La lettre juridique n°540 du 19 septembre 2013 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L'absence d'assimilation du privilège garantissant les créances de la Carpimko au super privilège des salaires

Réf. : Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-20.649, F-P+B+I (N° Lexbase : A8064KII)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

le 19 Septembre 2013

La Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, dite en abrégée Carpimko, a été, ces dernières années, à l'origine d'un contentieux relativement important.
Trois questions d'inégale importance étaient au coeur de l'arrêt rendu le 9 juillet 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La première concernait le périmètre de la remise obligatoire des pénalités et intérêts de retard sur les créances de cotisations sociales par l'effet de l'ouverture d'une procédure collective. On se souvient de l'interprétation de l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-5, anc. N° Lexbase : L4966ICW). L'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale prévoyait la remise de plein droit des pénalités et intérêts de retard pour les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé. Logiquement, la jurisprudence, appelée à statuer sur la question, avait dû en tirer la conséquence qui s'imposait. Puisque, l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale ne visait que les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé, le texte ne concernait donc pas les personnes physiques exerçant une profession indépendante, autres que les commerçants et artisans. La solution avait été posée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pour un médecin (1) ou encore un masseur-kinésithérapeute (2). La Chambre commerciale de la Cour de cassation, pour sa part, avait identiquement statué à propos d'un infirmier libéral (3). La cour d'appel de Paris avait posé la même règle pour un avocat (4) ou un orthophoniste (5).

Il y avait là, a priori, un oubli du législateur (6), car on ne comprenait pas pourquoi tous les professionnels libéraux n'auraient pas pu tirer de l'ouverture d'une procédure collective les mêmes avantages que tout professionnel indépendant.

Sans surprise, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée sur ce point. Logiquement, le Conseil constitutionnel relève que "en étendant l'application des procédures collectives à l'ensemble des membres des professions libérales par la loi du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), le législateur a entendu leur permettre de bénéficier d'un régime de traitement des dettes en cas de difficultés financières, par suite les dispositions précitées des premiers et sixième alinéas de l'article L. 243-5 ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être interprété comme excluant les membres des professions libérales exerçant à titre individuel du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de sécurité sociale" (7). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui avait transmis la question au Conseil constitutionnel, en tire les conséquences (8). Il est fait interdiction aux juridictions de traiter différemment les débiteurs, au regard de la question de la remise de plein droit des intérêts, pénalités et majorations de retard dû sur des cotisations sociales impayées, au jour du jugement d'ouverture. Tous ces débiteurs doivent bénéficier de la même règle, à savoir la remise de plein droit de ces pénalités, majorations et intérêts de retard, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, sauf le cas de fraude. La solution vaut même si le débiteur s'est vu délivrer des contraintes définitives (9). Notons que la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 (LXB=L2893IQ9]) réécrit l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3150IQQ) pour le mettre en harmonie avec la décision du Conseil constitutionnel (10). Le créancier social ou fiscal ne pourra faire admettre au passif une créance qui comprendrait des sommes remisées de plein droit (11).

La remise des pénalités, majorations de retard et frais de poursuite dus au jour du jugement d'ouverture s'applique sans distinction, juge la Cour de cassation, suivant le caractère privilégié ou chirographaire de la créance de majoration (12). La discussion développée ici par la Carpimko, qui entendait limiter l'application du texte aux seules sommes garanties par le privilège mobilier, ne pouvait prospérer et, sans surprise, la Cour de cassation la rejette.

La Carpimko entendait encore faire juger que la créance de cotisations naît de l'exercice de l'activité au premier jour de l'année. Elle ne naît pas trimestriellement, même si les cotisations ne sont exigibles qu'à compter du premier jour du trimestre civil qui suit le début d'activité. Sur ce point, elle est suivie par la Cour de cassation, qui casse la décision de la cour d'appel, ayant, au contraire, cru devoir considérer que les créances de cotisations naissent trimestriellement, ce qui avait un impact sur le contenu de la déclaration de créance. Autrement dit, la cour d'appel avait ici confondu exigibilité et naissance de la créance de cotisations sociales.

