La lettre juridique n°540 du 19 septembre 2013

La lettre juridique - Édition n°540

Éditorial

Projet de loi relatif à la consommation : entre le bon, la brute et le truand

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N8576BTS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Le 13 septembre 2013, le Sénat adoptait, en première lecture, le projet de loi "relatif à la consommation". Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec 705 amendements déposés, le texte soumis au vote des parlementaires était loin de faire l'unanimité et loin de marquer la cohésion entre les pouvoirs exécutif et législatif sur un domaine qui, pourtant, aurait dû rassembler le plus grand nombre.

C'est qu'à bien regarder, le projet de loi porte bien son nom : il est simplement "relatif à consommation" ; delà à y être "favorable", alors que le vocable apparaît souvent littéralement dans la dénomination des textes de loi pour marquer sa noble ambition, il y a un pas que personne n'osera franchir.

L'appareil de production en berne, la France avait manifestement besoin de mettre la consommation en "boîte". L'encadrement législatif est une habitude française, quelle que soit la majorité parlementaire ; la confiance est sans doute la vertu la moins partagée dans l'économie tricolore. Et, avec les loyers et l'égalité homme-femme, il semblait nécessaire de ressortir, maintenant, le serpent de mer du droit de la consommation : l'action de groupe.

Mais, de peur d'avoir ouvert la "boîte de Pandore", le législateur a tenté de circonscrire l'initiative d'une telle action aux associations de consommateurs agréées. Pour quelle raison ? Plutôt que de laisser le soin aux avocats chargés, jusqu'à preuve du contraire, de la défense des plus faibles ? Nul ne le sait véritablement. Un agrément n'a jamais remplacé une déontologie ; et laisser l'initiative d'une telle démarche judiciaire à une association de consommateurs, "Fouquier-Tinville des temps modernes", c'est laisser le champ à l'arbitraire ; c'est nécessairement permettre que certains "combats" ne soient pas menés. Pire, c'est laisser à un non-avocat le soin de conduire une stratégie judiciaire à la place du client, sans aucune garantie déontologique, ni responsabilité professionnelle.

On sait la méfiance des pouvoirs publics à l'égard de l'auxiliaire de justice encombrant ; l'image de la judiciarisation de la société américaine aura hanté les esprits de nos parlementaires. C'était sans compter sur un mouvement de fond conduisant, au contraire, à une déjudiciarisation des contentieux avec le développement progressif des modes alternatifs de règlement des litiges et la simplification continuelle du droit, d'une part ; et sur la déontologie de la profession d'avocat qui interdit à ce dernier de "courir le cachet" au lit des désoeuvrés et malades de tout poil, d'autre part. L'avenir dira si la voie médiane, confiant au juge le soin de définir la catégorie de consommateurs lésés entrant dans le champ de l'action de groupe, tout autant que le montant empirique du préjudice matériel subi, était la bonne.

Autre volet d'importance de ce projet de loi : la réglementation du démarchage et de la vente à distance. Le cadre actuel est, pour sûr, obsolète, lorsqu'il y va du développement du commerce électronique du XXIème siècle, pour ne pas le nommer. Pour autant, l'instauration tout azimut d'une obligation d'information précontractuelle aboutira-t-elle au développement souhaité ou, au contraire, le freinera-t-elle ? Non que la transparence nuise au commerce -encore que l'on ne voit pas très bien, alors, pourquoi la mention "fait maison" ne fait l'objet que d'une "possibilité" offerte aux restaurateurs et non d'une obligation ?-, mais il est certain que l'ensemble des nouvelles dispositions protectrices des consommateurs votées fera pâlir les enseignes habituées à un démarchage et à une simplification, parfois à l'excès, des modalités d'achat ou de souscription pour leurs clients et prospects.

Heureusement, le projet loi est, aussi, plus "léger" ; puisqu'on y trouve la libéralisation du marché des tests de grossesse, comme celui des produits de lentilles optiques. Est-ce le fruit d'un lobbying -désormais parfaitement encadré lui aussi- d'une de ces associations de consommateurs agréées ? Il n'est pas certain que cette libéralisation conduise véritablement à l'amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs visés. On y trouve, également, la tarification à la minute dans les parkings -mesure étonnamment en faveur des automobilistes pourtant bannis des centres villes par les alliés de la majorité-.

Plus sérieusement, le projet de loi inscrit, désormais, dans le marbre le droit universel d'accéder à un réseau de téléphonie ou à un réseau internet ; droit reconnu par la Cour européenne des droits de l'Homme. Désormais, les conditions de résiliation et de paiement en faveur des consommateurs seront telles qu'il est toutefois à craindre une sélection d'usage, par les opérateurs concernés, de leurs clients, à l'image des banques... Sauf à ce qu'il soit confié à l'opérateur historique le soin d'assurer un service public minimum en la matière -ce qui serait des plus étonnants pour une société cotée-.

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] La morale est sauve, pas toutes les morales

Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-23.553, F-P+B (N° Lexbase : A5466KIB)

Lecture: 7 min

N8511BTE

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 19 Septembre 2013

Par un arrêt en date du 3 juillet 2013, la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu le 18 juillet 2012 par la cour d'appel de Montpellier qui a prononcé la peine disciplinaire de la radiation à l'encontre d'un avocat. Ce ne sont pas les motifs de la Haute juridiction qui suscitent des questions, en effet elle n'a fait que rappeler des règles connues. Curieusement, ce qui est remarquable dans cet arrêt est ce qui n'y est pas évoqué. Et paradoxalement, ce sont les faits qui sont intéressants, presque davantage que le droit. Maître X est inscrit au Tableau des Pyrénées-Orientales en 2008. Il a dissimulé au barreau des Pyrénées-Orientales, lors de la procédure d'inscription au Tableau, qu'il avait fait l'objet d'une condamnation pénale devenue définitive en 1998, pour faux et usage de faux, à une peine de 18 mois d'emprisonnement dont 12 mois avec sursis, et à une amende de 100 000 francs (environ 15 000 euros).

Cette dissimulation a consisté dans une omission de déclarer cette condamnation, mais également dans la signature d'une attestation sur l'honneur indiquant qu'il n'avait pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à une condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs.

En 2010, cet avocat démissionne du barreau des Pyrénées-Orientales pour s'inscrire au barreau de Grasse.

Franchir des frontières est un exercice dangereux quand on n'est pas en situation régulière : le conseil de l'Ordre du barreau de Grasse refuse son inscription au motif qu'il ne présentait pas les conditions de loyauté et de probité exigées par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), pour avoir dissimulé au barreau des Pyrénées-Orientales lors de son inscription les faits ayant justifié sa condamnation pénale.

Retour à la case départ : Maître X demande sa réinscription au barreau des Pyrénées-Orientales.

Instruit des motifs du refus d'inscription de Maître X par le barreau de Grasse, le barreau des Pyrénées-Orientales va sans doute refuser cette demande de réinscription.

Ni l'arrêt rendu le 3 juillet 2013 par la Cour de cassation, ni les moyens annexés au pourvoi ne précisent les conditions de la prise d'effet de la démission de Maître X du barreau des Pyrénées-Orientales en 2010. C'est dommage, car la décision de réinscription prise par le barreau des Pyrénées-Orientales soulève d'intéressantes questions. Ou bien cette démission avait pris effet au jour où le conseil de l'Ordre des Pyrénées-Orientales l'avait acceptée, et dans cette hypothèse il y avait lieu effectivement à ouverture d'une procédure de réinscription. Ou bien, comme il est d'usage, cette démission devait prendre effet au jour de l'inscription de Maître X par le barreau de Grasse, et celui-ci demeurait inscrit au barreau des Pyrénées-Orientales.

Quoiqu'il en soit, le barreau des Pyrénées-Orientales a pris en 2011 deux décisions parallèles, celle du conseil de l'Ordre le 28 février de réinscrire Maître X à son Tableau, et celle du Bâtonnier de l'Ordre le 17 juillet d'ouvrir une procédure disciplinaire à son encontre devant le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Montpellier.

La décision de réinscription du conseil de l'Ordre est intervenue au motif que les conditions matérielles de l'exercice de la profession d'avocat étaient remplies, notamment celles tenant à l'agencement des locaux professionnels.

L'ouverture d'une procédure disciplinaire par le Bâtonnier était fondée, d'une part, sur la dissimulation par Maître X, lors de son inscription en 2008, de la condamnation pénale dont il avait fait l'objet antérieurement, et, d'autre part, par la dissimulation des refus d'inscription dont il avait fait l'objet, le 27 juin 2007, au barreau de Lyon, le 25 septembre 2007, au barreau de Caen, et, le 10 septembre 2007, au barreau d'Annecy (sans que l'on sache si les demandes d'inscription auprès de ces trois barreaux étaient concomitantes).

Par décision en date du 16 mars 2012, le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Montpellier a :

- jugé que les faits de signature d'une attestation inexacte le 17 octobre 2007 et d'avoir omis d'informer lors de sa demande d'intégration de la profession d'avocat et d'intégration au barreau des Pyrénées-Orientales puis lors de sa demande d'inscription au barreau de Grasse, qu'il était l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ayant donné lieu à condamnation pénale, constituent une contravention aux lois et règlements et un manquement à la probité et l'honneur ;

- prononcé à l'encontre de Maître X la peine disciplinaire d'interdiction temporaire pendant une durée de 3 ans assorti du sursis pour une durée de 30 mois et prononcé la privation de son droit de faire partie du conseil de l'Ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de Bâtonnier pendant une durée de 10 ans.

Apparemment le conseil de discipline n'a pas retenu à l'encontre de Maître X, au titre d'un manquement à son obligation de loyauté, la dissimulation des précédents refus d'inscription par trois barreaux.

Maître X a formé appel de cette décision disciplinaire.

Le conseil de l'Ordre du barreau des Pyrénées-Orientales a formé appel incident.

Par arrêt en date du 18 juillet 2012, la cour d'appel de Montpellier a infirmé la décision du conseil régional de discipline et prononcé à l'encontre de Maître X la peine disciplinaire de la radiation.

C'est cet arrêt qui a été cassé le 3 juillet 2013 par la Cour de cassation.

Les trois motifs retenus par la Haute juridiction ne souffrent aucune critique et n'appellent pas d'observations, si ce n'est celle que la cassation aurait pu être aisément évitée si certaines règles procédurales -pourtant fondamentales- n'avaient pas été ignorées, et celle que les Ordres, comme d'ailleurs les cours d'appel, oublient trop souvent la nature schizophrénique du rôle du Bâtonnier, à la fois "chef" du barreau et procureur.

La Cour de cassation a :

- au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), relevé que l'arrêt de la cour d'appel ne mentionnait pas que le professionnel poursuivi, ou son conseil, avait eu la parole en dernier ;

- au visa du même texte et de l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), relevé qu'il n'avait pas été constaté par la cour d'appel que le professionnel poursuivi avait reçu communication de l'avis du ministère public afin d'être en mesure d'y répondre utilement ;

- au visa des articles 16, alinéa 3, et 197 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), relevé qu'en matière disciplinaire, ni le conseil de discipline ni le conseil de l'Ordre ne sont parties à l'instance.

Le deuxième motif de cassation pourrait susciter une interrogation. La procédure disciplinaire n'est-elle pas orale ? Il serait malvenu de faire grief à la Haute juridiction de consacrer le nécessaire respect du contradictoire, y compris dans les procédures orales dans lesquelles il est si souvent malmené.

Cet arrêt de la Cour de cassation est néanmoins frustrant en ce qu'il n'apporte pas de réponses à certaines questions et en laisse d'autres en suspens auxquelles les Ordres d'avocats sont souvent confrontés.

1. Maître X pouvait-il faire l'objet de poursuites disciplinaires à l'initiative du Bâtonnier pour des faits dont le conseil de l'Ordre n'avait pas jugé qu'ils faisaient obstacle à une réinscription ? Avoir des locaux professionnels conformes aux règles et usages professionnels est une chose, satisfaire aux exigences de loyauté et de probité en est une autre. Le barreau de Grasse ne s'y était pas trompé.

En supposant, ce qui est vraisemblable, que la décision de réinscription de Maître X par le conseil de l'Ordre était devenue définitive au moment de l'ouverture de la procédure disciplinaire, cette décision ne faisait-elle pas obstacle à l'ouverture de poursuites alors que le conseil de l'Ordre était instruit des manquements de Maître X par le barreau de Grasse ?

Il est vrai que le conseil de l'Ordre et le Bâtonnier ne se confondent pas. Mais admettons tout de même que la contradiction pose problème.

2. Fallait-il réinscrire Maître X afin de pouvoir le poursuivre disciplinairement ? Sans doute pas, dès lors qu'il a été jugé qu'un avocat démissionnaire peut être poursuivi pour des faits commis alors qu'il était en exercice.

3. Une précédente décision devenue définitive de refus d'inscription à un barreau ne devrait-elle pas, sinon avoir autorité de chose jugée (les conditions n'en sont pas remplies), du moins se voir reconnaître une importance qui justifierait qu'il soit fait obligation, sous peine de sanction, à une personne qui demande son inscription dans un autre barreau d'en faire état ?

Certes, les motifs d'une décision de refus d'inscription peuvent avoir disparu lors d'une procédure ultérieure de demande d'inscription (ce que pourrait prendre en considération un barreau saisi d'une nouvelle demande). Et il est vrai que les Ordres d'avocats sont indépendants et seuls maîtres de leur Tableau. Mais une inscription au Tableau emporte avant tout l'accès à la profession d'avocat, le droit de porter la robe. Le "nomadisme" existe dans les demandes d'inscription à un barreau, et Maître X nous le rappelle s'il en était besoin.

4. Ne faudrait-il pas instituer un fichier national des décisions rendues en la matière ? Voire... sujet tabou... envisager qu'une demande d'inscription à un barreau soit instruite par un organisme national ?

On ne peut se présenter que trois fois à l'examen du CAPA.

Pourrait-on se présenter "à l'inscription" à un barreau autant de fois qu'il y a de barreaux en France ?

La morale est sauve : les règles protectrices des droits de la défense ont été réaffirmées, une fois de plus, par la Cour de cassation.

Mais, et la Haute juridiction n'y est pour rien, les fraudeurs à l'entrée dans un barreau ont encore un bel avenir. Et, cette morale-là n'est pas sauve.

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Droit des biens

[Chronique] Chronique de droit des biens - Septembre 2013

Lecture: 12 min

N8514BTI

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé à l'Université François-Rabelais-Tours (CRDP-EA 2116), et Séverin Jean, maître de conférences à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC-EA 1919)

Le 19 Septembre 2013

Lexbase Hebdo - édition privée inaugure cette semaine un nouveau rendez-vous avec sa nouvelle chronique trimestrielle en droit des biens, tenue par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé à l'Université François-Rabelais-Tours (CRDP-EA 2116), et Séverin Jean, maître de conférences à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC-EA 1919). Au sommaire de cette première chronique, quelques questions classiques de droit des biens ; questions qui, pour être récurrentes, n'en conduisent pas moins, parfois, à des réponses originales. Voyons ainsi comment s'exerce l'action en élagage au profit d'une servitude de passage (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 11-25.627, FS-P+B), comment s'articulent autorisation d'occupation précaire, prescription acquisitive et construction sur le terrain d'autrui (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 11-22.958, FS-P+B), comment s'évalue l'indemnité lors d'une telle construction (Cass. civ. 3, 9 juillet 2013, n° 12-18.799, F-D), quelle est l'assiette d'un juste titre permettant de prétendre à une usucapion (Cass. civ. 3., 9 juillet 2013, n° 11-24.000, F-D) et quelle est la fonction d'une action en bornage (Cass. civ. 3, 23 mai 2013, n° 12-13.898, FS-P+B ; Cass. civ. 3, 10 juillet 2013, n° 12-19.416, FS-P+B). I - Une servitude en renfort d'une autre servitude : l'élagage profite au passage
  • L'exercice de l'action en élagage est ouvert au titulaire d'une servitude de passage (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 11-25.627, FS-P+B N° Lexbase : A3275KGE)

A qui profite l'élagage ? La question peut surprendre puisque, à lire l'article 673 du Code civil (N° Lexbase : L3273ABT), la réponse semble des plus évidentes : "celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper". Même mal rédigé, le texte paraît ainsi désigner le propriétaire du terrain envahi par les branches des arbres de son voisin comme le titulaire d'une action en élagage à l'encontre de ce dernier.

Tout n'est pourtant pas si simple : la propriété à laquelle il est en l'occurrence fait référence doit être entendue de façon objective ; elle renvoie au bien plutôt qu'au pouvoir, bref à la terre plutôt qu'à son propriétaire. Rien ne s'oppose, alors, à considérer que tout détenteur d'un droit sur cette propriété, -i. e. le propriétaire, mais aussi tous les titulaires d'un droit réel-, puisse exercer ladite action. C'est ce que, bien maladroitement, la troisième chambre civile de la Cour de cassation exprime dans cet arrêt, en précisant que "l'article 673 du Code civil ouvre l'exercice de l'action en élagage quelle que soit la nature du droit réel à protéger".

