La lettre juridique n°540 du 19 septembre 2013 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] La morale est sauve, pas toutes les morales

Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-23.553, F-P+B (N° Lexbase : A5466KIB)

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N8511BTE

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

le 19 Septembre 2013

Par un arrêt en date du 3 juillet 2013, la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu le 18 juillet 2012 par la cour d'appel de Montpellier qui a prononcé la peine disciplinaire de la radiation à l'encontre d'un avocat. Ce ne sont pas les motifs de la Haute juridiction qui suscitent des questions, en effet elle n'a fait que rappeler des règles connues. Curieusement, ce qui est remarquable dans cet arrêt est ce qui n'y est pas évoqué. Et paradoxalement, ce sont les faits qui sont intéressants, presque davantage que le droit. Maître X est inscrit au Tableau des Pyrénées-Orientales en 2008. Il a dissimulé au barreau des Pyrénées-Orientales, lors de la procédure d'inscription au Tableau, qu'il avait fait l'objet d'une condamnation pénale devenue définitive en 1998, pour faux et usage de faux, à une peine de 18 mois d'emprisonnement dont 12 mois avec sursis, et à une amende de 100 000 francs (environ 15 000 euros).

Cette dissimulation a consisté dans une omission de déclarer cette condamnation, mais également dans la signature d'une attestation sur l'honneur indiquant qu'il n'avait pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à une condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs.

En 2010, cet avocat démissionne du barreau des Pyrénées-Orientales pour s'inscrire au barreau de Grasse.

Franchir des frontières est un exercice dangereux quand on n'est pas en situation régulière : le conseil de l'Ordre du barreau de Grasse refuse son inscription au motif qu'il ne présentait pas les conditions de loyauté et de probité exigées par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), pour avoir dissimulé au barreau des Pyrénées-Orientales lors de son inscription les faits ayant justifié sa condamnation pénale.

Retour à la case départ : Maître X demande sa réinscription au barreau des Pyrénées-Orientales.

Instruit des motifs du refus d'inscription de Maître X par le barreau de Grasse, le barreau des Pyrénées-Orientales va sans doute refuser cette demande de réinscription.

Ni l'arrêt rendu le 3 juillet 2013 par la Cour de cassation, ni les moyens annexés au pourvoi ne précisent les conditions de la prise d'effet de la démission de Maître X du barreau des Pyrénées-Orientales en 2010. C'est dommage, car la décision de réinscription prise par le barreau des Pyrénées-Orientales soulève d'intéressantes questions. Ou bien cette démission avait pris effet au jour où le conseil de l'Ordre des Pyrénées-Orientales l'avait acceptée, et dans cette hypothèse il y avait lieu effectivement à ouverture d'une procédure de réinscription. Ou bien, comme il est d'usage, cette démission devait prendre effet au jour de l'inscription de Maître X par le barreau de Grasse, et celui-ci demeurait inscrit au barreau des Pyrénées-Orientales.

Quoiqu'il en soit, le barreau des Pyrénées-Orientales a pris en 2011 deux décisions parallèles, celle du conseil de l'Ordre le 28 février de réinscrire Maître X à son Tableau, et celle du Bâtonnier de l'Ordre le 17 juillet d'ouvrir une procédure disciplinaire à son encontre devant le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Montpellier.

La décision de réinscription du conseil de l'Ordre est intervenue au motif que les conditions matérielles de l'exercice de la profession d'avocat étaient remplies, notamment celles tenant à l'agencement des locaux professionnels.

L'ouverture d'une procédure disciplinaire par le Bâtonnier était fondée, d'une part, sur la dissimulation par Maître X, lors de son inscription en 2008, de la condamnation pénale dont il avait fait l'objet antérieurement, et, d'autre part, par la dissimulation des refus d'inscription dont il avait fait l'objet, le 27 juin 2007, au barreau de Lyon, le 25 septembre 2007, au barreau de Caen, et, le 10 septembre 2007, au barreau d'Annecy (sans que l'on sache si les demandes d'inscription auprès de ces trois barreaux étaient concomitantes).

Par décision en date du 16 mars 2012, le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Montpellier a :

- jugé que les faits de signature d'une attestation inexacte le 17 octobre 2007 et d'avoir omis d'informer lors de sa demande d'intégration de la profession d'avocat et d'intégration au barreau des Pyrénées-Orientales puis lors de sa demande d'inscription au barreau de Grasse, qu'il était l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ayant donné lieu à condamnation pénale, constituent une contravention aux lois et règlements et un manquement à la probité et l'honneur ;

- prononcé à l'encontre de Maître X la peine disciplinaire d'interdiction temporaire pendant une durée de 3 ans assorti du sursis pour une durée de 30 mois et prononcé la privation de son droit de faire partie du conseil de l'Ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de Bâtonnier pendant une durée de 10 ans.

