La lettre juridique n°501 du 11 octobre 2012 : Libertés publiques

[Le point sur...] La liberté d'expression : quel droit de parler, écrire, mettre en scène ou représenter ?

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N3839BTD

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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

le 11 Octobre 2012

Dans une société démocratique réglée par le droit, la liberté consiste à agir dans les limites préalablement définies en droit. La mesure de la liberté n'est donc pas tant l'étendue de ce qu'il est possible de faire et de ne pas faire, mais la connaissance par chaque sujet de droit de ce qu'il est possible de faire et de ne pas faire. Comme les autres, la liberté d'expression est donc assurée par la sécurité juridique. Cela dit, le choix d'une société peut être plus ou moins libéral : il peut y avoir plus ou moins de limites légales à la liberté et des limites plus ou moins identifiables. S'agissant de la liberté d'expression, le choix de la France, sous le contrôle de la Cour Européenne des droits de l'Homme, est à la fois clair et ambigu. Clair parce que le choix n'est pas celui du "tout liberté", et ambigu, parce que le champ des possibles est constamment à définir, car constamment discuté et surtout, disputé. La liberté d'expression, formellement consacrée à travers la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen est bien en France un droit "disputé". En une année, deux événements ont encore alimenté la dispute : l'adoption, tout d'abord, de la loi punissant la négation du génocide arménien, censurée par le Conseil constitutionnel au mois de février (Cons. const., 28 février 2012, décision n° 2012-647 DC N° Lexbase : A5562IDD) ; puis, très récemment, l'affaire des dessins en une de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, publiés dans la foulée de la diffusion sur internet d'une production cinématographique amateur en provenance des Etats-Unis et qui a provoqué plusieurs débordements, mortels, dans quelques pays du monde arabe. L'expression étant la manifestation extérieure d'un sentiment intérieur, il apparaît que l'état du droit est relativement clair s'agissant des sentiments qui, en tout état de cause et sauf exception, ne peuvent pas être exprimés (I). Mais ce sont les manifestations de tous les autres propos qui peuvent poser difficulté, car leur caractère fautif ou illégal est presque toujours question de circonstances, liées aux auteurs, aux personnes ou groupes visés, ou encore aux buts poursuivis : la liberté d'expression ne consiste pas seulement à savoir ce qu'il est possible, dans une société démocratique réglée par le droit comme l'est la République française, de dire, écrire ou même représenter, mais surtout comment, à quel moment ou dans quel but il est possible de le dire, de l'écrire ou de le représenter. Certaines informations, analyses ou représentations sont ainsi proscrites, au regard de l'exercice d'autres droits fondamentaux (II), tandis que le principe de la dignité et de l'honneur peut, dans certains cas, s'opposer à l'expression d'une opinion négative à l'égard des personnes (III).

I - Les manifestations de sentiments intrinsèquement illégales au regard du ciment social et républicain

Ce n'est pas le cas dans tous les pays, singulièrement aux Etats-Unis, mais la France a choisi de pénaliser l'expression publique d'un certain nombre de sentiments, qui, en eux-mêmes, et, en principe, indépendamment des circonstances, sont illégaux. Il faut bien insister sur le fait que ce sont bien les "sentiments" qui sont visés, tels qu'ils peuvent ressortir de la manière dont ils sont exprimés, et non, finalement, les propos en eux-mêmes, qui pourraient simplement être rapportés par des tiers ou mis en scène. Les sentiments visés sont, dans l'ensemble, liés à des valeurs considérées comme étant au fondement, de la société d'abord (la sûreté), de la République ensuite (les valeurs). Mais il faut distinguer entre ce qui est constitutif d'une provocation, et qui doit être suivi au moins d'une tentative de réalisation d'un crime ou délit pour être punissable, et ce qui est en soi punissable en tant qu'expression.

S'exprimer pour provoquer

Pour l'essentiel, il faut se référer à la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), qui a posé dans son article 23 (modifié par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC) que, "seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet".

