuls vocation à s'appliquer, n'imposaient pas au bénéficiaire du droit de préemption de se substituer à l'acquéreur évincé dans toutes les modalités accessoires de son offre, la cour d'appel, qui a fait application de stipulations claires et dépourvues d'ambiguïté, ne nécessitant donc aucune interprétation, a statué à bon droit (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1049AEL).

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Urbanisme

[Jurisprudence] Le périmètre de protection des monuments historiques ou la quadrature du cercle ?

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 20 janvier 2016, n° 365987, 365996, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5758N4Z)

Lecture: 18 min

N1289BWN

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

Le 11 Février 2016

L'arrêt rendu le 20 janvier 2016 par le Conseil d'Etat retiendra l'attention à plus d'un titre. En plus de rappeler certains aspects très pratiques de l'application du principe du contradictoire et des obligations qui en découlent pour le juge et les parties, il opère une clarification partielle et inédite touchant aux modalités d'appréciation du fameux périmètre de protection de 500 mètres instauré autour des monuments historiques par la loi du 31 décembre 1913, relative aux monuments historiques. En l'occurrence, une société civile immobilière abritant un cabinet médical avait, pour réaliser une extension du cabinet, sollicité plusieurs autorisations d'urbanisme qui lui avaient été accordées : le maire de Strasbourg lui avait délivré le 4 septembre 2007 un permis de démolir, suivi, le 14 septembre 2007 d'un permis de construire qui avait fait l'objet d'un permis modificatif du 21 mai 2008. L'arrêt n'apporte pas de précisions sur la nature de la construction ni sur son ampleur, les deux permis de construire ayant été contestés sur le fondement de la procédure de délivrance par les propriétaires de la parcelle voisine.

On en profitera pour rappeler que les recours des particuliers ne peuvent plus guère aujourd'hui émaner que des plus proches voisins du projet, la jurisprudence et le Code de l'urbanisme ayant récemment réduit de manière très significative les possibilités d'agir contre les autorisations d'urbanisme, sous le prétexte de limiter le volume des recours. L'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4348IXC), dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW), soumet désormais l'intérêt pour agir des particuliers à la condition que la construction, l'aménagement ou les travaux soient de nature "à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement".

Le Conseil d'Etat en conclut qu'il appartient au requérant "de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien". De son côté, le défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, doit "apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité". Le juge de l'excès de pouvoir doit alors "former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci" (1).

En l'occurrence, les requérants reprochaient aux deux permis de construire d'avoir été délivrés sur le fondement d'un avis irrégulier de l'architecte des bâtiments de France, ce dernier n'ayant pas pris en compte la visibilité du projet depuis la cathédrale de Strasbourg. Les premiers juges avaient écarté le moyen mais la cour administrative d'appel (2) y avait fait droit.

La cour avait rejeté le recours dirigé contre le permis de démolir au motif qu'il n'était pas établi que le garage devant être détruit était visible depuis la cathédrale. En revanche, l'architecte n'avait pas pris en compte la visibilité du projet depuis la plate-forme de la cathédrale, alors même que la hauteur du projet résultant du permis modificatif devait atteindre treize mètres quarante au milieu d'immeubles d'une hauteur de moyenne de huit mètres. Ecartant une pièce produite par la société pétitionnaire après la clôture de l'instruction, et tendant à établir l'absence de visibilité du projet depuis la plate-forme de la cathédrale, la cour, estimant que la visibilité était établie et que, par conséquent, l'avis de l'architecte des bâtiments de France avait été rendu dans des conditions irrégulières, avait donc annulé le permis de construire initial et le permis modificatif. Saisi d'un pourvoi en cassation dirigé contre cette décision par la SCI pétitionnaire, le Conseil d'Etat, après avoir confirmé le bien-fondé de la décision de la cour de ne pas réouvrir l'instruction, a également précisé les conditions de visibilité d'un projet depuis un bâtiment classé au sens des articles L. 621-31 (N° Lexbase : L6069ISL) et L. 621-30-1 (abrogé en 2012) du Code de l'urbanisme.

