La lettre juridique n°501 du 11 octobre 2012 : Temps de travail

[Jurisprudence] Nouveau tour de vis concernant l'encadrement conventionnel des conventions de forfait en jours

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-14.540, FS-P+B (N° Lexbase : A6248ITL)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 11 Octobre 2012

Depuis 2011, la Cour de cassation, s'inscrivant dans le prolongement des décisions prises par le comité européen des droits sociaux, fait la chasse aux accords collectifs qui permettent le recours aux conventions de forfait en jours sur l'année sans assurer concrètement, par des mesures concrètes suffisantes, la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis à des durées de travail potentiellement déraisonnables. Après la Convention de la chimie (N° Lexbase : X0653AEW), c'est celle du commerce de gros (N° Lexbase : X0604AE4) qui est mise en cause dans un nouvel arrêt en date du 26 septembre 2012 (I). Cette nouvelle décision permet de mieux cerner le niveau d'exigences de la Cour de cassation en la matière (II).
Résumé

Doivent être annulées des dispositions conventionnelles qui, dans le cas de forfait en jours, se limitent à prévoir, s'agissant de la charge et de l'amplitude de travail du salarié concerné, un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, ou qui, s'agissant de l'amplitude des journées de travail et la charge de travail qui en résulte, ne prévoient qu'un examen trimestriel par la direction des informations communiquées sur ces points par la hiérarchie, dans la mesure où elles ne sont de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

Commentaire

I - Haro sur les accords mettant en place les conventions de forfaits en jours sur l'année

Le revirement de 2011. Après un vrai-faux suspens savamment entretenu par certains, la Chambre sociale de la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu le 29 juin 2011 (1), défini les conditions dans lesquelles les accords collectifs, qui servent de base à la mise en oeuvre des conventions de forfaits en jours sur l'année (2), doivent concilier la nécessaire prise en compte de l'autonomie de certains salariés, notamment cadres (3), et la préservation de leur santé car, faut-il le rappeler, le salarié qui "bénéficie" de ce régime échappe aux durées de travail maximales journalières et hebdomadaires (4).

Cet arrêt, qui a validé la disposition conventionnelle litigieuse (accord du 28 juillet 1998 étendu sur l'organisation du travail dans la métallurgie, article 14), a ainsi fourni un (premier) modèle de convention "de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours", pour reprendre l'expression employée par la Haute juridiction depuis 2001.

Les conditions de validité de ces conventions. La lecture de ces dispositions conventionnelles montre que ces mesures sont au nombre de trois : un dispositif de contrôle des demi-journées travaillées (5), le suivi par le supérieur hiérarchique du travailleur concerné (6), et enfin une évaluation annuelle du caractère raisonnable des durées réelles pratiquées (7).

Les quelques décisions rendues depuis mettent en évidence deux éléments.

En premier lieu, l'accord collectif autorisant le recours aux conventions de forfait en jours sur l'année doit prévoir lui-même ces dispositifs et ne peut pas se contenter d'en renvoyer la détermination aux parties à la convention individuelle de forfait (8).

En second lieu, la convention qui ne prévoit aucun dispositif n'est pas opposable au salarié, comme cela a été jugé à propos de la Convention collective nationale de la chimie (9).

C'est dire tout l'intérêt de cette nouvelle décision.

II - L'insuffisance d'un suivi trimestriel de la charge de travail

L'accord mis en cause. Cette nouvelle affaire concernait l'article 2.3 de l'accord ARTT du 14 décembre 2001 pris en application de la Convention collective nationale de commerces de gros du 23 juin 1970.

Ce texte prévoit un "décompte annuel en jours ou demi-journées de travail effectif" et précise qu'"une note d'information mettant en oeuvre une convention de forfait en jours doit également préciser les modalités de décompte des journées et demi-journées travaillées, les conditions de contrôle de son application, ainsi que les modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés et de l'amplitude de leurs journées d'activité".

Le texte ajoute que "le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés". L'employeur est ainsi "tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées, ainsi que la qualification des jours de repos au titre de la réduction du temps de travail", précise que "ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur". En outre, "le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé ainsi que l'amplitude de ses journées d'activité".