En l'espèce, en vertu de cette interprétation du texte, c'est le titulaire d'une servitude de passage qui obtient la condamnation du propriétaire d'un fonds voisin au fonds qui la supporte -autrement dit au fonds dit "dominant"- à élaguer les branches de conifères plantés sur son terrain qui débordent sur le passage.

La précision apportée par la Cour de cassation peut être importante car, de la sorte, le bénéficiaire de la servitude de passage voit son droit particulièrement renforcé : d'une part, il est susceptible d'agir à la place d'un propriétaire qui s'avère trop oisif ou, comme c'est le cas dans cette affaire, qui se trouve dans une situation de trop grande connivence avec "l'envahisseur" (père et fille en l'occurrence) ; d'autre part, contrairement à la règle habituellement en vigueur en la matière, il peut exiger un acte positif d'entretien de la part de l'envahisseur.

C'est d'ailleurs cette dernière règle que la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle au titulaire de la servitude de passage lorsque, en sus de l'élagage, celui-ci demande au propriétaire du fonds dominant de supprimer des blocs de pierres qui l'empêchent de jouir librement de sa servitude. Au visa des articles 697 (N° Lexbase : L3296ABP), 698 (N° Lexbase : L3297ABQ), 701 (N° Lexbase : L3300ABT) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil, la Cour rappelle ainsi que "le propriétaire, dont le fonds est grevé d'une servitude de passage, n'est pas tenu, sauf convention contraire, d'améliorer ou d'entretenir l'assiette de la servitude mais seulement de ne rien faire qui tende à diminuer l'usage de la servitude ou à la rendre plus incommode". Il aurait fallu, sur ce point, démontrer que le propriétaire avait volontairement déposé les blocs de pierre pour empêcher le passage, ce qui n'a pas été fait.

Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)

II - Autorisation d'occupation précaire, prescription acquisitive et construction sur le terrain d'autrui

  • L'autorisation d'occupation immobilière ne saurait caractériser une possession trentenaire à titre de propriétaire, tout comme elle ne saurait servir à retenir la bonne foi en matière de construction sur le terrain d'autrui (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 11-22958, FS-P+B N° Lexbase : A3296KG8)

La prescription acquisitive, en matière immobilière, nécessite que celui qui l'invoque possède le bien qu'il entend prescrire "à titre de propriétaire" (1), c'est-à-dire comme s'il en était propriétaire, quand bien même ce ne serait pas le cas. En d'autres termes, il doit se comporter comme un propriétaire, parce qu'il pense réellement avoir cette qualité.

En l'espèce, le propriétaire de terrains avait autorisé, dans les années 1968/1970, des époux à occuper des terrains pour y construire des locaux nécessaires à l'exploitation d'une entreprise ainsi qu'une maison d'habitation. Or, à la suite de ventes successives des parcelles, le dernier acquéreur somma les époux de quitter les lieux en 2002. Pour se défendre, les époux invoquèrent la prescription trentenaire desdits terrains litigieux. La Cour de cassation, comme la cour d'appel, rejeta la demande des époux en considérant, d'une part, que leur occupation était précaire et, d'autre part, que leur possession était équivoque.

En réalité, seule cette solution pouvait être retenue par les magistrats du Quai de l'Horloge, dans la mesure où l'occupation des terrains litigieux trouvait son origine exclusivement dans une autorisation d'occupation. En d'autres termes, les époux ne pouvaient pas légitimement se croire propriétaires, puisque l'autorisation d'occupation ne constitue pas un titre translatif de propriété. L'autorisation d'occupation est à l'image d'un bail : elle ne confère que la détention précaire d'un bien. Dès lors, si les époux possèdent au nom et pour le compte d'autrui, ils ne peuvent pas, a contrario, se comporter comme des propriétaires.

En outre, la Cour de cassation prend soin de préciser que la perspective d'une cession ultérieure, dans la mesure où elle n'a jamais eu lieu, ne change rien à la nature juridique de l'autorisation d'occupation. En d'autres termes, l'espérance d'une cession ultérieure ne saurait influencer la nature de la possession des époux : il s'agit toujours d'une détention précaire. Cette solution est d'autant plus logique que les époux ne font pas état d'un moindre paiement intervenu dans le cadre de la cession projetée, ce qui rend naturellement difficile d'imaginer qu'ils aient pu se considérer autrement que comme des occupants précaires.

Par ailleurs, les époux, parce qu'ils avaient été autorisés à construire sur le terrain d'autrui, entendirent obtenir une indemnité pour les constructions édifiées sur le fondement de l'article 555 du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP).

En effet, l'article 555 du Code civil permet au constructeur de bonne foi d'obtenir une indemnité correspondant, soit à la plus-value apportée au fonds du fait des constructions, soit au coût des matériaux et de la main d'oeuvre. Reste alors à déterminer ce que l'on entend par "constructeur de bonne foi". C'est sur ce point que l'arrêt est intéressant, car il rappelle que "l'article 555 est applicable au constructeur de bonne foi, qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices". Outre qu'il convient de remarquer que, contrairement à la prescription acquisitive abrégée, où le titre est une condition exigée en sus de la bonne foi, en matière d'accession immobilière, le titre permet de qualifier la bonne foi du constructeur ; il faut bien comprendre que la bonne foi ne s'entend ici que par référence à l'article 550 du Code civil (N° Lexbase : L3124ABC) (2). Or, cet article dispose que "le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices". En d'autres termes, c'est parce que le possesseur jouit d'un titre translatif et parce qu'il ignore que ce titre est vicié, qu'il pense être un véritable propriétaire et partant, est réputé de bonne foi.

En l'espèce, là encore, il n'était guère possible de retenir la bonne foi des époux dans la mesure où l'autorisation d'occupation -conférant seulement une détention précaire- ne saurait s'analyser comme un titre translatif de propriété, pas plus qu'elle ne saurait justifier l'existence d'un titre putatif.

En effet, la preuve de la bonne foi de l'article 555 du Code civil peut aussi être rapportée par l'existence d'un titre putatif. Le titre putatif est celui qui n'existe que dans l'imagination du possesseur. Par conséquent, il n'a pas de réalité. Si les juges du fond, à défaut du titre de l'article 550 du Code civil, doivent rechercher l'existence d'un titre putatif, ce n'est qu'à la condition que cette recherche soit justifiée. Or, en démontrant que les époux ne pouvaient pas raisonnablement se considérer comme propriétaires des parcelles litigieuses, dans la mesure où ils ne disposaient que d'un titre non translatif de propriété -l'autorisation d'occupation-, ils ne pouvaient, a fortiori, avoir la croyance qu'un titre putatif existait en leur faveur. En d'autres termes, il aurait fallu que le projet de cession ultérieure contienne, dès l'autorisation d'occupation, toutes les caractéristiques d'un acte translatif de propriété (3).

Séverin Jean, MCF Toulouse 1, IEJUC (EA 1919)

III - Evaluation de l'indemnité en cas de construction sur le terrain d'autrui

  • La date d'évaluation de l'indemnité en cas de construction sur le terrain d'autrui est celle où le juge statue (Cass. civ. 3, 9 juillet 2013, n° 12-18799, F-D N° Lexbase : A8901KII)

Lorsque le propriétaire d'un fonds, ayant fait l'objet d'une construction par un tiers, décide de conserver ladite construction, il doit, à son choix, indemniser le constructeur, soit d'"une somme égale à celle dont le fonds a augmenté [plus-value], soit [d'une somme égale au] [...] coût des matériaux et [au] [...] prix de la main d'oeuvre estimés à la date du remboursement" (4).

En l'espèce, l'indemnité retenue correspondait à la plus-value apportée au fonds. La difficulté n'était pas relative au choix de l'indemnité, mais à la date de son évaluation. En effet, si la cour d'appel estima que celle-ci devait être évaluée à une date la plus proche possible de celle à laquelle le constructeur a été évincé, la Cour de cassation, en revanche, considéra que la date d'évaluation de l'indemnité était celle à laquelle le juge statue.

Doit-on saluer la solution des magistrats du Quai de l'Horloge ? Si l'on se réfère à la jurisprudence antérieure, la solution ne paraît guère nouvelle. En effet, la Cour de cassation, en 1970, estimait que la date d'évaluation n'est ni celle du transfert de propriété des constructions au propriétaire du fonds, ni celle où celui-ci manifeste son intention de les conserver, mais celle où il doit verser effectivement l'indemnité légale (5). Plus récemment, les magistrats du Quai de l'Horloge ont, comme dans notre affaire, considéré que l'indemnité doit être évaluée à la date à laquelle le juge statue (6).

Ainsi, la date d'évaluation ne coïncide pas avec la date du transfert de propriété du fait de l'accession. Autrement dit, la jurisprudence dissocie le moment où le principe de l'indemnisation est acquis -c'est-à-dire lorsque le constructeur conserve et choisit alors les modalités de l'indemnisation- du moment où l'indemnisation est évaluée, c'est-à-dire la date où le juge statue.

Cette solution apparaît contestable dans la mesure où elle peut être préjudiciable au constructeur si la construction vient à être détruite par un cas fortuit. En effet, si au jour où le juge statue, la construction est détruite, le juge ne pourra que constater l'absence de plus-value et partant, n'octroiera aucune indemnité au constructeur (7). Or, si le principe de l'indemnisation est acquis, il n'y a pas de raison que cette créance ne puisse pas être exigible au moment où le juge statue...

Séverin Jean, MCF Toulouse 1, IEJUC (EA 1919)

IV - Précision sur la notion de juste titre en matière de prescription acquisitive abrégée

  • Le juste titre doit porter sur l'immeuble qu'entend prescrire celui qui s'en prévaut et doit être a non domino (Cass. civ. 3, 9 juillet 2013, n° 11-24.000, F-D [LXB= A8594KI7])

Aucun juriste n'ignore que la "prescription acquisitive [en matière immobilière] est un moyen d'acquérir un bien [...] par l'effet [prolongé] de la possession [...]". Si l'arrêt fait référence à la durée de la possession dans son visa (8), celle-ci n'est pas cause. En effet, la difficulté résidait essentiellement dans la notion de "juste titre" qui constitue, avec la bonne foi, l'autre condition supplémentaire pour prescrire par dix ans un bien immobilier.

En l'espèce, à l'occasion d'une action en bornage, le défendeur se prévalait d'un juste titre et donc de la prescription acquisitive abrégée, laquelle fut retenue par la cour d'appel. Pourtant, la Cour de cassation cassa l'arrêt aux motifs, d'une part, que le titre invoqué n'incluait pas la bande de terrain litigieuse et, d'autre part, qu'il n'était pas précisé que son auteur n'en était pas le véritable propriétaire.

La solution de la Cour de cassation n'est pas nouvelle, dans la mesure où il est de jurisprudence constante que le juste titre s'entend d'un titre translatif de propriété a non domino, c'est-à-dire n'émanant pas du véritable propriétaire. Constatant que le demandeur ne rapportait pas la preuve que son auteur n'en était pas le véritable propriétaire, les magistrats du Quai de l'Horloge conclurent, logiquement, à l'absence d'un juste titre.

En revanche, l'arrêt est important en ce qu'il précise l'objet du juste titre. En effet, l'objet du juste titre doit correspondre précisément à ce qu'entend prescrire celui qui s'en prévaut ou, du moins, doit être inclus dans le juste titre. En d'autres termes, l'assiette de l'objet du juste titre doit être au moins égale à l'objet de la prescription acquisitive abrégée demandée.

Or, l'acte invoqué ne faisant état que d'une parcelle d'une superficie de 708 m², alors que celui qui souhaitait s'en prévaloir réclamait l'acquisition d'une parcelle d'une superficie de 850 m², la Cour de cassation ne put, à bon droit, que considérer que l'objet de la prescription abrégée projetée était supérieur à celui du juste titre invoqué. Ainsi, elle en a déduit qu'il n'était pas rapporté la preuve que le titre incluait la bande de terrain litigieuse.

Séverin Jean, MCF Toulouse 1, IEJUC (EA 1919)

V - Effet de l'action en bornage

  • L'action en bornage se borne à... borner (Cass. civ. 3, 23 mai 2013, n° 12-13.898, FS-P+B N° Lexbase : A9095KD9 ; Cass. civ. 3, 10 juillet 2013, n° 12-19.416, FS-P+B [LXB=A8834IKIZ])

Le bornage est une opération purement matérielle : il ne s'agit pas de décider des limites qui séparent deux fonds contigus, mais de les dévoiler. Pour autant, le bornage n'échappe pas au droit, qui l'associe même à une action. C'est ainsi, qu'en vertu de l'article 646 du Code civil (N° Lexbase : L3247ABU), "tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës". Si l'utilité de cette disposition est évidente, son utilisation est plus douteuse : cette action implique-t-elle, de concert, une délimitation juridique, ou nécessite-t-elle une telle délimitation juridique comme condition préalable ?

Pour être classique, la réponse à cette question ne devrait pas être si inéluctable.

Quelle est cette réponse ? Comme le précise de nouveau la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 juillet 2013, l'action en bornage a "seulement pour effet" -non pour objet, ce qui serait donc autre chose, et précisément une action en revendication- "de fixer les limites des fonds contigus sans attribuer [...] la propriété de la portion de terrain" litigieuse. Dès lors, le "perdant", si l'on peut dire, ne subira pas vraiment sa défaite puisque, par ce simple biais, le "gagnant" ne pourra pas obtenir les sanctions puissantes attachées au droit de propriété (par exemple obtenir l'enlèvement d'un ouvrage, comme l'un des "bornés" le souhaitait en l'espèce).

Dans la même idée, comme le précise la Cour de cassation dans un autre arrêt rendu le 23 mai 2013, en cas de bornage amiable, "l'accord des parties sur la délimitation des fonds n'implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses". Même cause, même effet : le "vainqueur" du bornage ne saura, en tant que tel, prétendre imposer au "vaincu" ce que seule la propriété permet d'imposer (en l'espèce, la propriété d'une berge et le paiement du coût des travaux de reprise de cette berge).

Rien de nouveau sous le soleil des géomètres, mais quid du point de vue des juristes ?

Il n'est pas rare, on le constate, qu'un simple bornage dégénère en véritable conflit de propriété. Pour cette raison, il serait peut-être temps de trancher plus clairement la question de la nature juridique de l'action en bornage. Action quasi conjointe, matière presque gracieuse au départ, elle devient très souvent, trop souvent, litigieuse à son terme. Pourquoi, en conséquence, ne pas en confier la compétence au seul juge de la propriété (TGI) qui, en tant que tel, serait libre de la requalifier si contentieux il y a dès le départ ? On répondra, à juste titre sans doute, que ce serait entretenir une vision trop caricaturale du bornage, qui ne mène pas toujours à une guerre entre voisins. On rétorquera que, si guerre il ne devait jamais y avoir, un bornage amiable aurait suffi, son échec et la saisine corrélative du tribunal d'instance démontrant, déjà, que l'avenir a bien des risques d'être sombre...

Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)


(1) C. civ., art. 2261 in fine (N° Lexbase : L7210IAB).
(2) Cass. civ. 3, 29 mars 2000, n° 98-15.734 (N° Lexbase : A5494AWE).
(3) En ce sens, voir CA Aix-en-provence, 18 avril 1989, 4ème ch., sect. B, 18 avril 1989, n° 85.8205 (N° Lexbase : A1707KLS).
(4) C. civ., art. 555, alinéa 3.
(5) Cass. civ. 3, 12 mars 1970, n° 69-10.216 (N° Lexbase : A1384CHQ).
(6) Cass. civ. 3, 22 février 2006, n° 04-19.852, FS-P+B (N° Lexbase : A3296KG8).
(7) En ce sens, voir Cass. civ. 1, 1er mars 2005, n° 97-13.905, F-D (N° Lexbase : A1118DHU).
(8) L'ancien article 2265 du Code civil (N° Lexbase : L2551AB4), qui a été remplacé aujourd'hui par l'article 2272 du même code (N° Lexbase : L7195IAQ).

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L'absence d'assimilation du privilège garantissant les créances de la Carpimko au super privilège des salaires

Réf. : Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-20.649, F-P+B+I (N° Lexbase : A8064KII)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Le 19 Septembre 2013

La Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, dite en abrégée Carpimko, a été, ces dernières années, à l'origine d'un contentieux relativement important.
Trois questions d'inégale importance étaient au coeur de l'arrêt rendu le 9 juillet 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La première concernait le périmètre de la remise obligatoire des pénalités et intérêts de retard sur les créances de cotisations sociales par l'effet de l'ouverture d'une procédure collective. On se souvient de l'interprétation de l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-5, anc. N° Lexbase : L4966ICW). L'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale prévoyait la remise de plein droit des pénalités et intérêts de retard pour les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé. Logiquement, la jurisprudence, appelée à statuer sur la question, avait dû en tirer la conséquence qui s'imposait. Puisque, l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale ne visait que les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé, le texte ne concernait donc pas les personnes physiques exerçant une profession indépendante, autres que les commerçants et artisans. La solution avait été posée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pour un médecin (1) ou encore un masseur-kinésithérapeute (2). La Chambre commerciale de la Cour de cassation, pour sa part, avait identiquement statué à propos d'un infirmier libéral (3). La cour d'appel de Paris avait posé la même règle pour un avocat (4) ou un orthophoniste (5).