I - Une confirmation de la jurisprudence en matière de réouverture d'instruction

Que ce soit à force d'intoxication aux séries américaines ou pour d'autres obscures raisons, les parties (et certains avocats) sont loin d'avoir compris l'économie de la procédure administrative contentieuse, laquelle ne fonctionne pas à coup de lapins que l'on sort du chapeau au dernier moment. Les juges sont de plus en plus en plus confrontés à des mémoires ou à des productions de pièces de dernière minute, voire déposées après la clôture de l'instruction comme dans la présente affaire, productions qui sont, assez fréquemment, motivées par le simple souhait d'avoir le dernier mot, ce qui n'est d'aucun effet devant la juridiction administrative. Le Code de justice administrative prévoit pourtant des dispositions assez claires à cet égard et la pratique du contentieux montre qu'il convient, le plus souvent, de profiter de la requête introductive d'instance ou du premier mémoire en réplique pour produire tous les moyens et les pièces utiles. Attendre les dernières communications n'est généralement d'aucune utilité et s'avère même parfois assez contre-productif vis-à-vis du magistrat instructeur.

L'article R. 611-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3096ALA) précise ainsi que, si la requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes, en revanche, "les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux". La clôture de l'instruction, qu'elle intervienne par le biais de l'ordonnance prévue par l'article R. 613-1 (N° Lexbase : L7293KHL) ou par l'application du délai de trois jours francs prévu par l'article R. 613-2 (N° Lexbase : L5878IGS), met un terme aux échanges de pièces et de mémoires, l'article R. 613-3 (N° Lexbase : L3134ALN) précisant que "les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction".

Il reste que ces dispositions ne répondent pas entièrement à l'ensemble des circonstances susceptibles de surgir. Afin de répondre à la problématique des productions postérieures à la clôture de l'instruction, le Conseil d'Etat a donc formulé des règles plus précises que l'arrêt du 20 janvier 2016 vient confirmer dans le considérant n° 3 qui énonce "que, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci ; qu'il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser ; que, s'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser ; que, dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision".

Ce faisant, l'arrêt reprend une jurisprudence antérieure et assez récente.

Il en ressort, tout d'abord, qu'une production postérieure à la clôture de l'instruction ne peut plus être ignorée : le juge a toujours l'obligation d'en prendre connaissance et de la viser dans le jugement, que cette production le conduise, ou non, à rouvrir l'instruction. Cette obligation entre en conflit avec la lettre de l'article R. 613-3 qui doit conduire le juge à écarter tout ce qui est produit après la clôture. Toutefois, cette contradiction entre les deux règles, qui n'est pas apparente, se justifie par le régime élaboré par le Conseil d'Etat car, dès lors que le juge peut être amené à tenir compte d'une telle pièce, le contrôle de la procédure exercé, notamment, par le juge de cassation, impose que la décision mentionne cette production dans les visas, faute de quoi le juge de cassation ne serait pas en mesure de contrôler la régularité de la procédure.

Ensuite, et en tout état de cause, le juge demeure toujours libre de prononcer la réouverture de l'instruction à la faveur de la production d'une pièce ou d'un nouvel écrit produit après la clôture. Très logiquement, et en application du principe du contradictoire, il doit prononcer la réouverture de l'instruction s'il décide de tenir compte de cette pièce, ce qui implique de soumettre la production au débat contradictoire entre les parties. La notion de "tenir compte" n'implique pas nécessairement que le juge fasse droit aux conclusions de l'auteur de la production : la généralité des termes employés par le Conseil d'Etat laisse entendre que le juge qui entend écarter un élément ou un moyen contenu dans cette production se trouve dans l'obligation de prononcer la réouverture. Là encore, cette interprétation large permet au juge de cassation d'exercer son contrôle sur les décisions des juges du fond.

Enfin, gradation supplémentaire, lorsque l'élément nouveau qui est produit ne pouvait l'être avant la date de la clôture, et qu'il est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge est, non seulement dans l'obligation de rouvrir l'instruction et de soumettre cet élément au débat contradictoire, mais doit, également, en tenir compte dans sa décision. Là encore, le fait de "tenir compte" de l'élément en question ne signifie pas qu'il emporte nécessairement la décision du juge. Le caractère tardif de la production ne doit pas être imputable à la partie qui en est l'auteur : les garanties apportées au contradictoire par cette jurisprudence n'ouvrent pas une session de rattrapage au profit des étourdis ou des incompétents. Par conséquent, aussi importante soit-elle sur le fond, une production qui aurait pu être réalisée avant la clôture de l'instruction ne peut ouvrir droit à la réouverture des débats contradictoires. La solution est rigoureuse et s'applique, même lorsque la production est de nature à établir le respect du délai de recours contentieux et par conséquent, lorsqu'elle est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire (3).