L'affaire. Un salarié, après avoir pris sa retraite, avait saisi la juridiction prud'homale d'un certain nombre de demandes indemnitaires fondées notamment sur la contestation de la convention de forfait en jours à laquelle il avait été soumis à la fin de sa carrière, en sa qualité de directeur comptable. Il reprochait à son employeur, devant la cour d'appel de Lyon, "de n'avoir pas, lors de l'instauration pour les cadres des conventions de forfait jour annuel, mis en place les mécanismes de contrôle permettant seuls d'assurer le respect de la réduction effective du temps de travail ce qui, corrélativement, permettait d'éluder le paiement d'heures supplémentaires" (10), mais n'avait pas été suivi.

Devant la Cour de cassation, le salarié se situait clairement dans le sillage des arrêts rendus sur le contrôle de la charge de travail en juin 2011, arrêts rendus après celui de la cour d'appel de Lyon qui remontait au mois de janvier de la même année.

Pour la Cour de cassation, les garanties conventionnelles en cause ne sont pas suffisantes, et singulièrement la fréquence trimestrielle des dispositifs de contrôle puisque la Haute juridiction souligne que les dispositions conventionnelles litigieuses se contentaient, "s'agissant de la charge et de l'amplitude de travail du salarié concerné", d'un "entretien annuel avec son supérieur hiérarchique", et "s'agissant de l'amplitude des journées de travail et la charge de travail qui en résulte [...] qu'un examen trimestriel".

Une solution sévère. Le moins que l'on puisse dire est que la cassation ne semblait pas s'imposer avec la force de l'évidence si on veut bien comparer les dispositions de la Convention collective nationale de la métallurgie (N° Lexbase : X0590AEL), qui avait été "validée" par la Cour en janvier 2001, et celle de la Convention collective nationale du commerce de gros mise en cause dans cette affaire.

Faut-il le rappeler, la CCN de la métallurgie, qui faisait figure jusque là de modèle, prévoyait en premier lieu l'établissement d'un "document de contrôle" détaillant les demi-journées travaillées ou de congé du salarié, sans autre précision concernant la fréquence de l'exploitation de ces informations ; le document de contrôle prévu par la CCN du commerce de gros prévoyait un dispositif équivalent.

S'agissant du contrôle de la charge de travail, la Convention de la métallurgie prévoit un "suivi régulier" alors que la CCN du commerce de gros uniquement un suivi annuel, et l'accord d'entreprise un suivi trimestriel.

Pour la Haute juridiction, un suivi trimestriel ne serait donc pas "de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié", alors qu'un suivi "régulier" le serait... et ce, alors même que cette notion de suivi "régulier" est dépourvue de toute précision et, pour ainsi dire, de toute normativité.

On le comprend aussitôt, l'arrêt, rendu en janvier 2011, n'était que le premier pas vers un contrôle plus strict encore des stipulations conventionnelles garantissant le respect du droit à la santé des salariés soumis à un forfait en jours sur l'année, comme le montre ce nouvel arrêt qui semble incontestablement plus sévère en imposant un suivi certainement mensuel de la charge de travail, même si la Haute juridiction n'a pas voulu le dire plus nettement.

Une intervention législative désormais indispensable. Deux remarques méritent alors d'être faites.

La première, qui n'est pas nouvelle, sonne comme une mise en garde pour les entreprises. Il n'est en effet pas possible de "sauver", par de vertueuses pratiques de surveillance étroite de la charge de travail des salariés en forfaits en jours sur l'année, les conventions de forfait "mal fondées" ; les garanties doivent, en effet, figurer dans l'accord habilitant les entreprises à recourir aux conventions de forfait. En revanche, si l'accord collectif prévoit ces garanties et que l'employeur ne les respecte pas, on sait désormais qu'il perdra le bénéfice du régime des forfaits en jours (11) et en paiera, au sens propre et figuré, toutes les conséquences !

Il est toutefois toujours possible, lorsque les dispositions de l'accord de branche applicable ne garantissent pas suffisamment le droit à la santé des salariés, de conclure un accord d'entreprise, ou d'établissement, qui s'appliquera alors en lieu et place de l'accord de branche, conformément aux dispositions de l'article L. 3121-39 du Code du travail, et qui comportera des mesures de suivi et de contrôle plus efficientes.