Ce qui est ainsi qualifié de "provocation aux crimes et délits" est puni selon les modalités fixées aux articles 24 et 24 bis de la loi de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. La raison d'être de cette pénalisation de la provocation aux crimes et délits l'est du fait que, dans une société réglée par le droit, ils sont institués pour préserver la paix et la sécurité, et que les encourager est, par là même, volonté de saper l'un des fondements essentiels de l'ordre social. Ce sont donc les provocations aux "atteintes volontaires à la vie", aux "atteintes volontaires à l'intégrité de la personne" et aux "agressions sexuelles", telles que définies par le livre II du Code pénal (loi du 29 juillet 1881, art. 24, al. 1er, 1°) et aussi les provocations aux "vols", "extorsions" et "destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes", tels que définis dans le livre III du Code pénal (loi du 29 juillet 1881, art. 24, al. 1er, 2°). Mais l'article 24 prévoit aussi l'hypothèse de la provocation à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (C. pén., art. 410-1 N° Lexbase : L1980AMB et l'ensemble des dispositions du Titre 1er du livre IV du Code pénal), et de la provocation à un acte de terrorisme.

A côté de la provocation aux crimes et délits, de droit commun ou spécifique, l'article 24 instaure aussi la provocation "à la discrimination, à la haine ou à la violence" qui remettraient en cause des valeurs considérées comme au fondement de la République, constamment réaffirmées depuis la DDHC. Il en va de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard "d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée", punie d'un an d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende. On touche bien là aux valeurs proprement républicaines. Il s'agit, en instituant cette infraction de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, de réaffirmer le nécessaire lien social qui doit exister entre des individus, nécessairement différents. Peuvent, enfin, être punis des mêmes peines ceux qui auront "provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 (N° Lexbase : L8808ITE) et 432-7 (N° Lexbase : L8809ITG) du Code pénal".

Le caractère "public" de la provocation est ce qui fait basculer du terrain de la contravention vers le terrain délictuel. En effet, la provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence est constitutive d'une contravention de cinquième classe, assortie de possibles peines complémentaires listées à l'article R. 625-7 du Code pénal (N° Lexbase : L5971IM4) (travail d'intérêt général pour une durée de vingt à cent vingt heures par exemple ou interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation).

Si ce qui fait l'objet de la provocation, et donc ce qui est punissable, n'est pas véritablement difficile à identifier, la provocation elle-même et son lien avec la réalisation d'un crime ou délit punissable est plus délicat à établir, car il suppose à la fois et nécessairement d'établir un lien a priori (l'intention d'influencer) et a posteriori (l'effectivité de l'influence, qui doit être directe). A propos de l'affaire des caricatures de Mahomet, il manque de toute évidence le lien a priori et il faudrait même encore établir qu'il y a un lien direct avec la commission ou la tentative de commission de l'infraction visée pour établir le lien a posteriori. De ce point de vue, les caricatures relèvent purement et simplement de l'usage légal de la liberté d'expression. Encore faut-il que celles-ci ne tombent pas sous le coup d'une autre infraction, constituée par la seule expression d'un sentiment en lui-même considéré comme condamnable.

S'exprimer pour "dire" un sentiment

Au surplus de la provocation, "l'apologie" de l'un des crimes et délits visés par la provocation, est également susceptible d'être puni des mêmes peines. Il faut réserver le cas particulier de l'apologie "des crimes contre l'Humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi", soumise au même régime que la provocation, en sachant que l'article 24 bis apporte une restriction supplémentaire à la liberté d'expression concernant les crimes contre l'Humanité : le fait de "contester par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'Humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale", peut être puni d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 45 000 euros. La pénalisation du propos consistant à contester l'existence de tels crimes est liée à la reconnaissance législative de ce que ces crimes ont été effectivement commis. C'est la même philosophie qui avait présidé le 23 janvier 2012 à l'adoption du texte de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, et qui créait un article 24 ter dans la loi de 1881 visant à réprimer la contestation du génocide arménien, par ailleurs reconnu par la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 (N° Lexbase : L8543H3S), dont l'article unique dispose que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Mais le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif en considérant qu'en pénalisant "la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication" (Cons. const., 28 février 2012, décision n° 2012-647 DC , précitée), ce qui laisse apparaître la possible inconstitutionnalité de l'article 24 bis de la loi de 1881, même si la Cour de cassation a jugé non sérieuse la QPC posée à son propos (Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-80.774, P+B N° Lexbase : A1974EXE).