Cette jurisprudence a déjà fait l'objet de plusieurs applications.

Un requérant avait soulevé des éléments nouveaux dans le cadre d'une note en délibéré, éléments qui avaient été analysés par l'arrêt. Toutefois, la cour n'avait pas communiqué la note en délibéré produite en réponse par l'administration et avait repris à son compte l'argumentation exposée dans cette réplique, sans pour autant rouvrir l'instruction. En s'abstenant de prononcer la réouverture de l'instruction et en fondant sa décision sur des éléments non soumis au débat contradictoire, la cour a donc irrégulièrement statué (4).

Une décision du juge pénal rendue après la clôture de l'instruction, et qui ne pouvait donc être produit avant cette clôture par le requérant, constitue une circonstance nouvelle susceptible d'exercer une influence sur le jugement du litige, alors même que la décision en question n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée. Le juge ne peut donc régulièrement statuer sans avoir préalablement rouvert l'instruction afin de pouvoir tenir compte, après l'avoir visé et analysé, du mémoire faisant état de l'arrêt rendu par le juge pénal (5).

La production, par une note en délibéré, d'un nouvel avis de l'autorité administrative, susceptible de permettre, dans les conditions prévues par la jurisprudence, la régularisation d'un permis de construire par un permis modificatif, constitue une circonstance nouvelle que le pétitionnaire n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction, et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. La cour qui s'abstient d'en tenir compte et de rouvrir l'instruction statue donc à l'issue d'une procédure irrégulière (6).

En revanche, un simple mémoire de l'administration fiscale produit après la clôture et qui se borne à reprendre les moyens déjà développés dans les écrits précédents ne justifie aucunement une réouverture de l'instruction. Le juge doit donc se contenter d'en prendre connaissance et de le viser pour constater qu'il n'apporte rien de nouveau (7). De même, le juge n'a pas à communiquer un mémoire produit après la clôture d'instruction, qui ne contient aucun élément susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et n'a donc pas à rouvrir l'instruction (8).

Une conséquence originale de cette nouvelle jurisprudence est de conduire, par un moyen visant la légalité externe de la décision attaquée, le juge de cassation à apprécier la valeur au fond du moyen que les premiers juges ont considéré comme insuffisant pour "exercer une influence" sur leur décision. Dans le cadre d'un contentieux fiscal, une société avait invoqué, après la clôture, le moyen tiré de ce que les rémunérations de son président et de son directeur général devaient être exclues de l'assiette de la taxe sur les salaires dès lors que les dirigeants de sociétés n'ont pas la qualité de salarié au sens du droit du travail. La cour n'avait pas jugé nécessaire de rouvrir l'instruction suite à la production de ce mémoire. Le Conseil d'Etat confirme la légalité de la procédure suivie par la cour administrative d'appel, ce qui l'oblige à statuer sur le bien-fondé du moyen de fond invoqué par la société en relevant qu'il résulte des travaux parlementaires en cause "qu'en alignant l'assiette de la taxe sur les salaires sur celle des cotisations de Sécurité sociale, le législateur a entendu y inclure les rémunérations des dirigeants de sociétés visés à l'article L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2819KRT) et notamment celles des présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées" (9).

Le Conseil d'Etat a également précisé l'articulation de ce nouveau régime avec celui de l'acquiescement prévu par l'article R. 612-6 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3131ALK) en relevant "que, sous réserve du cas où postérieurement à la clôture de l'instruction le défendeur soumettrait au juge une production contenant l'exposé d'une circonstance de fait dont il n'était pas en mesure de faire état avant cette date et qui serait susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le défendeur à l'instance qui, en dépit d'une mise en demeure, n'a pas produit avant la clôture de l'instruction est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant dans ses écritures". Il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier (10).

Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat confirme la régularité de la procédure suivie par la cour administrative d'appel, sur le simple fondement qu'aucun élément du dossier ne démontre pas que la société civile pétitionnaire n'aurait pas été en mesure de produire, avant la clôture de l'instruction, les photos par lesquelles elle entendait prouver que la construction projeté ne serait pas visible depuis la cathédrale de Strasbourg. Trop tard, donc...