Reste la difficulté principale, sur laquelle nous allons centrer notre commentaire, qui est la suivante : les cotisations sociales dues à la Carpimko, bénéficient-t-elles d'un privilège identique à celui des salariés dans les procédures collectives, à savoir le privilège général des salaires et le super privilège des salaires ?

La réponse à la question commande, dans un premier temps, d'examiner le texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale (I), d'examiner, ensuite, la place de ce texte dans le Code de la Sécurité sociale (II) et, enfin, de rechercher la ratio legis du texte afin de la confronter au fondement et aux règles régissant les privilèges reconnus aux salariés (III).

I - L'examen de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale

L'article L. 243-4 du Code de la Sécurité sociale dispose, en son alinéa 1er, que "le paiement des cotisations et des majorations et pénalités de retard est garanti pendant un an à compter de leur date d'exigibilité, par un privilège sur les biens meubles du débiteur, lequel privilège prend rang concurremment avec celui des gens de service et celui des salariés établis respectivement par l'article 2331 du Code civil (N° Lexbase : L3153IMQ) et les articles L. 625-7 (N° Lexbase : L5974HI4) et L. 625-8 (N° Lexbase : L3391ICL) du Code de commerce".

La lettre du texte accrédite ainsi l'idée que ces cotisations bénéficient d'un privilège exclusivement mobilier, de rang identique au privilège général des salaires, du fait du visa de l'article 2331 du Code civil et du super privilège des salaires eu égard au visa des articles L. 625-7 et L. 625-8 du Code de commerce.

Le texte ne fait aucune distinction selon que les cotisations sont celles personnellement dues par l'auxiliaire médical ou sont celles relatives aux salaires versés par ces auxiliaires médicaux à leurs salariés. Le principe "ubi lex [...]" peut ainsi conduire à décider qu'il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas.

C'est le raisonnement implicitement, mais nécessairement tenu par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 29 juin 2010 (13), dans une espèce opposant la Carpimko, qui est une caisse de retraite et de prévoyance d'auxiliaires médicaux à un débiteur, Mme C. La cour considère que l'article L. 625-8 du Code de commerce, qui régit le super privilège des salaires est applicable aux cotisations personnelles dues par le débiteur, auxiliaire médical

L'absence de distinction du texte pouvant accréditer la thèse de l'extension du super privilège des salaires aux cotisations dues par l'auxiliaire médical suppose de ne pas faire de distinction, au regard de la question posée, entre ces cotisations et celles dues par l'auxiliaire médical sur les salaires versés à ses salariés.

Les raisons de douter de cette interprétation sont doubles. Elles tiennent en premier lieu à la place de l'article L 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, dans ce code et, en second lieu, au fondement de ce texte.

II - La place de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, dans le Code de la Sécurité sociale

Nous avons vu que l'absence de distinction du texte pouvant accréditer la thèse de l'extension du super privilège des salaires aux cotisations dues par l'auxiliaire médical suppose de ne pas faire de distinction, au regard de la question posée, entre ces cotisations et celles dues par l'auxiliaire médical sur les salaires versés à ses salariés.

L'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale est situé dans le livre II (articles L 200-1 N° Lexbase : L9162AMB et suivants), intitulé "Organisation du régime général, action de prévention, action sanitaire et sociale des caisses". Le régime général s'intéresse aux travailleurs salariés et assimilés. Il ne s'intéresse pas au régime des travailleurs indépendants.

Le titre IV (articles L. 241-1 N° Lexbase : L4931ADY et suivants) est, pour sa part, intitulé "Ressources". Le chapitre 1er intitulé "Généralités" a trait aux assurances sociales, à l'assiette, au taux et au calcul des cotisations.

Le chapitre 3 (articles L. 243-1 N° Lexbase : L4419ADZ et suivants), qui nous intéresse plus spécialement, traite du recouvrement, des sûretés, de la prescription et du contrôle.