Il y avait là, a priori, un oubli du législateur (6), car on ne comprenait pas pourquoi tous les professionnels libéraux n'auraient pas pu tirer de l'ouverture d'une procédure collective les mêmes avantages que tout professionnel indépendant.

Sans surprise, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée sur ce point. Logiquement, le Conseil constitutionnel relève que "en étendant l'application des procédures collectives à l'ensemble des membres des professions libérales par la loi du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), le législateur a entendu leur permettre de bénéficier d'un régime de traitement des dettes en cas de difficultés financières, par suite les dispositions précitées des premiers et sixième alinéas de l'article L. 243-5 ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être interprété comme excluant les membres des professions libérales exerçant à titre individuel du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de sécurité sociale" (7). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui avait transmis la question au Conseil constitutionnel, en tire les conséquences (8). Il est fait interdiction aux juridictions de traiter différemment les débiteurs, au regard de la question de la remise de plein droit des intérêts, pénalités et majorations de retard dû sur des cotisations sociales impayées, au jour du jugement d'ouverture. Tous ces débiteurs doivent bénéficier de la même règle, à savoir la remise de plein droit de ces pénalités, majorations et intérêts de retard, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, sauf le cas de fraude. La solution vaut même si le débiteur s'est vu délivrer des contraintes définitives (9). Notons que la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 (LXB=L2893IQ9]) réécrit l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3150IQQ) pour le mettre en harmonie avec la décision du Conseil constitutionnel (10). Le créancier social ou fiscal ne pourra faire admettre au passif une créance qui comprendrait des sommes remisées de plein droit (11).

La remise des pénalités, majorations de retard et frais de poursuite dus au jour du jugement d'ouverture s'applique sans distinction, juge la Cour de cassation, suivant le caractère privilégié ou chirographaire de la créance de majoration (12). La discussion développée ici par la Carpimko, qui entendait limiter l'application du texte aux seules sommes garanties par le privilège mobilier, ne pouvait prospérer et, sans surprise, la Cour de cassation la rejette.

La Carpimko entendait encore faire juger que la créance de cotisations naît de l'exercice de l'activité au premier jour de l'année. Elle ne naît pas trimestriellement, même si les cotisations ne sont exigibles qu'à compter du premier jour du trimestre civil qui suit le début d'activité. Sur ce point, elle est suivie par la Cour de cassation, qui casse la décision de la cour d'appel, ayant, au contraire, cru devoir considérer que les créances de cotisations naissent trimestriellement, ce qui avait un impact sur le contenu de la déclaration de créance. Autrement dit, la cour d'appel avait ici confondu exigibilité et naissance de la créance de cotisations sociales.

Reste la difficulté principale, sur laquelle nous allons centrer notre commentaire, qui est la suivante : les cotisations sociales dues à la Carpimko, bénéficient-t-elles d'un privilège identique à celui des salariés dans les procédures collectives, à savoir le privilège général des salaires et le super privilège des salaires ?

La réponse à la question commande, dans un premier temps, d'examiner le texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale (I), d'examiner, ensuite, la place de ce texte dans le Code de la Sécurité sociale (II) et, enfin, de rechercher la ratio legis du texte afin de la confronter au fondement et aux règles régissant les privilèges reconnus aux salariés (III).

I - L'examen de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale

L'article L. 243-4 du Code de la Sécurité sociale dispose, en son alinéa 1er, que "le paiement des cotisations et des majorations et pénalités de retard est garanti pendant un an à compter de leur date d'exigibilité, par un privilège sur les biens meubles du débiteur, lequel privilège prend rang concurremment avec celui des gens de service et celui des salariés établis respectivement par l'article 2331 du Code civil (N° Lexbase : L3153IMQ) et les articles L. 625-7 (N° Lexbase : L5974HI4) et L. 625-8 (N° Lexbase : L3391ICL) du Code de commerce".

La lettre du texte accrédite ainsi l'idée que ces cotisations bénéficient d'un privilège exclusivement mobilier, de rang identique au privilège général des salaires, du fait du visa de l'article 2331 du Code civil et du super privilège des salaires eu égard au visa des articles L. 625-7 et L. 625-8 du Code de commerce.

Le texte ne fait aucune distinction selon que les cotisations sont celles personnellement dues par l'auxiliaire médical ou sont celles relatives aux salaires versés par ces auxiliaires médicaux à leurs salariés. Le principe "ubi lex [...]" peut ainsi conduire à décider qu'il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas.

C'est le raisonnement implicitement, mais nécessairement tenu par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 29 juin 2010 (13), dans une espèce opposant la Carpimko, qui est une caisse de retraite et de prévoyance d'auxiliaires médicaux à un débiteur, Mme C. La cour considère que l'article L. 625-8 du Code de commerce, qui régit le super privilège des salaires est applicable aux cotisations personnelles dues par le débiteur, auxiliaire médical

L'absence de distinction du texte pouvant accréditer la thèse de l'extension du super privilège des salaires aux cotisations dues par l'auxiliaire médical suppose de ne pas faire de distinction, au regard de la question posée, entre ces cotisations et celles dues par l'auxiliaire médical sur les salaires versés à ses salariés.

Les raisons de douter de cette interprétation sont doubles. Elles tiennent en premier lieu à la place de l'article L 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, dans ce code et, en second lieu, au fondement de ce texte.

II - La place de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, dans le Code de la Sécurité sociale

Nous avons vu que l'absence de distinction du texte pouvant accréditer la thèse de l'extension du super privilège des salaires aux cotisations dues par l'auxiliaire médical suppose de ne pas faire de distinction, au regard de la question posée, entre ces cotisations et celles dues par l'auxiliaire médical sur les salaires versés à ses salariés.

L'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale est situé dans le livre II (articles L 200-1 N° Lexbase : L9162AMB et suivants), intitulé "Organisation du régime général, action de prévention, action sanitaire et sociale des caisses". Le régime général s'intéresse aux travailleurs salariés et assimilés. Il ne s'intéresse pas au régime des travailleurs indépendants.

Le titre IV (articles L. 241-1 N° Lexbase : L4931ADY et suivants) est, pour sa part, intitulé "Ressources". Le chapitre 1er intitulé "Généralités" a trait aux assurances sociales, à l'assiette, au taux et au calcul des cotisations.

Le chapitre 3 (articles L. 243-1 N° Lexbase : L4419ADZ et suivants), qui nous intéresse plus spécialement, traite du recouvrement, des sûretés, de la prescription et du contrôle.

Il faut donc comprendre que l'article L. 243-4, qui traite des sûretés, s'intéresse aux sûretés qui garantissent le recouvrement des cotisations sociales perçues au titre des revenus de professions salariées ou assimilées, celles qui rentrent dans le régime général dont traite exclusivement le livre II du Code de la sécurité sociale. Cette disposition, placée dans le livre consacré au régime général, n'a donc aucune vocation à s'appliquer à des cotisations assises sur les revenus de personnes ne relevant pas du livre II, notamment celles relevant du livre VI consacré au régime des travailleurs non-salariés.

En effet, le livre VI du Code de la Sécurité sociale est intitulé "Régime des travailleurs non-salariés". Là il faut chercher les règles applicables au calcul, à l'assiette, au taux et au recouvrement des cotisations sociales dues personnellement par des auxiliaires médicaux, travailleurs non-salariés, selon l'appellation du Code de la Sécurité sociale.

L'examen du livre VI permet d'apercevoir un titre II intitulé "Généralités relatives aux organismes autonomes d'assurance-vieillesse". Tel est le cas de la Carpimko, de sorte que le livre VI s'applique à cet organisme.

Le titre IV est intitulé "Assurance-vieillesse et invalidité des professions libérales".

L'article L. 642-1 du code (N° Lexbase : L4448IR8) prévoit les cotisations que doit verser "toute personne exerçant une activité professionnelle relevant de l'organisme autonome d'assurance-vieillesse des professions libérales". Ce texte n'effectue aucun renvoi aux dispositions de l'article L 243-4, alinéa 1er, du même code.

L'article L. 642-5 (N° Lexbase : L2289IBE) s'intéresse, pour sa part, au recouvrement des cotisations. Il ne procède à aucun renvoi à l'article L. 243-4, alinéa 1er.

Les articles L. 645-1 (N° Lexbase : L9662HEL) à L. 645-5 du code, enfin, sont des dispositions intéressant le régime complémentaire des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés. Ces dispositions ne procèdent à aucun renvoi à l'article L 243-4, alinéa 1er, du code.

En conséquence, il résulte de ce qui précède que la Carpimko, organisme autonome d'assurance-vieillesse des auxiliaires médicaux, relève pour le calcul, le taux, l'assiette et le recouvrement de ses cotisations exclusivement du Livre VI du Code de la sécurité sociale, qui a vocation à régir les travailleurs non-salariés. Elle ne relève pas du livre II, livre qui n'intéresse que le régime général, c'est-à-dire celui applicable aux travailleurs salariés et assimilés.

Faute de renvoi opéré par les dispositions du livre VI à l'article L. 243-4, alinéa 1er, il pouvait paraître exclu d'appliquer cette disposition en présence de cotisations relevant du livre VI, au bénéfice d'un organisme autonome de retraite identiquement régi par le livre VI. Par voie de conséquence, la place du texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, au sein d'un livre n'intéressant que les travailleurs salariés et assimilés, interdirait son application à des cotisations de retraite dues personnellement par des travailleurs indépendants, qui relèvent exclusivement du livre VI de ce même code.

La place de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale dans le Code de la Sécurité sociale, aurait ainsi pu constituer un premier argument permettant de ne pas accepter l'interprétation tendant à assimiler les créances détenues par la Carpimko à des créances privilégiées de salaires.

Cet argument n'a pas été suivi par la Cour de cassation, qui accepte d'appliquer aux cotisations dues à titre personnel par le professionnel libéral, les dispositions de l'article L. 243-4 du Code de la sécurité sociale.

Mais il existe un second argument, beaucoup plus fort, qui conduit à refuser d'assimiler les cotisations sociales à des créances de salaires et par voie de conséquence, qui aboutit à ne pas reconnaître à un organisme social, toutes les prérogatives reconnues aux salariés pour le recouvrement de ses créances.

Il tient à la raison d'être du texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale.

III - La ratio legis du texte de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale confrontée au fondement et aux règles régissant les privilèges reconnus aux salariés

L'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale accorde un privilège prenant rang concurremment avec celui des salariés, mais sur les meubles seulement, c'est-à-dire un privilège général mobilier, pour le paiement de cotisations sociales.

Il importe de rappeler le fondement du privilège des salaires, pour comprendre les conditions de son attribution et ainsi pour pouvoir répondre à la question posée de savoir si un organisme social peut prétendre être assimilé pour ses cotisations, à des salariés.

Les meilleurs auteurs civilistes, spécialistes du droit des sûretés, justifient ainsi l'existence du privilège des salaires.

Le privilège conféré aux salariés s'explique par deux raisons. D'abord, parce que, ne participant pas aux profits de l'entreprise, le salarié ne doit pas supporter le risque de son insolvabilité. En outre, ce qui est une raison plus pressante pour donner au privilège une force plus grande, parce que sa créance présente un caractère alimentaire (14).

Il est encore énoncé que "les travailleurs au sein d'une entreprise et qui ne sont associés ni à sa gestion ni à son profit, ne doivent pas en subir le risque. Il importe donc de les soustraire à la condition de simple créancier chirographaire en concours avec les autres créanciers sur un actif insuffisant. Cette idée justifie l'existence du privilège des salariés. Si l'on fait observer que les salaires ont un caractère alimentaire, du moins dans une certaine fraction, on renforce la justification de la garantie ainsi accordée. Si l'on ajoute que les difficultés des entreprises sont fréquentes, on comprend que le législateur ait cherché à étendre les sûretés des salariés et à doubler, dans les situations les plus nécessaires, leur privilège d'un super privilège" (15).

Ainsi, le fondement premier du privilège des salaires est-il trouvé dans l'état de dépendance économique, et dans l'état de subordination juridique, dans lesquels se trouve le salarié par rapport à son employeur, par l'absence de participation de celui auquel est reconnu ce privilège aux profits réalisés par l'employeur.

Le raisonnement ne peut évidemment être mené à l'identique à propos d'un auxiliaire médical, qui est un professionnel indépendant, dont le sort économique ne dépend que de lui, et qui cherche personnellement à réaliser du profit dans le cadre de son activité professionnelle.

A ce stade, il importe d'insister sur une donnée importante : il est question ici de raisonner sur un privilège et son attribution, ce qui suppose des précautions importantes.

Le principe d'interprétation stricte des privilèges oblige ainsi à la plus grande circonspection lorsqu'on se demande si tel ou tel créancier doit ou non bénéficier d'un privilège. La remarque est d'autant plus importante que le privilège en question est fort, par sa capacité spoliatrice des autres créanciers, dans le cadre d'une liquidation judiciaire.

Aussi, devant une situation qui interpelle par sa singularité, l'examen doit-il en être d'autant plus approfondi et l'on ne peut se contenter de lire un texte, dont on ne mesure pas exactement la portée, pour en déduire, immédiatement, l'attribution du privilège. Car, en l'espèce, singularité il y a.

Le principe, en matière de cotisations sociales, est en effet de reconnaître à l'organisme créancier le privilège de la Sécurité sociale, qui ne brille pas par sa force. Peut-être le législateur devrait-il, en ces temps difficiles, repenser la hiérarchie des privilèges, pour renforcer celui de la Sécurité sociale. Mais, pour l'heure, le principe est de reconnaître aux organismes sociaux ce faible privilège.

Si le législateur sort de ce principe, comme il le fait à l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, ce ne peut être que de manière exceptionnelle, ce qui conduit l'interprète à une interprétation doublement stricte : d'une part, parce que les exceptions sont de droit strict et qu'il faut donc rechercher quelles sont très exactement les situations exceptionnelles dans lesquelles le législateur accorde à des organismes sociaux un privilège d'un rang très supérieur à celui de la Sécurité sociale et, d'autre part, parce que les privilèges, en eux-mêmes, sont d'interprétation stricte.

D'après l'article 2324 du Code civil (N° Lexbase : L1148HID), le privilège "est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires".

Sous la plume des plus grands spécialistes français du droit de sûretés, on peut lire "bien entendu, il appartient au seul législateur de déterminer cette qualité. Si tel n'était pas le cas, on imagine les surenchères des créanciers, chacun se croyant titulaire d'une créance de meilleure qualité que celle de son voisin. Diverses raisons peuvent guider le législateur dans sa décision d'octroyer un privilège. Tantôt, il s'appuiera sur des considérations sociales (privilège des salariés), tantôt il s'estimera lié par des contingences économiques (privilège du Trésor), tantôt, enfin, il voudra récompenser un créancier par un simple souci de justice (privilège du fournisseur d'aliments)" (16).

"Les privilèges tirent leur source dans la seule autorité de la loi" (17).

"Ce sont des faveurs accordées par la loi à des créanciers jugés dignes d'intérêt. En conséquence, ils ne peuvent exister qu'autant qu'ils ont été formellement prévus par un texte et les dispositions qui les organisent doivent être interprétées strictement. Ainsi, le raisonnement par analogie est-il proscrit" (18). "De même n'est-il pas possible d'étendre le privilège à d'autres créances que celles qui sont expressément garanties, ni d'augmenter l'assiette du privilège, ni d'accorder le privilège à d'autres créanciers que ceux que la loi vise" (19).

"Si les privilèges sont de droit étroit et ne peuvent jouer en dehors des cas pour lesquels ils ont été limitativement établis, a fortiori ne peut-on en créer en l'absence de texte" (20) .

Ainsi, les prérogatives conférant un droit de préférence aux salariés leur sont exclusivement réservées.

Le privilège des salaires et, par voie de conséquence, le super privilège des salaires présupposent que son bénéficiaire ait un lien de subordination. Sous la plume de prestigieux auteurs, on lit que "le privilège des salariés bénéficient aujourd'hui à tous ceux qui sont engagés dans les liens d'un contrat de travail, c'est-à-dire tous ceux qui sont dans un état de subordination juridique" (21). Doctrine civiliste et doctrine faillitiste (22) s'accordent sur ce point.

Le privilège ne saurait bénéficier à une personne qui ne peut justifier être liée au débiteur par un contrat de travail (23).

Le privilège ne peut bénéficier qu'à une personne physique, en application de l'idée selon laquelle la subordination est nécessaire à l'octroi du privilège des salariés (24).

Il a ainsi été jugé qu'une mutuelle ne bénéficie pas du privilège par subrogation, au titre de la part salariale de cotisations impayées (25), peu important que cet organisme de prévoyance ait accepté de faire bénéficier, en dépit des cotisations impayées, les salariés de la garantie.

Il en est de même pour une association servant d'intermédiaire pour le placement de salariés (26).

De même encore, les salariés mis à disposition de la société débitrice par leur employeur ne peuvent prétendre au privilège des salaires, dans la procédure du débiteur (27).