II - Le centre du cercle de protection des monuments historiques

Le Code de l'urbanisme et le Code du patrimoine assurent une certaine protection des installations classées comme monument historique, même si les résultats concrets de cette procédure laisse parfois l'observateur un peu sceptique quant aux appréciations formulées par les architectes des bâtiments de France.

L'article L. 621-31 du Code du patrimoine soumet à autorisation toute modification des immeubles inscrits dans le périmètre de protection des monuments historiques : "Lorsqu'un immeuble est situé dans le champ de visibilité d'un édifice classé au titre des monuments historiques ou inscrit, il ne peut faire l'objet, tant de la part des propriétaires privés que des collectivités et établissements publics, d'aucune construction nouvelle, d'aucune démolition, d'aucun déboisement, d'aucune transformation ou modification de nature à en affecter l'aspect, sans une autorisation préalable".

L'article R. 425-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6943I4W) précise que la protection est assurée en soumettant l'autorisation d'urbanisme à l'accord de l'architecte des bâtiments de France : le permis de construire, le permis d'aménager, le permis de démolir ou la décision prise sur la déclaration préalable tient alors lieu de l'autorisation prévue par le Code du patrimoine.

La difficulté de ce mécanisme réside donc dans l'appréciation de la visibilité du projet du pétitionnaire. L'article L. 620-30-1 du Code du patrimoine précise simplement : "Est considéré [...] comme étant situé dans le champ de visibilité d'un immeuble classé ou inscrit tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres".

L'accord de l'architecte des bâtiments de France ne peut être donné qu'à la suite de l'examen des atteintes que la construction projetée est susceptible de porter aux édifices classés ou inscrits dans le champ de visibilité desquels elle est envisagée. Toutefois, l'architecte peut délivrer un avis favorable en l'assortissant de prescriptions, relatives notamment aux couleurs, à la nature des matériaux ou à l'aménagement des lieux, afin de limiter, compenser ou supprimer les atteintes que la construction projetée serait susceptible d'apporter à l'édifice classé ou inscrit dans le champ de visibilité duquel elle est située (11).

Deux situations peuvent donc se présenter.

La première est celle de la co-visibilité de l'immeuble classé et de celui projeté par le pétitionnaire. Dans cette hypothèse, la question de la co-visibilité s'apprécie depuis tout lieu normalement accessible au public, ce qui recouvre principalement le domaine public et, selon la configuration des lieux, des lieux privés mais ouverts au public. La jurisprudence n'a pas précisé ce point et les décisions se limitent, le plus souvent, à évoquer des lieux de covisibilité, sans préciser leur nature ou leur localisation (12), les rares exemples plus précis faisant état d'une covisibilité depuis la voie publique (13). Il semble, en effet, difficile d'apprécier la co-visibilité d'un lieu fermé au public, comme un logement privé par exemple, dès lors que la réglementation de l'urbanisme relève d'une police administrative qui n'a pas vocation à régir les situations qui échappent à son domaine d'application.

Il faut également préciser que le seul fait que l'endroit d'où les deux immeubles sont en co-visibilité est lui-même dégradé au plan architectural ne peut suffire à justifier l'annulation d'un refus d'autorisation (14).

La seconde situation est celle de la visibilité du projet depuis l'immeuble protégé.

L'esprit de la législation vise à empêcher que le projet soumis à autorisation soit visible depuis cet immeuble, mais les termes ne précisent pas dans quelle condition cette visibilité doit être appréciée. Or, la visibilité du projet est nécessairement différente selon l'endroit de l'immeuble classé où l'on situe.

La jurisprudence a précisé que l'expression "périmètre de 500 mètres" doit s'entendre de la distance de 500 mètres entre l'immeuble classé ou inscrit et la construction projetée, le périmètre ayant donc pour centre l'immeuble protégé, ce qui est assez logique dans le cadre d'une protection tous azimuts (15). Par conséquent, toute la zone située à moins de 500 mètres d'un immeuble classé doit être regardée comme faisant l'objet d'une protection particulière au titre des monuments historiques, en sorte que le dossier joint à la demande de tout permis de construire dans cette zone doit comprendre une notice permettant d'apprécier l'impact visuel du projet, indépendamment de toute visibilité (16).