Il faut donc comprendre que l'article L. 243-4, qui traite des sûretés, s'intéresse aux sûretés qui garantissent le recouvrement des cotisations sociales perçues au titre des revenus de professions salariées ou assimilées, celles qui rentrent dans le régime général dont traite exclusivement le livre II du Code de la sécurité sociale. Cette disposition, placée dans le livre consacré au régime général, n'a donc aucune vocation à s'appliquer à des cotisations assises sur les revenus de personnes ne relevant pas du livre II, notamment celles relevant du livre VI consacré au régime des travailleurs non-salariés.

En effet, le livre VI du Code de la Sécurité sociale est intitulé "Régime des travailleurs non-salariés". Là il faut chercher les règles applicables au calcul, à l'assiette, au taux et au recouvrement des cotisations sociales dues personnellement par des auxiliaires médicaux, travailleurs non-salariés, selon l'appellation du Code de la Sécurité sociale.

L'examen du livre VI permet d'apercevoir un titre II intitulé "Généralités relatives aux organismes autonomes d'assurance-vieillesse". Tel est le cas de la Carpimko, de sorte que le livre VI s'applique à cet organisme.

Le titre IV est intitulé "Assurance-vieillesse et invalidité des professions libérales".

L'article L. 642-1 du code (N° Lexbase : L4448IR8) prévoit les cotisations que doit verser "toute personne exerçant une activité professionnelle relevant de l'organisme autonome d'assurance-vieillesse des professions libérales". Ce texte n'effectue aucun renvoi aux dispositions de l'article L 243-4, alinéa 1er, du même code.

L'article L. 642-5 (N° Lexbase : L2289IBE) s'intéresse, pour sa part, au recouvrement des cotisations. Il ne procède à aucun renvoi à l'article L. 243-4, alinéa 1er.

Les articles L. 645-1 (N° Lexbase : L9662HEL) à L. 645-5 du code, enfin, sont des dispositions intéressant le régime complémentaire des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés. Ces dispositions ne procèdent à aucun renvoi à l'article L 243-4, alinéa 1er, du code.

En conséquence, il résulte de ce qui précède que la Carpimko, organisme autonome d'assurance-vieillesse des auxiliaires médicaux, relève pour le calcul, le taux, l'assiette et le recouvrement de ses cotisations exclusivement du Livre VI du Code de la sécurité sociale, qui a vocation à régir les travailleurs non-salariés. Elle ne relève pas du livre II, livre qui n'intéresse que le régime général, c'est-à-dire celui applicable aux travailleurs salariés et assimilés.

Faute de renvoi opéré par les dispositions du livre VI à l'article L. 243-4, alinéa 1er, il pouvait paraître exclu d'appliquer cette disposition en présence de cotisations relevant du livre VI, au bénéfice d'un organisme autonome de retraite identiquement régi par le livre VI. Par voie de conséquence, la place du texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, au sein d'un livre n'intéressant que les travailleurs salariés et assimilés, interdirait son application à des cotisations de retraite dues personnellement par des travailleurs indépendants, qui relèvent exclusivement du livre VI de ce même code.

La place de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale dans le Code de la Sécurité sociale, aurait ainsi pu constituer un premier argument permettant de ne pas accepter l'interprétation tendant à assimiler les créances détenues par la Carpimko à des créances privilégiées de salaires.

Cet argument n'a pas été suivi par la Cour de cassation, qui accepte d'appliquer aux cotisations dues à titre personnel par le professionnel libéral, les dispositions de l'article L. 243-4 du Code de la sécurité sociale.

Mais il existe un second argument, beaucoup plus fort, qui conduit à refuser d'assimiler les cotisations sociales à des créances de salaires et par voie de conséquence, qui aboutit à ne pas reconnaître à un organisme social, toutes les prérogatives reconnues aux salariés pour le recouvrement de ses créances.

Il tient à la raison d'être du texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale.