La Cour de cassation a récemment eu l'occasion d'insister sur le fait que, pour bénéficier du super privilège des salaires, l'intéressé doit détenir une créance salariale. Il a été jugé que le super privilège des salaires ne peut être octroyé à une société qui, à l'occasion de la cession de son fonds de commerce, prend l'engagement de rembourser au cessionnaire, les sommes que ce dernier aurait versées aux salariés au titre des créances impayées au jour de son entrée en jouissance (28). En effet, au jour de l'ouverture de la procédure collective, les salariés ne détenaient aucune créance salariale sur le débiteur, ce qui faisait obstacle à l'existence du super privilège des salaires en application de l'article 3253-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0955H9A).

Dans le même ordre d'idées, il a été jugé que le privilège ne saurait bénéficier à une entreprise de travail temporaire qui paye les salaires de ses employés alors que l'entreprise utilisatrice fait l'objet d'une procédure collective de paiement. En ce cas, en effet, la subrogation ne peut être admise, car l'entreprise de travail temporaire paie sa propre dette et non pas la dette d'autrui, ce qui exclut toute idée de subrogation (29).

Ainsi, le principe est-il très clair : seules des personnes physiques, dans un lien de subordination juridique, bénéficient du privilège des salaires.

Par exception, d'une part, aux règles qui régissent l'attribution du privilège de la Sécurité sociale et, d'autre part, à celles qui régissent l'octroi des privilèges reconnus aux salariés, l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale reconnaît, mais seulement sur les meubles, un privilège de rang identique à celui des salariés pour le recouvrement de certaines cotisations sociales.

Du fait de la double exception et du principe d'interprétation stricte des privilèges, ce texte mérite une interprétation restrictive.

Très logiquement, la Cour de cassation, dans l'arrêt rapporté juge donc que "si le paiement des cotisations sociales est garanti par un privilège mobilier prenant, aux termes de l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale, rang concurremment avec celui des salariés établi par les articles L. 625-7 et L. 625-8 du Code de commerce, il n'en résulte pas que la créance des organismes de Sécurité sociale serait assimilée à une créance privilégiée de salaires, seule susceptible d'être payée, par application du dernier texte précité, sur les fonds disponibles du redevable soumis à une procédure collective ou les premières rentrées de fond". La Cour de cassation rejette en conséquence ce moyen en estimant que "la cour d'appel en a exactement déduit que la créance de la Carpimko ne pouvait bénéficier de la priorité de paiement réservée aux créances de salaires".

Ainsi, oui, pour le rang, mais seulement sur les meubles ! Non pour les autres prérogatives reconnues aux salariés grâce au super privilège des salaires !

Poser une solution contraire aurait été extrêmement choquant, qui aurait consisté à assimiler purement et simplement à des salariés un organisme social. L'organisme social est donc justement traité comme le prévoit l'article L. 243-4, alinéa 1er, du Code de commerce, au même rang sur les meubles que les salariés. Mais n'étant pas assimilé à des salariés, l'organisme social ne peut bénéficier des prérogatives exorbitantes reconnues aux salariés, autorisés à s'émanciper de la discipline collective, même pour des créances antérieures au jugement d'ouverture, et à être payés sur les premiers fonds.


(1) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-13.459, FS-D (N° Lexbase : A1368EDZ), D., 2009, AJ 1085, obs. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle, LEDEN, 2009/4, p. 1, note crit. F.-X. Lucas, sur pourvoi de CA Bordeaux, 2ème ch. 6 février 2008, JCP éd. E 2008, 2026 ; Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, n° 08-22.081, F-D (N° Lexbase : A0853EQN) ; Cass. civ. 2, 4 février 2010, n° 09-11.602, F-D (N° Lexbase : A6152ERB) ; CA Paris, 7 avril 2009, n° 08/18741 ([LXB=A1753EGZ)]).
(2) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-10.470, FS-D (N° Lexbase : A1319ED9), Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle ; Cass. civ. 2, 14 janvier 2010, n° 09-65.485, F-P+B (N° Lexbase : A3151EQR).
(3) Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-70.173, F-D (N° Lexbase : A7231EPI), Gaz. Pal., 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 32, note Ph. Roussel Galle.
(4) CA Paris, 1er octobre 2009, n° 08/20989.
(5) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 30 avril 2009, n° 08/19446 (N° Lexbase : A0399EHA).
(6) F.-X. Lucas, note sous Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-13.459, FS-D, préc. LEDEN, 2009/4, p. 1.
(7) Cons. const., 11 février 2011, n° 2010-101 QPC (N° Lexbase : A9132GTE), D., 2011, AJ 513, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 1er et 2 avril 2011, p. 11, note Ch. Lebel ; Gaz. Pal., 20 à 22 février 2011, p. 8, note G. Teboul ; BJE, mai/juin, 2011, § 71, p. 128, note S. Rétif ; BJS, mars 2011, p. 165, obs. F.-X. Lucas ; LPA, 16 juin 2011, n° 119, p. 21, note J.-P. Sortais ; LPA, 20 septembre 2011, n° 187, p. 3, note F. Dekeuwer ; Rev. sociétés, mai 2011, note Ph. Roussel Galle ; nos obs., in Chronique de droit des entreprises en difficulté Février 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 239 du 17 février 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N4844BRT).
(8) Cass. QPC, 17 février 2011, n° 10-40.060, F-D (N° Lexbase : A1761GXI), D., 2011, AJ 673, obs. A. Lienhard ; Cass. civ. 2, 16 juin 2011, n° 10-14.398, F-D (N° Lexbase : A7523HTS), JCP éd. E, 2011, chron. 1596, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., novembre 2011, comm. 213, note Ch. Lebel.
(9) Cass. civ. 2, 12 juillet 2012, n° 11-19.861, F-P+B (N° Lexbase : A7999IQC), Rev. proc. coll., septembre 2012, comm. 161, note Ch. Lebel.
(10) J.-P. Sortais, La suite heureuse d'une QPC, LPA, 15 août 2011, n° 161, p. 6.
(11) Cass. com. 3 novembre 2004, n° 02-18.030, F-D (N° Lexbase : A7577DDY).
(12) Cass. com., 3 juillet 2012, n° 11-22.746, F-D (N° Lexbase : A4991IQW), Rev. proc. coll., septembre 2012, comm. 161, note Ch. Lebel ; Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-22.750, F-P+B (N° Lexbase : A7176IUC), D., 2012, Actu 2515, note A. Lienhard ; Gaz. Pal., 18 janvier 2013, n° 18, p. 31, note Ph. Roussel Galle, JCP éd. E, 2012, chron. 1757, n° 4, obs. Ph. Pétel ; BJE, janvier 2013, comm. 11, note F. Macorig-Vénier ; Rev. proc. coll., novembre 2012, comm. 218, note Ch. Lebel ; Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-14.493, F-P+B.
(13) CA Rennes, 29 juin 2010, n° 09/04288 (N° Lexbase : A6177E7W).
(14) Malaurie et Aynés, par L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - la publicité foncière, Defrénois 5ème éd., 2011, n° 462.
(15) Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil - Les sûretés, Précis Dalloz, 5ème éd., 2009, n° 750.
(16) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n° 745.
(17) Merlin, cité par H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., n° 318, commentant la règle "pas de privilège sans texte".
(18) Cass. Req., 18 mai 1831, Grands arrêts, 12ème éd., tome 2, n° 302.
(19) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n° 746.
(20) Ph. Simler et Ph. Delebecque,. op. cit., loc. cit.
(21) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n° 751.
(22) J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2450, [Privilège des salariés et garantie de paiement], éd. 2007, n° 4.
(23) J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2450, [Privilège des salariés et garantie de paiement], éd. 2007, n° 6.
(24) T. com. Seine 27 juin 1952, RTDCom., 1952, 640 ; J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2450, [Privilège des salariés et garantie de paiement], éd. 2007, n° 7 ; J. L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2010, n° 3913.
(25) Cass. soc. 27 novembre 2007, n° 06-17.866, F-D (N° Lexbase : A9423DZZ).
(26) Rep. min. n° 61359, JOAN Q 15 mars 1993, p. 666.
(27) CA Rouen, 2ème ch., 5 avril 2001, RJDA 2002/3, n° 282, p. 238.
(28) Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-14.744, F-P+B (N° Lexbase : A5504GD9), D., 2010, AJ 2701, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 7 et 8 janvier 2011, p. 41, note Ch. Gailhbaud ; Act. proc. coll., 2010/20, comm. 279, note L. Fin-Langer ; BJE, mars/avril 2011, p. 23, note F. Macorig-Vénier ; JCP éd. E, 2011, chron. 1263, n° 11, obs. Ph. Pétel ; LPA, 29 avril 2011, n° 85, p. 8, note D. Jacotot.
(29) Cass. soc., 12 juillet 1993, D., 1993, somm. p. 369, obs. A. Honorat ; Rev. proc. coll., 1994, p. 59, n° 5, obs. E. Kerckhove.

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Juristes d'entreprise

[Manifestations à venir] Troisième édition du CAMPUS AFJE : le rendez-vous incontournable de la formation des juristes d'entreprise

Lecture: 3 min

N8526BTX

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Le 27 Mars 2014

Le 11 octobre 2013, l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE) organise sa troisième édition de CAMPUS AFJE, une journée de formation réalisée par des juristes d'entreprise pour les juristes d'entreprise. Quinze ateliers sont proposés aux juristes tout au long de cette journée, réunis en sept thématiques : L'entreprise face à la crise ; Contrats de l'entreprise ; Anglais juridique ; Comptabilité et finance ; Gestion du risque ; Droit des nouvelles technologies ; Outils et compétences professionnelles. Chaque atelier, d'une durée de 1h30 à 2 heures, est animé par un ou plusieurs professionnels de grande qualité connus et reconnus dans leur domaine de compétence, dont une majorité de juristes d'entreprise qui connaissent parfaitement les problématiques concrètes de leurs pairs. Les formations sont reprises dans un support complet (papier et dématérialisé).

Trois plages horaires sont mises en place, et cinq ateliers sont disponibles à ces horaires, au choix : de 11h à 12h30, de 14h à 16h et de 16h30 à 18h30. A compter de 8h45, un petit déjeuner est servi aux participants, avant le discours de Hervé Delannoy, Président de l'AFJE, à 9h15. A la fin de cette journée de formation, un cocktail permet aux participants et aux intervenants de lier des contacts, dans un climat de convivialité.

Cette journée unique, qui se déroule sur un site entièrement dédié à l'évènement, répond aux besoins spécifiques des juristes d'entreprise, en leur offrant la possibilité de suivre des formations répondant aux problématiques qu'ils rencontrent au quotidien dans leur travail.

Les entreprises connaissent une période difficile et doivent faire face à la crise. Les juristes d'entreprise ont un vrai rôle à jouer pour les aider à affronter ces obstacles, par le biais de la connaissance du droit, du savoir-faire et du professionnalisme des juristes, qui savent trouver des solutions, sauvegarder et créer de la valeur.

Le format de CAMPUS AFJE ouvre également un moment important d'échange qui permet de tisser des relations entre professionnels durant les pauses, petit déjeuner, déjeuner ou cocktail de clôture aménagés à cet effet.

L'AFJE est fière de proposer à ses membres cette formation unique en son genre, qui démontre que la première association de juristes d'entreprise de France se place dans le concert des grandes organisations professionnelles en tête de la formation continue juridique.

  • Programme

De 11h à 12h30
Atelier n° 1 : Accompagner les opérations de restructuration de l'entreprise, par Bruno Dondero et Dominique Ledouble
Atelier n° 2 : Negotiating and drafting contracts in English, par Doris Lynn Speer (sous réserve)
Atelier n° 3 : Encadrer les responsabilités contractuelles de l'entreprise, par Marie Lamoureux et Didier Poracchia
Atelier n° 4 : Assurer la validité des délégations de pouvoirs et maîtriser les risques de responsabilité, par Luc Athlan et Jean-Philippe Gille
Atelier n° 5 : Tableaux de bord et chiffres clés : les outils du juriste, par Christophe Collard et Rémy Sainte Fare Garnot

De 14h à 16h
Atelier n° 6 : Agir face à l'entreprise en difficulté : comprendre les procédures, mesurer les risques et les conséquences de la défaillance d'un partenaire commercial, par Stéphane Gorrias et Thierry Montéran
Atelier n° 7 : L'analyse comptable et financière pour les juristes : interpréter les documents financiers de l'entreprise, par Frédéric Parrat
Atelier n° 8 : Sécuriser vos négociations : savoir quand et comment contractualiser, évaluer les risques d'une rupture, par Catherine Fillet et Jean-Louis Fourgoux
Atelier n° 9 : Réseaux sociaux : accompagner la présence de l'entreprise sur ces nouveaux médias, éviter les risques, se protéger, par Nathalie Dreyfus
Atelier n° 10 : La déontologie du juriste : l'exercer dans le respect de sa spécificité, par Stéphanie Couture et Jean-Charles Savouré

De 16h30 à 18h30
Atelier n° 11 : La conformité : un outil pour prévenir le risque et renforcer l'entreprise, par Jean-Yves Trochon
Atelier n° 12 : Les méthodes d'évaluation d'entreprise, par Laurent Inard et François Basdevant (sous réserve)
Atelier n° 13 : Rédiger et sécuriser les clauses sensibles des contrats d'affaires, par Nicolas Rontchevsky et François Xavier Testu
Atelier n° 14 : Maîtriser les enjeux de la protection des données personnelles dans l'entreprise, par Merav Griguer et Hélène Legras
Atelier n° 15 : Juristes : communiquer pour convaincre, par Jérôme Duval Hamel

  • Date

Vendredi 11 octobre 2013, de 8h45 à 18h30

  • Lieu

Eurosites - George V
28, avenue George V
75008 Paris

  • Renseignements/inscriptions

Pour voir le programme complet et les modalités d'inscription, lire la plaquette de l'évènement.

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Libertés publiques

[Le point sur...] La liberté d'opinion, de croyance et de religion en France : principes généraux et directeurs

Lecture: 27 min

N8502BT3

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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

Le 19 Septembre 2013

La liberté d'opinion, de croyance et de religion fait l'objet de textes internationaux et européens qui, dans l'ensemble, paraissent plus contraignants que les réglementations nationales. La France, notamment signataire du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966, doit également intégrer les "standards" dégagés en la matière par la Cour européenne des droits de l'Homme. Il est à noter que, de ce point de vue, elle fait l'objet de condamnations régulières de la Cour, mais plutôt sur le fondement de l'article 10 relatif à la liberté d'expression (N° Lexbase : L4743AQQ), et non sur le fondement du respect de la liberté de croyance et de religion protégée par l'article 9 de la Convention (N° Lexbase : L4799AQS). L'article 1er de la loi du 9 décembre 1905, de séparation de l'Eglise et de l'Etat (N° Lexbase : L0978HDL), dispose bien que "la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public". Cette prescription législative est aujourd'hui de nature constitutionnelle. Mais dans la seule véritable République déclarée laïque dans l'Union européenne, les questions religieuses notamment semblent se poser parfois avec plus d'acuité dans les autres pays de l'Union. Même si on peut distinguer sémantiquement la liberté de conscience ou d'opinion, la liberté de croyance et la liberté de religion, on parle plus volontiers, en France, de liberté d'opinion, expression qui englobe tout ce qui relève des pensées du for intérieur (l'expression de "for interne" étant souvent préférée). L'alinéa 5 du préambule de l'ancienne Constitution de 1946 (le préambule fait partie des sources constitutionnelles françaises actuelles), dispose que "tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance possède des droits inaliénables et sacrés. Nul ne peut être lésé en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances". L'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1357A97), dispose lui que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi".

On doit donc bien distinguer la liberté d'opinion de la liberté d'expression de ces opinions. Il n'existe ainsi pas en France et à proprement parler de "délit d'opinion", en ce sens que des opinions, croyances et religions seraient limitées, voire niées. Aucune règle juridique positive ne peut, en tant que telle, limiter ou nier une opinion, croyance ou religion. Nonobstant, il faut tenir compte de ce que les règles qui régissent l'expression des différentes opinions, croyances ou religions, sont presque toujours susceptibles d'avoir des effets sur la substance elle-même de la liberté d'opinion de croyance ou de religion. S'il est peu ou prou établi juridiquement que la liberté d'opinion, de croyance ou de religion est un droit inaliénable, il faut pourtant se demander dans quelle mesure le régime de la liberté d'expression, c'est-à-dire les restrictions apportées à la libre expression des opinions, croyances ou religions, rejaillit sur la portée effective de la liberté juridique d'opinion, de croyance ou de religion. Cette interrogation, qui consiste à observer les effets de la réglementation d'un droit sur la réalité d'un autre droit, doit être menée tant au regard de l'espace public, puisque c'est principalement là que se réglemente l'expression d'opinions, de croyances ou de religions, mais aussi dans l'espace privé, comme l'a illustré récemment l'affaire de la crèche "Baby-Loup" (1).