Notons le cas particulier des "cris ou chants séditieux" qui ont un caractère contraventionnel (contravention de cinquième classe) dans la loi du 29 juillet 1881, s'ils sont "proférés dans les lieux ou réunions publics", tout comme est susceptible d'être puni d'une amende de 1 500 euros, de faire l'objet d'une saisie et confiscation, ou d'une condamnation à une peine de travail d'intérêt général "le fait, sauf pour les besoins d'un film, d'un spectacle ou d'une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d'exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle [...] soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d'un ou plusieurs crimes contre l'Humanité [...]". Apparaît dans ces dispositions le but poursuivi par les auteurs, qui peut être, bien qu'artistique, historique surtout, et qui donc laverait du caractère infractionnel.

Dans un tout autre registre, celui de la protection des mineurs, registre lié lui aussi aux valeurs que s'est données le système juridique français, il faut mentionner les dispositions de l'article 227-23 du Code pénal (N° Lexbase : L8751HWZ) qui prévoient que "le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. La tentative est punie des mêmes peines". De même, "le fait d'offrir ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l'importer ou de l'exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines". L'article ajoute que "les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende lorsqu'il a été utilisé, pour la diffusion de l'image ou de la représentation du mineur à destination d'un public non déterminé, un réseau de télécommunications". Ici, l'importance du champ de l'espace atteint détermine un renforcement de la répression, dans le cas de l'article 227-23, la spécificité du champ étant la cause déterminante dans le cas de l'article 227-24 du Code pénal (N° Lexbase : L7476IPL). Ce dernier indique, en effet, que "le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur".

II - L'expression injustifiée d'informations, d'analyses ou de représentations au regard de l'exercice d'autres droits fondamentaux

Mis à part les cas que l'on vient de voir, somme toute peu nombreux et dont on peut comprendre la raison d'être, de restrictions quasi absolues de la liberté d'expression, celle-ci est éminemment une question de contexte : les informations obtenues à l'occasion d'une activité reposant sur la confiance ou la confidence ne peuvent, ainsi, être aisément divulguées auprès des tiers, non plus que l'utilisation d'une "oeuvre", de l'image ou des biens d'une personne sans autorisation n'est légalement possible. Ce sont d'autres droits fondamentaux qui sont en jeu, et dont l'exercice doit être concilié avec celui de la liberté d'expression. D'une manière plus spécifique s'agissant des médias et nouvelles technologies, l'article 1er de la loi n° 2004-575, sur l'économie numérique, dispose que l'exercice de la "communication au public" "ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle".

Dévoiler des secrets légaux

On pense bien sûr aux secrets liés à l'exercice d'une profession particulière, soit à raison de l'exercice d'une mission particulière. Le secret est considéré comme la clé de voûte d'un certain nombre d'activités, au nombre desquelles il faut compter celle de Gouvernement. Il empêche, ainsi, la libre divulgation et diffusion de certaines informations. La liberté d'expression, s'en trouve, apparemment, limitée d'autant. Le secret concerne donc l'exercice de certaines activités, libérales la plupart du temps (avocats, notaires, médecins), l'implication dans une activité (l'appartenance à une entreprise, la détention de données à caractère personnel) ou une mission (l'instruction judiciaire, par exemple ou la presse informative), ou encore l'exercice d'une mission de service public, au premier rang desquelles la Défense nationale (C. pén., art. 413-9 N° Lexbase : L5955IEB). L'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG) dispose que "la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende". Il apparaît, toutefois, que certains impératifs permettent de redonner un champ à la liberté d'expression. La loi peut elle-même prévoir la révélation d'un secret, éventuellement même de manière obligatoire (voir les cas par exemple prévus à l'article 226-14 du même code N° Lexbase : L8743HWQ). En dehors de la loi, c'est la considération de certains impératifs ou des circonstances qui permet d'assouplir la règle du secret au profit de la liberté d'expression. S'agissant des avocats, par exemple, la CEDH estime que les ingérences prévues par la loi et destinées à limiter la liberté d'expression de l'avocat doivent être exceptionnelles et justifiées par des circonstances très particulières (CEDH, 15 décembre 2011, Req. 28198/09 N° Lexbase : A6142IAQ), ce qui implique, par exemple, que l'exercice des droits de la défense puisse justifier la violation du secret professionnel.