III - La ratio legis du texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale confrontée au fondement et aux règles régissant les privilèges reconnus aux salariés

L'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale accorde un privilège prenant rang concurremment avec celui des salariés, mais sur les meubles seulement, c'est-à-dire un privilège général mobilier, pour le paiement de cotisations sociales.

Il importe de rappeler le fondement du privilège des salaires, pour comprendre les conditions de son attribution et ainsi pour pouvoir répondre à la question posée de savoir si un organisme social peut prétendre être assimilé pour ses cotisations, à des salariés.

Les meilleurs auteurs civilistes, spécialistes du droit des sûretés, justifient ainsi l'existence du privilège des salaires.

Le privilège conféré aux salariés s'explique par deux raisons. D'abord, parce que, ne participant pas aux profits de l'entreprise, le salarié ne doit pas supporter le risque de son insolvabilité. En outre, ce qui est une raison plus pressante pour donner au privilège une force plus grande, parce que sa créance présente un caractère alimentaire (14).

Il est encore énoncé que "les travailleurs au sein d'une entreprise et qui ne sont associés ni à sa gestion ni à son profit, ne doivent pas en subir le risque. Il importe donc de les soustraire à la condition de simple créancier chirographaire en concours avec les autres créanciers sur un actif insuffisant. Cette idée justifie l'existence du privilège des salariés. Si l'on fait observer que les salaires ont un caractère alimentaire, du moins dans une certaine fraction, on renforce la justification de la garantie ainsi accordée. Si l'on ajoute que les difficultés des entreprises sont fréquentes, on comprend que le législateur ait cherché à étendre les sûretés des salariés et à doubler, dans les situations les plus nécessaires, leur privilège d'un super privilège" (15).

Ainsi, le fondement premier du privilège des salaires est-il trouvé dans l'état de dépendance économique, et dans l'état de subordination juridique, dans lesquels se trouve le salarié par rapport à son employeur, par l'absence de participation de celui auquel est reconnu ce privilège aux profits réalisés par l'employeur.

Le raisonnement ne peut évidemment être mené à l'identique à propos d'un auxiliaire médical, qui est un professionnel indépendant, dont le sort économique ne dépend que de lui, et qui cherche personnellement à réaliser du profit dans le cadre de son activité professionnelle.

A ce stade, il importe d'insister sur une donnée importante : il est question ici de raisonner sur un privilège et son attribution, ce qui suppose des précautions importantes.

Le principe d'interprétation stricte des privilèges oblige ainsi à la plus grande circonspection lorsqu'on se demande si tel ou tel créancier doit ou non bénéficier d'un privilège. La remarque est d'autant plus importante que le privilège en question est fort, par sa capacité spoliatrice des autres créanciers, dans le cadre d'une liquidation judiciaire.

Aussi, devant une situation qui interpelle par sa singularité, l'examen doit-il en être d'autant plus approfondi et l'on ne peut se contenter de lire un texte, dont on ne mesure pas exactement la portée, pour en déduire, immédiatement, l'attribution du privilège. Car, en l'espèce, singularité il y a.

Le principe, en matière de cotisations sociales, est en effet de reconnaître à l'organisme créancier le privilège de la Sécurité sociale, qui ne brille pas par sa force. Peut-être le législateur devrait-il, en ces temps difficiles, repenser la hiérarchie des privilèges, pour renforcer celui de la Sécurité sociale. Mais, pour l'heure, le principe est de reconnaître aux organismes sociaux ce faible privilège.

Si le législateur sort de ce principe, comme il le fait à l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, ce ne peut être que de manière exceptionnelle, ce qui conduit l'interprète à une interprétation doublement stricte : d'une part, parce que les exceptions sont de droit strict et qu'il faut donc rechercher quelles sont très exactement les situations exceptionnelles dans lesquelles le législateur accorde à des organismes sociaux un privilège d'un rang très supérieur à celui de la Sécurité sociale et, d'autre part, parce que les privilèges, en eux-mêmes, sont d'interprétation stricte.

D'après l'article 2324 du Code civil (N° Lexbase : L1148HID), le privilège "est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires".