L'espace "social" n'est en effet pas seulement public (voire il l'est de moins en moins), il est aussi privé. Cela oblige à poser des nouvelles questions sur le sens des restrictions à apporter à la libre expression des opinions, croyances et religions, dès lors que le social n'est pas uniformément composé mais au contraire composite. Dans les sociétés occidentales, ce dernier caractère n'est d'ailleurs pas seulement posé comme un fait. Il peut être posé aussi comme une nécessité : le pluralisme est ainsi à la fois le fruit d'un constat, celui de la diversité, et de la nécessité subséquente de ne pas engendrer de discriminations. Il est ensuite posé comme une valeur nécessaire au maintien du lien social. Cela signifie que la liberté d'opinion, de croyance et de religion ne s'apprécie pas seulement du point de sa réglementation comme droit, mais aussi, en vertu de la valeur du pluralisme, du point de vue des conditions matérielles effectives de jouissance de ce droit, qui peuvent très fortement entraver la réalité de la liberté. Dans les sociétés libérales contemporaines, on a plutôt tendance à considérer que la liberté d'opinion ne passe pas seulement par le for intérieur, qui, en soi, est inatteignable, mais aussi par la réalisation effective et épanouie de ses opinions, convictions, croyances et religions. L'Etat doit donc à la fois élaborer un cadre juridique adéquat et ne pas maintenir des conditions défavorables à la jouissance de ses opinions, voire, doit lui-même établir des conditions favorables.

Du point de vue du cadre juridique de la liberté d'opinion, de croyance et de religion, les positions françaises ne sont pas toujours comprises, ni d'ailleurs toujours cohérentes, qui rendent difficile l'appréciation sur la réalité de l'atteinte à la liberté elle-même. Si "le principe de la liberté de conscience et de culte doit prévaloir" (2), elle constitue aussi le fondement de la liberté d'expression qui, précisément, en devient le soutien. La France se caractérise notamment par le nombre de limites qu'elle pose pourtant à la liberté d'expression des opinions, croyances et religions. Si, contrairement à la plupart des autres pays démocratiques, il existe bien des limites matérielles (3), ce sont surtout des limites formelles et circonstancielles qui sont posées à la liberté d'expression des opinions, croyances et religions. La césure traditionnelle entre l'espace privé (I) et l'espace public (II) continue d'être dans une certaine mesure opérante, mais c'est peut-être de plus en plus la notion d'espace collectif qui pourrait être prise en compte, qu'il soit intrinsèquement privé ou public, déterminé par des activités privées ou publiques.

I - La libre expression des opinions croyances et religions dans l'espace privé

Le concept de société libérale et démocratique comprend l'idée que la séparation entre l'espace privé et l'espace public est aussi une séparation de droits : ce qui relève de l'espace privé n'est pas subordonné à d'autres règles que celles relatives à l'ordre public (on ne peut pas non plus commettre d'infractions dans l'espace privé), tandis que ce qui relève de l'espace public peut justifier des aménagements et restrictions supplémentaires aux droits. L'espace privé serait ainsi "libre" de la tutelle de l'Etat, et de ce fait distingue une société libérale et démocratique d'une société totalitaire, qui prétend souvent régenter les "consciences". Cela étant dit, il apparaît que l'espace privé ne peut pas être appréhendé de manière uniforme. On peut ainsi distinguer les espaces "personnels" des personnes physiques, à l'instar du domicile, des espaces "collectifs", relevant des personnes physiques et des personnes morales (entreprises, clubs, institutions privées), des espaces "publics" déterminés par des activités privées (les publications, productions artistiques et leurs lieux de diffusions, les commerces et centres commerciaux, les parkings, les restaurants, les cafés, ou encore les parcs d'attractions). Des affaires récentes ont montré que l'état du droit français est encore discuté, et qu'il n'a pas trouvé son point d'équilibre.

A - La libre expression des opinions, croyances et religions dans les espaces personnels

"La croyance fait partie de la sphère individuelle" (4) et ainsi, "une croyance religieuse quelle qu'elle soit ne peut en elle-même être constitutive d'un comportement fautif" (5). Dans un contentieux d'ordre familial par exemple, l'appartenance d'un parent à un groupe religieux, fût-il habituellement qualifié de secte, ne constitue pas en soi une donnée à prendre en compte par le juge (6).

La liberté afférente au for intérieur présente deux aspects qui permettent d'en mesurer la portée : un aspect lié à la délimitation effective de l'espace personnel, et l'aspect lié à la manière dont s'exprime la pensée relevant du for intérieur dans cet espace personnel.

La délimitation effective de l'espace personnel

Si le for intérieur paraît en soi inatteignable, ce qui pourrait apparaître comme ses manifestations matérialisées le sont moins : ce qu'on appelle les "lieux privés" sont les espaces ayant vocation à prolonger l'espace intime de la personne : le domicile, entendu largement, à la manière du droit pénal (7) et dans une certaine mesure le véhicule (8).

Le mode d'expression du for intérieur dans l'espace personnel

La liberté de "penser" est bien différente de la liberté de faire. "Hurler" à son domicile n'est pas une liberté dès lors que cela occasionne un trouble de voisinage. Une personne peut penser que la polygamie est une bonne pratique mais elle ne peut non seulement pas la pratiquer effectivement sans se mettre en état d'infraction, mais en plus elle ne peut pas non plus inciter à sa pratique par la voie d'une publication (qui, comme le nom l'indique, rend publique la pensée en question (9). L'espace personnel de liberté protégé par le droit s'arrête dès qu'un lien social apparaît, même si ce lien est familial. L'espace personnel est précisément le lieu des pensées intimes, en toute liberté, à la condition de ne pas franchir, par tous moyens, cet espace. Le franchissement se fait dès lors qu'elle met en jeu un lien social. Il en découle que la diffamation ou l'injure "privée" existe, qui est susceptible d'être punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe (C. pén., art. R. 621-1 N° Lexbase : L0962ABA et R. 621-2 N° Lexbase : L0963ABB). Même si elle difficile à prouver, son statut d'infraction montre que le social, et donc la place du droit, commence au-delà du for intérieur, seule limite véritable de la réglementation. L'expression extérieure de la pensée devient une action en présence d'autrui (cette présence pouvant d'ailleurs être différée s'il s'agit d'écriture).

N'est ainsi pas validé le prosélytisme d'une femme qui, fervente croyante, essaye constamment et de manière insistante de convertir son conjoint, ses parents et ses amis (10), ou encore celui du mari qui poursuit sa femme "en lui lisant des passages de la Bible, en la traitant de Satan et en lui indiquant qu'elle était l'incarnation du mal" (11). Ne l'est pas non plus le comportement qui consiste à exercer des pressions morales et psychologiques exercées sur des filles pour exiger qu'elles portent le voile (12), et pas non plus la circoncision pratiquée par le père sur son fils en cachette de la mère montrant que le père "est résolu à forcer la décision concernant l'éducation des enfants spécialement au plan religieux [et] qu'il a décidé de faire valoir coûte que coûte sa culture sur celle de la mère cherchant à séparer par des signes extérieurs indélébiles les enfants de cette dernière et de sa culture ou de ses opinions personnelles" (13). L'article 31 de la loi du 9 décembre 1905 dispose ainsi que "sont punis de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte". Il est à noter que la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001, tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales (N° Lexbase : L0266G8D), pénalise l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou la situation de faiblesse, en référence à des entreprises sectaires (C. pén., art. 223-15-2 N° Lexbase : L2214IEQ).

B - La libre expression des opinions, croyances et religions dans les espaces privés collectifs

L'accueil des personnes n'est pas un privilège des structures publiques, qu'il s'agisse d'entreprises purement commerciales, de structures à caractère institutionnel telles que des crèches ou des écoles (jusqu'à l'enseignement supérieur), ou encore des associations. La distinction entre structure privée et structure publique apparaît en France comme étant de moins en moins propre à cristalliser la manière de concevoir le vivre ensemble. Le critère pertinent semble bien être celui de l'accueil du "public". Mais la problématique est susceptible de se poser un peu différemment en fonction de la structure concernée, même si les débats actuels montrent plutôt une assimilation entre les différentes structures : qu'il s'agisse d'une crèche privée ou d'une entreprise, il faudrait voir de manière identique la question de l'expression des opinions, croyances et religions. Depuis que la Cour de cassation a annulé pour discrimination religieuse le licenciement par une crèche d'une femme revenue voilée après un congé (14), des propositions sont faites qui vont dans le sens du respect de la neutralité dans les entreprises, et plus généralement dans les structures privées accueillant du public (15). Il est vrai que la législation actuelle elle-même ne fait pas réellement de différence entre les structures, en proscrivant uniformément les discriminations fondées notamment sur les opinions, croyances et religions, quelques formes qu'elles empruntent.

Pour autant, aucun devoir de neutralité n'est imposé et, juridiquement, seul l'ordre public et l'activité sont susceptibles de justifier des restrictions. D'ailleurs, des juges du fond avaient estimé dans une autre affaire qu'à partir du moment où une salariée portait le foulard lors de l'entretien d'embauche et où l'employeur n'a émis aucune réserve, celui-ci a, en quelque sorte, renoncé à imposer des restrictions (16). Cela signifie qu'en l'absence de circonstances professionnelles essentielles et déterminantes, voire directes et impérieuses (par exemple, la sécurité), et à la condition que la mesure restrictive soit proportionnée, les personnes travaillant dans une entreprise, même lorsqu'elle accueille du "public", et même lorsqu'il s'agit d'enfants, peuvent librement exprimer leurs opinions, croyances et religions, en arborant par exemple des signes religieux distinctifs. L'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P) prévoit que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". De la même manière, l'article L. 1132-1 du même code (N° Lexbase : L8834ITD) prévoit "qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte [...], notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap".

L'article L. 1321-3 (N° Lexbase : L8833ITC) relatif au règlement intérieur va dans le même sens puisque celui-ci ne peut contenir "des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" (le 3° précise que le règlement intérieur ne peut pas non plus contenir "des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap"). Une clause du règlement qui interdit aux salariés de discuter entre eux de sujets religieux ou politiques porte donc une atteinte excessive aux libertés des travailleurs (17). Serait aussi discriminatoire le licenciement d'une personne sur le fondement de son appartenance à un mouvement de pensée, dès lors que celui-ci n'a en lui-même pas d'incidence sur l'activité exercée (18).

Les entreprises privées dites "neutres" (et qui se distinguent des entreprises dites "de tendance" que l'on envisage un peu plus loin) réunissent ensemble des individus (dès lors qu'elles ne sont pas des entreprises unipersonnelles) qui ne sont pas spécialement unis par un autre lien que celui du travail. La diversité des opinions, croyances ou religions s'y pose donc comme un fait. Il apparaît qu'en pratique, la vie "en commun" dans l'entreprise laisse plus ou moins place à l'expression des diversités d'opinions, de croyances et de religions. Dans les entreprises "neutres", l'employeur ne se trouve pas dans l'obligation d'aménager le temps de travail ou les locaux pour faciliter l'exercice de pratiques religieuses de ses salariés. Il peut les tolérer, ou même s'y adapter, en mettant par exemple en place des lieux de prière dans l'entreprise. De la même manière, certaines entreprises sont indifférentes au port de signes religieux distinctifs, tandis que cela est plus ou moins explicitement proscrit dans d'autres entreprises. Certaines élaborent à cet égard des guides de conduite à destination des salariés exerçant des fonctions de direction et de gestion de personnel. L'employeur n'est pas non plus tenu d'accepter d'accorder des jours de congés pour des motifs religieux mais il devra motiver son refus devra reposer à partir d'éléments objectifs, c'est-à-dire en rapport avec l'activité de l'entreprise.

Dans le cas de salariés en contact avec la clientèle de l'entreprise commerciale, le juge admet des restrictions à la liberté d'exprimer son appartenance religieuse, lorsque l'entreprise en question souhaite véhiculer une image de neutralité religieuse, et que, dans ces circonstance, le port de signes religieux trop visibles risque de constituer une "gêne" potentielle vis-à-vis des clients (19). De ce point de vue, les contentieux sont encore limités. Sans doute aussi la loi du 11 octobre 2010, posant une interdiction de dissimuler son visage dans les espaces publics (N° Lexbase : L1365INU), est-elle destinée à s'appliquer aux salariés des entreprises qui précisément entrent en contact avec le public (sous réserve évidemment de l'activité en question : dans un parc d'attraction, on imagine mal de demander à Mickey de retirer son déguisement intégral au prétexte qu'il est en contact avec le public ! (20). Reste le cas du comportement excessif du salarié, qui peut avoir un comportement en contradiction avec son activité (le personnel d'un abattoir qui refuserait de couper de la viande de porc) ou se livrer à un prosélytisme condamnable (le prosélytisme ne l'étant pas en soi). Ainsi en est-il de ce salarié qui travaillait dans un magasin de farces et attrapes et qui plaçait en évidence, sur un meuble pourtant réservé à l'accueil, un drapeau confessionnel et distribuait tant au personnel qu'à la clientèle des livres religieux. Il insistait de plus pour qu'ils soient lus sur place, interpellait les clients et les passants sur le thème de la religion, et enfin diffusait dans le magasin des chants religieux. Ce comportement a évidemment été assimilé à un abus de prosélytisme et a outrepassé l'exercice normal du droit d'expression reconnu à tout salarié (21).

Il faut enfin faire une place spécifique aux structures privées qui ont précisément une vocation confessionnelle ou idéologique et qui, par définition, sont destinées à promouvoir une religion ou une idéologie. Il s'agit de ce qu'on appelle des entreprises "de tendance". Le caractère confessionnel ou idéologique d'une structure privée, n'autorise toutefois pas les discriminations fondées sur les opinions, croyances ou religions, mais au surplus doit parfois être concilié avec l'exigence de neutralité. Ainsi des établissements scolaires et des crèches qui, dès lors qu'ils reçoivent des subventions publiques, sont soumis de ce point de vue à un certain nombre d'obligations, comme celle par exemple d'accueillir des enfants de confessions différentes et de ne pas dispenser d'enseignements religieux déguisés. Le respect de ces obligations pose chaque année des difficultés aux conseils municipaux qui doivent se prononcer sur les subventions publiques sollicitées. C'est ainsi que les entreprises "de tendance" ne peuvent pas exiger de leurs salariés "une communauté de pensée et de foi avec l'employeur", contrairement à ce qu'a pu, à un moment donné, dire la Chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt "Fischer" (22). Il est nécessaire qu'un trouble soit caractérisé, qui peut être déterminé en rapport avec la finalité de l'entreprise, pour que des restrictions puissent être valablement apportées à la vie privée ou à la liberté individuelle du salarié (23), ce qui signifie que les cas d'incompatibilité entre le vie "privée" des salariés et l'image de l'entreprise ne sont que très rarement admis par la jurisprudence. Statuant sur renvoi après cassation dans l'affaire "Painsecq" (24), la cour d'appel de Paris relève que "si, dans certaines entreprises à tendance idéologique, l'employeur est en droit d'exiger de ceux de ses salariés chargés par lui d'une mission spirituelle un mode de vie et de pensée conforme à leurs finalités, tel n'est pas le cas de M. [X] qui n'avait pas de contact direct avec les fidèles et ne pouvait exercer sur eux aucune influence réelle". Rappelons qu'il s'agissait d'un aide-sacristain qui entretenait des relations homosexuelles.

C - La libre expression des opinions, croyances et religions dans des lieux "publics" déterminés par des activités privées

Nonobstant l'accueil du public, les espaces privés tels que les commerces, centres commerciaux et galeries marchandes, les parkings, parcs d'attraction ou encore les restaurants, cafés et brasseries ne sont pas, en dehors du respect des règles du droit du travail, astreints à des règles très strictes s'agissant de la neutralité. Chaque année par exemple, lors de fêtes de Noël, de nombreuses crèches sont présentes dans les centres commerciaux ou même marchés de Noël, opérations privées disposant d'une autorisation pour occuper alors l'espace public. Il n'y a pas non plus d'opposition à ce qu'un lieu de culte s'implante dans une galerie marchande, ou que des commerces généralistes mettent en vente des oeuvres religieuses. Dès lors, ces espaces privés accueillant du public peuvent être considérés comme des espaces où la neutralité ne s'impose pas (sauf lorsqu'elle est le fait de la personne privée elle-même, qui peut imposer par exemple certaines règles en ce sens à ses salariés, voir supra), qui laisse le champ libre à toutes sortes d'expression, et sous réserve des droits d'autrui, c'est-à-dire principalement encore d'actes de prosélytisme abusif ou d'actes de discrimination (et spécialement en droit du travail). Simultanément, ces espaces peuvent être considérés comme devant répondre à certaines exigences liées à l'accueil du public. L'interdiction de se dissimuler le visage posée par la loi du 11 octobre 2010 s'applique ainsi expressément aux "lieux ouverts au public" (article 2) (restaurants, cinémas, cafés, parcs d'attraction, commerces), comme des commerces peuvent vouloir spécifiquement véhiculer une image de neutralité auprès de public, justifiant qu'ils imposent à leurs salariés de se comporter adéquatement dans le cadre de l'accomplissement de leurs tâches.