Au sein d'une entreprise, les salariés sont eux-mêmes tenus à la confidentialité mais cette obligation peut être assouplie dans un certain nombre de cas, notamment lorsqu'il s'agit de s'exprimer sur ses conditions de travail, la protection des travailleurs étant dans cette hypothèse une justification à l'exercice de la liberté d'expression, considérée comme un droit fondamental du salarié fondé sur l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P) qui dispose que, "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". L'abus de l'usage de la liberté d'expression ne pourra être sanctionné, par un licenciement par exemple, que dans le cas d'une faute lourde du salarié. Les journalistes ont eux aussi leur secret, celui des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse selon la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 27 mars 1996, Req. 16/1994/463/544 N° Lexbase : A8390AWN) et qui occasionne de temps à autres des condamnations de la France pour violation de l'article 10 de la Convention (N° Lexbase : L4743AQQ) (CEDH, 28 juin 2012, Req. 15054/07 N° Lexbase : A2135IQ7), mais l'article 1er de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 (N° Lexbase : L1938IGU) indique un assouplissement du secret "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi", à la condition que cette atteinte ne consiste pas "en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources".

Utiliser l'image et les oeuvres d'autrui

Les articles 226-1 (N° Lexbase : L2092AMG) et 226-2 (N° Lexbase : L2241AMX) du Code pénal protègent l'image des personnes en prévoyant des peines d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le droit à l'image met aux prises la liberté d'expression, le droit à l'information et le respect de la dignité et de la vie privée. C'est la raison pour laquelle il fait toujours l'objet d'une appréciation délicate quant aux atteintes qui peuvent lui être portées. C'est ainsi que, dans certaines circonstances, le droit à l'image peut se muer en une liberté de l'image, et le champ de la liberté d'expression de ce fait plutôt élargi. Il apparaît que, si le principe demeure qu'il n'est pas possible de saisir, reproduire ou faire usage de l'image d'une personne ou de ses biens sans autorisation préalable, il existe des cas où c'est un autre droit qui prévaut, à l'instar du droit à l'information du public, qui peut supposer d'illustrer légalement un événement d'actualité sans requérir le consentement de la personne concernée, dès lors que l'image a un lien direct avec le sujet d'actualité qui est traité. Tel est le cas, par exemple, de la diffusion de la photographie d'un policier qui accompagnait, dans l'exercice de ses fonctions, un groupe de personnes placées en garde à vue (Cass. civ. 1, 25 janvier 2000, n° 98-10671 N° Lexbase : A3575AUX). Mais tel n'est pas le cas de la diffusion de la photographie d'un journaliste qui assistait à une manifestation sportive sans lien avec sa profession et qui ne saurait ainsi être justifiée par un motif d'actualité (Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 02-12.743, F-P+B N° Lexbase : A5979DB3). Mais on peut tout de même penser que la liberté d'expression est assez vaste si l'on sait d'une part, que l'illustration d'un débat de société suppose de pouvoir recourir légitimement à tout type d'image (Cass. civ. 2, 4 novembre 2004, n° 03-15.397, FS-P+B N° Lexbase : A7712DDY) et, d'autre part, que, par exemple, la reproduction de l'image d'un artiste-interprète pour commercialiser un album musical relève de la liberté de l'information (CA Paris, 1ère ch., 6 juin 2007, n° 05/21809 N° Lexbase : A7437DXQ).