Sous la plume des plus grands spécialistes français du droit de sûretés, on peut lire "bien entendu, il appartient au seul législateur de déterminer cette qualité. Si tel n'était pas le cas, on imagine les surenchères des créanciers, chacun se croyant titulaire d'une créance de meilleure qualité que celle de son voisin. Diverses raisons peuvent guider le législateur dans sa décision d'octroyer un privilège. Tantôt, il s'appuiera sur des considérations sociales (privilège des salariés), tantôt il s'estimera lié par des contingences économiques (privilège du Trésor), tantôt, enfin, il voudra récompenser un créancier par un simple souci de justice (privilège du fournisseur d'aliments)" (16).

"Les privilèges tirent leur source dans la seule autorité de la loi" (17).

"Ce sont des faveurs accordées par la loi à des créanciers jugés dignes d'intérêt. En conséquence, ils ne peuvent exister qu'autant qu'ils ont été formellement prévus par un texte et les dispositions qui les organisent doivent être interprétées strictement. Ainsi, le raisonnement par analogie est-il proscrit" (18). "De même n'est-il pas possible d'étendre le privilège à d'autres créances que celles qui sont expressément garanties, ni d'augmenter l'assiette du privilège, ni d'accorder le privilège à d'autres créanciers que ceux que la loi vise" (19).

"Si les privilèges sont de droit étroit et ne peuvent jouer en dehors des cas pour lesquels ils ont été limitativement établis, a fortiori ne peut-on en créer en l'absence de texte" (20) .

Ainsi, les prérogatives conférant un droit de préférence aux salariés leur sont exclusivement réservées.

Le privilège des salaires et, par voie de conséquence, le super privilège des salaires présupposent que son bénéficiaire ait un lien de subordination. Sous la plume de prestigieux auteurs, on lit que "le privilège des salariés bénéficient aujourd'hui à tous ceux qui sont engagés dans les liens d'un contrat de travail, c'est-à-dire tous ceux qui sont dans un état de subordination juridique" (21). Doctrine civiliste et doctrine faillitiste (22) s'accordent sur ce point.

Le privilège ne saurait bénéficier à une personne qui ne peut justifier être liée au débiteur par un contrat de travail (23).

Le privilège ne peut bénéficier qu'à une personne physique, en application de l'idée selon laquelle la subordination est nécessaire à l'octroi du privilège des salariés (24).

Il a ainsi été jugé qu'une mutuelle ne bénéficie pas du privilège par subrogation, au titre de la part salariale de cotisations impayées (25), peu important que cet organisme de prévoyance ait accepté de faire bénéficier, en dépit des cotisations impayées, les salariés de la garantie.

Il en est de même pour une association servant d'intermédiaire pour le placement de salariés (26).

De même encore, les salariés mis à disposition de la société débitrice par leur employeur ne peuvent prétendre au privilège des salaires, dans la procédure du débiteur (27).

La Cour de cassation a récemment eu l'occasion d'insister sur le fait que, pour bénéficier du super privilège des salaires, l'intéressé doit détenir une créance salariale. Il a été jugé que le super privilège des salaires ne peut être octroyé à une société qui, à l'occasion de la cession de son fonds de commerce, prend l'engagement de rembourser au cessionnaire, les sommes que ce dernier aurait versées aux salariés au titre des créances impayées au jour de son entrée en jouissance (28). En effet, au jour de l'ouverture de la procédure collective, les salariés ne détenaient aucune créance salariale sur le débiteur, ce qui faisait obstacle à l'existence du super privilège des salaires en application de l'article 3253-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0955H9A).

Dans le même ordre d'idées, il a été jugé que le privilège ne saurait bénéficier à une entreprise de travail temporaire qui paye les salaires de ses employés alors que l'entreprise utilisatrice fait l'objet d'une procédure collective de paiement. En ce cas, en effet, la subrogation ne peut être admise, car l'entreprise de travail temporaire paie sa propre dette et non pas la dette d'autrui, ce qui exclut toute idée de subrogation (29).