Mais la notion de lieux publics déterminés par des activités privées ne doit pas seulement s'entendre des lieux de circulation des personnes. Ce qui est plus généralement mis à la disposition du public doit y être assimilé. Ainsi surtout des publications et de la diffusion radio-télévisée. Naturellement ces activités sont soumises aux règles générales de l'ordre public et l'interdiction de la discrimination s'applique sans distinction, y compris lorsque le support se prévaut d'un aspect idéologique ou confessionnel. Certaines règles supplémentaires ou spécifiques sont également susceptibles de s'appliquer. Ainsi de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), qui détermine les éléments propres à constituer une provocation publique (à la commission de crimes et délits notamment) par voie de publication. Ainsi des règles liées à l'exigence de pluralisme sur lequel doit théoriquement se construire la société française. Les moments de campagne politique déterminent ainsi des règles particulières dont le respect s'impose à tous les supports de diffusion, écrits, audiovisuels et électroniques, même lorsque le support a une vocation confessionnelle. Mêmes créés et exploités par des personnes privés et déterminant des espaces privés, les espaces destinés à accueillir du "public" sont soumis à des règles limitant l'expression des opinions, croyances et religions. Une procession visant à promouvoir une idéologie proscrite par la loi (l'idéologie négationniste par exemple), ne peut pas plus prospérer dans un espace privé ouvert au public que dans un espace structurellement public. L'idéologie, ou au moins son expression, est proscrite en soi, qui ne peut affleurer au-delà du for intérieur.

II - La libre expression des opinions croyances et religions dans l'espace public

La notion d'espace public est ici envisagée doublement, du point de vue de son aspect formel et du point de vue de son aspect matériel. Formellement on vise des lieux et des supports, c'est-à-dire des espaces collectifs publics. Matériellement, on vise des activités, les services publics, qui donnent lieu à une activité (les espaces institutionnels envisagés du point de vue des membres des institutions publiques) ou à une utilisation spécifique (les espaces institutionnels publics envisagés du point de leurs usagers).

A - Les espaces collectifs publics

Répondent à ce qualificatif la voie publique, les bâtiments et édifices publics. Le principe de la République française, laïque, implique leur neutralité du point de vue idéologique ou confessionnel. Les autorités publiques ne doivent donc promouvoir aucune idéologie ou religion en particulier, d'une part, en ne manifestant pas elle-même une quelconque idéologie ou religion (ce qui suppose par exemple que la présence de crucifix dans les mairies soit proscrite), d'autre part, en ne privilégiant aucune manifestation idéologique ou religieuse privée par rapport aux autres. Ainsi, "l'apposition d'un emblème religieux postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de 1905, à l'extérieur comme à l'intérieur d'un édifice public communal, méconnaît à la fois la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens de la République, et la neutralité du service public à l'égard des cultes quelconques" (25). Il existe toutefois des exceptions s'agissant de la question religieuse, puisque des signes religieux sont autorisés sur les sépultures et monuments funéraires, dans les musées et à l'occasion des expositions. Les espaces collectifs que représentent également la radio télévision publique impliquent également un même devoir de neutralité, mais sont également des lieux de soutien au pluralisme, religieux notamment, comme l'illustrent certains programmes religieux diffusés le dimanche matin à la radio et à la télévision.

Mais, de manière plus générale, le devoir de neutralité des espaces publics est en grande partie un devoir de non-discrimination vis-à-vis de manifestations "privées" dans l'espace public. Les manifestations de la liberté d'opinion, de croyance et de religion trouvent en effet le plus souvent une origine dans un autre espace que celui public. Par exemple, les bâtiments privés qui jalonnent la voie publique peuvent être le support de manifestations spécifiques qui, ainsi, se donneront quand même à voir dans l'espace public. Les personnes sont aussi et précisément des espaces "personnels" qui se donnent à voir dans l'espace public. Le droit semble distinguer ce qu'on peut qualifier de manifestations individuelles de la liberté d'opinion, de croyance et de religion, des manifestations collectives.

Les manifestations individuelles de la liberté d'opinion, de croyance et de religion dans les espaces collectifs publics

Dans l'ensemble, la jurisprudence admet les manifestations individuelles du culte ou d'idéologies dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à l'ordre public. L'apposition d'emblèmes religieux sur une maison privée est ainsi admise, comme le port d'un costume religieux (26). Mais évidemment, la loi du 11 octobre 2010, applicable depuis le 11 avril 2011, prévoit qu'il est formellement interdit de porter une tenue destinée à dissimuler son visage sur les voies publiques et dans les lieux ouverts au public ou affectés à un service public, disposition dont on sait qu'elle est destinée à interdire le port en public d'une tenue religieuse spécifique appelée burqa et qui couvre la totalité du visage.

Figurent aussi parmi les manifestations individuelles qui se donnent à voir dans l'espace public, les panneaux et affichages à vocation publicitaire ou informative. Ils sont parfois assez nombreux, et, en raison de leur grande visibilité, suscitent un certain nombre d'interrogations. Ils sont naturellement soumis au respect de l'ordre public (qui autorise par exemple à limiter l'affichage de personnes dénudées en fonction du message qui est véhiculé) et ne doivent pas diffuser de message discriminatoire. Pour autant, et en dehors de la réglementation spécifique concernant les lieux d'affichage, l'environnement et la cohérence avec l'environnement (les affichages dans les zones où se trouvent des monuments et installations classées se trouvent particulièrement réglementés), il n'existe pas beaucoup de restrictions réelles aux messages publicitaires. L'affiche provocatrice d'une oeuvre cinématographique, même considérée comme blasphématoire dans le cadre d'une religion, ne posera pas de difficulté en termes de légalité, sauf troubles avérés à l'ordre public.

Les manifestations collectives de la liberté d'opinion, de croyance et de religion dans les espaces collectifs publics

Contrairement à ce qu'une première idée pourrait laisser croire, la neutralité de l'espace public n'implique pas l'impossibilité que s'y exprime, par la voie privée principalement, toutes sortes d'idéologies, de croyances et de religions. Il apparaît même qu'il est du devoir des autorités publiques, sinon de les encourager, au moins d'en assurer l'effectivité et la sécurité.

L'état du droit distingue les manifestations "traditionnelles" des manifestations occasionnelles ou nouvelles. En principe, les processions traditionnelles sont autorisées (27), en dépit même de leur caractère irrégulier (28). S'agissant des processions non traditionnelles, une autorisation au cas par cas est donnée, sur laquelle le juge exerce un contrôle de proportionnalité au regard des troubles à l'ordre public susceptibles de survenir. Il apparaît que, depuis 1920, toutes les interdictions formulées de manière trop générales et absolues sont annulées. Nonobstant de fortes oppositions principielles, d'associations laïques notamment, les autorités publiques ne peuvent valablement interdire ce type de manifestations sans invoquer un trouble réel à l'ordre public. L'opposition de principe ne saurait en effet valoir comme un trouble à l'ordre public. En la matière, ce sont souvent des circonstances locales particulières qui peuvent justifier des mesures locales restrictives. Mais c'est sur le fondement du respect du principe de neutralité du domaine public et de l'intérêt général, qu'a pu être justifiée une délibération votée par un conseil municipal qui excluait la location d'une salle des fêtes à tout groupement ou organisme à caractère politique ou religieux, dans le but d'éviter que l'utilisation de cette salle ne provoque des conflits liés à des questions idéologiques ou religieuses (29).

B - Les espaces institutionnels : la question du point de vue des membres de l'institution

La neutralité du service public ne signifie pas seulement qu'il doit être matériellement conçu, réglementé et exécuté en dehors de toute discrimination fondée sur les opinions, croyances et religions ; elle signifie aussi qu'il doit être formellement et organiquement neutre. De la même manière qu'une entreprise privée peut poser des règles qui déterminent un message politique ou religieux déterminé, et qui supposent que les salariés exercent leur activité en conformité et sans contradiction avec ce message, le service public implique que ses agents exercent leur mission dans les conditions de la neutralité. Echappent seulement à cette obligation les titulaires d'une fonction politique et les enseignants-chercheurs (30), dans la mesure où la liberté de pensée et l'expression de cette liberté est constitutive de leur fonction. Pour le reste, les agents travaillant dans le cadre d'un service public sont soumis à l'exigence de neutralité et au devoir dit de "réserve" vis-à-vis de la mission qu'ils exercent. Cette obligation est toutefois nettement circonscrite. En dehors de l'exercice de leur activité, les agents recouvrent leur liberté d'opinion et d'expression de celle-ci. Plus, il existe aussi un égal accès aux emplois publics qui implique l'impossibilité pour la personne publique de tenir compte des opinions, croyances et religions pour retenir ou ne pas retenir un candidat (31).

La fonction publique doit donc être indifférente aux opinions, croyances et religions de ses membres mais ceux-ci sont tenus en retour à un devoir de neutralité dans l'exercice de leur mission. Ce devoir s'applique d'abord à leur tenue vestimentaire. Ainsi, "le fait pour un agent public, quelles que soient ses fonctions, de manifester dans l'exercice de ces dernières ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations professionnelles et donc une faute" (32). Dans cette affaire, il était reproché à l'agent concerné, contrôleur du travail, d'arborer le foulard islamique. Dans une affaire presque similaire, où une assistante sociale exerçant dans un établissement hospitalier portait le foulard islamique, le tribunal administratif de Paris a considéré que "le principe de laïcité de l'Etat et de ses démembrements et celui de la neutralité des services publics font obstacle à ce que ses agents disposent, dans l'exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses, notamment par une extériorisation vestimentaire". L'établissement ayant vocation à accueillir des personnes sans abri, le tribunal a relevé que l'interdiction de manifester sa religion "trouve à s'appliquer avec une rigueur particulière dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou de dépendance" (33). Etant tenus à la neutralité physique, les agents des services publics ne sauraient non plus avoir de comportement prosélyte dans le cadre de l'exercice de leur activité, tandis qu'ils demeurent libres de le pratiquer en dehors du cadre de leur activité.

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 6 juillet 2006 estime que le fait de distribuer aux usagers du service public dans lequel il travaille (comme agent d'exploitation du service général de la Poste), des imprimés à caractère religieux constitue "un manquement à l'honneur qu'implique nécessairement la déontologie du service public, dans la mesure où une telle attitude, par le trouble qu'elle génère, est de nature à instiller, tant dans le service qu'auprès des usagers, un doute non seulement quant à la neutralité de l'intéressé mais également sur celle qui s'attache au service public" (34). Dans une autre affaire, le tribunal administratif de Versailles précise que "pour apprécier la gravité d'un manquement au principe de neutralité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et, notamment, de la nature et du degré du caractère ostensible de la manifestation des croyances religieuses ainsi que de la nature des fonctions exercées" (35). Quoiqu'il en soit, et en dehors de tout comportement prosélyte, il y a manquement au principe de neutralité lorsque, par exemple, un agent a utilisé les moyens de communication du service au profit d'une association religieuse et qu'il apparaissait sur le site de cette association, en qualité de membre de celle-ci (36).

C - Les espaces institutionnels : la question du point de vue des usagers de l'institution

De prime abord, la question des usagers paraît pouvoir être envisagée simplement et uniformément. Si on comprend les restrictions apportées à l'expression des opinions, croyances et religions des personnes travaillant dans le cadre d'un service public dont la vocation est la neutralité et l'absence de pratiques discriminatoires, la question se pose autrement pour les usagers de ces services. On imagine difficile d'exiger des usagers qu'ils changent de vêtements lorsqu'ils se rendent au guichet d'un service public dans le but de conforter la vocation laïque du service public. Au contraire, la neutralité du service public implique un égal accès de tous les usagers, indépendamment d leurs opinions, croyances et religions. Toutefois, la manifestation de celles-ci peut être envisagée différemment selon que l'usager participe ou non positivement à l'activité du service public. C'est le cas de ce que l'on nomme en général des institutions "fermées", à l'instar des écoles, ou, de manière plus complexe, les établissements d'incarcération.

Les établissements scolaires font quotidiennement vivre ensemble des agents et des usagers du service public. Si les agents ont un devoir de neutralité, se pose la question des usagers, c'est-à-dire celle des élèves. Les signes "discrets" sont dans l'ensemble admis dans les établissements scolaires, mais, depuis la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (N° Lexbase : L1864DPQ), "le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit". Les usagers sont donc en quelque sorte soumis à un devoir minimum de neutralité, qui s'envisage comme la préservation de la liberté de chaque élève, confronté quotidiennement à la pratique des autres élèves. La réglementation est ainsi un peu différente en fonction du niveau d'enseignement et de la maturité supposée des élèves vis-à-vis de ces questions. Ainsi, la présence de la religion dans les établissements scolaires n'est pas complètement exclue, puisque dans les internats, les collèges et les lycées, un service d'aumônerie peut être organisé, et des cultes conséquemment célébrés.

On comprend que dans les établissements d'incarcération, les personnes considérées comme des "usagers" du service public, envisagent très spécifiquement la question de la liberté d'opinion et singulièrement celle de religion, car l'espace carcéral reste le seul possible comme espace de pratique de la religion. Des plaintes périodiques sont manifestées par les détenus (relayées notamment par le contrôleur général des lieux de privation de liberté), alors que l'article R. 57-9-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0357IPW) dispose qu'"il appartient à l'administration responsable des lieux de privation de liberté de pouvoir satisfaire aux exigences de la vie religieuse, morale ou spirituelle". L'avis du 24 mars 2011 rendu par le contrôleur général des lieux de privation de liberté se prononce sur cette question, qui rappelle l'état du droit des détenus et pose un certain nombre d'obligations, du point de vue de l'alimentation notamment.

Mis à part les cas de limitation claire de la libre manifestation de certaines opinions, croyances ou religions qui distinguent la France de beaucoup d'autres pays, si la France veut se conformer aux standards européens en matière de liberté d'opinion, de croyance et de religion, elle doit sans aucun doute prendre les mesures nécessaires à la jouissance effective de cette liberté, notamment lorsque l'espace privé des personnes se trouve réduit à sa portion congrue, comme c'est le cas dans les lieux de privation de liberté.


(1) Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5857KA8).
(2) CA Pau, 1er mars 1999.
(3) Certaines opinions ou "sentiments" sont tout simplement pénalisés en tant qu'opinions, voir La liberté d'expression : quel droit de parler, écrire, mettre en scène ou représenter, Lexbase Hebdo n° 262 du 11 octobre 2012 - édition publique (N° Lexbase : N3839BTD).
(4) CA Pau, 28 janvier 2002.
(5) CA Bordeaux, 26 novembre 2002.
(6) CA Bordeaux, 2 mai 2001.
(7) Cass. crim., 26 février 1963, n° 62-90.653 (N° Lexbase : A0291CKY) : "le domicile ne désigne pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu, qu'elle y habite ou non, où elle a le droit de se dire chez elle, quel que soit le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux".
(8) Cass. crim., 12 avril 2005, n° 04-85.637, FS-P+F (N° Lexbase : A9775DHI) : "ni l'intervention des services de secours ni l'exposition involontaire aux regards d'autrui d'une victime gravement atteinte lors d'un accident ne font perdre au véhicule la transportant son caractère de lieu privé au sens de l'article 226-1 du Code pénal, et qu'est prohibée par ce texte la fixation en un tel lieu, sans autorisation de la personne concernée, de toute image portant atteinte à l'intimité de sa vie privée".
(9) Voir les articles 23 et 27 de la loi du 29 juillet 1881.
(10) CA Aix-en-Provence, 5 décembre 1986.
(11) TGI Toulouse, 20 avril 1993.
(12) Cass. civ. 1, 24 octobre 2000, n° 98-14.386 (N° Lexbase : A7631AH4).
(13) CA Poitiers, 21 novembre 2000.
(14) Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I, préc..
(15) Des propositions spécifiques concernant les structures accueillant de jeunes enfants ont aussi été faites : voir, par exemple, la proposition législative n° 56 rectificative lors de la session législative 2011-2012, alors que la Cour de cassation n'avait pas encore rendu son arrêt.
(16) CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03-30.212 (N° Lexbase : A8172C9K).
(17) CE, 25 janvier 1989, n° 64296, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1768AQK).
(18) CA Paris, 8 décembre 1999 : licenciement d'une salariée de la société Air Liquide après la parution d'un article du journal Le Monde dans lequel elle faisait état de sa qualité de directrice scientifique de Clonaid. C'est ce rapprochement avec la secte des Raëliens qui était présenté comme le motif principal du licenciement. La cour de Paris rappelle que, "en l'absence de prosélytisme à l'intérieur de l'entreprise, l'employeur ne peut faire état des convictions de la salariée pour procéder à son licenciement".
(19) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.988, F-P (N° Lexbase : A0702AXB).
(20) Voir, en ce sens, l'article 2 de la loi.
(21) CA Rouen, 25 mars 1997.
(22) Cass. soc., 20 novembre 1986, n° 84-43.243 (N° Lexbase : A2194AAI).
(23) Cass. soc. 17 avril 1991, n° 90-42.636 (N° Lexbase : A3738AAP).
(24) Cass. soc. 17 avril 1991, n° 90-42.636, préc..
(25) CAA Nantes, 3ème ch., 4 février 1999, n° 98NT00207, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5549BMH).
(26) CE, S., 19 mars 1909, n° 24039, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2874B8X).
(27) CE, 3 décembre 1954, Rastouil, Rec. 639.
(28) CE, 26 avril 1950, Abbé Dalque, Rec. 234.
(29) CE 3° et 5° s-s-r., 21 mars 1990, n° 76765, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5544AQE).
(30) Cons. const., décision n° 93-322 DC du 28 juillet 1993 (N° Lexbase : A8282ACQ).
(31) Voir la célèbre jurisprudence "Barel", CE Ass., 28 mai 1954, n° 28238, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9107B8S).
(32) CAA Lyon, Plén., 27 novembre 2003, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5221DLX), AJDA, 2004, p. 154, note F. Melleray.
(33) TA Paris, 17 octobre 2002, AJDA, 2003, p. 99, note M.-Ch. De Montecler.
(34) CAA Nancy, 3ème ch., 6 juillet 2006, n° 04NC00898, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5294DQ7).
(35) TA Versailles, 7 mars 2007, AJFP, 2007, p. 208, note O. Guillaumont.
(36) CE 1° et 2° s-s-r., 15 octobre 2003, n° 244428, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8444C9M).