Il faut évidemment faire un cas particulier des personnages "publics" pour lesquels la question de la vie privée est une source permanente de conflit entre la liberté de l'information et le respect légal qui lui est dû. Toute atteinte à la vie privée n'est, dans ces circonstances, pas automatiquement illégale, même s'il est clair que la fréquentation des lieux publics ne fait pas perdre le droit au respect de la vie privée (Cass. civ. 2, 5 janvier 1983, n° 81-13.374 N° Lexbase : A1330CGD). La diffusion légale de l'image ou d'une information dépend de l'intérêt légitime que le public peut avoir à être informé, et cela dans des conditions "honorables". Ainsi par exemple, de l'union d'une célèbre présentatrice de journal télévisé, dont on admet qu'il s'agit d'un fait d'actualité, dès lors que les commentaires sur cette union restaient anodins (Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 02-17.458, FS-P+B N° Lexbase : A0291DD7), mais pas la révélation de l'existence d'un enfant illégitime à propos du prince Albert de Monaco (Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 06-10.393, FS-P+B+I N° Lexbase : A4173DU4). La ligne de partage reste difficile à parfaitement déterminer et l'appréciation reste particulièrement casuistique.

III - L'abus de l'usage de la liberté d'expression : les expressions d'opinions dégradantes et erronées dans un but non reconnu

Lorsque ce qui est exprimé traduit une opinion dégradante et erronée, portant atteinte à l'honneur d'une personne ou d'un groupe de personnes, il peut y avoir injure ou diffamation punissables. C'est à nouveau et, notamment, la loi de 1881 qui détermine ces cas, à son article 29 : "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés". L'article 29 ajoute que, "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure". Les articles suivants précisent des cas spécifiques de diffamation, tel l'article 32 l'envisageant à l'égard d'"une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". Des sanctions pénales sont encourues, de nature contraventionnelle ou délictuelle. Comme pour la provocation et l'apologie, il existe une distinction entre le caractère public et le caractère privé de l'expression, même si l'infraction peut être constituée "en privé". Lorsqu'elle est publique, on note le statut spécifique accordé notamment par le juge, à certaines activités, pour lesquelles la liberté d'expression est plus largement admise.

Dénigrer et déshonorer

Même si elles apparaissent proches, les deux idées sont assez nettement distinctes : le déshonneur n'étant pas la simple réputation, seul le fait de rapporter des faits erronés ou dont la preuve ne peut pas être apportée constituera une diffamation punissable, tandis que leur véracité pourra être présentée comme une excuse. Par exemple, un blogueur poursuivi pour diffamation publique à l'égard du maire de sa commune peut produire des pièces servant à la preuve de la véracité de ses affirmations et de sa bonne foi, même si, par ailleurs, il a obtenu ces pièces de manière déloyale. Ces pièces valident alors l'usage de sa liberté d'expression (Cass. crim, 19 janvier 2010, n° 09-84.408, F-P+F N° Lexbase : A6212ERI), dès lors qu'elles sont rapportées rapidement (une dizaine de jours à compter de la signification de la citation) et qu'elles illustrent la bonne foi de leur détenteur qui a pu légitimement croire aux faits allégués. Dans tous les cas, il faut, pour qu'il y ait diffamation, que les faits imputés soient précis, qu'ils visent une personne ou un groupe de personnes identifiable, et que les allégations soient proportionnées aux faits imputés, ce qui signifie que les commentaires qui pourraient être ajoutés ne doivent pas être excessifs : la forme prise par les allégations n'est pas très importante, car même sous forme interrogative il peut y avoir diffamation.

S'agissant de l'injure, en revanche, la véracité des faits éventuellement allégués ne fait pas tomber l'infraction, puisqu'elle est constituée par "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure" (article 29 précité de la loi de 1881). Mais il peut être montré que l'injure a été "provoqué", ce qui peut constituer une excuse : "l'injure n'est excusable pour cause de provocation que lorsque celui qui a proféré ladite injure peut être raisonnablement considéré comme se trouvant encore sous le coup de l'émotion que cette provocation a pu lui causer" (Cass. crim., 13 janvier 1966, n° 65-90.156 N° Lexbase : A2450CH9).