Ainsi, le principe est-il très clair : seules des personnes physiques, dans un lien de subordination juridique, bénéficient du privilège des salaires.

Par exception, d'une part, aux règles qui régissent l'attribution du privilège de la Sécurité sociale et, d'autre part, à celles qui régissent l'octroi des privilèges reconnus aux salariés, l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale reconnaît, mais seulement sur les meubles, un privilège de rang identique à celui des salariés pour le recouvrement de certaines cotisations sociales.

Du fait de la double exception et du principe d'interprétation stricte des privilèges, ce texte mérite une interprétation restrictive.

Très logiquement, la Cour de cassation, dans l'arrêt rapporté juge donc que "si le paiement des cotisations sociales est garanti par un privilège mobilier prenant, aux termes de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, rang concurremment avec celui des salariés établi par les articles L. 625-7 et L. 625-8 du Code de commerce, il n'en résulte pas que la créance des organismes de Sécurité sociale serait assimilée à une créance privilégiée de salaires, seule susceptible d'être payée, par application du dernier texte précité, sur les fonds disponibles du redevable soumis à une procédure collective ou les premières rentrées de fond". La Cour de cassation rejette en conséquence ce moyen en estimant que "la cour d'appel en a exactement déduit que la créance de la Carpimko ne pouvait bénéficier de la priorité de paiement réservée aux créances de salaires".

Ainsi, oui, pour le rang, mais seulement sur les meubles ! Non pour les autres prérogatives reconnues aux salariés grâce au super privilège des salaires !

Poser une solution contraire aurait été extrêmement choquant, qui aurait consisté à assimiler purement et simplement à des salariés un organisme social. L'organisme social est donc justement traité comme le prévoit l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de commerce, au même rang sur les meubles que les salariés. Mais n'étant pas assimilé à des salariés, l'organisme social ne peut bénéficier des prérogatives exorbitantes reconnues aux salariés, autorisés à s'émanciper de la discipline collective, même pour des créances antérieures au jugement d'ouverture, et à être payés sur les premiers fonds.