C'est à l'architecte des bâtiments de France qu'il appartient d'apprécier, sous le contrôle du juge, si un immeuble implanté à moins de 500 mètres d'un immeuble classé est ou non situé dans le champ de visibilité de ce dernier (17), appréciation qui ne doit pas reposer sur des faits matériellement inexacts (18).

Si l'application de l'article L. 621-25 relève bien entendu de l'erreur de droit (19), l'appréciation de la visibilité relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, le Conseil d'Etat se limitant à contrôler une éventuelle dénaturation qui, en la matière, apparaît relativement facile à établir dès lors qu'elle est fondée, ce qui est loin d'être le cas de tous les griefs de dénaturation (20).

En revanche, la loi ne mentionne pas les parties de l'immeuble classé qui doivent être prises en compte pour apprécier cette visibilité et la jurisprudence n'avait pas eu l'occasion de préciser ce point. C'est désormais chose faite avec l'arrêt du 20 janvier 2016 qui énonce "que la visibilité depuis un immeuble classé ou inscrit s'apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage".

Le Conseil d'Etat impose donc à l'architecte des bâtiments de France d'opérer un contrôle, non pas tant subjectif que relatif. La visibilité sera donc établie, non en fonction de la pure situation topographique existant entre les deux immeubles, mais en fonction de l'objectif de la loi qui est de protéger l'aspect des bâtiments protégés, en fonction des vues que l'on peut avoir. Il ne faut donc pas prendre en considération une visibilité absolue mais relative puisqu'il faut se situer, pour apprécier cette visibilité, à partir de tout point de l'immeuble "normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage".

Bien que sobre en apparence, la formule est assez obscure pour susciter des interrogations.

D'une part, l'accessibilité au lieu de visibilité s'apprécie selon un critère de "normalité". Rien n'est plus imprécis que ce concept de normalité. L'arrêt apporte une précision négative en ce qu'il affirme que le fait que la plate-forme d'où le projet était visible ait été accessible au public constitue une considération inopérante. Il faut en conclure que l'accessibilité du centre du périmètre ne se ne doit pas être appréciée par rapport au seul public.

A suivre le Conseil d'Etat, la visibilité doit donc être reconnue lorsque la partie de l'immeuble classé est accessible à toute personne qui a une raison légitime de s'y trouver. Par conséquent, cela inclut nécessairement le personnel qui peut y être employé pour son gardiennage ou son entretien. Toutefois, on peut s'interroger sur le rapport entre cette accessibilité et ce critère mou de normalité : si l'on conçoit parfaitement que des personnels chargés de l'entretien qui accèdent à des parties de l'immeuble fermées au public sont concernés, qu'en est-il, par exemple, des couvreurs qui viennent réparer un morceau de toiture ou de gouttière ou de maçons qui travaillent sur un mur extérieur préalablement échafaudé ? Ils ont accès à des parties de l'immeuble auxquelles personne d'autre n'a accès et, dans le cadre de leur activité, ces parties leur sont normalement accessibles. De plus, l'usage de l'immeuble impose qu'il soit entretenu régulièrement. Par conséquent, c'est la totalité de l'immeuble qui est concernée, ce que laisse d'ailleurs entendre l'usage de l'expression "tout point de l'immeuble".

L'expression "conformément à sa destination et à son usage", censée compléter la précédente, est également assez obscure. L'arrêt confirme le bien-fondé de l'analyse des juges d'appel dans les termes suivants : "en estimant que la visibilité depuis la cathédrale s'appréciait aussi à partir de sa plate-forme, située à soixante-six mètres de hauteur, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les pièces du dossier soumis au juge du fond dès lors que cette plate-forme était accessible conformément à l'usage du bâtiment".

Toutefois, cette considération n'apporte aucun éclairage sur ce que peut être un point de bâtiment accessible conformément à son usage. Pour reprendre l'exemple de l'arrêt, l'usage et la destination de la cathédrale de Strasbourg, n'en déplaise à certains, sont exclusivement cultuels : bien qu'il s'agisse d'un monument aujourd'hui touristique, comme toutes les cathédrales, il n'a pas vocation à servir de perchoir pour les oiseaux et de point d'observation des alentours pour les touristes. Par conséquent, l'accès à cette plate forme ne présente aucun rapport avec l'exercice du culte catholique et les personnels d'entretien et de gardiennage qui bénéficient de cet accès ne font qu'exercer une activité nécessaire à la conservation de l'immeuble, mais sans aucun lien direct avec l'usage de ce dernier. Il en va de même, a fortiori, pour le public.