Le caractère public ou privé de l'expression constitutive d'une injure ou d'une diffamation est une question assez souvent discutée, dans la mesure où il implique la qualification délictuelle ou contraventionnelle de l'infraction. La question s'est souvent posée ces dernières années à propos des courriels. Lorsqu'elles sont commises envers les particuliers, notamment par tout moyen de communication au public par voie électronique, et dès lors qu'elles ne sont pas précédées de provocations, l'injure et la diffamation sont punissables d'une amende de 12 000 euros (article 33 de la loi de 1881 résultant de la loi du 21 juin 2004, sur la confiance dans l'économie numérique). Si elles ont un caractère discriminatoire, c'est-à-dire dirigé vers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une Nation, une race ou une religion déterminée, elles sont punissables de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende. En revanche, l'injure privée envers une personne, lorsqu'elle n'est pas discriminatoire et lorsqu'elle n'a pas été précédée de provocation, est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la première classe, soit 38 euros (C., pén., art. R. 621-1 N° Lexbase : L0962ABA et R. 621-2 N° Lexbase : L0963ABB), l'amende étant portée à 750 euros si elle présente un caractère discriminatoire (contravention de quatrième classe 4, C. pén., art. R. 624-3 N° Lexbase : L3189G9Y et R. 624-4 N° Lexbase : L3190G9Z). Il ressort d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation que les imputations diffamatoires contenues dans un courrier électronique qui était adressé à une seule personne et qui concernait une autre personne ne sont susceptibles d'être qualifiées de diffamation non publique que s'il est établi que ce courrier a été adressé au tiers dans des "conditions exclusives de tout caractère confidentiel", indépendamment de la mention formelle figurant sur le courriel (Cass. crim., 24 mai 2011, n° 10-85.184, F-D N° Lexbase : A6378HUR).

La liberté d'expression au bénéfice de certaines activités

S'il est des lieux où il existe très certainement une propension aux expressions de toutes sortes, à l'instar d'internet et des réseaux sociaux, à propos desquels le contentieux est déjà important, il existe surtout des activités dont l'une des raisons d'être est précisément l'expression et qui, de ce fait, en renforce la possibilité : ainsi de la presse, de l'art ou de la recherche. Dans son arrêt "Müller c/ Suisse", la Cour européenne des droits de l'Homme a indiqué que, "ceux qui créent, interprètent diffusent ou exposent une oeuvre d'art, contribuent à l'échange d'idées et d'opinion, indispensable à une société démocratique" (CEDH, 24 mai 1998, Req. 10737/84 N° Lexbase : A8192ITL). On peut mettre cet arrêt en parallèle avec celui de la cour d'appel de Paris qui a jugé non coupable un rappeur ayant traité un célèbre chroniqueur de télévision de "con", en considérant que les propos poursuivis "n'excédaient pas les limites admissibles en matière de liberté d'expression artistique". Après avoir dressé la personnalité du chroniqueur, personnage public lui-même invitant souvent à la polémique (il avait estime publiquement que le rap est une sous-culture d'analphabètes), la cour a relevé que le rap est "un style artistique permettant un recours possible à une certaine dose d'exagération" (CA Paris, 28 juin 2012). A bien des égards, la liberté de création constitue un élément de la liberté d'expression. Elle peut comprendre l'expression de la plupart des opinions, la caricature allant jusqu'à ridiculiser des personnes ou groupes de personnes. Si la liberté d'expression n'est pas celle de porter atteinte au fondement de la société, aux valeurs républicaines, aux droits fondamentaux des personnes et des biens, ou encore à l'honneur des personnes, la frontière est parfois délicate à tracer, mais il est important de considérer que la liberté d'expression reste bien celle de pouvoir dire et exprimer tout le reste.

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