newsid:438502

Procédures fiscales

[Manifestations à venir] Le contentieux fiscal : colloque organisé par le Centre des études fiscales et financières de l'Université Aix-Marseille

Lecture: 3 min

N8537BTD

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Le 22 Septembre 2013

Les 15 et 16 novembre 2013, le Centre des études fiscales et financières de l'Université Aix-Marseille organise un colloque sur le thème du contentieux fiscal. Le 15 novembre, seize interventions reprennent les points fondamentaux du contentieux fiscal ; le 16 novembre, le sujet est ouvert tant au niveau de la géographie qu'au niveau de la réflexion.
  • Programme

Vendredi 15 novembre

8h30 Accueil des participants

Sous la présidence du Doyen honoraire Gilbert Orsoni, Directeur du centre d'études fiscales et financières

8h45 Ouverture du colloque par le Doyen Philippe Bonfils, Faculté de Droit et de Science Politique

Sous la présidence de Monsieur Rousseau, Directeur Crédit Agricole

9h Les principes généraux du droit à l'épreuve du contentieux fiscal
1. La lutte contre la fraude fiscale : un principe à valeur constitutionnelle, Eric Oliva, Professeur Aix-Marseille Université
2. La question prioritaire de constitutionnalité en matière fiscale : un espoir déçu, Christophe de la Mardière, Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers
3. La preuve et le juge dans le contentieux fiscal, André Bonnet, Vice-président du tribunal administratif de Marseille, Président de la chambre fiscale
4. Les procédures d'urgence, Christian Louit, Président honoraire de l'Université, Professeur émérite d'Aix-Marseille Université, Avocat

11h15 Débat et pause

11h30 La DGFiP et le contentieux fiscal
1. Le contentieux fiscal : un contentieux de masse ?, Jean-Pierre Lieb, Directeur juridique de la direction générale des finances publiques
2. Le recours préalable : une nécessité?, Patrick Philip, Avocat au barreau des Hauts de Seine
3. La DGFiP et la prévention du contentieux, Vincent Dussart, Professeur à l'Université de Toulouse 1-Capitole
4. La régulation bureaucratique du conflit fiscal, Marc Leroy, Professeur à l'Université de Reims

13h - Débat et déjeuner

Sous la présidence de Monsieur Claude Lassale, ancien Bâtonnier du barreau d'Aix-en-Provence, Avocat

14h15 La dualité de juridictions: une solution ou un problème ?
1. Le Tribunal des conflits et le contentieux fiscal, Laurence Vapaille, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
2. Les solutions contentieuses fiscales entre unité et diversité, Ludovic Ayrault, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
3. Les constructions jurisprudentielles du juge de l'impôt, Thierry Lambert, Professeur à Aix-Marseille Université
4. L'interprétation du juge concernant le droit fiscal international, Nicole Davoult, Maître de conférences - HDR à Aix-Marseille Université

15h45 Débat et pause

16h Les garanties du contribuable
1. Le juge et la doctrine administrative, Olivier Négrin, Professeur Aix-Marseille Université
2. La substitution de base légale, Jacques Buisson, Professeur émérite à l'Université de Paris V-René Descartes
3. Les limites de la protection juridictionnelle des garanties du contribuable dans le contentieux de l'imposition, Gilles Noël, Professeur à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis
4. L'évolution des garanties du contribuable dans le contentieux du recouvrement, Marie Masclet de Barbarin, Maître de conférences - HDR à Aix-Marseille Université

17h - Débat

Samedi 16 novembre

8h30 Accueil des participants

Sous la présidence de Pierre Beltrame, Professeur émérite à Aix-Marseille Université

9h L'apport du droit de l'Union européenne au contentieux fiscal
1. L'application des principes généraux du droit de l'Union européenne, Manuel Chastagnaret, Maître de conférences - HDR à Aix-Marseille Université
2. Le contentieux des espérances légitimes en droit fiscal, Benoît Delaunay, Professeur à l'Université V - Paris-Descartes
3. L'exception d'inconventionnalité dans le contentieux fiscal : le cas du droit de l'Union européenne, Céline Viessant, Maître de conférences - HDR à Aix-Marseille Université
4. Les procédures et sanctions fiscales à l'examen de la Cour européenne des droits de l'Homme, Gilbert Orsoni, Doyen honoraire de la faculté de droit Aix-Marseille Université, directeur du centre d'études fiscales et financières

11h15 - Débat et pause

11h30 - Les modes alternatifs de règlement des conflits
1. De l'efficacité des recours hiérarchiques, Didier Lecomte, Ancien Bâtonnier, Avocat au barreau du Val d'Oise, Maître de conférences associé à l'Université de Cergy-Pontoise - HDR
2. La saisine des commissions départementales : une solution aux conflits ? Christian Lopez, Maître de conférences - HDR à l'Université de Cergy-Pontoise
3. L'arbitrage et les procédures amiables dans le contentieux fiscal international, Guy Gest, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2)

Débat

Réflexions conclusives de Pierre-François Racine, Président de section au Conseil d'Etat, Vers une nouvelle génération des garanties accordées au contribuable ?

  • Date

Vendredi 15 novembre et samedi 16 novembre 2013

  • Lieu

Centre des études fiscales et financières
Aix-Marseille Université
3, avenue Robert Schuman
13628 Aix-en-Provence Cedex

  • Renseignements/inscriptions

Pour plus de renseignements, voir la plaquette du colloque.

Les avocats doivent compléter le coupon et le renvoyer par courrier à l'adresse du Centre d'études avec un chèque de participation de 150 euros à l'ordre de l'Agent Comptable AMU, au plus tard avant le 15 octobre 2013. Le colloque permet de valider l'obligation de formation professionnelle.

Pour tout autre participant, l'inscription est gratuite mais obligatoire soit par courrier au Centre d'études, soit par mail.

newsid:438537

Social général

[Jurisprudence] Travail des détenus : le calme entre deux tempêtes ?

Réf. : TA Limoges, 22 août 2013, n° 1301113 (N° Lexbase : A3115KKL)

Lecture: 6 min

N8527BTY

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 21 Octobre 2014

Depuis 2011 et le rapport rendu par le contrôleur général des lieux de détention, le régime spécial applicable aux travailleurs détenus a fait l'objet de différentes attaques qui, jusqu'ici, ne l'ont pas significativement affaibli. L'ordonnance de référé rendue par le tribunal administratif de Limoges le 22 août 2013 n'entre pas frontalement dans cette discussion puisque le juge administratif se contente d'appliquer le régime spécial sans aucunement le remettre en cause. Il ne s'agit, pour autant, que d'une décision de référé, par définition temporaire. Les développements ultérieurs de l'affaire, au fond cette fois, pourraient être l'occasion d'une nouvelle confrontation du régime dérogatoire. Si, en somme, le calme est aujourd'hui revenu sur cette question après la décision du Conseil constitutionnel jugeant les dispositions spéciales conformes à la Constitution, les éléments sont favorables à ce qu'une nouvelle tempête puisse se former.
Résumé

Caractérise une obligation qui n'est pas sérieusement contestable et qui permet la recevabilité d'une action en référé la demande de paiement de rappel de rémunérations d'un détenu ayant obtenu des salaires sur le fondement d'une note de l'administration pénitentiaire dont les taux horaires sont inférieurs à ceux prévus par le code de procédure pénale.

Commentaire

I - Les minima salariaux applicables au travail des détenus : application classique

  • Les règles applicables au travail des détenus

Le régime juridique applicable au travail des détenus est pour le moins minimaliste. Dans la partie législative du Code de procédure pénale, seul l'article 717-3 (N° Lexbase : L9399IET) s'intéresse cette question au titre des modalités d'exécution des peines et autorise les détenus qui en font la demande à travailler. De manière expéditive, le troisième alinéa du texte dispose que "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail" sachant qu'il peut être dérogé à cette règle lorsque le détenu travaille en dehors de l'établissement pénitentiaire. Par cette simple incise, l'intégralité du droit du travail, dont la condition d'application est précisément l'existence d'un contrat de travail, se trouve exclue. En lieu et place du droit du travail s'appliqueront les quelques règles posées par les articles D. 432-1 (N° Lexbase : L2306IP4) à D. 432-4 (N° Lexbase : L2307IP7) du Code de procédure pénale (1).

Plus particulièrement, la rémunération du travail des détenus fait l'objet du cinquième alinéa de l'article 717-3 qui prévoit qu'elle "ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0825H9G). Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées". L'exclusion du droit du travail implique nécessairement celle des règles afférentes au salaire minimum interprofessionnel de croissance auxquelles sont substituées les dispositions spécifiques au travail des détenus établies par l'article D. 432-1 du Code de procédure pénale qui fixe à 45, 33, 25 ou 20 % du SMIC la rémunération des détenus en fonction du niveau de qualification exigé, par un arrêté du 23 février 2011, pour exercer leur activité professionnelle (2). A titre d'exemple, un détenu exerçant une fonction d'ouvrier qualifié ayant de bonnes connaissances professionnelles et pouvant faire preuve d'autonomie et de responsabilité sera rémunéré à hauteur de 33 % du SMIC.

  • Les remous provoqués par l'existence d'un statut particulier

Il a été tenté à plusieurs reprises, lors des six derniers mois, de remettre en cause ce statut particulier des travailleurs détenus (3). Ces actions ont en partie été infructueuses, en particulier s'agissant de la contestation de la conformité des dispositions légales à la Constitution sur laquelle le Conseil constitutionnel était interrogé à la demande de la Cour de cassation (4) et qui a abouti à une décevante validation en l'état des dispositions légales (5).

D'autres actions sont toujours en cours, notamment à la suite du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris qui accepta la requalification de la relation en contrat de travail et jugea les dispositions du Code de procédure pénale contraire à différents textes internationaux (6). Le Conseil d'Etat, de son côté, a renvoyé au Tribunal des conflits la question de la compétence du juge judiciaire ou du juge administratif s'agissant des litiges relatifs à la rémunération des détenus, question de compétence qui dépendra au moins en partie de l'éventuelle existence d'un contrat de travail, de l'application qui en découlerait du droit du travail et, partant, de l'évincement des règles du Code de procédure pénale (7).

S'agissant précisément de la rémunération des travailleurs détenus, il convient encore de faire référence au rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour l'année 2011 (8). Celui-ci constatait, en effet, que les règles de rémunération des détenus établies par le code de procédure pénale et par l'arrêté du 23 février 2011 pris pour leur application n'étaient pas respectées, notamment en raison de l'existence des notes de services de l'administration pénitentiaire fixant des taux de rémunération inférieurs. C'est précisément l'application de ces dispositions et leurs conséquences sur la rémunération d'un travailleur détenu qui faisait l'objet de l'affaire présentée.

  • L'affaire

Au cours des années 2011 et 2012, un détenu travaillait dans un emploi relevant de la classe III puis de la classe II selon la classification opérée par l'arrêté ministériel du 23 février 2011. Il soutenait que les rémunérations qui lui avaient été servies étaient en deçà des minima établis par le Code de procédure pénale et demandait, en référé, que lui soit versées des provisions correspondant aux rappels de rémunération dues, au préjudice subi en raison de cotisations au régime de retraite inférieures à ce qu'elles auraient dû être et, enfin, au préjudice moral prétendument subi.

Le tribunal administratif de Limoges, par ordonnance rendue le 22 août 2013, fait partiellement droit à ses demandes, accepte que lui soient servies des provisions au titre de rappels de salaire, l'existence de l'obligation de payer des rémunérations supérieures n'étant pas sérieusement contestable, mais considère que l'existence d'un préjudice de retraite et d'un préjudice moral n'est pas établie.

II - Les minima salariaux applicables au travail des détenus : vers une nouvelle remise en cause du statut des travailleurs détenus ?

  • Le calme : l'absence de remise en cause du statut particulier

Plusieurs remarques, de différents ordres, viennent à l'esprit à l'analyse de cette décision.

La première, qui n'est finalement pas surprenante, permet d'être convaincu que les constats établis par le contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2011 étaient véritablement fondés. Non seulement les rémunérations versées aux travailleurs détenus sont autrement plus basses que celles servies aux travailleurs ordinaires mais, pire encore, les minima légaux et réglementaires ne sont le plus souvent pas respectés en raison d'application de textes d'interprétation, assimilables à des circulaires, non-conformes aux dispositions légales et réglementaires évoquées.

Un second sentiment s'élève et c'est, à nouveau, celui de la déception comme l'avait déjà suscité la décision du Conseil constitutionnel. Aucun des moyens présentés par le demandeur ne tentait de contester la légitimité des dispositions dérogatoires applicables aux travailleurs détenus. En particulier, la confrontation de ces dispositions à celles des articles 4 (N° Lexbase : L4775AQW) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la CESDH, du protocole additionnel n°12 à la CESDH, aux articles 6, 7 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (N° Lexbase : L6817BHX) et à la Convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail aurait pu être envisagée comme ce fut le cas devant le conseil de prud'hommes de Paris. De manière plus spécifique, la légalité des notes de services de l'administration pénitentiaire n'était pas elle non plus contestée.

  • Une tempête en formation par le jeu du contrôle de conventionalité ?

Il est vrai, cependant, qu'il ne s'agissait là que d'une action en référé, que l'affaire devra être jugée au fond et que c'est à cette occasion que ces arguments pourraient être soulevés. Les suites de cette affaire devront donc faire l'objet de toutes les attentions, comme celles d'ailleurs du jugement du conseil de prud'hommes de Paris.

Dans un cas comme dans l'autre, les Hautes juridictions de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif pourraient être appelées à se prononcer sur la conformité du régime spécial aux libertés et droits fondamentaux reconnus aux détenus et aux travailleurs par les textes internationaux, en particulier par la CESDH. Voilà qui pourrait être l'occasion de savoir si les contrôles de constitutionnalité et de conventionalité doivent être perçus comme étant complémentaires ou concurrents (9).

Le choix de la complémentarité impliquerait seulement que les règles dérogatoires applicables à la rémunération des travailleurs détenus soient respectées, sans qu'il y ait là d'autre enjeu que celui de l'articulation entre circulaire d'interprétation et texte réglementaire. Il ne serait alors question que d'une tempête dans un verre d'eau.

Le choix de la concurrence ferait entrer la Cour de cassation et/ou le Conseil d'Etat dans une opposition frontale avec le Conseil constitutionnel. La Cour de cassation, en acceptant de transmettre la QPC au Conseil, démontrait qu'elle n'était pas hostile à une remise en cause du régime dérogatoire si bien qu'elle pourrait être tentée de l'écarter sur le fondement d'autres arguments que ceux tirés des principes à valeur constitutionnelle. Quant au Conseil d'Etat, le choix de transmettre la question de compétence des juridictions administratives au Tribunal des conflits démontre que sa position n'était pas elle non plus bien affirmée avant que le Conseil constitutionnel ne rende sa décision. La tempête se muerait alors en ouragan, emportant sur son passage le régime spécial des travailleurs détenus, ce à quoi s'ajouterait un différend profond de conception entre les différentes juridictions suprêmes de notre pays.

En définitive, et ce malgré la décision rendue par le Conseil constitutionnel au mois de juin dernier, il subsiste donc une réelle incertitude quant au devenir du régime spécial applicable aux travailleurs détenus, incertitude que le dessein réservé à l'ordonnance du tribunal administratif de Limoges pourrait participer à dissiper.


(1) Sur ce statut particulier, v. P. Auvergnon et C. Guillemain, Le travail pénitentiaire en question, La documentation française, 2006.
(2) La classification des différents niveaux de qualification a été effectuée par arrêté du 23 février 2011, relatif à la répartition des emplois entre les différentes classes du service général.
(3) P. Auvergnon, Droit du travail et prison : le changement maintenant ?, RDT, 2013, p. 309.
(4) Cass. soc., 20 mars 2013, deux arrêts, n° 12-40.104, FS-P+B (N° Lexbase : A9043KA8) et n° 12-40.105, FS-P+B (N° Lexbase : A9046KAB) ; v. les obs. de Ch. Radé, L'application du Code du travail aux détenus en questions, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6456BTB) ; Dr. soc., 2013, p. 576 et nos obs.
(5) Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4732KGD) ; v. les obs. de Ch. Radé, Travail carcéral et statut des maîtres contractuels de l'enseignement privé : les rendez-vous manqués, Lexbase Hebdo n° 533 du 27 juin 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7709BTP).
(6) CPH Paris, 8 février 2013, n° 11/15185 (N° Lexbase : A0400I9P) ; v. nos obs., Travail des détenus : vers l'application du droit commun du travail ?, Lexbase Hebdo n° 520 du 21 mars 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6255BTT) ; CSBP, 2013, p. 111, obs. G. Loiseau.
(7) CE 1° et 6° s-s-r., 5 avril 2013, n° 349683, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6572KBZ).
(8) V. en particulier les pages 175 et s.
(9) La question est d'ores et déjà posée, notamment s'agissant des rôles éventuellement concurrents du Conseil constitutionnel et de la CEDH, v. J. Mouly, QPC et "QCC" en droit du travail : concurrence ou complémentarité ?, Dr. soc., 2013, p. 573.