On notera d'ailleurs que le Conseil d'Etat s'est bien gardé de préciser les catégories de personnes qui sont concernées ni l'usage de la plate-forme en question : en quoi ladite plate-forme peut elle être considérée comme "accessible conformément à l'usage du bâtiment" ?

Sous couvert de préciser les conditions d'application de la règle du périmètre de 500 mètres, l'arrêt pose donc plus de questions qu'il n'en résout.

Seule certitude, l'appréciation de la visibilité elle-même, étant par nature essentiellement d'ordre matériel, relève toujours de l'appréciation souveraine des juges du fond, l'arrêt précisant à ce sujet "qu'en se fondant, pour estimer que le projet de construction litigieux était visible depuis la plate-forme de la cathédrale de Strasbourg, sur une photographie de l'emplacement de la construction projetée et un rapport établi par un ingénieur-géomètre, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des éléments de fait produits devant elle, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui étaient soumises". Le requérant ne peut ainsi utilement produire des pièces, mêmes nouvelles, en cassation (21). En revanche, le juge de cassation opère sur la question de détermination du point de visibilité un contrôle de la qualification juridique des faits et ne se limite donc pas au contrôle de la dénaturation : cette extension de son contrôle laisse donc la porte ouverte à de futures précisions.


(1) CE, 10 juin 2015, n° 386121 N° Lexbase : A6029NKI).
(2) CAA Nancy, 1ère ch., 13 décembre 2012, n° 11NC01245 (N° Lexbase : A8959I39).
(3) CE, 23 décembre 2014, n° 371035 (N° Lexbase : A8056M8U).
(4) CE, 25 février 2015, n° 365404 (N° Lexbase : A5143NCH).
(5) CE, 5 décembre 2014, n° 340943 (N° Lexbase : A9030M49).
(6) CE, 30 mars 2015, n° 369431 (N° Lexbase : A1157NGX).
(7) CE, 15 avril 2015, n° 368135 (N° Lexbase : A9505NG7).
(8) CE, 6 mai 2015, n° 366004 (N° Lexbase : A5824NH8).
(9) CE, 21 janvier 2016, n° 388676 (N° Lexbase : A5775N4N).
(10) CE, 23 décembre 2014, n° 364637 (N° Lexbase : A8046M8I).
(11) CE, 26 mars 2001, n° 216936 (N° Lexbase : A2280ATM).
(12) CE, 8 novembre 1991, n° 96650 (N° Lexbase : A2833ARD) ; CE, 11 juillet 1986, n° 60511 (N° Lexbase : A6519AME).
(13) CE, 4 novembre 1994, n° 103270 (N° Lexbase : A3425ASN).
(14) CE, 8 novembre 1991, n° 96650 (N° Lexbase : A2833ARD).
(15) CE, 14 octobre 1987, n° 73868 (N° Lexbase : A5869AP3) ; CE, 11 décembre 1987, n° 71482 (N° Lexbase : A6294APS) ; CE, 25 janvier 1989, n° 66471 (N° Lexbase : A2323AQ4) ; CE, 4 novembre 1994, n° 103270 (N° Lexbase : A3425ASN) ; CE, 10 juillet 1996, n° 136973 (N° Lexbase : A0195APW) ; CE, 7 juillet 2000, n° 203867 (N° Lexbase : A6573ATM).
(16) CE, 12 mars 2007, n° 275287 (N° Lexbase : A6791DU3).
(17) CE, 12 mars 2007, n° 275287, préc..
(18) CE, 11 décembre 1987, n° 71482, préc..
(19) CE, 28 décembre 2005, n° 284863 (N° Lexbase : A2017DMN).
(20) CE, 30 mars 2011, n° 331425 (N° Lexbase : A3742HMK) ; CE, 7 juillet 2000, n° 203867 (N° Lexbase : A6573ATM).
(21) CE, 27 octobre 2015, n° 374642 (N° Lexbase : A2289NUC) ; CE, 5 décembre 2012, n° 356964 (N° Lexbase : A4948IYW) ; CE, 9 juillet 2012, n° 329310 (N° Lexbase : A8381IQH).

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