(1) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-13.459, FS-D (N° Lexbase : A1368EDZ), D., 2009, AJ 1085, obs. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle, LEDEN, 2009/4, p. 1, note crit. F.-X. Lucas, sur pourvoi de CA Bordeaux, 2ème ch. 6 février 2008, JCP éd. E 2008, 2026 ; Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, n° 08-22.081, F-D (N° Lexbase : A0853EQN) ; Cass. civ. 2, 4 février 2010, n° 09-11.602, F-D (N° Lexbase : A6152ERB) ; CA Paris, 7 avril 2009, n° 08/18741 ([LXB=A1753EGZ)]).
(2) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-10.470, FS-D (N° Lexbase : A1319ED9), Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle ; Cass. civ. 2, 14 janvier 2010, n° 09-65.485, F-P+B (N° Lexbase : A3151EQR).
(3) Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-70.173, F-D (N° Lexbase : A7231EPI), Gaz. Pal., 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 32, note Ph. Roussel Galle.
(4) CA Paris, 1er octobre 2009, n° 08/20989.
(5) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 30 avril 2009, n° 08/19446 (N° Lexbase : A0399EHA).
(6) F.-X. Lucas, note sous Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-13.459, FS-D, préc. LEDEN, 2009/4, p. 1.
(7) Cons. const., 11 février 2011, n° 2010-101 QPC (N° Lexbase : A9132GTE), D., 2011, AJ 513, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 1er et 2 avril 2011, p. 11, note Ch. Lebel ; Gaz. Pal., 20 à 22 février 2011, p. 8, note G. Teboul ; BJE, mai/juin, 2011, § 71, p. 128, note S. Rétif ; BJS, mars 2011, p. 165, obs. F.-X. Lucas ; LPA, 16 juin 2011, n° 119, p. 21, note J.-P. Sortais ; LPA, 20 septembre 2011, n° 187, p. 3, note F. Dekeuwer ; Rev. sociétés, mai 2011, note Ph. Roussel Galle ; nos obs., in Chronique de droit des entreprises en difficulté Février 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 239 du 17 février 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N4844BRT).
(8) Cass. QPC, 17 février 2011, n° 10-40.060, F-D (N° Lexbase : A1761GXI), D., 2011, AJ 673, obs. A. Lienhard ; Cass. civ. 2, 16 juin 2011, n° 10-14.398, F-D (N° Lexbase : A7523HTS), JCP éd. E, 2011, chron. 1596, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., novembre 2011, comm. 213, note Ch. Lebel.
(9) Cass. civ. 2, 12 juillet 2012, n° 11-19.861, F-P+B (N° Lexbase : A7999IQC), Rev. proc. coll., septembre 2012, comm. 161, note Ch. Lebel.
(10) J.-P. Sortais, La suite heureuse d'une QPC, LPA, 15 août 2011, n° 161, p. 6.
(11) Cass. com. 3 novembre 2004, n° 02-18.030, F-D (N° Lexbase : A7577DDY).
(12) Cass. com., 3 juillet 2012, n° 11-22.746, F-D (N° Lexbase : A4991IQW), Rev. proc. coll., septembre 2012, comm. 161, note Ch. Lebel ; Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-22.750, F-P+B (N° Lexbase : A7176IUC), D., 2012, Actu 2515, note A. Lienhard ; Gaz. Pal., 18 janvier 2013, n° 18, p. 31, note Ph. Roussel Galle, JCP éd. E, 2012, chron. 1757, n° 4, obs. Ph. Pétel ; BJE, janvier 2013, comm. 11, note F. Macorig-Vénier ; Rev. proc. coll., novembre 2012, comm. 218, note Ch. Lebel ; Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-14.493, F-P+B.
(13) CA Rennes, 29 juin 2010, n° 09/04288 (N° Lexbase : A6177E7W).
(14) Malaurie et Aynés, par L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - la publicité foncière, Defrénois 5ème éd., 2011, n° 462.
(15) Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil - Les sûretés, Précis Dalloz, 5ème éd., 2009, n° 750.
(16) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n° 745.
(17) Merlin, cité par H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., n° 318, commentant la règle "pas de privilège sans texte".
(18) Cass. Req., 18 mai 1831, Grands arrêts, 12ème éd., tome 2, n° 302.
(19) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n° 746.
(20) Ph. Simler et Ph. Delebecque,. op. cit., loc. cit.
(21) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n° 751.
(22) J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2450, [Privilège des salariés et garantie de paiement], éd. 2007, n° 4.
(23) J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2450, [Privilège des salariés et garantie de paiement], éd. 2007, n° 6.
(24) T. com. Seine 27 juin 1952, RTDCom., 1952, 640 ; J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2450, [Privilège des salariés et garantie de paiement], éd. 2007, n° 7 ; J. L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2010, n° 3913.
(25) Cass. soc. 27 novembre 2007, n° 06-17.866, F-D (N° Lexbase : A9423DZZ).
(26) Rep. min. n° 61359, JOAN Q 15 mars 1993, p. 666.
(27) CA Rouen, 2ème ch., 5 avril 2001, RJDA 2002/3, n° 282, p. 238.
(28) Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-14.744, F-P+B (N° Lexbase : A5504GD9), D., 2010, AJ 2701, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 7 et 8 janvier 2011, p. 41, note Ch. Gailhbaud ; Act. proc. coll., 2010/20, comm. 279, note L. Fin-Langer ; BJE, mars/avril 2011, p. 23, note F. Macorig-Vénier ; JCP éd. E, 2011, chron. 1263, n° 11, obs. Ph. Pétel ; LPA, 29 avril 2011, n° 85, p. 8, note D. Jacotot.
(29) Cass. soc., 12 juillet 1993, D., 1993, somm. p. 369, obs. A. Honorat ; Rev. proc. coll., 1994, p. 59, n° 5, obs. E. Kerckhove.

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