Décision

TA Limoges, 22 août 2013, n° 1301113 (N° Lexbase : A3115KKL).

Condamnation.

Textes concernés : C. pr. pén., art. 717-3 (N° Lexbase : L9399IET) et D. 432-1 (N° Lexbase : L2306IP4).

Mots-clés : Travail pénitentiaire. Rémunération.

newsid:438527

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Règles de calcul du chiffre d'affaires en matière de taxe sur les salaires et de TVA : l'accessoire peut-il prévaloir sur le principal ?

Réf. : CE 9° s-s., 25 juillet 2013, n° 354715, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1226KKM)

Lecture: 12 min

N8504BT7

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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon

Le 19 Septembre 2013

La taxe sur les salaires et la TVA sont les meilleures ennemies : lorsque l'une s'applique, l'autre est exclue. Ainsi, lorsqu'un employeur est assujetti pour moins de 10 % de son activité à la TVA (plus de 90 % de l'activité étant hors champ de la TVA ou exonérés de TVA), il est soumis à la taxe sur les salaires. La règle est limpide, mais les discussions sont multiples : comment calculer le chiffre d'affaires soumis ou non à la TVA ? L'arrêt du 25 juillet 2013 nous rappelle les règles, et apporte des précisions. Le Centre hélio-marin de Plérin est une association reconnue d'utilité publique qui prend en charge des enfants et adolescents atteints d'un handicap moteur au sein d'un centre de médecine physique et de réadaptation, d'un institut de rééducation et d'éducation motrice, ainsi que d'un service d'éducation spéciale et de soins à domicile, qu'elle gère. Cet établissement réalise en outre, à titre accessoire, des prestations de fourniture et portage de repas, livraison de repas aux membres du personnel qu'elle emploie ainsi que des ventes diverses. Son activité principale est exonérée de la TVA en application du 1° du 4 de l'article 261 du CGI (N° Lexbase : L4768IXU) et ses activités accessoires, en principe imposables à la TVA, bénéficient de la franchise prévue à l'article 293 B du CGI (N° Lexbase : L2803IPI).

L'association a demandé la restitution des cotisations de taxe sur les salaires acquittées au titre des années 2006 à 2007, en invoquant l'exonération prévue par les dispositions du deuxième alinéa du 1 de l'article 231 du CGI (N° Lexbase : L5253IWH) en faveur des employeurs dont le chiffre d'affaires n'excède pas les limites du régime de la franchise. Cette demande de restitution a été rejetée par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 13 octobre 2011, n° 10NT00890, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8523HYC), au motif que le deuxième alinéa du 1 de l'article 231 du CGI ne renvoie aux dispositions de l'article 293 B qu'en ce qui concerne le montant des limites du chiffre d'affaires donnant droit à l'exonération de taxe sur les salaires, et non en ce qui concerne le mode de détermination du chiffre d'affaires permettant d'apprécier le respect de ces limites. En effet, ce dernier est défini par le premier alinéa du 1 de l'article 231, qui vise aussi bien les activités soumises à la TVA que celles qui en sont exonérées. Cette décision a été validée par le Conseil d'Etat (CE 9° s-s., 25 juillet 2013, n° 354715, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1226KKM) considérant que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour déterminer le rapport devant être appliqué au montant total des rémunérations pour le calcul de l'assiette de la taxe sur les salaires due par les assujettis partiels à la TVA est défini par le premier alinéa du 1 de l'article 231, lequel vise aussi bien les activités imposables à la TVA que les activités qui en sont exonérées ou qui sont situées hors de son champ d'application.

Cette décision de rejet, au demeurant parfaitement logique et non critiquable, vient s'ajouter à la longue liste des batailles judiciaires perdues contre cette taxe sur les salaires, considérée comme anti-économique par ses effets sur le coût du travail et le renchérissement des investissements (TVA non déductible), et donc de nature à fausser la concurrence entre des employeurs selon que leurs activités sont assujettis ou non à la TVA. Pour rappel sauf à de rares exceptions, les activités exonérées de TVA ne peuvent pas être soumises volontairement à la TVA. Cela dit, le cas du Centre hélio-marin permet de faire le lien entre les conditions d'application de la taxe sur les salaires et le régime de TVA particulier des établissements de soins.

I - La taxe sur les salaires

A - Champ d'application

1 - Principe

En principe, toutes les personnes physiques ou morales qui versent des traitements et salaires sont passibles de la taxe sur les salaires.

2 - Exonérations

Certains employeurs sont exonérés de la taxe sur les salaires. Il s'agit notamment :

- des collectivités locales, de leurs régies personnalisées et de leurs groupements, des services départementaux de lutte contre l'incendie, des centres d'action sociale dotés d'une personnalité propre lorsqu'ils sont subventionnés par les collectivités locales, du centre de formation des personnels communaux, des caisses des écoles ;

- des employeurs assujettis à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires de l'année civile précédant celle du paiement des salaires ;

- des employeurs dont le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année civile précédant le versement des rémunérations n'excède pas les limites de la franchise en base définies aux I, III et IV de l'article 293 B du CGI ;

- des établissements d'enseignement supérieur visés au livre VII du Code de l'éducation, qui organisent des formations conduisant à la délivrance au nom de l'Etat d'un diplôme sanctionnant cinq années d'études après le baccalauréat ;

- des particuliers qui emploient un seul salarié à domicile ou d'un seul assistant maternel agréé. Toutefois, cette même exonération s'applique pour l'emploi de plusieurs salariés à domicile dont la présence au domicile de l'employeur est nécessitée par l'obligation pour ce dernier ou toute autre personne présente à son foyer de recourir à l'aide d'une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie.

Comme on peut le constater, les cas d'exonération de la taxe sur les salaires sont limitativement énumérés par l'article 231 du CGI, et laissent peu de place à l'interprétation.

Or, la demande d'exonération de la taxe sur les salaires formulée par l'association nécessitait précisément un très grand effort d'interprétation. En effet, selon le requérant, tout contribuable bénéficiant de la franchise en base de la TVA devait bénéficier également de l'exonération de taxe sur les salaires puisque, pour déterminer les limites de chiffre d'affaires en deçà desquelles la franchise en base trouve à s'appliquer, il n'y a pas lieu, selon l'article 293 D du CGI (N° Lexbase : L2348IBL), de prendre en compte les opérations exonérées de TVA. Autrement dit, une personne bénéficiant de la franchise en base à raison d'une activité accessoire serait, ipso facto, exonérée de la taxe sur les salaires au titre des rémunérations versées pour l'exercice de l'activité principale. En quelque sorte, l'arbre qui cacherait la forêt !

Il est précisé, par ailleurs, que le Centre hélio-marin étant une association, ses activités accessoires pouvaient non seulement bénéficier de la franchise en base de TVA de l'article 293 B du CGI, mais également de la franchise de TVA spécifique aux associations pour leurs activités accessoires n'ayant pas excédé au cours de l'année civile précédente le montant de 60 000 euros (CGI, art. 261-7-1°, b).

B - Assiette de la taxe sur les salaires

L'assiette de cette taxe est, sauf exceptions légales, celle des cotisations sociales. C'est ainsi que les avantages en nature et les indemnités pour frais professionnels sont pris en compte et évalués pour la détermination de l'assiette de la taxe sur les salaires comme pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale.

Pour les personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la TVA, la taxe est assise sur la totalité des rémunérations. Pour celles qui n'ont pas été assujetties à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations taxables, l'assiette de la taxe est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la TVA et le chiffre d'affaires total.

A noter que certaines rémunérations ne sont pas à comprendre dans la base d'imposition à la taxe sur les salaires. Il s'agit notamment de celles versées :

-aux salariés bénéficiaires d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi ou d'un contrat d'avenir définis respectivement aux articles L. 5134-20 (N° Lexbase : L2786IUQ) et L. 5134-35 (plus en vigueur N° Lexbase : L2228H9E) du Code du travail, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2010 ainsi que celle versée aux titulaires, dans les départements d'outre-mer, de contrats d'insertion par l'activité prévus à l'article L. 522-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L6273IMB) (CGI, art. 231 bis N N° Lexbase : L3673IAB) ;

-au personnel des cantines d'entreprise, l'exonération ne s'applique, en principe, qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement à la fourniture des repas. Toutefois, lorsque le personnel assure concurremment d'autres services, la partie du salaire correspondant au service de la cantine peut bénéficier de l'exonération (BOI-TPS-TS-20-20-20121126, n° 280 N° Lexbase : X7908ALH) ;

-aux étudiants en médecine titulaires d'une bourse d'enseignement supérieur à titre d'indemnités hospitalières.

C - Situation des organismes sans but lucratif (OSBL)

Les OSBL qui versent des traitements et salaires sont imposables à la taxe sur les salaires, notamment ceux qui sont exonérés totalement ou partiellement de TVA en vertu des dispositions de l'article 261-7-1° du CGI, c'est-à-dire ceux qui rendent des services caractère social, éducatif, culturel ou sportif à leurs membres et ceux qui réalisent au bénéfice de toutes personnes des opérations qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée.

Toutefois, les OSBL bénéficient de certains avantages :

-la taxe sur les salaires n'est pas due sur les salaires versés aux personnes recrutées à l'occasion et pour la durée des manifestations de bienfaisance ou de soutien exonérées de TVA en vertu du c du 1° du 7 de l'article 261 du CGI (CGI, art. 231 bis L N° Lexbase : L4450HLE) ;

-lorsqu'ils emploient moins de trente salariés la taxe n'est exigible, au titre d'une année, que pour la partie de son montant dépassant une somme fixée à 6 002 euros pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2011.

D - Liquidation de la taxe sur les salaires

Le taux de la taxe est, en France métropolitaine, de :

-4,25 % pour la fraction de la rémunération individuelle qui n'excède pas 7 604 euros ;

-9,35 % pour la fraction comprise entre 7 604 et 15 185 euros ;

-13,60 % pour la fraction supérieure à 15 185 euros.

Il n'y a qu'un taux unique de 2,95 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, et de 2,55 % dans le département de la Guyane.

II - La TVA et les soins aux personnes

Dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 25 juillet 2013, ici commenté, il est indiqué que l'association prend en charge des enfants et des adolescents atteints d'un handicap moteur au sein d'un centre de médecine physique et de réadaptation, d'un institut de rééducation et d'éducation motrice, et assure un service d'éducation spéciale et de soins à domicile, et enfin que cette activité est exonérée de TVA en vertu du 1° du 4 de l'article 261 du CGI. Or, cette disposition s'applique aux seules prestations de soins aux personnes et non à leur éventuel hébergement. Cette justification de l'exonération de TVA du Centre par la seule référence au 1° du 4 de l'article 261 du CGI ne manque pas d'étonner dans la mesure où, semble-t-il, les personnes pris en charge par lui y sont, au moins pour certaines d'entre elles, hébergées. Or, l'exonération de TVA applicable aux soins médicaux et paramédicaux délivrés aux personnes doit être différenciée de celle relative à l'hébergement des patients.

A - Les soins aux personnes

Le 1° du 4 de l'article 261 du CGI exonère de la TVA les prestations de soins à la personne, c'est-à-dire toutes les prestations qui concourent à l'établissement des diagnostics médicaux ou au traitement des maladies humaines. Ces prestations, pour être exonérées, doivent cependant être dispensées par :

- des médecins (omnipraticiens ou spécialistes), des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes, ainsi que par des membres des professions paramédicales réglementées (masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, infirmiers ou infirmières, orthoptistes, orthophonistes, etc.) ;

- des praticiens autorisés à faire usage légalement du titre d'ostéopathe ;

- des psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes titulaires d'un des diplômes requis, à la date de sa délivrance, pour être recruté comme psychologue dans la fonction publique hospitalière.

Ces praticiens sont considérés comme agissant à titre indépendant, soit lorsqu'ils exploitent des cabinets privés où ils reçoivent directement de leur clientèle le montant de leurs honoraires, soit lorsqu'ils exercent leur activité dans le cadre de sociétés civiles professionnelles.

L'exonération s'étend aux fournitures de certains biens effectuées par les praticiens dans la mesure où elles constituent le prolongement direct des soins dispensés à leurs malades (tel est le cas, par exemple, pour les semelles orthopédiques ou appareils podologiques fabriqués par des pédicures-podologues et vendus aux personnes auxquelles ils prodiguent leurs soins, etc.).

S'agissant du Centre en cause, les conditions d'intervention des praticiens ne sont pas explicitées dans les décisions des juges administratifs, malgré leur importance tant au regard de l'assiette de la taxe sur les salaires que de l'exonération de TVA.

B - Les prestations hospitalières

En vertu de l'article 261-4-1° bis du CGI, sont exonérés de TVA : les frais d'hospitalisation et de traitement, y compris les frais de mise à disposition d'une chambre individuelle, dans les établissements de santé privés titulaires de l'autorisation mentionnée à l'article L. 6122-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6893IGE).

Selon la doctrine administrative (BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-20-20120912 N° Lexbase : X4419ALA), cette exonération s'applique à toutes les formes d'hospitalisation, y compris l'hôpital de jour ou de nuit et l'hôpital à domicile. Elle concerne aussi les établissements de soins qui ne disposent pas de moyens d'hospitalisation, mais qui sont dotés d'équipements importants.

Les frais exonérés de TVA sont notamment les frais de séjours, les frais de soins et de traitement (médicaments, pansements, appareils orthopédiques, prothèses).

Les honoraires perçus par les médecins et auxiliaires médicaux, en leur nom personnel, sont exonérés par l'article 261-4-1° du CGI. Lorsqu'ils sont perçus pour leur compte par les cliniques, ils ne constituent pas des recettes propres de l'établissement, même lorsqu'ils figurent sur la facture délivrée au malade. En revanche, les sommes versées à l'établissement par les praticiens et auxiliaires médicaux qui y exercent leur activité à titre libéral, quelle que soit la qualification de ces sommes (loyers, redevances, etc.) et quelle que soit la nature du service rendu (mise à disposition de locaux, de personnel, de matériel, comptabilisation des honoraires, etc.), sont imposables à la TVA.

Ne bénéficient pas de l'exonération de TVA :

- les prestations de services et les ventes qui ne sont pas liées à l'hospitalisation et au traitement ou qui ne résultent pas d'une prescription médicale. Il s'agit notamment des suppléments facturés aux malades et qui correspondent à des exigences particulières de ceux-ci (nourriture, boisson, blanchissage d'effets personnels, frais de téléphone, location d'une télévision, etc.) ;

- la fourniture des repas servis au personnel salarié servis et à d'autres personnes que les malades.

C - Etablissements de soins gérés par des associations

Le établissements de soins gérés par des associations, telle celle en cause dans l'affaire commentée, peuvent, par ailleurs, bénéficier de l'exonération de TVA en application des dispositions de l'article 261-7-1° du CGI, qui prévoient l'exonération des opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales.

D - Situation des établissements sociaux ou médico-sociaux

Selon la doctrine administrative (BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-20-20120912, n° 230), demeurent imposables à la TVA les établissements sociaux ou médico-sociaux énumérés au I de l'article L. 312-1 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L7062IU4), dont "les établissements et les services, y compris les foyers d'accueil médicalisé, qui accueillent des personnes adultes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert".

E - Des questions sans réponse

A la suite de ce passage en revue des différentes problématiques fiscales pouvant concerner le Centre hélio-marin de Plérin (assujettissement à la taxe sur les salaires et à la TVA), force est de constater que beaucoup d'éléments font défaut pour apprécier avec précision le régime fiscal de cette structure. En premier lieu, on peut se demander les raisons pour lesquelles l'exonération de TVA de l'association n'est fondée, selon les décisions tant de la cour administrative d'appel de Nantes que du Conseil d'Etat, que sur les dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du CGI (exonération des soins aux personnes) et non pas sur les dispositions du 1° bis (exonération des établissements de soins). Cette question est importante pour déterminer les bénéficiaires de l'exonération de la TVA : les praticiens dans le premier cas, le Centre dans le deuxième cas. A cet égard, savoir si les praticiens du Centre étaient, pour les années en litige, des salariés ou non, aurait été très intéressant. Par ailleurs, la question d'un possible assujettissement à la TVA et par conséquence d'une possible exonération de la taxe sur les salaires de l'établissement si son statut était non pas celui d'un établissement de soins, mais celui d'un centre médico-social, n'a pas été évoqué, étant entendu que les juges administratifs n'ont pas à juger au-delà des demandes des parties.

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