La seconde, qui résulte directement de ce nouveau "tour de vis", concerne le régime légal des conventions de forfaits en jours sur l'année, dont les insuffisances sont dénoncées depuis longtemps déjà par le Comité européen des droits sociaux (12). Il serait plus que temps qu'une intervention législative vienne préciser ces garanties car il n'est pas certain que l'intervention de la chambre sociale de la Cour de cassation, par hypothèse dépendante des contentieux qui lui sont soumis, permette d'y voir plus clair pour l'ensemble des conventions concernées, créant ainsi une très fâcheuse insécurité juridique...


(1) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5499HU9) et les obs. de S. Tournaux., Forfaits-jours : compromis à la française !, Lexbase Hebdo n° 447 du 7 juillet 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N6810BSZ) ; D. act., 19 juillet 2011, obs. L. Perrin ; RDT, 2011, p. 474, B. Van Craeynest et P. Masson ; ibid., p. 481, chr. M.-F. Mazars, S. Laulom et C. Dejours ; JCP éd. S, 2011, 1332, J.-F. Akandji-Kombé ; ibid., 1333, note M. Morand ; RJS, 2011, p. 587, chron. F. Favennec-Héry ; SSL, 2011, n° 1499, p. 11, note M.-F. Mazars et Ph. Flores.
(2) C. trav., art. L. 3121-39 (N° Lexbase : L3942IBM).
(3) Ceux "dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, su service ou de l'équipe auxquels ils sont intégrés" (C. trav., art. L. 3121-42 N° Lexbase : L3963IBE).
(4) C. trav., art. L. 3121-48 (N° Lexbase : L3955IB4).
(5) "Le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n'a pas renoncé dans le cadre de l'avenant à son contrat de travail visé au 2ème alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur".
(6) "Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail".
(7) "En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité. Cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. A cet effet, l'employeur affichera dans l'entreprise le début et la fin de la période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire visé à l'alinéa 7 ci-dessus. Un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir d'autres modalités pour assurer le respect de cette obligation".
(8) Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-41.002, F-D (N° Lexbase : A0334GDQ) : "les modalités exigées par les articles L. 3121-45 (N° Lexbase : L3952IBY) et L. 3121-48 du Code du travail n'avaient pas été prévues par la convention collective et avaient été laissées à l'initiative des parties ou de employeur" ; Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-10.854, FS-D (N° Lexbase : A8949INR), "l'accord de branche, sur lequel se fondait exclusivement l'employeur pour justifier le recours à un forfait en jours, ne prévoyait pas les modalités de suivi et d'application des conventions de forfait en jours, et qu'il n'est pas justifié de l'existence d'un accord d'entreprise conclu à cet effet" ; Cass. soc., 19 septembre 2012, n° 11-19.016, F-D (N° Lexbase : A2518ITG), la cour d'appel ne peut valider le recours aux conventions "sans constater l'existence d'un accord d'entreprise ou d'établissement organisant les modalités de mise en place de la convention de forfait en jours".
(9) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-19.807, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8942IBS), v. les obs. de S. Tournaux, Conventions de forfait en jours : de l'importance du contenu des accords collectifs, Lexbase Hebdo édition sociale n° 473 du 16 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0230BTP).
(10) CA Lyon, ch. soc., 27 janvier 2011, n° 10/02721 (N° Lexbase : A7099GSQ).
(11) Depuis Cass. soc., 29 juin 2011, préc..
(12) Décision sur le bien-fondé du 16 novembre 2001, §§ 28 à 38, et CFE-CGC c. France, réclamation n° 16/2003, , §§ 31 à 4 ; Décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, CFE-CGC c. France, réclamation n° 9/2000 ; Décision du 14 janvier 2011, n° 55/2009, n° 54.

Décision

Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-14.540, FS-P+B (N° Lexbase : A6248ITL)

Cassation, CA Lyon, ch. soc., 27 janvier 2011, n° 10/02721 (N° Lexbase : A7099GSQ)

Textes visés : Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, art. 151 (N° Lexbase : L2453IPK) ; C. trav., ancien art. L. 212-15-3 (N° Lexbase : L7755HBT), dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993/104 CE du Conseil du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8) ; Directive 2003/88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM), art. 17, paragraphe 1, et 19 ; Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX), art. 31

Mots-clés : durée du travail, forfaits en jours, santé, garanties

Liens base : (N° Lexbase : E0542ETA)

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