Apparemment le conseil de discipline n'a pas retenu à l'encontre de Maître X, au titre d'un manquement à son obligation de loyauté, la dissimulation des précédents refus d'inscription par trois barreaux.

Maître X a formé appel de cette décision disciplinaire.

Le conseil de l'Ordre du barreau des Pyrénées-Orientales a formé appel incident.

Par arrêt en date du 18 juillet 2012, la cour d'appel de Montpellier a infirmé la décision du conseil régional de discipline et prononcé à l'encontre de Maître X la peine disciplinaire de la radiation.

C'est cet arrêt qui a été cassé le 3 juillet 2013 par la Cour de cassation.

Les trois motifs retenus par la Haute juridiction ne souffrent aucune critique et n'appellent pas d'observations, si ce n'est celle que la cassation aurait pu être aisément évitée si certaines règles procédurales -pourtant fondamentales- n'avaient pas été ignorées, et celle que les Ordres, comme d'ailleurs les cours d'appel, oublient trop souvent la nature schizophrénique du rôle du Bâtonnier, à la fois "chef" du barreau et procureur.

La Cour de cassation a :

- au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), relevé que l'arrêt de la cour d'appel ne mentionnait pas que le professionnel poursuivi, ou son conseil, avait eu la parole en dernier ;

- au visa du même texte et de l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), relevé qu'il n'avait pas été constaté par la cour d'appel que le professionnel poursuivi avait reçu communication de l'avis du ministère public afin d'être en mesure d'y répondre utilement ;

- au visa des articles 16, alinéa 3, et 197 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), relevé qu'en matière disciplinaire, ni le conseil de discipline ni le conseil de l'Ordre ne sont parties à l'instance.

Le deuxième motif de cassation pourrait susciter une interrogation. La procédure disciplinaire n'est-elle pas orale ? Il serait malvenu de faire grief à la Haute juridiction de consacrer le nécessaire respect du contradictoire, y compris dans les procédures orales dans lesquelles il est si souvent malmené.

Cet arrêt de la Cour de cassation est néanmoins frustrant en ce qu'il n'apporte pas de réponses à certaines questions et en laisse d'autres en suspens auxquelles les Ordres d'avocats sont souvent confrontés.

1. Maître X pouvait-il faire l'objet de poursuites disciplinaires à l'initiative du Bâtonnier pour des faits dont le conseil de l'Ordre n'avait pas jugé qu'ils faisaient obstacle à une réinscription ? Avoir des locaux professionnels conformes aux règles et usages professionnels est une chose, satisfaire aux exigences de loyauté et de probité en est une autre. Le barreau de Grasse ne s'y était pas trompé.

En supposant, ce qui est vraisemblable, que la décision de réinscription de Maître X par le conseil de l'Ordre était devenue définitive au moment de l'ouverture de la procédure disciplinaire, cette décision ne faisait-elle pas obstacle à l'ouverture de poursuites alors que le conseil de l'Ordre était instruit des manquements de Maître X par le barreau de Grasse ?

Il est vrai que le conseil de l'Ordre et le Bâtonnier ne se confondent pas. Mais admettons tout de même que la contradiction pose problème.

2. Fallait-il réinscrire Maître X afin de pouvoir le poursuivre disciplinairement ? Sans doute pas, dès lors qu'il a été jugé qu'un avocat démissionnaire peut être poursuivi pour des faits commis alors qu'il était en exercice.

3. Une précédente décision devenue définitive de refus d'inscription à un barreau ne devrait-elle pas, sinon avoir autorité de chose jugée (les conditions n'en sont pas remplies), du moins se voir reconnaître une importance qui justifierait qu'il soit fait obligation, sous peine de sanction, à une personne qui demande son inscription dans un autre barreau d'en faire état ?

Certes, les motifs d'une décision de refus d'inscription peuvent avoir disparu lors d'une procédure ultérieure de demande d'inscription (ce que pourrait prendre en considération un barreau saisi d'une nouvelle demande). Et il est vrai que les Ordres d'avocats sont indépendants et seuls maîtres de leur Tableau. Mais une inscription au Tableau emporte avant tout l'accès à la profession d'avocat, le droit de porter la robe. Le "nomadisme" existe dans les demandes d'inscription à un barreau, et Maître X nous le rappelle s'il en était besoin.

4. Ne faudrait-il pas instituer un fichier national des décisions rendues en la matière ? Voire... sujet tabou... envisager qu'une demande d'inscription à un barreau soit instruite par un organisme national ?

On ne peut se présenter que trois fois à l'examen du CAPA.

Pourrait-on se présenter "à l'inscription" à un barreau autant de fois qu'il y a de barreaux en France ?

La morale est sauve : les règles protectrices des droits de la défense ont été réaffirmées, une fois de plus, par la Cour de cassation.

Mais, et la Haute juridiction n'y est pour rien, les fraudeurs à l'entrée dans un barreau ont encore un bel avenir. Et, cette morale-là n'est pas sauve.

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